Vous êtes sur la page 1sur 100

Juillet—Août 2019 HS N°9

CO
2
POSTERS
LLECTOR

STAR WARS,
MARILYN, DIE HARD,
ALIEN, TITANIC,
FIGHT CLUB...

HISTOIRE(S)
D’UN STUDIO LÉGENDAIRE
M 03602 - 9H - F: 5,90 E - RD

3’:HIKNQA=WUZ^U\:?a@a@a@t@p";
009_PREMIERE_HS_001-COUV DEF.indd 1 29/05/19 09:17
En vente
chez votre marchand
de journaux

Page_HS_Montre_210x285.indd 1 27/05/2019 09:42


ILLUSTRATION DE COUVERTURE GILLES WARMOES POUR PREMIÈRE
Pour joindre la rédaction composer le 01 70 39 53
suivi du n° de poste de votre correspondant

GAËL GOLHEN Rédacteur en chef (90) – ggolhen@premiere.fr


THIERRY CHEZE Rédacteur en chef magazine – tcheze@premiere.fr
CHRISTELLE DEVESA Rédactrice en chef adjointe (Internet) (95) – cdevesa@premiere.fr
CHRISTOPHE NARBONNE Chef de rubrique (84) – cnarbonne@premiere.fr
FRÉDÉRIC FOUBERT Rédacteur (News) (89) – ffoubert@premiere.fr
SYLVESTRE PICARD Rédacteur (Vidéo) (94) – spicard@premiere.fr
THOMAS BAUREZ Rédacteur – tbaurez@premiere.fr
SOPHIE BENAMON Rédactrice – sbenamon@premiere.fr
ÉLODIE BARDINET Rédactrice (87) – ebardinet@premiere.fr
NICOLAS BELLET Chef de rubrique (92) – nbellet@premiere.fr
FRANCOIS LÉGER Rédacteur – fleger@premiere.fr
CHARLES MARTIN Rédacteur – cmartin@premiere.fr
ÉDOUARD OROZCO Social media editor (83) – eorozco@premiere.fr

COLLABORATIONS
DIRECTEUR ARTISTIQUE : ÉMILIEN GUILLON
RÉDACTRICE GRAPHISTE : VIRGINIE GERVAIS
PHOTO : VIRGINIE GERVAIS (86) – vgervais@premiere.fr
1ERE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : ESTELLE RUET (88) – eruet@premiere.fr
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : ISABELLE CALMETS
ÉDITO

TITANESQUE
TEXTES : DAVID FAKRIKIAN , FRANÇOIS GRELET, PIERRE LUNN, LUZ

SITE INTERNET
DAVID CAPELLE : Digital manager
DIRECTION, ÉDITION
REGINALD DE GUILLEBON : Directeur de la publication
LAURENT COTILLON : Directeur exécutif
FRÉDÉRIC TEXIER : Responsable financier
FABRICATION
CREATOPRINT - ISABELLE DUBUC – 06 71 72 43 16
SUPPLÉANTE : Sandrine Bourgeois

C
MARKETING
PAULINE PARNIÈRE : Directrice marketing – 01 70 36 09 98
pauline.parniere@lefilmfrancais.com
ADELINE KUYTEN : Chef de projet junior – 01 70 36 09 99
PUBLICITÉ
MEDIAOBS – 44 rue Notre-Dame des Victoires – 75002 Paris - Tél : 01.44.88.97.70 e fut un tremblement de terre dans le paysage
– Fax : 01.44.88.97.79 – mail pnom@mediaobs.com. Pour joindre par téléphone votre
correspondant, composez le 01 44 88 suivi des 4 chiffres entre parenthèses hollywoodien. Le genre de secousse sismique
DIRECTRICE GÉNÉRALE : Corinne Rougé (93 70)
DIRECTRICE COMMERCIALE : Sandrine Kirchthaler (89 22)
DIRECTEUR DE PUBLICITÉ : Arnaud Depoisier (97 52)
qui marque le passage à une nouvelle ère.
DIRECTEUR DE PUBLICITÉ : Romain Provost (89 27)
CHEF DE PUBLICITÉ DIGITAL : Tony M’hamed (97 79) Le 14 décembre 2017, Walt Disney Company annonçait
STUDIO : Brune Provost (89 13)
COMMANDE ANCIENS NUMÉROS
racheter la plupart des actifs de la Fox. Un an et demi plus
Tél. : 03 88 66 28 63 tard, à la mi-mars, c’était officiel. Le studio appartenait à
ABONNEMENT
Tarif standard 1 an France métropolitaine : 49,99 € pour 11 parutions Mickey. Au-delà des franchises encore exploitées, au-delà
Tarif avec Hors-séries 1 an France métropolitaine : 64,99 € pour 11 parutions du numéro régulier
+ 3 hors-séries. Tarifs autres destinations sur demande auprès du service abonnements. des séries et des chaînes télé, la firme aux grandes oreilles
SERVICE ABONNEMENTS :
Gérez vos abonnements, abonnez-vous, réabonnez-vous ou posez vos questions : mettait la main sur un trésor. Une mythologie culturelle
Par internet : www.premiere.fr (rubrique « Abonnez-vous »)
Par téléphone : 03 88 66 28 63 (France) – (00 33) 3 88 66 28 63 (étranger) totalement à part, un imaginaire pop qui aura façonné notre
Ouvert du lundi au jeudi de 9 h à 12 h et de 13 h à 18 h, le vendredi de 9h à 12h et de 13h à 16h.
Par email : premiere@abopress.fr
Par courrier : Première abonnements – 19, rue de l’Industrie – BP 90053 -
inconscient cinéphile et se reconnaît à son logo (et ses
67402 ILLKIRCH CEDEX projecteurs qui trouent le ciel) et à sa fanfare. La Fox pos-
Abonnements Suisse : 1 an (11n°) : 68 CHF. EDIGROUP – Rue Peillonnex 39 –
1225 Chêne-Bourg sède en effet l’un des catalogues de films les plus riches
Tél. : 022 860 84 01 abonne@edigroup.ch
Abonnements Belgique : 1 an (11N°) : 60 €. EDIGROUP – Bastion Tower Étage 20 – du cinéma américain, l’un des plus variés aussi, allant de
Pl. du Champs de Mars 5 – 1050 Bruxelles. Tél. : 070/ 233 304 – www.edigroup.be –
abonne@edigroup.be
Abonnements Canada : EXPRESS MAG, 8275 Avenue Marco Polo, Montréal,
John Ford à Alien, de Marilyn Monroe à James Cameron,
QC H1E 7K1, Canada
Tél. : (514) 355-3333 ou (1) 800 363-1310 (français) ; (1) 877 363-1310 (anglais).
de Cléopâtre à L’Âge de glace.
Fax : (514) 355-3332. Prix : 1 an 59,99 $, USA. Prix : 1 an 59,99 $, Canada (TPS et TVQ non
incluses). « Première » ISSN 2553-8039, is published monthly (11 times per year, Avec plus de 3  600 films produits depuis 1935, la 20th
except August) by Première SAS, c/o Distribution Grid, 600 Meadowlands Parkway, Unit 14,
Secaucus, NJ 07094 USA Periodicals Postage paid at Secaucus, NJ. Postmaster : Century Fox fut l’une des usines à rêves les plus prolifiques
Send address changes to “Première”, c/o Express Mag, PO Box 2769,
Plattsburgh, NY, 12901-0239. de Hollywood. C’est cette histoire, cette diversité, cette
VENTE DÉPOSITAIRE
ISSN 2553-8039. Tous droits de reproduction textes et photos réservés légende qu’on a voulu rappeler et raviver dans ce numéro,
pour tous pays sous quelque procédé que ce soit. Commission paritaire :
n° 0923 K 82451. Imprimé en Belgique par Renny-Roto sa, Rue de Rochefort 211, à l’heure où une page se tourne définitivement...
5570 Beauraing. Dépôt légal : juillet 2019 – Distribution Presstalis.
DIFFUSION
PAGURE PRESSE : XAVIER FOUCARD, ÉRIC BOSCHER, VALENTIN MOREAU
ADRESSE LA RÉDACTION
105, rue La Fayette, 75010 Paris.
IMPRIMÉ PAR ARTIGRAFICHE BOCCIA SPA - SALERNO
Ce magazine est édité par : Première Média SARL,
au capital de 10 000 €, 105, rue La Fayette,
75010 Paris, RCS Paris 820 201 689.
Provenance papier : Italie Verzuolo.
Qualité : Unoweb White Bulk 65 g.
Taux de fibre recyclé : 0%.
Eutrophisation : 0,011 kg/TO de papier.

Juillet—Août 2019 3

003_PREMIERE_HS9_edito.indd 3 29/05/19 14:45


SOMMAIRE HORS-SÉRIE N°9 - JUILLET–AOÛT 2019
08 14

LE STUDIO LE STUDIO
DE DARRYL F. DE TOUS
ZANUCK LES RISQUES

40 46 56

LE STUDIO LE STUDIO LE STUDIO


DE TOUS DE L’ANIMATION DES (NOUVEAUX)
LES COMBATS SUPERHEROS

4 Juillet—Août 2019

004P005_PREMIERE_HS9_sommaire.indd 4 29/05/19 12:49


20 24 30

LE STUDIO LE STUDIO LE STUDIO


DES QUI A PRODUIT DES
RÉVOLUTIONS STAR WARS BLOCKBUSTERS

62 68 77

LE STUDIO LE STUDIO LES TOPS


À LA FANFARE DE MARILYN DU STUDIO

Juillet—Août 2019 5

004P005_PREMIERE_HS9_sommaire.indd 5 29/05/19 12:50


LE STUDIO
PAR EXCELLENCE

FOX TROTTE, ENCORE La 20th Century Fox fut bien plus qu’une simple
machine anonyme à usiner de la pellicule. Le studio
de William Fox et de Darryl F. Zanuck réussit à
s’imposer comme le véritable auteur de ses films.
u PAR PIERRE LUNN

006P007_PREMIERE_HS9_INTRO.indd 6 29/05/19 11:36


À
l’heure des franchises et des qui trouent le ciel a fait partie des quatre ou artistiques (Cléopâtre, le CinémaScope),
films de properties, au moment cinq grandes majors de Hollywood, on le encore lui ; Marilyn Monroe, toujours lui...
où la standardisation et l’anony­ doit à deux hommes : William Fox, qui fabri­ Zanuck fut un souverain dont le long règne
mat règnent sans partage sur le qua le studio et signa les plus grands noms marqua non seulement l’usine à rêves, mais
cinéma mondial, on l’a un peu de l’époque (Murnau ou Ford) ; et Darryl F. aussi la nation. Sans doute n’y a­t­il pas de ha­
oublié, mais il fut une époque Zanuck, qui, à partir du milieu des années 30, sard si ce roi assura la continuité par la lignée
où les studios étaient de véri­ hissa l’entreprise au firmament. Moins familiale. Pas de hasard non plus si, face à
tables «  auteurs  ». À Hollywood, chaque romantique qu’Irving Thalberg, moins obses­ Rupert Murdoch, qui au milieu des années 80
major avait son style, sa manière, sa politique. sionnel que David O. Selznick, Zanuck était racheta l’empire, c’est de Zanuck que se récla­
Chacune avait ses réalisateurs fétiches, ses un patron absolu, un dictateur sans complexe mera Bill Mechanic, le producteur de Fight
scénaristes et ses stars qui donnaient une cou­ et un homme controversé. Fonda ne pouvait Club et de Titanic.
leur particulière aux films, les différenciant pas le sentir. La carrière d’Otto Preminger C’est cette histoire, l’histoire d’un studio pas
du reste des productions... manqua d’être brisée à cause de lui. Mais comme les autres, que l’on vous propose de
Dans le cas de la Fox, c’était flagrant. Le c’était un génie qui savait s’entourer des meil­ feuilleter dans ces pages. L’histoire, aussi,
studio fut à chaque moment de son histoire leurs et qui sut se démarquer de la production d’une politique et des auteurs (réalisateurs
dans les bons coups, sachant s’adapter aux courante, en la réanimant avec des bribes de comme producteurs) qui furent à l’origine des
exigences du marché tout en innovant tou­ réel, de social. Le film noir des années 40, plus grands films du cinéma hollywoodien et
jours plus. Et si la compagnie aux projecteurs c’est lui ; les paris technologiques, les défis dont l’esprit brille encore. u

Le studio de William Fox,


la Fox Film Corporation, en 1926

© TWENTIETH CENTURY FOX

006P007_PREMIERE_HS9_INTRO.indd 7 29/05/19 11:36


Darryl F. Zanuck

008-012_PREMIEREHS9-zanuck.indd 8 29/05/19 12:24


LE STUDIO DE DARRYL F. ZANUCK

LA LOI DU PLUS FOX La 20th Century Fox, c’est lui : Darryl Francis
Zanuck (1902-1979), producteur flamboyant,
dont la légende est purement hollywoodienne.
Un producteur bigger than life, cigare au bec,
maillet de polo au poing, coureur de jupons
© TWENTIETH CENTURY FOX

infatigable… Et impliqué dans quelques-unes


des révolutions du cinéma. u PAR SYLVESTRE PICARD

Juillet—Août 2019 9

008-012_PREMIEREHS9-zanuck.indd 9 29/05/19 12:24


LE STUDIO
D E D A R R Y L F. Z A N U C K

LES ANNÉES 20 : GAGS, CHIENS,


GANGSTERS ET CHANTEURS DE JAZZ
Une partie de la légende de Darryl F. Zanuck s’écrit
dans son ascendance : son grand-père maternel, Henry
Torpin, faisait remonter sa lignée au bandit anglais du
début du XVIIIe siècle, Dick Turpin, fameux voleur de
chevaux. De fait, ce grand-père a appris au jeune Darryl
à chasser et à monter à cheval, lui donnant le goût de
l’aventure. Ses parents (un gérant d’hôtel du Nebraska
alcoolique et joueur et une femme volage et délaissée),
protestants, lui ont transmis le rêve de presque tous les
jeunes Américains du début du XXe siècle. Celui de la
Californie. Après une première expérience de figurant
à l’âge de 6 ans (sa mère, séparée de son père, l’emmène
à Los Angeles), il revient dans le Nebraska. Et s’enga-
gera dans la Garde nationale pour partir se battre en
France en 1917, alors qu’il n’a que 15 ans, réussissant à
duper le recrutement. Passionné de boxe, il rêve pour-
tant d’être écrivain. De retour aux États-Unis, il s’ins-
talle à nouveau à Los Angeles. Suivent des nouvelles
dans des magazines bon marché, puis des scénarios,
dans un Hollywood alors en plein boom. Écrivain mé-
diocre, macho, viril et bagarreur, il a pourtant un flair
incroyable : le fameux Mack Sennett l’engage comme
membre de son équipe d’auteurs de gags. Il en tirera une
bonne leçon : « Le cinéma, c’est l’action. » De studio en
studio, il travaille avec Chaplin (mais l’expérience est
un désastre), puis Harold Lloyd, avant d’arriver chez
Warner. Il collabore alors à l’écriture d’une série de
films d’aventures dont la star est un berger allemand,
que le monde va connaître sous le nom de Rin Tin Tin
(Rintintin en VF). Le succès est phénoménal. Celui de Jack Warner, Al
gérant Sydney Kent voulait que le nouveau studio s’ap-
Zanuck aussi : il devient, à 21 ans, directeur de produc- Jolson et Darryl F. pelle Fox-20th Century, mais Zanuck et Schenck tapèrent
tion chez Warner. C’est là qu’il va commettre son pre- Zanuck du poing pour obtenir l’inverse. À partir de 1935,
mier vrai fait d’armes, quatre ans plus tard : il supervise Zanuck va devenir l’un des plus importants producteurs
le tournage du Chanteur de jazz (1927), le premier film de Hollywood, si ce n’est le plus important. L’écurie de
parlant de l’histoire du cinéma, avec Al Jolson. Un tour- vedettes Fox est réduite (l’enfant star Shirley Temple
nant. Le succès du cinéma parlant va renforcer le rôle est le plus gros atout du studio), et Zanuck ne parvient
des producteurs, car le nombre de techniciens augmente. pas à engager Errol Flynn, Fred Astaire, Clark Gable
Zanuck supervise jusqu’à 70 films par an. Il va égale- ou encore Cary Grant. Fumant le cigare, trimballant
ment lancer les carrières de James Cagney et Edward avec lui un maillet de polo (son sport favori qu’il prati-
G. Robinson grâce à deux films de gangsters, L’Ennemi quera jusqu’à un violent accident), il s’engueule souvent
public et Le Petit César (sortis tous deux en 1931). avec John Ford (le producteur lui donnera en punition la
tâche de tourner La Mascotte du régiment avec Shirley
LES ANNÉES 30-40 : RENARD EN GUERRE Temple) mais lui confiera la réalisation des Raisins de
Mais Zanuck sent bien qu’il ne pourra jamais faire partie la colère avec Henry Fonda. Zanuck s’était aussi dis-
des dirigeants de la Warner, menée par les frères Jack, puté avec Fonda sur Le Brigand bien-aimé, mais il voit
Sam, Harry et Albert. En 1933, à l’occasion d’une crise bien qu’il y a un film surpuissant en germe (d’autant que
syndicale qui secoue Hollywood, il quitte le studio Sam Goldwyn, boss de la MGM, a rejeté l’adaptation du
et fonde Twentieth Century Pictures avec le puissant roman de Steinbeck car il n’y voyait que de la « propa-
Joseph M. Schenck. Leurs films sont distribués par gande rouge »). Le producteur réécrira toutefois la fin
United Artists. Bouillonnant d’idées, Zanuck s’investit prévue par le scénariste Nunnally Johnson pour la rendre
à tous les niveaux du film, du scénario au montage, moins politique, et le film remportera deux Oscars.
avec l’aide de sa fidèle monteuse Barbara « Bobbie » Engagé dans l’armée américaine en 1941, Zanuck
© TWENTIETH CENTURY FOX

MacLean. Insatisfait par le deal avec United Artists et retrouvera John Ford en Afrique du Nord au sein du
malgré une série de succès en salles, Twentieth Century Signal Corps (l’unité de propagande sur le terrain). Le
Pictures cherche un nouveau modèle de distribution. producteur s’emparera des rushes tournés par le cinéaste
Schenck propose en 1935 de « fusionner » avec la Fox, sur le front pour en tirer vite fait un film à son insu,
fondée par William Fox en 1915, alors moribonde. Son intitulé At the Front, et qui sera mal reçu par la critique.

10 Juillet—Août 2019

008-012_PREMIEREHS9-zanuck.indd 10 29/05/19 12:24


Au grand désespoir de Ford, qui lui aurait dit : « Si je Sur les quais d’Elia Kazan soit tourné dans ce format
meurs et que je vais au paradis, tu m’attendras là-haut car il a peur que le Scope « ne tue le cinéma narratif ».
avec un panneau “Une production Darryl F. Zanuck” ! » Il faut un film spectaculaire pour lancer ce nouveau
format : « Je ne veux pas que le CinemaScope aide les
LES ANNÉES 50 : LISTE NOIRE, histoires, je veux que les histoires aident le Cinema-
L’Ennemi public
de William Wellman CINEMASCOPE ET ÉMEUTE RACIALE Scope », dit Zanuck. Le premier film sera donc
1950 : Zanuck est au sommet. Il remporte son troisième La Tunique (1953) de Henry Koster, péplum historique
Oscar du meilleur film avec Laura d’Otto Preminger, avec Victor Mature, Richard Burton et Jean Simmons.
après Qu’elle était verte ma vallée (1941) de John Ford Énorme succès, aidé par le fait que le Scope deman-
et Le Mur invisible (1948) où Gregory Peck affronte dait très peu de modifications techniques à la salle de
l’antisémitisme de l’establishment américain. Cette cinéma, et par le fait que la chaîne de cinémas de la
année-là, Zanuck produit La porte s’ouvre, signé Fox était dirigée par le frère de Skouras. En 1955, suite
Mankiewicz, premier rôle au cinéma de Sydney Poitier à sa liaison tumultueuse avec la starlette Bella Darvi,
et premier film américain montrant une émeute raciale. Zanuck n’a plus goût à rien. Il démissionne de la Fox
Il protège Jules Dassin des menées anticommunistes de et fonde DFZ productions, dont les films sont toutefois
Spyros Skouras, boss du conseil de la Fox : il conseille toujours distribués par Fox. Il enchaînera les échecs
au cinéaste de partir à Londres tourner Les Forbans avant de revenir au premier plan avec Une île au soleil,
de la nuit (il donne même à Dassin le roman dont le qui raconte la relation entre des Blancs et des Noirs. Le
film est adapté). Si Zanuck, en bon mogul libéral, se film sera menacé de boycott dans le Sud des États-Unis,
méfiait des syndicats, il était en même temps radica- mais ce roublard de Zanuck parvint à en faire un suc-
lement opposé à la « liste noire » qui voulait virer les cès d’audace, comme il l’avait fait avec L’Héritage de la
communistes de Hollywood. Il y avait d’autres priorités. chair (1949), coréalisé par Elia Kazan et John Ford, où
Face à la concurrence de la télé, le cinéma perd du ter- l’on évoque des relations sexuelles interraciales.
rain. Il faut frapper un coup et ramener le public en
salles. La Fox décide alors de lancer à grande échelle LES ANNÉES 60 : LE JOUR LE PLUS LONG
le CinemaScope, inventé dès 1928. Zanuck refuse que C’est le dernier fait d’armes de Darryl F. Zanuck. Celui
qui a peut-être éclipsé tous les autres, par son am-
pleur et sa mégalomanie. Depuis son départ de la Fox,
« À 25 ANS, IL COMMET SON le studio enchaîne les flops. Zanuck aussi, malgré le
succès du Soleil se lève aussi tourné en Espagne d’après

PREMIER FAIT D’ARMES : Hemingway. En 1958, sa production Les Racines du


ciel, film d’aventures d’après Romain Gary tourné en

LE CHANTEUR DE JAZZ. »
Afrique par John Huston à grands frais, avec Errol
Flynn en fin de vie et Juliette Gréco (alors maîtresse

Juillet—Août 2019 11

008-012_PREMIEREHS9-zanuck.indd 11 29/05/19 12:24


de Zanuck qui essaie d’en faire une star), est un échec.
Le producteur se lance alors dans un projet monu-
mental : l’adaptation du best-seller de Cornelius Ryan,
Le Jour le plus long, qui raconte le débarquement
allié du 6 juin 1944 en Europe. La Fox accepte de ten-
ter le coup. Une pléthore de stars est réunie : Robert
Mitchum, John Wayne, Richard Burton, Arletty,
Robert Wagner, Sean Connery (pas encore James de son père est alors de produire des petits films à
Bond)... Richard, le fils de Zanuck, est chargé de faire Paris, surtout pour y placer ses maîtresses. En 1970,
la liaison entre le studio et DFZ productions. Le tour- il connaît un flop énorme avec le film de guerre à très À gauche : John
nage du film commence, entre Caen et la Corse (pour gros budget Tora ! Tora ! Tora !, l’histoire d’une défaite Wayne dans Le Jour
les scènes de plage), alors que Cléopâtre de Mankiewicz (celle de Pearl Harbour). Cette année-là, le cinéma est le plus long.
À droite : Zanuck père
est en train d’absorber tout l’argent du studio [lire ar- en crise, la Fox aussi. Au terme d’une intrigue shakes- et fils.
ticle page 14]. C’est le début d’une longue bataille entre pearienne, Zanuck fait virer son fils, qui partira chez
Zanuck et la Fox, le studio menaçant régulièrement Warner puis Universal où il produira, entre autres, Les
d’interrompre la production. Quand le budget autorisé Dents de la mer. En 1971, les sociétaires (parmi eux sa
du film (8 millions de dollars) sera dépassé, Zanuck femme Virginia dont il était séparé depuis des années)
mettra de l’argent de sa poche. C’est quitte ou double. parviennent à faire renvoyer Zanuck. Cette fois pour de
Lors du tournage d’une scène d’assaut sur l’île de Ré, bon. Trop éloigné de Hollywood. Trop de ratages. Trop
le réalisateur anglais Ken Annakin crie aux soldats bri- vieux. C’est la fin du règne des producteurs à l’ancienne,
tanniques : « Allez-y maintenant, c’est pour le roi et la la fin du Vieil Hollywood. « Alors les nababs, les dic-
patrie ! » « Non, hurle Zanuck, c’est pour la 20th Cen- tateurs, disparurent », écrit le biographe de Zanuck,
tury Fox ! » Zanuck s’essaiera à la réalisation pour la Leonard Mosley. Louis B. Mayer et Jack Warner dispa-
première fois sur le tournage, avec l’aide d’Annakin. raissent à la même époque. En décembre 1979, Zanuck
Le destin du film se joue en juillet 1962 : pour pouvoir meurt d’une pneumonie. Lors de son enterrement, une
continuer à tourner, Zanuck se fait élire président de seule musique est diffusée : celle du Jour le plus long. u
la Fox après une intense campagne de lobbying et un
vote sur le fil du rasoir. Le Jour le plus long sortira
finalement en septembre et connaîtra un gros succès.
Zanuck fait nommer son fils directeur de la production.
Son premier job sera de se débarrasser de Cléopâtre EN 1971, C’EST LA FIN DU
(Mankiewicz accusera Zanuck d’avoir massacré le film
RÈGNE DES PRODUCTEURS
© TWENTIETH CENTURY FOX

« avec son maillet de polo »), qui sortira en juin 1963.

