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Epreuves Anticipées de Français, session 2024, voie générale

Recueil pour l’oral


Récapitulatif des œuvres et des textes étudiés durant la classe de Première

NOM DE L’ENSEIGNANT NOM DU CANDIDAT:


Benboubetra Redouane

ŒUVRE CHOISIE PAR LE CANDIDAT pour la 2ème partie de l’épreuve :

Objet d’étude :
Auteur et titre :
La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

PREMIÈRE PARTIE DE L’ÉPREUVE : exposé sur un des textes du descriptif

Œuvre choisie dans le programme : Rimbaud, Cahier de Douai (aussi connu sous les
titres Cahiers de Douai, « Recueil Demeny » ou Recueil de Douai)

Textes extraits de l’œuvre ayant fait l’objet d’une explication de texte :

1. Venus Anadyomène - Arthur Rimbaud

2. Le dormeur du val - Arthur Rimbaud

Parcours associé correspondant à l’œuvre choisie :

Emancipations créatrices.

Textes du parcours associé ayant fait l’objet d’une explication de texte :

3. Un Rêve - Aloysius Bertrand

4. Si tu imaginais - Raymond Queneau

Œuvre cursive :

Calligrammes ; Guillaume Apollinaire


Le roman et le récit du Moyen-âge au XXIe siècle

PREMIÈRE PARTIE DE L’ÉPREUVE : exposé sur un des textes du descriptif

Œuvre choisie dans le programme : Abbé Prévost, Manon Lescaut (1731)

Textes extraits de l’œuvre ayant fait l’objet d’une explication de texte :


5. La rencontre (de « J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens » à « tous ses
malheurs et les miens »)
6. Les plaintes d’un amant (de « Ah ! Manon, Manon ! » à « je m’en ris, tout m’est égal »)

Parcours associé correspondant à l’œuvre choisie :

« Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

Textes du parcours associé ayant fait l’objet d’une explication de texte :

7. Stendhal, Le Rouge et le noir, Première partie, Chapitre 4 (de « En approchant de son


usine » à « son livre qu’il adorait ») (1830)
8. Flaubert, Emma Bovary, Deuxième partie, Chapitre 12 (de « Emma ne dormait pas » à
« les auvents de la pharmacie ») (1857)

DEUXIÈME PARTIE DE L’ÉPREUVE : présentation de l’œuvre choisie et entretien

Salina. Les trois exils ; Laurent Gaudé


Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

PREMIÈRE PARTIE DE L’ÉPREUVE : exposé sur un des textes du descriptif

Œuvre choisie dans le programme : Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde (1990)

Textes extraits de l’œuvre ayant fait l’objet d’une explication de texte :

9. « Le prologue » (du début à « jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. »)

10. « Le soliloque d’Antoine, deuxième partie, scène 3 (de « Rien en toi n’est jamais atteint
» à « il ne m’arrive jamais rien. »)

Parcours associé correspondant à l’œuvre choisie :

« Crise personnelle, crise familiale »

Textes du parcours associé ayant fait l’objet d’une explication de texte :

11. Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, acte II, scène 11


(de « Mario : Quoi ! ce babillard qui vient de sortir » à « Je ne suis pas tranquille. »)
(1730)
12. Victor Hugo, Lucrèce Borgia, acte III, scène 3
(de « Gennaro : Vous êtes ma tante. » à « Vous l’entendez, madame, il faut mourir ! »)
(1833)

DEUXIÈME PARTIE DE L’ÉPREUVE : présentation de l’œuvre choisie et entretien


Molière, Le Tartuffe ou l’Imposteur

La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle

PREMIÈRE PARTIE DE L’ÉPREUVE : exposé sur un des textes du descriptif

Œuvre choisie dans le programme : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et
de la citoyenne
Textes extraits de l’œuvre ayant fait l’objet d’une explication de texte :

13. Le Préambule

14. Le Postambule

Parcours associé correspondant à l’œuvre choisie :

Écrire et combattre pour l’égalité

Textes du parcours associé ayant fait l’objet d’une explication de texte :

