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Nathalie Sarraute à propos de sa pièce Le Silence dit

« L’idée m’est venue, quelque temps après, sans que


je sache bien ce qui pourrait en sortir, d’un certain
silence. Un de ces silences dont on dit qu’ils sont «
pesants ». […] Tiré par ce silence un dialogue a
surgi, suscité, excité par ce silence. Ça s’est mis à
parler, à s’agiter, à se démener, à se débattre… ».
Dans quelle mesure cette réflexion vous paraît-elle
illustrer la pièce de Lagarce ?

I – Analyse du sujet.
-Silence pesant = absence de paroles qui a des effets néfastes, est difficile à
supporter.
-Tiré par= le silence est à l’origine de la parole, il la provoque, l’entraine.
- à parler, à s’agiter, à se démener, à se débattre… ». = une parole qui prend de
l’ampleur, devient plus forte, a des répercussions sur le comportement des
personnages : s’agiter, à se démener, à se débattre dénotent le mouvement, et
connotent des émotions fortes, et une forme de violence, de lutte. = crise
familiale voire identitaire.
Bilan de l’idée : Le silence est à l’origine de la parole, d’une parole qui
s’intensifie et donc de la crise.
Dans quelle mesure le silence est-il à l’origine d’une parole tumultueuse voire
violente, et donc de la crise à l’œuvre dans Juste la fin du monde ?

Voici le plan détaillé : une sous-partie (la B) sur deux est rédigée
I –Un silence pesant à l’origine des tensions.
A- Le silence dérangeant de Louis
-Plus d’une fois sur trois, la parole est niée (on retrouve 205 occurrences du
verbe « se/dire », qui est nié 76 fois)
-Topos du secret de famille : on ne sait pas pourquoi Louis est parti et toute la
vie familiale s’est construite autour de ce secret, de silences, de non-dits. Louis
évoque dans son prologue l’état d’attente qu’est le silence
-Le personnage réagit peu aux paroles des membres de sa famille : ex : sa
réponse au monologue d’Antoine de la scène 11 : « Oui ? » « Je ne les ai pas
entendues » = réponse laconique. Scène 8 : pendant le monologue de sa mère,
Louis ne dit rien : « J’écoutais » ajoute-t-il à la fin.
Sa mère le définit comme un être silencieux : « Petit sourire. Juste ces deux ou
trois mots » ( scène 8).
Suzanne évoque le silence de Louis pendant les années d’absence : pour
désigner les cartes postales de Louis : « ce ne sont pas des lettres, qu’est-ce que
c’est ? de petits mots, juste des petits mots, une ou deux phrases, rien, comment
est-ce qu’on dit ? elliptiques. » p37. + Antoine le définit ainsi avec ironie dans la
scène 11 « silencieux, ô tellement silencieux ».
Le personnage principal est donc un personnage de l’ellipse, c'est-à-dire de
l’économie de la parole.
=> On peut imaginer que son silence est gênant. D’ailleurs il est fort possible,
comme le dit la Mère dans la scène 8, qu’il soit interprété comme une « marque
de mépris, la pire des plaies » par Antoine et Suzanne, ou d’indifférence, comme
Antoine semble l’interpréter avec ironie dans la scène 3, lorsque Catherine parle
de sa famille et que Louis se tait : « Il t’écoute (…) c’est un homme passionné
par cette description de notre progéniture ». D’ailleurs cette remarque d’Antoine
entrainera la gêne de Louis qui répétera à trois reprises être « mal à l’aise », et
qui, dans sa confusion emploiera le terme « filleuls » pour désigner ses neveux,
traduisant ainsi la fragilité de son lien familial.

