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2) Études philosophiques
3) Études analytiques
Le Père Goriot
(description de la pension Vauquer)
• Cette pièce est dans tout son lustre au moment où, vers sept heures du matin, le chat de madame Vauquer
précède sa maîtresse, saute sur les buffets, y flaire le lait que contiennent plusieurs jattes couvertes
d’assiettes, et fait entendre son ronron matinal. Bientôt la veuve se montre, attifée de son bonnet de tulle sous
lequel pend un tour de faux cheveux mal mis; elle marche en traînassant ses pantoufles grimacées. Sa face
vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet; ses petites mains potelées, sa
personne dodue comme un rat d’église, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle
où suinte le malheur, où s’est blottie la spéculation et dont madame Vauquer respire l’air chaudement fétide
sans en être écœurée. Sa figure fraîche comme une première gelée d’automne, ses yeux ridés, dont
l’expression passe du sourire prescrit aux danseuses à l’amer renfrognement de l’escompteur, enfin toute sa
personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. Le bagne ne va pas sans
l’argousin, vous n’imagineriez pas l’un sans l’autre. L’embonpoint blafard de cette petite femme est le produit
de cette vie, comme le typhus est la conséquence des exhalaisons d’un hôpital. Son jupon de laine tricotée,
qui dépasse sa première jupe faite avec une vieille robe, et dont la ouate s’échappe par les fentes de l’étoffe
lézardée, résume le salon, la salle à manger, le jardinet, annonce la cuisine et fait pressentir les
pensionnaires. Quand elle est là, ce spectacle est complet. Âgée d’environ cinquante ans, madame Vauquer
ressemble à toutes les femmes qui ont eu des malheurs.
Eugénie Grandet,
explicit (= dénouement)
Madame de Bonfons fut veuve à trente-six ans, riche de huit cent mille livres de rente, encore belle, mais
comme une femme est belle près de quarante ans. Son visage est blanc, reposé, calme. Sa voix est douce et
recueillie, ses manières sont simples. Elle a toutes les noblesses de la douleur, la sainteté d’une personne qui
n’a pas souillé son âme au contact du monde, mais aussi la roideur de la vieille fille et les habitudes mesquines
que donne l’existence étroite de la province. Malgré ses huit cent mille livres de rente, elle vit comme avait
vécu la pauvre Eugénie Grandet, n’allume le feu de sa chambre qu’aux jours où jadis son père lui permettait
d’allumer le foyer de la salle, et l’éteint conformément au programme en vigueur dans ses jeunes années. Elle
est toujours vêtue comme l’était sa mère. La maison de Saumur, maison sans soleil, sans chaleur, sans cesse
ombragée, mélancolique, est l’image de sa vie […]. Madame de Bonfons que, par raillerie, on
appelle mademoiselle, inspire généralement un religieux respect. Ce noble cœur, qui ne battait que pour les
sentiments les plus tendres, devait donc être soumis aux calculs de l’intérêt humain. L’argent devait
communiquer ses teintes froides à cette vie céleste, et lui donner de la défiance pour les sentiments.
— Il n’y a que toi qui m’aimes, disait-elle à Nanon. […] Eugénie marche au ciel accompagnée d’un cortège de
bienfaits. La grandeur de son âme amoindrit les petitesses de son éducation et les coutumes de sa vie
première. Telle est l’histoire de cette femme, qui n’est pas du monde au milieu du monde ; qui, faite pour être
magnifiquement épouse et mère, n’a ni mari, ni enfants, ni famille.
George Sand, Indiana (1832): le «féminisme»
Cet homme malheureux […] la saisit par les cheveux, la renversa, et la frappa au
front du talon de sa botte.
À peine eut-il imprimé cette marque sanglante de sa brutalité à un être faible, qu’il
eut horreur de lui-même. Il s’enfuit épouvanté de ce qu’il avait fait, et courut s’enfermer
dans sa chambre, où il arma ses pistolets pour se brûler la cervelle ; mais, au moment
d’accomplir ce dessein, il vit, sous la varangue, Indiana qui s’était relevée, et qui essuyait,
d’un air calme et froid, le sang dont son visage était inondé.
[…] Elle ne voulut [pas] cacher sa blessure.
« Non, dit-elle avec hauteur, je ne veux pas, moi ! Cet homme […] s’est empressé de
publier ce qu’il appelait mon déshonneur. Je veux montrer à tous les yeux ce stigmate
du sien qu’il a pris soin d’imprimer lui-même sur mon visage ».