À L’ANCIENNE, LA FIN
Zanuck perd peu à peu le contact avec le cinéma : il
passe son temps entre Paris et la Côte d’Azur, tandis

DU VIEIL HOLLYWOOD.
que Richard lance French Connection, M.A.S.H., Butch
Cassidy et le Kid, La Planète des singes... La passion

12 Juillet—Août 2019

008-012_PREMIEREHS9-zanuck.indd 12 29/05/19 12:24


Titanic
de James Cameron

14

014-019_PREMIEREHS9-COUP DE POKER.indd 14 29/05/19 12:31


LE STUDIO DE
TOUS LES RISQUES

SAUVES
DU NAUFRAGE
Derrière l’opulence, derrière l’excès et la folie, à plus
de trente ans de distance, Cléopâtre et Titanic marquaient
l’aboutissement d’une logique de studio et incarnaient
© TWENTIETH CENTURY FOX

paradoxalement la volonté de la 20th Century Fox


de laisser s’exprimer un auteur. Retour sur deux mythes
ultimes de cinéma. u PAR FRANÇOIS GRELET

Juillet—Août 2019 15

014-019_PREMIEREHS9-COUP DE POKER.indd 15 29/05/19 12:31


L
Cléopâtre
a coïncidence est parfaitement ils sont probablement l’incarnation la plus jusqu’au- de Joseph L. Mankiewicz
troublante. C’est dans les locaux de boutiste de ce qu’est le cinéma hollywoodien, c’est-à-
la Fox que sont nés, à plus de trente- dire un édifice gigantesque où viendrait se loger un tout
cinq  ans d’intervalle, les deux films petit cœur qui bat. Contrairement à Autant en emporte
les plus chers du XXe siècle. Ce sont le vent, Ben-Hur ou Le Magicien d’Oz, animés par la
ces mêmes locaux que Spyros Skouras, mégalomanie de leurs producteurs, ils contiennent
patron du studio, hypothéquera pour intacts, à l’intérieur de leur énooooorme carapace indus-
finir le tournage de Cléopâtre, après trielle, la sensibilité et l’intelligence de leur seul metteur
avoir constaté que le budget du film lui en scène. Contrairement à La Porte du paradis, ils ont
avait une énième fois échappé, et juste eu l’élégance de ne pas mettre leur studio sur la paille
avant de se faire virer après vingt ans et d’attirer les foules en salles, un peu plus dans un cas
de règne. C’est aussi dans ces lieux que que dans l’autre, mais tout de même. Ils sont ainsi de
le chief executive, Bill Mechanic, exsangue et redoutant pures exceptions, de l’orfèvrerie à grande échelle, des
que Titanic ne rapporte pas un kopeck, signera un tragédies qui se concluent sur un happy end, des tours de
accord de codistribution avec la Paramount, privant force qui ne se reproduiront pas de sitôt. Malgré le pres-
ainsi la Fox de plusieurs centaines de millions de dollars tige et la postérité ahurissante, ils sont restés des proto-
de bénéfices quelques mois plus tard. types solidement ancrés dans leurs temps. Personne n’a
Dans le cas de Cléopâtre, faux bide notoire, comme jamais voulu refaire son Cléopâtre ou son Titanic (à
de Titanic, vrai méga triomphe, le studio à la fanfare part ce grand fou de Michael Bay), parce que tout le
a passé une grande partie des tournages à naviguer à monde a immédiatement saisi le caractère profondé-
vue : les films étaient devenus au fil de leur fabrication ment unique de ces deux œuvres.
à ce point gigantesques, monstrueux, labyrinthiques,
que leur chef de chantier était tout simplement irrem- Films d’auteur
plaçable. Impossible de virer Joseph L. Mankiewicz, D’ailleurs, n’hésitez pas à faire les comptes et le tour des
© TWENTIETH CENTURY FOX

impossible de se séparer de James Cameron. Ne restait sites qui recensent la liste des dix ou des cinquante films
plus alors qu’à signer des chèques encore et toujours les plus chers de tous les temps : au-delà de tout critère
et puis, surtout, à chercher de l’argent partout où on le qualitatif n’apparaissent que des caprices de studios,
pouvait. Cléopâtre et Titanic sont un peu plus que des de producteurs ou de superstars. Des films d’auteur, en
« chefs-d’œuvre » ou des « monuments du cinéma », revanche, il n’y en a que deux : Cléopâtre et Titanic.

16 Juillet—Août 2019

014-019_PREMIEREHS9-COUP DE POKER.indd 16 29/05/19 12:31


LE STUDIO DE
CLÉOPÂTRE TOUS LES RISQUES

ET TITANIC SONT Elizabeth Taylor et Richard Burton


DE PURES sur le tournage de Cléopâtre

EXCEPTIONS,
DE L’ORFÈVRERIE À
GRANDE ÉCHELLE.
C’est logique, il faut être au moins Joe Mankiewicz ou
Jim Cameron, c’est-à-dire un surhomme, pour absorber
une telle pression tout en restant fidèle à sa vision. Pour
Hollywood, évidemment, on a affaire à des aberra-
tions, de dangereuses anomalies que l’on se doit d’éra-
diquer sur le champ. Elles sont le symbole du moment
où l’artiste prend le contrôle sur l’industrie et où un seul
homme peut en mettre des milliers d’autres au chômage.
Cléopâtre et Titanic fonctionnent de fait comme l’épi-
taphe de leurs époques respectives : après eux, et malgré
le succès (relatif du premier, monumental du second),
vint la restauration, le reboot immédiat du système. Plus
jamais ça. Les deux films bornent ainsi l’histoire de
Hollywood, peut-être même de ce siècle.
La passion adultère entre Liz Taylor et Richard Burton,
née pendant le tournage de Cléopâtre, aura fait basculer
le star-system dans la paparazzade et les plateaux de
cinéma dans la dinguerie paranoïaque. Les stars ne sont
plus des icônes qu’on encadre dans sa chambre mais des
peoples dont on lit les amourettes au salon de coiffure.
Une certaine idée du cinéma et de son pouvoir de fasci-
nation s’évanouit dans les baisers fougueux échangés
entre Marc Antoine et la reine d’Égypte. C’est aussi le
moment clé où le business se rend compte qu’il est beau-
coup trop petit pour supporter son époque inflationniste
et que, lorsque des films commencent à coûter ce prix-là
(l’équivalent de 400 millions de dollars aujourd’hui),
alors il vaut mieux savoir se diversifier. Moins de
cinq ans après la sortie du Mankiewicz, l’homme d’af-
faires Dennis Stanfill sera nommé à la tête de la Fox. Elizabeth Taylor
Dès que le moindre dollar de bénéfice tombera dans
l’escarcelle de la société, il sera immédiatement réin-
vesti dans des affaires autrement plus sûres, comme
l’immobilier ou les boissons gazeuses. Les studios com-
prennent subitement que les films ne suffisent plus au
business du cinéma. Cléopâtre aura ramené les boursi-
coteurs et les diplômés d’écoles de commerce au cœur
des collines de Hollywood. Ils y sont toujours.

Le dernier Titanic
L’immense bassin géant construit sur le bord de mer de
Rosarito Beach pour que James Cameron puisse y déposer
son paquebot conduira de son côté le genre blockbuster
vers l’obsession des fonds verts et du tout-numérique.
La grosse piscine fut facturée à elle seule 40 millions
de dollars à la Fox. C’était évidemment une folie à la-
quelle on peut ajouter une réplique du bateau bâtie qua-
siment à la même échelle. Le package coûtait donc un
bras avant même que ne soit donné le premier coup de
manivelle. Après ça, les décors « en dur », la figuration

Juillet—Août 2019 17

014-019_PREMIEREHS9-COUP DE POKER.indd 17 29/05/19 12:31


LE STUDIO DE
TOUS LES RISQUES

Titanic
de James Cameron

à la kilotonne et tous les ornements de production qui


faisaient depuis les origines la grandeur du cinéma US,
devinrent une anomalie, presque une prise de risques in-
sensée. Peu importe le triomphe de Titanic, la puissance
de calcul des ordinateurs allait débarrasser à jamais
les executives de ces dépenses délirantes. Esthétique-
ment, la donne sera changée à jamais. À la différence
de Mankiewicz, le réalisateur d’Abyss avait cependant
prémédité l’aspect testamentaire de son film : Titanic
était conçu pour raconter l’histoire du XXe siècle et sa
soif dévorante de technologie, mais aussi pour le para-
chever (en s’inscrivant notamment dans une pure forme
hollywoodienne de plus en plus agonisante). Cameron
aura réussi son coup au-delà de toutes ses espérances :
plus jamais Hollywood ne saura fabriquer de nouveau
un film comme Titanic. Et lui non plus d’ailleurs. La

JAMES CAMERON
fin de l’ingénierie dans le cinéma grand spectacle
débute ici, sur un plateau commandé par James Cameron
–  précisément le plus grand ingénieur qu’ait jamais

« Titanic a moins
connu Hollywood.
La coïncidence est vraiment très troublante. C’est dans
les locaux de la Fox que sont nés, à plus de trente-
cinq ans d’intervalle, les deux films qui auront sonné le
glas du classicisme hollywoodien, emportant dans leur

coûté à la minute
démesure toutes les boussoles esthétiques, narratives et
industrielles de ce qui fait désormais l’ancien temps. Ils
ont beau commencer sur un air de fanfare, Cléopâtre et
Titanic ne sont rien d’autre que des lamentos. u

CAMERON AURA
que Speed 2 »
RÉUSSI : PLUS JAMAIS Notre collaborateur David Fakrikian a écrit
HOLLYWOOD NE un livre-somme sur James Cameron.
Dans cet ouvrage, James Cameron, l’odyssée
SAURA FABRIQUER d’un cinéaste (éditions Fantask), le réalisateur
© TWENTIETH CENTURY FOX

démystifie le tournage de Titanic et revient


DE NOUVEAU UN FILM sur le pari financier qu’a représenté à l’époque
son chef-d’œuvre. Extrait.
COMME TITANIC.
18 Juillet—Août 2019

014-019_PREMIEREHS9-COUP DE POKER.indd 18 29/05/19 12:32


Kate Winslet,
Leonardo DiCaprio
et James Cameron
sur le tournage
de Titanic

effet de changer la manière dont je suis


perçu par les critiques, mais tout ce qui
m’intéresse, c’est de raconter une histoire.
Et j’ai vraiment ressenti, au fond de la
mer, en voyant l’épave du vrai Titanic, que
celle-ci demandait une particulière mise en
priorité des valeurs. Le côté émotionnel du
On dit, et cela devient une habitude et je ne connais que le coût réel de mon film, l’aspect humain, était pour moi beau-
avec vos projets, que Titanic est le film film, qui est de plus très long. Alors, si vous coup plus intéressant que l’aspect technique
le plus cher de l’histoire du cinéma. voulez, au kilo (Rires.), Titanic a moins du désastre.
Peut-il prétendre à cet honneur et coûté à la minute que Speed 2 et Starship
pouvez-vous nous donner les chiffres Troopers. Je crois que si on les ajustait à l’in- Mais, malgré cela, le film est un
réels ? flation d’aujourd’hui, des films épiques des festival d’effets spéciaux. Vos
Qu’il soit le plus onéreux de toute l’histoire années 30, 40 et 50, comme Spartacus par détracteurs vous rétorqueront
du cinéma dépend de la manière dont vous exemple, coûteraient au moins autant, pour que cette débauche de technologie
regardez les choses. Il a coûté un peu plus faire les mêmes images, que Titanic au- se met en travers de l’émotion
de 199 millions de dollars. Vous pouvez ar- jourd’hui. Les hausses en spirale des coûts et des sentiments.
rondir à 200 millions, mais, s’il vous plaît, de production créent aussi ce phénomène. Je ne pense pas que les effets spéciaux
pas à 250 millions ou même 300 millions, Chaque année, un « film le plus cher de soient antinomiques de cinéma intimiste.
comme certaines personnes s’amusent à le l’histoire du cinéma » semble surgir à nou- Beaucoup de gens pensent que l’on doit
faire. Le budget initial était fixé à 125 mil- veau. Mais cela n’est pas grave, tant que les faire soit des films plein d’effets spéciaux
lions. Les dépassements ont principalement entrées suivent. et d’action pour les enfants et les adoles-
été dus aux effets spéciaux et aux frais de cents, soit des films intimistes et drama-
construction des studios et des plateaux Des critiques avancent que vous avez tiques pour adultes. Je ne fais pas cette
qui, d’après le Guinness des records, sont privilégié l’histoire d’amour dans distinction. Une de mes scènes préférées
les plus grands du monde (ce que nous avons le film pour changer votre image est celle où le couple s’embrasse à l’avant
découvert après la construction). Je ne suis de réalisateur d’effets spéciaux et du bateau. C’est un moment très émouvant,
pourtant pas sûr qu’il soit le plus onéreux de de roi incontesté de l’action. mais truffé d’effets spéciaux. Ceux-ci ont
l’histoire ni même le plus onéreux de 1997. Je ne pense pas qu’il soit sain pour un met- été créés pour exprimer les sentiments inté-
Différentes sources bien informées m’ont teur en scène de penser à son image, ou de rieurs des personnages à l’image. La mer est
dit que Batman & Robin aurait en fait coûté chercher à la changer. Mon « image » n’a virtuelle, les acteurs, devant un écran vert...
235 millions de dollars ! Mais je ne peux absolument aucune signification. La seule C’est une scène très technique, mais qui a
pas le confirmer. Certains studios sont plus chose qui compte, c’est ce qui est dans le un effet émotionnel intense. Il n’y a donc
doués que d’autres pour cacher les chiffres, film. Titanic va certainement avoir pour aucune contradiction entre les deux. u

Juillet—Août 2019 19

014-019_PREMIEREHS9-COUP DE POKER.indd 19 29/05/19 12:32


Avatar
de James Cameron

020-023_PREMIEREHS9-TECH.indd 20 29/05/19 14:51


LE STUDIO
DES RÉVOLUTIONS

FILMS
CONDUCTEURS
© GIANT STUDIOS - LIGHTSTORM ENTERTAINEMENT - TWENTIETH CENTURY FOX

Dès sa création, la Fox s’est piquée de nouvelles technologies.


Pour imposer la 20th Century Fox au sein de l’industrie,
pour marquer sa différence et prendre les autres majors
de court, le studio aura été de toutes les révolutions techniques.
Flash-back. u PAR LA RÉDACTION

Juillet—Août 2019 21

020-023_PREMIEREHS9-TECH.indd 21 29/05/19 14:51


1900 1910 1920 1930 1940 1950

1914 1953
Gertie le dinosaure invente l’animation
et la technique des images clés permettant
de ne pas reproduire les images de décor
pour chaque plan. Mais surtout, ce film
1927
Le procédé Movietone permet
Pour concurrencer la
démocratisation de la télé,
la Fox investit dans le
CinemaScope et va jusqu’à offrir
mélange pour la première fois animation l’enregistrement du son sur aux exploitants de l’époque
et live [Lire article page 46]. la même surface que l’image. de nouveaux écrans et projecteurs.
C’est Murnau qui l’expérimente Les dépenses sont colossales,
pour la première fois sur L’Aurore. les biens du studio sont
hypothéqués. Ouf ! La Tunique,
premier long métrage diffusé
en Scope, sera un immense
triomphe.
© LUCAS FILMS - TWENTIETH CENTURY FOX / DR

22 Juillet—Août 2019

020-023_PREMIEREHS9-TECH.indd 22 29/05/19 14:52


LE STUDIO DES
RÉ VOLUTIONS

1960 1970 1980 1990 2000 2010

1977 2009
La Guerre des étoiles invente
le « mixage blockbuster » sur
une console magnétique 6 pistes.
Quelques années avant la
1989
James Cameron et son Abyss
James Cameron et son Avatar
font basculer le blockbuster
dans le cinéma virtuel. L’ère de la
démocratisation du 5.1, George motion capture débute précisément
font basculer le blockbuster ici, dans des vaisseaux, face à des
Lucas équipe les copies 70 mm dans l’imagerie numérique. L’ère
de son film d’un mix visiblement aliens tout bleus et pacifistes.
des films en CGI débute précisément
supersonique qui défrise le public. ici, dans un sous-marin, face
Aucune édition home cinema à des aliens aqueux et pacifistes.
du film ne s’alignera là-dessus,
même estampillée THX.

2001
Star Wars, Épisode I : La Menace
fantôme, premier film, après Vidocq,
à être tourné intégralement en
numérique haute définition.

Star Wars, Épisode I :


La Menace fantôme

Juillet—Août 2019 23

020-023_PREMIEREHS9-TECH.indd 23 29/05/19 14:52


La Guerre des étoiles
de George Lucas

24

024-029_PREMIEREHS9-STAR WARS.indd 24 29/05/19 11:23


LE STUDIO
QUI A PRODUIT
STAR WARS

LE POUVOIR
DE LA FOX
Des « Big 5 », seule la 20th Century Fox accepte
de produire La Guerre des étoiles et de financer
la folie de George Lucas. Du premier pitch à
la première projection test, récit d’un coup
de poker, des multiples bras de fer entre les
executives et le cinéaste, et d’une aventure
apocalyptique dont le studio ne sortira pas
© LUCAS FILMS

forcément gagnant. u PAR DAVID FAKRIKIAN

Juillet—Août 2019 25

024-029_PREMIEREHS9-STAR WARS.indd 25 29/05/19 11:23


S
Anthony Daniels,
tar Wars est un mélange de Law- Lucas n’a alors qu’un synopsis d’une quinzaine de Mark Hamill
rence d’Arabie, James Bond et pages, fort éloigné de ce que deviendra La Guerre des et Alec Guiness
2001, l’odyssée de l’espace. » étoiles au final. Pourtant, l’idée générale est là. Le projet sur le tournage de
La Guerre des étoiles
Ainsi commence l’histoire de semble mal en point quand par miracle, le studio
la saga la plus populaire du ci- Fox, dix jours après qu’Universal a signifié son refus,
néma. Par un pitch, hautement accepte de le prendre clé en main. Cette décision, on
improbable, balancé durant l’été la doit à un seul homme, Alan Ladd Jr, le président du
1973. George Lucas n’a pas en- studio, qui flaire la bonne affaire juste après avoir dé-
core sorti American Graf- couvert American Graffiti quelques jours avant sa
fiti qu’il tente déjà de placer sortie. Surtout, Ladd est le premier à saisir tout le
son projet suivant, alors inti- talent de George Lucas : « Pendant qu’il me pitchait
tulé The Star Wars, auprès des son film, à plusieurs reprises, George s’est arrêté
studios. United Artists, qui, en 1971, s’était tout d’abord et m’a dit : “Cette scène sera comme L’Aigle des
engagé, l’avait finalement refusé tout en sachant qu’il mers ; celle-ci comme Capitaine Blood, et celle-là
s’agissait d’un film à la puissance de feu universelle. comme Flash Gordon”, se souvient Alan Ladd Jr
La raison ? Le coût des effets spéciaux, jugés exorbi- Je savais exactement de quoi il parlait. Ça m’a
tants, et présentant un risque financier majeur. Du côté convaincu et j’ai senti à ce moment-là qu’il serait
d’Universal, même argument, ou presque. Le studio capable de mener à bien le projet. »
comprend immédiatement qu’il s’agit d’un film très Si Ladd essuie quelques critiques de ses subal-
prometteur, mais les executives émettent certaines ternes à la Fox, la sortie d’American Graffiti en
réserves : leur expérience avec Lucas sur la production août 1973 et son immense succès confirment sa
© LUCAS FILMS

d’American Graffiti a été catastrophique et ils ne sont décision. Le patron de la Fox a engagé Lucas au rabais :
pas convaincus de sa capacité à réussir le film... le cinéaste gagne 150 000 $ (50 000 $ pour l’écriture,

26 Juillet—Août 2019

024-029_PREMIEREHS9-STAR WARS.indd 26 29/05/19 11:23


LE STUDIO QUI
A P R O D U I T S TA R W A R S

Dessins
préparatoires

Les coûts s’accumulent, le prix du film augmente dra-


matiquement. La valse-hésitation continue et, malgré le
feu vert, le studio hésite même à abandonner le projet.
Quand Lucas lance le tournage en mars 1976, c’est sur
ses propres fonds, sans avoir l’approbation du studio,
une technique qu’il a apprise avec son mentor Francis
Ford Coppola. « Nous avons commencé à tourner, en
leur disant que c’était parti, qu’ils nous suivent ou pas,
expliquait le producteur Gary Kurtz. Nous avons mis
les gens de la Fox dos au mur, et ils ont dû prendre une
décision. »

Projection test
Flash-forward. Nous sommes au début de l’année 1977.
La nouvelle date de sortie approche et George Lucas
continue d’accumuler les difficultés : dépassement de
budget, problèmes avec les effets spéciaux... Pour cal-
mer les dirigeants de la Fox et rassurer Alan Ladd Jr,
une première projection est organisée à San Anselmo.
Tout le gratin du studio est là, ainsi qu’un petit cercle
d’amis du réalisateur. À l’entrée de la salle, on peut voir
Steven Spielberg, Brian De Palma, John Milius, Jay
Cocks (critique pour le magazine Time et scénariste),
Roy Thomas (scénariste et éditeur de comics) et Howard

PENDANT LES DEUX ANS


ET DEMI D’ÉCRITURE DU
SCRIPT, LE STUDIO
MENAÇAIT D’ANNULER.
et 100 000 $ pour la réalisation), et son producteur Gary
Kurtz 50 000 $. Après le succès d’American Graffiti,
et pour s’assurer que son nouveau poulain ne parte
pas ailleurs, Ladd est prêt à revoir le salaire de Lucas
à la hausse et lui propose 500 000 $. Mais Lucas re-
fuse en échange des droits et du contrôle sur les suites
éventuelles. Le tout est négocié par l’avocat de George
Lucas, Tom Pollock. Et ces décisions sont évidemment
acceptées par les actionnaires de la 20th Century Fox.
Évidemment, quatre ans avant la sortie, personne ne
pense que Star Wars va devenir une énorme franchise.

