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Classe de 14 et 16.

Première partie de l’épreuve – EXPOSE – liste des textes


étudiés, supports exclusifs de l’étude linéaire :

Objet d’étude : LA POESIE du XIXème au XXIème siècle 

Œuvre intégrale : Extraits étudiés


Alcools, Guillaume Apollinaire,1913. 1.« Zone », v.1 à 25.
2. « Le Pont Mirabeau »
3.« Marie »

Parcours associé : Modernité poétique ? Extraits étudiés


1.«  Enivrez-vous », Le Spleen
de Paris, C.Baudelaire, 1869.
2.« Encore un Jour », Poésies,
C. Roy, 1970.

Objet d’étude : LA LITTERATURE d'IDEES du XVIe au XVIIIe siècle

Œuvre intégrale : Extraits étudiés


Les Caractères, Livre V à X, La Bruyère, 1688. 1. Les Caractères, « De la
Société et de la Conversation,
V,9 » : « Arrias a tout lu, a tout
vu…et qui arrive de son
ambassade ».
2 . Les Caractères, « De La
Cour », 61 : « Théodote avec
un habit austère… le public
vous demande quartier ».
3. Les Caractères, « De La
Cour », Livre VIII, 74 : « L’on
parle d’une région… des
Iroquois et des Hurons »
Parcours associé : la Comédie Sociale. Extraits étudiés
1. « L’homme et son Image »,
Fables, I,11, J. de La Fontaine,
1668.
2. Le Bourgeois Gentilhomme,
III,3, Molière, 1670.

Objet d’étude : LE ROMAN et LE RECIT du MOYEN AGE au XXIe siècle


Œuvre intégrale : Extraits étudiés
La Peau de Chagrin, H. de Balzac. 1. « Au premier coup
d’œil…égaré dans sa
route ».

Points de grammaire :

l'interrogation
la synonymie -l'antonymie
l’expression de la cause et de la conséquence
les différentes subordonnées conjonctives
Exprimer l’opposition et la concession

Texte N° 1 : ENIVREZ-VOUS

Il faut être toujours ivre. Tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir
l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre,
il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous.

Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans
la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà dimi-
nuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'hor-
loge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui
chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague,
l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ! Pour ne
pas être les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans
cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.

Les petits poèmes en prose, XXXIII, 1869, Charles Baudelaire

Texte N°2 :
Poésies, 1970.

Encore un jour
Romancier et poète, Claude Roy évoque dans son œuvre son expérience
multiple. Les thèmes du temps et de l’amour occupent dans ses poèmes une
place privilégiée.

Encore un jour où je t'attends


Où je m'accrois et me découvre
Au gré de l'hôte intermittent
Et des portes que ferme et ouvre
Le temps en moi passant le temps
encore un jour encore un ciel
Vole un oiseau qui ne sait pas
L'aveugle absence et le noir miel
qui se mûrit dans notre en-bas

Encore un jour et son soleil


La mer se déchire à l'avant
Mais à l'arrière l'écume veille
Et recoud vite l'océan
Un jour perdu joie qui s'envole
Et qui s'en va sans rien donner
Où est le nord sur ma boussole
Compte sur tes doigts les années
Il faudrait convenir d'un signe
Pour s'appeler de vie à mort
Un mot de passe entre les lignes
Un fil lancé de bord à bord
Il faudrait le dire à voix basse
Et tu serais entre mes bras
Ma bien lointaine ma tant lasse
Ma très absente et toujours là

Combien de temps nous faudra-t-il


Pour retrouver nos jours perdus
Comme un parfum qui se faufile
Si j'ouvre un livre déjà lu
Vent qui me joue vent décevant
Partagerons-nous notre mort
Ainsi du lit et des draps blancs
Où l'autre et l'un glisse un seul corps
A chaque jour suffit sa peine

Claude Roy

TEXTE N°3 :
ZONE
« Zone », situé en tête d’Alcools, constitue en quelque sorte un manifeste de la
poésie moderne. C’est aussi le bilan provisoire d’une vie, comme le montrent
ces deux séquences de tonalité différente.

À la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes 1.


La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme


L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X 2.
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut

Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux


Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers

J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom


Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J’aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes

Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant


1. Certaines automobiles ressemblaient à d’anciens carrosses.
2. Le Pape, en mai 1911, avait béni l’aviateur Beaumont, lequel avait survolé la place Saint-Pierre.

