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UNIVERSITE NORBERT ZONGO

WIIRE

Revue

de Langues, Lettres, Arts, Sciences humaines et sociales

N° 10, Novembre 2019

N° ISSN 2424-7316

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Presses Universitaires
UNIVERSITE NORBERT ZONGO

WIIRE

Revue

de Langues, Lettres, Arts, Sciences humaines et


sociales
N° 10, Novembre 2019

N° ISSN 2424-7316

Presses Universitaires
4
WIIRE

Revue de Langues, Lettres, Arts,


Sciences humaines et sociales
Université de Koudougou, BP 376 Burkina Faso
Tél (00226) 50 44 01 22/25/ (00226) 70 14 17 52
Email : ouatvince@yahoo.fr

DIRECTEUR DE PUBLICATION
Pr Vincent OUATTARA

REDACTION
Pr Issa Abdou MOUMOULA, Pr Marie Laure SOUGOTI/GUISSOU, Dr Missa
Marius BARRO, Dr Joseph K LOMPO., Dr Arouna DIABATE, Dr Innocents
OUEDRAOGO, Dr François SAWADOGO, Dr Oumar MALO, K. Landry Guy
Gabriel YAMEOGO, Dr Edwige ZAGRE, Dr Régina ODJOLA.

COMITE SCIENTIFIQUE
Président : Pr Georges SAWADOGO, (Didactique), Université Norbert Zongo -
Koudougou (Burkina Faso)
Vice-président : Pr Jean Claude BATIONO, (Didactique), Université Norbert
Zongo - Koudougou (Burkina Faso)

COORDONNATEURS SCIENTIFIQUES
Pr Abou NAPON (Sociolinguistique), Université Ouaga 1, Joseph Ki Zerbo,
Ouagadougou (Burkina Faso)
Pr Afsata PARE, (Psychopédagogie), Université Norbert Zongo - Koudougou
(Burkina Faso)
Pr Kalifa TRAORE, (Didactique), Université Norbert Zongo - Koudougou
(Burkina Faso)
Pr Issaka MANDE, (Histoire), UQUAM (Canada)

MEMBRES
Pr Pierpaolo FAGGI, (Géographie), Université de Padova (Italie)
Pr Umberto MARGIOTTA (Pédagogie universitaire), Université CA Foscar,
(Italie)
Pr Thierry KARSENTI, (TIC et Education), Université de Montréal, (Québec,
Canada)

5
Pr Ahmidou Nacuzon SALL (Sciences de l’Education), Université Cheikh Anta
Dio, (Sénégal)
Pr T. Félix VALLEAN (Sciences de l’Education), Université Norbert Zongo -
Koudougou (Burkina Faso)
Pr Tamine Joelle GARDES, (Grammaire et stylistique), Sorbonne (France)
Pr Toussaint Yaovi TCHITCHI (Linguiste), Université d’Abomey Calavi, (Benin)
Pr. Luc COLLES, (Didactique du français), Université catholique de Louvain-la-
Neuve, (Belgique)
Pr Maxime SOME, (Grammaire), Université Norbert Zongo - Koudougou
(Burkina Faso)
Pr Yves DAKOUO, (Sémiotique), Université Ouaga 1, Joseph Ki Zerbo,
Ouagadougou (Burkina Faso)
Pr Elame ESHO, (Géographie), Université CA FOSCARI, Venise, (Italie)
Pr Daniel RAICHVARG, (Communication), Université de Bourgogne, (France)
Pr Alain Joseph SISSAO, (Littérature orale), CNRST, Ouagadougou (Burkina
Faso)
Pr Mahamadé SAVADOGO, (Philosophie), Université Ouaga 1, Joseph Ki Zerbo,
Ouagadougou, (Burkina Faso)
Pr Amadé BADINI, (Philosophie de l’éducation), Université Ouaga 1, Joseph Ki
Zerbo, Ouagadougou (Burkina Faso)
Pr Salaka SANOU (Littérature africaine écrite), Université Ouaga 1, Joseph Ki
Zerbo, Ouagadougou, (Burkina Faso)
Pr Léon Yepri SABROU, (stylistique), Université Félix Houphouët-Boigny,
Abidjan (Côte d’Ivoire)
Pr Djah Célestin DADIE, Université Alassane Ouattara, Bouaké, (Côte d’Ivoire)
Pr Jacques NANEMA, (Philosophie), Université Ouaga 1, Joseph Ki Zerbo,
(Burkina Faso)
Pr Magloire SOME, (Histoire), Université Ouaga 1, Joseph Ki Zerbo,
Ouagadougou, (Burkina Faso)
Pr Bapio Rosaire BAMA, (Allemand), Université Ouaga 1, Joseph Ki Zerbo,
Ouagadougou, (Burkina Faso)
Pr Mahamadou BISSIRI, (Anglais), Université Ouaga 1, Joseph Ki Zerbo,
Ouagadougou, (Burkina Faso)
Pr Lydie IBO, (Sémiotique du sensible), Université Alassane Ouattara, Bouaké,
(Côte d’Ivoire)
Pr Jean-Baptiste GBONGUE, (), IPNETP, Abidjan, (Côte-d’Ivoire)
Pr Emmanuela FOUCHEREAU, Université de Bourgogne, Dijon, (France)
Pr Joseph BIACHE, (Anthropologie), Université d’Auvergne, (France).

