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Descriptif de la classe 104-108

OBJET D’ÉTUDE N° 1 : Le roman et le récit Moyen-âge XXI°


Œuvre intégrale :Abbé Prévost, Manon Lescaut 1731

explication n° 1 Extrait : Rencontre Manon Lescaut -Des Grieux


« J’avais marqué le temps de mon départ ...des prodiges. »

Explication n°2 Extrait : les Retrouvailles à St Sulpice


« Elle s’assit…..contre un seul de tes regards
explication n° 3 Extrait : Le Prince Italien
«Nous rentrâmes dans son cabinet ... attribuer qu’à l’amour. »

Parcours associé : « Le personnages en marge » : Les Héroïnes romanesques

explication n° 4 Extrait : La Princesse de Clèves Mme de Lafayette


« Le portrait de Mlle de Chartres »

explication n° 5 Extrait : Mme Bovary Flaubert 1857


« Emma ne dormait pas... ouvrait les auvents de la pharmacie »

explication n° 6 Extrait : Thérèse Desqueyroux F.Mauriac 1927


« Thérèse songeant à la nuit...les dents serrées, froide. »

Lecture(s) cursive(s) proposée(s) : Liste lectures cursives intégrale


Héroïne en marge
• XX°
• Thérèse Desqueyroux de Mauriac

• XIX°
• Madame Bovary de Flaubert
• La Dame aux Camélias de Dumas fils
• Nana de Zola
• Boule de suif de Maupassant
• Germinie Lacerteux Frères Goncourt

• XVIII°
• Paul et Virginie de Bernardin de St pierre
• Les Liaisons dangereuses de Ch.de Laclos

• XVII°
• La Princesse de Clèves / de Montpensier de MMe de Lafayette
OBJET D’ÉTUDE N° 2 : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
Œuvre intégrale choisie : Le Malade Imaginaire Molière 1673

explication n° 7 Extrait : I,1 Scène d'exposition

explication n° 8 Extrait : I,2

explication n° 9 Extrait : III, 14 final

Parcours associé : Le spectacle de la comédie Art Yasmina Reza 1994

Explication n° 10 Extrait : «Marc : Mon ami Serge a acheté un tableau » à « une arrogance vraiment stupéfiante »

Explication n° 11 Extrait : « Et alors ?……..Tu vas le mettre où ? »

Explication n° 12 Extrait : « Chez Serge. Au fond, accroché au mur, l’Antrios….fin. »

Lecture(s) cursive(s) proposée(s) : Liste lectures cursives intégrale


Le spectacle de la comédie

XVII° Molière Dom Juan, Le médecin malgré lui, M.De Pourceaugnac


Corneille Le Cid
Racine Phèdre

XVIII° Beaumarchais Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro, La mère coupable


Marivaux, La double inconstance, Les fausses Confidences, L’île des esclaves

XIX° Hugo Ruy Blas, Marion Delorme, Hernani


Musset Les caprices de Marianne,

XX° AlfredJarry Ubu roi


Eugène Ionesco La cantatrice Chauve
Jean Tardieu Un mot pour un autre, Finissez vos phrases
SamuelBeckett
Yasmina Reza Le dieu du carnage
Emmanuel Robles Montserrat

Professeur M.Chaton
TEXTE 1 « Rencontre Manon Lescaut -Des Grieux »
J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j’aurais porté chez mon
père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami,
qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures
descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais
il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir
de conducteur, s’empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais
jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde
admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être
excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la
maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée.
Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit
ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un
moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une
manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C’était malgré elle qu’on
l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s’était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite,
tous ses malheurs et les miens.Je combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour
naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer. Elle n’affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un
moment de silence, qu’elle ne prévoyait que trop qu’elle allait être malheureuse, mais que c’était apparemment la volonté
du Ciel, puisqu’il ne lui laissait nul moyen de l’éviter. La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en
prononçant ces paroles, ou plutôt, l’ascendant de ma destinée qui m’entraînait à ma perte, ne me permirent pas de
balancer un moment sur ma réponse. Je l’assurai que, si elle voulait faire quelque fond sur mon honneur et sur la
tendresse infinie qu’elle m’inspirait déjà, j’emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses parents, et pour la
rendre heureuse. Je me suis étonné mille fois, en y réfléchissant, d’où me venait alors tant de hardiesse et de facilité à
m’exprimer ; mais on ne ferait pas une divinité de l’amour, s’il n’opérait souvent des prodiges.
Texte 2. « Deuxième Rencontre Manon-Des Grieux à St Sulpice »

