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Revue Akofena
PÉRIODIQUE : SEMESTRIEL
01
q
https://reseau-
mirabel.info/revue/7228/Akofena_revue_scientifique_des_sciences_du_langage_lettres_lan
gues_et_communication
02
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https://www.worldcat.org/search?qt=worldcat_org_all&q=revue+akofena
03
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http://journalseeker.researchbib.com/view/issn/2706-6312
04
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http://www.scipio.ro/en/web/revue-akofena
Directeur de Publication
ASSANVO Amoikon Dyhie, Université FHB, Côte d’Ivoire
Co-Directeurs de Publication
KRA Kouakou Appoh Enoc, Université FHB, Côte d’Ivoire
TAPE Jean-Martial, Université FHB, Côte d’Ivoire
Secrétaires Éditoriaux
ALLOU Allou Serge Yannick, Université FHB, Côte d’Ivoire
AMANI-ALLABA Angèle Sébastienne, Université FHB, Côte d’Ivoire
ANDREDOU Assouan Pierre, Université FHB, Côte d’Ivoire
ATSE N’Cho Jean-Baptiste, Université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire
BERE Anatole, Université Félix Université FHB, Côte d’Ivoire
DODO Jean-Claude, Université FHB, Côte d’Ivoire
GNABGEU Lawa Privat, Université FHB, Côte d’Ivoire
GNIZAKO Telesphore Symphorien, Université FHB, Côte d’Ivoire
GONDO Bleu Gildas, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
HOUMEGA Munseu Alida, Université FHB, Côte d’Ivoire
KONATÉ Yaya, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
KOSSONOU Kouabena Théodore, Université FHB, Côte d’Ivoire
KOUADIO Pierre Adou Kouakou, Université FHB, Côte d’Ivoire
KOUACOU N’goran Jacques, Université FHB, Côte d’Ivoire
KOUASSI N’dri Maurice, Université Péléforo Gon Coulibaly, Côte d’Ivoire
LOUA Kouassi Cyrille, Université FHB, Côte d’Ivoire
LOUM Daouda, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal
NIAMIEN N’da Tanoa Christiane, Université FHB, Côte d’Ivoire
N’GUESSAN Kouassi Akpan Désiré, Université FHB, Côte d’Ivoire
SEA Souhan Monhuet Yves, Université FHB, Côte d’Ivoire
YEO Kanabein Oumar, Université FHB, Côte d’Ivoire
YOUANT Yves Marcel, Université FHB, Côte d’Ivoire
Secrétaires de Rédaction
BOSSON BRA épouse DJEREDOU, Université FHB, Côte d’Ivoire
SIB Sié Justin, Université FHB, Côte d’Ivoire
Comptabilité
NIAMIEN N’da Tanoa Christiane, Université FHB, Côte d’Ivoire
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ALLA N’guessan Edmonde-Andréa, Université FHB, Côte d’Ivoire
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domaines des Sciences du Langage, des Lettres, des Langues et de la Communication. En
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• Notes de bas de page : Elles ne renvoient pas aux références bibliographiques, mais
aux informations complémentaires.
• Citation : Les références de citation sont intégrées au texte citant, selon les cas, des
façons suivantes :
o En effet, le but poursuivi par M. Ascher (1998, p.223), est : « d’élargir l’histoire
des mathématiques de telle sorte qu’elle acquière une perspective multiculturelle
et globale (…), »
o Le philosophe ivoirien a raison, dans une certaine mesure, de lire, dans ce choc
déstabilisateur, le processus du sous-développement. Ainsi qu’il le dit :
Le processus du sous-développement résultant de ce choc est vécu concrètement par
les populations concernées comme une crise globale : crise socio-économique
(exploitation brutale, chômage permanent, exode accéléré et douloureux), mais
aussi crise socio-culturelle et de civilisation traduisant une impréparation socio-
historique et une inadaptation des cultures et des comportements humains aux
formes de vie imposées par les technologies étrangères.
Diakité (1985, p.105)
• Conclusion : Elle ne doit pas faire double emploi avec le résumé et la discussion. Elle
doit être un rappel des principaux résultats obtenus et des conséquences les plus
importantes que l'on peut en déduire.
Autres détails relatifs aux Références bibliographiques, Conclusion, Introduction, etc., se référer
à http://revue-akofena.org/index.php/politique-editoriale/
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COORDINATEURS
SOMMAIRE
Éditorial
09 Benjamin Odi Marcellin DON, Yaya KONATE & Konan Thomas KOFFI 113
Le dioula de Côte d’Ivoire : un standard apparent en attente de standardisation
17 Wendnonga Gilbert KAFANDO, Moussa Mamadou DIALLO & Dieu-Donné ZAGRE 217
La langue, une entrave à l’intégration des participants lors des colloques scientifiques internationaux
organisés en Afrique de l’ouest
43 Le Patrice LE BI 551
Advocating for the construction of a formal apparatus of enunciative objectivity
57 Chantale KY 731
Bolibana, la cité de la diaspora ou les exclus de la société ?
LANGUES AFRICAINES
B. Nacoulma
Boukaré NACOULMA
Université Joseph Ki-Zerbo – Burkina Faso
boukare.nacoulma@yahoo.fr
Introduction
L’ère post insurrectionnelle au Burkina Faso est caractérisée par une
montée galopante de la violence sur toutes ses formes. C’est ainsi que la vie
nationale est souvent rythmée par des manifestations incendiaires et d’autres
formes d’incivisme qui gangrènent la vie sociale, entachent l’image du pays et
sapent les efforts de développement. Nonobstant les efforts consentis par les
pouvoirs publics et les organisations de la société civile pour dompter ce «
Léviathan », le phénomène de la violence demeure présent. Il colonise les esprits,
hante le pays et le fragilise. Malheureusement, les élèves et étudiants sont
souvent les principaux acteurs de cette violence. Dès lors se pose, la nécessité
d’une culture citoyenne dans les structures éducatives à partir de nos valeurs
traditionnelles. Les collèges multilingues spécifiques qui ne sont pas exemptent
Akofena çn°001 5
La contribution des proverbes moose à la promotion de la citoyenneté
dans les collèges multilingues spécifiques au Burkina Faso
de cette violence scolaire font appel aux valeurs culturelles moose pour
l’instauration d’une culture citoyenne en son sein. Cette réalité suscite en nous
des interrogations comme suit : Comment l’enseignement des proverbes moose
participe-t-il à la promotion de la culture citoyenne dans les collèges multilingues
spécifiques ? Quelles sont les difficultés de l’enseignement des proverbes qui
entravent la promotion de la culture citoyenne dans les collèges multilingues
spécifiques ? Quelles sont les stratégies pour une exploitation conséquente des
proverbes moose à la promotion des valeurs citoyennes dans les collèges
multilingues spécifiques ?
Pour notre part, au regard de l’approche de cette théorie, notre étude cadre bien
avec ces orientations en ce sens que nous abordons une dimension de ces
recommandations. Il s’agit de la contribution de la langue comme fait de la
société dans les apprentissages pour une culture citoyenne sur la base des valeurs
traditionnelles moose à partir de l’enseignement des contes et des proverbes.
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La contribution des proverbes moose à la promotion de la citoyenneté
dans les collèges multilingues spécifiques au Burkina Faso
causerie –débat l’on peut retenir ce qui suit : Le dictionnaire Le Nouveau Petit
Robert 1 (1993) définit la causerie comme étant un « entretien familier, une
conversation ». Quant au débat, il est « l’action de débattre d’une question, de la
discuter » d’où « l’idée de contestation, discussion, explication polémique ». De
ces deux définitions, on peut retenir que la causerie-débats est un échange à
bâtons rompus sur un thème donné.
Au plan pédagogique, la causerie-débats préconisée par IlBOUDO (2004)
est une séance d’animation qui offre l’opportunité aux élèves de s’exprimer, de
donner leur point de vue, de s’engager par une résolution face à un problème de
la vie quotidienne. La causerie-débats est issue de l’alphabétisation fonctionnelle
conscientisant. Dans les collèges multilingues spécifiques, le besoin d’implication
des parents d’élèves a conduit les encadreurs pédagogiques à recenser auprès
d’eux les thèmes jugés prioritaires pour l’éducation de leurs enfants. Ces besoins
sont traduits en slogans et proverbes que les élèves doivent retenir et appliquer
dans leur vie quotidienne. S’agissant de la démarche à suivre pour son
enseignement systématique, on peut retenir : Généralement, la séance de
causerie- débats se déroule selon le plan suivant :
Motivation
Présentation du problème du jour
Observation libre
● inviter les apprenant(e)s à observer l’illustration du jour ou la situation
concrète ;
● faire découvrir les éléments constitutifs de l’illustration ; compte rendu des
observations.
Discussion
Le point focal de la discussion/analyse interprète la sémantique du
proverbe et suscite l’interaction des élèves en fonction de leur culture se traduit
par un slogan. C’est au cours de cette étape capitale que le formateur doit amener
ses élèves à réfléchir, discuter, analyser la situation problématique par des
questions et des sous-questions, mais également par un éclairage technique.
Mesures et activités d’application de l’une ou des solution (s) proposée (s).
Toute leçon de causerie- débats doit déboucher sur des transformations socio-
économiques qui exigent la réalisation d’un certain nombre d’activités
individuelles ou collectives permettant la concrétisation des solutions proposées
lors des débats. L’ensemble des apprenant(e)s s’engage alors à tout faire pour la
réalisation de ces actions dans la mesure du possible, collectivement ou
individuellement.
Récapitulatif
Les apprenant(e)s avec l’aide du maître font un résumé de tous les débats.
Ils dégagent ensemble l’essentiel de ce qu’il faut retenir en rappelant : les
principales constatations faites, les principales réflexions et analyses réalisées ;
les solutions alternatives proposées ; la ou les actions envisagées (s) pour
transformer qualitativement la situation problème.
Application pratique (s’il y a lieu)
Rappel du slogan
Aidez-moi à manger mon âne, ce n’est pas être friand de viande, c’est parce que ton âne
mourra un jour et tu voudras de l’aide.
Aidez-moi à manger mon âne, ce n’est pas être friand de viande, c’est parce que
ton âne mourra un jour et tu voudras de l’aide. L’exploitation qu’on fait de ce
proverbe lors des séances de cours consiste à cultiver la solidarité entre les
apprenants sans distinction de race, d’ethnie pour une coexistence pacifique.
Kãsem yaa tãmpʋʋr sagdo : sag-sȏng be, sag-beed be / kãsem yaa tãmpʋʋr /
/aîné/être/dépotoire/ordure/ordure/bon/dedans/ordure/mauvais/dedans/aîné/
sagdo.
/être/dépotoir/
L’aîné st un dépotoir : la bonne ordure s’y trouve, la mauvaise ordure s’y trouve / l’ainé
est un dépotoir.
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La contribution des proverbes moose à la promotion de la citoyenneté
dans les collèges multilingues spécifiques au Burkina Faso
Le contenu sémantique de ce proverbe fait allusion à l’équité qui est une valeur
prônée par la communauté moaaga. L’exploitation de cette valeur à travers le
présent proverbe participe à former le futur citoyen épris de justice qui est une
composante de la citoyenneté.
Ned pa zao will la a kɛɛd-a ye / ned kȏn zao will a wẽneg n kɛɛd-a ye
/être/nég/assis/branche/nég/couper/ /être/neg/assis/branche/couper/nég/
On ne coupe pas la branche sur laquelle, on est assis.
Akofena çn°001 11
La contribution des proverbes moose à la promotion de la citoyenneté
dans les collèges multilingues spécifiques au Burkina Faso
La leçon tirée de ce proverbe est la préservation des biens publics pour les
générations actuelles et celles à venir. L’exploitation de la situation de base qu’est
le présent proverbe permet à l’enseignant d’attirer l’attention des élèves sur les
méfaits de destruction de biens publics lors des grèves et mouvements populaires
qui peuvent constituer des obstacles pour leur propre épanouissement.
Ned ba yel-somd n kȏt-a koom, t’a ma yel-sȏmd kȏ-a miuusg t’a saame.