Dos au mur
Il faudra à George Lucas plus de deux ans et demi de
développement, jusqu’à l’hiver 1975, pour finir son
script. Deux ans et demi durant lesquels le studio me-
nace d’annuler la production, au regard des problèmes
logistiques et des dépassements de budget que les fan-
tasmes du cinéaste couchés sur papier dans les diffé-
rentes versions du script ne manquent pas de provoquer.
Lucas est forcé de réviser ses ambitions à la baisse,
jusqu’à ce que, le 17 décembre 1975, le studio valide
le projet. La partie n’est pourtant pas encore gagnée... George Lucas sur le tournage en 1976

Juillet—Août 2019 27

024-029_PREMIEREHS9-STAR WARS.indd 27 29/05/19 11:23


LE STUDIO QUI
A P R O D U I T S TA R W A R S

Chaykin, qui dessine l’adaptation à un second film Star Wars avant même que Lucas ait
en BD pour Marvel. Tout le monde fini le premier épisode. « Alors qu’on était en train de
piétine devant la salle, mais ce que terminer le tournage, Alan Ladd Jr pensait déjà aux
ces premiers spectateurs vont dé- suites, expliquait le producteur Gary Kurtz en 1999. Son
couvrir est une copie inachevée. idée était que l’on garde les décors, et qu’on lance immé-
Les effets spéciaux ne sont pas fi- diatement le tournage d’une sequel à petit budget, avec
nalisés et n’ont pas été intégrés dans le un autre casting. Évidemment, nous avons refusé. Pour
film. Dans la confortable salle de pro- deux raisons : tout d’abord, nous n’avions aucun script
jection, la séance commence bien et sous la main. Ensuite, si une suite s’imposait, il fallait la
George Lucas semble confiant. Pour- faire bien, et nous étions trop occupés à tenter de finir le
tant, quand les lumières se rallument premier. » Les jours qui suivent la sortie, Lucas épuisé
au bout de deux heures, le cinéaste part en vacances à Hawaï avec sa femme, bientôt rejoint
est loin de s’attendre à ce qui va se par Spielberg. Tous les soirs, Alan Ladd Jr l’appelle en
passer. Le président de la Fox est en longue distance pour lui communiquer les chiffres sans
larmes : « C’est le plus grand film que cesse à la hausse, et tous les soirs, George Lucas l’écoute
j’ai jamais vu ! » Les dirigeants du stu- en silence, pétrifié.
dio, eux, acquiescent mollement, et certains se laissent
même aller à quelques critiques. Alan Livingston, res- Le temps des négociations
ponsable du marketing musical, demande s’il serait pos- La folie Star Wars est désormais planétaire. Mais le
sible de faire un mix disco du thème principal, histoire tournage a été une telle épreuve pour George Lucas,
de sauver ce qu’il pense être un naufrage artistique. La qu’il pense, après le succès, vendre les suites à la Fox.
direction marketing demande de son côté à ce que le « Je me suis dit que j’en avais marre, et que c’était plus
titre du film soit changé. « Le studio n’aimait pas le simple de tout vendre au studio, qu’on ne me parle plus
titre, et voulait le changer, se souvient Mark Hamill. jamais de Star Wars, expliquera Lucas des années plus
Les executives ont ensuite fait une étude de marché, qui tard. Cela aurait été le pied, je prenais mon pourcentage
a déterminé que les femmes entre 18 et 36 ans n’iraient sur les suites, sans ne plus jamais avoir à y penser. » Il
pas voir le film parce que le mot “guerre” était dans le change bien sûr d’avis, et négocie avec Fox un contrat
titre, et qu’elles n’aiment pas les films de guerre. George pour les droits de distribution de deux suites qu’il
leur a proposé d’imaginer un meilleur titre. Personne désire financer avec des emprunts bancaires. Cet exer-
n’a réussi à trouver mieux et Star Wars [La Guerre des cice périlleux le rend seul maître à bord, mais le place à
étoiles en VF] est resté. » la merci de la Fox qui, en cas de dépassement, accepte
de servir de garantie pour un nouvel emprunt bancaire,
La Force est avec Fox à condition que son pourcentage sur la distribution soit Mark Hamill, Peter
La sortie du film en mai 1977 et son très gros succès revu à la hausse. C’est évidemment ce qui va se pro- Mayhew et Harrison
prouvent qu’Alan Ladd Jr a réussi son pari. Mais ce que duire. George Lucas, pendant des années, regrettera cet Ford
l’on ne sait pas, c’est qu’il avait déjà commencé à penser accord qui ne profite qu’au studio, oubliant sans doute
© LUCAS FILMS / DR

Premier jour de sortie de La Guerre des étoiles aux États-Unis (1977)

28 Juillet—Août 2019

024-029_PREMIEREHS9-STAR WARS.indd 28 29/05/19 11:23


« LE STUDIO N’AIMAIT PAS
LE TITRE. MAIS PERSONNE
N’A RÉUSSI À TROUVER MIEUX
ET STAR WARS EST RESTÉ. »
MARK HAMILL

à quel point son contrat initial était un cadeau du ciel. Un contrat unique
Il maudira le réalisateur de L’Empire contre-attaque, C’est sur la base des droits des suites, qui lui étaient lais-
Irvin Kershner, qu’il juge responsable de cette « perte », sés sur son contrat initial, que George Lucas a donc pu
et reprendra le contrôle de la série, avec la controverse tordre le bras de la Fox et devenir le richissime entrepre-
que l’on connaît. Parallèlement, il négocie pour récupé- neur que l’on connaît. « Nous n’étions pas obligés de re-
rer les droits sur le merchandising, toujours avec l’avo- vendre les suites aux gens de la Fox, et ils l’avaient bien
cat qui s’était occupé de son contrat initial, Tom Pollock. compris, poursuit Tom Pollock. Mais il faut remettre
« L’accord proposé à Fox était le suivant, se souvient les choses dans leur contexte : à ce moment-là, le mer-
Pollock : Fox bénéficiait des droits de distribution chandising se portait bien, mais ce n’était pas le phéno-
en salles et de la vidéo dans le monde entier pendant mène qu’il est devenu par la suite. Nous avons ensuite
sept ans. Nous conservions tout le reste. Et nous avons procédé de la même manière avec le studio, de film en
récupéré le merchandising. Fox avait gagné beaucoup film. Les conditions étaient les mêmes : certains droits
d’argent depuis la sortie du film avec le merchandising. pendant un laps de temps déterminé, puis une com-
Cela comprenait les albums vinyles, les éditions mu- mission de distribution. Et George finançait lui-
sicales, la télévision, et tous les droits autres que ceux même les films, tout en gardant les droits. » Ce
que nous accordions à Fox dans le cadre de ce deal. Les deal unique avec un gros studio, cependant,
gens du studio voulaient les suites. Plus que tout. Donc se retournera contre Lucas : quand, voulant
ils ont accepté. Nous avons aussi essayé de récupérer le financer les aventures d’Indiana Jones, il
premier contrat afin que George soit propriétaire de demandera un contrat similaire, tous les
Star Wars à 100 %, mais la Fox a refusé de le vendre. studios refuseront. « Et aucun studio ne le
Elle l’a toujours. Je crois que si ses dirigeants avaient fera plus jamais, achève Tom Pollock. Ce
refusé de nous laisser le merchandising, nous aurions genre de choses revient vous hanter toute
été voir un autre studio pour la suite. » votre vie ! » u

Juillet—Août 2019 29

024-029_PREMIEREHS9-STAR WARS.indd 29 29/05/19 11:24


30

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 30 28/05/19 15:54


LE STUDIO
DES BLOCKBUSTERS

TONNERRE
MECHANIC
Il a tenu tête à James Cameron, s’est battu
pour produire Mel Gibson, a imposé David Fincher
et a tenté de concurrencer Disney sur son propre
terrain, l’animation. C’est grâce à lui que la Fox est
sortie de la crise pour redevenir l’un des plus beaux
studios des années 90. Bill Mechanic revient sur
cette période incroyable. u PAR GAËL GOLHEN

N
ous voici libérés de Rupert Barry Diller) qui n’arriveront pourtant jamais à faire
Murdoch. » C’est par ces redécoller la machine. Jusqu’à ce que Bill Mechanic dé-
mots que Bill Mechanic a barque en 1994. Embauché comme chairman et CEO
accueilli la vente de Fox à de Fox Studio, Mechanic va réveiller la belle endormie.
Disney dans une tribune du Il commence par réorganiser le studio (en lançant Fox
Hollywood Reporter. C’est Searchlight et Fox Animation), puis il prend des risques,
d’une violence rare, mais autant financiers qu’artistiques. Le résultat ne se fait
prononcé par quelqu’un pas attendre : en l’espace de cinq ans, le studio sortira
qui fut son employé di- Die Hard 3 : Une journée en enfer, Independance Day,
rect, on peut y accorder un Braveheart, Titanic, Fight Club et X-Men. Et la Fox re-
certain crédit. Flash-back. devient l’un des studios les plus rentables de Hollywood.
En 1985, Rupert Murdoch, Tenant tête à Murdoch, multipliant les coups de poker
patron de Newscorp, devient l’actionnaire majoritaire de audacieux, Mechanic se fera pourtant virer une semaine
la Fox alors au bord de la banqueroute. Murdoch déteste avant la sortie de X-Men. C’est cette renaissance et son
le cinéma, mais cette division film (Fox Entertainment combat contre des artistes habités et un financier aussi
Group) peut lui permettre d’acquérir un certain pres- tyrannique qu’inculte que Bill Mechanic a accepté de
tige. Il place à la tête des hommes compétents (comme nous raconter. En long, en large et en travers. u

Juillet—Août 2019 31

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 31 28/05/19 15:41


LE STUDIO DES
BLOCKBUSTERS

PREMIÈRE : Commençons par le début.


Vous arrivez à la Fox en 1993. Quelle
est votre première impression ? À quoi
ressemble le studio à cette époque ?
BILL MECHANIC : Je venais de chez Disney
où je m’étais occupé de la vidéo. Mais avant
Disney, j’avais travaillé à la Paramount sous
la direction de Barry Diller. Je vous parle
de lui parce que Barry venait de quitter la
Fox. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre
en arrivant au studio. Je me disais que [Ru-
pert] Murdoch devait être un de ces ba-
rons de la finance obsédé par ses « pertes
et profits ». Mais j’étais sûr d’une chose :
Fox avait le studio le mieux situé et surtout,
parce qu’il avait été dirigé par Diller, un
type maniaque, l’endroit serait immaculé.

Et ?
En passant sous le porche d’entrée, pour me
rendre à mon entretien d’embauche avec
Murdoch, j’ai remarqué le signe au-dessus
du portail : « FOX F M COM PAN ». C’était
un désastre : on aurait dit la Satis House de
Charles Dickens [Les Grandes Espérances].
J’ai compris plus tard que c’était une assez
bonne métaphore de l’état de la compagnie.
La Fox était anémiée. On lui avait pompé le
sang ! Il n’y avait plus de productions ! Le costumes... On a ramené un peu de vie et de Vous souvenez-vous du premier film sur
studio sortait d’une période critique. Il ve- personnalité. lequel vous avez vraiment travaillé?
nait d’échapper de justesse à la banqueroute True Lies était déjà en production quand
et les executives étaient aux abois. Et économiquement ? je suis arrivé. Sur ce film, on a surtout
Murdoch se moquait des films, mais il en géré la campagne marketing. Et Madame
Quelle fut votre première tâche ? avait besoin et cette division de son empire Doubtfire avait été daté. Le premier block-
Un de mes premiers meetings avec Murdoch se portait très mal. L’année précédant mon buster dont je me suis vraiment occupé,
a consisté à lister tout ce dont j’avais besoin arrivée fut l’une des pires pour la Fox. On c’était Braveheart.
et tout ce qui n’allait pas. Un exemple : le perdait de l’argent et on ne savait pas où on
Zanuck Theatre était totalement obsolète et allait. Peter Chernin était à la tête du stu- Un blockbuster épique et historique.
quand je voulais projeter un film, je devais dio, mais il s’y connaissait en télé, moins Ce que les studios de l’époque
aller chez Sony ! On ne pouvait rien monter, en cinéma. Je me suis donc penché sur le redoutaient le plus. Dès le début,
il n’y avait pas d’ordinateurs récents... Au line-up. Ma stratégie était la suivante : on vous vouliez vous démarquer ?
cours de cette réunion, Murdoch m’a dit répare d’abord la structure, on fait venir Non, ce serait trop simple. Quand on dirige
© 20TH CENTURY FOX / MARKROGERS-LIONSGATE

qu’il pensait vendre les bâtiments. C’était les gens et ensuite on lance des films. En un studio, le but est de faire de l’argent. Mais
fou ! Ça aurait fait de nous de vulgaires 1993, je crois qu’il y avait 35 projets dans pourquoi ne pas produire de bons films ?
banquiers ! Je lui ai rappelé que ce qui les tuyaux. Quand on sait que le ratio, c’est Avant même de bosser pour Murdoch, j’ai
faisait de Fox un grand studio, c’était son grosso modo un film abouti pour dix lancés, toujours pensé que ce n’était pas contradic-
histoire, son patrimoine, immatériel et ça ne faisait que trois films en vue. J’ai orga- toire de faire de bons films qui rapportent
immobilier. J’ai réussi à le convaincre et nisé les divisions [Fox 2000, Fox Family, de l’argent. J’ai constamment cherché des
on a retapé l’ensemble. On a reconstruit les Fox Animation et Fox Searchlight]. Et en- propositions qui soient commerciales mais
immeubles de préproduction, on a remis sur suite, j’ai mis les mains dans le cambouis. qui garderaient avec le temps une certaine
pied les sound boards, les immeubles des (Sourire.) postérité, dont le pouvoir de fascination

32 Juillet—Août 2019

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 32 28/05/19 15:41


Ci-contre : Mel Gibson sur
le tournage de Braveheart.
Ci-dessous : Mel Gibson,
Bill Mechanic et Rick Nicita
sur le tournage de Tu ne
tueras point.

« AUJOURD’HUI,
AUCUN STUDIO
NE FERAIT UN
FILM COMME
perdurerait. Titanic, Tu ne tueras point (que Un scénario magnifique, une épopée médié-
BRAVEHEART. »
j’ai produit plus récemment en indépen- vale pleine de bruit et de fureur que je trou-
dant)... ce sont des films à grande échelle, vais passionnante – ça deviendra un mauvais
des films épiques qui se concentrent sur des film, mais c’est une autre histoire... J’ai fait entre-temps. Dommage. Je reste persuadé
héros rebelles et libres qui doivent en payer une proposition mais je ne suis pas par- que le film aurait été meilleur. Ce n’était que
le prix. C’est ça qui m’intéresse et incon- venu à le récupérer. Jack Birch, qui dirigeait des petits bouts. Ce n’était pas une question
sciemment, c’est sans doute vers ça que je l’agence ICM à l’époque, a entendu dire de « NCmachinchose ». C’était des trucs de
suis allé dès que je suis arrivé chez Fox. Des qu’un nouveau gars de la Fox s’intéressait narration, des détails techniques sur le son,
histoires fortes, qui entremêlent l’intime et aux films historiques, alors que le business la représentation graphique de la violence...
la grande histoire. pensait le genre mort et enterré. Et c’est lui Rien de sérieux. Une histoire de goût. On a
qui est venu me voir avec Braveheart. eu le même genre de discussions sur Tu ne
En tout cas, on croit entendre le pitch tueras point...
de Braveheart... On a raconté que vous aviez essayé
Braveheart, personne n’en voulait ! Le pro- de censurer le film, de réduire sa Pensez-vous que le système de studio
ducteur Alan Ladd Jr avait cette histoire violence. actuel pourrait encore se lancer dans
dans ses cartons. Il a quitté la MGM pour On a supervisé tout le processus du film une aventure pareille ?
Paramount, mais Paramount ne voulait pas en accord avec Mel. Mais je n’ai jamais Ce n’est pas « je pense » ! Je sais qu’au-
du film. Mel [Gibson] était déjà sur le coup, essayé de censurer quoi que ce soit ! Il y jourd’hui aucun studio ne ferait un film
mais il n’y avait pas de producteurs intéres- avait effectivement beaucoup de violence comme Braveheart. Même à l’époque,
sés. À l’époque, je cherchais des projets par- dès le départ. Mais, dans ce registre, je c’était compliqué : trois jours après avoir
tout parce qu’il n’y avait littéralement rien suis un partisan du « less is more ». D’ail- greenlighté le film, Peter Chernin est rentré
en développement à la Fox ! Je suis tombé leurs, j’avais réussi à convaincre Mel de dans mon bureau et m’a demandé de nous
par hasard sur le script de First Knight. couper certaines choses. Il a changé d’avis retirer du deal.

Juillet—Août 2019 33

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 33 28/05/19 15:41


LE STUDIO DES
BLOCKBUSTERS

Pourquoi ? Dean Devlin et Roland Emmerich venaient


L’Écosse ! Le XIIIe siècle ! Quoi d’autre ? de faire Stargate et j’avais hésité à l’acheter.
Quand j’ai approché les gens de Disney Quand ils sont venus nous pitcher Indepen-
avec Tu ne tueras point, l’un des executives dance Day on les a écoutés attentivement,
m’a dit qu’ils ne produisaient pas ce genre forcément. Ils sont arrivés avec un budget,
de films. « Trop de poussière ! » Personne un script ficelé et des idées de casting.
ne veut de films historiques.
Et vous n’avez jamais discuté ces
Mais vous, vous y êtes allé ? sujets avec eux ?
Oui, parce que je savais que le sujet du film On n’a pas touché une ligne du script et on
était brillant. Et puis... j’ai toujours su que je n’est jamais intervenu dans leur vision glo-
n’avais été engagé que pour être mieux viré. bale du film. Roland avait en tête un film
90 % du temps, vous êtes embauché et on d’invasion extraterrestre conceptuel. C’était
vous vire parce que vous avez perdu gros. solide. Comme leur gestion des effets spé-
Parfois, vous êtes viré alors que vous avez ciaux. Rien à dire. Ils savaient ce qu’ils fai-
quand même rapporté de l’argent. Quoi qu’il saient. Par contre... le casting, c’était autre
arrive, perdu ou gagné, vous serez viré ! chose. Ils voulaient utiliser des stars, ce qui
Mon but n’était donc pas de garder mon job, était nouveau et intéressant. Bill Pullman
mais de faire mon boulot du mieux pos- devait jouer le pilote, mais il nous a dit qu’il
sible dans les limites du raisonnable. Tant préférait interpréter le président – une op-
qu’à être renvoyé, autant l’être en croyant à tion qu’on a soutenue. Will Smith venait
ce que je faisais plutôt qu’en faisant ce que de finir Bad Boys et c’est nous qui l’avons
d’autres voulaient. poussé également...

Après Braveheart, l’autre gros Par sa longueur, par son déluge


blockbuster Fox de l’époque, d’effets spéciaux, on a l’impression
c’est Independance Day. Pourquoi qu’Independance Day définit le
produire ce film ? blockbuster des années 2000.
Quand je suis arrivé à la Fox, je me suis Vous sentiez que ce serait une étape
tout de suite demandé ce qui caractérisait décisive pour l’industrie ?
ce studio. Quel était son ADN, ses stars, son Non. La Warner avait fait bouger les lignes
empreinte ? Qu’est-ce qui définissait cette avant nous. Elle s’était spécialisée dans les
entreprise ? Et que pouvions-nous produire suites et les franchises et tout le monde
sans insulter l’histoire ou offenser les gens ? courait après ça. À l’époque, la stratégie
Fox n’était pas un studio spécialisé dans la d’un studio était claire : on avait besoin
comédie, par exemple. Par contre, il avait de deux gros films par an. Un à Noël,
une riche tradition d’épopées historiques et l’autre pour l’été. Et il fallait des suites.
de SF. Entre Le jour où la terre s’arrêta, La Ce qu’Independance Day a sans doute un Roland Emmerich était un cinéaste alle-
Planète des singes, Alien... le studio a fait peu changé, et qui correspondait à l’une mand qui s’emparait d’un sujet très amé-
ses preuves dans le genre. Je voulais creu- de mes interrogations, était la question de ricano-centré. C’était idéal pour la vente à
ser ce sillon, réanimer un peu cette fibre. la dépendance au seul marché américain. l’international. J’ai tout de suite voulu que
la Fox soit moins chauvine que ses concur-
rents et que mes prédécesseurs. Je sentais
que les territoires étrangers pourraient
devenir essentiels dans la carrière d’un
film. Mais pour répondre à votre question,
le blockbuster qui a vraiment tout changé,
c’est Titanic.

Titanic, « l’enfer sur terre »


selon vous.
Pire que ça. Depuis le début d’ailleurs. Tout
le monde pensait que le film était « débile ».
© 20TH CENTURY FOX

James [Cameron] n’était pas un type facile


et l’histoire a été compliquée [lire article
Independance Day page 14]. Il y a 150 bouquins sur la produc-
de Roland Emmerich
tion du film... Je croyais dur comme fer au

34 Juillet—Août 2019

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 34 28/05/19 15:41


« À 7 HEURES DU MAT, ON
REGARDAIT LES RUSHES, J’AI TOUT
DE SUITE COMPRIS QUE TITANIC
SERAIT UN CHEF-D’ŒUVRE. »

James Cameron, Leonardo DiCaprio et


Kate Winslet sur le tournage de Titanic

projet, et la Fox avait initialement investi faire dans le budget pour limiter son explo- n’est jamais une question de salaire, ou un
beaucoup d’argent. Mais les gens au-dessus sion... Je descends à Baja [le lieu du tour- problème d’ego. Jim se bat simplement pour
n’étaient pas aussi convaincus que moi. nage] et j’arrive au milieu de la nuit. Il est 3 faire le meilleur film possible. Et c’est un
Et à un moment donné, vu le budget et les ou 4 heures du matin. Et là, je me retrouve type qui ne fait pas de compromis... Donc
risques, il a fallu qu’on fasse un deal avec la face à Jim... oui, c’est compliqué !
Paramount. Je vous passe les détails, mais
la pression a grossi en même temps que la Et ? Le résultat vous inquiétait ?
production. Je n’avais pas de visibilité sur Honnêtement, s’il avait eu une arme dans Non, c’était le process le problème. Le dé-
le tournage, ni sur le budget. On ne savait sa caravane, il m’aurait tué. On s’est hurlé passement de budget, les pressions en in-
pas quand le film se finirait, ni combien il dessus et il a fini par me lancer un : « Si tu terne, les rapports avec la Paramount...
coûterait. Tous les jours, je découvrais un es si malin que ça, tu n’as qu’à le faire ce pu- La première scène que j’ai vue du film,
problème : la construction du bateau était tain de film ! » Il a pris sa voiture et a quitté c’était celle de la mort de Leo [DiCaprio].
plus longue que prévue ; le lendemain, le le plateau. J’ai prévenu Jon Landau [le pro- À 7 heures du mat, dans une salle privée,
directeur de la photo était remplacé ; la ducteur] : on arrête le film tant qu’il ne m’a on regardait les daylies... Et en voyant ces
semaine suivante, j’apprenais que le casting pas rappelé et qu’il n’accepte pas certaines rushes, j’ai tout de suite compris que ce
était effrayé par le réalisateur... coupes. Ça s’est arrangé et le tournage a re- serait un chef-d’œuvre. Il y avait une telle
pris le lendemain. Ce que j’ai compris à ce puissance d’émotion. Les trucs musclés, les
Et vous n’étiez pas sur le tournage ? moment-là, c’est que, quoi qu’il arrive, il scènes d’action ou de catastrophe, aucune
Ce n’était pas le genre de Cameron. J’y suis n’y a que le film qui compte aux yeux de inquiétude : c’était l’ADN de Cameron.
allé une fois. Avec une liste de coupes à James Cameron. C’est sa force d’ailleurs. Ce Mais en voyant cette émotion dans les

