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Liste épreuve orale anticipée de français – Voie générale

Nom de l’élève : Etablissement : Isolé résident en TUNISIE

PREMIÈRE PARTIE DE L'ORAL – L'EXPOSÉ

La poésie du XIXème siècle au XXIème siècle


Les Fleurs du Mal , C.Baudlaire Texte 1 :Lamartine, Les voiles
Texte 2 :Apollinaire, Automne malade
Texte 3 :Rimbaud, le dormeur du val
Texte 4 :Baudelaire , les correspondances
Les mémoires d’une âme Texte 5 :Desnos, j’ai tant rêvé de toi

Alcools, Apollinaire

Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIème siècle


La princesse de Clèves , Mme de la Texte 1 :Madame de Staël , Delphine , quatrième partie lettre
Fayette XXXV
Texte 2 :Emile Zola, La Curée , extrait chapitre VI
Texte 3 : Guy de Maupassant , Bel ami, extrait
Individu, morale et société Texte 4 :Emile Zola, L’assommoir , extrait chapitre V
Texte 5 :Victor Hugo, Les Misérables ( tome 1 )jean Valjean , VI

Eugénie Grandet , Honoré et Balzac

La littérature d'idées du XVIème siècle au XVIIIème siècle


Les Fables , Jean de la fontaine Texte 1 :J.De la Fontaine , Les animaux malade de la peste
Texte 2 :Montesquieu, Lettres persanes, lettres XXIXX
Texte 3 :J ; De La bruyère les Caractères extrait des biens de
fortune 16,17,18,19
Imagination et pensée au XVII ème siècle Texte 4 :Voltaire De l’horrible danger de la lecture ,extrait
Texte 5 :Voltaire, Candide,extrait,Ce qui arriva à Suriam

Don Quichotte de la Manche ;Cervantès

Le théâtre du XVIIème siècle au XXIème siècle


[Titre de l'œuvre] Texte 1 :
Texte 2 :
Texte 3 :
Texte 4 :
[Intitulé du parcours] Texte 5 :

[Œuvre lue en lecture cursive]

DEUXIÈME PARTIE DE L'ORAL – L'ENTRETIEN

Je proposerai l'œuvre suivante :Les Fables , Jean de La Fontaine


objet d'étude 1 roman et récit

Madame de Staël, Delphine , Lettre XXXVI


Dans la nuit de demain, Matilde, je quitterai Paris, et peu de jours après, la France. Léonce ne saura point
dans quel lieu je me retirerai ; il ignorera de même, quoi qu’il arrive, que c’est pour votre bonheur que je
sacrifie le mien. J’ose vous le dire, Matilde, votre religion n’a point exigé de sacrifice qui puisse
surpasser celui que je fais pour vous ; et Dieu qui lit dans les cœurs, Dieu qui sait la douleur que j’éprouve,
estime dans sa bonté cet effort ce qu’il vaut1. Oui, j’ose vous le répéter, quand j’aime mieux mourir qu’
avoir à me reprocher vos douleurs, j’ai plus qu’expié2 mes fautes, je me crois supérieure à celles qui n’
auraient point les sentiments dont je triomphe.
Vous êtes la femme de Léonce, vous avez sur son coeur des droits que j’ai dû respecter ; mais je l’aimais,
mais vous n’avez pas su peut-être qu’avant de vous épouser… Laissons les morts en paix. Vous m’avez
adjurée3 de partir, au nom de la morale, au nom de la pitié même, pouvais-je résister quand il devrait m’en
coûter la vie ! Matilde, vous allez être mère, de nouveaux liens vont vous attacher à Léonce, femme bénie
du ciel, écoutez-moi : si celui dont je me sépare me regrette, ne blessez point son cœur par des reproches ;
vous croyez qu’il suffit du devoir pour commander les affections du cœur, vous êtes faite ainsi ; mais il
existe des âmes passionnées, capables de générosité, de douceur, de dévouement, de bonté, vertueuses en
tout, si le sort ne leur avait pas fait un crime de l’amour ! Plaignez ces destinées malheureuses, ménagez les
caractères profondément sensibles ; ils ne ressemblent point au vôtre, mais ils sont peut-être un objet de
bienveillance pour l’Être suprême, pour la source éternelle de toutes les affections du coeur.
Matilde, soignez avec délicatesse le bonheur de Léonce ; vous avez éloigné de lui sa fidèle amie, chargez-
vous de lui rendre tout l’amour dont vous le privez. Ne cherchez point à détruire l’estime et l’intérêt qu’
il conservera pour moi, vous m’offenseriez cruellement ; il faut déjà me compter parmi ceux qui ne sont
plus, et le dernier acte de ma vie ne mérite-t-il pas vos égards pour ma mémoire !
Adieu, Matilde, vous n’entendrez plus parler de moi ; la compagne de votre enfance, l’amie de votre mè
re, celle qui vous a mariée, celle enfin qui n’a pu supporter votre peine, n’existe plus pour vous ni pour
personne. Priez pour elle, non comme si elle était coupable, jamais elle ne le fut moins, jamais surtout il ne
vous a été plus ordonné de ne pas être sévère envers elle ! mais priez pour une femme malheureuse, la plus
malheureuse de toutes, celle qui consent à se déchirer le cœur, afin de vous épargner une faible partie de ce
qu’elle se résigne à souffrir.
Emile Zola - La Curée - Extrait du chapitre 6

