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LE ROMAN

Approche du genre : à l'origine, on appelle roman un texte en prose ou en vers écrit en langue
romane. Dès le XVI° siècle, il désigne un récit en prose d'aventures imaginaires. Le genre
romanesque, après avoir été longtemps considéré comme inférieur parce qu'il était lu de préférence
dans la classe bourgeoise, arrive à son apogée avec elle au XIX° siècle. Il est depuis lors un genre
protéiforme, où se sont accomplies toutes les expériences.

I. Historique du genre

La littérature latine avec d’abord Pétrone, on connut une forme romanesque mêlant prose et vers,
intercalant en hors d’œuvre contes et nouvelles dans la trame de l’action. Cependant l’unité d’ensemble
des épisodes était assurée par la constance du héros dans tous les épisodes.
Apulée, lui, fit des récits de voyages truffés d’anecdotes pittoresques. Son roman en onze livres, les
Métamorphoses ou l’âne d’or : il narre les aventures du jeune Lucius qui, cherchant à devenir oiseau, se
trompe d’herbe et se transforme en âne.
Depuis l’époque médiévale, le roman est en hibernation, mais ressuscité à la fin du XVIe siècle sous
forme de pastorale avec la traduction de la Diane amoureuse de l’espagnol Georges de Montemayor, des
bergers et bergères qui parlaient de leurs amours sur le ton du meilleur monde. Pour occuper ses loisirs,
Honoré D’Urfé se mit à écrire lui-même de semblables histoires, en 1610, parurent les deux premières
parties de l’Astrée, chacune plus de mille pages. Il mourut en 1625 sans achever la quatrième partie. Il y
était question d’amour pur, noble et raffiné, d’enchantement, de merveilleux, de fraîcheur d’un cadre qui
faisait le charme de l’œuvre.
Romanus (latin) > romanice (latin vulgaire) > romanz ou romans (ancien français).
Au Moyen Âge, l'usage du latin se restreint aux textes écrits tandis que les communications orales se font
en langue romane. Le latin n'étant connu que d'une infime minorité de la population, constituée
essentiellement de religieux et de lettrés, il faut alors transcrire ou écrire en langue romane certains textes
afin de les rendre accessibles à un public plus large. Le terme « roman » est donc appliqué à tous les
textes écrits en langue romane dans ce but, qu'ils soient en prose ou en vers, qu'ils soient narratifs ou non.
Les romans s'opposent alors aux textes écrits en latin, notamment les textes officiels et sacrés.
L’expression « mettre en roman », apparue vers 1150, signifie donc « traduire en langue vulgaire ». Pour
désigner les textes qui appartiennent au genre narratif, les termes estoire et conte sont le plus souvent
utilisés. Ainsi, Chrétien de Troyes écrit-il : « ore commencerai estoire ».
À l’origine dévolue à la traduction de textes hagiographiques, cette langue vulgaire - le roman - est vite
utilisée par la littérature narrative. Le terme se met à désigner progressivement un genre littéraire à part
entière. Ainsi, dans Lancelot ou le Chevalier de la charrette, Chrétien de Troyes écrit-il : « puisque ma
dame de Champagne veut que j’entreprenne un roman, je l’entreprendrai très volontiers ». Le terme
commence alors à se rapprocher de son sens moderne, celui de récit fictif à épisodes centré autour d’un ou
de plusieurs personnages.
Après avoir rappelé l’évolution sémantique du terme « roman », il nous faut maintenant nous intéresser au
genre littéraire que ce terme recouvre. Jusqu’au XIIe siècle, la chanson de geste et la poésie lyrique
dominent le paysage littéraire et narratif mais, progressivement, un genre nouveau fait son apparition : le
roman. Bien que novateur et original, il puise pourtant de nombreux motifs dans les genres littéraires qui
l’ont précédé