Juillet—Août 2019 35

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 35 28/05/19 15:41


LE STUDIO DES
BLOCKBUSTERS

Fight Club
de David Fincher

scènes de personnages, j’ai compris qu’on morte après Cléopâtre [1963], mais elle a Vous n’avez jamais imaginé
tenait là un film... précieux. Différent, été comme paralysée pendant des années abandonner ?
unique, inclassable. Avec en plus cette his- [lire article page 14]. Les executives ne Hmmm... Pendant le tournage, alors que
toire de lutte des classes qui rendait le truc savaient plus quoi faire. Nous, ce fut le j’étais menacé de perdre ma place, Warren
encore meilleur. contraire. C’est au milieu de la production Beatty (on produisait Bulworth en même
de Titanic qu’on a lancé La Ligne rouge, temps) m’avait dit : « Tu devrais te coucher,
Un aspect qui a dû plaire à Murdoch ! Mary à tout prix, Fight Club et même L’Âge tu ne peux pas prendre toute la responsabi-
(Rires.) Qu’on le veuille ou non, c’est tou- de glace... L’après-Titanic a été une époque lité de cette histoire... » Je lui avais répondu
jours ça qui structure le monde. En tout cas, bénie pour nous. On était regonflés ! que si je me couchais sur Titanic, je me cou-
je ne savais pas jusqu’à quel point ça mar- cherais sur Bulworth. Quand on soutient un
cherait, mais je savais que ce serait le film Comment expliquez-vous ça ? film, on doit en accepter les conséquences.
de plus de 3 heures le plus rentable – le re- Les gens qui font des films sont nombreux. J’étais prêt.
cord était détenu par Danse avec les loups. Mais ceux qui se battent pour faire un grand
Et je l’ai su très vite. film sont plus rares. Et c’est autre chose. Qu’est-ce que Rupert Murdoch a pensé
C’est de l’ordre de la mission. Il se passe un du film terminé ?
Vous parliez de l’histoire du studio, et truc collectif qui n’a rien à voir avec le reste Lorsqu’on a eu une première copie dispo-
de son ADN. Titanic, c’est un peu votre du temps. Quand on dirige un studio, réussir nible – une version de 3 h 40 –, j’ai décidé
Cléopâtre ? à faire que l’on croit en ce que vous faites, de l’appeler. C’était la deuxième ou troi-
Au milieu de la production, j’ai pensé perdre c’est compliqué. Chacun a sa propre ambi- sième fois que je l’appelais depuis mon em-
pied plusieurs fois, mais je continue à détes- tion, son agenda. C’est difficile de faire bou- bauche. « Sir, je crois qu’on tient quelque
ter cette comparaison. Waterworld ? Cléo- ger les gens dans la même direction, mais la chose. Est-ce que vous voulez voir votre
© BLUE SKY - 20TH CENTURY FOX

pâtre ? Non, pour une raison simple : le film production de Titanic a permis cela. En in- film maintenant ? » Peter Chernin est passé
qu’on faisait était un chef-d’œuvre et, artis- terne, je pense que lorsque les gens ont com- quelques heures plus tard en me reprochant
tiquement, il était sous contrôle. Je crois pris ce qu’était vraiment le film, ils se sont de lui montrer le film en l’état, mais je lui ai
que la grande différence, c’est que les films mis à croire au job et plus généralement au fait remarquer que c’était l’occasion pour lui
dont vous parlez ont littéralement fracassé studio. Titanic nous a aidés à retrouver notre de voir un peu plus de son fric à l’écran... On
les studios qui les ont faits. La Fox n’est pas fierté, à redevenir une grande entreprise. arrange donc une projection pour Murdoch

36 Juillet—Août 2019

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 36 28/05/19 15:41


« LA VISION QUE DAVID
FINCHER AVAIT DE FIGHT
CLUB ÉTAIT GÉNIALE.
LITTÉRALEMENT. »

et sa femme. Mais le soir prévu, il y a un pas bonne, le concept n’était pas bon, on qu’à sa lecture, j’avais pleuré de rire. C’était
problème avec la copie du film. Pour ne n’avait pas le casting original, et j’avais l’im- ce que j’avais lu de plus drôle de toute ma
pas avoir déplacé Murdoch pour rien, Tom pression que la seule raison pour laquelle carrière. Mais la scène du « gel » dans les
Sherak, qui travaille à la distribution, réussit on faisait ce film, c’était les effets spéciaux. cheveux, celle du pénis coincé dans la bra-
à lui projeter une copie d’Air Force One, un J’ai tenté d’empêcher le massacre, mais l’ar- guette... ça ne passait pas en interne. Je
film Sony qui allait sortir dans les semaines gument qu’on m’opposait en interne c’était : savais que si on coupait ces passages, on af-
suivantes. Le lendemain, nouvelle projec- « Même si c’est mauvais, on récupérera fadirait le film. OK, on aurait un « PG 17 »,
tion de Titanic. Quand les lumières se ral- notre argent. » Ce qui n’arrive jamais. mais on resterait authentique. Résultat :
lument, Murdoch me regarde et me dit : « Je avec Independance Day, c’est le seul film
vois pourquoi vous aimez le film. Mais ça Vous mentionniez Mary à tout prix et sur lequel on n’a pas demandé de change-
ne vaut pas Air Force One. » C’est la seule l’absence de comédie du studio tout ment dans le script. Mais on a eu des dis-
chose qu’il m’ait dite. Pas un « Bravo », pas à l’heure. C’était un sacré pari, ça. cussions sur le casting encore une fois. Les
un « Beau travail », ni un « Vous avez bien À part Madame Doubtfire, c’est vrai que Farrelly voulaient des stars, moi je voulais
fait de vous accrocher ». Non : « Ça ne vaut la Fox n’était pas spécialisée dans les co- juste un film rigolo...
pas Air Force One. » médies. Les Farrelly avaient fait Dumb and
Dumber et Kingpin, qui n’avait pas marché. Vous dites qu’il n’y a pas de tradition
Speed 2, qui est sorti la même année, Mais c’était pour moi un chef-d’œuvre, en- comique à la Fox, mais vous aviez une
devait plus lui parler... core plus drôle que Dumb and Dumber. J’ai franchise très forte : Maman, j’ai raté
Non, il s’en foutait des films ! Et je n’ai ja- voulu les rencontrer et on les a fait venir l’avion. D’ailleurs, vous avez travaillé
mais produit un film pour plaire à Murdoch. au studio. Ils avaient un projet qui ne cor- sur le troisième épisode qui coïncidait
J’ai même essayé d’arrêter la production de respondait pas et un autre, Mary. On a tout avec la fin de l’humour pour les gamins
Speed 2. Quand j’ai su qu’une tempête me- de suite acheté celui-là. Tom Rothman [le et de l’ère John Hughes...
naçait le tournage, j’ai tenté de m’en servir président de Fox Filmed Entertainment à Ce n’est pas un très bon souvenir. Le scé-
comme prétexte. En vain. Je n’ai jamais l’époque] a beaucoup travaillé avec eux. nario a été long à finaliser. John nous avait
compris pourquoi ils ne sautaient pas du Je me souviens d’une réunion où les exe- fourni un script pas très fresh ! On devait le
bateau. Un bus, je comprends. Mais un ba- cutives du studio exprimaient leurs craintes retravailler. Je l’ai appelé et... il a raccroché.
teau ! Rien ne fonctionnait. L’histoire n’était diverses à propos du scénario. Moi, rien C’était un type brillant, mais qui vivait dans

Juillet—Août 2019 37

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 37 28/05/19 15:41


Mary à tout prix de Bobby et Peter Farrelly

son monde. Il était un peu comme [David]


Mamet : il livrait un script et il n’y touchait
plus. Très, très compliqué. J’avais l’impres-
sion de me battre tout seul.

Et à la même époque, il y a Fight Club...


J’avais lu le livre de Chuck Palahniuk. Pour
moi, c’était L’Attrape-cœurs mais raconté
dans un flux de conscience. Je pensais que
ce serait impossible d’en tirer un film. Laura
Ziskin, qui dirigeait la Fox 2000, a soutenu
le projet dès le départ. Elle pensait que le
message sur la masculinité moderne était
important. Elle s’est battue pour que le film
existe et j’étais de son côté. Il y avait un scé-
nario de Jim Uhls très fort, très sombre. Ni-
hiliste. Je pense que ça effrayait aussi tous
ceux qui le lisaient. On a d’abord voulu le Bill Mechanic sur le tournage
de Tu ne tueras point
faire comme un petit film. Mais quelqu’un a
donné le scénario à Brad Pitt qui l’a transmis
à David Fincher et le budget a commencé à dure à Laure, il a joué avec elle, mais il a été Et quand Fight Club est sorti, j’étais arrivé
augmenter, et puis... BOUM ! il a explosé. fidèle à ses engagements. Je pense que c’est à un point où je détestais Murdoch autant
son meilleur film. qu’il me détestait. Je ne l’aimais pas, je n’ai-
Vu le passif de Fincher avec la Fox mais pas travailler pour lui, je ne le respec-
– après Alien 3, le cinéaste avait C’était un pari risqué pour vous ? tais pas. J’aurais dû partir plus tôt. Mais
promis de ne plus jamais travailler Oui, mais comme je vous le disais, on j’avais construit quelque chose et je pensais
avec le studio –, j’imagine que votre cherche aussi à faire des films pour la pos- que ça marchait. Ils m’ont viré quand il y a
relation fut compliquée au début ? térité. J’ai tout de suite compris que la vision eu un trou entre les productions de films.
La première conversation qu’on a eue por- que David avait du livre était géniale. Litté- Fight Club fut l’un des éléments clés de ma
tait sur Alien 3. Je n’étais pas là au moment ralement. Et dès le début, j’ai su qu’il fallait chute. Je pense que Murdoch n’a jamais vu
© 20TH CENTURY FOX / THE DIGITAL ENTERTAINMENT GROUP

de la production et, pour être honnête, je l’accompagner. Financièrement, on perdrait le film d’ailleurs. Et si c’est le cas, il doit se
n’aime pas ce film. Mon deal avec David ou on gagnerait. Mais même si on perdait, dire : « Quel genre de malade peut produire
pour Fight Club a été très simple. C’était on aurait forcément quelque chose de spécial un film pareil ? » Honnêtement, à l’époque,
personnel : s’il filmait le script tel qu’on à l’arrivée. il y avait de la tension autour de beaucoup
l’avait validé et qu’il restait dans les limites de films lancés. X-Men m’a valu de nom-
du budget, alors il ne m’aurait pas sur le dos Et vous avez perdu. On raconte que breuses réflexions en interne. Une semaine
et le studio n’interférerait pas. Il n’était pas c’est le film qui vous a coûté votre avant la sortie du film, Peter Chernin se
question de final cut ou de trucs techniques. place. demandait encore pourquoi j’avais produit
Je lui ai donné ma parole que s’il respec- Non, pas seulement. L’animation a pesé un film de superhéros ? Quel fou ferait un
tait ses engagements, tout serait cool. C’est lourd dans la balance. Anastasia avait été film à partir de comics ? Et surtout qui se-
un homme de confiance. Il a mené la vie un succès mais Titan A.E. un énorme échec. rait suffisamment dingue pour commencer

38 Juillet—Août 2019

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 38 28/05/19 15:42


LE STUDIO DES
BLOCKBUSTERS

« QUAND ON A
X-Men
LANCÉ X-MEN,
de Bryan Singer
DANS LES
bon, j’adorais les Marvel. Et même si c’était
COULOIRS DE
un projet personnel, je savais qu’il y avait
une manne. Je raconte toujours que je LA FOX, LES
me suis payé mes études en vendant mes
comics. Et je savais qu’un monde Marvel au GENS ÉTAIENT
EFFONDRÉS. »
cinéma était envisageable. Évidemment, je
n’aurais jamais imaginé que ça prendrait les
proportions d’aujourd’hui... Ce qu’a réussi
[Kevin] Feige est spectaculaire.

Qu’avaient les X-Men de si spécial pour certains films, mais ils ont de vrais réali-
que vous relanciez le genre avec cette sateurs aux commandes. Le monde qu’ils
franchise en particulier ? ont construit, la manière dont les univers
À l’époque, il y a trois grandes familles se croisent et s’imbriquent, les cinéastes
Marvel : Les Quatre Fantastiques, X-Men qu’ils ont été cherchés, Ryan Coogler [Black
et Spider-Man. C’est d’ailleurs fou que Panther] par exemple... Sensationnel ! Dans
Marvel Cinéma se soit construit à l’abri de X-Men, il y avait du sens qu’il n’y a pas tou-
ces franchises. Les Quatre Fantastiques, jours chez eux, certes. Mais prenez Black
c’est le plus long run de comics de l’histoire, Panther : c’est un film parfait à mon avis.
le public est attaché à cette famille atypique Du sens, du spectacle, des personnages.
le film dans un camp de concentration ? Je et j’ai un faible pour cette série. X-Men ? Oui, ça m’impressionne.
sais qu’à ce moment-là, ils pensaient tous C’est la plus belle histoire d’aliénation que
que j’étais totalement dingue ! C’est la vie. je connaisse. Spider-Man ? C’est le récit Je me rends compte qu’il y a un film
d’un ado, le reflet des spectateurs qu’on veut qui nous manque...
X-Men est vraiment le dernier film que attirer dans les salles. C’est donné ! Le genre Ah oui, lequel ?
vous laissez à la Fox. Et c’est celui qui était en berne, mais en le faisant respectueu-
va redessiner le futur du cinéma grand sement, en arrêtant les dérives des derniers Star Wars, Épisode I – La Menace
public contemporain... Sans X-Men, pas Batman, on pouvait réussir les adaptations. fantôme.
de Marvel ! Il fallait revenir à des choses plus sérieuses, (Rires.) Mais je n’ai rien à vous dire sur le
Je ne sais pas... C’est vrai que, à l’époque, plus politiques. Je crois que c’est pour ça que sujet. Rien. George n’était pas vraiment
les films de superhéros sont en déshé- j’ai voulu me concentrer sur X-Men et j’ai intéressé par les avis du studio [lire article
rence [lire article page  56]. Les derniers tout de suite pensé à [Bryan] Singer, parce page 24].
Batman de la Warner n’étaient vraiment que Usual Suspects est une histoire géniale
pas fameux. Et les personnages apparus sur des outsiders, des gens qui ne rentrent Vous êtes resté six ans à la Fox. Quel
entre-temps n’étaient que des ersatz qui se pas dans le moule. Mais je ne pouvais pas est le film dont vous êtes le plus fier ?
moquaient du genre comme le Mystery Men prévoir comment ça finirait... Il y en a plusieurs. Titanic, X-Men, Fight
de Ben Stiller. Quand on a lancé X-Men, Club – au fond, le meilleur film que j’ai
dans les couloirs de la Fox, les gens étaient L’empire Marvel d’aujourd’hui vous jamais produit. Boys don’t cry est un film
effondrés. Réellement. Pas de stars ? Des impressionne vraiment à ce point ? important aussi. Braveheart tient le coup
acteurs en latex ? Tout cela à partir d’une Oui. Marvel a fait un boulot insensé. des années après. Et Mary à tout prix ! Ça,
entreprise à la limite de la faillite ? Mais, Il y a peut-être un sentiment de déjà-vu dans j’en suis fier. u

Juillet—Août 2019 39

030-039_PREMIEREHS9-bill mechanic.indd 39 28/05/19 15:41


M.A.S.H. de Robert Altman

40

040-045_PREMIEREHS9_fox vs fox.indd 40 28/05/19 15:56


LE STUDIO DE TOUS
LES COMBATS

ESPRIT REBELLE
La 20th Century Fox a souvent été décrite comme un studio
conservateur, branché sur les valeurs patrimoniales. Mais
c’est aussi la maison de M.A.S.H. et de Fight Club, d’Otto
Preminger et de Bart Simpson. Retour sur six combats
progressistes emblématiques menés par les artistes Fox
contre les forces conservatrices de l’Amérique, parfois logées
© TWENTIETH CENTURY FOX

au sein du studio lui-même.


u PAR FRÉDÉRIC FOUBERT & CHRISTOPHE NARBONNE

Juillet—Août 2019 41

040-045_PREMIEREHS9_fox vs fox.indd 41 28/05/19 15:49


OTTO PREVMS INGER
LA CENSURE

E
n 1935, Otto Preminger, directeur tech-
nique d’un théâtre viennois préoccupé par la
montée du nazisme, débarque à Hollywood
sur la proposition de Joseph M. Schenck,
devenu président de la 20th Century Fox.
Sur place commence une guerre larvée avec Darryl F.
Zanuck, le patron exécutif du studio, qui lui impose des

JOHN FORVDS
séries B sans intérêt. À la troisième (Le Proscrit), c’est
le clash entre les deux hommes : Preminger, soucieux

LE CAPITAL
d’indépendance artistique, est débarqué. Nous sommes
en 1938. Le cinéaste autrichien va passer les cinq an-
Les Raisins de la
colère de John Ford nées suivantes à Broadway comme metteur en scène

D
de théâtre. En 1943, rappelé par la Fox, il signe coup
ans les années 20-30, John Ford est, avec sur coup Margin for Error, un énorme succès, et sur-
Henry King, l’un des champions du studio tout, Laura, son premier chef-d’œuvre qui en fait l’un
Fox Film Corporation – qui fusionnera en des cinéastes phares de la Fox. Toujours un peu snobé
1935 avec la Twentieth Century Pictures de par Zanuck malgré son aura grandissante, Preminger
Joseph M. Schenck et Darryl F. Zanuck. Ses n’est qu’un second choix, en 1947, pour réaliser Ambre,
films de l’époque s’inscrivent dans la ligne générale, portrait potentiellement scabreux d’une courtisane dans
prudente et policée, d’un studio soucieux de montrer l’Angleterre du XVIIe siècle. Zanuck, qui vient de virer
une Amérique éternelle, à cheval sur les principes et les le réalisateur John Stahl et l’actrice Peggy Cummins, a
valeurs. Les trois films qu’il tourne avec Will Rogers conscience que le provocateur Preminger est l’homme
(Doctor Bull, Judge Priest, Steamboat Round the de la situation. Ce dernier accepte à la condition de faire
Bend), entre 1933 et 1935, sont sur ce point édifiants : la retravailler le script par ses scénaristes et de prendre
star, légende américaine méconnue chez nous, incarne Lana Turner dans le rôle-titre. Zanuck transige seule-
des personnages bourrus mais animés d’un grand sens ment sur l’histoire. Il ne veut pas de Lana Turner, vedette
moral et de la justice sociale. La famille modèle améri- Ambre MGM, et suggère à la place la torride Linda Darnell, fi-
caine selon Ford et la Fox est pieuse (mais pas bigote), d’Otto Preminger nalement parfaite. L’élaboration du scénario n’est pas de
travailleuse (mais pas spéculatrice), conservatrice (mais tout repos : la Fox et Preminger doivent lutter pied à pied
pas trop), naïve (mais pas idiote). avec le code de censure Hays et avec la redoutable Ligue
Avec Les Raisins de la colère que Ford tourne en 1940,
changement de paradigme pour le studio. Fini les char-
mantes pastorales un peu désuètes, place aux grands
films qui interrogent la réalité du pays. Tiré du roman
de John Steinbeck, Les Raisins de la colère présente
une famille détruite par la Grande Dépression des an-
nées 30. Le récit commence par une scène incroyable :
la grand-mère brûle tous les souvenirs familiaux avant
de quitter la maison dont la famille Joad vient d’être
expulsée. D’entrée, Ford place son film sur le terrain
du manifeste antilibéral qu’il est de facto : la finance
a tué l’Amérique des pionniers (ici, des fermiers) ; le
krach de 1929 est autant une crise économique que
morale. Quant à la ruée vers l’Ouest, l’ancien eldorado
vers lequel se dirige les Joad pour trouver du travail,
elle s’assimile à un road-movie humiliant et mortel pour
les personnages, brisés par la logique capitaliste. Avec
Les Raisins de la colère, doublement oscarisé, la Fox,
© TWENTIETH CENTURY FOX

grand studio patrimonial tourné vers un passé idéalisé,


se fait momentanément la voix d’une Amérique presque
à terre, bientôt en guerre. Le naturel reprendra vite le
dessus mais Les Raisins de la colère restera le premier
grand fait d’armes progressiste du studio.

42 Juillet—Août 2019

040-045_PREMIEREHS9_fox vs fox.indd 42 28/05/19 15:49


LE STUDIO DE TOUS
L E S C O M B AT S

pour la vertu (Catholic Legion of Decency) pour éviter


M.A.S.H. VA DEVENIR
au film d’être boycotté par les catholiques. En dépit de
concessions importantes (l’héroïne couche avec cinq L’UN DES HITS
fois moins d’hommes que dans le roman d’origine !),
Ambre conserve un parfum sulfureux pour l’époque qui EMBLÉMATIQUES DU
NOUVEL HOLLYWOOD.
fera son succès. Pour Preminger, c’est le début d’un long
combat contre la censure (La lune était bleue, L’Homme
au bras d’or) qu’il mènera au sein d’autres studios. Et
pour la Fox, le « scandale Ambre », plutôt bien géré,
préparera le terrain à l’émergence de la future star- de ce que l’on n’appelle pas encore le « Nouvel Hol-
maison, une certaine Marilyn Monroe. lywood ». L’ironie est que cette farce antimilitariste
malpolie est usinée par le studio la même année que

M.A.S.H. VS
deux énormes films de guerre « à l’ancienne », Patton
et Tora ! Tora ! Tora ! Grivois, sanguinolent, irrévé-

IEIL HOLLY WOOD rencieux, M.A.S.H. sera le premier film américain où

LE V
l’on entend le mot « fuck » (même si les historiens du
cinéma ne sont pas tous d’accord à ce sujet). Le réalisa-

À
teur Robert Altman n’en fait qu’à sa tête, expérimente
la fin des sixties, les studios de cinéma amé- des scènes chorales où se chevauchent des bribes de
ricains sont déboussolés par le vent nou- dialogues dans une cacophonie absurde, fume des quan-
veau qui souffle à Hollywood : les grosses tités astronomiques d’herbe sur le plateau. Il est protégé
productions à l’ancienne ne font plus systé- par le nouveau patron de la Fox, Richard D. Zanuck, qui
matiquement recette, les vieilles gloires se affronte le conseil d’administration du studio, dirigé par
fanent à vue d’œil, et la jeunesse réclame des films son propre père, le légendaire Darryl – « Il pensait qu’on
adaptés à ses préoccupations... Universal réagit en était fous ! », résumera-t-il. Ce conflit de générations fait
créant une division spéciale dédiée aux films à petits écho à celui qui divise au même moment l’Amérique.
budgets draguant le public post-hippie. La Fox, elle, Tout s’arrange pourtant quand Zanuck senior finit par
semble à la traîne. Il faut dire qu’elle a été déstabilisée voir M.A.S.H. : il trouve le film hilarant et décide de
quelques années plus tôt par les déboires de Cléopâtre. l’envoyer au Festival de Cannes. Une comédie sur la
Dans ses Mémoires, William Friedkin, qui va bientôt Croisette ? Aucune chance, murmure-t-on dans l’entou-
signer pour eux le carton French Connection, décrit rage du vieux briscard. Le film, pourtant, remportera la
le backlot de l’époque comme un endroit déserté, avec Palme d’or. Ce soir-là, le Vieil et le Nouvel Hollywood
M.A.S.H.
ses plateaux de tournage en jachère, ses grandes allées de Robert Altman ont enterré la hache de guerre et sablé le champagne.
vides et ses bureaux à l’abandon... Mais le studio frappe
quand même très fort en 1970 avec M.A.S.H., troi-
sième plus gros succès de l’année (derrière Love Story
et Airport), qui va devenir l’un des hits emblématiques

Juillet—Août 2019 43

040-045_PREMIEREHS9_fox vs fox.indd 43 28/05/19 15:49


Norma Rae
de Martin Ritt

LES SIMPSOVNS
RUPERT MURDOCH

L
es fans des Simpson n’ont jamais vraiment
réussi à résoudre ce paradoxe : leur série pré-
férée, en plus d’être le cartoon le plus cool

NORMA RAEVS
et endurant de la création (trente saisons
au compteur), est le joyau de la couronne de

RONALD REAGAN
Rupert Murdoch, magnat des médias, propriétaire
de Fox News et par là même incarnation absolue de
ce que la télé peut produire de plus réac, droitier et

C
nauséabond. Soit l’exact opposé des valeurs véhicu-
onservatrice, la Fox ? N’oublions jamais lées par le show de Matt Groening depuis sa création en
qu’on doit au studio ce qui reste sans doute 1989. Beaucoup estiment que monsieur Burns, le mil-
comme le dernier grand film authentique- liardaire propriétaire de la centrale nucléaire de Spring-
ment de gauche produit par une major. field, avec son rictus pincé et son portefeuille à la place
Norma Rae, ou le portrait d’une ouvrière du cœur, est une caricature à peine voilée de Murdoch.
Les Simpson
qui va lutter pour créer une section syndicale dans de Matt Groening
L’agenda politique de Rupert et de ses amis est en tout
l’usine de textile où elle travaille. Une vue en coupe cas régulièrement moqué par la série – en général sans
du prolétariat américain et un appel à la lutte, récom- trop de dommages collatéraux ni d’échauffourées en in-
pensé par le prix d’interprétation féminine au Festival terne, même si ça a réellement chauffé fin 2010, quand le
de Cannes et un Oscar de la meilleure actrice pour Sally
Field. On pourrait arguer que c’était plus facile de tour-
ner des films engagés dans les années 70, quand l’air
du temps s’y prêtait et que le public répondait présent,
mais le syndicalisme n’était pourtant pas forcément
un sujet à la mode. Le réalisateur Martin Ritt (une an-
cienne victime du maccarthysme) s’était cassé les dents
quelques années plus tôt avec le magnifique Traître sur
commande (sorti par Paramount en 1970). « Je ne vou-
lais plus jamais faire un film sur ce sujet après l’échec
de Traître sur commande, que j’adore, expliquait le ré-
alisateur en 1979, au moment de la sortie de Norma
Rae. On dit que personne ne veut voir de film sur les
syndicats. L’échec au box-office de F.I.S.T. l’année der-
nière semblait aller dans ce sens. Mais j’ai lu l’histoire
de cette fille [Crystal Lee Sutton] qui bossait dans cette
usine et s’est impliquée dans le syndicalisme, et je me
suis dit : “Sacrée brin de femme !” C’est aussi simple
que ça : je voulais faire un film sur elle. » Au moment
où Sally Field devient le visage du syndicalisme améri-
cain, tenant à bout de bras son carton « UNION » dans
la scène la plus iconique du film, les chansons de Bruce
Springsteen, le chantre des laissés-pour-compte, com-
© TWENTIETH CENTURY FOX / PARAMOUNT

mençaient à prendre d’assaut les charts. Les enfants de


Tom Joad étaient semble-t-il à la mode. Puis, un an plus
tard, l’Amérique faisait un triomphe à Ronald Reagan et
son programme ultralibéral. Les personnages issus de
la classe ouvrière devinrent persona non grata dans le
cinéma américain. Un véritable angle mort. Et Norma
Rae resta cette icône sans descendance, ni héritage.