[…] Dès ce moment le personnage de ce mari devint odieux aux yeux de sa femme
(chap. XXVI).
Indiana: l’Histoire
(Révolution de Juillet)
Indiana approchait des rives de la France. Mais quels furent sa
surprise et son effroi, en débarquant, de voir le drapeau tricolore
flotter sur les murs de Bordeaux ! Une violente agitation
bouleversait la ville ; le préfet avait été presque massacré la
veille ; le peuple se soulevait de toutes parts ; la garnison
semblait s’apprêter à une lutte sanglante, et l’on ignorait encore
l’issue de la révolution de Paris.
[…] elle entendit assurer autour d’elle que la royauté était
tombée, que le roi était en fuite et que les ministres avaient été
massacrés avec tous leurs partisans (chap. XXVIII).
Les courants réalistes (synthèse)
au XIXe siècle
Réalisme/ À partir de 1830 Monarchie de Stendhal, Balzac,
Romantisme Juillet (Sand)
Réalisme 1856: Le Réalisme Second Empire Flaubert, frères
(revue de Duranty); Napoléon III Goncourt
Le Réalisme (essai de
Champfleury)
ZÉRO (vision par en-dessus) Narrateur omniscient (je, nous); Balzac, Manzoni
récit à la 3e personne
fixe Point de vue du personnage- Roman psychologique
narrateur (1e personne)
variable Point de vue de plusieurs Stendhal, Flaubert
INTERNE personnages (3e personne)
(vision avec)
multiple p. de vue de plusieurs Flaubert (3e p.), roman
personnages sur les mêmes faits épistolaire (plusieurs “je”)
(1e/3e personne)
• «C’est la catégorie du «réel» (et non ses continus contingents) qui est
alors signifiée»
•Il nous faut demander pardon au public de lui donner ce livre, et l’avertir de ce qu’il y trouvera.
•Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai.
•Il aime les livres qui font semblant d’aller dans le monde : ce livre vient de la rue.
•Il aime les petites œuvres polissonnes […] : ce qu’il va lire est sévère et pur. Qu’il ne s’attende
point à la photographie décolletée du Plaisir : l’étude qui suit est la clinique de l’Amour.
•Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui finissent bien, les
imaginations qui ne dérangent ni sa digestion ni sa sérénité : ce livre, avec sa triste et violente
distraction, est fait pour contrarier ses habitudes et nuire à son hygiène.
•Pourquoi donc l’avons-nous écrit ? Est-ce simplement pour choquer le public et scandaliser ses
goûts ?
•Non.
Edmond et Jules de Goncourt, Germinie
Lacerteux, préface (suite)
•— Dame ! répondait Maheu, si l’on avait plus d’argent, on aurait plus d’aise… Tout de
même, c’est bien vrai que ça ne vaut rien pour personne, de vivre les uns sur les autres.
Ça finit toujours par des hommes soûls et par des filles pleines.
•Et la famille partait de là, chacun disait son mot, pendant que le pétrole de la lampe
viciait l’air de la salle, déjà empuantie d’oignon frit. Non, sûrement, la vie n’était pas drôle.
On travaillait en vraies brutes à un travail qui était la punition des galériens autrefois, on y
laissait la peau plus souvent qu’à son tour, tout ça pour ne pas même avoir de la viande
sur sa table, le soir. Sans doute on avait sa pâtée quand même, on mangeait, mais si
peu, juste de quoi souffrir sans crever, écrasé de dettes, poursuivi comme si l’on volait
son pain. Quand arrivait le dimanche, on dormait de fatigue. Les seuls plaisirs, c’était de
se soûler ou de faire un enfant à sa femme ; encore la bière vous engraissait trop
le ventre, et l’enfant, plus tard, se foutait de vous. Non, non, ça n’avait rien de drôle.
Zola, Germinal (III, 3) - suite
•Alors, la Maheude s’en mêlait.
•— L’embêtant, voyez-vous, c’est lorsqu’on se dit que ça ne peut pas changer… Quand on est
jeune, on s’imagine que le bonheur viendra, on espère des choses ; et puis, la misère recommence
toujours, on reste enfermé là-dedans… Moi, je ne veux du mal à personne, mais il y a des fois où
cette injustice me révolte.
