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Nom : …………………………………………
Prénom : ……………………………………..

ETABLISSEMENT :
Ensemble scolaire Albert de Mun
5, Avenue Georges Clémenceau
94130 Nogent-sur-Marne
01.48.73.79.91

EPREUVE ANTICIPEE DE FRANÇAIS – SESSION 2024


Descriptif de la classe de 1G2
Mme Salaün

Les élèves qui passeront leur oral blanc de français le samedi 09 mars ne pourront
pas être interrogés sur le texte n°10 « Prologue de l’auteur » (Gargantua,
Rabelais)

En revanche, les élèves passant leur oral le mercredi 20 mars pourront être
interrogés sur tous les textes du descriptif.

Lecture choisie par l’élève pour l’entretien : ………………………………………………


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Objet d’étude : La poésie du XIXe au XXIe siècle


Etude de l’œuvre intégrale : Rimbaud, Les Cahiers de Douai
Parcours associé « Emancipations créatrices »

Projet de lecture : Les Cahiers de Douai, une œuvre de l’émancipation créatrice ?

Explications linéaires de l’œuvre et du parcours


1. « Vénus Anadyomène », Rimbaud, Les Cahiers de Douai, 1870
2. « Ma Bohème », Rimbaud, Les Cahiers de Douai, 1870
3. « A la musique », Rimbaud, Les Cahiers de Douai, 1870
4. « Anywhere out of the world », Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1857

Lectures cursives au choix


- Guillaume Apollinaire, Calligrammes, 1918
- Francis Ponge, Le Parti pris des choses, 1942

Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle


Etude de l’œuvre intégrale : Abbé Prévost, Manon Lescaut
Parcours associé « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

Projet de lecture : En quoi les personnages marginaux peuvent-ils procurer du plaisir au


lecteur ?

Explications linéaires de l’œuvre et du parcours associé

5. Le procès de Julien Sorel, Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830


6. La rencontre amoureuse, livre I, Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731
7. La perfide Manon !, livre II, Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731
8. La mort de Manon, livre II, Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731

Lectures cursives au choix


- Annie Ernaux, Les Armoires vides, 1974
- Kafka, La Métamorphose, 1915
- Camus, L’Etranger, 1942
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Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle


Etude de l’œuvre intégrale : Rabelais, Gargantua
Parcours associé « Rire et savoir »

Projet de lecture : En quoi l’œuvre de Rabelais mêle-t-elle rire et savoir ?

Explications linéaires de l’œuvre et du parcours

9. Memnon, Voltaire, Le Memnon, 1749


10. Prologue de l’auteur, Rabelais, Gargantua, 1534

Lectures cursives au choix


- Molière, L’école des femmes, 1662
- Voltaire, Micromégas, 1767
- Voltaire, L’Ingénu, 1767

Questions de grammaire abordées en classe sur lesquelles les élèves peuvent être
interrogés

- Les propositions subordonnées relatives et conjonctives


- La négation

Liste complète des lectures que les élèves peuvent présenter en entretien

- Apollinaire, Guillaume, Calligrammes, 1918


- Camus, Albert, L’Etranger, 1942
- Ernaux, Annie, Les Armoires vides, 1974
- Kafka, Franz, La Métamorphose, 1915
- Molière, L’école des femmes, 1662
- Molière, Le Malade imaginaire, 1673
- Ponge, Francis, Le Parti pris des choses, 1942
- Prévost, Antoine François, Manon Lescaut, 1731
- Rabelais, François, Gargantua, 1534
- Rimbaud, Arthur, Les Cahiers de Douai, 1870
- Voltaire, L’Ingénu, 1767
- Voltaire, Micromégas, 1767
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Objet d’étude. La poésie, du XIXe au XXIe siècle


Parcours : Emancipations créatrices

Etude linéaire n°1 : Rimbaud, « Vénus Anadyomène »

Vénus Anadyomène

1 Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête

2 De femme à cheveux bruns fortement pommadés

3 D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,

4 Avec des déficits assez mal ravaudés ;

5 Puis le col gras et gris, les larges omoplates

6 Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;

7 Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;

