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Cours introductif – Le roman, le récit et le personnage

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C’est le plus souvent autour d’un ou plusieurs personnages que s’organise un roman. C’est un
être de fiction qui se définit par son portrait, ses actions, sa voix et ses sentiments que le
romancier décide de livrer avec plus ou moins de précision. De cette conception dépend le
rapport d’identification au personnage ainsi que son interprétation par le lecteur. Au cours de
l’histoire du roman, la conception du personnage a évolué, à l’image des interrogations des
auteurs sur l’homme et le monde.
→ Aux origines du personnage de roman
Dans l’Antiquité, on ne parle pas de “ roman ”, le terme et le genre étant à l’origine associés à
la langue romane qui se déploie au Moyen Age et dans laquelle sont écrites les œuvres.
Toutefois, L’Iliade et L’Odyssée, épopées grecques, constituent le modèle de nombreux héros
et contribue à concevoir le personnage avant tout comme un être doté de qualités
exceptionnelles. L’épopée introduit également les notions de structure narrative et le traitement
complexe du temps et de l’espace. Ces personnages sont des stéréotypes : leur portrait se limite
à quelques traits psychologiques, parfois physiques, qui les caractérisent de façon sommaire et
récurrente. Quêtes et épreuves constituent un parcours convenu. Dans les premiers romans du
Moyen Age, les personnages évoluent dans un monde peu réaliste, souvent idéalisé romans de
chevalerie, romans courtois, romans antiques. L’idéal chevaleresque se définit par la bravoure
au combat, le sens de l’honneur, la noblesse des sentiments, l’excellence dans les jeux tels que
les tournois et l’art de plaire en société. Dans le service de l’amour, pour plaire à sa Dame, le
chevalier, qui doit rester maître de ses passions, tente de porter à la perfection ses qualités.
Dans la littérature courtoise, la fin’amor (“amour parfait”) apparait comme un modèle qui
inspirera par la suite le schéma des relations amoureuse dans le roman. A la différence des
héros antiques, ces personnages évoluent, amorçant ainsi ce que deviendra le héros
romanesque. Le Roman de Renart, composé par des clercs anonymes au XIIème et XIIIème
siècles, joue avec les différents codes romanesques de cette époque, antique et courtois, en les
intégrant à un univers plus réaliste. Les personnages ne sont plus des héros idéalisés mais pas
encore des miroirs : il s’agit d’un monde animal, qui cependant rappelle clairement le monde
humain. Au XVIème siècle, François Rabelais dans Pantagruel (1532) et Gargantua (1534)
met en scène des personnages de géants, proposant à travers leurs aventures un regard à la fois
satirique et philosophique sur l’homme et la société.
LE HÉROS
Il est d’abord un personnage doté de qualités exceptionnelles, voire extra-ordinaires, à
l’image des héros mythologiques. Les héros arthuriens relèvent de cette définition. Mais
l’évolution du personnage de roman invite à renouveler la définition : le héros est le
personnage autour duquel s’organise l’intrigue du roman. Il peut alors être un personnage
positif ou négatif, voire un “anti héros”.

→ Au XVIIème : les personnages se diversifient


Au XVIIème siècle, le genre romanesque se diversifie. On trouve encore une importante veine
satirique qui parodie les héros et les valeurs chevaleresques, en les confrontant à la réalité,
comme dans Don Quichotte de Cervantès (2605). Paul Scarron choisit également la parodie
dans son Roman comique (1651-1655). Le déclin des valeurs féodales au profit d’un nouvel
idéal d’ “ honnête homme ” fondé sur le goût et le raffinement, la place accordée à la vie
mondaine et à ses codes, conduisent des auteurs à construire des personnages plus nuancés,
dont les sentiments contradictoires sont analysés. C’est la naissance du roman “ psychologique
” avec La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette (1678). La passion amoureuse de
l’héroïne y est entravée par le devoir et la morale. Madame de Clèves n’est pas sans rappeler
certaines figures de la tragédie, genre alors très apprécié. La conception du personnage de
roman traduit bien la sensibilité d’une époque, la manière dont une société choisit de regarder
et de peindre l’être humain en son sein.
→ Le XVIIIème siècle : le personnage est un individu
Il n’est donc pas surprenant qu’au XVIIIème siècle, alors que l’individu s’impose peu à peu
dans sa particularité et non plus en tant que membre d’un ordre social, le personnage de roman
ne soit plus représentant d’un type littéraire mais devienne un être au caractère propre et au
dessein unique. Les aventures de Manon Lescaut dans le roman éponyme de l’Abbé Prévost
ont pour source principale les désirs contradictoires de la jeune héroïne et la passion déterminée
de son amant le chevalier Des Grieux. Le choix de privilégier la subjectivité des personnages
se traduit par l’emploi récurrent d’une narration à la première personne, ou encore d’une forme
épistolaire qui suggère l’autonomie des personnages. Les Liaisons dangereuses de Choderlos
de Laclos (1782) en sont un exemple.
LE ROMAN EPISTOLAIRE
Roman par lettres, il ne comporte pas de narrateur, les informations sur les personnages et
l’intrigue ne sont transmises que par la correspondance des prescripteurs. Cela donne une
apparente authenticité au récit au même temps qu’une autonomie aux personnages. Le
lecteur a l’impression d’avoir accès à l’intimité des personnages et doit accomplir seul le
travail d’analyse. Comme plusieurs voix se superposent, ce procédé permet également une
certaine complexité narrative. Ce genre connaît son apogée à la fin du XVIIIème siècle.