Elle s’assit. Je demeurai debout, le corps à demi tourné, n’osant l’envisager directement. Je commençai plusieurs fois une
réponse, que je n’eus pas la force d’achever. Enfin, je fis un effort pour m’écrier douloureusement : Perfide Manon ! Ah !
perfide ! perfide ! Elle me répéta, en pleurant à chaudes larmes, qu’elle ne prétendait point justifier sa perfidie. Que
prétendez-vous donc ? m’écriai-je encore. Je prétends mourir, répondit-elle, si vous ne me rendez votre cœur, sans lequel
il est impossible que je vive. Demande donc ma vie, infidèle ! repris-je en versant moi-même des pleurs, que je m’efforçai
en vain de retenir. Demande ma vie, qui est l’unique chose qui me reste à te sacrifier ; car mon cœur n’a jamais cessé
d’être à toi. A peine eus-je achevé ces derniers mots, qu’elle se leva avec transport pour venir m’embrasser. Elle
m’accabla de mille caresses passionnées. Elle m’appela par tous les noms que l’amour invente pour exprimer ses plus
vives tendresses. Je n’y répondais encore qu’avec langueur. Quel passage, en effet, de la situation tranquille où j’avais été,
aux mouvements tumultueux que je sentais renaître ! J’en étais épouvanté. Je frémissais, comme il arrive lorsqu’on se
trouve la nuit dans une campagne écartée : on se croit transporté dans un nouvel ordre de choses ; on y est saisi d’une
horreur secrète, dont on ne se remet qu’après avoir considéré longtemps tous les environs.

Nous nous assîmes l’un près de l’autre. Je pris ses mains dans les miennes. Ah ! Manon, lui dis-je en la regardant d’un
œil triste, je ne m’étais pas attendu à la noire trahison dont vous avez payé mon amour. Il vous était bien facile de tromper
un cœur dont vous étiez la souveraine absolue, et qui mettait toute sa félicité à vous plaire et à vous obéir. Dites-moi
maintenant si vous en avez trouvé d’aussi tendres et d’aussi soumis. Non, non, la Nature n’en fait guère de la même
trempe que le mien. Dites-moi, du moins, si vous l’avez quelquefois regretté. Quel fond dois-je faire sur ce retour de
bonté qui vous ramène aujourd’hui pour le consoler ? Je ne vois que trop que vous êtes plus charmante que jamais ; mais
au nom de toutes les peines que j’ai souffertes pour vous, belle Manon, dites-moi si vous serez plus fidèle.

Elle me répondit des choses si touchantes sur son repentir, et elle s’engagea à la fidélité par tant de protestations et de
serments, qu’elle m’attendrit à un degré inexprimable. Chère Manon ! lui dis-je, avec un mélange profane d’expressions
amoureuses et théologiques, tu es trop adorable pour une créature. Je me sens le cœur emporté par une délectation
victorieuse. Tout ce qu’on dit de la liberté à Saint-Sulpice est une chimère. Je vais perdre ma fortune et ma réputation
pour toi, je le prévois bien ; je lis ma destinée dans tes beaux yeux, mais de quelles pertes ne serai-je pas consolé par ton
amour ! Les faveurs de la fortune ne me touchent point ; la gloire me paraît une fumée ; tous mes projets de vie
ecclésiastique étaient de folles imaginations ; enfin tous les biens différents de ceux que j’espère avec toi sont des biens
méprisables, puisqu’ils ne sauraient tenir un moment, dans mon cœur, contre un seul de tes regards.
Texte 3 « Le Prince Italien »
Nous rentrâmes dans son cabinet. Elle se mit à rajuster mes cheveux, et ma complaisance me faisait céder à toutes ses
volontés, lorsqu’on vint l’avertir que le prince de… demandait à la voir. Ce nom m’échauffa jusqu’au transport. Quoi
donc ? Quel prince ? Elle ne répondit point à mes questions. Faites-le monter, dit-elle froidement au valet ; et se tournant
vers moi : cher amant, toi que j’adore, reprit-elle d’un ton enchanteur, je te demande un moment de complaisance, un
moment, un seul moment. Je t’en aimerai mille fois plus. Je t’en saurai gré toute ma vie.