8 La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

9 L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût

10 Horrible étrangement ; on remarque surtout

11 Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

12 Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;

13 – Et tout ce corps remue et tend sa large croupe

14 Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Arthur Rimbaud, « Vénus Anadyomène », Les Cahiers de Douai, 1870


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Objet d’étude. La poésie, du XIXe au XXIe siècle


Parcours : Emancipations créatrices

Etude linéaire n°2 : Rimbaud, « Ma Bohême »

Ma Bohême (Fantaisie)

1 Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;

2 Mon paletot aussi devenait idéal ;

3 J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;

4 Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

5 Mon unique culotte avait un large trou.

6 – Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course

7 Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

8 – Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

9 Et je les écoutais, assis au bord des routes,

10 Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes

11 De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

12 Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,

13 Comme des lyres, je tirais les élastiques

14 De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Arthur Rimbaud, « Ma Bohême », Les Cahiers de Douai, 1870


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Objet d’étude. La poésie, du XIXe au XXIe siècle


Parcours : Emancipations créatrices

Etude linéaire n°3 : Rimbaud, « A la musique »

A la musique

Place de la Gare, à Charleville.

1 Sur la place taillée en mesquines pelouses,


2 Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
3 Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
4 Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

5 – L’orchestre militaire, au milieu du jardin,


6 Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
7 Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
8 Le notaire pend à ses breloques à chiffres.

9 Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :


10 Les gros bureaux bouffis traînant leurs grosses dames
11 Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
12 Celles dont les volants ont des airs de réclame ;

[…]

13 Le long des gazons verts ricanent les voyous ;


14 Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
15 Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
16 Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…

17 – Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,


18 Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
19 Elles le savent bien ; et tournent en riant,
20 Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

[…]

21 J’ai bientôt déniché la bottine, le bas…


22 – Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
23 Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
24 – Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…

Arthur Rimbaud, « A la musique », Les Cahiers de Douai, 1870


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Objet d’étude. La poésie, du XIXe au XXIe siècle


Parcours. Emancipations créatrices
Etude linéaire n°4 : Baudelaire, « Anywhere out of the world »

XLVIII
Anywhere out of the world
N’importe où hors du monde

1 Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. Celui-
2 ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu’il guérirait à côté de la fenêtre.

3 Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette question de


4 déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme.

5 « Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d’habiter Lisbonne ? Il doit
6 y faire chaud, et tu t’y ragaillardirais comme un lézard. Cette ville est au bord de l’eau ; on dit
7 qu’elle est bâtie en marbre, et que le peuple y a une telle haine du végétal, qu’il arrache tous les
8 arbres. Voilà un paysage selon ton goût ; un paysage fait avec la lumière et le minéral, et le
9 liquide pour les réfléchir ! »

10 Mon âme ne répond pas.

11 « Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir habiter
12 la Hollande, cette terre béatifiante ? Peut-être te divertiras-tu dans cette contrée dont tu as
13 souvent admiré l’image dans les musées. Que penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts
14 de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons ? » Mon âme reste muette. « Batavia te
15 sourirait peut-être davantage ? Nous y trouverions d’ailleurs l’esprit de l’Europe marié à la
16 beauté tropicale. »

17 Pas un mot. — Mon âme serait-elle morte ?

18 « En es-tu donc venue à ce point d’engourdissement que tu ne te plaises que dans ton
19 mal ? S’il en est ainsi, fuyons vers les pays qui sont les analogies de la Mort. — Je tiens notre
20 affaire, pauvre âme ! Nous ferons nos malles pour Tornéo. Allons plus loin encore, à l’extrême
21 bout de la Baltique ; encore plus loin de la vie, si c’est possible ; installons-nous au pôle. Là le
22 soleil ne frise qu’obliquement la terre, et les lentes alternatives de la lumière et de la nuit
23 suppriment la variété et augmentent la monotonie, cette moitié du néant. Là, nous pourrons
24 prendre de longs bains de ténèbres, cependant que, pour nous divertir, les aurores boréales nous
25 enverront de temps en temps leurs gerbes roses, comme des reflets d’un feu d’artifice de
26 l’Enfer ! »

27 Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie : « N’importe où ! N’importe
28 où ! Pourvu que ce soit hors de ce monde ! »

Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, Petits poèmes en prose, 1857


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Objet d’étude. Le roman, du Moyen Âge au XXIe siècle


Parcours. Personnages en marge, plaisirs du romanesque

Etude linéaire n°5 : Le discours de Julien Sorel

1 « Messieurs les jurés,


2 « L'horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me
3 fait prendre la parole. Messieurs, je n'ai point l'honneur d'appartenir à votre classe, vous
4 voyez en moi un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune.
5 « Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne
6 me fais point illusion, la mort m'attend : elle sera juste. J'ai pu attenter aux jours de la
7 femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Madame de Rênal avait
8 été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J'ai donc mérité
9 la mort, messieurs les jurés. Mais quand je serais moins coupable, je vois des hommes
10 qui, sans s'arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et
11 décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure, et en
12 quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne
13 éducation, et l'audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appelle la société.
14 « Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de sévérité, que,
15 dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés
16 quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés... »
17 Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu'il avait sur le cœur ;
18 l'avocat général, qui aspirait aux faveurs de l'aristocratie, bondissait sur son siège ; mais
19 malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes
20 fondaient en larmes. Madame Derville elle-même avait son mouchoir sur ses yeux. Avant
21 de finir, Julien revint à la préméditation, à son repentir, au respect, à l'adoration filiale et
22 sans bornes que, dans les temps plus heureux, il avait pour madame de Rênal... Madame
23 Derville jeta un cri et s'évanouit.

Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre II, chapitre 41, 1830


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Objet d’étude. Le roman, du Moyen Âge au XXIe siècle


Parcours. Personnages en marge, plaisirs du romanesque

Etude linéaire n°6 : La rencontre amoureuse

1 J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je


2 un jour plus tôt ! j’aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de
3 celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s’appelait
4 Tiberge, nous vîmes arriver le coche d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où
5 ces voitures descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit
6 quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta
7 seule, dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de
8 conducteur, s’empressait pour faire tirer de son équipage des paniers. Elle me parut si
9 charmante que moi, qui n’avait jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille
10 avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue,
11 je me trouvais enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être
12 excessivement timide et facile à déconcerter ; mais, loin d’être arrêté alors par cette
13 faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée
14 que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui
15 l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit
16 ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me
17 rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce
18 dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit
19 comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C’était malgré
20 elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui
21 s’était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens. Je
22 combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant
23 et mon éloquence scolastique purent me suggérer. Elle n’affecta ni rigueur, ni dédain.
24 Elle me dit, après un moment de silence, qu’elle ne prévoyait que trop qu’elle allait être
25 malheureuse, mais que c’était apparemment la volonté du Ciel, puisqu’il ne lui laissait
26 nul moyen de l’éviter.

Abbé Prévost, Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, partie I, 1731
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Objet d’étude. Le roman, du Moyen Âge au XXIe siècle


Parcours. Personnages en marge, plaisirs du romanesque

Etude linéaire n°7 : la perfide Manon !

1 Je jetai les yeux sur la fille qui était devant moi. Elle était extrêmement jolie, et j’aurais
2 souhaité qu’elle l’eût été assez pour me rendre parjure et infidèle à mon tour. Mais je n’y trouvai
3 point ces yeux fins et languissants, ce port divin, ce teint de la composition de l’amour, enfin
4 ce fonds inépuisable de charmes que la nature avait prodigués à la perfide Manon […].
5 « Retournez à elle, et dites-lui de ma part qu’elle jouisse de son crime, et qu’elle en jouisse, s’il
6 se peut, sans remords. Je l’abandonne sans retour, et je renonce en même temps à toutes les
7 femmes, qui ne sauraient être aussi aimables qu’elle, et qui sont sans doute aussi lâches et
8 d’aussi mauvaise foi. » […]

