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Epreuves Anticipées de Français,

session 2022, voie technologique

Recueil pour l’oral


Récapitulatif des œuvres et des textes étudiés durant la classe de Première

NOM DE L’ENCEIGNANT NOM DU CANDIDAT:


Benboubetra Redouane

ŒUVRE CHOISIE PAR LE CANDIDAT pour la 2ème partie de l’épreuve :

Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle


Auteure et titre La femme gelée - Annie Ernaux
La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

PREMIÈRE PARTIE DE L’ÉPREUVE : exposé sur un des textes du descriptif

Œuvre choisie dans le programme : Victor Hugo, Les contemplations, livres I à IV (1856)

Textes extraits de l’œuvre ayant fait l’objet d’une explication de texte :

1. « Elle était déchaussée » - Partie 1 « Autrefois », livre premier « Aurore », poème XXI

2. « Melancholia » - Partie 1 « Autrefois », livre troisième « Les luttes et les rêves », poème II

Parcours associé correspondant à l’œuvre choisie :

les mémoires d’une âme

Textes du parcours associé ayant fait l’objet d’une explication de texte :

3. Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen » (1857)

DEUXIÈME PARTIE DE L’ÉPREUVE : présentation de l’œuvre choisie et entretien

Jacques Prévert, Paroles


La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle

PREMIÈRE PARTIE DE L’ÉPREUVE : exposé sur un des textes du descriptif

Œuvre choisie dans le programme : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne (du « préambule » au « postambule »)

Textes extraits de l’œuvre ayant fait l’objet d’une explication de texte :

4. Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Préambule

5. Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, postambule

Parcours associé correspondant à l’œuvre choisie :

écrire et combattre pour l'égalité

Textes du parcours associé ayant fait l’objet d’une explication de texte :

6. La Femme Gelée, Annie Ernaux de "in mois, trois mois que nous sommes mariés à " c’est la
nourriture corvée "

DEUXIÈME PARTIE DE L’ÉPREUVE : présentation de l’œuvre choisie et entretien

La Femme Gelée, Annie Ernaux


Le roman et le récit du Moyen-âge au XXIe siècle

PREMIÈRE PARTIE DE L’ÉPREUVE : exposé sur un des textes du descriptif

Œuvre choisie dans le programme : Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves

Textes extraits de l’œuvre ayant fait l’objet d’une explication de texte :

7. La rencontre au bal (de « Elle passa tout le jour des fiançailles » à « la même pensée
qu’avait eue le chevalier de Guise. »)
8. L’aveu (de « - Eh bien, Monsieur » à « ait donnée à son mari. »)

. Parcours associé correspondant à l’œuvre choisie :

Individu, morale et société

Textes du parcours associé ayant fait l’objet d’une explication de texte :


9. Gustave Flaubert, Madame Bovary, première partie, chapitre VIII (de « Mme Bovary remarqua
que plusieurs dames n’avaient pas mis leurs gants » à « roses pompon mêlées de verdure. ») (1857)

DEUXIÈME PARTIE DE L’ÉPREUVE : présentation de l’œuvre choisie et entretien

Le Père Goriot - Honoré de Balzac


Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

PREMIÈRE PARTIE DE L’ÉPREUVE : exposé sur un des textes du descriptif

Œuvre choisie dans le programme : Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde

Textes extraits de l’œuvre ayant fait l’objet d’une explication de texte :

10. « Le soliloque de Suzanne », première partie, scène 3 (de « Parfois, tu nous envoyais des
lettres » à « C’est pour les autres. »)
11. « Le soliloque d’Antoine, deuxième partie, scène 3 (de « Rien en toi n’est jamais atteint »
à « il ne m’arrive jamais rien. »)

Parcours associé correspondant à l’œuvre choisie :

« Crise personnelle, crise familiale »

Textes du parcours associé ayant fait l’objet d’une explication de texte

12. Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, acte II, scène 11 (de « Mario : Quoi ! ce babillard
qui vient de sortir » à « Je ne suis pas tranquille. ») (1730).

DEUXIÈME PARTIE DE L’ÉPREUVE : présentation de l’œuvre choisie et entretien

Molière, Le Tartuffe ou l’Imposteur


La poésie du XIXe siècle au
XXIe siècle
« Elle était déchaussée... » (Victor Hugo, Les Contemplations, I, XXI)

Elle était déchaussée, elle était décoiffée,


Assise les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t’en venir dans les champs ?

Elle me regarda de ce regard suprême


Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, c’est le mois où l’on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive ;


Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

Comme l’eau caressait doucement le rivage !


Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.
Les Contemplations – Livre III – Melancholia (extrait) – Victor HUGO

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?


Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
« Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait — c'est là son fruit le plus certain —
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !
Charles Baudelaire Les fleurs du mal (1857).

J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,


De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C'est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
- Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.

Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,


Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l'immortalité.
- Désormais tu n'es plus, ô matière vivante !
Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux ;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche
Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.
La littérature d’idées du XVIe
siècle au XVIIIe siècle
La déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne, Olympe de Gouges,

Préambule

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être
constituées en Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la
femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont
résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et
sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les
membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin
que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes, pouvant
être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient
plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur
des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la
Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous. En conséquence, le sexe supérieur, en beauté
comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les
auspices de l’Être suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne,
postambule
Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le
puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de
mensonges. Le flambeau de la véritéa dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme
esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est
devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels
sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus
signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire
est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre
patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle
entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français,
correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique,
mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : « Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? »
— Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en
contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de
supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute
l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos
pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que
l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. Passons
maintenant à l’effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société; et puisqu’il est
question, en ce moment, d’une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement
sur l’éducation des femmes. Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation
ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu; elles ont eu recours à toutes les
ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le
poison, le fer, tout leur était soumis; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement
français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l’administration nocturne des femmes; le cabinet
n’avait point de secret pour leur indiscrétion: ambassade, commandement, ministère, présidence,
pontificat, cardinalat, enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré,
tout a été soumis à la cupidité et à l’ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la
révolution, respectable et méprisé.
Annie Ernaux, La Femme gelée

Un mois, trois mois que nous sommes mariés, nous retournons à la fac, je donne des cours de latin. Le soir
descend plus tôt, on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes sérieux et fragiles,
l’image attendrissante du jeune couple moderno-intellectuel. Qui pourrait encore m’attendrir si je me
laissais faire, si je ne voulais pas chercher comment on s’enlise, doucettement. En y consentant lâchement.
D’accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui, à deux mètres l’un de l’autre. La
cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur le gaz. Unis, pareils. Sonnerie
stridente du compte-minutes, autre cadeau. Finie la ressemblance. L’un des deux se lève, arrête la flamme
sous la cocotte, attend que la toupie folle ralentisse, ouvre la cocotte, passe le potage et revient à ses
bouquins en se demandant où il en était resté. Moi. Elle avait démarré, la différence. Par la dînette. Le
restau universitaire fermait l’été. Midi et soir je suis seule devant les casseroles. Je ne savais pas plus que
lui préparer un repas, juste les escalopes panées, la mousse au chocolat, de l’extra, pas du courant. Aucun
passé d’aide-culinaire dans les jupes de maman ni l’un ni l’autre. Pourquoi de nous deux suis-je la seule à
me plonger dans un livre de cuisine, à éplucher des carottes, laver la vaisselle en récompense du dîner,
pendant qu’il bossera son droit constitutionnel. Au nom de quelle supériorité. Je revoyais mon père dans la
cuisine. Il se marre, « non mais tu m’imagines avec un tablier peut-être ! Le genre de ton père, pas le
mien ! ». Je suis humiliée. Mes parents, l’aberration, le couple bouffon. Non je n’en ai pas vu beaucoup
d’hommes peler des patates. Mon modèle à moi n’est pas le bon, il me le fait sentir. Le sien commence à
monter à l’horizon, monsieur père laisse son épouse s’occuper de tout dans la maison, lui si disert, cultivé,
en train de balayer, ça serait cocasse, délirant, un point c’est tout. À toi d’apprendre ma vieille. Des
moments d’angoisse et de découragement devant le buffet jaune canari du meublé, des œufs, des pâtes, des
endives, toute la bouffe est là, qu’il faut manipuler, cuire. Fini la nourriture-décor de mon enfance, les
boîtes de conserve en quinconce, les bocaux multicolores, la nourriture surprise des petits restaurants
chinois bon marché du temps d’avant. Maintenant, c’est la nourriture corvée.

Annie Ernaux, La Femme gelée.