Et, dans l'ombre bleuâtre de la glace, elle crut voir se lever les figures de Saccard et de Maxime. Saccard,
noirâtre, ricanant, avait une couleur de fer, un rire de tenaille, sur ses jambes grêles. Cet homme était une
volonté. Depuis dix ans, elle le voyait dans la forge, dans les éclats du métal rougi, la chair brûlée, haletant,
tapant toujours, soulevant des marteaux vingt fois trop lourds pour ses bras, au risque de s'écraser lui-même.
Elle le comprenait maintenant ; il lui apparaissait grandi par cet effort surhumain, par cette coquinerie é
norme, cette idée fixe d'une immense fortune immédiate. Elle se le rappelait sautant sur les obstacles, roulant
en pleine boue, et ne prenant pas le temps de s'essuyer pour arriver avant l'heure, ne s'arrêtant même pas à
jouir en chemin, mâchant ses pièces d'or en courant. Puis la tête blonde et jolie de Maxime apparaissait derri
ère l'épaule rude de son père : il avait son clair sourire de fille, ses yeux vides de catin qui ne se baissaient
jamais, sa raie au milieu du front, montrant la blancheur du crâne. Il se moquait de Saccard, il le trouvait
bourgeois de se donner tant de peine pour gagner un argent qu'il mangeait, lui, avec une si adorable paresse.
Il était entretenu. Ses mains longues et molles contaient ses vices. Son corps épilé avait une pose lassée de
femme assouvie. Dans tout cet être lâche et mou, où tout le vice coulait avec la douceur d'une eau tiède, ne
luisait pas seulement l'éclair de la curiosité du mal. Il subissait. Et Renée, en regardant les deux apparitions
sortir des ombres légères de la glace, recula d'un pas, vit que Saccard l'avait jetée comme un enjeu, comme
une mise de fonds, et que Maxime s'était trouvé là, pour ramasser ce louis tombé de la poche du spéculateur.
Elle restait une valeur dans le portefeuille de son mari ; il la poussait aux toilettes d'une nuit, aux amants
d'une saison ; il la tordait dans les flammes de sa forge, se servant d'elle, ainsi que d'un métal précieux, pour
dorer le fer de ses mains. Peu à peu, le père l'avait ainsi rendue assez folle, assez misérable, pour les baisers
du fils. Si Maxime était le sang appauvri de Saccard, elle se sentait, elle, le produit, le fruit véreux de ces
deux hommes, l'infamie qu'ils avaient creusée entre eux, et dans laquelle ils roulaient l'un et l'autre.
G. de Maupassant, Bel ami, extrait
Puis des voix humaines s’élevèrent, passèrent au-dessus des têtes inclinées. Vauri et Landeck, de l’Op
éra, chantaient. L’encens répandait une odeur fine de benjoin, et sur l’autel le sacrifice divin s’
accomplissait ; l’Homme-Dieu, à l’appel de son prêtre, descendait sur la terre pour consacrer le triomphe
du baron Georges Du Roy.
Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front. Il se sentait en ce moment presque croyant,
presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l’avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces
égards. Et sans savoir au juste à qui il s’adressait, il la remerciait de son succès.
Lorsque l’office fut terminé, il se redressa, et donnant le bras à sa femme, il passa dans la sacristie.
Alors commença l’interminable défilé des assistants. Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu’un
peuple venait acclamer. Il serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux
compliments : « Vous êtes bien aimable. »
Soudain il aperçut Mme de Marelle ; et le souvenir de tous les baisers qu’il lui avait donnés, qu’elle lui
avait rendus, le souvenir de toutes leurs caresses, de ses gentillesses, du son de sa voix, du goût de ses lèvres,
lui fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre. Elle était jolie, élégante, avec son air gamin et ses
yeux vifs. Georges pensait : « Quelle charmante maîtresse, tout de même. »
Elle s’approcha un peu timide, un peu inquiète, et lui tendit la main. Il la reçut dans la sienne et la garda.
Alors il sentit l’appel discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend. Et lui-mê
me il la serrait, cette petite main, comme pour dire : « Je t’aime toujours, je suis à toi ! »
Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d’amour. Elle murmura de sa voix gracieuse :
– À bientôt, monsieur.
Il répondit gaiement :
– À bientôt, madame.
Et elle s’éloigna.
D’autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme un fleuve. Enfin elle s’éclaircit.
Les derniers assistants partirent. Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser l’église.
Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer ensemble. Il allait
lentement, d’un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. Il sentait
sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. Il ne voyait
personne. Il ne pensait qu’à lui.
Lorsqu’il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue là pour lui,
pour lui Georges Du Roy. Le peuple de Paris le contemplait et l’enviait.
Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. Et il
lui sembla qu’il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du PalaisBourbon.

Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait
point ; sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis par l’éclatant soleil flottait l’
image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours dé
faits au sortir du lit.
Emile Zola, L'assommoir extrait

Le quartier trouvait Gervaise bien gentille. Sans doute, on clabaudait sur son compte, mais il n’y avait qu’
une voix pour lui reconnaître de grands yeux, une bouche pas plus longue que ça, avec des dents très
blanches. Enfin, c’était une jolie blonde, et elle aurait pu se mettre parmi les plus belles, sans le malheur de
sa jambe. Elle était dans ses vingt-huit ans, elle avait engraissé. Ses traits fins s’empâtaient, ses gestes
prenaient une lenteur heureuse. Maintenant, elle s’oubliait parfois sur le bord d’une chaise, le temps d’
attendre son fer, avec un sourire vague, la face noyée d’une joie gourmande. Elle devenait gourmande ; ça,
tout le monde le disait ; mais ce n’était pas un vilain défaut, au contraire. Quand on gagne de quoi se payer
de fins morceaux, n’est-ce pas ? on serait bien bête de manger des pelures de pommes de terre. D’autant
plus qu’elle travaillait toujours dur, se mettant en quatre pour ses pratiques, passant elle-même les nuits, les
volets fermés, lorsque la besogne était pressée. Comme on disait dans le quartier, elle avait la veine ; tout lui
prospérait. Elle blanchissait la maison, M. Madinier, mademoiselle Remanjou, les Boche ; elle enlevait mê
me à son ancienne patronne, madame Fauconnier, des dames de Paris logées rue du FaubourgPoissonnière.
Dès la seconde quinzaine, elle avait dû prendre deux ouvrières, madame Putois et la grande Clémence, cette
fille qui habitait autrefois au sixième ; ça lui faisait trois personnes chez elle, avec son apprentie, ce petit
louchon d’Augustine, laide comme un derrière de pauvre homme. D’autres auraient pour sûr perdu la tête
dans ce coup de fortune. Elle était bien pardonnable de fricoter un peu le lundi, après avoir trimé la semaine
entière. D’ailleurs, il lui fallait ça ; elle serait restée gnangnan, à regarder les chemises se repasser toutes
seules, si elle ne s’était pas collé un velours sur la poitrine, quelque chose de bon dont l’envie lui
chatouillait le jabot.
Jamais Gervaise n’avait encore montré tant de complaisance. Elle était douce comme un mouton, bonne
comme du pain. À part madame Lorilleux, qu’elle appelait Queue-de-Vache pour se venger, elle ne dé
testait personne, elle excusait tout le monde. Dans le léger abandon de sa gueulardise, quand elle avait bien d
éjeuné et pris son café, elle cédait au besoin d’une indulgence générale. Son mot était : « On doit se
pardonner entre soi, n’est-ce pas, si l’on ne veut pas vivre comme des sauvages. » Quand on lui parlait de
sa bonté, elle riait. Il n’aurait plus manqué qu’elle fût méchante ! Elle se défendait, elle disait n’avoir
aucun mérite à être bonne. Est-ce que tous ses rêves n’étaient pas réalisés ? est-ce qu’il lui restait à
ambitionner quelque chose dans l’existence ? Elle rappelait son idéal d’autrefois, lorsqu’elle se trouvait
sur le pavé : travailler, manger du pain, avoir un trou à soi, élever ses enfants, ne pas être battue, mourir dans
son lit. Et maintenant son idéal était dépassé ; elle avait tout, et en plus beau. Quant à mourir dans son lit,
ajoutait-elle en plaisantant, elle y comptait, mais le plus tard possible, bien entendu.
JEAN VALJEAN , Les Misérables , Victor Hugo

Vers le milieu de la nuit, Jean Valjean se réveilla.