La chanson de geste

Ce nouveau héros de roman tient ses traits du héros épique. Il est vaillant, brave, il sait manier les armes,
il allie la franchise à la loyauté et à la générosité. Par-dessus tout, il sait préserver son honneur. Parmi les
nombreux motifs hérités de la chanson de geste, notons celui de la description des armes du chevalier, de
ses acolytes ou de ses ennemis, celui des combats et des batailles qui s’en suivent ou bien encore ceux des
embuscades, poursuites et autres pièges qui jalonnent le chemin du héros. On trouve également les scènes
d’ambassade chères à la chanson de geste, les scènes de conseil entre un seigneur et ses barons ou encore
le regret funèbre (lamentations sur un héros, un compagnon perdu) et la prière du plus grand péril.
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Cependant, le roman s’éloigne sur plusieurs points de la chanson de geste :
Ces romans apparaissent conjointement au développement de la bourgeoisie et d’un esprit
progressivement plus matérialiste. La redécouverte des textes d’Aristote accompagne ce renforcement du
rationalisme au détriment d’une part de spiritualité et de merveilleux. Le Roman de la rose et Jehan et
Blonde illustrent cette nouvelle orientation du genre. Les auteurs de ces romans choisissent de rester dans
les limites du vraisemblable et rejettent le merveilleux arthurien. La géographie des lieux devient de plus
en plus familière aux lecteurs, les personnages fictifs y rencontrent des personnages historiques (réel) et
les héros choisis sont de plus en plus issus de milieux modestes et sont de moins en moins légendaires.
Cependant, ce genre est marqué par un fort paradoxe : alors que la prose semble être la forme la plus
adaptée à transcrire le réel avec crédibilité et alors que la majorité des romans sont désormais écrits en
prose, ces romans réalistes continuent à être écrits en vers (couplets octosyllabiques). Conséquence ou
non de ce paradoxe, ils disparaîtront progressivement devant le succès croissant des romans en prose.
Que ce soit un roman-feuilleton ou un roman-fleuve, le roman varie du point de vue aussi bien de la
forme que du fond.

II. Les catégories de roman

1. Le roman de formation

Le personnage fait l’apprentissage de la vie sociale en découvrant différents milieux (finance, jeu,
couvent, amour, religion…). Il est à l’image du roman picaresque espagnol. Les difficultés auxquelles il
va se heurter, sa capacité à tirer son épingle du jeu vont constituer les « instruments » de sa formation à la
fois sociale et psychologique. Pour cela il doit vaincre certaines difficultés et obstacles de la société pour
survivre dans des univers parfois hostiles à l’épanouissement et à la réussite. Ce type de roman intègre la
réalité pour « faire vrai » ; il réalise l’illusion de réalité. Ce souci de vérité fait adopter des techniques
diverses : un journal, écriture à la première personne – autobiographique ou fausse autobiographie -, la
lettre (La Nouvelle Héloïse de Rousseau (1762)) ; Le lecteur est ainsi dans une situation de destinataire
privilégié.
Le roman comique ou picaresque : C'est avec La Vie de Lazarillo de Tormes, un récit espagnol anonyme
paru en 1554, que commence la vogue du roman picaresque. Dans le roman picaresque, un héros
miséreux et débrouillard (le picaro) traverse toutes les couches de la société au cours d'aventures pleines
de rebondissements.
Quevedo (Histoire de Don Pablo de Ségovie, 1626) donnera à ce genre son expression la plus aboutie.
Près d'un siècle plus tard, le français Alain-René Lesage reprend cette tradition avec Gil Blas de
Santillane (1715-1747).

2. Le roman d’aventure ou héroïque

Il met en scène un héros doté d’un caractère et d’un physique exceptionnels. Il rencontre des situations
périlleuses et accomplit des actions d’éclats (exploits).
Le rythme est rapide, avec des phrases courtes et des dialogues : utilisation du lexique de l’héroïsme et de
l’action.

3. Le roman pastoral

Les personnages sont essentiellement des bergers, dans un décor naturel de campagne (forêts, prés,
rivières…). La géographie concerne davantage le cœur que les lieux eux-mêmes. On a L’Astrée (1607-
1627) d’Honoré d’Urfé. Il côtoie le roman héroïque qui mêle à l’histoire le merveilleux.

