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Lecture linéaire n°1 : Les Rayons et les ombres, « Fonction du poète », Victor Hugo

(Introduction) : Hugo est un artiste majeur du XIX° siècle, chef de file du romantisme mais
aussi un penseur engagé qui n’a cessé de lutter contre les injustices sociales et de proclamer
sa foi dans le Progrès, seul chemin possible pour faire accéder l’humanité au bonheur. C’est
en ce sens qu’on lui doit un roman tel que Les Misérables, des recueils de poèmes à l’instar
de La Légende des siècles ou des Châtiments. Mais c’est en ce sens aussi que l’on peut
appréhender le poème « Fonction du poète » dans Les Rayons et les ombres, poème dans
lequel il rappelle, comme son titre l’indique la place, le rôle que doit jouer le poète au sein
de la société. Nous étudierons, à ce propos, les quatre premières strophes ou dizains afin de
nous demander en quoi Hugo construit, par opposition, deux figures de poète afin de mettre
en lumière le rôle du Poète.

Lecture

1° dizain : Le blâme du poète « inutile » :


Le poème commence aussitôt par l’évocation sous forme de périphrase
métaphorique du malheur dans lequel la société donc l’humain peut être plongée
avec « dans les temps contraires » et qui prend tout son sens avec au vers 6 la
proposition subordonnée de temps « Quand les haines et les scandales » et au vers
7 la principale : « Tourmentent le peuple agité ». Cette expression est en outre mise
en valeur puisqu’elle occupe la fin du vers, se constitue de 5 syllabes (le premier
hémistiche du vers n’en compte que 3). Ce faisant, Hugo emploie 3 formules de
malédiction, empruntant au registre du sacré en accord avec 1° mot du texte,
« Dieu » et selon pensée romantique du Dieu de miséricorde. C’est en ce sens qu’il
crée une anaphore avec le terme malheur répété aux 3° et 5° vers et utilise une
variante au niveau du sens avec “Honte” (8° vers) mettant ainsi l’accent sur
comment doit ou pas se conduire ce « Chacun » (et qui prendra l’identité du
« poète » dans la 2° strophe), répété au 2° vers avec un procédé d’insistance
soutenu par le rythme binaire (4 + 4) pour traduire la nécessité de l’action
envisagée de manière fraternelle.
Par conséquent, Hugo définit aussitôt la fonction du Poète qui doit obéir à un
principe sacré, celui de la fraternité puisqu’il « travaille » et « sert » et que le terme
« frères » (mot du vocabulaire religieux rimant avec « sert ») est employé, précédé
de l’adjectif possessif « ses » au vers 3.
Par conséquent aussi, Hugo commence par jeter l’opprobre sur celui qui ne se
conduit pas en véritable poète. Nous l’avons précisé : mot poète n’apparaît pas
encore mais est contenu dans ce “Chacun” et Hugo va utiliser trois formules attirant
l’attention sur trois comportements de non-engagement, de repli dans la solitude et
de fuite de la ville avec la portée symbolique et biblique des images : “dans le
désert” (rime en négatif avec “sert” donc jeu sur les sons), “ses sandales” ( idem
rime avec “scandale” autre mot appartenant au domaine religieux) et “Par la porte
de la cité!” (rime avec “agité” pour mettre en relief caractère scandaleux de la
démission du poète qui n’obéit pas à la valeur morale et chrétienne de la
fraternité). C’est en ce sens que Hugo recourt aussi à des verbes de mouvements
tels que “retourne”, “prend” et “s’en va” et qu’il identifie ce type de poète à un
« chanteur inutile » (expression mise en exergue par l’apposition) ou par le biais de
la relative du vers 8 « un « penseur » « qui se mutile » verbe rimant avec l’adjectif
« inutile ». D’autre part, pour appuyer son blâme, Hugo utilise 1° la parole
rapportée directement : « Je retourne dans le désert ! » puis une rime interne avec
“penseur”, “chanteur” créant une exacte coïncidence entre les deux termes. En
effet, un poète est un chanteur et un penseur mais Hugo va définir alors le vrai
poète et le vrai penseur dans la 2° strophe puisque les mots “penseur” et
“chanteur” préparent le mot “poète” de la strophe 2.

2° dizain : Le Poète, ce chanteur et penseur engagé :