Texte n° 4 :
Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine


       Et nos amours
   Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

       Vienne la nuit sonne l'heure


       Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face


       Tandis que sous
   Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

       Vienne la nuit sonne l'heure


       Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante


       L'amour s'en va
   Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

       Vienne la nuit sonne l'heure


       Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines


       Ni temps passé
   Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

       Vienne la nuit sonne l'heure


       Les jours s'en vont je demeure

Apollinaire,  Alcools  (1912)

Texte n° 5 :

Marie
Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C'est la maclotte qui sautille
Toute les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie

Les masques sont silencieux


Et la musique est si lointaine
Qu'elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux

Les brebis s'en vont dans la neige


Flocons de laine et ceux d'argent
Des soldats passent et que n'ai-je
Un cœur à moi ce cœur changeant
Changeant et puis encor que sais-je

Sais-je où s'en iront tes cheveux


Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s'en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l'automne
Que jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la Seine


Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s'écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine

Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)

Texte N° 6 : « Arrias », De la Société et de la Conversation », Les Caractères,


V,9 :
Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader 1 ainsi ; c’est un homme universel,
et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître
ignorer quelque chose. On parle à la table d’un grand d’une cour du Nord : il
prend la parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent ; il s’oriente
dans cette région lointaine comme s’il en était originaire ; il discourt des mœurs
de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des
historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier
jusqu’à éclater2. Quelqu’un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement
qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu 3
au contraire contre l’interrupteur4 : « Je n’avance, lui dit-il, je ne raconte rien
que je ne sache d’original : je l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans
cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement,
que j’ai fort interrogé, et qui ne m’a caché aucune circonstance. » Il reprenait le
fil de sa narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée, lorsque
l’un des conviés lui dit : « C’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui
arrive fraîchement de son ambassade. »

La Bruyère, Les Caractères, 1688.

1. Le faire croire (aux autres)


2. Faire de l’éclat, se découvrir, se faire connaître au public.
3. S’emporter.
4. Celui qui l’a interrompu.

TEXTE N°7 : Les Caractères, « De La Cour », 61, « Théodote » :


Théodote avec un habit austère a un visage comique, et d'un homme qui entre sur la scène ; sa
voix, sa démarche, son geste, son attitude accompagnent son visage. Il est fin, cauteleux1,
doucereux, mystérieux ; il s'approche de vous, et il vous dit à l'oreille : Voilà un beau temps,
voilà un grand dégel. S'il n'a pas les grandes manières, il a du moins toutes les petites, et
celles même qui ne conviennent guère qu'à une jeune précieuse. Imaginez-vous l'application
d'un enfant à élever un château de cartes ou à se saisir d'un papillon : c'est celle de Théodote
pour une affaire de rien, et qui ne mérite pas qu'on s'en remue ; il la traite sérieusement, et
comme quelque chose qui est capital ; il agit, il s'empresse, il la fait réussir : le voilà qui
respire et qui se repose, et il a raison ; elle lui a coûté beaucoup de peine. L'on voit des gens
enivrés, ensorcelés de la faveur ; ils y pensent le jour, ils y rêvent la nuit ; ils montent
l'escalier d'un ministre, et ils en descendent ; ils sortent de son antichambre, et ils y rentrent ;
ils n'ont rien à lui dire, et ils lui parlent ; ils lui parlent une seconde fois : les voilà contents, ils
lui ont parlé. Pressez-les, tordez-les, ils dégouttent l'orgueil, l'arrogance, la présomption ; vous
leur adressez la parole, ils ne vous répondent point, ils ne vous connaissent point, ils ont les
yeux égarés et l'esprit aliéné : c'est à leurs parents à en prendre soin et à les renfermer, de peur
que leur folie ne devienne fureur, et que le monde n'en souffre. Théodote a une plus douce
manie : il aime la faveur éperdument, mais sa passion a moins d'éclat ; il lui fait des vœux en
secret, il la cultive, il la sert mystérieusement ; il est au guet et à la découverte sur tout ce qui
paraît de nouveau avec les livrées de la faveur : ont-ils une prétention, il s'offre à eux, il
s'intrigue pour eux, il leur sacrifie sourdement mérite, alliance, amitié, engagement,
reconnaissance. Si la place d'un CASSINI2 devenait vacante, et que le suisse ou le postillon
du favori s'avisât de la demander, il appuierait sa demande, il le jugerait digne de cette place,
il le trouverait capable d'observer et de calculer, de parler de parélies et de parallaxes. Si vous
demandiez de Théodote s'il est auteur ou plagiaire, original ou copiste, je vous donnerais ses
ouvrages, et je vous dirais : « Lisez et jugez. » Mais s'il est dévot et courtisan, qui pourrait le
décider sur le portrait que j'en viens de faire ? Je prononcerais plus hardiment sur son étoile.
Oui, Théodote, j'ai observé le point de votre naissance ; vous serez placé, et bientôt ; ne
veillez plus, n'imprimez plus : le public vous demande quartier.
1. Cauteleux : Dangereux, sujet à surprendre par quelque finesse ou mauvais artifice.
2. Cassini : Jean Dominique Cassini, astronome qui était alors directeur de l’Observa-
toire de Paris.