4. Le roman historique

Ce type de roman se soucie de la vraisemblance. La réalité de la vie se superpose à celle de la vie


sentimentale. Le Colonel Chabert de Balzac.
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5. Le roman d’amour ou à l’eau de rose
Il se caractérise par une structure simple et de secrets d’alcôve. L’intrigue est simple.

6. Le roman noir ou polar ou policier

Il développe une action violente et distille un climat de suspicion qui tient le lecteur en haleine. Les
personnages peuvent avoir les fonctions suivantes : victime, témoin, suspect, assassin. Le rôle principal
est souvent tenu par un inspecteur chargé de mener l’enquête.
Dans un rythme rapide, haletant, il multiplie les paragraphes courts et évite les constructions complexes.
Il utilise un vocabulaire simple.

7. Le roman science-fiction

Au début « scientifiction », puis roman d’anticipation, ce roman est connu surtout avec Jules Verne et
Herbert Georges Wells. Le roman de science-fiction a ses codes et ses signes de reconnaissance
particuliers : un vocabulaire fabriqué ou détourné de son usage courant et souvent pseudo-scientifique
(« antigravitation », « androïde », etc.), le recours à des symboles ou des situations types telles que
catastrophes nucléaires ou écologiques, altérations du temps ou de l’espace, vie extraterrestre, etc. Ce
lexique et ces archétypes aident le lecteur à élaborer un monde imaginaire (ou seulement improbable),
mais cela en empruntant des chemins qui ont toutes les apparences de la rationalité.

8. Le roman de mœurs ou d’analyse


Il privilégie la peinture de l’environnement, des mœurs, des caractères par l’étude sociale et
psychologique du milieu. Zola et Balzac. Le rythme du récit est lent, propice à l’analyse et à la
description. Les phrases sont longues, riches d’un vocabulaire qui présente plusieurs niveaux de langues.

III. La technique romanesque

1. La structure ou composition

Les étapes du récit

On a une succession logique des événements. Un état initial défini le cadre (lieu, époque, personnages) ;
une perturbation (rencontre, découverte, fait inattendu) ; des péripéties (créent les rebondissements et
coups de théâtre), le retour à la normale, état final (heureux ou malheureux)
Parfois il s’agit d’épisodes entraînant plusieurs point de départ.

2. La focalisation

Il s’agit de la perspective sous laquelle on prend en connaissance les situations. On parle aussi de point de
vue ou « foyer » en comparaison de l’objectif photographique. Le point focal varie ainsi selon le projet du
narrateur.
- La focalisation zéro : le narrateur est ici omniscient, car il peut rendre compte de tout. Sa vision
parcourt tous les espaces, tous les temps, et il sait la psychologie des personnages. Le narrateur se
confond avec l’auteur ;
- La focalisation interne : le foyer de perception de l’univers romanesque est celui d’un des
personnages. Le narrateur ne peut raconter que ce qui est vu et ressenti par un personnage. Le
narrateur se confond avec un ou plusieurs personnages ;
- La focalisation externe : le narrateur est absent ou se dissimule-t-il dans une neutralité feinte. Ce
point de vue offre un témoignage objectif de la réalité. Fréquent dans les romans d’aventure et
polar. Le narrateur est invisible.
Exemple : Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme :
« Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être
hier » Camus, L’Etranger, 1942.
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3. Le personnage

Qu’est-ce qu’un personnage de roman ? Sinon un « être à papier ». D’abord héros tragique dans les récits
antiques, le personnage de roman est de nos jours beaucoup plus proche du lecteur, et représente des types
sociaux (médecin, percepteur, marchand…), joue un rôle et occupe une onction dans l’univers créé du
roman. Comme une personne, il a une identité : nom, âge, sexe, origine sociale, passé, destin…
a) le type est physiologique (sa forme physique), psychologique (l’avare, l’innocent, la prostituée…),
sociologique ou idéologique (sociabilité, politique…)
Le lecteur peut relever son portrait en considérant naturellement le décor qui l’entoure. Les
fonctions du portrait sont référentielle (ce qui fait de lui un « être humain »), explicative (son
comportement face aux événements), évaluative (des marques permettent de l’apprécier –
sympathique ou antipathique – en soulignant ses qualités et /ou défauts), symbolique (son destin
est prédit par le biais des comparaisons, connotations et symboles).
b) Dans l’histoire racontée, le personnage peut occuper l’un des rôles suivants : sujet, objet,
destinateur, destinataire, adjuvant, opposant. Le rôle qu’il joue dépend de la place qu’il occupe par
rapport aux autres personnages.
c) Sa fonction dans le déploiement de l’action par rapport aux points de vue. Il est déclencheur,
embrayeur ou relais de l’action.
Sa caractérisation se retrouve à travers une parole, une action, son cadre de vie. Et les lecteurs doiventt les
interpréter.