L’indignation et la surprise me lièrent la langue. Elle répétait ses instances et je cherchais des expressions pour les rejeter
avec mépris. Mais, entendant ouvrir la porte de l’antichambre, elle empoigna d’une main mes cheveux, qui étaient
flottants sur mes épaules, elle prit de l’autre son miroir de toilette ; elle employa toute sa force pour me traîner dans cet
état jusqu’à la porte du cabinet, et l’ouvrant du genou, elle offrit à l’étranger, que le bruit semblait avoir arrêté au milieu
de la chambre, un spectacle qui ne dut pas lui causer peu d’étonnement. Je vis un homme fort bien mis, mais d’assez
mauvaise mine. Dans l’embarras où le jetait cette scène, il ne laissa pas de faire une profonde révérence. Manon ne lui
donna pas le temps d’ouvrir la bouche. Elle lui présenta son miroir : Voyez, monsieur, lui dit-elle, regardez-vous bien, et
rendez-moi justice. Vous me demandez de l’amour. Voici l’homme que j’aime, et que j’ai juré d’aimer toute ma vie. Faites
la comparaison vous- même. Si vous croyez lui pouvoir disputer mon cœur, apprenez-moi donc sur quel fondement, car je
vous déclare qu’aux yeux de votre servante très humble, tous les princes d’Italie ne valent pas un des cheveux que je
tiens.

Pendant cette folle harangue, qu’elle avait apparemment méditée, je faisais des efforts inutiles pour me dégager, et
prenant pitié d’un homme de considération, je me sentais porté à réparer ce petit outrage par mes politesses. Mais, s’étant
remis assez facilement, sa réponse, que je trouvai un peu grossière, me fit perdre cette disposition. Mademoiselle,
mademoiselle, lui dit-il, avec un sourire forcé, j’ouvre en effet les yeux, et je vous trouve bien moins novice que je ne me
l’étais figuré. Il se retira aussitôt sans jeter les yeux sur elle, en ajoutant, d’une voix plus basse, que les femmes de France
ne valaient pas mieux que celles d’Italie. Rien ne m’invitait, dans cette occasion, à lui faire prendre une meilleure idée du
beau sexe.

Manon quitta mes cheveux, se jeta dans un fauteuil, et fit retentir la chambre de longs éclats de rire. Je ne dissimulerai pas
que je fus touché, jusqu’au fond du cœur, d’un sacrifice que je ne pouvais attribuer qu’à l’amour.
Texte 4 La Princesse de Clèves Mme de Lafayette 1678
« Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit croire que c’était une beauté parfaite,
puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même
maison que le Vidame de Chartres et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l’avait laissée
sous la conduite de Mme de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires.

Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait
donné ses soins à l’éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté, elle songea
aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s’imaginent qu’il suffit de ne parler jamais
de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Mme de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait
souvent à sa fille des peintures de l’amour ; elle lui montrait ce qu’il a d’agréable pour la persuader plus aisément sur ce
qu’elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité,
les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d’un autre côté, quelle tranquillité suivait
la vie d’une honnête femme, et combien la vertu donnait d’éclat et d’élévation à une personne qui avait de la beauté et de
la naissance ; mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême
défiance de soi-même et par un grand soin de s’attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d’une femme, qui est d’aimer
son mari et d’en être aimée.

Cette héritière était alors un des grands partis qu’il y eût en France ; et quoiqu’elle fût dans une extrême jeunesse, l’on
avait déjà proposé plusieurs mariages. Mme de Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne
de sa fille ; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu’elle arriva, le Vidame alla au-devant
d’elle ; il fut surpris de la grande beauté de Mlle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur de son teint et
ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l’on n’a jamais vu qu’à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage
et sa personne étaient pleins de grâce et de charmes. »
Texte 5 Mme Bovary de G.Flaubert 1857
« Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’être endormie ; et, tandis qu’il s’assoupissait à ses côtés, elle se
réveillait en d’autres rêves.

Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où ils ne
reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut d’une montagne, ils
apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des navires, des forêts de citronniers
et des cathédrales de marbre blanc, dont les clochers aigus portaient des nids de cigognes. On marchait au pas, à
cause des grandes dalles, et il y avait par terre des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillées
en corset rouge. On entendait sonner des cloches, hennir les mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des
fontaines, dont la vapeur s’envolant rafraîchissait des tas de fruits, disposés en pyramide au pied des statues
pâles, qui souriaient sous les jets d’eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des filets
bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C’est là qu’ils s’arrêteraient pour vivre ; ils
habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se
promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs
vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant, sur
l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait ; les jours, tous
magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se balançait à l’horizon, infini, harmonieux, bleuâtre et
couvert de soleil. Mais l’enfant se mettait à tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et
Emma ne s’endormait que le matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin, sur la
place, ouvrait les auvents de la pharmacie. «
Texte 6 : Thérèse Desqueyroux F. Mauriac 1927