44 Juillet—Août 2019

040-045_PREMIEREHS9_fox vs fox.indd 44 28/05/19 15:49


LE STUDIO DE TOUS
L E S C O M B AT S

« C’EST MARRANT
show avait réinventé le slogan de Fox News (« Fair and
Balanced », soit « Juste et Équilibré ») en « Pas raciste,
DE MORDRE LA MAIN
mais numéro 1 chez les racistes ». L’épisode en question
montrait des journalistes de Fox News préparant des QUI NOUS NOURRIT.
infos bidons à propos de l’Obamacare, destinées à ef-
frayer le public américain. Bill O’Reilly, présentateur de ON AIME SE MOQUER
DE FOX NEWS. »
la Fox, avait réagi en traitant les auteurs du show d’abru-
tis. « C’est marrant de mordre la main qui nous nourrit,
a expliqué un jour Groening. On aime se moquer de Fox MATT GROENING
News, caricaturer cette mentalité puritaine de droite, ces
gens méchants et méprisants qui passent leur temps à
prétendre être des victimes. » Il assure également que la quand le film a été vu par le département marketing
maison mère des Simpson ne leur a jamais demandé de que l’ambiance s’est mise à changer. Ils ont commencé à
baisser d’un ton. On ne fâche pas la poule aux œufs d’or. s’arracher les cheveux : “Mais qu’est-ce que c’est que ce
Même si elle reste, comme disait George Bush Senior truc ? ! C’est totalement homo-érotique ! Les hommes ne
en 1992, « un bien mauvais exemple pour la famille ». veulent pas voir Brad Pitt torse nu ! Les femmes veulent
le voir torse nu, OK, mais pas la gueule ensanglan-

DAVID FINCHVSER
tée !!!” Je ne comprenais pas ce qui se passait. Comment
avait-on pu en arriver là ? J’avais eu le feu vert, j’avais

LE MARKETING
été honnête sur mes intentions, je n’avais pas essayé de
jouer un double jeu. Et les petits génies du marketing
– des gens d’un orgueil démesuré – n’ont pas su vendre

D
le film. Ils ont conçu des publicités destinées aux ama-
avid Fincher et la Fox ? L’une des relations teurs de catch... Leur grand malheur, au final, c’est que
les plus houleuses de ces trente dernières an- le film a fini par trouver son public en DVD. C’était la
nées entre un réalisateur et un studio. Pour preuve irréfutable qu’ils s’étaient plantés. Quand un film
le jeune prodige issu du clip et de la pub, l’ex- fait 13 millions de dollars de recettes au moment de sa
périence Alien 3 (son premier long métrage) sortie en salles, puis se vend ensuite à 13 millions de
avait été un calvaire – « personne ne déteste ce film copies DVD, il y a un problème quelque part... » L’his-
plus que moi » aime-t-il répéter depuis. Mais ce cau- toire est écrite par les vainqueurs et c’est ainsi que
chemar n’était en réalité qu’un galop d’essai avant le Fincher raconte comment Fight Club est devenu culte, en
coup de Jarnac que lui jouera le département marketing dépit de ceux censés en faire la promotion. Le cinéaste
au moment de la sortie de Fight Club, son adaptation retrouvera la Fox plus de quinze ans après pour Gone
du brûlot anticonsumériste de Chuck Palahniuk. Per- Girl, mais ses anciens interlocuteurs avaient débarrassé
sonne ne raconte cette histoire mieux que le principal le plancher. Le film fut un triomphe commercial et
intéressé : « Le tournage de Fight Club s’était très bien David Fincher critique. Un triomphe de marketing, aussi. u
passé, j’avais le soutien indéfectible de Laura Ziskin et
de Bill Mechanic. [Lire interview page 30.] On était
en 1999, le film coûtait 65 millions, ils jouaient gros
sur ce coup-là. Mais ils n’ont jamais flanché. C’est

Juillet—Août 2019 45

040-045_PREMIEREHS9_fox vs fox.indd 45 28/05/19 15:49


L’Âge de glace 2 de Carlos Saldanha

46

046-055_PREMIEREHS9_animation.indd 46 28/05/19 15:53


LE STUDIO
DE L’ANIMATION

DESSEINS ANIMÉS Jusqu’à l’absorption du studio Blue Sky en 1997,


l’histoire de l’animation à la Fox est une suite de rendez-vous
manqués. Manque de vista, erreur de timing…
© TWENTIETH CENTURY FOX

Retour en trois actes sur l’histoire (compliquée)


des dessins animés made in Fox.
u PAR PIERRE LUNN

Juillet—Août 2019 47

046-055_PREMIEREHS9_animation.indd 47 28/05/19 15:53


LE STUDIO DE
L’A N I M AT I O N

I PREMIER RENDEZ-VOUS
Gertie le dinosaure
de Winsor McCay

MANQUÉ

A
u début des années 10, Winsor McCay est un
cartooniste qui travaille pour Hearst et vient
de publier Little Nemo. Dessinateur génial,
doué d’un trait à la grâce hallucinante, il vient
d’inventer la grammaire (et le langage) de
la BD contemporaine. Mais il est aussi passionné par
le mouvement et fasciné par la nouvelle invention du
siècle, le cinématographe. C’est par ailleurs un show-
man qui parcourt le « vaudeville circuit » et multiplie
les spectacles d’impros, où il montre des séquences hommes travaillent ensemble quelques semaines et le
animées entre deux monologues de Shakespeare ou des 19  décembre 1914, dans une salle du Texas, McCay
blagues écrites avec ses amis cartoonistes. Un homme dévoile Gertie le dinosaure à un vrai public.
de spectacle total. Il a déjà à son actif une adaptation
animée de Little Nemo, mais il travaille depuis 1913 Pas de géant
sur Gertie. Gertie ? Un dinosaure qu’il va dessiner dans L’histoire : une bande de copains en voiture dans les
toutes les positions, sous tous les angles et qu’il va faire rues de New York. Lorsque la bagnole crève, ils se re-
« vivre » devant un public trié sur le volet. Il imagine un plient en vitesse dans le Musée d’histoire naturelle et
petit film de cinq minutes où l’on voit son dino faire le découvrent ébahis un squelette de dinosaure. Les esprits
beau, sortir d’une grotte, tourner sur lui-même et gam- s’échauffent et McCay (qui joue son propre rôle) lance
bader entre des montagnes. McCay met plusieurs mois un défi : il parie un dîner à ses amis qu’il peut faire re-
à finaliser son cellulo et finit, en février 1914, par le vivre le dino surnommé Gertie. Sur une page blanche,
montrer dans des réunions informelles et quelques McCay se met à dessiner la silhouette d’un dinosaure. Et
salles de spectacles privées. Pendant les séances, le l’image se met en mouvement : Gertie sort de sa grotte
réalisateur est sur scène, explique son travail d’anima- pour épater la galerie. L’animal de papier enchaîne les
tion et « interagit » avec sa créature... Et c’est là qu’in- pas de danse sur les ordres de son maître... les amis de
tervient la Fox. Ou plutôt William Fox. À l’époque, ce McCay sont ravis, le pari est gagné. En quelques mi-
redoutable patron de salles n’est pas encore à la tête nutes, l’animation sortait de la préhistoire pour faire un
d’un studio. Il cherche à étendre son parc de cinémas en pas de géant. Gertie le dinosaure n’est pas le premier
Californie et plus généralement dans l’ouest du pays. film animé de l’histoire (Émile Cohl en France était
© TWENTIETH CENTURY FOX

Lorsqu’il entend parler du show, il propose immédiate- passé par là), mais c’est le premier film qui raconte une
ment à McCay de distribuer son film. Mais pour cela, histoire, un court qui préfigure toutes les inventions de
il lui faut une histoire et surtout un peu plus de matière. Disney (parce qu’il met en scène un personnage non hu-
Cinq minutes ne suffisent pas et il convainc McCay de main qui possède une vraie personnalité, des sentiments
transformer sa séquence en court métrage. Les deux et réagit à ce qui l’entoure) et ouvre la voie à (suite page 53)

48 Juillet—Août 2019

046-055_PREMIEREHS9_animation.indd 48 28/05/19 15:53


049-052_PREMIERE_HS9_poster.indd 49 28/05/19 15:58
049-052_PREMIERE_HS9_poster.indd 50 28/05/19 15:58
Titan A.E.
de Don Bluth
et Gary Goldman

n 1997, la branche Animation de la 20th Century

E Fox s’apprête à sortir Anastasia. Un studio en-


tier a jailli dans les environs de Phoenix et toute
la puissance de frappe du marketing travaille à
plein régime. La presse attend la première prin-
cesse Fox avec excitation : le pari est gagné... Trois ans
plus tôt, l’ambiance était bien différente. En mars 1994,
lorsque Bill Mechanic annonce qu’il crée une branche
animation au sein de la Fox, les réactions sont miti-
gées. La communauté des animateurs est sceptique
et les médias professionnels pensent que le nouveau
projet de Murdoch risque d’exploser en vol. La Fox
semble rompre une des règles tacites de l’industrie : on
ne vient pas uriner sur le paillasson du leader indétrôné ;
encore moins quand il s’agit de Disney. Mais l’anima-
tion est un nouvel eldorado et tout le monde veut sa part
du gâteau.
Anastasia
Mickey Mouse et Donald. C’est surtout le premier film de Don Bluth Le roi Disney
d’animation de la Fox. Il n’y en aura pas d’autre avant et Gary Goldman À la fin de l’année 1993 et jusqu’à l’été 1994, le monde
longtemps. La somme de travail à abattre pour McCay du dessin animé vit une succession de séismes. Le car-
est monstrueuse ; l’arrivée de la guerre et le développe- ton stratosphérique du Roi Lion rappelle que la belle
ment des films live auront raison de cette collaboration. endormie s’est réveillée. Depuis La Petite Sirène, le stu-
Le cinéaste réalisera encore six films, mais aucun ne dio Disney est bel et bien redevenu le roi de l’animation.
connaîtra le succès de Gertie. Quant à William Fox, Les chiffres hallucinants du box-office (Le Roi Lion
il abandonnera l’animation pour se concentrer sur ses finira sa carrière à près d’un milliard de dollars monde)
salles et la technologie balbutiante des projections. Il donnent des idées à la concurrence. Warner vient de
fonde la Fox Film Corporation le 1er février 1915. Il ressusciter Warner Animation, Jeffrey Katzenberg a
faudra attendre plus de quatre-vingts ans pour que son quitté Disney et s’apprête à lancer DreamWorks et Bill
studio produise à nouveau des dessins animés... Mechanic inaugure sa branche animation. Il y a une
part d’hybris – Mechanic ancien responsable de la vidéo
chez Mickey veut sans doute concurrencer son ancienne
entreprise – mais il s’agit surtout de constituer un cata-
logue qui pourrait vite être rentabilisé vu les innom-
brables canaux de diffusion offerts par le propriétaire
du studio NewsCorp (et notamment la chaîne Fox Kids).
Murdoch valide cette stratégie, mais vers qui se tourner ?
Fin 1993, Don Bluth et Gary Goldman sont convo-
qués dans les bureaux de Mechanic. Ces deux hommes
sont des légendes. D’abord animateurs chez Disney, ils
ont quitté la maison-mère à la fin des années 70 pour
réaliser leurs propres projets et vont dans les années 80
enchaîner Brisby et le secret de NIMH, Fievel et

Juillet—Août 2019 53
LE STUDIO DE
L’A N I M AT I O N

le Nouveau Monde et Le Petit Dinosaure et la Val-


lée des merveilles. Malgré la qualité des dessins ani-
més, cette entreprise ne réussira jamais à s’imposer
face à Disney et Bluth et Goldman resteront les éter-
nels seconds... Jusqu’en 1994. C’est à eux que Mechanic
confie les rênes du studio. Pendant trois ans, Fox va tout
miser sur cette nouvelle branche. Sous la supervision
conjointe de Chris Meledandri (futur patron d’Illumina-
tion), Bluth et Goldman, le studio construit un complexe
de plus de 6 000 mètres carrés en plein désert, l’équipe
du dernier cri en matière informatique et fait venir les
meilleurs animateurs du monde (piqués chez Disney).
Immédiatement, trois ou quatre projets sont lancés.

Changement d’ère
Le premier est Anastasia, un remake lointain d’un film
du catalogue (avec Ingrid Bergman et Yul Brynner), une
comédie musicale en forme de conte russe flamboyant,
avec un sorcier maléfique, des écureuils et des lapins
rigolos, une princesse amnésique qui voyage jusqu’à
Paris. Si ça n’est pas du Disney, ça y ressemble. Le
résultat est impressionnant visuellement et grâce à la puis-
sance de feu de Fox (on parle de 50 millions de dollars
pour la publicité, 35 % de plus que le budget marketing
d’Independance Day), le film est un joli succès. La Fox
enchaîne avec deux suites destinées au marché vidéo
et surtout avec le colossal Titan A.E. Le tournage de ce
film mériterait à lui seul un hors-série. Commencé par
Art Vitello, Titan A.E. est repris en main par Don Bluth
et Gary Goldman au bout d’un an et demi. Goldman se
souvient de la catastrophe : «  L’équipe précédente avait
bossé dix-huit mois et n’avait produit que des art works.
Quand nous sommes arrivés sur le projet, notre temps
de production a été réduit, notre budget aussi, trois scé-
naristes sont passés sur le script et on devait se battre L’Âge de glace etour en 1997. Anastasia s’apprête à sortir dans

R
de Carlos Saldanha
contre les executives de la Fox. » Le film mettra près de et Chris Wedge
les salles. Au même moment, Bill Mechanic
trois ans à se faire. Or, entre-temps, on a changé d’ère. À fait l’acquisition d’une petite boîte d’effets spé-
Hollywood, la 2D est devenue de la préhistoire. Toy ciaux. À une époque où la 3D commence à
Story, et surtout le lancement de Toy Story 2, ont pré- devenir l’alpha et l’oméga du cinéma, la Fox
cipité la fin de l’animation à la main. La mode est à la veut son studio de SFX, une entreprise qui lui permet-
3D et à l’animation par ordinateur. Les budgets rétré- trait de faire ses propres recherches et son développe-
cissent à vue d’œil. Six mois avant la fin de Titan A.E., ment technologique sans dépendre de qui que ce
des executives déboulent à Phoenix pour effectuer des soit. Mechanic porte son choix sur Blue Sky. Au
coupes drastiques. Le secteur traverse une de ses plus début des années 80, une bande de geeks menée par
grandes crises économiques et existentielles et Titan Chris Wedge fonde l’un des premiers studios d’ef-
A.E. en sera la première victime. C’est d’autant plus fets spéciaux, MAGI. Pionnier de l’image de syn-
dommage que le film, une course-poursuite apocalyp- thèse, MAGI bosse notamment sur la 3D de Tron.
tique, à l’atmosphère visuelle sidérante et aux créatures Le résultat est spectaculaire (au point d’im-
cartoonesques fabuleuses, est une vraie réussite (on y pressionner un jeune animateur de chez
sent constamment la patte de Joss Whedon qui travailla Disney, John Lasseter), mais le film est
sur le script). Mais Titan A.E. sort trop tard. En 2000, un échec et la technologie n’évolue pas
son échec au box-office, la démission de Bill Mecha- assez vite. MAGI est obligé de mettre
nic et la fermeture du studio de Phoenix prouve qu’on la clé sous la porte. Wedge ne s’avoue pas
© BLUSKY - TWENTIETH CENTURY FOX

est passé à autre chose. Un an plus tard, Disney met un vaincu. En 1987, il fonde Blue Sky (de l’expression
terme à l’animation à la main et Pixar enchaîne les car- « to blue sky an idea », qui signifie imaginer sans
tons (après Toy Story 2, Monstres & Cie inscrit le stu- Robots limite), et signe des courts métrages et des pubs. Pen-
dio au firmament de la pop culture). Fox Animation est de Carlos dant que Lasseter prépare son premier long d’animation
Saldanha
démantelé et mise en sommeil... et Chris chez Pixar, les gens de chez Blue Sky préfèrent abreu-
Wedge ver le cinéma des résultats de leurs recherches techno.

54 Juillet—Août 2019
EN 2002, L’ÂGE DE GLACE
RÉCOLTE PRÈS DE 400 M$
DE RECETTES À TRAVERS
LE MONDE ET UNE
NOMINATION AUX OSCARS.

Les cafards de Bienvenue chez Joe, ce sont eux, l’iden- déjanté et on a beaucoup négocié avant d’avoir le feu vert
tité visuelle de MTV dans les années 90, encore eux. Et de la Fox. » Le drame est transformé en parodie de Trois
c’est ce qui tape dans l’œil de Mechanic. Comme on l’a Hommes et un couffin, avec un mammouth, un pares-
dit, la Fox a besoin d’un studio d’images de synthèse et seux et un tigre à dents de sabre qui se retrouvent respon-
pour Blue Sky, c’est l’occasion de s’adosser à une major sables d’un bébé humain. Sorti en 2002, le film récolte
qui pourra financer ses films et les distribuer – comme près de 400 millions de dollars de recettes à travers le
Pixar a eu besoin de Disney. Le studio va travailler sur monde et une nomination aux Oscars. Quatre ans plus
Alien, la résurrection et sur Fight Club, mais Wedge tard, L’Âge de glace 2 cartonnera encore plus, la saga
planche de son côté sur des courts d’animation. Le réa- dépassant même les 850 millions de dollars avec L’Âge
lisateur tente d’imposer la 3D animée chez la Fox, mais de glace 3 : Le Temps des dinosaures et L’Âge de glace
Horton
à l’époque, le studio ne jure que par la 2D et Don Bluth. 4 : La Dérive des continents. Mais Wedge ne veut pas de Jimmy Hayward
« Ça a été dur de convaincre Mechanic que l’avenir était être l’homme d’une seule franchise. La réputation d’un et Steve Martino
à la 3D, nous avouait Wedge au début des années 2000. studio se bâtit sur sa diversité. Après la préhistoire, il
Tout le monde rêvait de refaire le score du Roi Lion et part dans le futur avec Robots, qui sort en
Fox aggravait son retard sur Pixar... » 2005. En 2008 ce sera Horton, adapté de
l’œuvre du Dr Seuss. Tous ces films ont
Une franchise en or permis à Blue Sky de s’imposer définitive-
En 2000, Fox lâche Don Bluth, ferme son studio ment comme une alternative à Pixar et
de Phoenix et abandonne ses rêves de grandeur DreamWorks. L’identité du studio (plus
disneyienne. Wedge se met à proposer des idées de cartoon, plus new-yorkaise) et son gra-
films d’animation aux executives. Les débuts sont com- phisme (plus rond) ont fait la différence.
pliqués. « Le premier scénario de L’Âge de glace était Désormais dans le giron de Disney, on se
un road-movie animal classique comme on en voyait demande comment la bande de Wedge
chez Disney. Nous voulions faire quelque chose de plus va pouvoir survivre...

Juillet—Août 2019 55
X-Men 2 de Bryan Singer

56
4

LE STUDIO
DES (NOUVEAUX)
SUPERHEROS

TEMPS
Avant que Marvel/Disney ne dévore tout,
la 20th Century Fox fut la seule compagnie
hollywoodienne à miser sur une adaptation
© MARVEL-DONNER / TWENTIETH CENTURY FOX

des X-Men. Voici l’histoire du grand combat


de Bill Mechanic, de la naissance d’une franchise
qui a ressuscité le genre, et d’un studio qui n’a pas
vu que la concurrence qui allait le tuer
grandissait en son sein. PAR FRANÇOIS LÉGER

Juillet—Août 2019 57
LE STUDIO DES
(N O U V E A U X ) S U P E R H É R O S

out a commencé par l’arrivée d’un

T
Israélien grande gueule, réputé ca-
ractériel, un businessman hors pair
fraîchement débarqué du monde du
jouet. En 1993, Marvel s’offre 46 %
de Toy Biz, une entreprise spéciali-
sée dans les figurines dont Avi Arad
est le PDG, qui décroche au passage
le droit de créer et vendre des pro-
duits dérivés des personnages de la
marque. Le bonhomme a un pied
dans la porte et gravit rapidement
les échelons au sein de la « Maison des idées », bien
aidé par la lutte de pouvoir interne qui se joue quelques
années plus tard, en 1996, alors que Marvel se déclare
en faillite. Des têtes tombent chez les dirigeants, Arad
garde la sienne en charmant les banques avec un dis-
cours imparable : « Spider-Man à lui seul vaut un mil-
liard de dollars. Et vous allez vendre la totalité des
personnages pour 380 millions ? Un seul vaut un mil-
liard ! On a les X-Men. On a les Quatre Fantastiques. Ils
peuvent tous devenir des films. »
Depuis trois ans, ce fan absolu de comics dirige Marvel
Films, une branche destinée à capitaliser sur ces fran-
chises potentiellement très rentables. Stan Lee, qui
galère depuis des années à vendre les droits des films
Marvel aux studios hollywoodiens, est
très vite écarté (dans son autobiographie,
il dira diplomatiquement qu’Arad « sem-
blait de moins en moins désirer » sa pré-
sence et ses conseils). À l’époque, Marvel
fait du surplace côté ciné, à l’exception de de comics (la légende veut que plus jeune, il ait payé
quelques nanars fauchés, et ne semble pas ses études en vendant sa fabuleuse collection de BD).
réaliser être assis sur une mine d’or. « Faire Il sent la puissance potentielle des superhéros pour le
prendre conscience aux gens de ce qui était cinéma hollywoodien. Le succès de la série animée
juste sous leurs yeux, c’était littéralement un X-Men, diffusée par la chaîne Fox Kids (X-Men : The
combat de tous les jours », peste Avi Arad, Animated Series, qu’Arad a d’ailleurs produite avant
qui croit dur comme fer aux X-Men. d’arriver officiellement chez Marvel), va l’aider et
fin 93, début 94, le studio et la Donners’ Company
La Mechanic du succès s’offrent les droits des mutants pendant que Marvel
Le timing est alors idéal : après un projet de se sauve temporairement de la banqueroute.
film avorté dans les années 80, Marvel vient Courant 1994, Andrew Kevin Walker – futur scé-
enfin de récupérer les droits du Professeur nariste de Seven –  est embauché pour écrire le
Xavier et des siens. La productrice Lauren script, qui ne sera finalement jamais utilisé. Pas
Shuler Donner (mariée au réalisateur Richard plus que ceux de John Logan, James Schamus, Ed
Donner) tombe sur de simples descriptions des La série d’animation Solomon, Michael Chabon et même Joss Whedon. Tout
personnages du folklore X-Men. Une histoire d’amour X-Men produite par le monde s’y casse les dents, le film X-Men piétine mais
Avi Arad en 1992
immédiate : « Ils étaient tellement séduisants, racon- la Fox cherche activement un réalisateur et propose le
tera-t-elle bien plus tard à Rolling Stone. Particulière- job à Robert Rodriguez, qui refuse poliment. En paral-
ment Logan, alias Wolverine. Le personnage était aussi lèle, Bryan Singer, tout juste sorti d’Usual Suspects, est
complexe que dramatique. » Donner est sous le charme, contacté pour mettre en scène Alien, la résurrection.
© MARVEL-DONNER / TWENTIETH CENTURY FOX

mais Hollywood doute encore. Les derniers films de Son ami producteur Tom DeSanto estime qu’il devrait
superhéros Warner ont été de monstrueux échecs plutôt jeter un œil aux mutants. Mais les comics, Singer
artistiques (Batman Forever, Batman et Robin) et les n’en a cure. Il refuse par deux fois, avant de découvrir à
chiffres ne sont plus aussi « super » qu’avant (les budgets quel point il était dans l’erreur en lisant enfin la BD et en
enflent et les recettes, au mieux, stagnent). Le genre regardant la série animée. Il devient officiellement réa-
n’est plus un bon filon et devient même de la kryptonite lisateur du projet fin 1996, et une date de sortie est alors
hollywoodienne. Mais c’était compter sans le patron de fixée à Noël 1998. Elle ne sera jamais tenue, pas plus
la Fox à l’époque, Bill Mechanic, qui est un passionné que le budget prévisionnel de 60 millions de dollars.