4. Le temps et l’espace

a) Le réel et la fiction

- Le temps de l’histoire se révèle à travers l’évocation d’événements ayant eu lieu et par les dates
précises.
- L’univers du symbole : un lieu peut symboliser un enfermement ; la nuit, l’angoisse ; une saison,
tristesse ou le bonheur. Ils peuvent refléter l’état d’esprit du héros.
- Le surnaturel : le merveilleux (irréaliste), le fantastique (univers suscitant l’émotion par des rêves et
cauchemars), la fantaisie (création d’univers absurde).

Exemple : Lucien leva les yeux et vit une grande maison, moins mesquine que celles devant lesquelles le
régiment avait passé jusque-là ; au milieu d’un grand mur blanc, il y avait une persienne peinte en vert
perroquet. « Quel choix de couleurs voyantes ont ces marauds de provinciaux ! »
Lucien se complaisait dans cette idée peu polie lorsqu’il vit la persienne vert perroquet s’entrouvrir un
peu ; c’était une jeune femme blonde qui avait des cheveux magnifiques et l’air dédaigneux. Elle venait
de voir défiler le régiment. Toutes les idées tristes de Lucien s’envolèrent à l’aspect de cette jolie figure ;
son âme en fut ranimée. Stendhal, Lucien Leuwen, 1855.
Exemple : Aristide Rougon s’abattit sur Paris, au lendemain du 2 décembre, avec ce flair des oiseaux de
proie qui sentent de loin les champs de bataille. Il arrivait de Plassans, une sous-préfecture du Midi, où
son père venait enfin de pécher dans l’eau trouble des événements une recette particulière longtemps
convoitée. Lui, jeune encore, après s’être compromis comme un sot, sans gloire ni profit, avait dû
s’estimer heureux de se tirer sain et sauf de la bagarre. Il accourrait, enrageant d’avoir fait fausse route,
maudissant la province, parlant de Paris avec des appétits de loup, jurant « qu’il ne serait plus si bête » ; et
le sourire aigu dont il accompagnait ces mots prenait une terrible signification sur ses lèvres minces.
Zola, La Curée, 1871.

b) Le rythme du récit

Il joue sur l’écart ou non entre temps du récit et temps de la narration. Il s’accélère au moyen des
sommaires (résumés) et des ellipses (événement non développés). Le rythme est ralenti avec la
reproduction des actions et paroles en détails, les dialogues font coïncider les deux temps.
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Vocabulaire : les effets de réel, illusion réaliste, lieux réels, repère spatial ou temporel, les
sensations (olfactif, gustatif, visuel, tactile, auditif), chronologie, verbes de perception.

III. Quelles sont les fonctions du roman ?

1. Le roman réaliste :

Balzac à travers La Comédie humaine ;