9 Cette fille qui m’avait apporté la lettre, me voyant prêt à descendre l’escalier, me
10 demanda ce que je voulais donc qu’elle rapportât à M. de G*** M*** et à la dame qui était
11 avec lui ? Je rentrai dans la chambre à cette question ; et, par un changement incroyable à ceux
12 qui n’ont jamais senti de passions violentes, je me trouvai tout d’un coup, de la tranquillité où
13 je croyais être, dans un transport terrible de fureur. « Va, lui dis-je, rapporte au traître G***
14 M*** et à sa perfide maîtresse le désespoir où ta maudite lettre m’a jeté ; mais apprends-leur
15 qu’ils n’en riront pas longtemps, et que je les poignarderai tous deux de ma propre main. » Je
16 me jetai sur une chaise. Mon chapeau tomba d’un côté et ma canne de l’autre ; deux ruisseaux
17 de larmes amères commencèrent à couler de mes yeux. L’accès de rage que je venais de sentir
18 se changea en une profonde douleur. Je ne fis plus que pleurer en poussant des gémissements
19 et des soupirs. « Approche, mon enfant, approche, m’écriai-je en parlant à la jeune fille ;
20 approche, puisque c’est toi qu’on envoie pour me consoler. Dis-moi si tu sais des consolations
21 contre la rage et le désespoir, contre l’envie de se donner la mort à soi-même après avoir tué
22 deux perfides qui ne méritent pas de vivre. Oui, approche, continuai-je en voyant qu’elle faisait
23 vers moi quelques pas timides et incertains. Viens essuyer mes larmes ; viens rendre la paix à
24 mon cœur, viens me dire que tu m’aimes, afin que je m’accoutume à l’être d’une autre que de
25 mon infidèle. Tu es jolie, je pourrai peut-être t’aimer à mon tour. »

Abbé Prévost, Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, partie II, 1731
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Objet d’étude. Le roman, du Moyen Âge au XXIe siècle


Parcours. « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

Etude linéaire n° 8 : La mort de Manon

1 Je passai la nuit entière à veiller près d’elle, et à prier le Ciel de lui accorder un sommeil
2 doux et paisible. Ô Dieu ! que mes vœux étaient vifs et sincères ! et par quel rigoureux jugement
3 aviez-vous résolu de ne les pas exaucer ?
4 Pardonnez, si j’achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur
5 qui n’eut jamais d’exemple. Toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais quoique je le porte
6 sans cesse dans ma mémoire, mon âme semble reculer d’horreur, chaque fois que j’entreprends
7 de l’exprimer.
8 Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse
9 endormie, et je n’osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je
10 m’aperçus dès le point du jour, en touchant ses mains, qu’elle les avait froides et tremblantes.
11 Je les approchai de mon sein, pour les échauffer. Elle sentit ce mouvement ; et faisant un effort
12 pour saisir les miennes, elle me dit, d’une voix faible, qu’elle se croyait à sa dernière heure. Je
13 ne pris d’abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l’infortune, et je n’y répondis
14 que par les tendres consolations de l’amour. Mais ses soupirs fréquents, son silence à mes
15 interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes,
16 me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait. N’exigez point de moi que je vous
17 décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la perdis ; je reçus
18 d’elle des marques d’amour, au moment même qu’elle expirait ; c’est tout ce que j’ai la force
19 de vous apprendre, de ce fatal et déplorable évènement.
20 Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point sans doute assez
21 rigoureusement puni. Il a voulu que j’aie traîné, depuis, une vie languissante et misérable. Je
22 renonce volontairement à la mener jamais plus heureuse.

Abbé Prévost, Manon Lescaut, partie II, 1731


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Objet d’étude. La littérature d’idées, du XVIe au XVIIIe siècle


Parcours. « Rire et savoir »