Jean Valjean était d’une pauvre famille de paysans de la Brie. Dans son enfance, il n’avait pas appris à
lire. Quand il eut l’âge d’homme, il était émondeur à Faverolles. Sa mère s’appelait Jeanne Mathieu ;
son père s’appelait Jean Valjean, ou Vlajean, sobriquet probablement, et contraction de Voilà Jean .
Jean Valjean était d’un caractère pensif sans être triste, ce qui est le propre des natures affectueuses.
Somme toute, pourtant, c’était quelque chose d’assez endormi et d’assez insignifiant, en apparence du
moins, que Jean Valjean. Il avait perdu en très bas âge son père et sa mère. Sa mère était morte d’une fiè
vre de lait mal soignée. Son père, émondeur comme lui, s’était tué en tombant d’un arbre. Il n’était rest
é à Jean Valjean qu’une sœur plus âgée que lui, veuve, avec sept enfants, filles et garçons. Cette sœur avait é
levé Jean Valjean, et tant qu’elle eut son mari elle logea et nourrit son jeune frère. Le mari mourut. L’aîné
des sept enfants avait huit ans, le dernier un an. Jean Valjean venait d’atteindre, lui, sa vingt-cinquième ann
ée. Il remplaça le père, et soutint à son tour sa sœur qui l’avait élevé. Cela se fit simplement, comme un
devoir, même avec quelque chose de bourru de la part de Jean Valjean. Sa jeunesse se dépensait ainsi dans
un travail rude et mal payé. On ne lui avait jamais connu de « bonne amie » dans le pays. Il n’avait pas eu
le temps d’être amoureux.
Le soir il rentrait fatigué et mangeait sa soupe sans dire un mot. Sa sœur, mère Jeanne, pendant qu’il
mangeait, lui prenait souvent dans son écuelle le meilleur de son repas, le morceau de viande, la tranche de
lard, le cœur de chou, pour le donner à quelqu’un de ses enfants ; lui, mangeant toujours, penché sur la
table, presque la tête dans sa soupe, ses longs cheveux tombant autour de son écuelle et cachant ses yeux,
avait l’air de ne rien voir et laissait faire. Il y avait à Faverolles, pas loin de la chaumière Valjean, de l’
autre côté de la ruelle, une fermière appelée Marie-Claude ; les enfants Valjean, habituellement affamés,
allaient quelquefois emprunter au nom de leur mère une pinte de lait à Marie-Claude, qu’ils buvaient derriè
re une haie ou dans quelque coin d’allée, s’arrachant le pot, et si hâtivement que les petites filles s’en ré
pandaient sur leur tablier et dans leur goulotte. La mère, si elle eût su cette maraude, eût sévèrement corrigé
les délinquants. Jean Valjean, brusque et bougon, payait en arrière de la mère la pinte de lait à Marie-Claude,
et les enfants n’étaient pas punis.
Il gagnait dans la saison de l’émondage dix-huit sous par jour, puis il se louait comme moissonneur,