Thérèse, songeant à la nuit qui vint ensuite, murmure : __ << Ce fut horrible… >> puis se reprend : __ << Mais non…
pas si horrible… >>
Durant ce voyage aux lacs italiens, a-t-elle beaucoup souffert ? Non, non ; elle jouait à ce jeu : ne pas se trahir. Un fiancé
se dupe aisément ; mais un mari ! N’importe qui sait proférer des paroles menteuses ; les mensonges du -corps exigent
une autre science. Mimer le désir, la joie, la fatigue bienheureuse. cela n’est pas donné à tous. Thérèse sut plier son corps
à ces feintes et elle y goûtait un plaisir amer. Ce monde inconnu de sensations où un homme la forçait de pénétrer, son
imagination l’aidait à concevoir qu’il y aurait eu là, pour elle aussi peut-être, un bonheur possible mais quel bonheur ?
Comme devant un paysage enseveli sous la pluie, nous nous représentons ce qu’il eût été dans le soleil, ainsi Thérèse
découvrait la volupté. Bernard, ce garçon au regard désert, toujours inquiet de ce que les numéros des tableaux ne
correspondaient pas à ceux du Bedeker, satisfait d’avoir vu dans le moins de temps possible ce qui était à voir, quelle
facile dupe ! Il était enfermé dans son plaisir comme ces jeunes porcs charmants qu’il est drôle de regarder à travers la
grille, lorsqu’ils reniflent de bonheur dans une auge ( c’était moi, l’auge >>, songe Thérèse). Il avait leur air pressé,
affairé, sérieux ; il était méthodique.
__ << Vous croyez vraiment que cela est sage ? >> risquait parfois Thérèse, stupéfaite.
Il riait, la rassurait. Où avait-il appris à classer tout ce qui touche à la chair à distinguer les caresses de l’honnête homme
de celles du sadique ? jamais une hésitation.
Un soir, à Paris où, sur le chemin du retour, ils s’arrêtèrent, Bernard quitta ostensiblement un music-hall dont le spectacle
l’avait choqué : __ << Dire que les étrangers voient ça ! Quelle honte ! Et c’est là-dessus qu’on nous juge… >>
Thérèse admirait que cet homme pudique fût le même dont il lui faudrait subir, dans moins d’une heure, les patientes
inventions de l’ombre.
__ << Pauvre Bernard non pire qu’un autre ! Mais le désir transforme l’être qui nous approche en un monstre qui ne lui
ressemble pas. Rien ne nous. sépare plus de notre complice que son délire : j’ai toujours vu Bernard s’enfoncer dans le
plaisir et moi, je faisais la morte, comme si ce fou, cet épileptique, au moindre geste eût risqué de m’étrangler. Le plus
souvent, au bord de sa dernière joie, il découvrait soudain sa solitude ; le morne acharnement s’interrompait. Bernard
revenait sur ses pas et me retrouvait comme sur une plage où j’eusse été rejetée, les dents serrées, froide. >>
Texte 7 Le Malade Imaginaire Molière 1673 Scène d'exposition
ACTE Ier, SCÈNE PREMIÈRE

ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d’apothicaire avec des jetons ; il fait
parlant à lui-même les dialogues suivants.

– Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un petit
clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur . Ce qui me
plaît, de Monsieur Fleurant mon apothicaire, c’est que ses parties sont toujours fort civiles. « Les entrailles de Monsieur,
trente sols ». Oui, mais, Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas
écorcher les malades. Trente sols un lavement, je suis votre serviteur , je vous l’ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans
les autres parties qu’à vingt sols, et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus
dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant
l’ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur, trente sols ; » avec votre permission, dix sols.
« Plus dudit jour le soir un julep hépatique, soporatif, et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente-cinq
sols ; » je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et dix-sept sols, six deniers. « Plus du
vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec séné levantin, et
autres, suivant l’ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. » Ah !
Monsieur Fleurant, c’est se moquer, il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre
quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. « Plus dudit jour, une potion anodine , et
astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols. » Bon, dix et quinze sols. « Plus du vingt-sixième, un clystère
carminatif , pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. » Dix Sols, Monsieur Fleurant. « Plus, le clystère de
Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols. » Monsieur Fleurant, dix sols. « Plus du vingt-septième, une bonne
médecine composée pour hâter d’aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres. » Bon vingt, et
trente sols ; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. « Plus du vingt-huitième, une prise de petit-lait clarifié, et
dulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer, et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. » Bon, dix sols. « Plus une potion
cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoard , sirops de limon et grenade, et autres, suivant
l’ordonnance, cinq livres. » Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît, si vous en usez comme cela, on ne voudra
plus être malade, contentez-vous de quatre francs ; vingt et quarante sols. Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix
font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc, que de ce mois j’ai pris une, deux, trois, quatre,
cinq, six, sept et huit médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et
l’autre mois il y avait douze médecines, et vingt lavements. Je ne m’étonne pas, si je ne me porte pas si bien ce mois-ci,
que l’autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci, il n’y a personne ;
j’ai beau dire, on me laisse toujours seul ; il n’y a pas moyen de les arrêter ici.