Le roman et le récit du Moyen-
âge au XXIe siècle
Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves

« La rencontre au bal »
Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin
royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença
et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme
de quelqu’un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu’elle
cherchait des yeux quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui
arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui
passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait. Ce prince était fait d’une sorte qu’il
était difficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le
soin qu’il avait pris de se parer augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne ; mais il était
difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement.
M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit la
révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à
danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu’ils ne
s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se
connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur
demandèrent s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s’ils ne s’en doutaient point.
- Pour moi, madame, dit M. de Nemours, je n’ai pas d’incertitude ; mais comme Mme de Clèves n’a
pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j’ai pour la reconnaître, je voudrais bien
que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.
- Je crois, dit Mme la dauphine, qu’elle le sait aussi bien que vous savez le sien.
- Je vous assure, madame, reprit Mme de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine
pas si bien que vous pensez.
- Vous devinez fort bien, répondit Mme la dauphine ; et il y a même quelque chose d’obligeant pour
M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l’avoir jamais vu.
La reine les interrompit pour faire continuer le bal ; M. de Nemours prit la reine dauphine. Cette
princesse était d’une parfaite beauté et avait paru telle aux yeux de M. de Nemours avant qu’il allât en
Flandre ; mais, de tout le soir, il ne put admirer que Mme de Clèves.
Le chevalier de Guise, qui l’adorait toujours, était à ses pieds, et ce qui se venait de passer lui avait
donné une douleur sensible. Il le prit comme un présage que la fortune destinait M. de Nemours à être
amoureux de Mme de Clèves ; et, soit qu’en effet il eût paru quelque trouble sur son visage, ou que la
jalousie fit voir au chevalier de Guise au-delà de la vérité, il crut qu’elle avait été touchée de la vue de
ce prince, et il ne put s’empêcher de lui dire que M. de Nemours était bien heureux de commencer à
être connu d’elle par une aventure qui avait quelque chose de galant et d’extraordinaire.
Mme de Clèves revint chez elle, l’esprit si rempli de tout ce qui s’était passé au bal que, quoiqu’il
fût fort tard, elle alla dans la chambre de sa mère pour lui en rendre compte ; et elle lui loua M. de
Nemours avec un certain air qui donna à Mme de Chartres la même pensée qu’avait eue le chevalier
de Guise.

Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves


« L’aveu »
- Eh bien, Monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l’on n’a
jamais fait à son mari, mais l’innocence de ma conduite et de mes intentions m’en donne la force. Il est
vrai que j’ai des raisons de m’éloigner de la cour, et que je veux éviter les périls où se trouvent
quelquefois les personnes de mon âge. Je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais
pas d’en laisser paraître, si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour, ou si j’avais encore
madame de Chartres pour aider à me conduire. Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le
prends avec joie pour me conserver digne d’être à vous. Je vous demande mille pardons, si j’ai des
sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. Songez que pour
faire ce que je fais, il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on n’en a jamais eu ;
conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez. Monsieur de Clèves était
demeuré pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors de lui-même, et il n’avait pas songé
à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu’il jeta les yeux sur elle qu’il la vit à ses
genoux le visage couvert de larmes, et d’une beauté si admirable, il pensa mourir de douleur, et
l’embrassant en la relevant :
- Ayez pitié de moi, vous-même, Madame, lui dit-il, j’en suis digne ; et pardonnez si dans les premiers
moments d’une affliction aussi violente qu’est la mienne, je ne réponds pas, comme je dois, à un procédé
comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d’estime et d’admiration que tout ce qu’il y a jamais eu de
femmes au monde ; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m’avez
donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue, vos rigueurs et votre possession n’ont pu
l’éteindre : elle dure encore ; je n’ai jamais pu vous donner de l’amour, et je vois que vous craignez d’en
avoir pour un autre. Et qui est-il, Madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte ? Depuis
quand vous plaît-il ? Qu’a-t-il fait pour vous plaire ? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre coeur ?
Je m’étais consolé en quelque sorte de ne l’avoir pas touché par la pensée qu’il était incapable de l’être.
Cependant un autre fait ce que je n’ai pu faire. J’ai tout ensemble la jalousie d’un mari et celle d’un
amant ; mais il est impossible d’avoir celle d’un mari après un procédé comme le vôtre. Il est trop noble
pour ne me pas donner une sûreté entière ; il me console même comme votre amant. La confiance et la
sincérité que vous avez pour moi sont d’un prix infini : vous m’estimez assez pour croire que je
n’abuserai pas de cet aveu. Vous avez raison, Madame, je n’en abuserai pas, et je ne vous en aimerai pas
moins. Vous me rendez malheureux par la plus grande marque de fidélité que jamais une femme ait
donnée à son mari.