6
SOMMAIRE

Editorial……………………………………………….……….9

Zahui Gondey TOTI AHIDJÉ, Le corps entre initiation


traditionnelle et formation occidentale dans Climbié de Bernard
Dadié et L’Enfant noir de Camara laye………………………….….11

Essotorom TCHAO, L’écriture de la transgression dans Rêves


portatifs de Sylvain Bemba………………………………….……..37
Ernest BASSANÉ, des particularismes culturels dans le roman En
attendant le vote des bêtes sauvages d’Ahmadou KOUROUM..63
Alfred ESSIS AKPA, Kourouma Ahmadou : une indiscipline
langagière linguistiquement porteuse……………………….……81

Patrice KOURAOGO, Analyse sociologique de l’image, du rôle et


la place de la femme dans quelques contes écrits du
Larlé Naaba Anbga…………………………………………..……107
Christian ADJASSOH, L’écriture de la mélodie dans les Poèmes
saturniens de Paul Verlaine………………………………………123
Atchori Justin ABINDJE, Poème pour Koryo de Frédéric Titinga
PACÉRÉ : Objet de récriture et de migritude pour une
reconfiguration de la poésie africaine postnégritude………….143
Pierre Adou Kouakou KOUADIO, Koffi Jean Louis TANO, La
problématique de la diglossie dans la région du Zanzan : cas des
langues abron et koulango dans le village de Lomo………….173
Awa 2ème Jumelle SAWADOGO, Londjité PALÉ, Comment les
langues minoritaires peuvent-elles survivre à la glottophagie
dans la ville plurilingue de Ouagadougou ? : Cas du lobiri…193
Symphorien Télesphore GNIZAKO, Interprétation structurale des
constructions infinitivales en ɟībūō, langue kru de
Côte d’Ivoire.….….….….….….….….….….…………..….….….215

7
Kanabein Oumar YÉO, Étude typologique, lexicale et sémantique
des salutations en nafara……………………………………..…...231
Amoikon Dyhie ASSANVO, Serge Armel ETHIEN, Souahon Solange
GOUDALE, Système tonal de l’Agni, langue kwa de Côte
d’Ivoire…………………………………………………….………..253
OUATTARA Zie Yacouba, La pronomination dans Les Soleils des
indépendances : formes, pratiques et enjeux……………….…..277
NACOULMA Boukaré, Contribution de l’alphabétisation à la
protection de l’environnement pour un développement durable :
cas du site d’orpaillage de Boungou dans la commune de
Tiébélé………………………………………………………...…….297
Freddy O. A. DONNOU, Bertin C. YEHOUENOU, Principles of
phonetic realization: How to remedy EFL and ESL erroneous
pronunciation………………………………………………..….....317
OUALLY Germain, Les trésors humains vivants et musées privés
comme institution de promotion de la littérature au
Burkina Faso………………………………………………..….…..335
Vincent OUATTARA, Dim Delobsom Ouédraogo :
Constructeur de l’espace ethnologique et littéraire dans la Haute
Volta des années trente……………………………………………351
Juliette Kaboré-Ouédraogo, Le leadership des directeurs d'écoles
primaires et la réussite scolaire des élèves. Quelle approche de
gestion? Quel outil d'évaluation des pratiques?.......................375

8
Editorial

Depuis sa création en 2013, la revue Wiire, revue de Langues,


Lettres, Arts, Sciences sociales et humaines de l’Université Norbert
Zongo, parait régulièrement au rythme de un numéro par an au mois de
novembre. Chaque numéro comporte entre quatre-cent (400) à cinq-
cents (500) pages. Face à la forte demande de publication dans ses
colonnes, la direction de la revue a envisagé à partir de 2018 de publier
deux numéros spécialisés respectivement sur les sciences humaines et
sociales et sur les lettres et les langues.
A ce jour la géographie des contributeurs couvre onze (12) pays :
Burkina Faso, France, Belgique, Côte d’Ivoire, Niger, Mali, Togo,
Sénégal, Gabon, Congo, Cameroun, Bénin.
Dans le souci de capitaliser les acquis et ouvrir des perspectives
intéressantes de recherches, la direction de la revue travaille à la mise
en ligne de WIIRE à partir de cette année 2019.
Les revues en ligne offrent un cadre spécifique à la conversation
savante et un lieu de développement, de consolidation et de légitimation
des disciplines scientifiques.
En publiant sur une plateforme, grâce au référencement, la revue
- bénéficiera d’une visibilité que la version papier actuelle ne
peut pas offrir à l’Université Norbert Zongo ;
- permettra de fédérer un maximum de personnes autour d’un
projet, dépassant ainsi les cloisonnements disciplinaires,
- facilitera les citations des articles publiés et contribuera à
l’amélioration du facteur d'impact ;
- permettra la pérennisation des produits de la recherche.
Le sage africain dit si bien : « une seule main ne ramasse pas la
farine ». Nous restons réceptifs à toute initiative heureuse pour la
promotion et la vulgarisation des fruits de la recherche et remercions
vivement tous les chercheurs et enseignants-chercheurs qui font
toujours confiance à cette revue en lui donnant un peu de leur temps et
de considération.

Vincent Ouattara
Directeur de publication

9
10
L’écriture de la mélodie dans les Poèmes saturniens de
Paul Verlaine
Christian ADJASSOH
Université Alassane Ouattara
Côte-d’Ivoire
Résumé

Renouveler le langage poétique en se servant de la musique


comme vecteur du sens. Ainsi se pose la quête du discours
poétique de Paul Verlaine. Il infuse la mélodie dans sa poésie par
le truchement de l’analogie qui assimile ses sensations à des
sonorités au travers des vers à forte coloration mélodique dans les
Poèmes saturniens. Le poète procède par un rapprochement de
ses perceptions avec tous les facteurs qui gravitent dans l’univers
de la musique. La poésie se fait mélodie en mobilisant toutes les
ressources sonores dans les mots, le rythme des vers pour induire
la mélodie dans le langage poétique verlainien.

Mots-clés : mélodie, langage, rythme, analogie, discours.

Abstract

Renew poetic language by using music as a vector of meaning.


Thus arises the quest for Paul Verlaine's poetic discourse. He
infuses the melody in his poetry through the analogy that
assimilates his sensations to sounds through verses with strong
melodic coloration in Saturnian Poems. The poet proceeds by
bringing together his perceptions with all the factors that gravitate
in the world of music. Poetry is melody by mobilizing all sound
resources in words, the rhythm of verse to induce melody in
Verlaine's poetic language.