(Il sonne une sonnette pour faire venir ses gens.)

Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin, point d’affaire. Drelin, drelin, Drelin,
ils sont sourds. Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnais point. Chienne, coquine, drelin, drelin, drelin ;
j’enrage.

(Il ne sonne plus, mais il crie.)

Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables. Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul !
Drelin, drelin, drelin ; voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin. Ah ! mon Dieu, ils me laisseront ici mourir. Drelin,
drelin, drelin.
Texte 8 Le Malade Imaginaire ACTE I, 2 TOINETTE, ARGAN.

TOINETTE, en entrant dans la chambre.- On y va.

ARGAN.- Ah ! chienne ! Ah carogne…

TOINETTE, faisant semblant de s’être cogné la tête.– Diantre soit fait de votre impatience, vous pressez si fort les personnes,
que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d’un volet.

ARGAN, en colère.- Ah ! traîtresse…

TOINETTE, pour l’interrompre et l’empêcher de crier, se plaint toujours, en disant.- Ha !

ARGAN.- Il y a…

TOINETTE.- Ha !

ARGAN.- Il y a une heure…

TOINETTE.- Ha !

ARGAN.- Tu m’as laissé…

TOINETTE.- Ha !

ARGAN.- Tais-toi donc, coquine, que je te querelle.

TOINETTE.- Çamon, ma foi, j’en suis d’avis, après ce que je me suis fait.

ARGAN.- Tu m’as fait égosiller, carogne.

TOINETTE.- Et vous m’avez fait, vous, casser la tête, l’un vaut bien l’autre. Quitte, à quitte, si vous voulez.

ARGAN.- Quoi, coquine…

TOINETTE.- Si vous querellez, je pleurerai.

ARGAN.- Me laisser, traîtresse…

TOINETTE, toujours pour l’interrompre.- Ha !

ARGAN.- Chienne, tu veux…

TOINETTE.- Ha !

ARGAN.- Quoi il faudra encore que je n’aie pas le plaisir de la quereller ?

TOINETTE.- Querellez tout votre soûl, je le veux bien.

ARGAN.- Tu m’en empêches, chienne, en m’interrompant à tous coups.

TOINETTE.- Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon côté, j’aie le plaisir de pleurer ; chacun le sien ce n’est
pas trop. Ha !

ARGAN.- Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. (Argan se lève de sa chaise.) Mon lavement
d’aujourd’hui a-t-il bien opéré ?

TOINETTE.- Votre lavement ?

ARGAN.- Oui. Ai-je bien fait de la bile ?

TOINETTE.- Ma foi je ne me mêle point de ces affaires-là, c’est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu’il en a le profit.

ARGAN.- Qu’on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l’autre que je dois tantôt prendre.

TOINETTE.- Ce Monsieur Fleurant-là, et ce Monsieur Purgon s’égayent bien sur votre corps ; ils ont en vous une bonne vache
à lait ; et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes.

ARGAN.- Taisez-vous, ignorante, ce n’est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu’on me fasse venir ma fille
Angélique, j’ai à lui dire quelque chose.

TOINETTE.- La voici qui vient d’elle-même ; elle a deviné votre pensée.


Texte 9 : Le Malade Imaginaire III,14 final
BERALDE Mais, mon frère, il me vient une pensée. Faites-vous médecin vous-même. La commodité sera encore plus
grande, d’avoir en vous tout ce qu’il vous faut.

TOINETTE Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt; et il n’y a point de maladie si osée que de se jouer à
la personne d’un médecin.

ARGAN Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi. Est-ce que je suis en âge d’étudier?

BERALDE Bon, étudier! Vous êtes assez savant; et il y en a beaucoup parmi eux qui ne sont pas plus habiles que vous.

ARGAN Mais il faut savoir bien parler latin, connaître les maladies et les remèdes qu’il y faut faire.

BERALDE En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela; et vous serez après plus habile que
vous ne voudrez.

ARGAN Quoi! l’on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là?

BERALDE Oui. L’on n’a qu’à parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient
raison.

TOINETTE Tenez, monsieur, quand il n’y aurait que votre barbe, c’est déjà beaucoup; et la barbe fait plus de la moitié
d’un médecin.