15. Voltaire, Candide ou l’Optimisme, extrait du chapitre 19 (de « En approchant de la


ville » à « il entra dans Surinam ») (1759)
16. Cyrano de Bergerac, Histoire comique des États et Empires du Soleil, «
Le gouvernement du bonheur » (de « Elle achevait ceci » à « il est condamné à la mort
triste »)(1662)

DEUXIÈME PARTIE DE L’ÉPREUVE : présentation de l’œuvre choisie et entretien

Voltaire - Candide
La poésie du XIXe siècle au XXIe
siècle
Vénus Anadyomène
Arthur Rimbaud
Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates


Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût


Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;


– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Arthur Rimbaud
Le dormeur du val
Arthur Rimbaud

C’est un trou de verdure où chante une rivière


Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,


Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme


Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;


Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud, octobre 1870


Un rêve

J'ai rêvé tant et plus, mais je n'y entends note.


Pantagruel, livre III.

Il était nuit. Ce furent d'abord, - ainsi j'ai vu, ainsi je raconte, - une abbaye aux
murailles lézardées par la lune, - une forêt percée de sentiers tortueux, - et le
Morimont grouillant de capes et de chapeaux.

Ce furent ensuite, - ainsi j'ai entendu, ainsi je raconte, - le glas funèbre d'une
cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d'une cellule, - des cris plaintifs et
des rires féroces dont frissonnait chaque fleur le long d'une ramée, - et les prières
bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnent un criminel au supplice.

Ce furent enfin, - ainsi s'acheva le rêve, ainsi je raconte, - un moine qui expirait
couché dans la cendre des agonisants, - une jeune fille qui se débattait pendue aux
branches d'un chêne, - et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la
roue.

Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier, les honneurs de la


chapelle ardente; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa
blanche robe d'innocence, entre quatre cierges de cire.

Mais moi, la barre du bourreau s'était, au premier coup, brisée comme un verre,
les torches des pénitents noirs s'étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule
s'était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, - et je poursuivais d'autres
songes vers le réveil.

Aloysius Bertrand - Gaspard de la nuit - Livre III - 1842


Raymond Queneau: « Si tu t’imagines… »

fillette fillette ce que tu te goures


Si tu t'imagines
ce que tu te goures fillette fillette
si tu t'imagines
ce que tu te goures.
fillette fillette

si tu t'imagines
les beaux jours s'en vont L’Instant fatal,
xa va xa va xa
les beaux jours de fête Editions Gallimard,1948
va durer toujours
soleils et planètes
la saison des za
tournent tous en rond
la saison des za
mais toi ma petite
saison des amours
tu marches tout droit
ce que tu te goures
vers sque tu vois pas
fillette fillette
très sournois s'approchent
ce que tu te goures
la ride véloce
Si tu crois petite
la pesante graisse
si tu crois ah ah
le menton triplé
que ton teint de rose
le muscle avachi
ta taille de guêpe
allons cueille cueille
tes mignons biceps
les roses les roses
tes ongles d'émail
roses de la vie
ta cuisse de nymphe
et que leurs pétales
et ton pied léger
soient la mer étale
si tu crois petite
de tous les bonheurs
xa va xa va xa va
allons cueille cueille
va durer toujours
si tu le fais pas
ce que tu te goures
Le roman et le récit du Moyen-
âge au XXIe siècle
La rencontre

J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt!
j’aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter
cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche
d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n’avions pas
d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en
resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui
paraissait lui servir de conducteur, s’empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me
parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille
avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me
trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et
facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse
de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître
embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de
connaissance. Elle me répondit ingénument, qu’elle y était envoyée par ses parents, pour être
religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que
je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui
fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi: c’était malgré elle
qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s’était déjà déclaré,
et qui a causé dans la suite tous ses malheurs et les miens.

