Vous êtes sur la page 1sur 7

Textes complémentaires - Manon Lescaut, Abbé Prévost, 1753

_________________________________________________________________________
Groupement 1 – Le demi-monde et le monde
• Texte 1 – Dumas fils, La Dame aux camélias, 1848.
Armand Duval est amoureux de Marguerite Gautier, une courtisane, mais n’est pas assez
fortuné pour l’entretenir et se voit contraint d’accepter ses amants. Alors qu’il lui demande la
fidélité, celle-ci lui dépeint la cruelle condition d’une femme du demi-monde.
- Mon ami, si j'étais madame la duchesse telle ou telle, si j'avais deux cent mille livres de rente,
que je fusse votre maîtresse et que j'eusse un autre amant que vous, vous auriez le droit de me
demander pourquoi je vous trompe ; mais je suis Mademoiselle Marguerite Gautier, j'ai
quarante mille francs de dettes, pas un sou de fortune, et je dépense cent mille francs par an,
votre question devient oiseuse et ma réponse inutile.
- C'est juste, dis-je en laissant tomber ma tête sur les genoux de Marguerite, mais moi je vous
aime comme un fou.
- Eh bien, mon ami, il fallait m'aimer un peu moins ou me comprendre un peu mieux. Votre
lettre m'a fait beaucoup de peine. Si j'avais été libre, d'abord je n'aurais pas reçu le comte avant-
hier, ou, l'ayant reçu, je serais venue vous demander le pardon que vous me demandiez tout à
l'heure, et je n'aurais pas à l'avenir d'autre amant que vous. J'ai cru un moment que je pourrais
me donner ce bonheur-là pendant six mois ; vous ne l'avez pas voulu ; vous teniez à connaître
les moyens, eh ! Mon dieu, les moyens étaient bien faciles à deviner. C'était un sacrifice plus
grand que vous ne croyez que je faisais en les employant. J'aurais pu vous dire : j'ai besoin de
vingt mille francs ; vous étiez amoureux de moi, vous les eussiez trouvés, au risque de me les
reprocher plus tard. J'ai mieux aimé ne rien vous devoir ; vous n'avez pas compris cette
délicatesse, car c'en est une. Nous autres, quand nous avons encore un peu de cœur, nous
donnons aux mots et aux choses une extension et un développement inconnus aux autres
femmes ; je vous répète donc que de la part de Marguerite Gautier le moyen qu'elle trouvait de
payer ses dettes sans vous demander l'argent nécessaire pour cela était une délicatesse dont
vous devriez profiter sans rien dire. Si vous ne m'aviez connue qu'aujourd'hui, vous seriez trop
heureux de ce que je vous promettrais, et vous ne me demanderiez pas ce que j'ai fait avant-
hier. Nous sommes quelquefois forcées d'acheter une satisfaction pour notre âme aux dépens
de notre corps, et nous souffrons bien davantage quand, après, cette satisfaction nous échappe.
• Texte 2 – Emile Zola, Nana, 1880.
Anna Coupeau, appelée “Nana”, naît dans un milieu misérable, se prostitue pour élever un
fils de père inconnu et se fait entretenir. Elle devient actrice et son rôle de Vénus, déesse
dénudée de l’Amour et de la Beauté, fait tourner les têtes de nombreux admirateurs, qu’elle
reçoit ici dans sa loge.
— Je vous demande pardon, messieurs, dit Nana en écartant le rideau, mais j’ai été surprise…
Tous se tournèrent. Elle ne s’était pas couverte du tout, elle venait simplement de boutonner
un petit corsage de percale, qui lui cachait à demi la gorge. Lorsque ces messieurs l’avaient
mise en fuite, elle se déshabillait à peine, ôtant vivement son costume de Poissarde. Par-
derrière, son pantalon laissait passer encore un bout de sa chemise. Et les bras nus, les épaules
nues, la pointe des seins à l’air, dans son adorable jeunesse de blonde grasse, elle tenait toujours
le rideau d’une main, comme pour le tirer de nouveau, au moindre effarouchement.
— Oui, j’ai été surprise, jamais je n’oserai… balbutiait-elle, en jouant la confusion, avec des
tons roses sur le cou et des sourires embarrassés.
— Allez donc, puisqu’on vous trouve très bien ! cria Bordenave.