/être/père/bienfait/donner/lui/eau/et/mère/bienfait/donner/lui/galette/delayer/
Le bienfait du père de chacun lui apporte de l’eau et le bienfait de sa mère lui apporte la
galette pour qu’il délaie.
3. Résultats de l’étude
Il ressort des enquêtes que 92% des élèves reconnaissent l’impact de
l’enseignement des valeurs citoyennes à partir des proverbes moose dans leur
comportement dans la collaboration avec les autres élèves. Pour ce qui est des
enseignants enquêtés, 96% approuvent les effets de l’éducation à la citoyenneté
sur fond des proverbes moose comme facteur d’un climat apaisé entre élève et
entre élève et enseignant en classe. Quant aux des directeurs des collèges
multilingues spécifiques enquêtés, 90% admettent l’apport de l’exploitation des
proverbes moose comme facteur de culture citoyenne des apprenants de leurs
établissements scolaires. S’agissant des encadreurs de l’enseignement secondaire
enquêtés, 85% approuvent l’influence positive de l’enseignement à partir des
proverbes moose dans la lutte contre l’incivisme en milieu scolaire. Enfin, nous
retenons des parents d’élèves enquêtés que 74% reconnaissent l’effet positif de la
culture citoyenne par le biais de l’exploitation des proverbes moose sur le
comportement extra-muros des apprenants des collèges multilingues.
5. Propositions didactiques
Les résultats de l’étude ont suscité en nous des propositions didactiques
pour promouvoir la citoyenneté à partir de la culture moaaga chez les apprenants
dont l’introduction de modules spécifiques pour l’enseignement des valeurs
traditionnelles moose à partir des proverbes dans les écoles primaires bilingues
et les collèges spécifiques multilingues qui peuvent participer à la lutte contre
l’incivisme. La prise en compte de ces modules dans les différentes évaluations
scolaires. L’accentuation de l’enseignement occasionnel pour la promotion du
vivre ensemble à partir des proverbes moose. Le recours à des personnes de
ressources pour la transmission de certaines valeurs traditionnelles moose
facteurs de la promotion de l’acceptation de l’autre et de la cohésion sociale par
le truchement des proverbes. L’exploitation des valeurs culturelles moose pour
susciter la négation du terrorisme sous toutes ses formes et les conflits
interpersonnels et intercommunautaires à partir des causeries débats dans les
collèges multilingues spécifiques. La création d’option spécifique réservée à la
formation des enseignants bilingues comme le suggère SOME (2005) peut
contribuer à la promotion des valeurs culturelles dans les écoles bilingues.
Conclusion
Au terme de notre étude dont l’objectif était d’évaluer la contribution de
l’enseignement des proverbes moose à la promotion des valeurs citoyennes dans
les collèges multilingues spécifiques, de relever les difficultés et d’y proposer des
solutions. Nous avons opté pour une démarche qualitative pour la collecte des
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La contribution des proverbes moose à la promotion de la citoyenneté
dans les collèges multilingues spécifiques au Burkina Faso
données qui a pris en compte les enseignants de trois collèges spécifiques, des
encadreurs pédagogiques, des parents d’élèves et des élèves de ces
établissements. Les résultats de l’étude ont révélé des difficultés dans
l’enseignement des proverbes moose qui ont suscité en nous des propositions
didactiques pour une bonne exploitation des proverbes moose dans
l’enseignement des collèges multilingues spécifiques. Pour ce faire, la prise en
compte des propositions didactiques au niveau des curricula, des stratégies
d’enseignement, d’évaluation et de la formation des enseignants peut améliorer
les rendements scolaires sur le plan comportemental des apprenants.
L’implication de la population par l’accompagnement des personnes de
ressource lors des séances de cours est également recommandée.
Références bibliographiques
DUMONT, P., MAURER, B. (1995). Sociolinguistique du français en Afrique
francophone, Edicef-AUPELF, 224p.
ILBOUDO, T.P. 2004. L’éducation bilingue au Burkina Faso : une formule alternative
pour une éducation de base de qualité, Dakar, La collection expérience africaines-
étude, Étude de cas national, ADEA, 256 p.
NACOULMA, B. 2018. « La problématique de transfert des aspects temporels du
mooré au français dans l’enseignement de la conjugaison dans les écoles
bilingues au Burkina Faso » in Actes du 2e colloque international de Bonoua du
laboratoire de description, de didactique et de dynamique des langues en Côte
d’Ivoire, Abidjan, CRELIS, p. 181-188.
NAPON, A. 2005. « aspects linguistiques et sociolinguistiques de l’alliance à
plaisanterie entre quelques groupes ethniques en milieu urbain », Annales
de l’université de Ouagadougou série A, vol.003, p.46-58.
SOME, M. 2005. « Éducation bilingue, une alternative au système éducatif de
base, en Afrique Pour un développement durable », penser la francophonie,
Actes des premières journées communes des réseaux de chercheurs
concernant la langue p. 421- 434
Résumé : Dans les langues sénoufo1, l’adjectif qualificatif en tant que tel est
un attribut du sujet. Selon les langues, l’on observe entre l’adjectif et le nom
qu’il qualifie, des cas d’accord en genre et en nombre (accord total), des cas
d’accord en genre ou en nombre (accord partiel), des cas de non-accord, et
un cas (cas hybride) où l’on retrouve à la fois selon l’adjectif, un accord total,
un accord partiel, ou un non-accord. A l’analyse des langues comme le
nyarafolo et le tagbana illustrent la phase initiale de l’accord entre l’adjectif
qualificatif et le nom : c’est l’accord total. D’autres langues telles que le
djimini et le nafanan illustrent la phase transitionnelle du processus
d’affranchissement de l’accord : c’est l’accord est partiel. La phase finale
dudit processus est illustrée par le nafara et le palaka qui ne marquent plus
d’accord entre l’adjectif et le nom. En définitive, la tendance à
l’affranchissent des schèmes d’accord entre l’adjectif et le nom semble être
le sort de celui-ci dans les langues sénoufo.
1 Sénoufo, c’est un terme générique qui désigne un sous-groupe de langues. A ce propos, Rongier (1996, p.
5) écrit: « …ce sont de nombreux parlers sénoufo parfois si éloignés les uns des autres que les sénoufo eux-mêmes ne
se comprennent pas ». Ce travail porte sur le le nyarafolo, le djmini, le palaka, le tagbana, le nafanan et le
nafara, des langues sénoufo du nord de la Côte d’Ivoire. YEO (2012)
Akofena çn°001 15
L’adjectif qualificatif et son accord dans les langues sénoufo
Introduction
Les adjectifs qualificatifs se définissent comme des termes qui servent
à préciser la manière d’être de quelque chose ou de quelqu’un, la qualité ou le défaut,
ou encore l’aspect d’un être, d’un objet, d’une abstraction. On les définit aussi
comme la qualité objective ou subjective d’une chose ou d’un être. Dans la
littérature linguistique africaniste, c’est l’une des catégories grammaticales la moins
étudiée. Même si on peut mentionner, à titre indicatif, les études de P. Roulon-
Doko (1994) intitulées « l’expression de la qualification en gbaya » et celles de D.
Creissels (2002) d é n o m m é e s « Adjectifs et adverbes dans les langues
subsahariennes » qui ont apportées des éléments d’analyses sur la notion de
qualification et d’adjectif qualificatif dans les langues africaines ; force est de
reconnaître que la question des adjectifs qualificatifs dans les langues africaines
reste encore problématique.
L’objectif de cette étude relative à un groupe de langues sénoufo est de
trois ordres. Le premier vise à démontrer l’existence d’adjectifs qualificatifs dans
les langues sénoufo. Le second consiste à relever les schèmes d’accord possible
de ceux-ci avec les noms qu’ils qualifient. Le dernier se résume en une analyse
comparative. Autrement dit, il s’agit de répondre au questionnement suivant :
existe-t-il, des adjectifs qualificatifs dans les langues sénoufo ? Y a -t-il, un schème
d’accord entre ceux-ci et les noms qualifiés ? Comment se manifeste l’accord de
l’adjectif dans les langues étudiées ? Qu’est ce qui explique variation des types
d’accord notés dans l’étude?
Pour conduire cette étude, nous nous appuyons sur un double cadre
théorique : la théorie fonctionnelle et la théorie comparative. La première
soutiendra l’étude des faits morphologiques et syntaxiques relevés dans chaque
langue, tandis que la seconde permettra de faire de l’analyse comparative entre
les langues sénoufo que sont : le nafara, la nyarafolo,le palaka, le tagbana, le
djimini et le nafanan. Au niveau méthodologique, les données de l’étude sont
issues d’une enquête de terrain réalisée, entre juin et juillet de l’an 2013, à Abidjan
(sud), à Ferkéssédougou (nord) et à Soko (nord-est) un village de Bondoukou en
Côte d’Ivoire. Ainsi, pour lever l’amalgame qui est fait entre la catégorie des
adjectifs qualificatifs et celle des verbes d’état et apporter la preuve de l’existence
des adjectifs dans ce groupe de langues, nous allons, dans un premier temps,
montrer la distinction entre adjectifs qualificatifs et verbes d’état. Nous
présenterons, ensuite, l’adjectif qualitatif en tant qu’épithète, puis en tant
qu’attribut ; avant d’examiner dans une étude comparative, l’accord entre
l’adjectif qualificatif en tant qu’attribut du sujet et le nom qu’il qualifie. In fine,
nous proposerons une explication historico-comparative du comportement du
schème d’accord de l’adjectif qualificatif dans les différentes langues étudiées.
Akofena çn°001 17
L’adjectif qualificatif et son accord dans les langues sénoufo
(3)
pìkpɔ́ʔɔ-ɔ̄ kokpɔ́ʔɔ-lɔ̄
Akofena çn°001 19
L’adjectif qualificatif et son accord dans les langues sénoufo
GI GII
[+Animés] [- Animés]
Genre nafanan Comptables Comptables Non-comptables
Nombre Sg Pl Sg Pl ………………
Contrairement au nafanan, dans les autres langues objet de l’étude, il existe une
stricte coïncidence entre les classes et les genres. C’est la conclusion à laquelle
arrive Yéo (2013, p. 81) quand il écrit : « En résumé, dans la plupart des langues
sénoufo, l’on dénombre entre trois et cinq classes nominales, avec une
coïncidence entre les classes nominales et les genres nominaux (Genre =Classe)
». Voir le tableau (IV)
Tableau des genres des cinq autres langues objets de l’étude (IV)
S’il y a accord entre l’adjectif qualificatif et le nom qualifié, cet accord sera fonction
du genre et/ou du nombre de celui-ci. Les nos propos de Delplanque corroborent
bien nos dires : « En ce qui concerne la qualification, l'adjectif est dépourvu de
classificateur propre au plan lexical, mais prend dans le discours le genre du nom
qualifié, au singulier et au pluriel. » A. Delplanque (1996, p. 64). Dans la suite de
cette étude, nous n’utiliserons que la notions de genres nominaux qui seront
affectés d’un chiffre romain. Ainsi, aurons-nous le genre I, le genre II, le genre III,
genre IV et le genre V que nous symboliserons respectivement GI, GII, GIII, GIV
et GV. Quant au nombre des noms dénombrables, le singulier et pluriel seront
respectivement symbolisés par Sg et Pl.
Akofena çn°001 21
L’adjectif qualificatif et son accord dans les langues sénoufo
Nous avons quel que soit le genre ( GII, GII, …GV) ou le nombre (Sg. ou Pl.)
du nom qualifié, nous notons que les adjectifs [wūɔ̄] « noir », [ɲɛ̄nígɛ̄] « rouge
», et [cārí] « petit » restent invariables. Néanmoins, nous relevons une exception,
avec l’adjectif qualificatif [kpɔ̄ʔɔ̄] « grand » au singulier qui devient [kpɔ̄liyɔ̄] au
pluriel. Dans le cas d’espèce, l’accord de l’adjectif est uniquement basé sur le
nombre.