Hugo recourt de nouveau, à la fin du 1° vers de cette strophe, à une périphrase
relevant du vocabulaire religieux pour évoquer « les temps contraires » de la 1°
strophe puisqu’il emploie l’expression « en des jours impies ». Mais à « Dieu le
veut » fait place alors « Le poète » donc celui qui implicitement obéit au principe
divin, celui qui adopte une conduite fraternelle mais qui est en outre présenté
immédiatement comme un visionnaire à partir du moment où au sein de cette
strophe, Hugo utilise des expressions qui renvoient au poète : il est en effet «
l’homme des utopies » (il s’agit d’une périphrase valorisante), il est « pareil aux
prophètes » (comparaison). On constate alors l’omniprésence de l’éloge du poète
dans cette strophe et de son action avec l’insistance sur la dimension visionnaire du
poète. On constate, en effet, un champ lexical du futur, de l’avenir en opposition
avec les verbes au présent placés à l’initiale des vers, verbes d’action, d’état ou
d’obligation : « Vient préparer des jours meilleurs », « Il est l’homme des utopies »,
« C’est lui qui » ou encore « Doit ». C’est en outre pourquoi il ne peut avoir que
« Les pieds ici, les yeux ailleurs », vers synthétisant ce qui est énoncé dans les vers
précédant et justifiant les vers suivants. En effet, le poète est comparé à une
lumière aux deux derniers vers de la strophe : « Comme une torche qu’il secoue/
Faire flamber l’avenir ! »
Le poète est donc le guide du peuple comme le signalent les expressions “jours
meilleurs”, “les yeux ailleurs” (deux expressions à la rime signifiante donc) ou
encore le terme “l’avenir”. Par conséquent, Hugo insiste sur le pouvoir et
l’obligation du poète de guider le peuple vers un avenir heureux. C’est en ce sens
qu’il recourt à un terme relevant du sacré avec « prophètes » mais aussi à la
comparaison du vers 19 et à la métaphore du vers 20 renvoyant à l’idée de lumière
donc de bonheur et de progrès, une fonction attribuée au poète que Hugo
revendique comme l’indique la structure exclamative. Donc toute la strophe
connote implicitement un monde placé dans les ténèbres que le poète doit
combattre et c’est en ce sens que le rôle du poète est de faire surgir la lumière,
métaphore du bonheur sur terre dans un élan fraternel comme le signale les
hyperboles des vers 15 “sur toutes les têtes” et 16 “En tout temps”. Mais Hugo
rappelle en outre en quoi le poète est une créature de Dieu puisqu’il crée un détail
sur sa main dans laquelle, à l’instar de Dieu, “tout peut tenir”. Par conséquent, le
poète est un envoyé de Dieu ; il possède le pouvoir d’enseignement et de réflexion
et ne se résigne jamais face au blâme ou à l’éloge comme l’indique le rythme
binaire du vers 18 : « qu’on l’insulte ou qu’on le loue ».
Donc le poète est celui qui participe pleinement à la vie de la “cité” et à la
gestion des affaires des hommes, celui qui s’engage mais avec un don de prescience
que lui donne sa vision de l’avenir.
3° dizain :
Hugo ne plus besoin de nommer explicitement celui dont il parle. C’est pourquoi,
poursuivant le portrait et l’éloge du poète, continuant à définir sa fonction, il
emploie en initiale du 1° vers la forme verbale au présent « Il voit » et l’on
remarque qu’il utilise une forme identique avec « Il plaint » au vers 28 et « il
pense » cette fois-ci placé en fin de vers (mais toujours donc sous l’accent) « il
pense ». Ces trois verbes définissent alors à eux seuls le poète engagé. Par
conséquent aussi, Hugo va utiliser des mots renvoyant à ces trois verbes avec « Ses
rêves », « toujours pleins d’amour », « « Sont faits des ombres que lui jettent/ Les
choses qui seront un jour » (et l’on signalera l’enjambement qui favorise une
impression de la fluidité de la pensée mais aussi de l’aspect inéluctable de cet
avenir projeté pour passer du malheur au bonheur) et crée un systèmes
d’antithèses avec d’une part le présent et le futur de l’humanité par le biais de la
proposition subordonnée « quand les peuples végètent » opposée à « Les choses
qui seront un jour » mais aussi entre deux figures de poètes, reprenant en ce sens
ce qui a été énoncé dans les deux premières strophes mais de façon cette fois-ci
synthétique avec d’une part le « Il » représentant le poète, d’autre part « ses
contempteurs frivoles », l’oxymore « faux sages » renvoyant aux « chanteur
inutile » de la 1° strophe.
Par conséquent, Hugo met de nouveau l’accent sur les conditions sociales et
politiques dans lesquelles crée le poète pour traduire combien la fonction du poète
est importante et difficile car constamment soumise à l’incompréhension ou au
mépris des autres comme le met en valeur le dernier vers « Rit tout haut et songe
tout bas ! ». Pour autant, le poète est assuré de la pertinence de sa mission, ne
cessant dans ce dizain de dévaloriser ceux qui s’opposent à lui (et l’on signalera
combien Hugo sait aussi jouer sur l’opposition entre le singulier (le Poète prophète)
et le pluriel (« le chanteur inutile », le « penseur qui se mutile). Il utilise alors le
pronom indéfini « On » dans la construction verbale « On le raille » induisant une
attitude méprisante à son égard, une absence de pensée argumentée, mais aussi,
comme nous l’avons précisé auparavant, l’oxymore « faux sages » ainsi que
l’adjectif épithète « frivoles » dont les synonymes sont insignifiant, puéril,
superficiel, vain et dont le sens général fait par conséquent une nouvelle fois écho à
« chanteur inutile » de la première strophe, enfin le vers « Rit tout haut et songe
tout bas » dans lequel Hugo joue sur le sens métaphorique de « bas » puisque, en
contexte « bas » renvoie à la bassesse de leur esprit, à leur incapacité de s’engager,
de prédire un avenir meilleur, de devenir prophète du genre humain.

En conclusion, nous pouvons affirmer que « Fonction du poète » se présente comme un


poème d’engagement de la part d’Hugo qui va dès lors de plus en plus fréquemment, et
notamment après le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, opposer
la « poésie pure » - celle qui chante l’amour et les beautés de l’univers – à la parole poétique
en tant qu’arme ou comme il l’énonce dans Les Châtiments qui est « Encrier contre canon ».

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