58 Juillet—Août 2019
raconte l’acteur qui venait de passer sept ans à la télé
dans la franchise Star Trek. J’ai dit : “Mais qu’est-ce
que je fais sur la couverture d’un comic book ?” Elle
a répondu : “Exactement.” » Si l’interprète de Xavier
est une évidence, il n’en va pas de même pour celui de
Wolverine. Bryan Singer et Bill Mechanic ont les yeux
rivés sur Russell Crowe et son look animal. Ce dernier
commence par accepter, demande un salaire miro-
Ci-contre : X-Men Sans script, Singer part tourner Un élève doué avec bolant puis finit par décliner. « Il m’a juste dit : “Dé-
de Bryan Singer.
Ci-dessus : X-Men 2
DeSanto et à leur retour en 1998, ils pitchent conjointe- solé mec, je ne peux plus faire ton film maintenant” »,
de Bryan Singer. ment une histoire très proche de celle qu’on connaît. Le raconte Mechanic, qu’on devine énervé. Dougray Scott
duo veut remettre du sens dans le superhéros et propose est également envisagé mais il se blesse à la cheville sur
un film bien plus politique qu’il n’en a l’air, imaginé les reshoots de Mission : Impossible 2. Donner pousse
comme une allégorie de l’homosexualité et une charge pour recaster le rôle : « On a commencé à tourner sans
contre le maccarthysme. Bill Mechanic est aux anges, Wolverine et on a presque dû arrêter le tournage. Je suis
lui qui aime les risques créatifs. Expurgé de quelques allé voir ma directrice de casting et elle m’a annoncé
scènes trop coûteuses, le scénario est finalement confié qu’il y avait deux acteurs, dont Hugh Jackman », se sou-
à David Hayter, aidé en sous-main (son nom n’est pas vient Mechanic, qui a porté le film envers et contre tout.
au générique) par Christopher McQuarrie. Le cas- Jackman s’impose, même si le jeune homme est qua-
ting peut enfin commencer et Lauren Shuler Donner siment inconnu du grand public. Quelques hésitations
convoque immédiatement Patrick Stewart. «  Elle a plus tard (Angela Bassett ou Halle Berry pour Tornade ?
pris quelque chose sur son bureau et me l’a montré, Sarah Michelle Gellar ou Anna Paquin pour Malicia ?
Terence Stamp ou Ian McKellen pour Magneto ?),
l’affiche est bouclée. Entre-temps, en 1996, Marvel
Films est renommé Marvel Studios.

Un bleu nommé Feige


Dans ses bagages, Lauren Shuler Donner a apporté un
petit anonyme d’à peine 27 ans pas encore dégarni, son
ancien assistant qu’elle vient d’embaucher comme pro-
ducteur associé. Kevin Feige, futur patron de Marvel
Studios et du box-office mondial, est un bleu qui regarde

Juillet—Août 2019 59
partout, note le moindre détail et mesure sa chance
de réaliser son rêve après avoir « promené les chiens,
être allé chercher le déjeuner et lavé des voitures. Pour
(lui), c’était le sommet de la réussite hollywoodienne ».
Son amour (relativement récent) des comics le rap-
proche naturellement d’Avi Arad, également producteur
du film. Feige travaille dur, apprend tout ce qu’il y a à
savoir sur les X-Men, participe aux réunions et devient
une encyclopédie vivante qui déniche des pépites au mi-
lieu des cases. « Parfois, je leur disais de faire attention,
comme avec les cheveux de Wolverine durant les deux
premiers jours de production. Ils n’étaient pas dans l’es-
prit de ceux des comics. » Singer l’écoute et change la
coupe du mutant griffu.
Le tournage ultra secret de X-Men a lieu de septembre toutes les têtes et semblait avoir tué le genre. Mais c’est X-Men 2 de Bryan
Singer
1999 à mars 2000, entre Toronto et Hamilton, dans l’inverse qui se produit, X-Men redonnant un nouveau
l’Ontario, avec un budget final de 75 millions de dollars. souffle à la machine super-héroïque pour les vingt an-
Un énorme risque pour l’époque mais une bouchée de nées à suivre. Un proof of concept qui a eu un impact
pain en comparaison des moyens colossaux déployés énorme sur la pop culture et la structure même de l’in-
par les blockbusters modernes. Le réalisateur s’im- dustrie hollywoodienne. « Je suis particulièrement fier
plique à 100 % dans le projet et est déterminé à en faire de ce qu’on a accompli, on était des pionniers, rappelait
le premier film Marvel « adulte ». Il montre des images Singer à Première en 2016. Je ne veux pas me vanter,
exclusives au Comic Con et les fans sont à deux doigts mais j’étais le premier à prendre les films de comics
de tomber dans les pommes. Patrick Stewart : « Quand avec sérieux.  » X-Men ouvrira notamment la voie à
il est revenu de là-bas, il m’a dit : “Ça va être énorme.” »
Le film est un succès immédiat et rapportera 296 mil-
© MARVEL-DONNER / TWENTIETH CENTURY FOX

lions de dollars au final, avec un excellent retour cri-


tique. Pourtant, Bill Mechanic, qui vient de connaître
un four monumental avec Fight Club, est remercié par
Rupert Murdoch : « J’ai été viré la semaine de la sortie
de X-Men parce que je l’appelais mon film d’auteur à
70 millions de dollars, se marre-t-il. Personne ne pen-
sait qu’on pouvait de nouveau faire un film tiré de
comics. » La catastrophe Batman et Robin était dans

60 Juillet—Août 2019
LE STUDIO DES
(N O U V E A U X ) S U P E R H É R O S

Sam Raimi et son Spider-Man, sur lequel Feige et Arad


travaillent encore une fois main dans la main : devant le
regain d’intérêt pour les films de superhéros, l’Israélien
a en effet embauché le petit gars de Boston pour qu’il
devienne son second chez Marvel Studios. Ils bosseront
ensemble pendant sept ans et sur de multiples films... le
temps pour Feige de se faire la main.

Arad en rade
Sans Bill pour rouler des mécaniques, la franchise mu-
tante ne tient le cap qu’avec X-Men 2 (énorme succès
public et critique) avant de se diriger droit dans le mur
dès le troisième volet, X-Men : L’Affrontement final
(2006), qui s’envole au box-office mais est unanime-
ment détesté. À partir de là, les X-Men ne retrouve-
ront leur mojo créatif qu’entre les mains de Matthew
Vaughn (X-Men : Le Commencement, 2011) et se per-
dront dans une multitude de suites et de films dérivés
abracadabrantesques auxquels plus personne ne semble X-Men : L’Affrontement qui se réfugie chez Sony pour superviser les adapta-
final de Brett Ratner
croire, Bryan Singer le premier. tions de Spider-Man. Dans une lettre ouverte publiée
En face, chez Marvel Studios, on commence à se dire en 2014 sur le site Daily Mars, il confiait avoir « par-
qu’il serait plus intelligent de se lancer soi-même dans donné à Kevin d’avoir suivi les ordres et s’en attribuer
la production plutôt que de louer ses milliers de person- le mérite [d’un univers partagé], mais il n’avait pas le
nages au plus offrant. D’autant que la plupart des deals choix ». La suite, tout le monde la connaît : le MCU
avec Fox et Sony ne rapportent pas tant que ça... Est-ce devient la saga cinématographique la plus rentable au
Arad qui a l’idée ? Feige ? Les dirigeants de Marvel ? monde et vient de récupérer, par l’intermédiaire du ra-
Les versions divergent mais en 2007, au milieu du tour- chat de 21st Century Fox par Disney, les droits sur les
nage d’Iron Man (le premier film de la firme réalisé en X-Men. Quelque chose nous dit que cette fois, Kevin
autarcie), Kevin Feige est nommé président de Marvel Feige ne se contentera pas de décider de la coupe de
Studios à la place de son mentor. Coup dur pour Arad, cheveux de Wolverine.

Juillet—Août 2019 61
Alfred Newman en 1940

62
LE STUDIO
À LA FANFARE

EN AVANT
LA MUSIQUE
Tout le monde connaît la fanfare qui accompagne
le logo de la 20th Century Fox. Une fanfare qui
© TWENTIETH CENTURY FOX

raconte l’histoire et les dates marquantes du studio,


et permet surtout de rappeler la folle aventure de
son compositeur, Alfred Newman. PAR SYLVESTRE PICARD

Juillet—Août 2019 63
LE STUDIO
À L A FA NFA RE

orsque Darryl F. Zanuck crée

L
Twentieth Century Pictures en 1933
avec Joseph M. Schenck, l’ancien
patron de United Artists, il engage
Alfred Newman comme directeur
musical sur les conseils de son associé.
En 1930, Schenck avait fait venir
Newman, jeune chef d’orchestre
de Broadway, pour travailler sur
la comédie musicale avec Douglas
Fairbanks et Bebe Daniels, Pour
décrocher la lune. Newman devait
séjourner trois mois à Hollywood, le temps de monter
la pièce. Il y passera finalement le reste de sa vie, et
deviendra l’un des grands compositeurs de l’âge d’or.
Né en 1901 dans une famille juive pauvre du Connec­
ticut, Alfred Newman était un prodige du piano  :
quand son père déménagea à New York pour trouver
du travail, le garçon, alors âgé de 13 ans, fut embauché
pour jouer dans l’orchestre d’un cinéma qui inter­
prétait des classiques musicaux avant que le film ne
commence. Rétrospectivement, on peut y voir une
amusante prévision de ce qui sera son œuvre la plus
connue : les quelques mesures de la fanfare qui accom­
pagnent le logo de la 20th Century Fox. Un roule­
ment de tambour martial et les cuivres triomphant
tandis que le logo (créé par le peintre Emil Kosa Jr) Richard Widmark en gangster psychopathe. Newman Les Lumières
se dévoile, entouré de projecteurs –  comme pour travaille également à la musique des Lumières de la ville de la ville
de Charlie Chaplin
signifier à quel point chaque film du studio peut prendre de Charlie Chaplin (1931). Lorsque Zanuck lui com­
des allures de monument, de monument hollywoodien mande une fanfare pour illustrer son logo, il s’agit sim­
par­dessus tout. plement de souligner l’apparition du logo de sa nouvelle
compagnie au générique des films ; à l’arrivée, la fan­
Coup de génie fare est un coup de génie puisqu’on peut affirmer sans
Grâce à son amitié avec William Daly (et George trop se tromper qu’il s’agit de la musique de générique
Gershwin), le jeune Alfred devient chef d’orchestre à la plus connue et la plus implantée dans l’inconscient
17 ans – le plus jeune chef de l’histoire de Broadway. Il cinéphile – battant même le rugissement du lion de la
© UNITED ARTISTS / TWENTIETH CENTURY FOX

dirige des musicals comme George White’s Scandals Metro­Goldwyn­Mayer. Newman compose la fanfare
ou Funny Face en 1927. En 1930, il commence sa car­ de la Twentieth Century Pictures en 1935, et la réorches­
rière à Hollywood. À peine âgé de 30 ans, il signe sa trera en 1939. Cette année­là, il deviendra musical
deuxième musique de film, celle de Scène de la rue de director de la nouvelle compagnie née de la fusion entre
King Vidor (1931). Le passage Sentimental Rhapsody Twentieth Century Pictures et Fox Films, la 20th Cen­
est tellement puissant et évocateur, tellement inspirant, tury Fox. Il tiendra son poste, assisté de son frère Lionel,
qu’il sera réutilisé dans de nombreux films Fox, dont Le jusqu’à sa retraite en 1960 : Newman aura pendant plus de
Carrefour de la mort de Henry Hathaway (1947) avec vingt ans la charge essentielle de superviser la musique

64 Juillet—Août 2019
Alfred Newman et
Ernie Felice en
1952, durant
l’enregistrement
de la musique
d’Un refrain dans
mon cœur

de dizaines de films – jusqu’à 44 par an lors


des années les plus fastes. Il signera de son sons, individuellement ou en tant qu’unités »,
nom plus de 180 bandes originales, même si la résume Christopher Palmer dans son étude
plupart de ces compositions sont en fait créées The Composer in Hollywood (1990). On voit
par des « employés » sous sa direction. Mais à quel point cette analyse s’applique juste-
quels employés  ! Bernard Herrmann, Jerry ment à la fanfare de la Fox, véritable « bloc
Goldsmith, Cyril Mockridge, ou encore David de sons », mais Alfred Newman a tout de
Raksin travailleront avec lui : à l’époque, les stu- même su donner à la légende hollywoo-
dios s’échangent et se prêtent les compositeurs dienne de belles sonorités. « Newman est
comme les actrices et les acteurs vedettes. à son meilleur dans les films d’aventures
et romantiques, des reconstitutions histo-
Âge d’or riques et des récits de cape et d’épée qui font
Comme toute légende écrasante, la fanfare a de lui un héritier légitime de Korngold »,
étouffé le reste de la production de Newman, pour- continue Palmer, l’associant à l’Autrichien Erich
Partition de la fanfare
tant l’un des grands musiciens de Hollywood. « D’une de la Fox
Korngold, considéré comme l’un des fondateurs
manière générale, Newman ne s’intéresse pas beaucoup de la musique hollywoodienne à grand spec-
à l’interaction polyphonique entre des groupes instru- tacle avec Les Aventures de Robin des Bois de
mentaux. Il préfère travailler en termes de blocs de Michael Curtiz (1938). De fait, les meilleures

Juillet—Août 2019 65
LE STUDIO
À L A FA NFA RE

partitions d’Alfred Newman sont celles de Capitaine Alfred Newman, chef Zanuck en 1941, et celle du gigantesque La Conquête
d’orchestre dans
de Castille de Henry King (1947), des Hauts de Hurlevent Comment épouser un de l’Ouest coréalisé par John Ford, Henry Hathaway,
de William Wyler (1939) et du Prisonnier de Zenda de millionnaire de Jean George Marshall et Richard Thorpe en 1962. Sur le pé-
John Cromwell et S. Van Dyke (1937). Cette dernière et Negulesco plum biblique de 1965, La Plus Grande Histoire jamais
splendide partition sera utilisée pour le logo de Selznick contée de George Stevens, se produit un drame : au der-
International Pictures. Le remake de Zenda en 1952 par nier moment, on retire au montage le Hallelujah qu’il
Richard Thorpe réutilisera sa musique, réorchestrée. a composé avec un chœur de soixante chanteurs pour
C’est aussi Newman qui a mis en musique Qu’elle était La Conquête de l’Ouest le remplacer par celui de Haendel. En colère, Newman
verte ma vallée réalisé par John Ford et produit par (collectif) se fâche avec la production au point de demander qu’on
enlève son nom du film. Il signera sa dernière partition
quelques mois avant sa mort : celle du film catastrophe
Airport de George Seaton et Henry Hathaway (1970).
Au final, Alfred Newman aura fondé une véritable
dynastie hollywoodienne : parmi ses cinq enfants, trois
seront compositeurs : Maria (musique classique), David
(qui réenregistrera la fanfare Fox en 1997) et Thomas
(qui a fait la musique de tous les films de Sam Mendes,
y compris les James Bond).

Fanfare et CinémaScope
© LUCAS FILMS / TWENTIETH CENTURY FOX

Mais revenons en 1935 et à la fanfare de la Fox, qui à


sa création n’a pas tout à fait la forme qu’on lui connaît
aujourd’hui. Elle est moitié plus courte, s’interrom-
pant juste après le triomphe des cuivres (qui rappelle le
« triomphe » d’Aïda de Verdi) sur un fondu au noir avant
que le film commence. Ce n’est qu’en 1953 qu’elle aura

66 Juillet—Août 2019
sa durée complète, la forme qu’on entend aujourd’hui, à
l’occasion de la sortie de La Tunique. Ce péplum, réalisé
par Henry Koster, raconte l’histoire du soldat romain
qui a gagné aux dés la tunique de Jésus après sa cruci-
fixion ; il s’agit surtout du premier film en CinemaScope
(et en son stéréophonique) de l’histoire. Pour marquer
le coup, la Fox demande à Newman de rallonger sa fan-
fare afin qu’elle puisse accompagner l’apparition du
texte « Twentieth Century Fox presents a CinemaScope
production » juste après le logo « classique » du studio.
Les nouvelles mesures accompagneront désormais les
productions CinemaScope du studio (Comment épouser
un millionnaire, produit juste avant La Tunique, mais
sorti après). Également signée Newman, la musique
de La Tunique – l’une de ses meilleures compositions,
par ailleurs – sera, comme ses autres œuvres, éclipsée
La Guerre des étoiles
par ces quelques notes aériennes qui auraient pu dis- de George Lucas et Newman, se lance également dans la continuité de la
paraître avec le logo CinemaScope. C’était sans comp- fanfare, dans la piste flamboyante tracée par ses cuivres
ter sur George Lucas : en 1977, comme pour rendre titanesques.
hommage aux films spectaculaires qui ont nourri son
enfance, le réalisateur utilise les nouvelles mesures Musiques triomphales
de la fanfare de 1953 pour le début de La Guerre des Grâce à Star Wars, la fanfare intégrale ressuscitera dé-
étoiles : après le logo Fox et le fondu au noir, elles ac- finitivement sur le logo Fox à partir de 1981. En 1994,
compagnent le texte « A Lucasfilm production ». Et le le logo du studio devient le logo « tournant », en trois
score de John Williams, qui se nourrit largement des lé- La Tunique dimensions, où les projecteurs s’allument au rythme de
gendaires compositeurs de l’âge d’or comme Korngold de Henry Koster la partition de 1953, durant 21 secondes. C’est celui que
l’on voit encore aujourd’hui. La seule autre musique il-
lustrant le logo d’un studio réellement reconnaissable
est celle d’Universal (dont la première version, en 1937,
s’inspirait largement de la fanfare Fox), qui a été compo-
sée par Jerry Goldsmith en 1997 (James Horner a éga-
lement composé une jolie partition pour fêter les 75 ans
du studio, en 1990). De son côté, comme pour devenir
réellement monumental, Marvel Studios a commandé
en 2013 à Brian Tyler (Thor : Le Monde des ténèbres)
une fanfare de logo, qui sera refaite en 2016 par
Michael Giacchino (à l’occasion de Doctor Strange).
Des musiques triomphales qui doivent toutes quelque
chose à Newman, et à la volonté de Zanuck de construire
sa propre statue, son propre monument prêt à défier les
siècles. Quand vous appelez les bureaux de la Fox, de-
vinez quelle est la musique d’attente ?

Juillet—Août 2019 67
Les hommes préfèrent les blondes
de Howard Hawks

68
PORTFOLIO

LE STUDIO
DE MARILYN

FLAMME FATALE De 1946 à sa mort en 1962, Marilyn Monroe


s’imposa comme la star ultime et absolue de la Fox.
Auteur du sublime Hollywood menteur,
le dessinateur Luz a accepté de commenter quelques
photos de sa carrière fulgurante.
PAR GAËL GOLHEN

L
a femme exploitée par la machine à celle qui s’appelle encore Norma Jean.
hollywoodienne qui la fabriqua. La Et le mythe Marilyn devient indisso-
sensualité radieuse, les rondeurs in- ciable de la Fox, qui va l’utiliser comme
solentes, la fausse joie, l’intelligence sa « pin-up ». Ses films vont suivre les
planquée sous la minauderie, la che- évolutions esthétiques du studio, passer
velure platine, le déhanchement sur- par tous les genres (musical, western,
jouée, le « faire-semblant » d’être film noir) et se plier à toutes les innova-
une ravissante cruche. Et puis le tions de Zanuck (le Scope). Elle va vite
désespoir. Marilyn fut la star totale de s’imposer comme la figure majeure de
Hollywood, mais plus encore, la star la Fox des années 50. C’est cette décen-
ultime de la Fox, un studio dont l’his- nie prodigieuse qu’on a voulu mettre en
toire s’est construite sur le manque de lumière ici. Et qui mieux que Luz pour
star. Depuis les années 30, Darryl F. Zanuck avait dé- commenter les photos de l’actrice ? Lui
ployé une stratégie particulière : par manque de vedette, redonner de l’épaisseur et de la consistance ? Dans son
il avait privilégié la technique contre les stars. Shirley magnifique Hollywood menteur*, il a retracé le tournage
Temple ou Tyrone Power faisaient certes les beaux jours des Misfits de Huston. Il y a creusé les psychologies à
du studio, mais ce n’était pas grand-chose comparé aux vif de Clark Gable, Montgomery Clift et surtout Mari-
vedettes de la MGM (Gable, Tracy et Hepburn) ou à lyn Monroe, alors en pleine souffrance. Mais plus qu’un
la reine de la Warner, Bette Davis... Et puis, en 1946, making of, sa BD est une archéologie intime de Hol-
Ben Lyon, un cadre de la Fox, fait faire un bout d’essai lywood. Ce qu’il récidive ici en légendant la légende.