→ XIXème siècle : le personnage “réaliste”


Le XIXème siècle connaît une histoire mouvementée, au rythme des révolutions et de la
succession des régimes, des mutations techniques et sociologiques. Les romanciers cherchent
alors à rendre compte de ce monde qui échappe, dont les repères sont brouillés. Leur
travail s’appuie sur une observation attentive, presque scientifique, de la réalité tant sociale que
psychologique. Honoré de Balzac dans La Comédie humaine (1830-1850) puis Emile Zola
dans les Rougon-Macquart (1871-1893) conçoivent chacun tout un univers incluant toutes les
classes sociales, et dont la cohérence repose en partie sur le retour des personnages. Le souci
du réalisme conduit à représenter les personnages dans les moments même les plus quotidiens
de la réalité, qui sont pour l’auteur et pour le lecteur autant d’indices de la vision proposée. Les
personnages sont placés au sein de la société dont ils sont chargés de rendre compte ; leurs
ambitions, leurs contradictions sont racontées et analysées. Le roman d’apprentissage permet
de raconter ces parcours, celui de Frédéric Moreau dans L’Education sentimentale de Gustave
Flaubert (1869) encore Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal (1830).
→ La déconstruction du personnage au XXème siècle
Le XXème siècle connaît à son tour de nombreux bouleversements qui conduisent à une
progressive remise en cause de la conception du personnage romanesque. Tout d’abord la
psychanalyse - née à Vienne à la fin du XIXème siècle dans le cabinet du docteur Freud - et
la notion d’inconscient invitent à analyser autrement l’être humain et rendent plus difficile sa
caractérisation, qui semble désormais mouvante. Ainsi Marcel Proust choisit-il dans son œuvre
A la recherche du Temps perdu (1913-1927) une narration à la première personne ; les
personnages, les lieux sont évoqués à travers le filtre d’une subjectivité qui se construit elle-
même au fil des pages. Les fondements et les valeurs de la société sont à leur tour mis à mal
par les traumatismes des deux guerres mondiales. Les parcours et les attitudes des personnages
rendent compte du désarroi et des questionnements face au monde, mais les auteurs n’en
donnent plus les clés, renonçant à caractériser et analyser leurs personnages. Meursault dans
L’Etranger (1942) d’Albert Camus désarçonne le lecteur en ne livrant jamais vraiment ses
sentiments. Les auteurs du Nouveau Roman, radicalisent encore cette déconstruction du
personnage, qui perd parfois jusqu’à son identité. Aucun portrait physique ou moral des
personnages d’Alain Robbe-Grillet ou de Nathalie Sarraute ne sont livrés explicitement au
lecteur, qui doit alors constituer sa propre image de ces personnages à partir de des indices qui
lui sont livrés, gestes, paroles. La voix du personnage et la voix narrative se confondent ; elles
s’étiolent, s’annulent, se diluent, prêtent à disparaître. Les auteurs jouent avec le lecteur en
refusant s’assumer le rôle du narrateur omniscient, allant parfois jusqu’à brouiller les pistes de
la narration, comme le fait Michel Butor dans La Modification (1957). Ce “ défaut ” de
caractérisation n’exclut ni l’identification ni l’empathie avec le personnage, mais elles résultent
désormais de l’implication et de l’interprétation que voudra bien avoir le lecteur. La folie de
Lol V. Stein dans le roman de Marguerite Duras n’est pas analysée directement par la
narratrice, mais elle touche le lecteur par cet espace même qui lui est laissé pour la comprendre.
L’ERE DU SOUPÇON DE NATHALIE SARRAUTE
Titre d’un recueil d’essais, publié en 1956, Nathalie Sarraute y pose plusieurs fondements
de ce que l’on appelle le Nouveau Roman. Le “soupçon” porte justement sur la notion de
personnage, la “foi en lui du romancier et du lecteur”. Les attributs qui lui étaient donnés
dans les romans réalistes apparaissent désormais paradoxalement invraisemblable. D’où la
nécessaire recherche d’un nouveau type de personnage romanesque.

→ Le roman, un genre dominant au XXIème siècle


Le roman est un genre dominant dans la littérature actuelle. L’histoire du personnage
romanesque offre aux auteurs contemporains des voies divers, que chacun peut exploiter en
toute liberté. Avec ou sans passé, énigmatiques ou familiers, les personnages sont désormais
multiples et changeants, selon ce que veulent leur faire dire - ou non - les romanciers, selon le
rapport qu’ils veulent établir entre personnage et lecteur. La conception du personnage
romanesque, qu’elle se veuille exhaustive ou lacunaire, reste en tout cas toujours le miroir des
interrogations que l’auteur veut transmettre sur l’homme et le monde. Les romans
contemporains s’ouvrent à des genres divers, questions soulevées par l’Histoire ou recours à
l’imaginaire. Les romanciers du XXIème siècle explorent toutes les formes narratives
(romans historiques, autobiographiques, récits historiques, romans parodiques, essais, journal
littéraire, contes, etc.). Par exemple, les romans atypiques de Pascal Quignard s’éloignent
délibérément des conventions romanesques en s’engageant dans l’exploration de voix
narratives nouvelles. Ils ouvrent la voie au roman comme “ espace de jeu ”.

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