•Un silence se faisait, tous soufflaient un instant, dans le malaise vague de cet horizon fermé.
Seul, le père Bonnemort, s’il était là, ouvrait des yeux surpris, car de son temps on ne se tracassait
pas de la sorte : on naissait dans le charbon, on tapait à la veine, sans en demander davantage ;
tandis que, maintenant, il passait un air qui donnait de l’ambition aux charbonniers.
•— Faut cracher sur rien, murmurait-il. Une bonne chope est une bonne chope… Les chefs, c’est
souvent de la canaille ; mais il y aura toujours des chefs, pas vrai ? Inutile de se casser la tête à
réfléchir là-dessus.
•Du coup, Étienne s’animait. Comment ! la réflexion serait défendue à l’ouvrier ! Eh ! justement,
les choses changeraient bientôt, parce que l’ouvrier réfléchissait à cette heure.
Maupassant, “Le roman”,
préface de Pierre et Jean
•Après les écoles littéraires qui ont voulu nous donner une vision déformée, surhumaine, poétique,
attendrissante, charmante ou superbe de la vie, est venue une école réaliste ou naturaliste qui a prétendu
nous montrer la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.
•[…] Mais en se plaçant au point de vue même de ces artistes réalistes, on doit discuter et contester leur
théorie qui semble pouvoir être résumée par ces mots : « Rien que la vérité et toute la vérité. » Le réaliste, s’il
est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la
vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. Raconter tout serait impossible, car
il faudrait alors un volume au moins par journée, pour énumérer les multitudes d’incidents insignifiants qui
emplissent notre existence.
•Un choix s’impose donc, — ce qui est une première atteinte à la théorie de toute la vérité.
•La vie, en outre, est composée des choses les plus différentes, les plus imprévues, les plus contraires, les
plus disparates ; elle est brutale, sans suite, sans chaîne, pleine de catastrophes inexplicables, illogiques et
contradictoires qui doivent être classées au chapitre faits divers.
•Voilà pourquoi l’artiste, ayant choisi son thème, ne prendra dans cette vie encombrée de hasards et de
futilités que les détails caractéristiques utiles à son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l’à-côté.
Maupassant, “Le roman”,
préface de Pierre et Jean (suite)
•Un exemple entre mille : Le nombre des gens qui meurent chaque jour par accident est considérable sur
la terre. Mais pouvons-nous faire tomber une tuile sur la tête d’un personnage principal, ou le jeter sous les
roues d’une voiture, au milieu d’un récit, sous prétexte qu’il faut faire la part de l’accident ?
•Faire vrai consiste donc à donner l’illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non
à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession. J’en conclus que les Réalistes de
talent devraient s’appeler plutôt des Illusionnistes.
•Quel enfantillage, d’ailleurs, de croire à la réalité puisque nous portons chacun la nôtre dans notre
pensée et dans nos organes. Nos yeux, nos oreilles, notre odorat, notre goût différents créent autant de
vérités qu’il y a d’hommes sur la terre. Et nos esprits qui reçoivent les instructions de ces organes,
diversement impressionnés, comprennent, analysent et jugent comme si chacun de nous appartenait à une
autre race. Chacun de nous se fait donc simplement une illusion du monde, illusion poétique, sentimentale,
joyeuse, mélancolique, sale ou lugubre suivant sa nature. Et l’écrivain n’a d’autre mission que de reproduire
fidèlement cette illusion avec tous les procédés d’art qu’il a appris et dont il peut disposer.
Maupassant, “Le roman”,
préface de Pierre et Jean (suite et fin)
Il n’est point besoin du vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois qu’on nous
impose aujourd’hui sous le nom d’écriture artiste, pour fixer toutes les nuances de la
pensée ; mais il faut discerner avec une extrême lucidité toutes les modifications de
la valeur d’un mot suivant la place qu’il occupe. Ayons moins de noms, de verbes et
d’adjectifs aux sens presque insaisissables, mais plus de phrases différentes, diversement
construites, ingénieusement coupées, pleines de sonorités et de rythmes savants. Efforçons-
nous d’être des stylistes excellents plutôt que des collectionneurs de termes rares.
La langue française, d’ailleurs, est une eau pure que les écrivains maniérés n’ont jamais pu
et ne pourront jamais troubler […] La nature de cette langue est d’être claire, logique et
nerveuse. Elle ne se laisse pas affaiblir, obscurcir ou corrompre.