(13)
cɛ̄li-lɛ̄ pēē wūɔ̄-lɔ̄ / ɲíɛ̰̄ɛ̰̄-nɛ̰̄ /yīrīi-lē
cɛ̄lilɛ̄ pēē wūɔ̄lɔ̄ / ɲíɛ̰̄ ɛ̰̄ nɛ̰̄ /yīrīilē
femmes elles être noire.Pl.Gr rouge.Pl.GI/ petite.Sg.GI
Les femmes sont noires / rouges / petites.
(14)
sā-ʔà kìi wūɔ̄-ʔɔ̄ /ɲíɛ̄-ʔɛ̼̄ /cíɛ̄ʔɛ̄
(15)
sɛ̄-yɛ̀ yīi wūɔ̄yɛ̄ /ɲíɛ̰̄-yɛ̼̄ /yīrī-yē
sɛ̄yɛ̀ yīi wūɔ̄yɛ̄ /ɲíɛ̰̄yɛ̼̄ /yīrīyē
maisons elles être noire.Sg.GII /rouge.Sg.GII /petite.Sg.GII
Les maisons sont noires / rouges / petites.
(17)
cɛ̰̄-gɛ̄lɛ̄ kēyē wūɔ̄-ʔɔ̄lɔ̄ /ɲíɛ̰̄-ʔɛ̄lɛ̄ /cíɛ̄-ʔɛ̄lɛ̄ (yíɛ̄gɛ̄lɛ̄)
cɛ̰̄gɛ̄lɛ̄ kēyē wūɔ̄ʔɔ̄lɔ̄ /ɲíɛ̰̄ʔɛ̄lɛ̄ /cíɛ̄ʔɛ̄lɛ̄ (yíɛ̄gɛ̄lɛ̄)
calebasse elle être noire.Pl.GIII /rouge. Pl.GIII /petite. Pl.GIII
Les calebasses sont noires / rouges / petites.
Akofena çn°001 23
L’adjectif qualificatif et son accord dans les langues sénoufo
Dans les exemples du tableau (VI) nous observons que quel que soit le genre ou
le nombre du nom qualifié dans les énoncés, les adjectifs qualificatifs [gbúgɔ̀]
« gros(se) », [ɲɛ̰̄ ligɛ̄] « rouge » et [wūɔ́] « noir(e) » restent invariables.
Akofena çn°001 25
L’adjectif qualificatif et son accord dans les langues sénoufo
(28)
cɛ̄lɛ̄ wī kṵ̀gbā̰-lā̰ /tātṵ̄-ṵ̄ /wūɔ̄
cɛ̄lɛ̄ wī kṵ̀gbā̰lā̰ /tātṵ̄ṵ̄ /wūɔ̄
femme elle être grosse.Sg.GI /petite.Sg.GI /noire.Sg.GI
La femme est grosse / petite / noire.
(29)
cɛ̄ pē kponō-ōlō /tatṵ̄-bēlē /wūɔ̄ɔ̄lɔ̄
cɛ̄ pē kponoolo /tutṵ̄bele /wūɔ̄lɔ̄
femmes elle être noire.Sg.GI /rouge.Sg.GI /petite.Sg.GI
Les femmes sont grosses / petites / noires.
(33)
cɛ̰̄gēē-lē kē kù̄ ̰̰̰̀gbā̰̰-ʔā̰lā̰ /tātū-gēlē /wūɔ̄-ʔɔ̄lɔ̄
cɛ̰̄gēēlē kē ̄ ̀
kṵ̰̰̀gbā̰̰ʔā̰lā̰ /tātūgēlē /wūɔ̄ʔɔ̄lɔ̄
calebasses elle être grosse.Sg.GIII /petite.Sg.GIII /noire.Sg.GIII
Les calebasses sont grosses / petites / noires.
Akofena çn°001 27
L’adjectif qualificatif et son accord dans les langues sénoufo
L’examen des exemples du tableau (VII) montre qu’en djimini, nous avons trois
cas de figures.1) Certains adjectifs s’accordent en genre et nombre avec les noms
qualifiés ; c’est le cas de [kpɔ̄ʔɔ̄] « nouveau ». 2) D’autres adjectifs [fɔ́ɔ́-] « gros »
ne s’accordent qu’en nombre. 3) Un troisième groupe d’adjectifs tel que [kúlō] «
petit » n’observent aucun schème d’accord.
Conclusion
L’étude révèle qu’en sénoufo, il n’existe pas d’adjectif qualificatif dans la
fonction d’épithète. En tant qu’épithète, ce sont des bases adjectivales et non des
adjectifs que l’on retrouve dans certains noms composés. Autrement dit, dans
ce groupe de langues, l’adjectif qualificatif en tant que tel est un attribut du
sujet. Concernant l’accord entre l’adjectif qualificatif et le nom, l’on observe,
selon les langues, quatre cas de figure : des cas d’accord total (genre et nombre),
des cas d’accord partiel (genre ou nombre), des cas de non-accord et un cas
hybride (où l’on retrouve selon l’adjectif, soit un accord total, soit un accord
partiel, soit encore un non-accord). Des langues comme le nyarafolo et le
tagbana où l’accord est total, illustrent la phase de départ, tandis que l’exemple
du nafanan où l’accord est partiel, illustre la première phase transitionnelle de
ce processus. Le djimini qui atteste à la fois des cas d’accord total ou partiel et
de non accord représente la seconde phase transitionnelle. Enfin, les langues
nafara et palaka qui ne marquent aucun accord ont atteint la phase finale dudit
processus. L’absence ou la réduction des schèmes d’accord entre l’adjectif
qualificatif et le nom est probablement le sort de celui-ci dans les langues
sénoufo.
Akofena çn°001 29
L’adjectif qualificatif et son accord dans les langues sénoufo
Références bibliographiques
Introduction
La littérature traditionnelle africaine donne un espace d’expressivité à
toutes les couches sociales. En effet, les enfants, les femmes et les hommes y
trouvent leur compte. Elle se distingue de celle écrite par son caractère oral. C’est
une littérature à travers laquelle la parole joue un rôle fondamental dans la
transmission des valeurs socioculturelles d’une génération à l’autre. Elle se
compose de plusieurs genres (contes, proverbes, chanson, etc.) dont la
Akofena çn°001 31
Les chansons à la meule : un art et une arme pour la femme traditionnelle Moaaga (Burkina Faso)
1. Cadre conceptuel
Il est nécessaire que dans une telle réflexion, on porte un éclairage sur des
notions en relation avec le sujet d’étude. Cela permettra d’une part, à la
connaissance théorique des concepts-clés du sujet de réflexion et d’autre part, à
une analyse efficiente des énoncés imagés dans le cadre de cette réflexion
Akofena çn°001 33
Les chansons à la meule : un art et une arme pour la femme traditionnelle Moaaga (Burkina Faso)
6 Dans le cas où la fille aurait passé la nuit dans la maison d’un amant. Cela est une transgression grave aux
us et coutumes moaaga.
7 Se faire accompagner par un neveu utérin
Akofena çn°001 35
Les chansons à la meule : un art et une arme pour la femme traditionnelle Moaaga (Burkina Faso)
supplémentaire qui l’aide au plan physique que mental à réaliser son travail.
C’est ce qui lui permet d’obtenir de la farine à l’issue de son activité.
Chanson 110 :
M sɩd biiga
« L’enfant de mon mari »
1.Mba sɩdaa, mba sɩd woooo, m ba sɩda
« Cher mari, cher mari, cher mari !»
2.M ba sɩd yeel tɩ m ka bɩɩg ye,
« Cher mari dit que je n’ai pas d’enfant »
Akofena çn°001 37
Les chansons à la meule : un art et une arme pour la femme traditionnelle Moaaga (Burkina Faso)
8.Zῖi na sobge
« La nuit tombera »
9.Kide wɛng na ta
«Les neuf mois arriverons »
10.Bɩ yʋmd na ta
« Ou une année arrivera »
Cette chanson poétique est construite en vers libres, ce qui traduit la liberté
de la femme à choisir le thème qui sied à ses préoccupations et de les exprimer
sans contrainte. Cependant, dans sa liberté créative, plusieurs procédés
stylistiques sont notables.
Akofena çn°001 39
Les chansons à la meule : un art et une arme pour la femme traditionnelle Moaaga (Burkina Faso)
1.Fomẽ taara f ma
« Tu as ta mère »
2.mamẽ taara m ma
« moi aussi j’ai ma mère »
11Chanson recueillie, le 21 janvier 2018 à Koud-yiri, auprès de YAMEOGO Noëlie, ménagère, âgée de 49
ans.
Akofena çn°001 41
Les chansons à la meule : un art et une arme pour la femme traditionnelle Moaaga (Burkina Faso)
12Chanson recueillie, le 21 janvier 2018 à Koud-yiri, auprès de YAMEOGO Noêlie, ménagère, âgée de 49
ans.
Le premier vers de cette chanson est une interrogation. Bʋẽ lam na man tɩ
taam sɩd raabo? « Que vais-je faire pour plaire à mon mari ? La femme
s’interroge sur les besoins de satisfaction de son époux. C’est une double
interrogation que revêt la question. Celle-ci s’adresse premièrement à l’époux qui
parait insatisfait au regard des travaux domestiques exécutés par la femme.
L’emploi des termes de temporalité Yibeoogo « matin » wῖndga « midi », zaabre
« soir » et yʋngo « nuit » montrent qu’à tous les moments de la journée, elle est
en activité, mais l’homme nie toujours ses efforts consentis pour lui. La deuxième
question est une auto-interrogation. Elle doute sur ce qu’elle fait pour son mari,
si cela était à la hauteur de ses attentes, car dans la société moaaga, il est du devoir
de la femme de satisfaire les besoins de son époux. Déterminée à accomplir son
devoir, elle va jusqu’à son mari pour lui demander ce qu’il attend d’elle. Mais
l’époux lui donne des réponses haineuses. Cela est illustratif à travers les vers
quatre, cinq et six de la chanson, portés par un ensemble de styles poétiques, à
savoir le parallélisme syntaxique, phonétique et rythmique ; mais également de
l’anaphore pour insister sur sa volonté de satisfaire son mari qui reste campé sur
sa position d’inimitié. Les injures de l’époux, notamment ka yam ye « idiote », pa
yã wubre ye « mal éduquée » ka bark ye « vaurienne » à l’encontre de l’épouse
malgré ses efforts de mieux faire, montre que la femme est perçue aux yeux de
son mari comme une bête de somme à qui on ne doit ni reconnaissance, ni repos.
La femme continue d’égrainer ses souffrances liées à ses activités domestiques.
Du septième vers au dixième, elle décrit comment certaines tâches sont effectuées
à l’aube.
D’abord, elle est matinale, balaie la cour, prépare la bouillie pour son mari.
En effet, la femme moaaga doit être la première à se lever, et sa première activité
est de rendre la cour propre ; après cela, faire le petit déjeuner. Tout cela est fait,
mais l’époux n’est jamais satisfait. Par conséquent, il passe de la menace verbale
Akofena çn°001 43
Les chansons à la meule : un art et une arme pour la femme traditionnelle Moaaga (Burkina Faso)
à celle physique. Pour mettre en évidence la violence dont elle a été victime, elle
joue sur le [kudu] /battre/. Il l’emploie trois fois « kudu-kudu-kudu » en vue de
dramatiser son mal. La femme confuse et désespérée s’interroge toujours enfin
de chanson, comme il l’a fait au début. Ce qui montre qu’elle n’a pas trouvé
réponse à sa question de savoir ce qu’elle doit faire pour plaire à son époux. Elle
réalise que la fin de sa souffrance n’est pour demain, car son mari n’aura jamais
d’estime pour elle et les critiques acerbes à son encontre seront permanentes.
Dans cette chanson, la femme se présente en victime et dénonce du même coup
les exactions de son mari, qu’elle subit.
Toutefois, les chansons à la meule ne sont pas exclusivement une
expression d’amertume et de désespoir, elles peignent souvent des sentiments
d’euphorie de la femme vis-à-vis de son mari. Mais sans s’opposer à la
polygamie, les rapports entre coépouses sont empreints d’inimitié, de jalousie,
de persiflage.