TEXTE N°8 : Les Caractères, « De La Cour », Livre VIII, 74 :


    L'on parle d'une région où les vieillards sont galants, polis et civils ; les jeunes gens au
contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse : ils se trouvent affranchis de la passion des
femmes dans un âge où l'on commence ailleurs à la sentir ; ils leur préfèrent des repas, des
viandes, et des amours ridicules. Celui-là chez eux est sobre et modéré, qui ne s'enivre que de
vin : l'usage trop fréquent qu'ils en ont fait le leur a rendu insipide ; ils cherchent à réveiller
leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueurs les plus violentes ; il ne
manque à leur débauche que de boire de l'eau-forte. Les femmes du pays précipitent le déclin
de leur beauté par des artifices qu'elles croient servir à les rendre belles : leur coutume est de
peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu'elles étalent avec leur
gorge, leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l'endroit par où elles
pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qui habitent cette contrée ont une
physionomie qui n'est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux
étrangers, qu'ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête : il
descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu'on ne connaisse les hommes à
leur visage. Ces peuples d'ailleurs ont leur Dieu et leur roi : les grands de la nation
s'assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un temple qu'ils nomment église ; il y a
au fond de ce temple un autel consacré à leur Dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu'ils
appellent saints, sacrés et redoutables ; les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel,
et paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces
élevées vers leur roi, que l'on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout
l'esprit et tout le cœur appliqués. On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de
subordination ; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. Les gens du
pays le nomment ; il est à quelque quarante-huit degrés d'élévation du pôle, et à plus d'onze
cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons 1.

1. Des Iroquois et des Hurons : deux noms de peuples amérindiens. Cette remarque s’ins-
crit dans la lignée des récits de voyage qui se multiplient au XVIIème s. et accom-
pagnent le développement des grandes explorations et l’essor de la colonisation. Par
un déplacement du regard, la cour est regardée comme un pays étranger.
Texte N° 9 :
« L’Homme et son Image »
Pour M.L.D.D.L.R. (1)
Un Homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le Sort officieux (2)
Présentait partout à ses yeux
Les Conseillers muets dont se servent nos Dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands,
Miroirs aux poches des Galands (3),
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal (4) formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés :
Il s'y voit, il se fâche ; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une Chimère vaine (5).
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau.
Mais quoi, le canal est si beau
Qu'il ne le quitte qu'avec peine (6).
On voit bien où je veux venir :
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.
Notre âme c'est cet Homme amoureux de lui-même ;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui ;
Miroirs de nos défauts les Peintres légitimes ;
Et quant au canal, c'est celui
Que chacun sait, le Livre des Maximes (7).

Livre premier, fable XI, Jean de La Fontaine.

Notes :
1 - M. le duc de La Rochefoucauld, l’auteur des Maximes.
2 - Le Sort officieux : le sort (le hasard) qui rend un bon office (service).
3 - Galands : galants (avec un « t »). Personnage gracieux, distingué, courtois.
4 - Un canal : le lit d’un ruisseau ou d’une rivière.
5 - Une chimère vaine : une illusion. Dans la mythologie, la chimère est un
monstre (à poitrail de lion, ventre du chèvre et queue de dragon, crachant des
flammes) vaincu par Bellérophon.
6 - Il se va confiner : il va s’enfermer, se retirer.
7 - Le Livre des Maximes : le livre de La Rochefoucauld auquel est dédiée cette
fable.

Texte n°10 : Le Bourgeois Gentilhomme, III,3, Molière, 1670.