CLEANTE En tout cas, je suis prêt à tout.

BERALDE Voulez-vous que l’affaire se fasse tout à l’heure?

ARGAN Comment, tout à l’heure?

BERALDE Oui, et dans votre maison.

ARGAN Dans ma maison?

BERALDE Oui. Je connais une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l’heure en faire la cérémonie dans votre salle.
Cela ne vous coûtera rien.

ARGAN Mais moi, que dire? que répondre?

BERALDE On vous instruira en deux mots, et l’on vous donnera par écrit ce que vous devez dire. Allez-vous-en vous
mettre en habit décent. Je vais les envoyer quérir.

ARGAN Allons, voyons cela.

CLEANTE Que voulez-vous dire? et qu’entendez-vous avec cette Faculté de vos amies?

TOINETTE Quel est votre dessein?

BERALDE De vous divertir un peu ce soir. Les comédiens ont fait un petit intermède de la réception d’un médecin, avec
des danses et de la musique; je veux que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon frère y fasse le premier
personnage.

ANGELIQUE Mais, mon oncle, il me semble que vous vous jouez un peu beaucoup de mon père.

BERALDE Mais, ma nièce, ce n’est pas tant le jouer que s’accommoder à ses fantaisies. Tout ceci n’est qu’entre nous.
Nous y pouvons aussi prendre chacun un personnage, et nous donner ainsi la comédie les uns aux autres. Le carnaval
autorise cela. Allons vite préparer toutes choses.

CLEANTE, à Angélique.
Y consentez-vous?

ANGELIQUE Oui, puisque mon oncle nous conduit.