Extrait de la première partie de Manon Lescaut - L’abbé Prévost


Les plaintes d’un amant

« Ah! Manon, Manon, repris-je avec un soupir, il est bien tard de me donner des larmes, lorsque
vous avez causé ma mort. Vous affectez une tristesse que vous ne sauriez sentir. Le plus grand de
vos maux est sans doute ma présence, qui a toujours été importune à vos plaisirs. Ouvrez les yeux,
voyez qui je suis ; on ne verse pas des pleurs si tendres pour un malheureux qu’on a trahi et qu’on
abandonne cruellement. »Elle baisait mes mains sans changer de posture. Inconstante Manon,
repris-je encore, fille ingrate et sans foi, où sont vos promesses et vos serments ? Amante mille fois
volage et cruelle, qu’as-tu fait de cet amour que tu me jurais encore aujourd’hui ? Juste Ciel,
ajoutai-je, est-ce ainsi qu’une infidèle se rit de vous, après vous avoir attesté si saintement ? C’est
donc le parjure qui est récompensé! Le désespoir et l’abandon sont pour la constance et la fidélité.
Ces paroles furent accompagnées d’une réflexion si amère, que j’en laissai échapper malgré moi
quelques larmes. Manon s’en aperçut au changement de ma voix. Elle rompit enfin le silence. Il
faut bien que je sois coupable, me dit-elle tristement, puisque j’ai pu vous causer tant de douleur et
d’émotion; mais que le Ciel me punisse si j’ai cru l’être, ou si j’ai eu la pensée de le devenir !
Ce discours me parut si dépourvu de sens et de bonne foi, que je ne pus me défendre d’un vif
mouvement de colère. Horrible dissimulation! m’écriai-je. Je vois mieux que jamais que tu n’es
qu’une coquine et une perfide. C’est à présent que je connais ton misérable caractère. Adieu, lâche
créature, continuai-je en me levant; j’aime mieux mourir mille fois que d’avoir désormais le
moindre commerce avec toi. Que le Ciel me punisse moi-même si je t’honore jamais du moindre
regard! Demeure avec ton nouvel amant, aime-le, déteste-moi, renonce à l’honneur, au bon sens ;
je m’en ris, tout m’est égal. »
« Personnages en marge, plaisirs du romanesque »
Stendhal, Le Rouge et le Noir

Texte 1 : Stendhal, Le Rouge et le Noir, première partie, chapitre 4 (1830)


Dans Le Rouge et le Noir, le lecteur suit le parcours de Julien Sorel, fils d’un menuisier : ayant eu
une instruction, à la différence de ses frères, il rêve de gloire, d’embrasser une carrière militaire ou
ecclésiastique, et ainsi sortir de son milieu social.
En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne ne répondit.
Il ne vit que ses fils aînés, espèce de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs
de sapin, qu’ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée
sur la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n’entendirent
pas la voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien
à la place qu’il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l’aperçut à cinq ou six pieds plus haut, à
cheval sur l’une des pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le
mécanisme, Julien lisait. Rien n’était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à
Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais
cette manie de lecture lui était odieuse : il ne savait pas lire lui-même.
Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme donnait à son
livre, bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père. Enfin,
malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l’arbre soumis à l’action de la scie, et de là sur la
poutre transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait
Julien ; un second coup aussi violent, donné sur la tête, en forme de calotte, lui fit perdre l’équilibre.
Il allait tomber à douze ou quinze pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui
l’eussent brisé, mais son père le retint de la main gauche, comme il tombait :
– Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la
scie ? Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure.
Julien, quoiqu’étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à
côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique, que pour la perte
de son livre qu’il adorait.
Flaubert, Madame Bovary, deuxième partie, chapitre 12 (1857)

Emma qui s’est installée à Yonville avec son mari Charles Bovary finit par avoir un amant,
Rodolphe, un châtelain volage. Au début de ce chapitre 12, Emma a proposé au jeune homme de
s’enfuir. L’extrait évoque ses rêves d’évasion, alors que son époux Charles la rejoint dans le lit.

Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’être endormie ; et, tandis qu’il s’assoupissait à ses
côtés, elle se réveillait en d’autres rêves.
Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où
ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut
d’une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts,
des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc, dont les clochers aigus
portaient des nids de cigogne. On marchait au pas, à cause des grandes dalles, et il y avait par
terre des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillées en corset rouge. On entendait
sonner des cloches, hennir les mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines, dont
la vapeur s’envolant rafraîchissait des tas de fruits, disposés en pyramide au pied des statues pâles,
qui souriaient sous les jets d’eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où
des filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C’est là qu’ils s’arrêteraient
pour vivre ; ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un
golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur
existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les
nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant, sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait
apparaître, rien de particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme
des flots ; et cela se balançait à l’horizon, infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais
l’enfant se mettait à tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne
s’endormait que le matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin, sur la
place, ouvrait les auvents de la pharmacie.
Le théâtre du XVIIe siècle au
XXIe siècle
« Le Prologue »
LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après
– j’allais mourir à mon tour –
j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai‚
l’année d’après‚
de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚
de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚
l’année d’après‚
comme on ose bouger parfois‚
à peine‚
devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste
trop violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚
l’année d’après‚
malgré tout‚
la peur‚
prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚
malgré tout‚
l’année d’après‚
je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage‚ pour
annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision
– ce que je crois –
lentement‚ calmement‚ d’une manière posée
– et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours été un
homme posé ?‚
pour annoncer‚
dire‚
seulement dire‚
ma mort prochaine et irrémédiable‚
l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚
et paraître
– peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le plus loin
que j’ose me souvenir –
et paraître pouvoir là encore décider‚
me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je ne
connais pas (trop tard et tant pis)‚
me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de moi-même et
d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître.
« Le soliloque d’Antoine », deuxième partie, scène 3
ANTOINE [...]
Rien en toi n’est jamais atteint,
il fallait des années peut-être pour que je le sache,
mais rien en toi n’est jamais atteint,
tu n’as pas mal
— si tu avais mal, tu ne le dirais pas, j’ai appris cela à mon tour—
et tout ton malheur n’est qu’une façon de répondre,
une façon que tu as de répondre,
d’être là devant les autres et de ne pas les laisser entrer.
c’est ta manière à toi, ton allure,
le malheur sur le visage comme d’autres un air de crétinerie satisfaite,
tu as choisi ça et cela t’a servi et tu l’as conservé.
Et nous, nous nous sommes fait du mal à notre tour,
chacun n’avait rien à se reprocher
et ce ne pouvait être que les autres qui te nuisaient et nous rendaient responsables tous ensemble,
moi, eux,
et peu à peu, c’était de ma faute, ce ne pouvait être que de ma faute.
On devait m’aimer trop puisque on ne t’aimait pas assez
et on voulut me reprendre alors ce qu’on ne me donnait pas,
et on ne me donna plus rien,
et j’étais là, couvert de bonté sans intérêt à ne jamais devoir me plaindre,
à sourire, à jouer,
à être satisfait, comblé,
tiens, le mot, comblé,
alors que toi, toujours, inexplicablement, tu suais le malheur
dont rien ni personne, malgré tous ces efforts, n’aurait su te distraire et te sauver.
Et lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quittés, lorsque tu nous abandonnas,
je ne sais plus quel mot définitif tu nous jetas à la tête,
je dus encore être le responsable,
être silencieux et admettre la fatalité, et te plaindre aussi,
m’inquiéter de toi à distance
et ne plus jamais oser dire un mot contre toi, ne plus jamais même oser penser un mot contre toi,
rester là, comme un benêt, à t’attendre.
Moi, je suis la personne la plus heureuse de la terre,
et il ne m’arrive jamais rien,
et m’arrive-t-il quelque chose que je ne peux me plaindre, puisque, « à l’ordinaire »,
il ne m’arrive jamais rien.
Le Jeu de l’amour et du hasard, acte II, scène 11, Marivaux
Mario : Quoi ! ce babillard qui vient de sortir ne t’a pas un peu dégoûtée de lui ?
Silvia, avec feu. : Que vos discours sont désobligeants ! m’a dégoûtée de lui ! dégoûtée ! J’essuie
des expressions bien étranges ; je n’entends plus que des choses inouïes, qu’un langage
inconcevable ; j’ai l’air embarrassé, il y a quelque chose ; et puis c’est le galant Bourguignon qui
m’a dégoûtée. C’est tout ce qu’il vous plaira, mais je n’y entends rien.
Mario : Pour le coup, c’est toi qui es étrange. À qui en as-tu donc ? D’où vient que tu es si fort sur
le qui-vive ? Dans quelle idée nous soupçonnes-tu ?
Silvia : Courage, mon frère ! Par quelle fatalité aujourd’hui ne pouvez-vous me dire un mot qui ne
me choque ? Quel soupçon voulez-vous qui me vienne ? Avez-vous des visions ?
Monsieur Orgon : Il est vrai que tu es si agitée que je ne te reconnais point non plus. Ce sont
apparemment ces mouvements-là qui sont cause que Lisette nous a parlé comme elle a fait. Elle
accusait ce valet de ne t’avoir pas entretenue à l’avantage de son maître, et, « madame, nous a-t-elle
dit, l’a défendu contre moi avec tant de colère que j’en suis encore toute surprise ». C’est sur ce mot
de surprise que nous l’avons querellée ; mais ces gens-là ne savent pas la conséquence d’un mot.
Silvia : L’impertinente ! y a-t-il rien de plus haïssable que cette fille-là ? J’avoue que je me suis
fâché par un esprit de justice pour ce garçon.
Mario : Je ne vois point de mal à cela.
Silvia : Y a-t-il rien de plus simple ? Quoi ! parce que je suis équitable, que je veux qu’on ne nuise
à personne, que je veux sauver un domestique du tort qu’on peut lui faire auprès de son maître, on
dit que j’ai des emportements, des fureurs dont on est surprise ! Un moment après un mauvais esprit
raisonne ; il faut se fâcher, il faut la faire taire, et prendre mon parti contre elle, à cause de la
conséquence de ce qu’elle dit ! Mon parti ! J’ai donc besoin qu’on me défende, qu’on me justifie !
On peut donc mal interpréter ce que je fais ! Mais que fais-je ? de quoi m’accuse-t-on ? Instruisez-
moi, je vous en conjure ; cela est sérieux. Me joue-t-on ? se moque-t-on de moi ? Je ne suis pas
tranquille.

