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La modernité apparaît avec Baudelaire, notamment dans les thèmes et les préoccupations
contemporaines : le poète s’ouvre au monde et il décrit ce qui l’entoure. Une rupture majeure
s’opère dans les sujets : le quotidien et le laid, l’immoral apparaissent en poésie. Dans la section des
« Tableaux parisiens » (Les Fleurs du mal, 1861, section ajoutée à l’édition de 1857) décrit des êtres
déshérités (vieillards, aveugles, prostituées… , êtres maudits) et leurs taudis qui composent l’âme de
Paris. Dans sa démarche, Baudelaire propose d’extraire la beauté du mal qui est, pour lui, davantage
porteur de richesses insoupçonnées que le bien, trop souvent assimilé à la morale ou à la religion,
l’esthétique résidant dans le travail poétique.
La poésie = musicalité et densité du propos grâce notamment aux images qui sont elles aussi
nouvelles. Un exemple : le poète reprend le thème du Carpe Diem de la poésie galante mais au lieu
d’associer la rose à une femme comme Ronsard le fait dans « Ode à Cassandre » au XVI° siècle, pour
inviter la femme à vivre le moment présent, il associe un corps décomposé à la femme dans son
poème « Une Charogne ». Ce poème ose célébrer ce qui n’a rien de poétique mais de plus
répugnant. L’art de Baudelaire consiste à révéler la beauté paradoxale de ce qui pour le poète a
« gardé la forme et l’essence divine » de ses « amours décomposés ». La poésie n’a plus à chanter
exclusivement ce qui est élevé (la nature, l’amour, le sacré…) mais à prendre en charge ce qui est le
reflet ou le témoin de notre misère, à nous hommes dégradés par le péché originel.(=notre condition
humaine)
Le poète explore aussi l’Ennui, cette angoisse qui meut les H = l’Ennui baudelairien, c’est déjà une
incursion dans l’inconscient, dans les méandres de nos pulsions. Baudelaire = 1er explorateur de
l’ inconscient qui l’attire et l’effraie. Les images utilisées par le poète sont donc très novatrices.
L’émancipation dans les formes (commentaires effectués pour les poèmes sur le sujet et
la forme, utiles pour l’histoire littéraire et la dissertation)
A partir du début du 19ème siècle et des poètes romantiques, la poésie se libère des règles de la
versification : apparition des rejets et contre-rejets qui brisent la régularité rythmique de l’alexandrin
(le rythme de l’alexandrin n’est plus forcément symétrique et régulier avec deux hémistiches 6/6
syllabes) Chez Rimbaud , voir « Le Dormeur du val » , « Ma Bohème ».
« Le joujou du pauvre »
Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes
routes, remplissez vos poches de petites inventions d'un sol, - telles que le
polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l'enclume, le cavalier et
son cheval dont la queue est un sifflet, - et le long des cabarets, au pied des arbres,
faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous
verrez leurs yeux s'agrandir démesurément. D'abord ils n'oseront pas prendre ; ils
douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils
s'enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous
leur avez donné, ayant appris à se défier de l'homme.
Sur une route, derrière la grille d'un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la
blancheur d'un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais,
habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie. Le luxe, l'insouciance
et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu'on les croirait
faits d'une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté. A côté de
lui, gisait sur l'herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu
d'une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries. Mais l'enfant ne
s'occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu'il regardait :
De l'autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un
autre enfant, pâle, chétif, fuligineux, un de ces marmots-parias dont un œil impartial
découvrirait la beauté, si, comme œil du connaisseur devine une peinture idéale sous
un vernis de carrossier, il le nettoyait de la répugnante patine de la misère.
Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement, avec des dents d'une
égale blancheur.
Commentaire : Apologue. Le poème est construit sur l’antithèse entre l’enfant riche et le
pauvre (lieu, vêtements), la différence sociale est symbolisée par des barreaux qui les sépare
or l’enfant riche est fasciné par le jouet de l’enfant pauvre (le rat vivant), alors que le riche en
possède un beaucoup plus beau. Morale implicite défendant l’idée d’égalité entre les êtres
dans la dernière phrase : « Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement, avec
des dents d'une égale blancheur. » (Intéressant aussi pour Olympe de Gouges).
« L’Etranger »
— Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou
ton frère ?
— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
— Tes amis ?
— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
— Ta patrie ?
— J’ignore sous quelle latitude elle est située.
— La beauté ?
— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
— L’or ?
— Je le hais comme vous haïssez Dieu.
— Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
— J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux
nuages !
« Le port »
Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L'ampleur
du ciel, l'architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le
scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans
jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la
houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l'âme le goût du
rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et
aristocratique pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le
belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui
reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir.
Le Spleen de Paris (1869).
Aube
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombre
ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes,
et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une
fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je
reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je
l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et
courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la
route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti
un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
L’utilisation de vers courts et impairs par Verlaine pour rendre le poème plus musical :
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Art poétique, Verlaine, 1874
Apparition du vers libre fin 19ème siècle souvent accompagné au 20ème siècle par la
suppression de toute ponctuation (Apollinaire)
Le vers libre = pas de régularité dans le nombre de syllabes, les rimes, les strophes
EX : les 24 premiers vers de « Zone » extraits de Alcools d’Apollinaire, 1913
« Zone »
À la fin tu es las de ce monde ancien
Commentaire : La ville moderne est présente: « Tour Eiffel », « ponts » « rue industrielle »
« hangars »(liés à la zone » , travail lié à la ville « Les directeurs les ouvriers et les belles
sténo-dactylographes ». La ville est systématiquement associée au vivant grâce aux images
novatrices : la tour Eiffel de « Zone » devient la « bergère » du « troupeau des ponts » ; la «
sirène y gémit » ; « une cloche rageuse y aboie » ; les enseignes sont aussi bavardes et
pénibles que des « perroquets ». A ces thèmes nouveaux, il faut une poésie nouvelle
également dans la forme = emploi de vers libres sans ponctuation.
Quel est l’effet de l’absence de ponctuation ?
« Automne malade »
Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers
Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé
Commentaire : Les derniers vers d’ « Automne malade » sont très courts, ces vers de deux syllabes
sont décalés par rapport aux vers précédents et font penser à un élément qui s’écoule comme le
temps et comme les larmes. Ces vers annoncent « Calligrammes » par leur disposition liée au sens.
Les Calligrammes d’Apollinaire , 1918, un calligramme est un poème dont les vers sont
disposés de façon à former un dessin en rapport avec le poème.
EX : « La colombe poignardée et le jet d’eau »