TROISIÈME INTERMÈDE
Texte 10 : Art La scène d’exposition 1
Le salon d’un appartement. Un seul décor. Le plus dépouillé, le plus neutre possible. Les scènes se déroulent
successivement chez Serge, Yvan et Marc. Rien ne change, sauf l’œuvre de peinture exposée.
Marc, seul
MARC : Mon ami Serge a acheté un tableau. C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre vingt,
peinte en blanc. Le fond est blanc et si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs
transversaux.
Mon ami Serge est un ami depuis longtemps.
C’est un garçon qui a bien réussi, il est médecin dermatologue et il aime l’art. Lundi, je suis allée voir le tableau
que Serge avait acquis samedi mais qu’il convoitait depuis des mois.
Chez Serge
Posée à même le sol, une toile blanche, avec de fins liserés blancs transversaux.
Serge regarde, réjoui, son tableau.
Marc regarde le tableau.
Serge regarde Marc qui regarde le tableau.
Un long temps où tous les sentiments se traduisent sans mot.
MARC : Cher ?
SERGE : Deux cent mille.
MARC : Deux cent mille ?…
SERGE : Handtington me le reprend à vingt-deux
MARC : Qui est-ce ?
SERGE : Handtington ? !
MARC : Connais pas.
SERGE : Handtington ! La galerie Handtington !
MARC : La galerie Handtington te le reprend à vingt-deux ?…
SERGE : Non, pas la galerie. Lui. Handtington lui-même. Pour lui.
MARC: Et pourquoi ce n’est pas Handtington qui l’a acheté?
SERGE: Parce que tous ces gens ont intérêt à vendre à des particuliers. II faut que le marché circule.
MARC : Ouais…
SERGE : Alors ?
MARC : …
SERGE : Tu n’es pas bien là. Regarde-le d’ici. Tu aperçois les lignes ?
MARC : Comment s’appelle le…
SERGE : Peintre. Antrios.
MARC: Connu ?
SERGE : Très. Très !
Un temps.
MARC : Serge, tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ?
SERGE: Mais mon vieux, c’est le prix. C’est un ANTRIOS !
MARC : Tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs !
SERGE: J’étais sûr que tu passerais à côté.
MARC : Tu as acheté cette merde deux cent mille francs ? !
Serge, comme seul.
SERGE : Mon ami Marc, qui est un garçon intelligent, garçon que j’estime depuis longtemps, belle situation,
ingénieur dans l’aéronautique, fait partie de ces intellectuels, nouveaux, qui, non contents d’être ennemis de la
modernité en tirent une vanité incompréhensible.
Il y a depuis peu, chez l’adepte du bon vieux temps, une arrogance vraiment stupéfiante.
Texte 11 : ART « Yvan »
(après longue tirade d’Yvan, arrivé en retard , sur ses cartons de mariage)
Silence.
serge. Et alors ?…
yvan. Et alors, rien. Rien n’est résolu. J’ai raccroché.
Minidrame avec Catherine. Écourté parce que j’étais en retard.
marc. Pourquoi tu te laisses emmerder par toutes ces bonnes femmes ?
yvan. Mais pourquoi je me laisse emmerder, je n’en sais rien ! Elles sont folles !
serge. Tu as maigri.
yvan. Bien sûr. J’ai perdu quatre kilos. Uniquement par angoisse…
marc. Lis Sénèque.
yvan. … La Vie heureuse, voilà ce qu’il me faut !
Il dit quoi, lui ?
marc. Chef-d’œuvre.
yvan. Ah bon ?…
serge. Il ne l’a pas lu.
yvan. Ah bon !
marc. Non, mais Serge m’a dit chef-d’œuvre tout à l’heure.
serge. J’ai dit chef-d’œuvre parce que c’est un chef-d’œuvre.
marc. Oui, oui.
serge. C’est un chef-d’œuvre.
marc. Pourquoi tu prends la mouche ?
serge. Tu as l’air d’insinuer que je dis chef-d’œuvre à tout bout de champ.
marc. Pas du tout…
serge. Tu dis ça avec une sorte de ton narquois…
marc. Mais pas du tout !
serge. Si, si, chef-d’œuvre avec un ton…
marc. Mais il est fou ! Pas du tout !… Par contre, tu as dit, tu as ajouté le mot modernissime.
serge. Oui. Et alors ?
marc. Tu as dit modernissime, comme si moderne était le nec plus ultra du compliment. Comme si parlant
d’une chose, on ne pouvait pas dire plus haut, plus définitivement haut que moderne.
serge. Et alors ?
marc. Et alors, rien.
Et je n’ai pas fait mention du « issime », tu as remarqué… Modern-« issime »… !
serge. Tu me cherches aujourd’hui.
marc. Non…
yvan. Vous n’allez pas vous engueuler, ce serait le comble !
serge. Tu ne trouves pas extraordinaire qu’un homme qui a écrit il y a presque deux mille ans soit toujours
d’actualité ?
marc. Si. Si, si. C’est le propre des classiques.
serge. Question de mots.
yvan. Alors qu’est-ce qu’on fait ? Le cinéma, c’est foutu j’imagine, désolé. On va dîner ?
marc. Serge m’a dit que tu étais très sensible à son tableau.
yvan. Oui… Je suis assez sensible à ce tableau, oui… Pas toi, je sais.
marc. Non.
Allons dîner. Serge connaît un lyonnais succulent.
serge. Tu trouves ça trop gras.
marc. Je trouve ça un peu gras mais je veux bien essayer.
serge. Mais non, si tu trouves ça trop gras, on va ailleurs.
marc. Non, je veux bien essayer.
serge. On va dans ce restaurant si ça vous fait plaisir. Sinon on n’y va pas !
(À Yvan.) Tu veux manger lyonnais, toi ?
yvan. Moi je fais ce que vous voulez.
marc. Lui, il fait ce qu’on veut, il fait toujours ce qu’on veut, lui.
yvan. Mais qu’est-ce que vous avez tous les deux, vous êtes vraiment bizarres !
serge. Il a raison, tu pourrais un jour avoir une opinion à toi.
yvan. Écoutez les amis, si vous comptez me prendre comme tête de Turc, moi je me tire ! J’ai assez enduré
aujourd’hui.
marc. Un peu d’humour, Yvan.
yvan. Hein ?
marc. Un peu d’humour, vieux.
yvan. Un peu d’humour ? Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.
Un peu d’humour, tu es marrant.
marc. Je trouve que tu manques un peu d’humour ces derniers temps. Méfie-toi, regarde-moi !
yvan. Qu’est-ce que tu as ?
marc. Tu ne trouves pas que je manque aussi un peu d’humour ces derniers temps ?
yvan. Ah bon ?!
serge. Bon, ça suffit, prenons une décision. Pour dire la vérité, je n’ai même pas faim.
yvan. Vous êtes vraiment sinistres ce soir !…
serge. Tu veux que je te donne mon point de vue sur tes histoires de bonnes femmes ?
yvan. Donne.
serge. La plus hystérique de toutes, à mes yeux, est Catherine. De loin.
marc. C’est évident.
serge. Et si tu te laisses emmerder par elle dès maintenant, tu te prépares un avenir effroyable.
yvan. Qu’est-ce que je peux faire ?
marc. Annule.
yvan. Annuler le mariage ?!
serge. Il a raison.
yvan. Mais je ne peux pas, vous êtes cinglés !
marc. Pourquoi ?
yvan. Mais parce que je ne peux pas, voyons ! Tout est organisé. Je suis dans la papeterie depuis un mois…
marc. Quel rapport ?
yvan. La papeterie est à son oncle, qui n’avait absolument pas besoin d’engager qui que ce soit, encore moins
un type qui n’a travaillé que dans le tissu.
serge. Tu fais ce que tu veux. Moi je t’ai donné mon avis.
yvan. Excuse-moi Serge, sans vouloir te blesser, tu n’es pas l’homme dont j’écouterais spécifiquement les
conseils matrimoniaux. On ne peut pas dire que ta vie soit une grande réussite dans ce domaine…
serge. Justement.
yvan. Je ne peux pas résilier ce mariage. Je sais que Catherine est hystérique mais elle a des qualités. Elle a des
qualités qui sont prépondérantes quand on épouse un garçon comme moi… (Désignant l’Antrios.) Tu vas le
mettre où ?
Texte 12 : Art Le dénouement ?
Chez Serge.