Gustave Flaubert, Madame Bovary, première partie, chapitre VIII (1857)


Mme Bovary remarqua que plusieurs dames n’avaient pas mis leurs gants dans leur verre.
Cependant, au haut bout de la table, seul parmi toutes ces femmes, courbé sur son assiette remplie, et
la serviette nouée dans le dos comme un enfant, un vieillard mangeait, laissant tomber de sa bouche
des gouttes de sauce. Il avait les yeux éraillés et portait une petite queue enroulée d’un ruban noir.
C’était le beau-père du Marquis, le vieux duc de Laverdière [...] et qui avait été, disait-on, l’amant de
la reine Marie-Antoinette entre MM. de Coigny et de Lauzun. Il avait mené une vie bruyante de
débauches, pleine de duels, de paris, de femmes enlevées, avait dévoré sa fortune et effrayé toute sa
famille. Un domestique, derrière sa chaise, lui nommait tout haut, dans l’oreille, les plats qu’il
désignait du doigt en bégayant ; et sans cesse les yeux d’Emma revenaient d’eux-mêmes sur ce vieil
homme à lèvres pendantes, comme sur quelque chose d’extraordinaire et d’auguste. Il avait vécu à la
Cour et couché dans le lit des reines !
On versa du vin de Champagne à la glace. Emma frissonna de toute sa peau en sentant ce froid dans sa
bouche. Elle n’avait jamais vu de grenades ni mangé d’ananas. Le sucre en poudre même lui parut
plus blanc et plus fin qu’ailleurs.
Les dames, ensuite, montèrent dans leurs chambres s’apprêter pour le bal.
Emma fit sa toilette avec la conscience méticuleuse d’une actrice à son début. Elle disposa ses che-
veux d’après les recommandations du coiffeur, et elle entra dans sa robe de barège, étalée sur le lit. Le
pantalon de Charles le serrait au ventre.
— Les sous-pieds vont me gêner pour danser, dit-il.
— Danser ? reprit Emma.
— Oui !
— Mais tu as perdu la tête ! on se moquerait de toi, reste à ta place. D’ailleurs, c’est plus convenable
pour un médecin, ajouta-t-elle.
Charles se tut. Il marchait de long en large, attendant qu’Emma fût habillée.
Il la voyait par derrière, dans la glace, entre deux flambeaux. Ses yeux noirs semblaient plus noirs.
Ses bandeaux, doucement bombés vers les oreilles, luisaient d’un éclat bleu ; une rose à son chignon
tremblait sur une tige mobile, avec des gouttes d’eau factices au bout de ses feuilles. Elle avait une robe de
safran pâle, relevée par trois bouquets de roses pompon mêlées de verdure.

BENBOUBETRA REDOUANE

Le théâtre du XVIIe siècle au


XXIe siècle
« Le soliloque de Suzanne », première partie, scène 3 BENBOUBETRA
Parfois‚ tu nous envoyais des lettres‚
parfois tu nous envoies des lettres‚
ce ne sont pas des lettres‚ qu’est-ce que c’est ?
de petits mots‚ juste des petits mots‚ une ou deux phrases‚
rien‚ comment est-ce qu’on dit ?
elliptiques.
« Parfois‚ tu nous envoyais des lettres elliptiques. »
Je pensais‚ lorsque tu es parti
(ce que j’ai pensé lorsque tu es parti)‚
lorsque j’étais enfant et lorsque tu nous as faussé compagnie
(là que ça commence)‚
je pensais que ton métier‚ ce que tu faisais ou allais faire dans la vie‚
ce que tu souhaitais faire dans la vie‚
je pensais que ton métier était d’écrire (serait d’écrire)
ou que‚ de toute façon
– et nous éprouvons les uns et les autres‚ ici‚ tu le sais‚ tu ne peux pas ne pas le savoir‚ une certaine forme
d’admiration‚ c’est le terme exact‚ une certaine forme de l’admiration pour toi à cause de
ça –‚
ou que‚ de toute façon‚
si tu en avais la nécessité‚
si tu en éprouvais la nécessité‚
si tu en avais‚ soudain‚ l’obligation ou le désir‚ tu saurais écrire‚
te servir de ça pour te sortir d’un mauvais pas ou avancer plus encore.
Mais jamais‚ nous concernant‚
jamais tu ne te sers de cette possibilité‚ de ce don (on dit comme ça‚ c’est une sorte de don‚ je crois‚ tu ris)
jamais‚ nous concernant‚ tu ne te sers de cette qualité
– c’est le mot et un drôle de mot puisqu’il s’agit de toi –
jamais tu ne te sers de cette qualité que tu possèdes‚ avec nous‚ pour nous.
Tu ne nous en donnes pas la preuve‚ tu ne nous en juges pas dignes.
C’est pour les autres.