Le Jeu de l’amour et du hasard, acte II, scène 11, Marivaux


Victor Hugo, Lucrèce Borgia, acte III, scène 3 (1833)
Gennaro : Vous êtes ma tante. Vous êtes la soeur de mon père. Qu’avez-vous fait de ma mère, Madame
Lucrèce Borgia ?
Dona Lucrezia : Attends, attends ! Mon dieu, je ne puis tout dire. Et puis, si je te disais tout, je ne ferais
peut-être que redoubler ton horreur et ton mépris pour moi ! Écoute-moi encore un instant. Oh !
Je voudrais bien que tu me reçusses repentante à tes pieds ! Tu me feras grâce de la vie, n’est-ce
pas ? Eh bien, veux-tu que je prenne le voile ? Veux-tu que je m’enferme dans un cloître, dis ? Voyons,
si l’on te disait : cette malheureuse femme s’est fait raser la tête, elle couche dans la cendre, elle
creuse sa fosse de ses mains, elle prie Dieu nuit et jour, non pour elle, qui en aurait besoin cependant,
mais pour toi, qui peux t’en passer ; elle fait tout cela, cette femme, pour que tu abaisses un
jour sur sa tête un regard de miséricorde, pour que tu laisses tomber une larme sur toutes les plaies
vives de son coeur et de son âme, pour que tu ne lui dises plus comme tu viens de le faire avec cette
voix plus sévère que celle du jugement dernier : vous êtes Lucrèce Borgia ! Si l’on te disait cela, Gennaro,
est-ce que tu aurais le coeur de la repousser ! Oh ! Grâce ! Ne me tue pas, mon Gennaro ! Vivons
tous les deux, toi pour me pardonner, moi, pour me repentir ! Aie quelque compassion de moi ! Enfin
cela ne sert à rien de traiter sans miséricorde une pauvre misérable femme qui ne demande qu’un
peu de pitié ! - Un peu de pitié ! Grâce de la vie ! - Et puis, vois-tu bien, mon Gennaro, je te le dis pour
toi, ce serait vraiment lâche ce que tu ferais là, ce serait un crime affreux, un assassinat ! Un homme
tuer une femme ! Un homme qui est le plus fort ! Oh ! Tu ne voudras pas ! Tu ne voudras pas !
Gennaro, ébranlé : Madame…
Dona Lucrezia. Oh ! Je le vois bien, j’ai ma grâce ! Cela se lit dans tes yeux. Oh ! Laisse-moi pleurer
à tes pieds !
Une voix au-dehors : Gennaro !
Gennaro : Qui m’appelle ?
La Voix : Mon frère Gennaro !
Gennaro. C’est Maffio !
La Voix. Gennaro ! Je meurs ! Venge-moi !
Gennaro, relevant le couteau. C’est dit. Je n’écoute plus rien. Vous l’entendez, madame, il faut mourir !
La littérature d’idées du XVIe
siècle au XVIIIe siècle
Le Préambule
Les mères, les filles, les soeurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en Assbmlée
nationale.
Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des
malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration
solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration,
constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits
et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant
être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés,
afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables,
tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes moeurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles,
reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de la
femme et de la citoyenne.
Le Postambule
Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits.
Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et
de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation.
L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers.
Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous
d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? Un mépris
plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse
des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? la conviction des injustices
de l’homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu’auriez-
vous à redouter pour une si belle entreprise ? le bon mot du législateur des noces de Cana ?
Craignez-vous que nos législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux
branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu’y a-t-il de
commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse,
à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la
force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la
philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux,
non serviles adorateurs rampant à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être
Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir
; vous n’avez qu’à le vouloir.
Voltaire, Candide ou l’Optimisme (1759)
En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié de
son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche
et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l’état
horrible où je te vois ? - J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le
nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre, c’est
l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous travaillons
aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous
voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix
que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons
sur la côte de Guinée, elle me disait : « Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils
te feront vivre heureux, tu as l’honneur d’être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là
la fortune de ton père et de ta mère. «Hélas ! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas
fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous.
Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants
d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous
sommes tous cousins issus de germains. Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses
parents d’une manière plus horrible.
- Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra qu’à
la fin je renonce à ton optimisme. - Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. - Hélas ! dit Candide,
c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal » ; et il versait des larmes en regardant
son nègre ; et en pleurant, il entra dans Surinam.
Histoire comique des États et Empires du Soleil