1.M werd-m ki
« Je mouds mon mil »
2.M werd-m ki
« Je mouds mon mil »
3.M werd-m ki
« Je mouds mon mil »
13 Chanson recueillie, le 27 janvier 2018 à Poa, auprès de ZONGO Awa, ménagère, âgée de 51 ans.
alors que la femme mal aimée court dans tous les sens pour chercher sa meule.
Dans cette chanson, la femme en écrasant son mil à la meule attend
impatiemment son époux et ses enfants, mais tourne sa coépouse en dérision. Dès
les premiers vers, elle traduit sa joie d’être à la meule à travers un style
anaphorique construit dans un parallélisme syntaxique, sémantique et
phonétique : « Je mouds mon mil ». La femme continue d’exprimer son euphorie
à travers les vers quatre et cinq en se souvenant des êtres qui lui sont chers : m’ba
sid « cher époux », kombi « enfants ». Elle fait coïncider la fin de l’écrasement du
mil avec l’arrivée de son mari et de ses enfants quand on sait que tô rime avec
farine. Dans la société moaaga, la bonne femme doit accueillir son mari et ses
enfants qui reviennent des champs, de voyage ou de marché avec de la
nourriture. Ainsi, étant à la meule, elle est sur la bonne voie pour remplir ce
devoir. Par contre, elle trouve que sa coépouse étourdie ne pourra pas remplir
son devoir envers son mari puisqu’elle peine à trouver sa meule. C’est pourquoi
au vers sept, elle s’en félicite et traite sa coépouse de pυg-beoog « mauvaise
femme » et implicitement, elle se prend pour une pυg-rυmde « femme préférée ».
Au-delà de la raillerie dont est empreinte la chanson, elle a une
connotation méliorative. Loin d’être narcissique, elle montre que chaque femme
doit mériter l’attention de son époux à son image. Les femmes désordonnées,
insoucieuses de leur mari comme sa coépouse qui ne sait pas où se trouve sa
meule à cause de sa négligence, ne peuvent pas avoir l’amour de leur époux.
Conformément à la sagesse moaaga qui enseigne que : pag n manda meg rυmde
« c’est la femme qui se fait adorer ». Si dans la plupart des chansons féminines
exécutées à la meule attraient aux relations entre époux, épouse et belle-mère, le
pυgsada « jeune fille » s’invite à l’exercice d’expression de ses réalités sociales à
travers la chanson.
M pυgdba
«Cher tante »
Akofena çn°001 45
Les chansons à la meule : un art et une arme pour la femme traditionnelle Moaaga (Burkina Faso)
5.Pag be nimbãanga
« La femme est pitoyable »
10.Wa ye he he he,
« Wa ye he he »
Dès les deux premiers vers de la chanson, la jeune fille expose ses
insuffisances en matière de moulage de mil à la meule. Elle accuse sa tante de
l’exposer aux critiques moqueuses de ses camarades du fait qu’elle ne maitrise
pas le travail de la meule. Mais au troisième vers, elle réalise qu’elle est
responsable de son échec, car elle n’a même pas appris à faire la vaisselle quand
elle était dans la cour paternelle. Cette méconnaissance la fait souffrir et elle le
fait savoir à travers les vers quatre, cinq et six. En effet, dans un style
anaphorique, elle met la femme en évidence en vue d’insister sur sa souffrance
au foyer. Elle dépeint son problème personnel en préoccupation générale de
toute femme. En d’autres termes, elle n’est pas la seule à vivre cette réalité. Face
aux difficultés auxquelles elles font face, elles n’ont que leur bouche pour se
défendre ou se protéger à l’image de kafika « éventail ». De cette façon, on
comprend avec B. Slama (1981, p.54) que « parler, c'est d'abord agir. La parole est
comme une arme redoutable et qu’on l'utilise pour attaquer et pour se défendre ».
Déjà vulnérable, elle supplie sa tante de ne pas l’exposer aux hommes qui
sont des courtisans voraces. Son expression zãmbɛɛla « coucher sur le dos »
symbolise les dispositions de relations sexuelles. Elle demande la protection de
sa tante qui joue le rôle de parent, de ne pas l’abandonner dans les mains des
hommes. Toutefois, il est admis chez les Moose, que c’est la tante qui initie son
pυɩgdenga « fille de son frère » à l’activité sexuelle. Elle peut aller jusqu’à la marier
à un homme de son choix, issu souvent de la famille de son mari. Mais au-delà
de ses carences en matière d’activités ménagères et de ses souffrances liées à cela,
elle montre qu’elle est au cœur de la convoitise des hommes grâce à son charme.
De façon métaphorique, elle se compare à un veau dans une ferme à l’image de
la concession familiale : « Il y a un veau dans la ferme ». Aussi les hommes
susceptibles de la convoiter sans succès par faute de moyens sont représentés
métaphoriquement par des handicapés qui ne peuvent avoir accès à la ferme
pour attraper le veau gras :
Dans ce passage, elle donne un message fort aux hommes, que la femme
malgré ses insuffisances au plan éducatif reste une proie réservée aux plus
offrants, donc à ceux qui ont les moyens. De ce point de vue, la femme a une
double qualité celle liée à son éducation et à son charme. Ainsi, la jeune fille dans
la chanson, consciente de ses carences éducationnelles met en évidence ses
qualités physiques qui ne laissent personne indifférente. De ce qui précède, que
peut-on retenir ?
Conclusion
Le contenu des chansons étudiées révèle les dessous de la réalité
existentielle de la femme et de la jeune fille. Cela apparait comme une force
exécutoire favorable à sa survie. Ainsi, la femme « vide-t-elle son ventre » pour
se libérer de l’énergie douloureuse qui gîte en elle. Il ressort de l’analyse
ethnolinguistique que l’activité de moulage à la meule au cours de laquelle, les
chansons sont exécutées, est l’un des cadres par excellence d’expression de la
littérature féminine sous forme satirique. Ensuite, dans ces chansons, on y trouve
Akofena çn°001 47
Les chansons à la meule : un art et une arme pour la femme traditionnelle Moaaga (Burkina Faso)
de l’art, car elles sont effectuées dans un style poétique et poétisé à travers la
prosodie, la morphosémantique, la syntaxe et le lexique. Enfin, cet art féminin
représente pour la femme son arme, dans la mesure où son but est d’attaquer ou
d’interpeler.
Références bibliographiques
BODIN Louise. 1919. « Les idées féminines », dans La Forge, cahiers 11 et 12,
CALAME-GRIAULE Geneviève, 1979, « Colloque ʺthéorie et méthodes de
l’ethnolinguistiqueʺ, dans Journal des africanistes, volume 49, numéro, 1979,
p. 163.
DIENG Bassirou. 2010. « L’amitié dans le conte ouest-africain comme instrument
de régulation et d’intégration », in Éthiopiques, n°84, 2010, p.13.
DORAIS Louis-Jacques. 1979. Anthropologie du langage, [en ligne]
http//www.ca/classiques des sciences sociales. Consulté, le 06/12/2017.
KABORE Oger. 1993. Les oiseaux s’ébattent. Chansons enfantines, L’Harmattan.
MOUNKAILA Fatoumata. 2013. « Poésie du pilon ou « duuru-ga yaasey » et
modèles socio-économiques en changement », dans Cahiers du CELHTO.
MOUNKAILA Fatimata. 2008. Anthologie de la littérature orale songhay-zarma.
Textes récréatifs : chants et histoires d’amour, formes théâtralisées des airs de jeux
de danses, critique sociale indirecte, Paris, L’Harmattan.
NOKE Simond. 2010. « La Critique Littéraire Africaine et le Colloque de Yaoundé
de : l’appropriation littéraire » in Littérature communautaire en [ligne] http :
//www.whisperingsfalls.over.blog.com, consulté le 17/07/2013, 16 p.
NDIAYE Raphäl. 1985. « Littérature orale et structuration sociopolitique en pays
sereer », dans Ethiopiques n° 42, volume III n°3.
SLAMA Béatrice. 1981. De la « littérature féminine » à « l'écrire-femme » :
différence et institution, dans Littérature, n°44, 1981.
Abstract : The vowel [a] appears from the point of view of the externalization
of sounds of our languages as the first pronounced vowel at the stage of the
language acquisition. Then afterwards, the other sounds come in the
language till the age of maturity where the peak of the formation of sentences
comes in line of sight. This vowel following the example of the other
languages of the world is employed as a syntactic, morphological and
phonetic element in Agni. It is essentially about enlighten its different usage
in order to demonstrate the multifunctionality of this last one.
Introduction
L’Agni est une langue ivoirienne issue du groupe kwa. De ce groupe, l’on
note plusieurs variétés dialectales (Cf. Ehiré 2009). Mais ce qui est intéressant
pour ces variétés est qu’elles partagent à quelques différences près le même
système phonologique comportant 14 voyelles et 25 consonnes. De ce système,
notre attention s’est focalisée sur la voyelle "a" pour une raison essentielle. En
effet contrairement aux autres, elle est susceptible de jouer plusieurs fonctions
dans la langue agni. L’objectif ici est de montrer que cette multifonctionnalité
permet de révéler l’importance de cette voyelle. Pour ce faire, nous nous
appuierons sur les théories de la grammaire générative initiées par Chomsky afin
de mieux appréhender cette multifacette. Notre travail se subdivisera en trois
parties. A savoir : la voyelle [a] du point de vue de la phonétique, la manifestation
Akofena çn°001 49
Multifonctionnalité de la voyelle [a] en agni
de la voyelle en morphologie et enfin le rôle joué par cette dernière dans les
constructions phrastiques.
Par les exemples en (3) et (4) nous notons que pour un item donné, soit les
voyelles sont [+ATR] soit [-ATR].
(03)
tiké « ouvrir »
kùló « aimer »
kpúlé « écureuil »
(04)
bɔ̀lɔ̀ « balle »
sɛ̀cɪ́ « détruire »
Dans ces exemples, deux groupes se dégagent. Le premier (3) montre que les
voyelles sont toutes [+ATR] et le second (4), [-ATR]. La langue n’accepte pas qu’il
y ait dans un même item la conjugaison de voyelles (+ATR/-ATR). Cela est
démontré par l’exemple qui suit :
(05)
*t ì k ɛ́
| | | |
C V C V
| |
[+ATR] [-ATR]
(06b)
bʊtá « blesser »
kálɛ̀ « dette »
Akofena çn°001 51
Multifonctionnalité de la voyelle [a] en agni
(06c)
kàlá « nouer »
kpàtá « demander pardon »
dàká « mentir »
Dans ces exemples, [a] se conjugue aussi bien avec les voyelles [+ATR] (6.a), avec
les voyelles [-ATR] (6.b) qu’avec elle-même (6.c). Au total, nous retenons qu’au
regard de la phonologie, la voyelle [a] est un constituant vocalique primitif se
conjuguant aussi bien avec les voyelles [+ATR] qu’avec les voyelles [-ATR] du
point de vue de l’harmonie en vigueur dans la langue. Toutefois, son occurrence
à certains niveaux de l’agni démontre qu’elle ne se limite pas à cette seule
manière d’être appréhender.
(07b)
kɛ̀lɛ́ « Ecrire » ® ɛ̀hɛ̀lɛ « écriture »
bɪ̀lɪ́ « Tordre » ® ɛ̀bɪ̀ljɛ̀ « Le fait de tordre »
tá « Briller » ® ɛ̀ta « Le fait de briller »
(07c)
sɔ̀nɪ̰ ́ « Baptiser » ® àsɔ́nɪ̰ ́ «Église »
ɟɥɪ̀nɪ̰ ́ « Réfléchir » ® àɟɥɪ̀nɪ̰ ́ « Mémoire »
nʊà̰ « Bouche » ® ànʊà̰ « Porte»
Akofena çn°001 53
Multifonctionnalité de la voyelle [a] en agni
(11)
DP
|
D’
GP D
NP G’
G XP
|
à
Les exemples qui suivent viennent étayer nos propos.