Keywords: melody, language, rhythm, analogy, speech.


Introduction

Le XIXe siècle est le siècle de tous les bouleversements en


Europe. En France, le domaine de la littérature est affecté. La
deuxième moitié de ce siècle éprouve le langage poétique, par son
renouvellement d’un mouvement littéraire à un autre, engendrant
ainsi de nouvelles visions qui se combattent les unes et les autres.
Les deux mouvements les plus significatifs sont le Parnasse et le
Symbolisme. Verlaine en s’opposant au Parnasse qui fait de la
rime le ferment de la musicalité dans le discours poétique, génère
la mélodie non plus uniquement à partir de la rime, mais mobilise
tous les effets dans le corps du poème pour la suggérer. Avec lui,
la musique se pose comme l’un des fondamentaux de son discours
poétique à travers des rapprochements inattendus entre les réalités
et la mélodie. L’analyse se propose d’étudier le mode
d’articulation de la mélodie dans la poésie de Verlaine en prenant
pour corpus son recueil de poèmes intitulé les Poèmes saturniens.
Pour révéler la prégnance de la mélodie sous l’éclairage de
l’analogie, dans un premier moment, l’étude se chargera
d’exposer les indices de la mélodie dans les Poèmes saturniens,
dans un deuxième temps, elle prospectera le rythme comme
vecteur de la musicalité, pour finir par décrypter en dernier essor
le sens de la forte musicalité qui s’inscrit dans son œuvre sous
fond d’analogie. Au demeurant, il faut noter que l’étude se fait
sous la lumière de la stylistique1
1

1
L’analyse stylistique s’appuiera sur l’approche de Georges Molinié. Pour lui,
la caractérisation et l’actualisation déjoue l’information pour créer des valeurs.
La caractérisation se fera à partir du décryptage toute variation des règles liées
au sens et à la syntaxe, tandis que l’actualisation s’intéressera au sens dénotatif
du mot pour construire le sens.

4
I. Les topoï musicaux, indices de la mélodie dans les Poèmes
saturniens

Le terme topos, topoï au pluriel, désigne un lieu commun du


discours, un thème littéraire récurrent qui devient un poncif ;
les topoï sont les mots-clefs, les sujets caractéristiques d'un
groupe sociologique ou d'une spécialité. Dans le cadre de notre
étude, ils sont perçus comme des mots-clés qui réfèrent au
domaine de la musique. Quant à la musique, Littré (1963 : p.788)
la définit comme une « Science ou emploi de sons qui entrent
dans une échelle dite gamme. Elle peut s’appréhender comme
l’art de produire des sons agréables à l’oreille dits symphoniques.
Sa forte prégnance établie les Poème saturniens comme une vaste
mélodie. Face à ce constat, la question qui se pose est savoir
comment le topos de la musique investit alors Poèmes
saturniens ?

I.1. Le vocabulaire de l’univers musical

Les deux dernières décennies du siècle de Verlaine


apparaissent comme celles du renouvellement du langage
poétique. Dans ce contexte, les différents domaines artistiques
amorcent des rapprochements pour opérer un décloisonnement
des différents domaines artistique dans un élan de création. Dans
l’univers de la poésie, Paul Verlaine n’est pas en reste. À la suite
de Baudelaire et de Stéphane Mallarmé, il fait une incursion dans
la sphère de la musique en pliant la musique aux exigences de la
poésie. À cet effet, il annonce à son éditeur Pelletier, dans une
lettre en 1890, avant la publication de la deuxième édition de son
œuvre poétique Poèmes saturniens, que pour la deuxième édition
« Ça sera très musical » (Verlaine 1960 : p.1035). Cette
propension de Verlaine à inféoder la musique à la poésie pour
engendrer un langage poétique mélodieux se confirme à travers
les propos d’Alain Baudot (1968 : p.32) qui soutient que

125
« […] Verlaine se plaît à agrémenter ses poèmes
d'éléments empruntés directement au monde musical.
Hommage ouvertement rendu à un art qu'il aime, en
somme. Mais ces références ont valeur de symboles, tels
les instruments dont se servent les « donneurs de sérénades
» pour charmer « les belles écouteuses » dans les tableaux
du XVIIIe siècle. »

De fait, l’injection de la mélodie dans ses poèmes ne s’opère


pas de manière matérielle comme une note de musique sur une
portée. En effet, il procède par des rapprochements entre ses
sensations ou les réalités de son univers en établissant des
comparaisons avec des sonorités émanant des mots-symboles
évoquant la musicalité dans les vers des Poèmes saturniens. Ainsi
pour établir une analogie entre l’effet de la musique et son
langage poétique, le poète repend dans l’aire des Poèmes
saturniens une ensemble de lexèmes qui évoquent ou suggèrent
la présence de la mélodie dans son recueil. Ainsi, le topoï de la
musique baigne l’ensemble de l’œuvre du poète à travers un
réseau de vocabulaire en rapport avec l’univers de la musique.
C’est cette pratique qu’atteste Florent Albrecht (2010 : p.3) quand
il énonce que « Les topoï musicaux demeurent légions chez
Verlaine [ils] se désagrège[nt] au profit d’une nouvelle poésie où
le symbole est roi, où les mots sont appelés à ne renvoyer qu’à
eux-mêmes. » De fait, l’univers de la musique essaime les
Poèmes saturniens par l’emploi de vocables en rapport avec le
domaine de la musique. Cela se perçoit à travers le titre de
certains poèmes comme « Chanson d’automne », « Le
rossignole », « La chanson des ingénues » ou « Sérénade » entre
autres.
Selon Florent Albrecht, citant Paul Viallaneix, aucun titre
comportant un topos musical n’est fortuit. « [Il] envisage, quant à
lui, une cohérence très profonde entre le titre d’un poème musical
répondant à une forme musicale, et l’organisation sonore du
poème » (Florent Albrecht2010 : p.6). Ces titres sont à plus d’un