Au XVIIème s., les bourgeois étaient riches mais socialement déconsidérés : les nobles
étaient au sommet de l’échelle sociale. M.Jourdain est un bourgeois qui s’est mis en tête
d’imiter le comportement des nobles. Pour cela, il prend des cours de danse, de chant,
d’armes et de philosophie et s’habille à leur façon. Dans l’extrait suivant, Mme Jourdain, son
épouse, entre en scène.
Scène III
Madame Jourdain, Monsieur Jourdain, Nicole, Laquais.
Madame Jourdain
Ah ! ah ! voici une nouvelle histoire. Qu’est-ce que c’est donc, mon mari, que cet équipage 1.-
là ? Vous moquez-vous du monde, de vous être fait enharnacher de la sorte ? et avez-vous
envie qu’on se raille partout de vous ?
Monsieur Jourdain
Il n’y a que des sots et des sottes, ma femme, qui se railleront de moi.
Madame Jourdain
Vraiment on n’a pas attendu jusqu’à cette heure, et il y a longtemps que vos façons de faire
donnent à rire à tout le monde.
Monsieur Jourdain
Qui est donc tout ce monde-là, s’il vous plaît ?
Madame Jourdain
Tout ce monde-là est un monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis
scandalisée de la vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c’est que notre maison : on di-
rait qu’il est céans2 carême-prenant3 tous les jours ; et dès le matin, de peur d’y manquer, on
y entend des vacarmes de violons et de chanteurs, dont tout le voisinage se trouve incom-
modé.
Nicole
Madame parle bien. Je ne saurais plus voir mon ménage propre, avec cet attirail de gens que
vous faites venir chez vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tous les quar-
tiers de la ville, pour l’apporter ici ; et la pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter
les planchers que vos biaux4 maîtres viennent crotter régulièrement tous les jours.
Monsieur Jourdain
Ouais, notre servante Nicole, vous avez le caquet bien affilé pour une paysanne.
Madame Jourdain
Nicole a raison, et son sens est meilleur que le vôtre. Je voudrais bien savoir ce que vous
pensez faire d’un maître à danser à l’âge que vous avez.
Nicole
Et d’un grand maître tireur d’armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la
maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre salle ?
Monsieur Jourdain
Taisez-vous, ma servante, et ma femme.
Madame Jourdain
Est-ce que vous voulez apprendre à danser pour quand vous n’aurez plus de jambes ?
Nicole
Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu’un ?
Monsieur Jourdain
Taisez-vous, vous dis-je : vous êtes des ignorantes l’une et l’autre, et vous ne savez pas les
prérogatives 5 de tout cela.

1. Equipage : tenue vestimentaire.


2. Céans : dans cette maison.
3. Carême-prenant : carnaval.
4. Biaux : patois pour « beaux », comme « carriaux » pour carreaux.
5. Prérogatives : avantages.

Texte N°11 :
LA PEAU DE CHAGRIN, BALZAC, 1831.

Au premier coup d’œil les joueurs lurent sur le visage du novice quelque horrible mystère :
ses jeunes traits étaient empreints d’une grâce nébuleuse, son regard attestait des efforts
trahis, mille espérances trompées ! La morne impassibilité du suicide donnait à son front une
pâleur mate et maladive, un sourire amer dessinait de légers plis dans les coins de sa bouche,
et sa physionomie exprimait une résignation qui faisait mal à voir. Quelque secret génie
scintillait au fond de ses yeux, voilés peut-être par les fatigues du plaisir. Était-ce la
débauche qui marquait de son sale cachet cette noble figure jadis pure et brûlante,
maintenant dégradée ? Les médecins auraient sans doute attribué à des lésions au cœur ou à
la poitrine le cercle jaune qui encadrait les paupières, et la rougeur qui marquait les joues,
tandis que les poètes eussent voulu reconnaître à ces signes les ravages de la science, les
traces de nuits passées à la lueur d’une lampe studieuse. Mais une passion plus mortelle que
la maladie, une maladie plus impitoyable que l’étude et le génie, altéraient cette jeune tête,
contractaient ces muscles vivaces, tordaient ce cœur qu’avaient seulement effleuré les
orgies, l’étude et la maladie. Comme, lorsqu’un célèbre criminel arrive au bagne, les
condamnés l’accueillent avec respect, ainsi tous ces démons humains, experts en tortures,
saluèrent une douleur inouïe, une blessure profonde que sondait leur regard, et reconnurent
un de leurs princes à la majesté de sa muette ironie, à l’élégante misère de ses vêtements. Le
jeune homme avait bien un frac de bon goût, mais la jonction de son gilet et de sa cravate
était trop savamment maintenue pour qu’on lui supposât du linge. Ses mains, jolies comme
des mains de femme, étaient d’une douteuse propreté ; enfin depuis deux jours il ne portait
plus de gants ! Si le tailleur et les garçons de salle eux-mêmes frissonnèrent, c’est que les
enchantements de l’innocence florissaient par vestiges dans ses formes grêles et fines, dans
ses cheveux blonds et rares, naturellement bouclés. Cette figure avait encore vingt-cinq ans,
et le vice paraissait n’y être qu’un accident. La verte vie de la jeunesse y luttait encore avec
les ravages d’une impuissante lubricité. Les ténèbres et la lumière, le néant et l’existence s’y
combattaient en produisant tout à la fois de la grâce et de l’horreur. Le jeune homme se
présentait là comme un ange sans rayons, égaré dans sa route. 

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