(12a)
kòfí à ɟé è
/Koffi / Génitif/ dent+Def/
« La dent de Koffi »
(12b)
k̀akú à sʊ̀
/Kacou/ Génitif/ locatif/
« Sur Kacou »
GP D
NP G’
G XP
| |
kofi à ɟé è
« La dent de Koffi »
Akofena çn°001 55
Multifonctionnalité de la voyelle [a] en agni
(14)
DP
|
D’
GP D
NP G’
G XP
| |
kofi à sʊ
Nous retenons que la voyelle [a] est la tête fonctionnelle du syntagme génitival
en agni. Elle met en relation deux substantifs dont l'un est un déterminant et
l'autre un déterminé.
(14b)
sɛ̀ bà ŋgá̰ má̰. à̰ bàtʊ́má̰ à lɔ́ ɲɔ́ má
/si/3PL+Acc1/Neg (N...mà̰ +dire/CONJ/enfant+Def/Neg (N...ma…́) +
Fut/ faire/
« S’ils ne le disent pas, l’enfant ne le fera pas. »
Cette voyelle vient encore une fois faire parler d’elle au niveau de la syntaxe. En
effet elle participe avec obligation à la construction des énoncés complexes (CP)
de type hypothétique.
Conclusion
Tout au long de cet article, il a été question de la voyelle [a]. Il ressort que
cette dernière transcende les seuls domaines de la phonétique et de la phonologie
pour se manifester tant en morphologie qu’en syntaxe. En effet, [a] au vu de nos
analyses démontre qu’elle ne peut être réduite à une simple voyelle ou segment
phonétique mais doit être analysée comme un fait morphématique et syntaxique.
Ainsi donc, cette voyelle est à mesure de servir de marque aspectuelle, de préfixe
nominal, de tête de syntagme (GP) et de conjonction dans les énoncés complexes
(CP) de type hypothétique.
Références bibliographiques
ABNEY, S., 1987. The English noun phrase in its sentential aspect, MIT, Cambridge.
ADOU, A.G., 1986. Étude phonétique des voyelles et des tons de l’Agni indénié, ILA.,
Abidjan.
CHOMSKY N. et HALLE M., 1968, The sound pattern of English, New-york, (trad.
Fr. : Principe de phonologie générative), Paris, Ed. Seuil, (1973)
EHIRE L. 2009, L’àfɪ̰ ̀ má (parler agni de la S/P de Maféré) : étude phonologique et
grammaticale. Thèse de Doctorat unique, université de Cocody.
Akofena çn°001 57
Multifonctionnalité de la voyelle [a] en agni
LA FOCALISATION EN MOORÉ
Introduction
Selon G. Manessy (1975), le mooré appartient au groupe des langues Oti-
volta occidental de la famille voltaïque des langues Niger-Congo. Il est parlé
par les moosé, un peuple occupant traditionnellement la partie centrale du
Burkina Faso » N. Nikiema, 1998. L’on convient avec P. Malgoubri (1988) que le
mooré connaît quatre dialectes à savoir : le dialecte central, qui regroupe les
régions du Centre, Est et Ouest ; le dialecte yaadre, au Nord-Ouest ; le dialecte
yaana, au Sud-Est et le dialecte zaoore, également au Sud-Est. Des quatre
dialectes, nous nous intéresserons au dialecte central. En effet, ce dernier a fait
l’objet de diverses descriptions syntaxiques y compris la focalisation. À notre
Akofena çn°001 59
La focalisation en mooré
[…] une projection maximale de la catégorie fonctionnelle Inflexion, qui est interprétée
syntaxiquement comme le complément de C, dont la projection maximale, CP, est le
niveau de représentation supérieur de la phrase.
Moeschler et Auchlin (2005, p.92)
0.2.Cadre méthodologique
La collecte des données s’est faite à partir d’un questionnaire grammatical,
constitué de phrases à constituants focalisés. Ces phrases ont été formulées à
partir des ouvrages traitant des faits de transformations comme E. Biloa (1998),
de A. Liptako (2001), C. Tellier (2002), de J. Moescher et A. Auchlin (2005). Les
données ont été recueillies auprès d’un informateur natif de la langue étant
entendu que « Les phrases que les locuteurs natifs jugent bien formées, c’est-à-dire
conformes à la syntaxe de leur langue, sont dites grammaticales ; les phrases mal
formées sont dites agrammaticales » (C. Tellier, 2002, p12). Le corpus est transcrit
orthographiquement en se référant à P. Balima (1997) qui applique le Raabo du
30 septembre 1986 fixant l’alphabet et le code orthographique du mooré.
1
Les auteurs se réfèrent à l’arbre syntagmatique
Akofena çn°001 61
La focalisation en mooré
(1b)
yaa biigã n di mui rundã
C’est/enfant.déf/ compl./ manger.acc/aujourd’hui
V.at+S.F+ compl.+V+O+Cir. (Structure linéaire)
« C’est l’enfant qui a mangé du riz aujourd’hui. ».
(2a)
peosgã jũ kooma
mouton.déf/boire.acc/eau
S . +V + O (Structure linéaire)
« Le mouton a bu l’eau. ».
(2c)
yaa peosgã n jũ kooma
C’est/ mouton.déf/ compl./ boire.acc/eau
V.at.+S.F.+compl.+V+O (Structure linéaire)
« C’est le mouton qui a bu l’eau. »
[C1’’ [I1’’ V.at. ∆ [C2’’ n [I2’’ ti [V’’ N’’ sujet V O/Cir ]]]]]
Akofena çn°001 63
La focalisation en mooré
Par exemple, {biig}, en tant que sujet de la phrase (1) occupe la position de
spécifieur de V’’ en structure D. Cette position à l’intérieur de V’’ lui permet de
recevoir du verbe un rôle sémantique approprié. Il reçoit de {di} « manger », le
rôle sémantique d’agent. Mais, étant donné qu’il doit recevoir de I un cas
nominatif, il se déplace pour se placer à l’intérieur de I’’, plus précisément à la
position de spécifieur de I’’. Ce déplacement n’est pas suffisant pour rendre
compte de la grammaticalité de la phrase. Il faudra ensuite appliquer un
second déplacement pour que la phrase soit grammaticale. N’’ doit se déplacer
et aller occuper la position de complément du verbe copule {yaa} qui exige un
complément pour la grammaticalité de la phrase ; ce qui explique que {N’’} ne
peut occuper aucune autre position en surface que celle de foyer (complément de
{yaa}). En voici une illustration.
(4)
[C1’’ [I1’’ yaa biigi [C2’’ n [I2’’ ti [V’’ ti di mui ]]]]]
(6a)
Amusa wata rundã
Moussa/venir.inac/aujourd’hui
S/V/Cir.
« Moussa vient aujourd’hui »
(6b)
Yaa rundã la amusa wata
C’est/aujourd’hui/compl./moussa/venir.inac.
V.at/O. F/compl./S/V
« C’est aujourd’hui que moussa vient. ».
Akofena çn°001 65
La focalisation en mooré
[C1’’ [I1’’ V.at N’’ O/Cirj [C2’’ la [I2’’ N’’ [V’’ V tj ]]]]]
En effet, dans les phrases (4) et (5), les nominaux {mui} « riz » et { rundã}
« Aujourd’hui », respectivement objet et circonstant doivent être normalement
postposés au verbe. Mais ils se retrouvent à la position de foyer dans chacune
des phrases. Du point de vu structural, ces nominaux se déplacent
respectivement de la position de complément et d’adjoint dans le syntagme
verbal (dans I2’’) vers la position d’accueil : complément de {yaa}. En quittant,
ils laissent dans leurs positions d’origine une trace tj. . (S. Sib.,2017, p.368)
affirme que : « Cette place symbolisée t est coïncidée avec le constituant déplacé
avec qui elle forme une chaîne ». Les exemples ci-dessous illustrent les
déplacements du constituant objet et circonstant.
- Le déplacement de l’objet {mui} vers la position de foyer
(7)
[C1’’ [I1’’ yaa muij [C2’’ la [I2’’ a [V’’ rita tj ]]]]]
(10)
yaa rundã la amusa wata
Etre.acc /aujourd’hui/compl./moussa/ venir.inac
« C’est aujourd’hui que moussa vient. »
(11)
mui la a dita .
riz.sg/ Compl./ Il(elle)/manger. inac.
« C’est du riz qu’il (elle) mange. »
(12)
rundã la amusa wata.
être.acc /aujourd’hui/compl./moussa/ venir.inac
« C’est aujourd’hui que moussa vient. »
Akofena çn°001 67
La focalisation en mooré
Références bibliographiques
BALIMA P. 1997. Le Mooré s’écrit ou manuel de transcription de la langue Mooré.
Ouagadougou, Promo-Langue, 167p.
BILOA E. 1998. La syntaxe générative : la théorie des principes et des paramètres,
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- Abréviations
V’’ : syntagme verbal déf : défini
V : verbe Cir. : circonstant
V.at: verbe attributif C’’ : proposition
Sg:singulier acc : accompli
O: objet + : frontière entre constituants
N’’ : nominal Inac : inaccompli
I’’ : phrase
Introduction
La littérature sur les anthroponymes dans les langues africaines, en
particulier les langues ivoiriennes montre que le nom propre, en plus de sa
fonction de désignation, (le fait qu’il renvoie à un individu du monde réel) est
porteur de sens. N'goran-Poame (2006) s’inscrit dans cette même veine
lorsqu’elle dit :
Si l'analyse des anthroponymes ou noms propres de personne du baoulé
permet de confirmer la thèse de l'aridité syntaxique apparente du nom
propre, il en va autrement de celle qui pose son caractère asémantique. Car,
contrairement aux noms propres du français ou de l'anglais, ceux du
baoulé semblent permettre d'affirmer sans ambages que le nom propre a un
sens.
N'goran-Poamé (2006, p.198)
69
Akofena çn°001
De la francisation des anthroponymes bron aux problèmes de référence :
une analyse morphosémantique
de montrer que les noms propres bron sont significatifs et dénotent toujours des
individus et des objets du monde.
§ changements phoniques
Les changements phoniques consistent à supprimer, à ajouter ou à
changer un phonème d’un nom propre. Ces modifications affectent le mot, au
point même de perdre son sens ou de ne plus renvoyer au même référent.
Presque tous les noms que nous portons dans les sociétés africaines sont
aujourd’hui francisés. Ces modifications se manifestent à deux niveaux de la
structure interne du nom. Elles se situent le plus souvent, dans cette langue, en
position médiane et en final du nom.
-Position médiane
Il s’agit de la substitution ou de la suppression de certains phonèmes
vocaliques mais quelque rare fois les consonnes en milieu du mot. Ce
changement est dû en grande partie aux exigences du système phonétique ou
phonologique de la langue française. Considérons les exemples suivants :
(1)
Non-francisés Francisés
a) mùrùfìé Morifié / [morifie]
b) cɩ̀rɛ̀mɛ́ Krémé / [kreme]
c) Jɛ̀bwá Yobouah / [Jobwa]
71
Akofena çn°001
De la francisation des anthroponymes bron aux problèmes de référence :
une analyse morphosémantique
-Position finale
A ce niveau, le procédé consiste à supprimer, à ajouter ou à changer des
phonèmes vocaliques en fin de mot. Soit les exemples en (3) ci-après :
(2)
Non-francisés Francisés
a) bràfɷ̄ Brafo / [brafo]
b) bwɔ̀ Bouo / [bwo]
c) kwàbénà̰ Kouabena / [kwabena]
En (2-a) la voyelle finale /ɷ/ du nom bràfɷ̄ est substituée par la voyelle /o/.
Cette transformation se justifie par le fait que, le / ɷ/ n’existe pas en français.
Elle a donc été remplacée par le /o/ la voyelle la plus proche. Dans l’exemple
(2-b), le nom bwɔ̀ devient [bwo]. La voyelle /ɔ/ a donné place à la voyelle /o/.