*Hollywood menteur, de Luz (Futuropolis)

Juillet—Août 2019 69
PORTFOLIO

Chérie, je me sens rajeunir


de Howard Hawks (1952)

« Monkey Business [en VO], hilarante comédie de Howard Hawks avec Cary
Grant en savant fou éleveur de chimpanzés, qui boit une potion de jouvence
et devient un adolescent attardé. Marilyn a l’air particulièrement à son aise
devant les bouffonneries caricaturales de Cary Grant. Et de ses amis les
chimpanzés, qui sont les seuls en 1952 à ne pas avoir eu en main les photos
de Marilyn nue sorties opportunément dans la presse cette année-là. »

Comment
épouser
un millionnaire
de Jean Negulesco (1954)

« L’image la plus iconique


de Marilyn. Celle qui sera
reproduite sur les posters,
les t-shirts made in
Bangladesh, les mugs made
in China, les coques de
portable, les boîtes de
maquillage, les devantures
de vidéoclub et de pizzerias…
Si Marilyn avait réussi à avoir
un enfant, cet héritier aurait
été richissime. Pour
Hollywood Menteur, il a fallu
effacer cette perception
rétinienne de ma mémoire
afin de réussir à la dessiner
sans fard, vulnérable et en
colère. Cela m’a pris presque
trois ans. »
© TWENTIETH CENTURY FOX

70 Juillet—Août 2019
Niagara
de Henry Hathaway (1953)

« Sexy même dans un ciré


jaune dans Niagara. En
1954, après la critique d’un
chroniqueur décrivant son
allure de « cheap » lors
d’une soirée au Beverly
Hills Hotel, Marilyn posera
dans un sac à patate pour
une publicité commandée
par la Fox. Conclusion
unanime : sexy même
dans une toile de jute de
pomme de terre. Il y a fort
à parier qu’elle aurait été
sexy même en gilet jaune. »

Juillet—Août 2019 71
PORTFOLIO

Rivière sans retour


d’Otto Preminger (1954)

« Un cowboy qui a des vapeurs et voilà Marilyn


qui vient lui éponger le front. Robert Mitchum
dans Rivière sans retour (comme Clark Gable
dans The Misfits) a beau jouer les gros durs, on
£le sent fondre comme un petit garçon dans les
mains de l’infirmière Norma Jean. Il est certain
que pour une telle cascade, Mitchum a refusé les
services de sa doublure. Allô, blondie, bobo. »

7 Ans de réflexion de Billy Wilder (1956)

« Il suffit désormais de passer sur une bouche de métro pour que tout
le monde, homme ou femme, portant short ou jupette, ait envie d’être
une Marilyn. Mais on se passerait bien de la présence d’un frotteur
derrière soi, quand bien même il s’appelle Tom Ewell. Ce dernier
© TWENTIETH CENTURY FOX

restera plus célèbre pour cette séquence libidineuse dans


7 Ans de réflexion que pour son rôle dans Deux Nigauds en Alaska. »

72 Juillet—Août 2019
7 Ans de réflexion de Billy Wilder (1956)

« Quoi de plus fascinant que le naturel de Marilyn prenant son bain : la


mousse colle parfaitement aux jambes, le maquillage est impeccable, la
bouche est subtilement en cœur pour accompagner un effet surprise
adorablement feint… Mais l’actrice souffrait aussi d’endométriose, ce qui
expliquait ces retards et angoisses. Or seul un bon bain chaud pouvait
soulager un peu sa douleur. Je l’imagine alors faire durer la scène le plus
longtemps possible. Et probablement faire pipi dans l’eau en loucedé. »

Juillet—Août 2019 73
PORTFOLIO

Arrêt d’autobus
de Joshua Logan (1956)

« Probablement l’une des


couillonnades les plus machistes
dans laquelle a joué Marilyn. Attrapée
au lasso comme du vulgaire bétail,
sa jupe déchirée sous les rires du
public, son popotin photographié
par un pervers, un partenaire de jeu
amoureux aussi charismatique
qu’un bol d’avoine… Son rôle : une
entraîneuse de cabaret qui rêve
de conquérir Hollywood et finalement
restera à l’arrêt de bus d’un trou
paumé. Marilyn elle-même attendra
la révélation d’un vrai rôle
dramatique qui ne viendra jamais.
Forever Bus Stop. »

Le Miliardaire de George Cukor (1960)

« Le Milliardaire est connu pour avoir été l’écrin


sirupeux d’une idylle entre Marilyn Monroe, alors
épouse d’Arthur Miller, et Yves Montand, maqué
avec Simone Signoret depuis dix ans. Quand on
regarde cette photo des coulisses du tournage,
on a envie de dire à Marilyn : “Laisse tomber le grand
© TWENTIETH CENTURY FOX

dadais et va plutôt rouler des pelles à Gene Kelly,


il est plus sympa, meilleur danseur, et en plus, il n’a
pas un goût de Gitanes dans le bec au réveil !” »

74 Juillet—Août 2019
Juillet—Août 2019 75
LES TOPS DU

studiQuel est le meilleur film noir de la Fox ? Où se place La Poursuite


infernale dans le top des 10 meilleurs westerns du studio ?
Et comment vous y retrouver dans les sagas les plus folles
(Planète des singes, X-Men) ? Petit tour d’horizon de l’incroyable
catalogue de la 20th Century Fox... PAR LA RÉDACTION

LES 10 MEILLEURS FILMS LES GRANDS SUCCÈS OUBLIÉS LES 5 PLUS BELLES COMÉDIES
DE SCIENCE-FICTION MUSICALES
CES FLOPS DEVENUS CULTES
X-MEN DU PIRE AU MEILLEUR TOP 20 DES MEILLEURS
LA PLANÈTE DES SINGES PERSONNAGES DE LA FOX
LES 10 MEILLEURS WESTERNS DU PIRE AU MEILLEUR
LES 6 PLUS GRANDS BIOPICS LES PLUS BELLES AFFICHES
10 RÉPLIQUES CULTES DES FILMS FOX PAR MONDO
LES 10 MEILLEURS FILMS NOIRS
LES 5 PLUS GRANDS FILMS LES MEILLEURES
LES MOTS DE ZANUCK DE GUERRE TAGLINES

Juillet—Août 2019 77
LES TOPS

LES 10 MEILLEURS FILMS DE

La Guerre des étoiles, Alien, Avatar… La SF est la vraie spécialité maison,


LE VOYAGE FANTASTIQUE qui commence dans les années 50 (Le jour où la Terre s’arrêta), pour
(RICHARD FLEISCHER, 1967) s’achever avec les chefs-d’œuvre de James Cameron.
Budget record et effets spéciaux halluci-
nants : Le Voyage fantastique est un for-
midable film d’aventures dans le corps
humain, hanté par des visions SF vision-
naires.

AVATAR
(JAMES CAMERON, 2009)
Le film-somme de James Cameron, du
cinéma à grande échelle qui dépasse la
simple performance technologique (no-
tamment l’expérience 3D révolutionnaire)
en créant de toutes pièces un univers visuel
d’une richesse inouïe.

LA MOUCHE
(DAVID CRONENBERG, 1987)
Tout le cinéma de David Cronenberg se
retrouve dans ce remake de La Mouche LE JOUR OÙ LA TERRE ALIENS, LE RETOUR
noire (1958), où se mêlent la technologie, S’ARRÊTA (JAMES CAMERON, 1986)
le sexe et les corps déformés. Le tout en- (ROBERT WISE, 1951) Le contre-pied du premier : plus de flin-
robé dans un film de science-fiction/hor- Une mise en scène des angoisses profondes gues, plus d’action, plus d’aliens, plus de
reur grand public. de l’humanité au début de la Guerre froide, drama. Cameron n’essaie pas une seconde
que le sage Robert Wise réalise avec un de repomper Ridley Scott et s’approprie la
minimalisme forcené. franchise. Ripley devient immortelle.
PREDATOR
(JOHN MCTIERNAN, 1987)
Une farce second degré sur la masculinité ABYSS LA PLANÈTE DES SINGES
outrancière made in USA, planquée der- (JAMES CAMERON, 1989) (FRANKLIN J. SCHAFFNER, 1968)
rière le paravent d’une traque au milieu James Cameron fait de sa passion pour les On se souvient surtout du dernier plan,
de la forêt. John McTiernan filme ça avec fonds marins un formidable terrain d’expé- inoubliable, mais La Planète des singes est
son ironie caractéristique et offre à Arnold rimentation SF basé sur l’émerveillement. avant tout un immense film d’aventures SF
Schwarzenegger un nouveau grand rôle Certainement son chef-d’œuvre le moins qui infuse encore dans le cinéma contempo-
après Conan et Terminator. apprécié à sa juste valeur. rain, plus de cinquante ans après sa sortie.

78 Juillet—Août 2019
DU PIRE AU MEILLEUR

10. X-MEN ORIGINS : WOLVERINE


L’accident industriel qui aurait pu tuer Wolverine avant
l’heure, un spectaculaire nanar sur la jeunesse de Logan.
Hood est toujours détenu dans les geôles de Hollywood.

9. X-MEN : L’AFFRONTEMENT FINAL


Le premier caillou dans la chaussure des mutants.
Un spectacle sans queue ni tête qui part dans tous les
sens et ne fonctionne que dans les scènes avec Jean Grey.

8. X-MEN : DARK PHOENIX


Le producteur/scénariste Simon Kinberg prend les com-
mandes des X-Men pour la conclusion de la saga. Rien de
neuf, on a l’impression d’avoir déjà vu ce film dix fois.

7. X-MEN : APOCALYPSE
Direction artistique abominable, scénario anecdotique  :
Bryan Singer est en roue libre et la franchise commence
à s’auto-digérer.

6. WOLVERINE : LE COMBAT DE L’IMMORTEL


Le mutant griffu au pays du Soleil levant. Une série B qui
s’écarte du cahier des charges superhéroïque mais patine
sur le terrain de l’émotion. Un galop d’essai avant Logan.

5. X-MEN : DAYS OF FUTURE PAST


Un grand ride nostalgique, aussi flamboyant
qu’anecdotique, qui réécrit la franchise et tente
de renouer avec l’esprit des débuts.

4. LOGAN
James Mangold enterre la légende Wolverine dans un
western crépusculaire carburant aux regrets, à l’alcool
et à la dépression. Fin d’une époque.
ALIEN, LE HUITIÈME 3. X-MEN : LE COMMENCEMENT
PASSAGER
(RIDLEY SCOTT, 1979)
Matthew Vaughn ravive la flamme avec un prequel
Ridley Scott, à rebours de son époque, sug-
à l’ambiance 60s et au casting impeccable.
gère plus qu’il ne montre et fait d’un block-
buster un huis clos étouffant avec une sale 2. X-MEN 2
bestiole. Le sommet de la SF horrifique.
© LUCAS FILMS - TWENTIETH CENTURY FOX

Une suite presque aussi bonne que l’original, centrée


sur Wolverine. Hugh Jackman superstar.
LA GUERRE DES ÉTOILES
(GEORGE LUCAS, 1977) 1. X-MEN
George Lucas transforme un cri contre la
guerre du Vietnam en plus grand space Bryan Singer invente le film de superhéros moderne
opera de la galaxie. et donne le ton pour les vingt prochaines années.

Juillet—Août 2019 79
LE BRIGAND BIEN-AIMÉ
(HENRY KING, 1939)
Tyrone Power en Jesse James ! Avec La
Chevauchée fantastique, l’autre western
qui fait entrer, en 1939, le genre dans son
âge d’or. Un an plus tard, la Fox confie la
suite à Fritz Lang. Bien aussi.

LES 10 MEILLEURS SUR LA PISTE DES MOHAWKS


(JOHN FORD, 1939)
Entre la fresque historique, le film de
guerre et le western, la naissance d’une
nation racontée avec dignité et humanisme.
Et la course de Henry Fonda à travers les
bois est un sommet de la filmo fordienne.

Entre des classiques fordiens, quelques merveilles atypiques de Henry


King et surtout l’adieu mélancolique au genre de George Roy Hill, voici BUTCH CASSIDY ET LE KID
dix westerns Fox qui ont marqué le 7e art. (GEORGE ROY HILL, 1969)
Le tube de Burt Bacharach rythme ce wes-
tern contemporain de La Horde sauvage
HOMBRE L’ÉTRANGE INCIDENT qui jette un regard désenchanté sur un
(MARTIN RITT, 1967) (WILLIAM WELLMAN, 1943) genre finissant et sur ses héros hédonistes.
La vie d’un Blanc élevé par des Apaches À la frontière du film noir et du western,
met en relief la cupidité, le racisme et l’in- dans un minimalisme hypnotique, une
dividualisme de la société WASP. Un grand réflexion sur le lynchage et l’un des plus LA POURSUITE INFERNALE
Martin Ritt. Un sublime Paul Newman. grands rôles de Henry Fonda en conscience (JOHN FORD, 1946)
morale agissante. Romanesque, lyrique, somptueux : le wes-
tern fordien dans toute sa splendeur, célé-
LA FLÈCHE BRISÉE bration de la mythologie de l’Ouest et de ses
(DELMER DAVES, 1950) LA CIBLE HUMAINE figures tragiques.
Écœuré par la guerre contre les Indiens, (HENRY KING, 1950)
Tom Jeffords (James Stewart) décide de Un film amer sur un as de la gâchette
jouer les émissaires et va parler à Cochise... fatigué, une légende noire, qui arrive
L’humanisme de Delmer Daves transcende dans le village où résident son ex-femme
ce premier western qui montrait les Indiens et son fils. Violence sans rémission, noir-
sous un jour favorable. ceur mélancolique, avec un Gregory Peck
époustouflant.

L’HOMME AUX COLTS D’OR


(EDWARD DMYTRYK, 1959)
Hiératique, tout de noir vêtu, imperturbable,
Henry Fonda campe un tueur à gages mé-
morable dont Sergio Leone se souviendra
pour Il était une fois dans l’Ouest.

LE JARDIN DU DIABLE
(HENRY HATHAWAY, 1954)
Un grand western déroutant, à l’ambiance
presque fantastique, et aux éclairs de vio-
lence. L’ancêtre de Peckinpah et Eastwood.

80 Juillet—Août 2019
LES TOPS

LES 6 PLUS GRANDS

Genre hollywoodien par excellence, le biopic a aussi


fait les beaux jours du studio. Florilège des meilleurs.

VIVA ZAPATA ! LINCOLN


(ELIA KAZAN, 1952) (STEVEN SPIELBERG, 2012)
Portrait d’un révolutionnaire malgré lui, Quand Ford montrait un Lincoln fermier
Viva Zapata ! est le portrait en creux idéalisé en prise avec le peuple, Spielberg filme un
d’Elia Kazan, homme de gauche anti- Lincoln président obligé de composer avec
stalinien, mais traître pour l’éternité. l’élite de la nation.

NORMA RAE BRAVEHEART


(MARTIN RITT, 1979) (MEL GIBSON, 1995)
Le nom change mais pas le message. Le réalisateur revisite à sa façon barbare
Inspiré du combat de la syndicaliste Crystal et follement habitée l’histoire de William
Lee Sutton, Norma Rae est le grand film de Wallace qui n’en demandait sans doute
gauche de la Fox. pas tant.

PATTON VERS SA DESTINÉE


(FRANKLIN J. SCHAFFNER, 1970) (JOHN FORD, 1939)
© TWENTIETH CENTURY FOX

Portrait d’un militaire obsessionnel, Abraham Lincoln par John Ford. Quand le
étanche au compromis, ce biopic doit tout biopic devient l’instrument d’une vision de
à l’interprétation hors normes du génial l’Amérique et du classicisme cinématogra-
George C. Scott. phique.

Juillet—Août 2019 81
LES TOPS

LES 10 MEILLEURS

Au milieu des années 40,


la Fox réinvente le film noir
LA PROIE (ROBERT SIODMAK, 1949) avec son approche documentaire
Le décontracté Victor Mature traque et ses sujets naturalistes.
le patibulaire Richard Conte. La vamp
La preuve par dix.
triste Shelley Winters n’est pas loin. La
mise en scène très habitée de Robert
Siodmak s’appuie sur un script de Ben
Hecht que David O. Selznick surnommait
« le Shakespeare de Hollywood ».

LA MAISON DE BAMBOU
(SAMUEL FULLER, 1956)
Le franc-tireur Fuller signe avec ce thriller
tragique tout en faux-semblant le premier
film hollywoodien intégralement tourné
au Japon. La formidable utilisation du
CinemaScope vire à l’abstraction picturale.

HANGOVER SQUARE LE PORT DE LA DROGUE


LE CARREFOUR DE LA MORT (JOHN BRAHM, 1945) (SAMUEL FULLER, 1953)
(HENRY HATHAWAY, 1948) Relecture étouffante et fiévreuse de Le flegme inquiétant de Richard Widmark,
Face-à-face puissant et violent entre deux L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. le regard mystérieux de Jean Peters. Au
figures de la maison Fox, sorte de yin Hyde de Robert Louis Stevenson, portée milieu, un microfilm et beaucoup d’em-
et yang du film noir : le blond émacié par le colosse aux pieds d’argile à la santé brouilles. Derrière ce titre français hors
toujours inquiet, Richard Widmark, et le fragile, Laird Cregar, formidable en com- sujet, Fuller plonge dans une Amérique
brun aux manières faussement détachées, positeur schizophrène. totalement paranoïaque.
Victor Mature.

MAX DIXON, DÉTECTIVE LES BAS-FONDS DE FRISCO


APPELEZ NORD 777 (OTTO PREMINGER, 1951) (JULES DASSIN, 1950)
(HENRY HATHAWAY, 1948) On prend les mêmes que dans Laura et on Avant de quitter les États-Unis où il est
À la fin des années 40, James Stewart casse recommence autrement. Gene Tierney et blacklisté, Jules Dassin livre ce film noir
son image de gendre idéal pour des rôles Dana Andrews tombent amoureux devant néoréaliste écrit par A. I. Bezzerides, où
plus sombres et ambigus, comme celui de la caméra d’Otto Preminger et tentent de les Halles de San Fransisco sont envisagées
ce journaliste qui tente de faire éclater une se défaire d’une culpabilité qui pourrait comme un monde souterrain abritant toute
vérité dont personne ne veut. bien tout détruire. la misère américaine.

82 Juillet—Août 2019
Le big boss de la Fox était « le dernier nabab
de Hollywood », d’après son biographe.
Forcément une source de sagesse zen
comme tout bon producteur qui se respecte.
La preuve en cinq phrases.

« LE SUCCÈS D’UN FILM


SE RÉSUME À TROIS CHOSES :
L’HISTOIRE, L’HISTOIRE,
L’HISTOIRE. »

« Quand j’ai fait L’Ennemi public,


j’étais clairement en avance
NIAGARA (HENRY HATHAWAY, 1953) sur mon temps. Pas d’histoire d’amour,
L’arrivée de la couleur est pour mais plein de sexe et plein de violence. »
Hathaway une révolution qui « change com-
plètement l’écriture cinématographique ».
Témoin, sa façon de filmer Marilyn en
femme fatale lumineuse dont chaque appa-
rition embrase le cadre.

LAURA (OTTO PREMINGER, 1944)


Quintessence du genre avec une
© TWENTIETH CENTURY FOX

femme fatale inaccessible et spectrale


(Gene Tierney au faîte de sa beauté), qui
hante un homme jusqu’à la folie (Dana Sources : Zanuck, le dernier grand nabab (Leonard Mosley, 1984)
Andrews). Un Preminger hitchcockien. Twentieth Century’s Fox : Darryl F. Zanuck and the Culture of Hollywood
(George F. Custen, 1997)

Juillet—Août 2019 83
LES TOPS

BOX-OFFICE

Ils ont cartonné au box-office, mais ont un peu sombré


dans les limbes de la pop culture.

LA TUNIQUE COMMENT SE DÉBARRASSER


(HENRY KING, 1953) DE SON PATRON
En comptant l’inflation, La Tunique a (COLIN HIGGINS, 1980)
mieux marché en salles que La Revanche Trois femmes (Jane Fonda, Dolly Parton,
des Sith et se retrouve au 52e rang des plus Lily Tomlin) veulent... se débarrasser de
gros succès de tous les temps. Celui-là, on leur patron. Deuxième plus gros carton
s’en souvient, mais parce qu’il s’agit du de l’année 1980 derrière L’Empire contre-
premier film en CinemaScope. attaque. A engendré une série télé. Une
suite arrive bientôt. Et vous ne saviez rien
de l’original.
L’AVENTURE DU POSÉIDON
(RONALD NEAME, 1973) LES FRÈRES MCMULLEN
Le plus gros succès dans le genre « film PORKY’S (BOB CLARK, 1982) (EDWARD BURNS, 1995)
catastrophe à très gros casting », inventé Version trasho-cul d’American Premier film Fox Searchlight sorti en pleine
avec Airport (1970). Ici, c’est un paquebot Graffiti et prototype d’American Pie (une «  vague Sundance  », la chronique fami-
qui se retourne suite à un tsunami. Et si ça bande de lycéens veulent perdre leur puce- liale irlando-yankee d’Ed Burns a coûté
vous dit quelque chose, c’est sans doute à lage dans la Floride de 1954). Cinquième 28 000 dollars et en a rapporté 10 millions.
cause du remake. plus gros carton de l’année 1982 aux USA. La mine d’or indé était en plein boom.

84 Juillet—Août 2019
BOX-OFFICE

FIGHT CLUB (DAVID FINCHER, 1999)


Conspué, traité de manifeste facho à
sa sortie, lâché par le studio (Bill Mechanic
est viré au moment de la sortie), Fight Club
est depuis devenu un manifeste esthétique
et s’est imposé comme l’un des tout meil-
leurs Fincher.

TITAN A.E.
(DON BLUTH & GARY GOLDMAN, 2000)
Ça devait être le Star Wars de l’animation
Ceux-là ont été des chez Fox : gros flop en salles, la belle aven-
catastrophes au box-office, ture spatiale et humaniste Titan A.E. mar-
mais ont marqué des quera la fin de Fox Animation et disparaîtra
générations…
dans la galaxie. Survit dans les souvenirs et
impose la griffe Whedon aujourd’hui.

LA VALSE DES PANTINS


(MARTIN SCORSESE, 1983) SUNSHINE (DANNY BOYLE, 2007)
Sorti après Raging Bull et copieusement Ce film de SF signé Danny Boyle est
détesté, un génial manifeste nihiliste d’une un étrange remake d’Alien, psychopathe
noirceur incroyable, qui tord le bide comme et psychédélique, où l’on tente de rani-
aucun film de Scorsese ne l’a fait. Deux mer le Soleil en plongeant dedans (quelle
millions de dollars, 116e succès de 1983. belle idée) au son du score dingue de John
Largement réhabilité depuis. Murphy. Un échec (200e au box-office de
l’année) ET un classique.

LES AVENTURES DE JACK


BURTON DANS LES GRIFFES
DU MANDARIN (JOHN CARPENTER, 1986)
Big John Carpenter mélange Orient et
Occident dans son néo-western délirant
où un gros beauf camionneur affronte un
© TWENTIETH CENTURY FOX

Fu Manchu d’opérette. Onze millions de


dollars de recettes au moment de sa sortie,
le film est devenu le modèle de toutes les
geekeries des années 2000.

Juillet—Août 2019 85
LES TOPS

DU PIRE AU MEILLEUR

Un chef-d’œuvre absolu, puis


des suites et des reboots
qui passent par tous les états.
Voilà de quoi
s’y retrouver.

LA BATAILLE DE LA PLANÈTE
DES SINGES (J. LEE THOMPSON, 1973)
Bête et manichéen, le dernier long métrage
de la première saga lorgne du côté de la
série Z, absolument vide d’idées de mise
en scène et de scénario.

LA PLANÈTE DES SINGES


(TIM BURTON, 2001)
Tim Burton livre l’un de ses pires films et
s’avère incapable de s’approprier la fran-
chise. Rien. Mais alors rien du tout.
LA PLANÈTE DES SINGES :
LES ORIGINES (RUPERT WYATT, 2011)
LA CONQUÊTE DE LA PLANÈTE Techniquement irréprochable, ce premier
DES SINGES (J. LEE THOMPSON, 1972) LA PLANÈTE DES SINGES : volet du reboot a tout compris à la saga
D’un pessimisme et d’une noirceur sidé- SUPRÉMATIE (MATT REEVES, 2017) d’origine et encapsule dans un film catas-
rants, ce quatrième volet aurait pu devenir Full Metal Jacket avec des primates. Une trophe une fable qui questionne l’influence
l’un des meilleurs films de la franchise si conclusion de trilogie en forme d’uppercut, de l’Homme sur les autres espèces.
le studio avait laissé le réalisateur Jack Lee avec juste ce qu’il faut d’héroïsme, de sang
Thompson aller au bout de sa vision. et de larmes. César forever.
LA PLANÈTE DES SINGES :
L’AFFRONTEMENT
LE SECRET DE LA PLANÈTE LES ÉVADÉS DE LA PLANÈTE (MATT REEVES, 2014)
DES SINGES (TED POST, 1970) DES SINGES (DON TAYLOR, 1971) Andy Serkis fusionne avec César, incar-
Cette première suite surfe sur le mou- Des singes intelligents se retrouvent à notre nant à lui seul la déroute de l’humanité et la
vement pacifiste en réponse à la guerre époque. Une inversion des rôles a priori montée en puissance des singes. Une fable
du Vietnam, mais s’enfonce vite dans le ridicule, traitée ici avec tout le sérieux qui se joue plus sur le terrain politique que
cinéma bis sans jamais retrouver le sel de qu’elle mérite, et qui nous renvoie au visage philosophique, et qui pousse la franchise à
l’original. nos peurs et nos erreurs. se renouveler.

86 Juillet—Août 2019
Best of des dialogues et des punchlines
les plus percutants.

OBI-WAN KENOBI DANS LA GUERRE DES ÉTOILES

MARGO CHANNING DANS EVE

JOHN MCCLANE DANS PIÈGE DE CRISTAL

GEORGE TAYLOR DANS LA PLANÈTE DES SINGES

JACK DAWSON DANS TITANIC

TYLER DURDEN DANS FIGHT CLUB

ELLEN RIPLEY DANS ALIENS, LE RETOUR

INIGO MONTOYA DANS PRINCESS BRIDE

LA PLANÈTE DES SINGES MARK MCPHERSON DANS LAURA


(FRANKLIN J. SCHAFFNER, 1968)
Un grand film d’aventures et une immense
© TWENTIETH CENTURY FOX

réflexion sur la place de l’Homme au sein


du règne animal. Mise en scène à la hauteur
de l’enjeu, Charlton Heston impérial, plan
final indépassable : un chef-d’œuvre. SNAKES DANS MAMAN, J’AI RATÉ L’AVION

Juillet—Août 2019 87
LES TOPS

LES 5 PLUS GRANDS

On raconte que pendant la guerre, Zanuck refusa


d’être pistonné et demanda à être affecté à un service
actif… De là son goût pour le genre ? Sous son règne,
la Fox multiplia les (bons) films de guerre. Best of.