Gustave Flaubert, Salammbô (1862). Les mercenaires recrutés par Carthage lors de la première guerre
punique n’ont pas reçu leur solde. Ils se révoltent lors d’un banquet donné dans les jardins d’Hamilcar et
menacent la ville. Ils acceptent toutefois d’aller camper à Sicca, en dehors de la ville, contre la promesse
de rétributions. L’argent ne venant pas, les mercenaires, sous les ordres de Mâtho, décident d’attaquer
Carthage. Mâtho, poussé par l’esclave Spendius et par son amour pour Salammbô, la fille d’Hamilcar,
dérobe le voile sacré de la déesse Tanit, voile auquel les Carthaginois croient leur avenir suspendu, et le
montre à Salammbô avant de s’enfuir. De retour à Carthage, Hamilcar prend la tête des troupes lancées
contre les rebelles. Après sa victoire à Macar, il se retrouve assiégé par les mercenaires. Salammbô,
vierge consacrée à Tanit, gagne, sur les conseils du grand prêtre, le campement de Mâtho pour se livrer à
lui et récupérer le voile. Aussitôt, les Numides, aidés par le prince Narr’Havas, mettent en déroute les
barbares, mais, après la destruction de l’aqueduc, la ville souffre de la soif. Un sacrifice d’enfants ramène
la pluie. Hamilcar parvient à exterminer les rebelles. Mâtho est supplicié au cours des noces de Salammbô
avec Narr’Havas. La jeune fille expire au vu des souffrances de Mâtho.

2. Fonction sociale

Emile Zola avec son roman expérimental (1880). […] Le romancier est fait d’un observateur et d’un
expérimentateur. L’observateur chez lui donne les faits tels qu’il les a observés, pose le point de départ,
établit le terrain solide sur lequel vont marcher les personnages et se développer les phénomènes. Puis,
l’expérimentateur paraît et institue l’expérience, je veux dire fait mouvoir les personnages dans une
histoire particulière, pour y montrer que la succession des faits y sera telle que l’exige le déterminisme
des phénomènes mis à l’étude. C’est presque toujours ici une expérience « pour voir », comme l’appelle
Claude Bernard. Le romancier part à la recherche d’une vérité. Je prendrai comme exemple la figure du
baron Hulot, dans la Cousine Bette, de Balzac. Le fait général observé par Balzac est le ravage que le
tempérament amoureux d’un homme amène chez lui, dans sa famille et dans la société. Dès qu’il a eu
choisi son sujet, il est parti des faits observés, puis il a institué son expérience en soumettant Hulot à une
série d’épreuves, en le faisant passer par certains milieux, pour montrer le fonctionnement du mécanisme
de sa passion. Il est donc évident qu’il n’y a pas seulement là observation, mais qu’il y a aussi
expérimentation, puisque Balzac ne s’en tient pas strictement en photographe aux faits recueillis par lui,
puisqu’il intervient d’une façon directe pour placer son personnage dans des conditions dont il reste le
maître. Le problème est de savoir ce que telle passion, agissant dans tel milieu et dans telles
circonstances, produira au point de vue de l’individu et de la société ; et un roman expérimental, la
Cousine Bette par exemple, est simplement le procès-verbal de l’expérience, que le romancier répète sous
les yeux du public. En somme, toute l’opération consiste à prendre les faits dans la nature, puis à étudier
le mécanisme des faits, en agissant sur eux par les modifications des circonstances et des milieux, sans
jamais s’écarter des lois de la nature. Au bout, il y a la connaissance de l’homme, la connaissance
scientifique, dans son action individuelle et sociale.

3. Le roman comme témoignage.

Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des hommes ;


André Malraux, L’Espoir (1937)
Une vaste fresque
Le roman retrace en une vaste fresque de trois parties (« l’Illusion lyrique », « le Manzanares » — du nom
de la rivière reconquise par les républicains — et « l’Espoir ».) les débuts de la guerre d’Espagne, le
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soulèvement populaire contre la misère, le sentiment naissant de liberté, puis, après ce premier
moment d’exaltation, la nécessité de prendre des mesures pratiques et d’organiser la révolution face à un
redoutable adversaire. Communistes et anarchistes proposent des solutions différentes à cette tension
entre les dimensions technique et humaine d’un tel combat, les premiers formant des meneurs efficaces et
autoritaires et les derniers préférant valoriser la part d’héroïsme individuel. Il s’agit de choisir entre « être
et faire », comme le suggère un titre de chapitre.

Anti fasciste
Malraux, « compagnon de route » du PCF depuis 1934, il réagit très tôt à l’annonce de la guerre
d’Espagne et fonde immédiatement une escadrille aérienne pour soutenir les républicains contre Franco.
L’Espoir est ainsi conçu dans le feu de l’action.