126
titre évocateur de la musicalité. Si la chanson ramène à « une
pièce de vers que l’on chante sur un air populaire, et qui est
partagé le plus souvent en stances égales dites couplet » (Littré
1963 : p.187), le rossignole qui est un oiseau évoque par analogie
une personne chantant avec une voix pure et flexible. Il peut se
rapporter aussi à une sorte de petite flûte à piston, qui se
confectionne « ordinairement avec un tuyau d’écorce détaché
d’une branche de bois vert dans le temps de la sève » (Littré
1963 : p.108). Quant au vocable sérénade, il renvoie à un concert
de voix ou d’instrument qui se donne le soir sous les fenêtres de
quelqu’un. En réalité, l’ensemble de ces mots qui font office de
titre de poème par un rapprochement total ou partiel dans les
Poèmes saturniens sont en rapport avec le champ musical.
Bien souvent, la musicalité peut être avérée par l’emploi de
certains vocables provenant de l’univers des mélodies qui
induisent au sein des vers une once de musicalité. Son poème « Il
bacio » fait écho de ce mode d’effusion de la musique dans
l’espace poème :

« Baiser ! rose trémière au jardin des caresses !


Vif accompagnement sur le clavier des dents
Doux refrain qu’Amour chante en les cœurs ardents
Avec la voix d’archange aux langueurs charmeresses »
(Verlaine, « Il bacio », p.83)

En effet la mélodie est suggérée dans le texte par la


convocation de plusieurs vocables en rapport avec l’univers de la
musique. Dans cette strophe du poème « Il bacio », la musique
retentit à profusion par la présence des lexèmes « clavier »,
« refrain », « chante » et « voix ». Ces différents termes
ramènent, soit aux moyens naturels utilisés par l’homme pour
accompagner une mélodie (« refrain », « chante », « voie »), soit
à un instrument permettant de produire de la musique comme le
« clavier » ramenant au piano. Selon Martine Bercot 2014 :
p.186), Verlaine doit ce titre de son poème à « une valse chantée,

127
alors en vogue, de Luigi Arditi » en 1860. Ce qui dénote de la
profusion de vocables musicaux qui dans bien des cas sont
accompagnés d’instrument de musique pour attester de la
profusion de la mélodie dans les textes poétiques de verlainiens.

I.2. Les instruments de la musique : vecteur de la musicalité


Au-delà des titres qui opèrent des rapprochements avec le
domaine de la mélodie, l’on note la présence massive des
instruments de musique dans l’air du recueil des Poèmes
saturniens. Certains vers sont de véritables viviers de sonorités
comme ceux qui suivent:

« Les violons se mêlaient leur rire au chant des flûtes »


(Verlaine « Initiume » p.69)
« Les sanglots longs
Des violons
De l’automne »
(Verlaine « Chant d’automne », p.69)

La présence des instruments de musique dans le premier


groupe de vers évoque une atmosphère empreinte à une féerie
musicale qui énonce un environnement festif. L’émission de la
mélodie est contenue dans le verbe « rire ». En effet, les
instruments de musique que sont les « violons » et les « flûtes »,
par leur présence dans l’espace du poème et par la présence de la
métaphore verbale qui se tisse autour du verbe « rire », induit la
présence d’une mélodie. En effet, ces instruments dans leur
fonction servent à émettre des sonorités euphorisantes qui
enchantent l’espace de la fête. Quant à la présence des « violons »
dans le deuxième groupe de vers, les sonorités provenant d’eux
suggèrent une atmosphère mélancolique par les notes qu’ils
émettent à travers le rapprochement de leurs sonorités aux des
sanglots par leur mise en rapport avec la présence du lexème
« automne » qui rappelle un temps maussade dans l’expression
poétique de Verlaine. Cette analogie finit par faire des sonorités
émises par ces instruments des pleurs qui traduisent l’état d’âme

128
du poète. Ce dernier, par les sons des violons, projettent ses
sentiments morbides qui assimilent à l’image temps, l’automne.
Si les instruments de musique évoquent la mélodie dans les vers
verlainiens, il en est de même pour le rythme de sa parole
poétique.

II. Le rythme : vecteur de la mélodie de Paul Verlaine

Verlaine est l’un des poète les plus modernes et à la fois le plus
classique de son temps. Cette ambivalence tient de sa volonté à
introduire de nouvelles métriques dans l’écriture poétique et de sa
propension à générer de la mélodie en dehors de la rime classique
support mélodique du poème. Cette nouvelle approche de
mélodie dans la poésie nécessite tout naturellement une nouvelle
articulation du rythme dans l’air des poèmes. Comment se définit
alors le rythme ?

II.1. Approche définitionnelle du rythme

Le rythme est une notion multiple et glissante. Son assertion


varie en fonction du domaine qu’il affecte. Dans le domaine de la
littérature et de la poésie en particulier, le rythme, pour Dürenmatt
(2005 : p.121), est plutôt « un mouvement produit par la répétition
organisée de séquences similaires ». Quant au Littré (1963 :
p.1116), il le définit comme la « qualité du discours qui, par le
moyen de ses syllabes accentuées, vient frapper notre oreille à de
certains intervalles ou succession de syllabes accentuées (son
fort) ou de syllabes non accentuées à de certains intervalles. »
Pour Dessons et Meschonnic (1998: p.28), le rythme est
consubstantiel à la poésie car c’est sa présence dans le vers qui lui
confère sa poéticité. Ce qu’ils soutiennent en avançant « qu’on ne
saurait appeler autrement, il semble, que poétiques, non parce
qu’ils seraient en vers, mais parce qu’ils sont propres à une œuvre,
et partie constitutive de ce qui fait qu’on la reconnaît entre toutes,
vers ou prose » (Dessons et Meschonnic 1998 : p.28).