B- Qui libère la parole des autres


Par ailleurs, si le silence se révèle crée une ambiance désagréable, elle a aussi
pour conséquence, comme le dit Nathalie Sarraute de « suscit[er] », donc de
libérer la parole des autres. Cela commence dès la scène 1 dans laquelle Suzanne
va jusqu’à parler à la place de Louis pour expliquer ses intentions. Elle lui pose
une série de questions, auxquelles elle répond elle-même, et se lance dans de
petites tirades qui semblent avoir pour vocation de briser le silence. Au final
chaque personnage y va de son commentaire, tandis que Louis, qui est censé être
au cœur de ses retrouvailles, prononce seulement 5 répliques très courtes.
Catherine, de son côté, est obligée, dans la scène 2, de jouer les intermédiaires et
de parler d’elle et de sa famille dans de longues tirades essentiellement
interrompues par les commentaires ironiques de son mari. C’est ensuite la mère
qui va se lancer dans de longues tirades faisant l’éloge, dans la scène 3, des
dimanches en famille qui semble être un moyen de ramener le groupe à des
souvenirs communs heureux, comme pour briser un silence synonyme
d’éloignement. Ces prises de parole vont aller crescendo au cours de la pièce,
puisque la Mère basculera dans un long soliloque dans la scène 8, puis Antoine
prendra longuement la parole à la place de Louis dans la scène 11, et finira lui
aussi par se lancer dans un soliloque dans les scènes 2 et 3 de la deuxième
partie, monopolisant totalement la parole.
Ainsi, nous pouvons constater que le silence est bien présent dans Juste la fin du
monde, et à l’origine d’un malaise qui pousse les autres personnages à
s’exprimer

II- le silence révèle et accentue le tumulte intérieur et extérieur


A- Violence des personnages dans leur parole
On observe un crescendo dans l’intensité de la parole au cours de la pièce : on
commence par des remarques ironiques d’Antoine « Les rois de France » dans la
scène 1, puis par des reproches de Suzanne dans la scène 3 concernant le
caractère laconique de son frère. On observe que le silence de Louis pousse
Suzanne à dire des choses qu’elle n’avait pas prévu de dire : « je parle trop », et
elle achève son soliloque sur un reproche) à demi-mot : « tu aurais eu tort, en
effet, de t’inquiéter ».
-La Mère définit la « brutalité » verbale de ses enfants dans la scène 8 : « ils s’y
prendront maladroitement et ce sera mal dit ou trop vite (…) car ils sont brutaux.
»
Parole agressive : les chamailleries entre Suzanne et Antoine traduisent une
forme de brutalité, de violence retenue : le « Ta Gueule » Suzanne d’Antoine
montre un mode de fonctionnement basé sur la violence : Antoine a tendance à
vouloir maîtriser la parole des autres : il est souvent silencieux, et se qualifie
comme tel dans la scène 11, et la parole des autres le dérange : il tente à
plusieurs reprises de l’interrompre : dans la scène 3 il interrompt sa femme à
plusieurs reprises, dans la scène 8 ce sont les discours de sa mère qui le
dérangent, et enfin dans la scène 11, il interrompt Louis, qui commençait à se
confier pour la première fois, et parle à sa place.
La parole va même aller jusqu’à la violence devenant un moyen d’exprimer son
désir de tuer l’autre.: « tu me touches je te tue ». De la même manière Louis
dans le monologue de la scène 10, crie toute sa haine contenue à l’encontre de sa
famille : il va jusqu’à les maudire, « vomi[ssant] la haine » de manière maladive,
et souhaiter leur mort, se présentant comme « un noyé qui tuerait ses sauveteurs
». Cette parole est en fait un faux-silence, puisqu’elle reste au stade de la pensée
et n’est communiquée qu’au spectateur. Le silence a donc des conséquences
néfastes sur la parole des personnages : à force d’accumuler des non-dits, elle
surgit violemment, dans un besoin express d’évacuer son ressentiment. Cette
promptitude est sans doute liée au pressentiment du départ imminent de Louis et
de la brièveté de son passage.

B- Reflet de la violence interne des personnages.