Etude linéaire n°9. Memnon

1 Memnon conçut un jour le projet insensé d’être parfaitement sage. Il n’y a guère
2 d’hommes à qui cette folie n’ait quelquefois passé par la tête. Memnon se dit à lui-même
3 : «°Pour être très sage, et par conséquent très heureux, il n’y a qu’à être sans passions ;
4 et rien n’est plus aisé, comme on sait. Premièrement, je n’aimerai jamais de femme ;
5 car, en voyant une beauté parfaite, je me dirai à moi-même : ces joues-là se rideront un
6 jour ; ces beaux yeux seront bordés de rouge ; cette gorge ronde deviendra plate et
7 pendante ; cette belle tête deviendra chauve. Or je n’ai qu’à la voir à présent des mêmes
8 yeux dont je la verrai alors, et assurément cette tête ne fera pas tourner la mienne.
9 « En second lieu je serai toujours sobre ; j’aurai beau être tenté par la bonne chère,
10 par des vins délicieux, par la séduction de la société ; je n’aurai qu’à me représenter les
11 suites des excès, une tête pesante, un estomac embarrassé, la perte de la raison, de la
12 santé, et du temps, je ne mangerai alors que pour le besoin ; ma santé sera toujours égale,
13 mes idées toujours pures et lumineuses. Tout cela est si facile qu’il n’y a aucun mérite à
14 y parvenir.
15 « Ensuite, disait Memnon, il faut penser un peu à ma fortune°; mes désirs sont
16 modérés°; mon bien est solidement placé sur le receveur général des finances de Ninive
17 ; j’ai de quoi vivre dans l’indépendance : c’est là le plus grand des biens. Je ne serai
18 jamais dans la cruelle nécessité de faire ma cour ; je n’envierai personne, et personne ne
19 m’enviera. Voilà qui est encore très aisé. J’ai des amis, continuait-il, je les conserverai,
20 puisqu’ils n’auront rien à me disputer. Je n’aurai jamais d’humeur avec eux, ni eux avec
21 moi ; cela est sans difficulté.°»
22 Ayant fait ainsi son petit plan de sagesse dans sa chambre, Memnon mit la tête à
23 la fenêtre.

Voltaire, Le Memnon ou la Sagesse humaine, 1749


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Objet d’étude. La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle


Parcours. « Rire et savoir »

Etude linéaire n° 10 : Le prologue

Prologue de l’auteur

[…]

1 Il faut ouvrir le livre, et soigneusement peser ce qui y est raconté. Alors vous connaîtrez
2 que la drogue qu’il contient est de bien autre valeur que ne le promettait la boîte. C’est-à-dire
3 que les matières traitées ici ne sont pas si folâtres que le titre dessus le prétendait.

4 Et en supposant le cas où vous trouveriez le sens littéral des sujets assez joyeux et
5 correspondant bien au nom, toutefois il ne faut pas en rester là, comme au chant des sirènes,
6 mais il faut interpréter à plus haut sens ce que, peut-être, vous croyiez dit impromptu.

7 Avez-vous jamais crocheté une bouteille ? Canaille, va ! Rappelez-vous la contenance


8 que vous aviez. Mais avez-vous jamais vu un chien rencontrant quelque os à moelle ? Le chien
9 est, comme dit Platon au livre II de La République, la bête la plus philosophe au monde. Si vous
10 l’avez vu, vous avez pu noter avec quelle dévotion il le guette, avec quel soin il le garde, avec
11 quelle ferveur il le tient, avec quelle prudence il l’entame, avec quel zèle il le brise, et avec
12 quelle diligence il le suce. Qui le pousse à cela ? Quel est l’espoir de son étude ? Quel bien
13 demande-t-il ? Rien plus qu’un peu de moelle. Il est vrai que ce peu est plus délicieux que le
14 beaucoup de beaucoup d’autres choses, parce que la moelle est un aliment élaboré jusqu’à la
15 perfection de nature, comme le dit Galien dans le livre III des Facultés naturelles et le XI de
16 l’Usage des parties du corps.

17 Sur ce modèle, il vous convient d’être sages pour respirer, sentir et estimer ces beaux
18 livres de haute valeur, légers à la chasse et hardis au combat, puis, par une étude curieuse et une
19 méditation fréquente, rompre l’os et sucer la substantifique moelle. C’est-à-dire, veux-je
20 signifier par ces symboles pythagoriques, avec l’espoir certain d’être faits avisés et preux à
21 ladite lecture. Car vous trouverez en elle un bien autre goût et une doctrine plus cachée, qui
22 vous révélera de très hautes arcanes et des mystères horrifiques, tant en ce qui concerne notre
23 religion que l’état politique et la vie économique.

François Rabelais, « prologue de l’auteur », Gargantua, 1534

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