129
Par ailleurs, Meschonnic (1982: 28) perçoit le rythme comme
une configuration et une organisation du discours poétique pour
lui impulser un sens qui détermine le pathos de l’énonciateur. Ce
qu’il précise en écrivant que « […] le rythme est inséparable du
sens de ce discours. Le rythme est une organisation du sens dans
le discours. […] Et le sens étant activité du sujet de l’énonciation,
le rythme est l’organisation du sujet comme discours dans et par
son discours. »
De ce qui précède, nous définissons le rythme comme une
organisation et une configuration du discours poétique par un
ensemble de mots accentués ou non qui sert à cadencer le poème
en vue de la production du sens. Comment fonctionne alors le
rythme dans Poèmes saturniens pour devenir un facteur
mélodique ?

I.2. Le phonème comme facteur rythmique dans Poèmes


saturniens

En dehors des vocables musicaux, les topoï musicaux peuvent


se repérer au travers de certaines sonorités provenant des
phonèmes contenus par certains mots dans les vers. Ces mots par
leurs structurations sont de véritables foyers de mélodique.
L’harmonie qu’ils génèrent par leurs sonorités, émane de leurs
lettres constitutives en rapport avec les autres mots de leur
environnement poétique à l’intérieur d’un vers ou d’une strophe
entière. En effet, les mots verlainiens sont une source de sonorité
qui induit la mélodie à l’intérieur des vers. En cela, Verlaine fait
du vers isolé de l’ensemble du poème un véritable foyer expressif
où se condense une bonne partie du sens du texte poétique. À
travers son approche, chaque mot se révèle être une source de
sonorités qui drainent la mélodie à travers le langage poétique de
verlainienne. Ainsi chaque lettre contenue par les mots choisis par
le poète et qui se pose dans ses textes en vibrant et en émettant
des sonorités de manière inattendue, devient un vecteur de la

130
musicalité chez Verlaine. Ce qui détermine Paul Viallaneix
(1982 : p.93) à observer que

« […] chaque strophe de la plupart des pièces qui portent,


dans l’œuvre de Verlaine, un titre musical, offre une
remarquable cohérence sonore. Point de mots, de syllabes
qui ne contribuent à tracer la ligne ou à donner la tonalité
de la mélodie. L’article lui-même, quand il n’est pas
éliminé, le démonstratif, le pronom tiennent partie. »

Avec Verlaine, les mots dans leur proximité se transforment


en un condensé mélodique inaugurant un topos de la musicalité,
comme l’illustre cette strophe de « Mon rêve familier » :

« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant


D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend »
(Verlaine, « Mon rêve familier », p.36.)

Dans la première strophe de « Mon rêve familier », il apparait


des mots qui renferment des sonorités identiques et dont
l’itération dans l’espace de la strophe engendre une monotonie
auditive qui finit par suggérer une mélodie. Au nombre de ces
mots, il faut noter « souvent », « étrange » et pénétrant », et
« comprend » à l’intérieur du vers 1 et du vers 4, tandis que dans
les vers 2, 3, et 4, le même phénomène auditif se produit avec la
tonalité des mots « m’aime » et « même ». Dans le cas du premier
groupe de sonorité, nous sommes en présence de l’itération du
son /ã/ et du son /mɛm/ dans le second groupe. La première
sonorité s’apparente à une assonance, que Peyroutet (1994 : p.29)
définit comme une « multiplication de son » en rapport avec une
voyelle en vue de créer une harmonie imitative. Elle peut
s’appréhender comme la répétition d’une même sonorité en fin de
plusieurs vers consécutive ou la reprise de voyelle à l’intérieur
d’un même vers ou dans plusieurs groupes de vers contigus.
Quant au deuxième groupe de sonorité, il relève de l’allitération

131
que Pierre Fontanier (1977 : p.345) définit comme « […] une
sorte d’onomatopée en plusieurs mots, produite par le jeu de
certaines lettres ou de certaines syllabes […] » qui provient en
partie des consonnes. Les phonèmes /ã/ et/ mɛm/ sont empreint
de mélodie de par leur itération respective qui suggère une forme
d’harmonie à travers l’assonance et l’allitération.
Que ce soit l’allitération ou l’assonance, cette technique
scripturale chez Verlaine permet la fusion d’une mélodie dans le
texte poétique. En effet, Verlaine affectionne la sonorité des mots
par opposition à Baudelaire qui aime les mots pour leur effet sur
son esprit à travers leur proximité dans les vers. De fait, Verlaine
accorde une importance au plaisir auditif suggéré par la sonorité
des mots dans le texte poétique quel que soit leur emplacement,
entretenant ainsi un rapport auditif au mot, par opposition à
Baudelaire qui, lui, a un rapport spirituel. Ce qui fait de Verlaine
un prospecteur de mélodie à travers les lettres constitutives des
mots. Dans cette perspective, comme le signifie Alain Baudot,
dans son étude sur la forme et la signification de la musique dans
l’œuvre poétique de Verlaine, qu’« Entre deux mots, il choisit
plutôt celui qui satisfait son oreille que son esprit, le plus «
musical » de préférence au plus significatif » (Boudot 1968 :
p.45). Ainsi parvient-il à tirer toutes les ressources mélodiques
provenant de leur sonorité qui se transforme par analogie en
véritable note de musique dans l’univers imaginaire du poète.
Abordant dans le même sens, Barrucand (2009 : p.44)
confirme que le poème verlainien est un « agencement de
sonorités portées par les phonèmes qui deviennent alors des
véritables notes de musique et qui ont la possibilité de s’organiser
entre eux dans une véritable composition de type musical ». Ce
traitement que Verlaine fait du mot pour en extraire une harmonie
auditive de par la qualité des sonorités provenant des phonèmes
des lettres qui structurent ces mots, est significatif pour Verlaine
qui s’oppose au Parnasse qui postule que la musicalité d’un
poème tiendrait exclusivement dans ses rimes. Ce qu’atteste
132
Simono Pollicino, cité par Bertrand et Durand (2004 : pp.10-11),
en arguant que : « C’est bien évidemment à la rime parnassienne
qu’il s’en prend, rime riche, acrobatique, pur effet d’esbroufe
d’une écriture virtuose, mais rime pensée aussi comme un objet
(à limer) plutôt que comme un phénomène sonore. »
En effet, pour Verlaine, la mélodie est à chercher ailleurs que
dans la rime qui est artificielle car gouvernée par l’esprit du poète.
La mélodie, pour lui, doit provenir du mot qui est un pendant
sonore de notre âme. C’est en partie à partir du mot tissé dans le
corps de tout le texte poétique que le rythme est impulsé
permettant, selon la vision de Bertrand et Durand (2004 : p15),