Maupassant, Une vie (chap. X)
• Et la grande maison, qui voyait ainsi de temps en temps disparaître un de ses maîtres, reprit sa vie calme et
régulière.
• Et puis Paul tomba malade. Jeanne en perdit la raison, resta douze jours sans dormir, presque sans manger.
• Il guérit ; mais elle demeura épouvantée par cette idée qu’il pouvait mourir. Alors que ferait-elle ? que
deviendrait-elle ? Et tout doucement se glissa dans son cœur le vague besoin d’avoir un autre enfant.
Bientôt elle en rêva, reprise tout entière par son ancien désir de voir autour d’elle deux petits êtres, un
garçon et une fille. Et ce fut une obsession.
• Mais depuis l’affaire de Rosalie elle vivait séparée de Julien. Un rapprochement semblait même impossible
dans les situations où ils se trouvaient. Julien aimait ailleurs ; elle le savait ; et la seule pensée de subir
de nouveau ses caresses la faisait frémir de répugnance.
• Elle s’y serait pourtant résignée, tant l’envie d’être encore mère la harcelait ; mais elle se demandait
comment pourraient recommencer leurs baisers ?
Maupassant, Une vie (chap. XIV, explicit)
• Enfin elle aperçut Rosalie qui portait en ses bras une sorte de paquet de linge.
• Elle voulut aller vers elle, mais elle craignait de tomber tant ses jambes étaient devenues molles. Sa bonne,
l’ayant vue, la rejoignit avec son air calme ordinaire ; et elle dit : « Bonjour, Madame ; me v’là revenue, c’est
pas sans peine. »
• Jeanne balbutia : « Eh bien ? »
• Rosalie répondit : « Eh bien, elle est morte c’te nuit. Ils sont mariés, v’là la petite. » Et elle tendit l’enfant
qu’on ne voyait point dans ses linges.
• Jeanne la reçut machinalement et elles sortirent de la gare, puis montèrent dans la voiture.
• Rosalie reprit : « M. Paul viendra dès l’enterrement fini. Demain à la même heure, faut croire. »
• Jeanne murmura « Paul… » et n’ajouta rien.
• […] Et Jeanne regardait droit devant elle en l’air, dans le ciel que coupait, comme des fusées, le vol cintré des
hirondelles. Et soudain une tiédeur douce, une chaleur de vie traversant ses robes, gagna ses jambes,
pénétra sa chair ; c’était la chaleur du petit être qui dormait sur ses genoux.
Maupassant, Une vie (chap. XIV, explicit)
(suite et fin)
• Alors une émotion infinie l’envahit. Elle découvrit brusquement la
figure de l’enfant qu’elle n’avait pas encore vue : la fille de son fils. Et
comme la frêle créature, frappée par la lumière vive, ouvrait ses yeux
bleus en remuant la bouche, Jeanne se mit à l’embrasser
furieusement, la soulevant dans ses bras, la criblant de baisers.
• Mais Rosalie, contente et bourrue, l’arrêta. « Voyons, voyons,
madame Jeanne, finissez ; vous allez la faire crier. »
• Puis elle ajouta, répondant sans doute à sa propre pensée : « La vie,
voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit. »
Maupassant, Bel-Ami (II, 2)
• […] il pensa : « Toutes les femmes sont des filles, il faut s’en servir et ne leur rien
donner de soi. »
• L’amertume de son cœur lui montait aux lèvres en paroles de mépris et de dégoût. Il ne
les laissa point s’épandre cependant. Il se répétait : « Le monde est aux forts. Il faut
être fort. Il faut être au-dessus de tout. »
• La voiture allait plus vite. Elle repassa les fortifications. Du Roy regardait devant lui une
clarté rougeâtre dans le ciel, pareille à une lueur de forge démesurée ; et il entendait
une rumeur confuse, immense, continue, faite de bruits innombrables et différents, une
rumeur sourde, proche, lointaine, une vague et énorme palpitation de vie, le souffle
de Paris respirant, dans cette nuit d’été, comme un colosse épuisé de fatigue.
• Georges songeait : — Je serais bien bête de me faire de la bile. Chacun pour soi. La
victoire est aux audacieux. Tout n’est que de l’égoïsme. L’égoïsme pour l’ambition et la
fortune vaut mieux que l’égoïsme pour la femme et pour l’amour.