Elle risqua encore des mines hésitantes d’ingénue, se remuant comme chatouillée, répétant :
— Son Altesse me fait trop d’honneur… Je prie Son Altesse de m’excuser, si je la reçois ainsi…
— C’est moi qui suis importun, dit le prince ; mais je n’ai pu, madame, résister au désir de
vous complimenter…
Alors, tranquillement, pour aller à la toilette, elle passa en pantalon au milieu de ces messieurs,
qui s’écartèrent. Elle avait les hanches très fortes, le pantalon ballonnait, pendant que, la
poitrine en avant, elle saluait encore avec son fin sourire. Tout d’un coup, elle parut reconnaître
le comte Muffat, et elle lui tendit la main, en amie. Puis, elle le gronda de n’être pas venu à son
souper. Son Altesse daignait plaisanter Muffat, qui bégayait, frissonnant d’avoir tenu une
seconde, dans sa main brûlante, cette petite main, fraîche des eaux de toilette. Le comte avait
fortement dîné chez le prince, grand mangeur et beau buveur. Tous deux étaient même un peu
gris.
Un dehors de la scène où se produit Nana, le spectacle de la comédie sociale se joue dans la
loge. Montrez-le.
• Texte 3 – Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.
Bardamu, le narrateur, entreprend un voyage qui lui fait découvrir la guerre dans les tranchées
françaises, la colonisation en Afrique et, enfin, la société capitaliste en Amérique du Nord.
Ouvrier aux usines Ford, il cherche à fuir le marasme de sa condition en se rendant dans une
maison de prostitution, où il rencontre Molly.
Un soir, comme ça, à propos de rien, elle m’a offert cinquante dollars. Je l’ai regardée
d’abord. J’osais pas. Je pensais à ce que ma mère aurait dit dans un cas semblable. Et puis je
me suis réfléchi que ma mère, la pauvre, ne m’en avait jamais offert autant. Pour’ faire plaisir
à Molly, tout de suite, j’ai été acheter avec ses dollars un beau complet beige pastel (four piece
suit) comme c’était la mode au printemps de cette année-là. Jamais on ne m’avait vu arriver
aussi pimpant au bobinard. La patronne fit marcher son gros phono, rien que pour m’apprendre
à danser.
Après ça nous allâmes au cinéma avec Molly pour étrenner mon complet neuf. Elle me
demandait en route si j’étais pas jaloux, parce que le complet me donnait l’air triste, et l’envie
aussi de ne plus retourner à l’usine. Un complet neuf, ça vous bouleverse les idées. Elle
l’embrassait mon complet à petits baisers passionnés, quand les gens ne nous regardaient pas.
J’essayais de penser à autre chose.
Cette Molly, tout de même quelle femme ! Quelle généreuse l Quelle carnation l Quelle
plénitude de jeunesse ! Un festin de désirs. Et je redevenais inquiet. Maquereau ?... que je me
pensais.
- N’allez donc plus chez Ford ! qu’elle me décourageait au surplus Molly. Cherchez-
vous plutôt un petit emploi dans un bureau... Comme traducteur par exemple, c’est votre
genre... Les livres ça vous plaît...
Elle me conseillait ainsi bien gentiment, elle voulait que je soye heureux. Pour la
première fois un être humain intéressait à moi, du dedans si l’ose le dire, à mon égoïsme, se
mettait à ma place à moi et pas seulement me jugeait de la sienne, comme tous les autres.
Ah ! si je l’avais rencontrée plus tôt, Molly, quand il était encore temps de prendre une
route au lieu d’une autre ! Avant de perdre mon enthousiasme sur cette garce de Musyne et sur
cette petite fiente de Lola ! Mais il était trop tard pour me refaire une jeunesse. J’y croyais plus
! On devient rapidement vieux et de façon irrémédiable encore. On s’en aperçoit à la manière
qu’on a prise d’aimer son malheur malgré soi.
*****
Groupement 2 – La prison : lieu des marginaux
La prison apparaît comme le lieu de la marginalité par excellence puisqu'elle accueille des
individus que la société rejette. Si elle retient les individus loin du monde, elle leur permet
aussi de réfléchir à ce monde, sa justice et ses lois. Lorsqu’une évasion est envisagée, elle
devient le lieu des aventures et du romanesque, et le lecteur est tenu en haleine par le rythme
haletant des événements. La liberté et l’évasion peuvent être plus immatérielles et intérieures,
grâce à la communication entretenue avec une femme aimée ou l’évasion dans les souvenirs.