« […] précisément d’appliquer les concepts


d’orchestration ou de rythme à d’autres phénomènes
textuels que ceux qui relèvent de la face sonore du langage,
pour les étendre à la totalité du texte, pensé comme un
tissus de rapports formels, qu’ils soient sonores ou
graphiques, liés au même du discours ou leur position dans
l’espace de la page. »

C’est pratique de la mélodie dans la poésie de Verlaine


détermine à lire ces textes poétiques non plus comme un agrégat
de vers, mais comme une masse de sonorité pulvérisée à la surface
du poème. À travers l’ensemble des mots du poème, son mode
d’articulation de la mélodie fait de chaque mot une graphie sonore
dont l’appréhension sollicite à la fois l’oreille et la vue, faisant du
vers une phrase musicale dont la mélodie est contenue par tout le
corps du texte. Ce dont témoigne Barrucand (2009 : p.41) quand
il écrit que :

« Finalement on trouve l’écriture musicale, qui correspond


à l’écriture graphique, dont l’unité est justement la «
phrase musicale ». Par là on arrive à la notion de mélodie
en poésie qui correspond à une véritable construction
sonore dont la réalisation dépend du moment où « le
lecteur aura découvert l’organisation spécifique des
sonorités internes du texte ».

133
Dès lors, le mot devient dans la poésie de Verlaine une graphie
de la sonorité musicale. Ainsi, la mélodie n’emprunte plus la
forme d’une note de musique sur la portée musicale mais elle se
fait lettre et mot pour investir tout le corps du texte poétique à
travers lequel les sonorités des mots se répondent dans une
parfaite unité. Il apparait que l’usage des phonèmes des mots
comme vecteur mélodique dans le corps du poème établit la
musicalité dans son langage poétique. De fait, l’expression
poétique de Verlaine procède de l’analogie qui rapproche les mots
et les sons inhérents aux lettres des mots pour établir la mélodie
au sein du texte poétique. En dehors de la sonorité des phonèmes
des mots, la mélodie dans les Poèmes saturniens peut être drainée
par le mètre du poème.

II.2. L’articulation du vers comme agent rythmique

Verlaine pour induire la mélodie dans son langage poétique se


sert de subterfuge qui bien des fois enchantent l’espace du poème.
Quand bien même il a un rapport auditif au texte poétique, il n’en
demeure pas moins que, bien souvent, il convoque des procédées
incantatoires qui induisent une sorte de mystère pour suggérer la
mélodie dans l’air du poème. En cela, il se rapproche de l’effet
poétique du langage poétique mallarméen qui consiste à « décrire
l’effet et non la chose ». Dans cette perspective, le rythme des
vers dans la poésie verlainienne se fait la chambre d’écho d’une
rythmique qui infère la mélodie dans la poésie verlainienne. En
effet, la forme musicale de son langage poétique procède de
manière allusive. Elle n’est pas posée dans le poème sous sa
forme brute. Elle est dissoute pour réapparaître sous une forme
visuelle qui la suggère dans son déploiement. Florent Albrecht
(2010 : p.9) s’attelle à décrire la forme musicale à laquelle
s’apparente la mélodie de Paul Verlaine en ces termes :

« La forme musicale est déconstruite sémantiquement


pour ce qu’elle est, et devient incarnat poétique, c’est-à-

134
dire pure musique, tache de couleur, du son indifférencié
aux autres éléments de la composition, s’intégrant au
paysage d’impressions à matérialiser par le poète dans
l’espace du poème. Une translation s’est donc opérée, de
la nature de la forme musicale comme structure à sa
fonction première : celle d’autoriser l’existence de
musique, et de faire surgir l’effet musical par sa simple
convocation verbale au sein du poème […] pour intégrer
ce flou à une esthétique de la suggestion. »

Ainsi, la mélodie prend corps dans l’espace poétique par la


scansion du vers dont la régularité dans la rythmique suggère la
musicalité à travers une monotonie qui convoque la douceur de la
mélodie. Cet effet chez Verlaine est produit par le rythme du vers
qui à travers son articulation convoque à la fois sur l’espace du
poème la vue et l’oreille. La vue est de loin la plus sollicité car,
dans l’air du poème, elle permet d’identifier les coupes, les
césures, les hémistiches et les mots accentués. Dans ce cas
d’espèce, le rythme n’est plus détecté seulement par l’oreille,
mais aussi par la vue qui la suggère dans l’espace du poème à
travers la régularité de la disposition des mots au sein vers ou le
poème tout entier. Ainsi, elle n’est plus artificielle mais obéit à la
nature de l’émotion du poète. Avec Verlaine, « […] le rythme est
une invention, une force, qui fait en sorte que lire un poème
signifie aussi découvrir soi-même, en être transformé. Le rythme
est la voix de l’oralité de l’écriture qui suppose un “œil auditif ”
sensible au jeu et au mouvement consonantique […]» (Pollicino
2011 : p.37) induisant le vague dans la mélodie verlainienne.
En effet, relativement à l’hémistiche, la césure n’est pas
statique. Elle est mouvante entrainant du coup, bien souvent, sa
dissolution dans le vers selon la sensibilité du poète ou du lecteur
qui peut configurer la scansion de l’alexandrin en deux
hémistiches ou en trimètre :

(1) « Les violons mêlaient // leur rire au chant des flûtes […] »
(4/2//2/4)
« Les violons / mêlaient leur rire / au chant des flûtes […] (4/4/4)
135
(Verlaine, « Ignitium », p.69.)
(2) « Je fais souvent ce rêve // étrange et pénétrant […] »
(4/2//2/4)
« Je fais souvent / ce rêve étrange /et pénétrant […] » (4/4/4)
(Verlaine, « Mon rêve familier », p.36.)