comme manœuvre, comme garçon de ferme bouvier, comme homme de peine. Il faisait ce qu’il pouvait. Sa
sœur travaillait de son côté, mais que faire avec sept petits enfants ? C’était un triste groupe que la misère
enveloppa et étreignit peu à peu. Il arriva qu’un hiver fut rude. Jean n’eut pas d’ouvrage. La famille n’
eut pas de pain. Pas de pain. À la lettre. Sept enfants. Un dimanche soir, Maubert Isabeau, boulanger sur la
place de l’Église, à Faverolles, se disposait à se coucher, lorsqu’il entendit un coup violent dans la
devanture grillée et vitrée de sa boutique. Il arriva à temps pour voir un bras passé à travers un trou fait d’
un coup de poing dans la grille et dans la vitre. Le bras saisit un pain et l’emporta. Isabeau sortit en hâte ; le
voleur s’enfuyait à toutes jambes ; Isabeau courut après lui et l’arrêta. Le voleur avait jeté le pain, mais il
avait encore le bras ensanglanté. C’était Jean Valjean.
Ceci se passait en 1795. Jean Valjean fut traduit devant les tribunaux du temps « pour vol avec effraction la
nuit dans une maison habitée ». Il avait un fusil dont il se servait mieux que tireur au monde, il était quelque
peu braconnier ; ce qui lui nuisit. Il y a contre les braconniers un préjugé légitime. Le braconnier, de même
que le contrebandier, côtoie de fort près le brigand. Pourtant, disons-le en passant, il y a encore un abîme
entre ces races d’hommes et le hideux assassin des villes. Le braconnier vit dans la forêt ; le contrebandier
vit dans la montagne ou sur la mer. Les villes font des hommes féroces, parce qu’elles font des hommes
corrompus. La montagne, la mer, la forêt, font des hommes sauvages. Elles développent le côté farouche,
mais souvent sans détruire le côté humain.
Jean Valjean fut déclaré coupable. Les termes du code étaient formels. Il y a dans notre civilisation des
heures redoutables ; ce sont les moments où la pénalité prononce un naufrage. Quelle minute funèbre que
celle où la société s’éloigne et consomme l’irréparable abandon d’un être pensant ! Jean Valjean fut
condamné à cinq ans de galères.
objets d'étude 2 la littérature d'idée

Les animaux malades de la peste , « Les Fables » de La Fontaine

Un mal qui répand la terreur,


Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste [puisqu'il faut l'appeler par son nom]
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie. Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.

Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,


Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Estce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,


Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Jean de La Fontaine Les fables - Recueil II, livre VII