Un tel changement a lieu parce qu’en français le /ɔ/ n’apparait pas en fin de
mot. L’exemple 2-d (kouabenan), qui est la transcription de [kwàbénà̰], perd la
lettre ‘’n’’ en fin du nom après l’avoir francisé. Nous remarquons en 2a, b) que
les voyelles [–ATR] (ɷ, ɔ) deviennent [+ATR] (o). En 2-c) la voyelle nasale se
désanalise pendant la francisation.
(3)
a- le nom bwɔ̀ après l’avoir francisé devient bwó. D’où les définitions
suivantes :
- bwɔ̀ : avant francisation, renvoie à caillou en français (« une pierre de
petite dimension » cette appellation parce que les parents ou les ancêtres
adoraient ou adorent le caillou. Ça veut vouloir signifier aussi un enfant
résistant).
- bwó : nom francisé, veut dire respect (« un sentiment de
considération, d’égard envers quelqu’un ou quelque chose»).
b- bḭ́nḭ̀ (masculin)/bḭ́nḭ̀wa (féminin) veut dire : « puissant, fort, invincible »,
après francisation devient bini ou biniwa.
- Bini désigne « l’excrément au sens dénoté, au sens connoté, c’est adopté
une mauvaise attitude en vers une personne ».
c- ábā̰ná̰ « le nom d’une fille née un mardi », devient ábrà̰ après l’avoir
francisé.
- ábrà̰ est « l’écorce d’un arbre mort ».
Nous avons dans les exemples ci-dessus un changement total de sens entre
noms francisés et ceux qui ne le sont pas.
-Perte de sens
Il y’a perte de sens lorsque le nom francisé n’existe pas dans le lexique ou ne
renvoie à aucun objet ou événement dans cette langue. L’exemple en (5) illustre
cela.
(5)
a) Morifié : est asémantique, il n’existe pas dans cette langue. Mùrùfìé 2, lui
a un sens qui est le suivant :
∀x [mùrùfìé] (x) → personne (x) ˄ né vendredi saint (x) ˄ appelé mùrùfìé (x)]
« Il est nécessairement vrai pour tout x que si x est mùrùfìé, alors x est une
personne et x est née vendredi saint appelé mùrùfié ».
2 Mouroufié [mùrùfíé] est le vendredi qui précède ‘’fͻ̀mɩ̰ ́mɩ̰ ̀nɩ̰ ̀ ’’ : le samedi premier jour interdit de la
semaine en pays bron. Ce vendredi a lieu chaque 49 jours appelé en abron dādỳánà̰. C’est ce nom qui est
donné à la fête d’igname. Elle marque la nouvelle année.
Par jour interdit, il faut entendre le jour auquel il est interdit de traverser certains fleuves et rivières en
pays bron pour des travaux champêtres. Et il en existe deux que sont : fↄda et n’guida. Il y’a deux jours
d’intervalle entre le premier et le second.
73
Akofena çn°001
De la francisation des anthroponymes bron aux problèmes de référence :
une analyse morphosémantique
« Il est nécessairement vrai pour x que si x est bↄ̀fwↄ́, alors x est personne et x
est un chasseur».
∀x kúmà̰ (x) → deuxième enfant d’une mère (x) ˄ né même jour que le premier
enfant (x).
Exemple (9)
Morifié3, Bini, sroma4, Assaré ou Assalé etc. n’appartiennent plus à l’univers
des noms propres bron. Nous assistons ici à la création d’un nouvel univers, qui
n’est ni abron ni français. Si ces noms n’appartiennent pas à l’univers des
anthroponymes bron comme on le dit, c’est qu’il peut engendrer un autre type
de problème tel que celui d’identité.
3 La récurrence du nom Morifié (Mouroufié) s’explique par sa puissance à illustrer les arguments ou les
idées dans ce travail.
4 La déformation de ǹzɷ
̰ ́ rɷ̰̀má, étoile en français.
75
Akofena çn°001
De la francisation des anthroponymes bron aux problèmes de référence :
une analyse morphosémantique
géographique d’une population, sur sa stabilité ethnique ou sociales » cité par Garneau
(1985, p.35). Houis (1963) ne reste pas indifférent de cette idée. Il démontre que
les « noms individuels chez les Mosis d’Afrique noire constituent avant tout des
messages identifiables morphologiquement et sémantiquement » (Cf. Houis 1963,
p.35). Le nom propre, au-delà du fait qu’il soit porteur de sens ou désignateur,
véhicule des messages très importants ou encore des valeurs culturelles dans
nos sociétés. L’individu à qui on attribue le nom porte en lui sa culture et les
valeurs de son peuple. C’est pourquoi l’étude des onomastiques est un champ
convoité par les disciplines comme la psychanalyse, et l’anthropologie. Irie Bi
Tié (2016 :138) soutient cette même assertion. Il affirme :
Sur le point de la question des anthroponymes africains, il faut déjà
remarquer que plusieurs disciplines sont intéressées par la problématique
mais elles n’ont ni la même démarche ni les mêmes objectifs ».
Irie Bi Tié (2016, p.138)
Il s’agit ici, en grande partie des noms propres africains compte tenu de
leur richesse.
« Pour l’anthropologie, le nom est donc un outil de classement (ligné,
positions sexuées, de rang, de naissance, de prestige etc…), il porte des
significations (sur le nommeur, ses origines ses devoirs, ses désirs, sa
société ; sur le nommé …) et peut rendre compte de l’identité de l’individu
s’il est étudié sous tous ses angles.
Garneau (1985, p.37)
Le rapport entre l’identité et les noms propres est tellement fort qu’il est
souvent difficile de les dissocier.
Mais, la francisation vient remettre en cause cette démarche. Avec ce
phénomène, les anthroponymes bron perdent leurs valeurs de sémanticité et de
détermination identitaire. Aujourd’hui, certains noms ne sont plus des canaux
de détermination, de l’origine, de la langue et même de l’identité des individus
qui les portent. En effet, il est difficile voire impossible de donner l’origine de
certains individus à travers leurs noms, Car cette modification accrue proscrit
ces noms de l’univers des anthroponymes bron. Comme exemple nous avons :
(10)
Il n’est pas aisé de donner l’identité d’une personne qu’on désigne sous les
noms Morifié,Agama, kreme (…) tous francisés. Ces noms ne donnent aucune
piste pouvant permettre de les identifier dans telle ou telle communauté
linguistique.
noms dans les peuples ivoiriens en particulier chez les akans. N’goran-Poamé
(2006) dans son étude sur la nature et le sens des anthropologies du baoulé
démontre bien cela. Elle dégage deux catégories de nom propre que sont : les
noms propres contraints et les noms propres libres. La première catégorie :
Celle des noms propres contraints, est constituée de noms dont l'attribution
est sous-tendue par l’ensemble de lois globalement liées aux modalités de
la naissance de l'individu.
N’goran-Poamé (2006, p.198).
Elle comprend les noms propres hebdomadaires (correspond aux sept Jours de
la semaine), les noms propres ordinaux (aux positions suivantes dans l’ordre
des naissances d’une famille) et gémellaires (aux enfants nés le même jour
d’une même mère). Les noms propres libres, la deuxième catégorie, correspond
aux noms attribués à l’individu pour des raisons d’ordre événementiel. Il s’agit
des noms propres religieux. Ce sont des « individus dont la naissance ou la survie a
été favorisée par un objet divin ». A cela, s’ajoute 1es noms propres circonstanciels.
Ils sont des noms qui rappellent « les circonstances heureuses ou malheureuses qui
ont marqué la naissance de l'individu » (idem). Telles sont les conditions
d’attribution des noms propres des personnes chez les akans en particulier chez
les baoulé. Ces règles d’attribution des noms propres du baoulé diffèrent
légèrement de celles du bron. Certains noms propres libres de l’abron de la
sous-catégorie des noms propres religieux ne semblent pas illustrer la thèse
selon laquelle ces noms sont considérés comme des noms propres libres. En
effet, certains noms religieux de l’abron peuvent être classés dans la catégorie
des noms propres contrains, car ils sont spécifiques ou liés aux sept jours de la
semaine. Ce sont des noms qui correspondent aux jours des cérémonies
religieuses. Il s’agit ici des jours saints en pays abron. Nous avons les noms
suivants :
Exemple (11)
a) Mùrùfié : un vendredi saint et c’est ce jour-là que la nouvelle année est
célébrée en pays bron. Cette cérémonie est appelée la fête des ignames
pour adulte.
b) fódjó:5 un lundi saint, jour de la fête des ignames pour enfants
c) fófìé6 : aussi un vendredi saint, c’est aussi ce jour-là que les féticheurs
fêtent l’igname.
77
Akofena çn°001
De la francisation des anthroponymes bron aux problèmes de référence :
une analyse morphosémantique
les sociétés africaines respectent une certaine règle. Cependant, d’où vient l’idée
de patronymie qui parfois fait entorse à ces règles d’attributions des noms
propres ?
Créations artificielles, si l’on peut dire, l’état civil et le patronyme qui ont
été en quelques sortes imposés à la population locale, ont été bien souvent
mal compris par celle-ci. Ce qui a donné lieu, au niveau formel et
sémantique, à des modes de nomination nouveaux, souvent en complète
inadéquation avec les schèmes anthroponymiques traditionnels.
Yermeche (2005, p.61)
Les exemples en 8) illustrent bien ce fait. Nous avons les noms suivants :
(8)
a-) Mouroufié Kouakou [mùrùfié kwaku]
b-) Fofié Kouadio [fófìé kwádJó]
c-) Fofié Kouakou [fófìé kwákù]
d-) Fodjo Yao [fóɟó Jàɷ̄]
e-) Nguifié Kouame [ǹɟífié kwám]
f-) Nguibinan Kossua [ǹɟíbìnà̰ kòsỳá]
Comme nous l’avons dit plus haut, les noms en gras sont spécifiques à des jours
de la semaine. Logiquement, ils ne peuvent pas être associés à d’autres jours de
la semaine comme c’est le cas en 8, car ce sont des combinaisons qui ne tiennent
pas. Mouroufié correspond à un nom comme Koffi ou Affia (une personne de
sexe masculin ou féminin née un vendredi). Fofié également à Koffi ou Affofié
à Affia (une personne de sexe masculin ou féminin née un vendredi) mais ne
correspond pas aux mêmes évènements. Quant à Fodjo, nous avons Kouadio
ou Adjoua (une personne de sexe masculin ou féminin née un lundi jour
interdit). Attribuer ces noms à des personnes nées un jeudi, mercredi ou lundi,
(l’exemple en 8) n’est pas admissible vu leur valeur sémantique ou leur
signification.
Conclusion
Il ressort de cette analyse que la francisation dont sont victimes les
anthroponymes bron relève du fait que ces noms sont transcrits avec les outils du
système phonologique et phonétique de la langue française. Ces modifications qu’ils
subissent sont une sorte d’harmonisation afin de permettre à ces unités d’intégrer le
système de cette langue, car certaines voyelles ou consonnes du bron ne figurent pas
dans le système phonologique du français. Une fois survenue, elle entraine des
conséquences dont les majeures sont : la remise en cause de la thèse selon laquelle les
noms propres africains en général et en particulier ivoiriens sont porteurs de sens ; les
noms francisés ne sont plus de l’univers lexical anthroponymique de l’abron. Ce qui
amène à la création d’un nouvel univers lexical. Ainsi, le nom propre perd sa fonction
de véhicule de message culturel. Ce qui compromet l’identification de l’origine de
certains individus grâce à leurs noms. Ce fait de langue ne se limite pas uniquement au
bron mais s’étend presque à toutes les langues ivoiriennes voire au-delà. Mais qu’en
est-il de leurs corrections ?