Entre réalisme et épopée


Le roman est construit comme une succession de scènes, une sorte de chronique, plutôt que comme une
intrigue suivie. Il n’a pas de véritable dénouement, ce qui n’exclut pas des effets de composition cyclique
(notamment à travers les personnages qu’on voit réapparaître), une progression dramatique et la création
de tensions. Malraux attache une grande importance au rythme, et joue sur l’alternance des descriptions et
des ellipses pour créer une dynamique d’ensemble. On a parlé de reportage à propos de cette œuvre, à
cause du primat de la retranscription des faits sur l’imaginaire et de sa grande précision dans cette
évocation de l’action, produisant un certain effet de pittoresque. Mais cette inspiration d’événements
historiques obéit à un principe d’exaltation qui donne au roman un ton épique et lyrique. Les faits
guerriers deviennent de véritables tableaux et la conclusion, entièrement ouverte, trouve un ton
particulièrement élevé, suggérant l’harmonie du battement du cœur humain avec un chant éternel de la
terre.

Un destin collectif
Central dans l’œuvre de Malraux (notamment sous la forme de l’héroïsme dans la Condition humaine), le
problème de l’action est une réponse à une vaste interrogation métaphysique sur le sens de la vie et le
destin de l’homme. La guerre d’Espagne n’est pas un simple décor pour l’action, comme chez
Hemingway qui en fait le lieu d’un drame individuel (voir Pour qui sonne le glas). Pour Malraux,
l’appartenance de l’individu à une communauté est fondamentale et pose donc la question de sa
participation à la vie collective. L’écriture romanesque se fait le reflet de cette dimension communautaire,
employant de nombreux dialogues et utilisant à travers la succession des scènes les points de vue des
divers personnages, derrière l’apparence d’une narration omnisciente. L’Espoir donne une grande leçon
de fraternité : « les hommes unis à la fois par l’espoir et par l’action accèdent, comme les hommes unis
par l’amour, à des domaines auxquels ils n’accéderaient pas seuls. »

4. L’engagement philosophique et politique.

Bien qu'ils lui préfèrent traditionnellement le conte ou le dialogue philosophique, les philosophes et
moralistes du XVIIIe siècle ont également utilisé le genre romanesque. C'est le cas des célèbres Candide
de Voltaire et des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, qui se présentent tous les deux comme des
parodies des romans d'aventures tels que Robinson Crusoe.

Interrogation sur l’existence : certaines questions sont soulevées et des tentatives de réponses
ponctuent le texte, par exemple l’absurdité du monde.
François Marie Arouet alias Voltaire, Zadig (1747) retrace les mésaventures d’un jeune homme qui fait
l’expérience du monde dans un Orient de fantaisie. Tour à tour favorable et cruelle, toujours changeante,
la fortune du héros passe par des hauts et des bas qui rythment le texte : nommé ministre du roi de
Babylone, il est ensuite jeté en prison, puis vendu comme esclave ! Croisant divers personnages hauts en
couleur, Zadig connaîtra l’amour et ses revers, devra faire face à l’injustice et à la superstition, ainsi
qu’aux dangers qui peuplent son errance à travers le monde. Véritable récit d’aventures, Zadig est aussi
un roman de formation où Voltaire mêle habilement les charmes du conte et la réflexion philosophique.
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Albert Camus, L’Étranger (1942) est le récit d’une existence, celle de Meursault, qui vit à Alger,
indifférent à ceux qui l’entourent, à Marie qui l’aime, comme au décès de sa mère, étranger à lui-même
dans une vie marquée par l’absence de passion. Meurtrier d’un Arabe qui, pense-t-il, le menaçait,
Meursault est jeté en prison, et dans l’attente de son jugement réfléchit lucidement à sa condition. Sa vie
passée, son geste assassin et son procès ne lui semblent que l’inévitable enchaînement de l’absurdité de
l’existence à laquelle l’homme ne peut rien espérer opposer d’autre que l’absurdité de ses actes.
Condamné à mort, Meursault persiste dans son obstination et ne s’émeut pas de la sentence inéluctable.