Les lettres persanes lettres XXIX extrait
Ce que je te dis est bon pour la France et l’Allemagne : car j’ai ouï dire qu’en Espagne et en
Portugal, il y a de certains dervis qui n’entendent point raillerie, et qui font brûler un homme
comme de la paille. Quand on tombe entre les mains de ces gens-là, heureux celui qui a toujours pri
é Dieu avec de petits grains de bois à la main, qui a porté sur lui deux morceaux de drap attachés à
deux rubans, et qui a été quelquefois dans une province qu’on appelle la Galice ! sans cela un
pauvre diable est bien embarrassé. Quand il jureroit comme un païen qu’il est orthodoxe, on
pourroit bien ne pas demeurer d’accord des qualités, et le brûler comme hérétique : il auroit beau
donner sa distinction ; point de distinction ; il seroit en cendres avant que l’on eût seulement pensé
à l’écouter. Les autres juges présument qu’un accusé est innocent ; ceux-ci le présument
toujours coupable. Dans le doute, ils tiennent pour règle de se déterminer du côté de la rigueur :
apparemment parce qu’ils croient les hommes mauvais ; mais, d’un autre côté, ils en ont si
bonne opinion, qu’ils ne les jugent jamais capables de mentir ; car ils reçoivent le témoignage des
ennemis capitaux, des femmes de mauvaise vie, de ceux qui exercent une profession infâme. Ils font
dans leur sentence un petit compliment à ceux qui sont revêtus d’une chemise de soufre, et leur
disent qu’ils sont bien fâchés de les voir si mal habillés, qu’ils sont doux, qu’ils abhorrent le
sang, et sont au désespoir de les avoir condamnés ; mais, pour se consoler, ils confisquent tous les
biens de ces malheureux à leur profit. Heureuse la terre qui est habitée par les enfants des prophè
tes ! Ces tristes spectacles y sont inconnus[1]. La sainte religion que les anges y ont apportée se dé
fend par sa vérité même ; elle n’a point besoin de ces moyens violents pour se maintenir.
Jean de la Bruyère, Les caractère extrait des biens de la fortune, 16, 17, 18,19

16 (I) Arfure cheminait seule et à pied vers le grand portique de Saint, entendait de loin le sermon
d'un carme ou d'un docteur qu'elle ne voyait qu'obliquement, et dont elle perdait bien des paroles.
Sa vertu était obscure, et sa dévotion connue comme sa personne. Son mari est entré dans le huitiè
me denier : quelle monstrueuse fortune en moins de six années ! Elle n'arrive à l'église que dans un
char ; on lui porte une lourde queue ; l'orateur s'interrompt pendant qu'elle se place ; elle le voit de
front, n'en perd pas une seule parole ni le moindre geste. Il y a une brigue entre les prêtres pour la
confesser ; tous veulent l'absoudre, et le curé l'emporte.
17 (I) L'on porte Crésus au cimetière : de toutes ses immenses richesses, que le vol et la concussion
lui avaient acquises, et qu'il a épuisées par le luxe et par la bonne chère, il ne lui est pas demeuré de
quoi se faire enterrer ; il est mort insolvable, sans biens, et ainsi privé de tous les secours ; l'on n'a
vu chez lui ni julep, ni cordiaux, ni médecins, ni le moindre docteur qui l'ait assuré de son salut.
18 (I) Champagne, au sortir d'un long dîner qui lui enfle l'estomac, et dans les douces fumées d'un
vin d'Avenay ou de Sillery, signe un ordre qu'on lui présente, qui ôterait le pain à toute une province
si l'on n'y remédiait. Il est excusable : quel moyen de comprendre, dans la première heure de la
digestion, qu'on puisse quelque part mourir de faim ?
19 (IV) Sylvain de ses deniers acquis de la naissance et un autre nom : il est seigneur de la paroisse
où ses aïeuls payaient la taille ; il n'aurait pu autrefois entrer page chez Cléobule, et il est son
gendre.
Voltaire, De l’horrible danger de la lecture (1756)

Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti du Saint-Empire ottoman, lumière des lumiè
res, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction. Comme
ainsi soit que Saïd Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte vers un petit Etat nommé
Frankrom, situé entre l'Espagne et l'Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l'imprimerie,
ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables 5 frères les cadis et imans de la ville impériale
de Stamboul, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l'esprit, il a semblé bon à Mahomet et
à nous de condamner, proscrire, anathématiser ladite infernale invention de l'imprimerie, pour les
causes ci-dessous énoncées. 1. Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à
dissiper l'ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. 10 2. Il est à
craindre que, parmi les livres apportés d'Occident, il ne s'en trouve quelques-uns sur l'agriculture et
sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce
qu'à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur
industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d'âme, quelque
amour du bien public, sentiments absolument opposés à la sainte doctrine. 15 3. Il arriverait à la fin
que nous aurions des livres d'histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une
heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l'imprudence de rendre justice aux bonnes et aux
mauvaises actions, et de recommander l'équité et l'amour de la patrie, ce qui est visiblement
contraire aux droits de notre place. 4. Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables
philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d'éclairer les hommes et de les rendre
meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple 20 ne doit jamais avoir
de connaissance. 5. Ils pourraient, en augmentant le respect qu'ils ont pour Dieu, et en imprimant
scandaleusement qu'il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque,
au grand détriment du salut des âmes. 6. Il arriverait sans doute qu'à force de lire les auteurs
occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions
assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat 25 énorme contre les
ordres de la Providence. A ces causes et autres, pour l'édification des fidèles et pour le bien de leurs
âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur
que la tentation diabolique ne leur prenne de s'instruire, nous défendons aux pères et aux mères
d'enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous
leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons 30 à tous les vrais
croyants de dénoncer à notre officialité quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble,
desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on
ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l'ancien usage de la Sublime-Porte. [...] Donné
dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l'an 1143 de l'hégire (8).
Candide ,extrait ,Voltaire
En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié
de son habit, c’est-à-dire d’un caleon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe
gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que faistu là, mon ami,
dans l’état horrible o je te vois - ’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, ré
pondit le nègre. - Est-ce . anderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi - Oui, monsieur, dit le ngre,
c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. uand
nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand
nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce
prix que vous mange du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons
sur la côte de Guinée, elle me disait : « Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils
te feront vivre heureux, tu as l’honneur d’être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par l
à la fortune de ton pre et de ta mre. élas ! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas
fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous.
Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous
enfants d’Adam, blancs et noirs. e ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai,
nous sommes tous cousins issus de germains. r vous m’avouere qu’on ne peut pas en user avec
ses parents d’une manire plus horrible.
objet d'etude 3 poésie

Les voiles, lamartine

Quand j'étais jeune et fier et que j'ouvrais mes ailes,


Les ailes de mon âme à tous les vents des mers,
Les voiles emportaient ma pensée avec elles,
Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers.

Je voyais dans ce vague où l'horizon se noie


Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin
Des continents de vie et des îles de joie
Où la gloire et l'amour m'appelaient de la main.

J'enviais chaque nef qui blanchissait l'écume,


Heureuse d'aspirer au rivage inconnu,
Et maintenant, assis au bord du cap qui fume,
J'ai traversé ces flots et j'en suis revenu.

Et j'aime encor ces mers autrefois tant aimées,


Non plus comme le champ de mes rêves chéris,
Mais comme un champ de mort où mes ailes semées
De moi-même partout me montrent les débris.

Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste,


Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ;
La foudre ici sur moi tomba de l'arc céleste
Et chacun de ces flots roule un peu de mon cœur.
Automne malade

Guillaume Apollinaire

Automne malade et adoré


Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé

Aux lisières lointaines


Les cerfs ont bramé

Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs


Les fruits tombant sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu’on foule
Qui roule
La vie
S’écoule

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913


Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent, où le soleil, de la montagne fière,
Luit ; c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue


Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort : il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort.


Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme.

Nature, berce-le chaudement : il a froid !


Les parfums ne font pas frissonner sa narine Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur RIMBAUD
Les aveugles
Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules,
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,


Comme s'ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,


Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,


Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?
J'ai tant rêvé de toi
J'ai tant rêvé de toi que tu perds la réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette
bouche la naissance de la voix qui m'est chère ?

J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués, en étreignant ton ombre, à se
croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps,
peut-être.

Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne


depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.

Ô balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille. Je
dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l'amour
de toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi, je pourrais
moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le
premier front venus.

J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu'il ne
me reste plus peut-être, et pourtant, qu'à être fantôme parmi
les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se
promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos, "A la mystérieuse", in Corps et Biens, 1930

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