• Texte 1 – Stendhal, La Chartreuse de Parme, II, 18, 1839.
Fabrice del Dongo, jeune aristocrate italien, est emprisonné au sommet de la tour Farnèse
après avoir été victime d’une vengeance. Il y découvre, contre toute attente, le bonheur grâce
à l’amour de Clélia Conti, la fille du gouverneur de la forteresse.
Fabrice eut du malheur les jours suivants. Il voulait enlever à l’abat-jour colossal un
morceau de planche grand comme la main, que l’on pourrait remettre à volonté et qui lui
permettrait de voir et d’être vu, c’est-à-dire de parler, par signes du moins, de ce qui se passait
dans son âme ; mais il se trouva que la bruit de la petite scie fort imparfaite qu’il avait fabriquée
avec le ressort de sa montre ébréché par la croix, inquiétait Grillo qui venait passer de longues
heures dans sa chambre. Il crut remarquer, il est vrai, que la sévérité de Clélia semblait diminuer
à mesure qu’augmentaient les difficultés matérielles qui s’opposaient à toute correspondance ;
Fabrice observa fort bien qu’elle n’affectait pls de baisser les yeux ou regarder les oiseaux
quand il essayait de lui donner signe de présence à l’aide son chétif morceau de fil de fer ; il
avait le plaisir de voir qu’elle ne manquait jamais à paraître dans la volière au moment précis
où onze heures trois quarts sonnaient, et il eut presque la présomption de se croire la cause de
cette exactitude si ponctuelle. Pourquoi ? Cette idée ne semble pas raisonnable ; mais l’amour
observe les nuances invisibles à l’œil indifférent, et en tire des conséquences infinies. Par
exemple, depuis que Clélia ne voyait plus le prisonnier, presque immédiatement en entrant
dans la volière, elle levait les yeux vers sa fenêtre. C’était dans ces journées funèbres où
personne dans Parme ne doutait qua Fabrice ne fût bientôt mis à mort : lui seul l’ignorait ; mais
cette affreuse idée ne quittait plus Clélia, et comment se serait-elle fait des reproches du trop
d’intérêt qu’elle portait à Fabrice ? Il allait périr ! Et pour la cause de la liberté ! Car il était
trop absurde de mettre à mort del Dongo pour un coup d’épée à un histrion. Il est vrai que cet
aimable jeune homme était attaché à une autre femme ! Clélia était profondément malheureuse,
et sans s’avouer bien précisément le genre d’intérêt qu’elle prenait à son sort : “Certes, se disait-
elle, si on le conduit à la mort, je m’enfuirai dans un couvent, et de la vie je ne reparaîtrai dans
cette société de la cour, elle me fait horreur. Assassins polis !”
• Texte 2- Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, I, 21, 1844.
Edmond Dantès, trahi, dénoncé comme conspirateur bonapartiste, est enfermé au château d’If.
Il y devient ami avec le vieux Faria, qui lui révèle l’existence d’un trésor avant de mourir. Pour
s’évader, Dantès prend la place de ce dernier dans le sac où était cousu son cadavre.
Dantès étourdi, presque suffoqué, eut cependant la présence d’esprit de retenir son
haleine, et, comme sa main droite, ainsi que nous l’avons dit, préparé qu’il était à toutes les
chances, tenait son couteau tout ouvert, il éventra rapidement le sac, sortit le bras, puis la tête
; mais alors, malgré ses mouvements pour soulever le boulet, il continua de se sentir entraîné ;
alors il se cambra, cherchant la corde qui liait ses jambes, et, par un effort suprême, il la trancha
précisément au moment où il suffoquait ; alors, donnant un vigoureux coup de pied, il remonta
libre à la surface de la mer, tandis que le boulet entraînait dans ses profondeurs inconnues le
tissu grossier qui avait failli devenir son linceul.
Dantès ne prit que le temps de respirer, et replongea une seconde fois ; car la première
précaution qu’il devait prendre était d’éviter les regards.
Lorsqu’il reparut pour la seconde fois, il était déjà à cinquante pas au moins du lieu de
sa chute ; il vit au-dessus de sa tête un ciel noir et tempétueux, à la surface duquel le vent
balayait quelques nuages rapides, découvrant parfois un petit coin d’azur rehaussé d’une étoile
; devant lui s’étendait la plaine sombre et mugissante, dont les vagues commençaient à
bouillonner comme à l’approche d’une tempête, tandis que derrière lui, plus noir que la mer,
plus noir que le ciel, montait, comme un fantôme menaçant, le géant de granit, dont la pointe
sombre semblait un bras étendu pour ressaisir sa proie ; sur la roche la plus haute était un falot
éclairant deux ombres.