LE JOUR LE PLUS LONG


(COLLECTIF, 1962)
Un monument commémoratif  avec  John
Wayne, Bourvil et la moitié des acteurs
de la planète. L’opus magnum de Darryl F.
Zanuck, ou le D-Day comme si vous étiez.

LE BAL DES MAUDITS


(EDWARD DMYTRYK, 1958)
Les destins parallèles de deux soldats US
et d’un officier de la Wehrmacht pendant la
Seconde Guerre mondiale. Le casting est
énorme : Montgomery Clift, Dean Martin
et Marlon Brando en nazi blond platine.

BAÏONNETTE AU CANON UN HOMME DE FER LA LIGNE ROUGE


(SAMUEL FULLER, 1951) (HENRY KING, 1949) (TERRENCE MALICK, 1998)
Impressionné par J’ai vécu l’enfer de Corée, Étude aride, et finalement bouleversante, Malick revenait au cinéma, vingt  ans
Zanuck embaucha Samuel Fuller. L’attente, de la psychologie des membres de l’Air après Les Moissons du ciel, et racontait les
l’action, la peur, les yeux cernés des GI : un Force bombardant l’Allemagne nazie. Vé- combats de Guadalcanal en un long poème
chef-d’œuvre sous tension. néré par le Rian Johnson des Derniers Jedi. polyphonique. Un instant d’éternité.

88 Juillet—Août 2019
LES 5 PLUS BELLES

Si on compare à la MGM
ou à la RKO, le musical n’est
franchement pas le genre
de prédilection du studio.
Pourtant, à toutes les époques,
la Fox saura produire un bijou…

CARMEN JONES
(OTTO PREMINGER, 1954)
Pas de lyrisme débordant, pas de grands
numéros extatiques. Les chansons de cette LA MÉLODIE DU BONHEUR
version black de Carmen imaginée par (ROBERT WISE, 1965)
Preminger sont au service d’une passion Quatre ans après West Side Story, Robert
exacerbée. La mise en scène (et le Scope), Wise réalise La Mélodie du bonheur. Loin
le texte et les acteurs sont hallucinants. de la mièvrerie qu’on lui reproche souvent,
Peut-être pas la meilleure comédie musi- le film réussit à équilibrer une réflexion sur
cale hollywoodienne, mais l’un des plus la montée du nazisme et un divertissement
beaux films du cinéaste. joyeux et bariolé. Une merveille.

PHANTOM OF THE PARADISE


THE ROSE (MARK RYDELL, 1979) (BRIAN DE PALMA, 1975) MOULIN ROUGE !
Librement inspiré par la figure de Influencée par le pop-business de l’époque (BAZ LUHRMANN, 2001)
Janis Joplin, The Rose reste l’une des ré- (Swan est un mix entre Phil Spector et Le Moulin rouge vu comme le berceau du
férences du film rock, le mètre-étalon du David Geffen), cette relecture de Faust et clubbing et de la bohème parisienne. Une
© TWENTIETH CENTURY FOX

(faux) biopic de star musicale. Le magné- du Fantôme de l’opéra oscille entre hom- fantasmagorie qui ne ressemble à rien sinon
tisme et la punk attitude de Bette Midler mage, parodie et pastiche. Un musical à un croisement entre Bob Fosse (le musical
qui électrise tout y sont vraisemblablement fantastique, noir et cauchemardesque. Du rococo) et Resnais (le karaoké sentimental).
pour beaucoup... pur De Palma. Fou, pop, postmoderne.

Juillet—Août 2019 89
T DES MEILLEURS
P
PERSONNAGES
DE LA FOX
Au-delà des films, au-delà des franchises, la 20th Century Fox
a réussi à marquer l’inconscient collectif en inventant
quelques figures clés de la culture pop. En dehors
des adaptations de comics (désolé Wolverine) et des personnages
historiques (bye bye Cléopâtre, adieu Patton...), voici les meilleurs
personnages légués par le studio. PAR LA RÉDACTION

90 Juillet—Août 2019
LES TOPS

19

DAMIEN (LA MALÉDICTION


DE RICHARD DONNER, 1976)
Damien est un proche cousin de Niles et
Holland, les jumeaux maléfiques de L’Autre BARTON FINK (BARTON FINK CÉSAR (LA PLANÈTE DES SINGES :
de Robert Mulligan produit par le studio DE JOEL & ETHAN COEN, 1991) LES ORIGINES DE RUPERT WYATT, 2011)
cinq ans plus tôt. Comme ses aînés, l’enfant Les pannes d’écriture ont parfois du bon. Dix ans après avoir révélé au monde ébahi
déconcerte ses parents – incarnés ici par On raconte que c’est pour vaincre un syn- la performance capture avec son Gollum
les mythiques Gregory Peck et Lee Remick drome de la page blanche que les frères du Seigneur des anneaux, Andy Serkis la
– qui se demandent à quel saint se vouer. Coen ont inventé ce personnage d’auteur de porte à un niveau inouï. Et ce qui n’était à
La Malédiction (The Omen), réalisé par théâtre intellectuellement en panne, qui part l’origine qu’un simple reboot de la franchise
Richard Donner, surfe surtout sur le déli- tenter sa chance à Hollywood face à un pro- Planète des singes (en plus sombre, en plus
rant succès de L’Exorciste de William Frie- ducteur, inspiré, lui, par Darryl F. Zanuck, réaliste... en plus « nolanien ») devient un
dkin (1974) produit par la Warner, qui a fait grand manitou historique de la Fox. Belle vrai projet de cinéma. L’acteur va raconter
de l’antéchrist une figure ultra bankable. mise en abyme qui permit à la Fox de triom- l’histoire d’un révolutionnaire, d’un person-
Damien, bambin de 5 ans, avec sa cas- pher à Cannes. Le studio y avait déjà été nage shakespearien même : un singe plus
quette noire et ses culottes courtes, regarde palmé avec M.A.S.H. et Que le spectacle qu’humain qui devient un héros biblique
l’objectif sans jamais baisser le regard. commence... Mais Barton Fink y a ajouté et prophète. Un an après Avatar, Serkis et
Demande-t-il de l’aide ou essaie-t-il de nous les prix de la mise en scène et du meilleur son César sonnent pour de bon l’heure de la
ensorceler ? L’enfance est bien un mystère. acteur (John Turturro). Un triplé historique. révolution technique.

18
© TWENTIETH CENTURY FOX

Juillet—Août 2019 91
JIMMY « POPEYE » DOYLE
(FRENCH CONNECTION
DE WILLIAM FRIEDKIN, 1972)
Avec l’inspecteur Harry et Frank Serpico,
c’est le personnage de flic le plus iconique
des années 70. Le plus stylé avec son cha-
peau pork pie et son imper au col relevé, que
15
Gene Hackman porte avec sa rusticité habi- RUPERT PUPKIN (LA VALSE DES où il change de personnages et d’accents
tuelle. Inspiré d’Eddie Egan, un légendaire PANTINS DE MARTIN SCORSESE, 1983) en allant régulièrement aux toilettes est le
policier new-yorkais, Jimmy « Popeye » Et si Travis Bickle, l’antihéros de Taxi sommet de sa vibrionnante carrière.
Doyle lança en 1972 (en même temps que Driver, s’était lancé dans le stand-up ? Il se-
« Dirty » Harry) la mode des flics obstinés rait devenu Rupert Pupkin, comique mous-
aux méthodes expéditives. Quatre ans tachu raté qui rêve de faire des blagues à la
plus tard, il rempila dans une suite située à télé et kidnappera pour ce faire son idole,
Marseille où Gene Hackman paraît un peu Jerry Langford. Robert de Niro est hilarant
émoussé et paumé, sans Roy Scheider à ses dans la peau de ce bouffon sociopathe rê-
côtés. vant de son quart d’heure de célébrité, l’une
des incarnations les plus jusqu’au-boutistes
et cartoonesque de la misanthropie scorsé-
sienne. Sans doute le meilleur nom de per-
sonnage de ce top, dont presque personne ne
se souvient au cours du film (« Mr Pipkin ?
Mr Pupnik ? Mr Puffer ? »).

MADAME DOUBTFIRE (MADAME


DOUBTFIRE DE CHRIS COLOMBUS, 1994)
INIGO MONTOYA (PRINCESS BRIDE Dans Madame Doubtfire, Robin Williams MARGO CHANNING (EVE DE JOSEPH
DE ROB REINER, 1988) joue un homme prêt à tout pour regagner les L. MANKIEWICZ, 1951)
Pour distraire son petit-fils malade, un pépé faveurs de sa famille. Tout, jusqu’à se trans- Le film s’appelle (All About) Eve, mais la
imagine des histoires abracadabrantesques former en nanny, hommasse et énorme. vraie star du film, c’est Margo Channing, la
au cours desquelles un preux jouvenceau Un tel rôle aurait dû couler la carrière de diva sur le déclin, torturée par son âge, bien-
s’applique à sauver sa dulcinée. Il est ac- n’importe quel acteur. Elle a, au contraire, tôt poussée hors des sunlights par une jeune
compagné d’un géant et d’un escrimeur. cimenté l’amour des Américains arriviste. Une demi-douzaine d’actrices
Pas n’importe lequel : le meilleur sabreur pour ce comique génial et faillit s’emparer du rôle : Darryl F. Zanuck
du monde ! C’est Inigo Montoya recherchant déroutant. Williams donne trouvait Susan Hayward « trop jeune »
le chevalier noir qui a occis son père. Le une interprétation bouillon- et Marlene Dietrich « trop allemande ».
génial Mandy Patinkin, affublé d’un accent nante, brouillonne Barbara Stanwyck et Joan Crawford, un
ibère prononcé et d’un costume seyant, est et hilarante, plus temps considérées, eurent d’autres enga-
superbe de dérision, d’agilité et d’obsession subtile qu’il n’y gements et Claudette Colbert, elle, se
vengeresse. On n’oubliera jamais son : « Yé paraît, qui pro- blessa peu de temps avant le tournage.
© TWENTIETH CENTURY FOX

m’appelle Inigo Montoya. Tou a toué mon pulse ce Tootsie C’est finalement Bette Davis qui de-
père, prépare-toi à mourir. » Accessoire- pour gamins vers vint Margo et prononça la réplique
ment, la plus belle moustache de l’histoire des sommets pop. légendaire : « Fasten your seatbelts,
de la Fox. La scène au restaurant it’s going to be a bumpy night. »

92 Juillet—Août 2019
LES TOPS

JACK BURTON (LES AVENTURES le type le plus fort du monde et je l’ai mis prochain tout en distribuant ses katas de Sid
DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES en face de quelqu’un qui était plus fort en- Vicious périmé. Bref : l’un des personnages
DU MANDARIN DE JOHN CARPENTER, 1986) core. » Schwarzy. Le Terminator face au les plus emblématiques du cinoche contem-
Il ne comprend rien à ce qui se passe, per- Predator. Au mitan des clinquantes 80s, porain. Et Brad Pitt est d’une beauté trouble,
sonne ne fait gaffe à lui, personne ne lui ex- Murdoch a pris possession de la Fox, fai- éprouvante et explosive.
plique... À la fin, même le grand méchant ne sant bientôt de la firme un empire tentacu-
connaît pas son nom (« Jack Burton ? C’est laire. Reagan, le président des États-Unis, a,
qui ? »). Le personnage du titre est un beauf lui, plus que jamais besoin de gros bras pour
à mulet puant la bière et conduisant un semi- sauver une patrie menacée de l’intérieur.
remorque nommé Côte de porc express. Un Schwarzy, seul au monde, doit donc tenir la
col-bleu comme tous les bons personnages baraque face à une menace fantôme : l’alien
« carpenteriens ». Génial, hilarant même, aime, en effet, à se confondre avec Dame
mais cela a surtout contribué à faire du film Nature. De là à parler de fable écolo... Le
un échec en salles (mais ça, la Fox s’en mo- Predator, imperméable au réchauffement
quait : quinze jours plus tard, Aliens, le climatique, est de toute façon increvable.
retour cassait la baraque). Les hommes passent et trépassent, la bête
rugit encore.

TYLER DURDEN LAURA (LAURA D’OTTO PREMINGER, 1944)


(FIGHT CLUB DE DAVID FINCHER, 1999) Elle n’apparaît qu’au bout de 45 mi-
Cette année-là, les pontes de la Fox n’ont nutes de film, revenue d’entre les morts.
d’yeux que pour Star Wars, Épisode I – La Laura, fantôme de l’écran, fantasme ciné-
Menace fantôme, leader du box-office US phile qui hante les spectateurs depuis 1943.
1999, où l’adaptation du Fight Club de Laura, c’est Gene Tierney, actrice révélée
Chuck Palahniuk ne pointe qu’à la 54e place. trois ans plus tôt par Le Retour de Frank
Mais, vingt ans plus tard, Tyler Durden s’est James et qui va, pendant dix ans, être la
installé dans l’inconscient collectif. Hobo l’actrice phare du studio et incarner des hé-
céleste, philosophe des poubelles et des rues roïnes fragiles et tourmentées, rejoignant sa
qui sentent l’urine, Tyler est un schizo. Une tragédie de femme et de mère ébranlée par
FOX MULDER/DANA SCULLY pulsion de mort, un Bruce Lee anar ou un des drames personnels. Gene Tierney a payé
(THE X-FILES, LE FILM gourou à l’indignité bariolée, une incarna- le prix fort de l’éternité, mais sa Laura est le
DE ROB S. BOWMAN, 1998) tion de la défonce qui prêche l’amour de son plus beau songe de cinéma jamais imaginé.
On doit préférer qui, finalement ? Fox
William Mulder le sceptique, son humour à
sec et son obsession complotiste ? Ou Dana
Katherine Scully, son intelligence ration-
09
nelle, sa loyauté et sa bravoure ? C’est sans
doute elle qui était le cœur de la série, la
grâce du show et l’héroïne des deux films
dérivés de la série X-Files : Aux frontières
du réel. Deux films vraiment, vraiment pas
terribles, mais qu’importe : l’un des coups de
génie de X-Files, films comme série, réside
dans le duo mal (donc bien) assorti Mulder/
Scully. Le dingo et la sceptique explo-
rant la pop culture de l’Amérique :
une idée simple et géniale comme
tous les executives de studio ai-
meraient en avoir au moins une
fois dans leur vie.

PREDATOR
(PREDATOR
DE JOHN MCTIERNAN, 1987)
À propos de sa créature
extraterrestre, le cinéaste John
McTiernan confiait : « J’ai pris

Juillet—Août 2019 93
Edward aux mains d’argent est infernale occupée par des terroristes. La Fox
l’autoportrait d’un freak à Hol- en pleine bourre se paye le luxe de lancer
lywood, l’authentique cri du cœur une juteuse saga – une de plus ! – tout en
d’un mal-aimé enfermé dans sa gardant une exigence auteuriste. « Yippee-
tour d’ivoire. Dans la vraie vie, ki-yay, motherfucker ! »
Burton a fini par être adopté par
GORDON GEKKO (WALL STREET le système et par l’incarner pour
D’OLIVER STONE, 1988) le pire. Ailleurs, quelque part, Edward, lui,
« The » Gekko, comme disait Shia La- continue à faire tomber la neige en sculptant
Beouf dans la suite nanar de Wall Street, des œuvres d’art dans la glace.
L’argent ne dort jamais, en 2010, comme
pour mieux souligner la dimension my-
thique prise par le personnage en un quart
de siècle. Ce Méphistophélès new-yorkais
avait à l’origine été pensé par Oliver Stone
comme l’incarnation des dérives du capita-
lisme américain. Mais il se passa exacte-
ment la même chose qu’avec Tony Montana
dans Scarface : censé être un repoussoir, le DARK VADOR (LA GUERRE
personnage devient une idole – à l’époque, DES ÉTOILES DE GEORGE LUCAS, 1977)
tout le monde avait envie de devenir Han Solo passionne, Boba Fett fascine, Luke
trader en sortant de la salle. Plus belle utili- KEVIN MCCALLISTER (MAMAN, J’AI irrite. Mais il suffit que Vador vienne aspi-
sation jamais faite du sourire carnassier de RATÉ L’AVION DE CHRIS COLOMBUS, 1990) rer l’air de la pièce pour qu’il électrise tout.
Michael Douglas, récompensé par un Oscar Ne pas se fier à sa blondeur craquante et Dans les deux premiers films de la saga de
du meilleur acteur. à sa bouille angélique : Kevin est une Lucas (désormais les épisodes IV et V), le
tête à claques. L’histoire de la famille seigneur Vador « n’est qu’ » un vilain su-
McCallister, partie passer Noël à Paris en percool. Un méchant sans remords, sans
HOMER SIMPSON (LES SIMPSON, ayant oublié Kevin le cadet à la maison, va peur, sans humanité même, capable d’étran-
LE FILM DE DAVID SILVERMAN, 2007) propulser Macaulay Culkin sous les feux de gler ses subordonnés grâce à la Force. Ce
Immédiatement reconnaissable avec sa la célébrité (qui lui brûleront vite les ailes). n’est qu’avec Le Retour du Jedi que l’on
tronche jaune et ses trois poils sur le caillou, Normal : c’est le personnage le plus célèbre comprend que George Lucas a réussi l’im-
Homer Simpson est l’archétype du Yankee de la galaxie John Hughes. On raconte que pensable : nous attacher à lui. C’est le sens
moyen, formidable portrait de l’imbécile le scénariste des comédies 80s aurait eu de l’une des plus belles scènes de la saga,
heureux, anesthésié par la l’idée de ce film sur le tournage de L’Oncle un bref échange entre Luke et son père, où
téloche et la bière. Un père Buck, en voyant Culkin regarder par le trou Vador, obligé d’abandonner sa haine, dit
de famille nucléaire irres- d’une boîte aux lettres... Entre Denis (la ma- tristement : « Il est trop tard pour moi, mon
ponsable qui « agit selon lice) et un Gremlin, Kevin est un person- fils... » D’un seul coup, la saga devenait plus
ses impulsions, ne ressent ni nage hilarant qui va emmener la Fox en tête humaine, plus dense, plus psychologique.
culpabilité, ni remords. Il aime du box-office américain annuel et entraî-
et il hait de tout son cœur, sans ner la production de quatre suites (seul le
demi-mesure. Il est capable des deuxième film vaut le coup d’œil).
pires idioties, mais je trouve ad-
mirable un type qui peut aller
aussi loin dans tout ce qu’il
entreprend », confiait son
créateur Matt Groening en
JOHN MCLANE (PIÈGE DE CRISTAL
DE JOHN MCTIERNAN, 1988)
Après avoir mis Schwarzy face à plus
03
2013. Existe-il une meil- fort que lui (Predator), amorçant ainsi le
leure définition de l’Amé- lent crépuscule des idoles bodybuildées,
rique ? Et un meilleur symbole McTiernan invente l’homme fort des an-
de la Fox (version Network) ? nées 90 : musclé, certes, mais dans d’hu-
maines proportions et doté d’un humour à
la puissance balistique propre à désamorcer
EDWARD (EDWARD AUX MAINS toute surenchère. Le lieutenant du NYPD
D’ARGENT DE TIM BURTON, 1991) McLane (Bruce Willis) n’en est pas moins
Entre deux Batman déjantés pour la Warner, un héros américain, un vrai. Un cowboy
Tim Burton signe pour la Fox son premier perdu dans le monde moderne (ses enne-
chef-d’œuvre certifié et le point de départ mis l’appellent John Wayne), un supplicié
de sa collaboration fructueuse avec Johnny qui, tel Jésus, abîme ses pieds nus jusqu’au
Depp. Variante du mythe de Frankenstein, Golgotha. Ici, le dernier étage d’une tour

94 Juillet—Août 2019
LES TOPS

RIPLEY
PASSAGER DE RIDLEY SCOTT, 1979)
Au départ, Ripley n’était pas
une femme. Ni un homme, d’ail-
leurs : les scénaristes d’Alien
avaient pris soin de préciser
que les membres d’équipage du
Nostromo, seulement désignés
par un nom (Dallas, Lambert...),
pouvaient être joués indifférem-
ment par des acteurs des deux
Sigourney
Weaver, la seule survivante
– avec le chat – du slasher spatial
et génial de Ridley Scott donnera
à la franchise l’allure d’un grand
manifeste féministe, explorant la
féminité, la maternité et la vio-
lence des hommes. L’un des plus
grands personnages de SF et le
meilleur du catalogue Fox.

© TWENTIETH CENTURY FOX

Juillet—Août 2019 95
LES TOPS

LES PLUS BELLES AFFICHES DES FILMS FOX

Succursale du cinéma culte Alamo Drafthouse, l’éditeur


et galeriste Mondo est depuis 2004 la référence des
amateurs d’affiches revisitées par des dessinateurs
passionnés. Certains artistes ont réimaginé quelques
affiches de films Fox. Forcément collector.
PAR PIERRE LUNN

T
out a commencé en 2004, demandait comment faire la pub des New York et San Francisco –, le designer
à la sortie des soirées de séances spéciales qu’ils y organisaient. Il Rob Jones a pris les choses en main et a
l’Alamo Drafthouse, y avait bien les T-shirts personnalisés, les commencé à demander à des graphistes du
le cinéma d’Austin où pin’s, mais ça ne suffisait pas... Jusqu’à ce coin d’imaginer de nouveaux visuels pour
Quentin Tarantino or- que l’idée d’affiches rétros arrive dans la les projections de l’Alamo. Mondo Tees
ganisait régulièrement discussion. À l’image de ce qui avait été était né. Et sans le savoir, cette association
son festival. Tim League fait dans le monde du rock – avec les af- allait remettre à l’honneur l’art oublié de
(le patron de la salle) se fiches originales pour les salles Fillmore de l’affiche de films. Les graphistes qui ima-

96 Juillet—Août 2019
Les affiches de Titanic, Die Hard
et La Planète des singes, réalisées
par Laurent Durieux.
L’affiche de Fight Club, réalisée
par Ken Taylor.

Décalées, percutantes, cultes ou poétiques :


voici cinq des meilleures taglines d’affiches
de films produits par la Fox.

ALIEN, LE HUITIÈME PASSAGER (1979)

(Faites attention. Faites très attention)


LA MOUCHE (1986)

(Son histoire vous touchera, même si lui ne peut pas)


EDWARD AUX MAINS D’ARGENT (1990)

ginent les affiches « clandestines » de Mondo LA GUERRE DES ÉTOILES (1977)


(Todd Slater, Jay Ryan, Dan McMurphy,
Laurent Durieux...) réalisent de véritables
œuvres d’art et parviennent à diffuser la
richesse de notre expérience cinéphile.
Voici quelques-uns des plus beaux posters de
films issus de la 20th Century Fox et réalisés
par les cadors de Mondo. Si vous voulez en
découvrir un peu plus, vous pouvez vous pro- (Ça n’a pas beaucoup d’importance,
curer le somptueux livre sorti il y a quelques mais la plupart de ce que vous allez voir est vrai)
© TWENTIETH CENTURY FOX

années (L’Art de Mondo, Huggin & Munnin)


ou aller fouiner à Paris, dans le 9e arrondisse- BUTCH CASSIDY ET LE KID (1969)
ment. Dominique Boisseron tient une galerie
entièrement consacrée à ce studio.

Juillet—Août 2019 97
CL AP DE FIN

Le studio
vu par
Basquiat
Dans tous ses tableaux,
Jean-Michel Basquiat
s’est amusé à briser
des codes artistiques
et idéologiques. À les
concasser pour les
revitaliser. Au crayon
gras et sous un torrent
de flammes bigarrées,
la jeune star dessinait
ses héros sauvages,
mêlait fragments
de l’histoire et traces
de culture populaire
glanées dans les rues
de Brooklyn. Entre une
bouche d’incendie,
des bagnoles et ses
figures totémiques,
il peint ce logo 20th
Century Fox. Sans titre,
sans date, sans message
explicite, entre le graf et
le délire warholien, cette
toile dit bien à quel point
le logo du studio était
entré dans l’inconscient
populaire et brillait
encore de tous ses feux
dans les années 80.
© ADAGP

98 Juillet—Août 2019

Vous aimerez peut-être aussi