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79
Akofena çn°001
De la francisation des anthroponymes bron aux problèmes de référence :
une analyse morphosémantique
PSYCHOLINGUISTIQUE, SOCIO-DIDACTIQUE,
ALPHABÉTISATION
A. Ouattara
Abdoulaye OUATTARA
Université Félix Houphouët-Boigny - Côte d’Ivoire
abdoulouatt4@gmail.com
Abstract: This article interest the practice of acquisition the knowledge in the
primary schools in Cote d’Ivoire, particularly in rural environment. The article
try to talk about the problems which students and teachers have when they are
in the classroom, when we know that the teaching language is not exist in the
learners living environment. Also, this contribution will talk about the
influence of teaching problems on the knowledge’s acquisition.
Introduction
Depuis l’indépendance de la Cote d’Ivoire en 1960, les autorités d’alors ont
fait le choix de faire du français la langue la plus importante du pays. Ainsi elles
(autorités) le dotent-ils de multiples fonctions dont celle de langue de
l’administration, des médias et surtout de l’enseignement. Il sert de canal de
transmission des savoirs à tous les niveaux du système éducatif (maternelle,
primaire, secondaire et supérieur). Pourtant la Côte d’Ivoire est un pays à fort
hétérogénéité linguistique et culturelle, fruit de la migration de plusieurs peuples
d’origines diverses sur le territoire ivoirien. Cette migration a ainsi occasionné la
naissance de langues utilisées au quotidien par les populations. Elles (langues)
sont estimées au nombre de soixante (Delafosse, 1994) et sont reparties en quatre
grand groupes (Gur, Kru, Kwa, Mandé). En contact avec ces langues le français a
donné naissance à plusieurs variétés locales (français populaire ivoirien, français
ivoirien, nouchi). Ces différentes variétés sont plus usitées par la grande majorité
de la population du fait de leur accessibilité. Elles servent de véhiculaire dans
Akofena çn°001 81
Enseignement/apprentissage des savoirs au primaire en milieu rural : difficultés des élèves et enseignants
Une situation de FLM prototypique serait par exemple une classe d’un pays de
langue maternelle française dans laquelle le répertoire verbal initial de tous les
enfants serait constitué de français.
(Cuq 2000, p.50 cité par Brou-Diallo 2008, p.18)
Par ailleurs en milieu rural, la majeure partie des élèves ne parlent que leurs
langues maternelles dans leur environnement extrascolaire. Pourtant ces langues
sont laissées par ces derniers lorsqu’ils franchissent l’entrée de la salle de classe.
Aussi faut-il dire qu’au-delà de la langue d’enseignement, l’acquisition du français
en milieu rural se fait bien souvent dans des conditions inadéquates rendant ainsi
difficile la transmission et l’appropriation des savoirs. Au regard de ce constat, il
nous a paru nécessaire de nous poser les questions suivantes : quelles sont les
difficultés auxquelles font faces élèves et enseignants en situation de classe en
milieu rural ? Comment ces difficultés impactent-elles l’acquisition des savoirs ?
Cet article portera tour à tour sur la présentation d’un bref aperçu de ce qui
caractérise le français dans la société ivoirienne, ensuite de quelques difficultés de
l’enseignement/apprentissage du français dans le contexte rural et enfin l’impact
de ces difficultés sur l’acquisition des savoirs
Akofena çn°001 83
Enseignement/apprentissage des savoirs au primaire en milieu rural : difficultés des élèves et enseignants
Aussi les élèves éprouvent d’énormes difficultés à faire la distinction entre certains
sons. C’est le cas de « ère » et « eur », il existe une confusion par les écoliers dans la
production de ces deux sons. Ces derniers pendant les séances de lecture,
substituent certains sons du système phonologique par d’autres qu’on aperçoit à
travers les exemples suivants :
(01)
*chaufère → chauffeur
*volère → voleur
*acélératère → accélérateur
Dans ces exemples, le son « eur » est réalisé « ère » avec un allongement vocalique.
Par ailleurs les difficultés de pronation se perçoivent à travers les confusions
suivantes : la confusion entre « é » et « eu ; e » et « in » et « un » Ainsi dans la
Akofena çn°001 85
Enseignement/apprentissage des savoirs au primaire en milieu rural : difficultés des élèves et enseignants
Akofena çn°001 87
Enseignement/apprentissage des savoirs au primaire en milieu rural : difficultés des élèves et enseignants
plupart des écoles primaires en milieu rural ne sont pas dotées de systèmes
d’éclairage. Ainsi les séances de cours commencent parfois un peu tard pour
s’assurer que la lumière du jour illumine les salles et permettre aux élèves de
mieux voir au tableau. Aussi ce problème d’éclairage que connaissent les écoles
contraint les enseignants à arrêter plus tôt les cours car à une certaine heure, les
salles de classe sombrent dans l’obscurité.
Akofena çn°001 89
Enseignement/apprentissage des savoirs au primaire en milieu rural : difficultés des élèves et enseignants
Aussi les effectifs pléthoriques dans les salles de classe dus à l’insuffisance
de tables banc, de salles de classe et d’enseignants engendrent le plus souvent un
manque de concentration de la part des élèves, ainsi qu’un manque de suivi et
d’encadrement correcte par le maitre qui se trouve dans l’incapacité de gérer le
nombre assez trop important d’élèves dans sa classe. Les enseignants dans
l’exercice de leur profession sont contraints de dispenser les leçons à des élèves
dont le nombre dans la classe est parfois plus que le double de la norme. Face à
cette situation les enseignants au fil du temps sont gagnés par la démotivation du
fait des conditions non satisfaisantes. Cette absence de motivation reflète en partie
le bas niveau des élèves décrié par l’opinion publique. En effet les maitres dans les
écoles, loin de trouver la satisfaction première dans la qualité des savoirs qu’ils
transmettent sont plutôt portés par l’acte de présence. Le maitre, sous le poids de
la démotivation ne se soucie plus de la qualité de son enseignement et de la qualité
de l’appropriation faite par ses élèves mais plutôt par l’atteinte des heures établies
dans son emploi du temps. Pour lui, tout est gagné s’il a pu exécuter
quotidiennement son emploi du temps.
Conclusion
Notre travail a tenté de toucher du doigt l’enseignement/apprentissage des
savoirs dans les écoles primaires particulièrement en milieu rural. Dans le
processus de réalisation de l’acquisition des savoirs, élèves et enseignants font face
à d’énormes difficultés qui mettent en mal les résultats scolaires. La langue
d’enseignement totalement étrangère à l’environnement linguistique des élèves
dans les zones rurales est l’une des principales difficultés auxquelles font face les
élèves en situation d’apprentissage. Au-delà de la langue d’enseignement, il est à
noter que les infrastructures quasi absentes ou insuffisantes sont des difficultés qui
impactent négativement le processus d’acquisition des savoirs. Face à un nombre
pléthorique d’élèves dans les classes, caractérisé parfois par le double de l’effectif
normalement admis, les enseignants au bout de quelques années de fonction
sombrent dans une démotivation avec pour conséquence un rendement en dessous
de l’objectif, une qualité de l’enseignement non satisfaisant et des apprenants en
manque de savoirs.
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Enseignement/apprentissage des savoirs au primaire en milieu rural : difficultés des élèves et enseignants
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Alou KEITA
Université Joseph Ki-Zerbo - Burkina Faso
alukeyita@netcourrier.com
&
Ahoubahoum Ernest PARDEVAN
Université Joseph Ki-Zerbo - Burkina Faso
ernestpardevan@yahoo.fr
Akofena çn°001 93
Le traitement des emprunts du mooré et du dioula au français
dans les écoles primaires bilingues du Burkina Faso
Introduction
Le Burkina Faso est un pays caractérisé par le multilinguisme. Il compte une
soixantaine de langues nationales. La Constitution du 02 juin 1991 précise en son
article 35 que « La langue officielle est le français. La loi fixe les modalités de
promotion et d'officialisation des langues nationales ». Ainsi, dix langues
nationales sont présentement utilisées dans l’enseignement bilingue en plus du
français. Il s’agit du bissa, du bwamu, du dagara, du dioula, du fulfuldé, du
gulmancéma, du kassem, du lyélé, du mooré et du nuni. Dans le contexte
burkinabè, les Etats Généraux de l’Education de 1994 ont identifié l’éducation
bilingue comme l’une des solutions à la problématique de la qualité de
l’éducation de base. L’éducation bilingue est un système d’enseignement dans
lequel l’éducation est donnée en deux langues. Elle utilise, pour l’apprentissage,
une langue nationale maîtrisée par les enfants et la langue officielle (le français),
puisque cela facilite l’enseignement et l’apprentissage. Le contact du français et
des langues nationales a entraîné l’usage de plus en plus important d’emprunts.
Les langues nationales concernées par la présente étude sont le mooré et le
dioula, deux langues emprunteuses au français.
Le constat est qu’il y a une présence d’emprunts dans les manuels en langues
nationales en usage dans les écoles primaires bilingues. Et la graphie et la
prononciation de ces emprunts, selon qu’il y a ressemblance ou dissemblance,
peut constituer un atout ou un obstacle à l’enseignement-apprentissage de leurs
étymons en vocabulaire français.
Ainsi, avons-nous décidé de faire du traitement des emprunts dans les écoles
primaires bilingues l’objet de la présente réflexion. L’étude répondra aux
questions suivantes : Quelle est la taxonomie des emprunts attestés dans les
manuels scolaires en langues nationales mooré et dioula ? Quels sont les
procédés utilisés pour l’intégration de ces emprunts attestés dans les langues
nationales mooré et dioula ? Les emprunts attestés du mooré et du dioula au
français constituent-ils un facteur favorable ou défavorable dans l’enseignement-
apprentissage du vocabulaire de leurs étymons en français ? Nous formulons
trois hypothèses : plusieurs types d’emprunts du mooré et du dioula sont attestés
dans les manuels des écoles primaires bilingues ; les emprunts attestés des
langues nationales mooré et dioula ont été intégrés par le biais de caractéristiques
phonétiques, graphiques, morphosyntaxiques et sémantiques ; les emprunts
attestés des langues nationales mooré et dioula constituent un facteur favorable
dans l’enseignement-apprentissage du vocabulaire de leurs étymons en français.
L’objectif général de cette étude est de faire le traitement des emprunts attestés
dans les manuels du mooré et du dioula au français lors de l’enseignement-
apprentissage de leurs étymons en vocabulaire. Il s’agit spécifiquement de
décrire la taxonomie des emprunts attestés dans les manuels scolaires en langues
nationales mooré et dioula ; décrire les procédés d’intégration de ces emprunts
en mooré et en dioula ; montrer que les emprunts attestés constituent un facteur
favorable dans l’enseignement-apprentissage du vocabulaire de leurs étymons
en français ; faire des propositions didactiques pour un traitement fructueux des
emprunts lors de l’enseignement-apprentissage de leurs équivalents en leçons de
vocabulaire en français.
La principale raison qui a motivé le choix de ce thème est que les emprunts
des manuels des écoles primaires bilingues sont relativement abondants et peu
étudiés. Le travail tel qu’il est articulé s’inscrit dans le domaine de la socio-
didactique et revêt un intérêt pédagogique et lexicologique. Il nous a permis de
constituer un répertoire d’emprunts attestés dans le milieu scolaire, répertoire
exploitable lors des cours de vocabulaire aussi bien en langues nationales qu’en
français.
L’emprunt
Pour J. Dubois et al.,
Il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit par intégrer une
unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B (dit
langue source) et que A ne connaissait pas ; l’unité ou le trait emprunté sont eux-
mêmes qualifiés d'emprunts.
Dubois et al. (2001, p. 177)
Akofena çn°001 95
Le traitement des emprunts du mooré et du dioula au français
dans les écoles primaires bilingues du Burkina Faso
Ainsi, pour dire que parfois la langue emprunteuse se trouve en contact avec
des réalités auxquelles elle ne peut pas forger ses propres termes et donc elle les
emprunte. On emprunte également pour le souci d’originalité, de nouveauté, la
volonté d’être à la mode ou de faire jeune. Contrairement aux emprunts de
nécessité, les emprunts de luxe possèdent le plus souvent un équivalent, un
synonyme qui existe déjà et qui est assez répandu dans la langue cible. Ces
emprunts sont appelés emprunts par snobisme, parce que le locuteur pense que
le mot de la langue source est plus valorisé et il choisit d’employer cette unité
appartenant à une « langue de prestige ».