« Le soliloque d’Antoine », deuxième partie, scène 3


ANTOINE.
Rien en toi n’est jamais atteint,
il fallait des années peut-être pour que je le sache,
mais rien en toi n’est jamais atteint,
tu n’as pas mal
-si tu avais mal, tu ne le dirais pas, j’ai appris cela à mon tour-
et tout ton malheur n’est qu’une façon de répondre,
une façon que tu as de répondre,
d’être là devant les autres et ne pas les laisser entrer.
C’est ta manière à toi, ton allure,
le malheur sur le visage comme d’autres un air de créti-
nerie satisfaite,
tu as choisi ça et cela t’a servi et tu l’as conservé.

et nous, nous nous sommes fait du mal ) notre tour,


chacun n’avait rien à se reprocher
et ce ne pouvait être que les autres qui te nuisaient et nous rendaient responsables tous ensemble,
moi,eux,
et peu à peu,c’était de ma faute,ce ne pouvait être que de ma faute.
On devait m’aimer trop puisque on ne t’aimait pas assez
et on voulut me reprendre alors ce qu’on ne me donnait pas,
et ne me donna plus rien,
et j’étais là, couvert de bonté sans intérêt à ne jamais devoir me plaindre,
à sourire, à jouer,
à être satisfait, comblé,
tiens, le mot, comblé,
alors que toi ,toujours, inexplicablement, tu suais le malheur
dont rien ni personne, malgré tous ces efforts, n’aurait su te distraire et te sauver.
Et lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quittés, lorsque tu nous abandonnas,
je ne sais plus quel mot définitif tu nous jetas à la tête,
je dus encore être le responsable,
être silencieux et admettre la fatalité, et te plaindre aussi,
m’inquiéter de toi à distance
et ne plus jamais oser dire un mot contre toi, ne plus jamais même oser penser un mot contre toi,
rester là, comme un benêt, à t’attendre.

Moi, je suis la personne la plus heureuse de la terre,


et il ne m’arrive jamais rien,
et m’arrive-t-il quelque chose que je ne peux me plaindre, puisque, « à l’ordinaire »,
il ne m’arrive jamais rien.

Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, acte II, scène 11 (1730)


Mario : Quoi ! ce babillard qui vient de sortir ne t’a pas un peu dégoûtée de lui ?
Silvia, avec feu. : Que vos discours sont désobligeants ! m’a dégoûtée de lui ! dégoûtée ! J’essuie des
expressions bien étranges ; je n’entends plus que des choses inouïes, qu’un langage inconcevable ; j’ai
l’air embarrassé, il y a quelque chose ; et puis c’est le galant Bourguignon qui m’a dégoûtée. C’est
tout ce qu’il vous plaira, mais je n’y entends rien.
Mario : Pour le coup, c’est toi qui es étrange. À qui en as-tu donc ? D’où vient que tu es si fort sur le
qui-vive ? Dans quelle idée nous soupçonnes-tu ?
Silvia : Courage, mon frère ! Par quelle fatalité aujourd’hui ne pouvez-vous me dire un mot qui ne me
choque ? Quel soupçon voulez-vous qui me vienne ? Avez-vous des visions ?
Monsieur Orgon : Il est vrai que tu es si agitée que je ne te reconnais point non plus. Ce sont
apparemment ces mouvements-là qui sont cause que Lisette nous a parlé comme elle a fait. Elle
accusait ce valet de ne t’avoir pas entretenue à l’avantage de son maître, et, « madame, nous a-t-elle
dit, l’a défendu contre moi avec tant de colère que j’en suis encore toute surprise ». C’est sur ce mot
de surprise que nous l’avons querellée ; mais ces gens-là ne savent pas la conséquence d’un mot.
Silvia : L’impertinente ! y a-t-il rien de plus haïssable que cette fille-là ? J’avoue que je me suis
fâchée par un esprit de justice pour ce garçon.
Mario : Je ne vois point de mal à cela.
Silvia : Y a-t-il rien de plus simple ? Quoi ! parce que je suis équitable, que je veux qu’on ne nuise à
personne, que je veux sauver un domestique du tort qu’on peut lui faire auprès de son maître, on dit
que j’ai des emportements, des fureurs dont on est surprise ! Un moment après un mauvais esprit
raisonne ;
il faut se fâcher, il faut la faire taire, et prendre mon parti contre elle, à cause de la conséquence de ce
qu’elle dit ! Mon parti ! J’ai donc besoin qu’on me défende, qu’on me justifie ! On peut donc mal
interpréter ce que je fais ! Mais que fais-je ? de quoi m’accuse-t-on ? Instruisez-moi, je vous en conjure
; cela est sérieux. Me joue-t-on ? se moque-t-on de moi ? Je ne suis pas tranquille.

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