Dans le cas du vers (1), la césure peut se placer après


« mêlaient » ou disparaître à l’avantage d’une approche ternaire
dans la scansion du vers, tandis que ce phénomène se reproduit
dans le vers (2) où la césure peut se placer après « rêve » ou
disparaitre, si l’on considère la tripartition de l’alexandrin. Ce
mode d’articulation de la métrique de Verlaine introduit une sorte
d’hésitation dans la structuration du vers qui fait varier
l’intonation. En effet, le déplacement de la coupe classique de
l’alexandrin induit une souplesse de lecture connotant la mélodie
en produisant telle sonorité ou telle autre suivant l’inspiration du
lecteur qui détermine l’emplacement de la césure. Dans son
poème la « Promenade sentimentale », la rythmique qui infère la
mélodie opère à deux niveaux : auditif et visuel. En effet, au
niveau visuel sur l’air du poème, le décasyllabe à travers son
dédoublant qui fixe la césure respectivement à « dardait » et à
« berçait » dans les deux premiers vers du poème impulse un
rythme qui transmue « Promenade sentimentale » en une
berceuse à cinq temps dont le balancement rythme la promenade
du poète attristé et exaspéré apparaissant comme un fantôme :

Le couchant dardait / ses rayons suprêmes /


Et le vent berçait / les nénuphars blêmes; /
[...]
Et pleurant / avec la voix des sarcelles [...] »
(Verlaine, « Promenade sentimentale », p.53)

Au niveau auditif, par un rapprochement de la rythmique avec


le ton des oiseaux, la mélodie de la berceuse est induite par
analogie à « la voix des sarcelles » tristes. Dans ce cas de figure,
au bord du lac, l’état d’âme du poète solitaire est reflété par le
rythme maussade des chants des sarcelles qui communiquent leur
136
affliction à toute la nature au coucher du soleil. Bien souvent, le
poète amené le poème en engendrer une rythmique à travers le
mélange des mètres. Cette démarche dénote d’une invention et
d’une fantaisie rythmique propre à Verlaine :

« [... ]
Son regard est pareil // au regard des statues, (3/3//3/3)
Et pour sa voix lointaine, // et calme, et grave, elle a (2/2/3//2/2/3)
L'inflexion des voix // chères qui se sont tues. » (3/3//3/3)
(Verlaine, « Mon rêve familier », p.36)

À l’alexandrin classique qui sous-tend le sonnet, le poète fait


interférer dans le dernier tercet, un vers de quatorze pieds,
rompant du coup l’harmonie au sein du poème. Cela commande
un déplacement de la césure. En effet, au lieu de se placer la
césure après le sixième pied du vers comme dans les autres du
vers poème, Verlaine place lé césure au septième pied inaugurant
un prolongement du mètre, étirant l’écho des voies qui prolonge
dans le vide, longtemps après que les « voix chères se soient
tues », leurs voix mélodieuses qui berce l’âme du poète. Bien des
fois, au lieu de l’expansion de l’alexandrin pour en faire un vers
à quatorze pieds, au contraire, Verlaine le réduit pour en faire un
décasyllabe :

« Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? / L'automne (3/3/4/2)


Faisait voler la grive // à travers l'air atone (2/2/2/2/2)
Le soleil dardait // un rayon monotone (Sur le bois jaunissant
// où la bise détone [...] »
(Verlaine, « Promenade sentimentale », p.53)

Dans ce groupe de vers, excepté le deuxième vers de la strophe


qui a dix pieds, tous les trois autres en ont douze. Ce qui dérègle
la rythmique du poème et engendre une mélodie nouvelle
provenant du disfonctionnement de l’alexandrin dans le poème
qui passe de Douze pieds à dix pieds subitement. Cette technique
a pour effet de réduire le bruit des ailes des oiseaux qui se dissipe
à l’horizon, en s’éloignaient à tire d’aile surpris par la présence

137
du poète et de sa dulcinée, se baladant par un temps froid
d’automne dans les bois. Cette injection d’un décasyllabe parmi
des alexandrin a pour effet de dissiper progressivement la sonorité
émise par les ailes des oiseaux. En effet, la gamme sonore de
Verlaine dans le cas de notre analyse n’est pas exhaustif, tout au
plus, elle tente de nous exposer les diverses ressource et sources
mélodiques de Verlaine à travers la mobilisation particulière qu’il
fait du rythme dans sa poésie. Par ailleurs, quel est le sens de cette
profusion de la mélodie dans Les Poèmes saturniens par le bais
de l’analogie ?

III. Signification de l’apparentement de la poésie et de la


mélodie sous l’impulsion de l’analogie chez Paul Verlaine

La question de la musique est vitale chez Verlaine. Ce qu’il


annonce dans son poème « Art poétique » en faisant de la mélodie
le ferment de son écriture poétique. A cet effet, il énonce : « De
la musique avant toute chose »2. Ce vers augure de l’importance
de la mélodie dans l’expression poétique de Verlaine. Dans cette
perspective, l’écriture poétique dans les Poème saturniens
s’apparente à une tentative de faire de la poésie une mélodie qui
n’aura pour finalité qu’elle-même. L’expression poétique
soutenue par la profusion de mélodie sert à traduire le vague,
l’indicible. La mélodie alliée à l’art des vers fait de la poésie un
artde suggestion et d’incantation. En effet, la musique dans la
poésie de Verlaine ne décrit pas mais fait ressentir et surgir les
choses à travers des rapprochements analogiques entre les
sonorités et les sensations. Le poème « Nevermore » recèle cette
capacité de suggestion de la mélodie dans l’espace du poème.
Lors d’une promenade au bord dans les bois, a la question que lui
pose sa dulcinée de savoir :

2
Jadis et Naguère, « Art poétique », v. 1. Note fondamentale de toute l'œuvre,
qui suppose bien des harmoniques, tel l'impressionnisme pictural (cf. O. Nadal,
Paul Verlaine, Paris, Mercure de France, 1961, chap. 11).

