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Œuvre choisie dans le programme : Victor Hugo, Les contemplations, livres I à IV (1856)
1. « Elle était déchaussée » - Partie 1 « Autrefois », livre premier « Aurore », poème XXI
2. « Melancholia » - Partie 1 « Autrefois », livre troisième « Les luttes et les rêves », poème II
Œuvre choisie dans le programme : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne (du « préambule » au « postambule »)
6. La Femme Gelée, Annie Ernaux de "in mois, trois mois que nous sommes mariés à " c’est la
nourriture corvée "
7. La rencontre au bal (de « Elle passa tout le jour des fiançailles » à « la même pensée
qu’avait eue le chevalier de Guise. »)
8. L’aveu (de « - Eh bien, Monsieur » à « ait donnée à son mari. »)
10. « Le soliloque de Suzanne », première partie, scène 3 (de « Parfois, tu nous envoyais des
lettres » à « C’est pour les autres. »)
11. « Le soliloque d’Antoine, deuxième partie, scène 3 (de « Rien en toi n’est jamais atteint »
à « il ne m’arrive jamais rien. »)
12. Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, acte II, scène 11 (de « Mario : Quoi ! ce babillard
qui vient de sortir » à « Je ne suis pas tranquille. ») (1730).
Préambule
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être
constituées en Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la
femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont
résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et
sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les
membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin
que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes, pouvant
être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient
plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur
des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la
Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous. En conséquence, le sexe supérieur, en beauté
comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les
auspices de l’Être suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne,
postambule
Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le
puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de
mensonges. Le flambeau de la véritéa dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme
esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est
devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels
sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus
signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire
est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre
patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle
entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français,
correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique,
mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : « Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? »
— Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en
contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de
supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute
l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos
pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que
l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. Passons
maintenant à l’effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société; et puisqu’il est
question, en ce moment, d’une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement
sur l’éducation des femmes. Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation
ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu; elles ont eu recours à toutes les
ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le
poison, le fer, tout leur était soumis; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement
français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l’administration nocturne des femmes; le cabinet
n’avait point de secret pour leur indiscrétion: ambassade, commandement, ministère, présidence,
pontificat, cardinalat, enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré,
tout a été soumis à la cupidité et à l’ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la
révolution, respectable et méprisé.
Annie Ernaux, La Femme gelée
Un mois, trois mois que nous sommes mariés, nous retournons à la fac, je donne des cours de latin. Le soir
descend plus tôt, on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes sérieux et fragiles,
l’image attendrissante du jeune couple moderno-intellectuel. Qui pourrait encore m’attendrir si je me
laissais faire, si je ne voulais pas chercher comment on s’enlise, doucettement. En y consentant lâchement.
D’accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui, à deux mètres l’un de l’autre. La
cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur le gaz. Unis, pareils. Sonnerie
stridente du compte-minutes, autre cadeau. Finie la ressemblance. L’un des deux se lève, arrête la flamme
sous la cocotte, attend que la toupie folle ralentisse, ouvre la cocotte, passe le potage et revient à ses
bouquins en se demandant où il en était resté. Moi. Elle avait démarré, la différence. Par la dînette. Le
restau universitaire fermait l’été. Midi et soir je suis seule devant les casseroles. Je ne savais pas plus que
lui préparer un repas, juste les escalopes panées, la mousse au chocolat, de l’extra, pas du courant. Aucun
passé d’aide-culinaire dans les jupes de maman ni l’un ni l’autre. Pourquoi de nous deux suis-je la seule à
me plonger dans un livre de cuisine, à éplucher des carottes, laver la vaisselle en récompense du dîner,
pendant qu’il bossera son droit constitutionnel. Au nom de quelle supériorité. Je revoyais mon père dans la
cuisine. Il se marre, « non mais tu m’imagines avec un tablier peut-être ! Le genre de ton père, pas le
mien ! ». Je suis humiliée. Mes parents, l’aberration, le couple bouffon. Non je n’en ai pas vu beaucoup
d’hommes peler des patates. Mon modèle à moi n’est pas le bon, il me le fait sentir. Le sien commence à
monter à l’horizon, monsieur père laisse son épouse s’occuper de tout dans la maison, lui si disert, cultivé,
en train de balayer, ça serait cocasse, délirant, un point c’est tout. À toi d’apprendre ma vieille. Des
moments d’angoisse et de découragement devant le buffet jaune canari du meublé, des œufs, des pâtes, des
endives, toute la bouffe est là, qu’il faut manipuler, cuire. Fini la nourriture-décor de mon enfance, les
boîtes de conserve en quinconce, les bocaux multicolores, la nourriture surprise des petits restaurants
chinois bon marché du temps d’avant. Maintenant, c’est la nourriture corvée.
« La rencontre au bal »
Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin
royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença
et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme
de quelqu’un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu’elle
cherchait des yeux quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui
arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui
passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait. Ce prince était fait d’une sorte qu’il
était difficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le
soin qu’il avait pris de se parer augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne ; mais il était
difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement.
M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit la
révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à
danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu’ils ne
s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se
connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur
demandèrent s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s’ils ne s’en doutaient point.
- Pour moi, madame, dit M. de Nemours, je n’ai pas d’incertitude ; mais comme Mme de Clèves n’a
pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j’ai pour la reconnaître, je voudrais bien
que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.
- Je crois, dit Mme la dauphine, qu’elle le sait aussi bien que vous savez le sien.
- Je vous assure, madame, reprit Mme de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine
pas si bien que vous pensez.
- Vous devinez fort bien, répondit Mme la dauphine ; et il y a même quelque chose d’obligeant pour
M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l’avoir jamais vu.
La reine les interrompit pour faire continuer le bal ; M. de Nemours prit la reine dauphine. Cette
princesse était d’une parfaite beauté et avait paru telle aux yeux de M. de Nemours avant qu’il allât en
Flandre ; mais, de tout le soir, il ne put admirer que Mme de Clèves.
Le chevalier de Guise, qui l’adorait toujours, était à ses pieds, et ce qui se venait de passer lui avait
donné une douleur sensible. Il le prit comme un présage que la fortune destinait M. de Nemours à être
amoureux de Mme de Clèves ; et, soit qu’en effet il eût paru quelque trouble sur son visage, ou que la
jalousie fit voir au chevalier de Guise au-delà de la vérité, il crut qu’elle avait été touchée de la vue de
ce prince, et il ne put s’empêcher de lui dire que M. de Nemours était bien heureux de commencer à
être connu d’elle par une aventure qui avait quelque chose de galant et d’extraordinaire.
Mme de Clèves revint chez elle, l’esprit si rempli de tout ce qui s’était passé au bal que, quoiqu’il
fût fort tard, elle alla dans la chambre de sa mère pour lui en rendre compte ; et elle lui loua M. de
Nemours avec un certain air qui donna à Mme de Chartres la même pensée qu’avait eue le chevalier
de Guise.
BENBOUBETRA REDOUANE