Deux personnages sont particulièrement silencieux dans la pièce : les frères. Si
Antoine dit se taire « pour donner l’exemple », on peut penser qu’il se tait
surtout car il en proie à une crise intense qu’il essaie d’étouffer, et qui s’exprime
malgré lui par des remarques maladroites, voire brutales, et qui explose
finalement dans son cri des scènes 2 et 3 dans lequel il révèle enfin sa sensibilité
et sa souffrance face à l’absence et au silence de son aîné. Il lui reproche d’avoir
toujours monopolisé l’attention et d’avoir joué le mal-aimé pendant son enfance,
de sorte qu’Antoine a dû être « responsable, silencieux, et admettre la fatalité, et
[l]e plaindre aussi ». Ainsi, le cadet reproche à son frère de lui avoir volé le droit
à s’exprimer, à verbaliser sa propre souffrance. Et c’est cette incapacité qui a
intensifié sa souffrance intérieure, et qui provoque dans la pièce une parole
virulente. À l’inverse, on peut difficilement imaginer quel est le prix à payer
pour garder le silence et ne pas communiquer sur sa propre mort à ses proches.
Jean-Luc Lagarce nous le donne à voir grâce à plusieurs scènes qui nous font
entrer dans la psyché tourmentée de Louis. La scène 5 nous laisse simplement
entendre les pensées intimes de Louis, qui se confie sur sa peur de l’abandon et
de la mort, et sur la manière dont il pense être aimé des autres : « on m’aimait
déjà vivant comme on voudrait m’aimer mort, sans pouvoir et savoir jamais rien
me dire. » Le personnage évoque donc la tragédie de son existence, intimement
liée à cette idée du silence. Cette peur du silence nous est également révélée de
manière symbolique dans l’intermède, où les personnages semblent errer dans
un espace onirique dans lequel les sens sont amenuisés, et qui semble
correspondre au cauchemar de Louis enfant, obligé de chanter pour se rassurer.
Ce procédé consistant à se rassurer en écoutant sa propre voix est bien présent
dans la pièce, puisque le personnage condamné se parle davantage à lui-même
qu’il ne s’adresse aux autres. Son long monologue de la scène 10 nous confie
tous les états par lesquels passe le personnage pour se familiariser avec l’idée de
sa propre mort, et nous constatons l’ampleur de sa crise personnelle : d’abord
dans le déni, le personnage raconte ses nombreux voyages pour « semer la mort
», puis ses phases de colère, de tristesse, pour enfin parvenir à l’acceptation et à
l’idée d’un retour chez soi, qui marque la fin d’un « jeu », d’une mascarade pour
Louis. Finalement il nous laisse croire que seule l’aveu, et donc la parole peut
apaiser sa souffrance. Mais la réalité se révèle plus nuancée

III- finalement le silence, bien qu’il accentue la crise, est surtout le signe
d’une crise de la communication qui révèle la condition tragique de l’être
humain
A- La difficulté à dire de ceux qui ne savent pas garder le silence (drame de la
communication)
Difficulté à communiquer : « Les pièces de Lagarce sont le théâtre des
hésitations de la parole, des dits et non-dits, des accidents et des failles du
langage. » Hélène Kuntz 2010, « Compagnons du langage également faillibles ».
Antoine : « Rien jamais ici ne se dit facilement » scène 3 partie 2.
Refus d’écouter les autres : « Les gens qui ne disent rien, on croit juste qu’ils
veulent entendre, mais souvent, tu ne sais pas, je me taisais pour donner
l’exemple. » Antoine scène 11.
Scène 4 : 6 occurrences du verbe « comprendre » à la forme négative = difficulté
de communication.
« que nous ne savions pas te le dire (et ne pas te le dire, cela revient au même,
ne pas te dire assez que nous t’aimions, ce doit être comme ne pas t’aimer assez
»). Scène 3 Antoine Partie 2
Polyptote : Ex : Tu ne te disais rien, je sais, je te vois. Tu ne te disais rien, tu ne
pensais pas que tu me dirais quelque chose, que tu me dirais quoi que ce soit, ce
sont des sottises, tu inventes. » Partie 1scène 11.
Aposiopèse : La Mère qui évoque l’éventualité que Louis ait un enfant : « c’est
dommage, que tu ne puisses le voir./ Et si à ton tour… » ou Catherine « Parce
qu’il aurait été logique nous le savons…. » Scène 2.
« ce que je veux dire » est répété à diverses reprises, traduisant l’intention de
communiquer et la difficulté à être clair (scènes 3, 5, 8 – Première partie + scène
3 – Deuxième partie).
Tous les efforts des personnages pour communiquer montrent donc le caractère
imperfectible de la communication et on peut aller plus loin : à force de se
rectifier, de chercher le mot juste, le sens se perd et devient encore plus
inaudible : le langage se dévide. Jean Pierre Sarrazac dans Poétique du drame
moderne et court va jusqu’à parler de logo-drame dans les œuvres de Lagarce
dans lesquelles le langage devient un personnage à part entière.