138
« “ Quel fut ton plus beau jour ?” fit sa voix d’or, vivante »
(Verlaine, « Nevermore », p.32).

Le timbre « frais timbre angélique »(Verlaine, « Nevermore »,


p.32) de la voix de son amante, par rapprochement au timbre du
mot qui forme le titre de poème « Nevermore » qui veut dire en
anglais « jamais plus », par son écho doux, et qui se prolonge et
se propage dans l’espace, finit par faire de ce moment de
rencontre et de séparation le plus beau jour de l’existence du
poète. En réalité, « jamais plus » devient toujours par l’effet de
l’écho de la voix de sa dulcinée dont la douceur se grave dans la
mémoire du poète et ne plus jamais ne s’estompe. Ainsi, ce
quelques mots doux prononcés par son amante par leur écho,
suggère un air d’éternité au moment de bonheur vécu par l’auteur.
Par l’effet de la mélodieuse de la voix associée à son écho qui se
prolonge indéfiniment dans les bois, le sens du titre est associé à
l’éternité de cet écho qui finit par pérenniser le moment du
bonheur du poète durant cette dernière rencontre avec son amante.
Ainsi, le son s’alliant au sens du mot fond la poésie dans la
musique pour suggérer le sentiment d’éternité au poète. Ce qui
fait de la poésie de Verlaine une fête de l’oreille où les sonorités
et les images se répondent pour suggérer des sensations. Cette
symbiose entre poésie et musique est de fait une tentative de
Verlaine d’extraire la poésie de la littérature. Cet état qu’atteste
Alain Baudot (1968 : p.42) à travers les propos suivants :

« Jamais, dans notre poésie, les sons et les rythmes ne se


sont donc répondu avec autant de perfection. Verlaine
mieux que tout autre a mis en valeur les éléments
musicaux que le langage contient implicitement. Encore
faut-il préciser la nature de cet art musical […]».

En réalité, la forte propension de la mélodie dans la poésie


verlainienne est une rupture avec le lyrisme classique qui projette
généralement les sentiments du poète sur la nature. A contrario,

139
Verlaine lui expose ses sensations par le truchement des mélodies
et leurs effets. La musicalité lui permet de traduire les sensations
de sa vie intérieure à partir des mélodies qui s’ébauche à travers
des rapprochements entre les mots et les sensations que suggère
leur sonorité. De fait, la fusion de la mélodie dans le langage
poétique verlainien est une « […] tentative pour libérer les mots
de leur sens et les utiliser comme des notes de musique […] »
(Baudot 1968 : p.42). Cette démarche de Verlaine dans les
dernières décennies du XIXe siècle est une révolte contre
certaines règles de la prosodie parnassienne qui fonde la
musicalité dans le texte poétique en faisant de la rime le haut de
l’expression de la mélodie dans l’espace poème. Ce qui amène
Florent Albrecht (2010 : p.24) à comparer Verlaine à Mallarmé
dans sa tentative de faire de la musique un facteur de
renouvèlement du langage poétique :

« Mallarmé veut reprendre à la musique son bien ;


Verlaine entend restaurer le lien mythique du poète à sa
lyre. C’est-à-dire conserver la poésie […] et participer à la
rénovation d’un art qu’il entend libérer de ses oripeaux,
soit tout tic poétique préjudiciable à la vision du poète,
pouvant être reproduit, accaparé par un tiers. »
Avec Verlaine, la mélodie, dans une perspective analogique,
s’apparente au phore tandis que le thème devient les sensations
que produit la musicalité sur l’âme du poète. Ce qui fait percevoir
chez Alain Baudot, la démarche de Verlaine comme salutaire et
révolutionnaire dans une période où le langage poétique est en
crise. En intégrant la mélodie à la poésie, Verlaine redonne à l’art
poétique un facteur qu’il n’aurait jamais dû abandonner quand la
poésie était encore sous le joug des aèdes en passant par les
troubadours. Pour Baudot en effet, la réintroduction de la
musicalité est une mesure salutaire car depuis ses origines le
langage des muses est toujours décliner dans un rapport fusionnel
entre poésie et musique :

140
« Juste retour des choses, on commente une pièce de
musique en empruntant des comparaisons à la littérature,
et on évoque « l'atmosphère poétique » d'un lied de
Schumann. Pourtant, si la métaphore réciproque est
possible, c’est qu'elle est déjà signe d'une analogie. Le
langage des Muses a toujours apparenté Musique et
Poésie » (Baudot 1968 : p.31).

Ainsi, l’alliance de la mélodie à la poésie procède de l’analogie


qui est un instrument poétique pour rendre accessible les
sensations du poète par le truchement des rapprochements
poétique sous l’égide de la musique chez Verlaine.

Conclusion

Dans les Poèmes saturniens, la mélodie se répand dans le texte


poétique à travers des rapprochements entre l’usage des mots
émanant de la sphère musicale, l’injection d’instrument de
musique dans l’espace poétique, le rythme dans le vers et par le
choix des mots dont la sonorité revête un aspect mélodieux. En
usant de tous les artifices de la versification, Verlaine a réduit par
l’alchimie verbale le langage poétique à l’état de musique. Par
cette pratique, il opère une révolution dans le langage poétique en
redonnant à la poésie ces lettres de noblesse. Il lui permet de
recouvrer une partie de son âme antique tenue dans la mélodie.
Par ailleurs, les Poèmes saturniens est une écriture qui fait de la
musique l’un des vecteurs des sentiments et des sensations
enfouis dans l’âme du poète.

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