Jean-Paul Sartre, La Nausée (1938) se présente comme le journal intime d’Antoine Roquentin qui, la
trentaine dépassée, s’installe à Bouville. Las de l’aventure et des voyages, il projette de terminer la
biographie du marquis de Rollebon, homme fort laid qui séduisait toutes les femmes. Haïssant les
bourgeois du Haut-Bouville, il loge près du port, à l’hôtel Printania. Il traîne, seul, dans les cafés,
observant les autres avec un sentiment croissant d’« inquiétante étrangeté ». L’humain a peu d’existence,
en dehors de quelques figures : une patronne de café, avec laquelle Roquentin a d’épisodiques
copulations, l’étrange Autodidacte, et Anny, absente, qu’il aime probablement encore. À la fin de janvier,
Roquentin rapporte une expérience singulière : sa perception du monde extérieur s’est modifiée, les
qualités sensibles des choses se sont mises à l’agresser, un galet, sec et humide à la fois, l’a empli de
terreur. Submergée par ce trop-plein d’être, la conscience de Roquentin commence par le vomir, puis
tente d’apprivoiser ses vagues nauséeuses. Roquentin émerge de cette expérience existentielle, quittant à
la fois Anny et Bouville.

5. Didactique : Il prodigue des leçons de morale.


Rousseau, L’Emile ou de l’Education (1762)
1. « Âme vénale ! Crois-tu donner à ton fils un autre père avec de l’argent ? »
Émile, élève imaginaire, sera « l’homme abstrait, l’homme en proie à tous les accidents de la vie
humaine ». En cinq livres, on le suit du babil à l’âge adulte, sur une période de vingt-cinq ans ; on le voit
passer de la dépendance naturelle à l’autonomie. Son éducation obéit à un grand principe : laisser une
liberté se confronter aux nécessités de la nature. Jusqu’à l’âge de douze ans, début de l’adolescence,
Émile fera ainsi par lui-même l’expérience de la Loi, en expérimentant celles de la nature, le précepteur
écartant de lui toute obligation culturelle ou sociale, ne lui imposant rien qu’il n’en puisse saisir la
rationalité. Or, la raison a une genèse : l’enfant est d’abord sens, et son vocabulaire ne doit pas être plus
étendu que son expérience sensible. Certes, il importe de savoir lire et écrire, mais jusqu’à douze ans, pas
de livres : l’oral prime, la parole vive est privilégiée.
À cette « raison sensitive ou puérile » succède en son temps « la raison intellectuelle ou humaine », et à
« ces âges de nature » « l’âge de force » : trois années — de douze à quinze ans — exceptionnelles durant
lesquelles la force physique et intellectuelle excède la puissance des besoins et des passions. Un seul livre
est autorisé : Robinson Crusoé, pour l’utilité des savoirs pratiques qu’il fournit. Mais à partir de quinze
ans, les passions s’éveillent, et avec elles le besoin obscur de raisons métaphysiques, comme l’exigence
de règles morales : vient alors le moment du « Dieu sensible au cœur », dévoilé à Émile par le personnage
du vicaire savoyard, (qui apparaît au livre IV dans un développement célèbre, Profession de foi du vicaire
savoyard, consacré à l’éducation morale et religieuse de l’adolescent), Éros subordonné à la Divine
Charité, Émile ainsi est digne de s’unir à Sophie, et prêt au bonheur dans la sainte chasteté du mariage.

2. « Comment éduquer un être humain à la liberté sous la contrainte » Kant.