Au fond, accroché au mur, l’Antrios.

Debout devant la toile, Marc tient une bassine d’eau dans laquelle Serge trempe un petit morceau de tissu.

Marc a relevé les manches de sa chemise et Serge est vêtu d’un petit tablier trop court de peintre en bâtiment.

Près d’eux, on aperçoit quelques produits, flacons ou bouteilles de white spirit, eau écarlate, chiffons et éponges…

Avec un geste très délicat, Serge apporte une dernière touche au nettoyage du tableau.

L’Antrios a retrouvé toute sa blancheur initiale.

Marc pose la bassine et regarde le tableau.

Serge se retourne vers Yvan, assis en retrait.

Yvan approuve.

Serge recule et contemple l’œuvre à son tour.

Silence.

yvan (comme seul. Il nous parle à voix légèrement feutrée). … Le lendemain du mariage, Catherine a déposé au cimetière
Montparnasse, sur la tombe de sa mère morte, son bouquet de mariée et un petit sachet de dragées. Je me suis éclipsé pour
pleurer derrière une chapelle et le soir, repensant à cet acte bouleversant, j’ai encore sangloté dans mon lit en silence. Je
dois absolument parler à Finkelzohn de ma propension à pleurer, je pleure tout le temps, ce qui n’est pas normal pour un
garçon de mon âge. Cela a commencé, ou du moins s’est manifesté clairement le soir du tableau blanc chez Serge. Après
que Serge avait montré à Marc, par un acte de pure démence, qu’il tenait davantage à lui qu’à son tableau, nous sommes
allés dîner chez Émile. Chez Émile, Serge et Marc ont pris la décision d’essayer de reconstruire une relation anéantie par
les événements et les mots. À un moment donné, l’un de nous a employé l’expression « période d’essai » et j’ai fondu en
larmes.

L’expression « période d’essai » appliquée à notre amitié a provoqué en moi un séisme incontrôlé et absurde.

En réalité, je ne supporte plus aucun discours rationnel, tout ce qui a fait le monde, tout ce qui a été beau et grand dans ce
monde n’est jamais né d’un discours rationnel.

Un temps.

Serge s’essuie les mains. Il va vider la bassine d’eau puis se met à ranger tous les produits, de sorte qu’il n’y ait plus
aucune trace du nettoyage.

Il regarde encore une fois son tableau. Puis se retourne et s’avance vers nous.

serge. Lorsque nous sommes parvenus, Marc et moi, à l’aide d’un savon suisse à base de fiel de bœuf, prescrit par Paula,
à effacer le skieur, j’ai contemplé l’Antrios et je me suis tourné vers Marc :

–Savais-tu que les feutres étaient lavables ?

– Non, m’a répondu Marc… Non… Et toi ?

– Moi non plus, ai-je dit, très vite, en mentant. Sur l’instant, j’ai failli répondre, moi je le savais. Mais pouvais-je entamer
notre période d’essai par un aveu aussi décevant ?… D’un autre côté, débuter par une tricherie ?… Tricherie !
N’exagérons rien. D’où me vient cette vertu stupide ? Pourquoi faut-il que les relations soient si compliquées avec Marc ?

La lumière isole peu à peu l’Antrios.

Marc s’approche du tableau.

marc. Sous les nuages blancs, la neige tombe.

On ne voit ni les nuages blancs, ni la neige.


Ni la froideur et l’éclat blanc du sol.

Un homme seul, à skis, glisse.

La neige tombe.

Tombe jusqu’à ce que l’homme disparaisse et retrouve son opacité.

Mon ami Serge, qui est un ami depuis longtemps, a acheté un tableau.

C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre vingt.

Elle représente un homme qui traverse un espace et qui disparaît.

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