Il lui sembla que ces deux ombres se penchaient sur la mer avec inquiétude ; en effet,
ces étranges fossoyeurs devaient avoir entendu le cri qu’il avait jeté en traversant l’espace.
Dantès plongea donc de nouveau, et fit un trajet assez long entre deux eaux ; cette manœuvre
lui était jadis familière, et attirait d’ordinaire autour de lui, dans l’anse du Pharo, de nombreux
admirateurs, lesquels l’avaient proclamé bien souvent le plus habile nageur de Marseille.
Lorsqu’il revint à la surface de la mer le falot avait disparu.
*****
Groupement 3 – Amour, mort et marginalité
• Texte 1 – Le Roman de Tristan et Iseut, XIIème siècle, restitué et adapté par Joseph
Bédier à la fin du XIXème siècle.
Iseut, la femme du roi Marc, a bu un philtre d’amour qui la lie à jamais à Tristan. Les amants
doivent se séparer, mais lorsqu’il se sait blessé à mort, Tristan la fait appeler car ses pouvoirs
peuvent le sauver. Or, une tempête retard le bateau de la jeune femme, qui arrive alors que
Tristan vient d’expier en prononçant son nom.
Un vieillard lui dit :
« Dame, nous avons une grande douleur. Tristan, le franc, le preux, est mort. Il était
large aux besogneux, secourable aux souffrants. C’est le pire désastre qui soit jamais tombé sur
ce pays. »
Iseut l’entend, elle ne peut dire une parole. Elle monte vers le palais. Elle suit la rue, sa
guimpe déliée. Les Bretons s’émerveillaient à la regarder ; jamais ils n’avaient vu femme d’une
telle beauté. Qui est-elle ? d’où vient-elle ?
Auprès de Tristan, Iseut aux Blanches Mains, affolée par le mal qu’elle avait causé,
poussait de grands cris sur le cadavre. L’autre Iseut entra et lui dit :
« Dame, relevez-vous et laissez-moi approcher. J’ai plus de droits à le pleurer que vous,
croyez-m’en. Je l’ai plus aimé. »
Elle se tourna vers l’orient et pria Dieu. Puis elle découvrit un peu le corps, s’étendit
près de lui, tout le long de son ami, lui baisa la bouche et la face, et le serra étroitement : corps
contre corps, bouche contre bouche, elle rend ainsi son âme, elle mourut auprès de lui pour la
douleur de son ami.
Quand le roi Marc apprit la mort des amants, il franchit la mer et, venu en Bretagne, fit
ouvrer deux cercueils, l’un de calcédoine pour Iseut, l’autre de béryl pour Tristan. Il emporta
sur sa nef vers Tintagel leurs corps aimés. Auprès d’une chapelle, à gauche et à droite de
l’abside, il les ensevelit en deux tombeaux. Mais, pendant la nuit, de la tombe de Tristan jaillit
une ronce verte et feuillue, aux forts rameaux, aux fleurs odorantes, qui, s’élevant par-dessus
la chapelle, s’enfonça dans la tombe d’Iseut. Les gens du pays coupèrent la ronce : au
lendemain elle renaît, aussi verte, aussi fleurie, aussi vivace, et plonge encore au lit d’Iseut la
Blonde. Par trois fois ils voulurent la détruire ; vainement. Enfin, ils rapportèrent la merveille
au roi Marc : le roi défendit de couper la ronce désormais.
• Texte 2 - François-René de Chateaubriand, Atala, 1801.
La voix d'Atala s'éteignit ; les ombres de la mort se répandirent autour de ses yeux et
de sa bouche ; ses doigts errants cherchaient à toucher quelque chose ; elle conversait tout bas
avec des esprits invisibles.
Bientôt, faisant un effort, elle essaya, mais en vain, de détacher de son cou le petit
crucifix ; elle me pria de le dénouer moi-même, et elle me dit : « Quand je te parlai pour la
première fois, tu vis cette croix briller à la lueur du feu sur mon sein ; c'est le seul bien que
possède Atala. Lopez ton père et le mien l'envoya à ma mère peu de jours après ma naissance.