On a pu dire que Rousseau avait « inventé » l’enfance. Par-delà le brillant de la formule, certains
principes éducatifs contenus dans l’Émile (« Préparez de loin sa liberté ») ont, de fait, fondé une tradition
d’éducation non autoritaire, représentée, au XXe siècle en particulier, par l’« École émancipée »
(libertaire), la pédagogie Freinet, les écoles « Montessori », le docteur Spock ou bien encore A. S. Neill et
ses « libres enfants de Summerhill ». Reste toutefois un point décisif, que souligne Élisabeth Badinter
dans l’Amour en plus : l’aristocrate joyeuse et libre du XVIIIe siècle, plus soucieuse de ses amants que de
ses enfants, devient avec l’Émile une mère modeste et dévouée : « Plaire aux hommes, leur être utiles, se
faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre
la vie agréable et douce, voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre
dès l’enfance » (Livre V). Ainsi, bien loin d’évoquer les figures féminines des scènes rococos — alors en
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vogue — d’un Boucher, d’un Fragonard, ou d’un Watteau, Sophie, la chaste compagne d’Émile,
serait plus proche d’une vignette moraliste de Greuze. La démocratie se fonde ici sur l’exclusion des
femmes. Voir aussi histoire de l’enfance ; histoire des femmes.

6. fonction récréative

Le roman permet parfois de faire vivre un univers féerique, permettant ainsi au lecteur de se détacher du
réel le temps d’une lecture. Ainsi il accompagne le héros dans ses aventures, découvre et se délecte des
situations amusantes.

IV. Le roman aujourd'hui : la forme romanesque en question

En Europe, retour à l'exploration tous azimuts du XVIII e : le roman cherche de nouveaux modèles dans
les autres genres : autobiographie, poésie, journal, reportage, voire dans les arts plastiques. L'aspect
fictionnel qui était central à l'origine prend moins d'importance. Le roman est plus vu comme un genre
très libre capable d'accueillir des expérimentations de langage.
Aux États-Unis et dans le monde anglo-saxon, maintien d'une tradition plus classique, critique moraliste
du matérialisme et nihilisme de la société moderne.
La place du roman dans les pratiques culturelles change profondément. Concurrencé par la radio, la bande
dessinée, le cinéma et la télévision, il perd son statut de reflet privilégié de l'époque. Les romans se font
plus courts, reflétant la diminution du temps consacré à la lecture. L'offre se diversifie avec la
multiplication de petites maisons d'éditions. Enfin, un marché littéraire mondial dominé par la production
anglo-saxonne se met en place.

Le roman
" Le roman n’a plus de cadre, il a envahi et
dépossédé tous les autres genres. Comme la
science, il est maître du monde... "
(Émile Zola, Le Naturalisme au théâtre, 1881)

V. Pourquoi lire?

La lecture d’un roman procure des sensations, des idées, des émotions auxquelles un lecteur s’attend à
trouver.
Dans certains moments, on plonge dans le bain d’un livre en vue de s’évader, pour trouver l’absolu
impossible à obtenir dans la vie réelle ; il s’agit d’une projection vers un ailleurs, afin de compenser un
manque. Il accède alors à un univers fantasque pour quelqu’un qui rêvait d’un monde meilleur, non
absurde. Bref, il opère à une sublimation de son ego.
Aussi le lecteur ou le narrataire peut-il aller jusqu’à s’identifier au héros, profitant ainsi de sa mysticité et
de son destin hors du commun.
Pour fuir le monde, et pour des raisons crypto personnelles, la lecture remplace des prières pour exorciser
une situation pour le moins mauvaise. Cette fonction est pertinente surtout avec les textes fondateurs dont
la bible, le coran, la torah, etc. Les contes, mythes et légendes dont s’inspire le roman avaient ainsi pour
fonction de conjurer le mal, d’apprivoiser la peur et de libérer l’homme de ses angoisses.
Voilà quelques raisons qui expliquent que la lecture est parfois ritualisée. Le lecteur sacrifie son temps, se
prive, renonce même, le temps de la lecture, au réel pour un livre. Il se crée, parallèlement à la création de
l’écrivain, d’autres orientations, il participe ainsi à la « re-création du sens ». Il constitue dès lors un canal
de transmission. Aussi a-t-on pu dire que « lire, c’est peut-être créer à deux ». Peut-être est-ce la raison de
l’éblouissement du lecteur qui se retrouve un peu trop dans une fresque romanesque. André Gide pourra
dire à juste titre : « Je considère un roman manqué celui qui laisse le lecteur intact ».

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