Le narrateur, « Cyrano », voyage dans les Etats et Empires du Soleil. Il y rencontre une société
d’oiseaux très bien organisée. Une pie vient de lui expliquer pourquoi elle aime bien les hommes :
ils l’ont élevée et nourrie.

Le gouvernement du bonheur.
Elle achevait ceci, quand nous fûmes interrompus par l’arrivée d’un aigle qui se vint asseoir entre
les rameaux d’un arbre assez proche du mien. Je voulus me lever pour me mettre à genoux devant
lui, croyant que ce fût le roi, si ma pie de sa patte ne m’eût contenu en mon assiette. « Pensiez-vous
donc, me dit-elle, que ce grand aigle fut notre souverain ? C’est une imagination de vous autres
hommes, qui à cause que vous laissez commander aux plus grands, aux plus forts et aux plus cruels
de vos compagnons, avez sottement cru, jugeant de toutes choses par vous, que l’aigle nous devait
commander. « Mais notre politique est bien autre ; car nous ne choisissons pour notre roi que le plus
faible, le plus doux, et le plus pacifique ; encore le changeons nous tous les six mois, et nous le
prenons faible, afin que le moindre à qui il aurait fait quelque tort, se pût venger de lui. Nous le
choisissons doux, afin qu’il ne haïsse ni ne se fasse haïr de personne, et nous voulons qu’il soit
d’une humeur pacifique, pour éviter la guerre, le canal de toutes les injustices.
« Chaque semaine, il tient les États, où tout le monde est reçu à se plaindre de lui. S’il se rencontre
seulement trois oiseaux mal satisfaits de son gouvernement, il en est dépossédé, et l’on procède à
une nouvelle élection. « Pendant la journée que durent les États, notre roi est monté au sommet d’un
grand if sur le bord d’un étang, les pieds et les ailes liés. Tous les oiseaux l’un après l’autre passent
par-devant lui ; et si quelqu’un d’eux le sait coupable du dernier supplice, il le peut jeter à l’eau.
Mais il faut que sur-le-champ il justifie la raison qu’il en a eue, autrement il est condamné à la mort
triste. »

Les Nouvelles œuvres de Monsieur de Cyrano de Bergerac. Contenant l’Histoire comique des Etats
et Empires du Soleil, plusieurs lettres et autres pièces divertissantes, 1662, Cyrano de Bergerac.

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