Reçois donc de moi cet héritage, ô mon frère, conserve-le en mémoire de mes malheurs. Tu
auras recours à ce Dieu des infortunés dans les chagrins de ta vie. Chactas, j'ai une dernière
prière à te faire ; ami, notre union aurait été courte sur la terre, mais il est après cette vie une
plus longue vie. Qu'il serait affreux d'être séparé de toi pour jamais ! Je ne fais que te devancer
aujourd'hui, et je te vais attendre dans l'empire céleste. Si tu m'as aimée, fais-toi instruire dans
la religion chrétienne, qui préparera notre réunion. Elle fait sous tes yeux un grand miracle,
cette religion, puisqu'elle me rend capable de te quitter, sans mourir dans les angoisses du
désespoir. Cependant, Chactas, je ne veux de toi qu'une simple promesse, je sais trop ce qu'il
en coûte pour te demander un serment. Peut-être ce vœu te séparerait-il de quelque femme plus
heureuse que moi… O ma mère ! pardonne à ta fille. O vierge ! retenez votre courroux. Je
retombe dans mes faiblesses, et je te dérobe, ô mon Dieu ! des pensées qui ne devraient être
que pour toi ».
Navré de douleur, je promis à Atala d'embrasser un jour la religion chrétienne. À ce
spectacle, le Solitaire, se levant d'un air inspiré et tendant les bras vers la voûte de la grotte : «
Il est temps, s'écria-t-il, d'appeler Dieu ici ! »
Atala venait d'expirer.
• Texte 3 – Albert Cohen, Belle du seigneur, 1968.
Ariane et Solal se suicident ensemble en absorbant de l’éther, mettant ainsi un terme à leur
existence marquée par une immense passion réciproque.
Alors, il la prit dans ses bras, et il la serra, et il baisa les longs cils recourbés, et c’était
le premier soir, et il la serrait de tout son amour mortel. Encore, disait-elle, serre-moi encore,
serre-moi plus fort. Oh, elle avait besoin de son amour, en voulait vite, en voulait beaucoup,
car la porte allait s’ouvrir, et elle se serrait contre lui, voulait le sentir, le serrait de toutes ses
mortelles forces. A voix basse et fiévreuse, elle lui demandait s’ils se retrouveraient après, là-
bas, et elle souriait que oui, ils se retrouveraient là-bas, souriait avec un peu de salive moussant
au bord des lèvres, souriait qu’ils seraient toujours ensemble là-bas, et rien que l’amour vrao,
l’amour vrai là-bas, et la salive maintenant coulait sur son cou, sur la robe des attentes.
Et voici, ce fut de nouveau la valse en bas, la valse du premier soir, valse à la longue
traîne, et elle avait le vertige, dansant avec son seigneur qui la tenait et la guidait, dansant et
ignorant le monde et s’admirant, tournoyante, dans les hautes glaces s’admirant, élégante,
émouvante, femme aimée, belle de son seigneur.
Mais ses pieds s’alourdissaient, et elle ne dansait plus, ne pouvait plus, ne pouvait plus.
Où étaient ses pieds ? Etaient-ils allés les premiers là-bas ? l’attendaient-ils là-bas dans l’église
en forme de montagne, l’église montagneuse où soufflait le vent noir ? Oh, quel appel, et la
porte s’ouvrait. Oh, grande la porte, profond le noir et le vent soufflait hors de la porte, le vent
sans cesse de là-bas, le vent humide odeur de terre, le vent froid du noir. Aimé, il faut mettre
ton manteau.
Oh, maintenant un chant le long des cyprès, chant de ceux qui s’éloignent et ne
regardent plus. Qui lui tenait les jambes ? Le raidissement montait, s’étendait avec un froid, et
elle avait de la peine à respirer, et des gouttes étaient sur ses joues, et un goût dans sa bouche.
N’oublie pas de venir, murmura-t-elle. Ce soir, neuf heures, murmura-t-elle, et elle saliva, eut
un sourire stupide, voulut reculer la tête pour le regarder mais elle ne pouvait plus, et là-bas
une faux était martelée. Alors, de la main, elle voulut le saluer, mais elle ne pouvait plus, sa
main était partie. Attends-moi, lui disait-il de si loin. Voici venir mon divin roi, sourit-elle, et
elle entra dans l’église montagneuse.

Vous aimerez peut-être aussi