B- Silence et parole reflètent la tragédie de la condition humaine.


Le silence et la parole aboutissent finalement à la même chose : l’impossibilité
de communiquer aux autres. Ils révèlent ainsi la dimension tragique de la
condition humaine : il est finalement impossible de dire l’essentiel, et la vérité se
noie sous un flot de paroles ou sous des silences. C’est l’interprétation que fait
Dolan et qu’il livre dans un entretien pour le journal Ouest France en parlant de
Lagarce : « Il nous dit que nos mots sont déphasés par rapport à ce qu'on ressent,
qu'ils sont incapables d'exprimer ce que nous sommes, notre douleur, notre
solitude ». De fait, si Louis ne dit pas ce qu’il a à dire, c’est peut-être par peur de
l’échec, ou bien de réaliser sa solitude totale, car rien, pas même la parole ne
peut contrer la mort et la solitude que l’on éprouve face à elle. C’est ce que
semble suggérer le prologue, dans lequel il présente son retour dans sa famille et
son aveu comme un risque qui pourrait « réveiller l’ennemi endormi », donc la
mort. Louis se condamne donc sans même s’être débattu, il ne lutte donc pas
contre la fatalité, mais l’accepte. Son cri final dans l’épilogue traduit néanmoins
un certain regret de ne pas avoir su s’exprimer, puisque la pièce s’achève sur le
verbe « regretterai » et sur l’image du personnage seul, dans la nuit. À l’opposé,
il évoque sa potentielle parole comme un soulagement grâce aux adjectifs «
grand et beau » qui qualifient « cri » : le silence enferme donc le personnage
dans sa tragédie interne, dans sa souffrance, là, ou potentiellement le cri
d’Antoine l’a en quelque sorte libéré, provoquant une catharsis et achevant sa
crise personnelle. De manière paradoxale, alors qu’il le présentait comme un
moyen de rester « digne et silencieux » dans la scène 10, le silence de Louis
accentue son mal être, tout en laissant la place aux autres, et en même temps leur
épargne une autre forme de souffrance : celle de craindre pour la vie d’un être
cher, comme il le dit dans la scène 1 de la deuxième partie : « sans avoir osé
jamais faire tout ce mal ».
Ainsi, le silence et la parole traduisent tous deux un échec de la communication
qui enferme l’homme dans une condition tragique, reflet de son imperfectibilité.

Autre plan
I La crise est préexistante au silence
A- L’absence de Louis en est la cause

B- Crise interne de Louis préexiste à son silence.

II- Le silence intensifie cependant la crise.


A- Délie la parole

B- Jusqu’à la violence

III- La parole et le silence sont inextricables.


A- La parole est aussi ce qui crée le silence dans la pièce : parler pour faire
taire Louis : par peur d’entendre.

B- Crise de la communication : inefficacité des deux mediums.

Autre plan
I- La parole qui comble le silence
A- Parler par malaise

B- Parler pour pousser Louis à s’exprimer

II- Le silence= crise familiale


A- Colère face au silence

B- Mauvaise communication

III- Le silence = crise personnelle.


A) Louis se retranche dans son faux-silence

B- Antoine exprime sa crise

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