Enfin, on emprunte des mots à d’autres langues à cause du contact des langues
qui est l’une des raisons les plus importantes dans les situations d’emprunt
linguistique. En effet, le contact des peuples est forcément à l’origine du contact
des langues et deux langues qui sont en contact dans la même localité finissent
par avoir des interférences linguistiques. Cette proximité géographique peut
amener qu’une langue emprunte des mots à l’autre et vice versa. Ainsi, aucune
langue ne peut se suffire à elle-même.
L’hybride
Il est important de souligner que l’emprunt est différent de l’hybride. En effet,
en distinguant ces deux concepts, A. Kéïta, affirme que :
Le xénisme
J. Dubois et al. définissent le xénisme comme étant :
Une unité lexicale constituée par un mot d’une langue étrangère et désignant une
réalité propre à la culture des locuteurs de cette langue. [En d’autres termes, il
désigne] l’introduction de mots étrangers dans une langue donnée, sans que cela
n’altère la graphie, et sans aussi les marques de genre et de nombre de la langue-
hôte. Quand le mot, ou l’expression, étranger est d’une part plus court, d’autre
part intraduisible, le xénisme est légitime ; il est inutile lorsque l’équivalent
français existe.
J. Dubois et al. (2001, p. 512)
Le xénisme fait la description d’une réalité spécifique qui n’existait pas dans
la langue cible et est ainsi le premier stade de l’emprunt. Avec le temps, il
s’intègre petit à petit dans la langue receveuse et les locuteurs s’habituent à
prononcer ce mot puis ils cessent de le considérer comme un mot étranger et par
conséquent le xénisme devient un emprunt. Il est considéré comme une étape
dans le passage d’un mot d’une langue à une autre. Le xénisme est absent dans
les textes anciens, dans les dictionnaires et dans les encyclopédies de la langue
emprunteuse.
Le calque
Pour G. Rondeau (1986, p. 48), le calque est : « la traduction littérale et mot à
mot d'un terme d'une langue dans l'autre, y compris le modèle syntaxique ».
Akofena çn°001 97
Le traitement des emprunts du mooré et du dioula au français
dans les écoles primaires bilingues du Burkina Faso
Autrement dit, le calque est un type d’emprunt particulier dont la forme est
authentiquement de la langue d’arrivée, mais le sens de la langue de départ. Il
est une traduction littérale de la langue source qui intègre le sens étranger sous
une forme nouvelle obtenue par la traduction dans la langue d’accueil. Le calque
est en lien avec les emprunts surtout pour ce qui est de l’emprunt qui a trait au
sens et à la traduction, c’est-à-dire l’emprunt sémantique.
En résumé, nous retenons que les emprunts lexicaux sont les plus fréquents et
les plus nombreux dans les manuels scolaires. Ces manuels contiennent peu
d’emprunts sémantiques. Le mooré et le dioula empruntent-ils au français par
nécessité ou juste pour le luxe ?
Akofena çn°001 99
Le traitement des emprunts du mooré et du dioula au français
dans les écoles primaires bilingues du Burkina Faso
la même graphie et la même phonie dans les deux langues : Fati [fati] ‘’Fati’’,
Toma [tomã] ‘’Thomas’’, etc. Mais en mooré, le nom propre est toujours précédé
de la préposition [a].
Elle facilite la prononciation des emprunts par les locuteurs natifs de la langue
emprunteuse. En empruntant des lexies françaises, les mooréphones et les
dioulaphones remplacent les graphes qui n’existent pas dans leur langue
maternelle par des graphes qui sont proches afin de pouvoir les prononcer.
En mooré par exemple, l’adaptation phonétique est marquée par :
- Le graphe [ch] n’existant pas en mooré, il est donc remplacé dans l’emprunt
par le graphe le plus proche qui est [s]: sofɛɛrã [sofɛ:rã] ‘’chauffeur’’ ;
-L'extension de sens
Elle consiste à donner au mot emprunté un sens plus large que celui de la
langue emprunteuse. Elle se fait par l'ajout au sens initial de nouveaux traits
conceptuels, en passant d'un terme spécifique à un terme générique. Cette
relation des sens dépend principalement des besoins de la langue cible. Nous
n’avons pas rencontré dans le corpus des emprunts qui se sont adaptés par le
biais de l’extension de sens.
-La spécification
La spécification, c’est le cas où les mots empruntés auraient une signification
tout à fait différente de celle de la langue originelle. Notre corpus ne contient pas
ce genre d’emprunts. De façon générale, l’adaptation sémantique des emprunts
dans les manuels en usage dans les classes bilingues s’est faite à travers la
restriction de sens. En résumé, l’intégration des emprunts attestés du mooré et
du dioula au français a été faite à travers des adaptations phonétiques,
graphiques, morphosyntaxiques et sémantiques.
Le traitement phonétique
- L’enseignant fait lire le mot souligné et demander aux élèves comment on
l’appelle en L1 ;
- Est-ce que les 2 mots ont la même prononciation? baraase/barasi
[bara:se]/[barasi] et ‘’barrage’’
- Il fait répéter par beaucoup d’élèves le mot ‘’barrage’’.
Le traitement graphique
Le traitement morphosyntaxique
- Quel est le genre et le nombre de ‘’barrage’’ ? Quels sont les articles qui
peuvent l’accompagner ? Genre : masculin singulier ; articles : le, un, du.
- Quel est le pluriel de ‘’barrage’’ ? Pluriel : ‘’les barrages’’, ‘’des barrages’’.
- Quel est le pluriel de baraase/barasi [bara:se]/[barasi] en L1? Pluriel :
baraas-rãmba/barasiw [bara:s rãmba]/[barasiw].
- Il attire l’attention des élèves sur la morphologie dans les 2 langues :
‘’barrages’’ = ajout de [s] au pluriel (français) ; baraas-rãmba [bara:s rãmba] =
élision de la voyelle finale, trait d’union et ajout du suffixe de certains mots
étrangers au pluriel ; barasiw [barasiw] = ajout de [w] comme marque du pluriel.
- Il fait lire l’emprunt et son étymon au pluriel par quelques élèves.
Le traitement sémantique
- Il invite les élèves à expliquer dans leur L1 l’emprunt baraase/barasi
[bara:se]/[barasi].
- Il invite les élèves à donner le sens en français de la lexie ‘’barrage’’.
Il est important de signaler que l’enseignant doit à chaque fois faire appel aux
emprunts déjà étudiés en L1 pour favoriser l’acquisition de leurs étymons en L2.
En somme, les emprunts attestés des langues nationales mooré et dioula
constituent un facteur favorable dans l’enseignement-apprentissage du
vocabulaire de leurs étymons en français.
Conclusion
L’objectif de cette étude était, d’une part, de faire la description taxonomique
puis lexicale des emprunts attestés dans les manuels scolaires en langues
nationales mooré et dioula et, d’autre part, de faire des propositions didactiques
pour faciliter l’acquisition de leurs équivalents français lors de l’enseignement-
apprentissage du vocabulaire français. L’étude nous a permis de répertorier les
emprunts attestés dans les manuels scolaires en langues nationales mooré et
dioula en usage dans les classes bilingues. Cette analyse documentaire a révélé
la taxonomie des emprunts qui comprend : l’emprunt lexical et l’emprunt
sémantique. Les domaines des emprunts sont généralement le transport, le
commerce, l’alimentation, l’éducation et l’enseignement, les métiers, la santé, etc.
Les classes lexicales des emprunts répertoriés sont en majorité les noms, puis
s’ajoutent quelques verbes et adjectifs. Les emprunts ont intégré le mooré et le
dioula par l’entremise de plusieurs adaptations comme celles phonétique,
graphique, morphosyntaxique et sémantique. Les emprunts constituent un
enrichissement pour les langues nationales mooré et dioula en ce sens qu’ils
viennent généralement combler un vide pour désigner de nouvelles réalités. Ils
deviennent ainsi des emprunts de nécessité. Pour pallier les difficultés
d’apprentissage du français par les interférences que les emprunts créent, nous
avons montré comment se fait le traitement des emprunts lors de l’enseignement-
apprentissage de leurs équivalents en vocabulaire français. Nous avons aussi fait
des propositions didactiques. Elles permettront de corriger les erreurs de
phonétique et de graphie des mots d’origine française et qui ont été intégrés au
mooré et au dioula par le biais de l’emprunt. En termes de perspective, une
réflexion sur les emprunts lexicaux contenus dans les dictionnaires mooré et
dioula est à mener. Elle permettra de proposer aux encadreurs pédagogiques et
aux enseignants des écoles primaires bilingues un répertoire d’emprunts,
exploitable lors des leçons de vocabulaire aussi bien en langues nationales qu’en
français.
Références bibliographiques
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Imprimerie du Journal Officiel.
DEROY L. 1956. L’emprunt linguistique, Paris, Les Belles Lettres, Books.
DUBOIS J. et al. 2001. Dictionnaire de linguistique. Paris : Larousse.
Yaya KONATE
Université Félix Houphouët-Boigny - Côte d’Ivoire
konatyay60@yahoo.fr
&
Konan Thomas KOFFI
Université Félix Houphouët-Boigny - Côte d’Ivoire
konanthoms@yahoo.fr
Abstract: Because of its widespread use, dioula in Côte d'Ivoire is the most
common language of local languages. As a result, its sociolinguistic
specificities are similar to those of a standard language and could make it
subject to a standardization process. In this article, we try to show the
probability of such an option by using the typology of standardisation
processes implemented by Einar Haugen (1959).
Introduction
Le dioula et le français sont les deux langues les plus communes de la
Côte d’Ivoire (Téra, 1986). Cependant, au niveau de la reconnaissance officielle,
force est de constater qu’elles ne sont pas logées à la même enseigne. Le français
a été propulsé par une politique expansionniste des colonisateurs et a profité
des égards bienveillants des successifs gouvernements dans ce pays. Les
différentes constitutions du pays ont régulièrement consacré son caractère
officiel et en ont fait la seule langue de l’administration et de l’enseignement. Et
même si « Dans le contexte actuel de la vulgarisation des savoirs et savoir-faire
locaux vers les autres mondes, la standardisation des langues africaines en
général […] est une urgence » (Gangue, 2013, p.161), le dioula, lui, ne bénéficie
d’aucune reconnaissance officielle ce, en dépit des incessants appels des
linguistes et didacticiens à la prise en compte des langues locales dans
l’enseignement (Aboa, 2011).
De fait, il subit la marginalisation des langues minorées qui n’ont pas le
statut de langue internationale et dont le seul élément à charge semble de n’être
employées que dans l’une des parties les plus pauvres de ce monde. Pourtant,
au plan sociolinguistique, le dioula, par son statut fonctionnel, sa forte
implication dans les interactions communicationnelles et par l’adhésion dont il
est l’objet auprès des populations présente des apparences de langue standard ;
à ce titre, il mérite de recevoir la caution institutionnelle. Quels aspects du
dioula en font une langue apte à être standardisée ? Quelles sont les
implications de la standardisation de cette langue locale dans l’environnement
sociopolitique actuel de la Côte d’Ivoire ? Par le biais de la théorie de
l’aménagement linguistique, nous tentons d’élucider ces interrogations. Notre
démarche nous conduira, tour à tour, à décliner l’importance du dioula dans
l’environnement sociolinguistique ivoirien, à en exposer les caractéristiques
apparentes de langue standard et finalement, à analyser les enjeux liés à sa
standardisation.
1 En plus de Haugen qui en est une figure de proue, il convient de mentionner qu’en la matière, les
pionniers sont les adeptes de l’école linguistique de Prague notamment Jakobson, Havranek, Mathesius,
entre autres qui ont jeté les bases théoriques de la discipline.
2 Aussi, l’aménagement linguistique peut-il avoir pour finalité de limiter l’expansion d’une langue ou
la fin duquel elle acquiert des caractéristiques définitoires propres aux langues
dites standards. Ce processus comprend un certain nombre d’étapes isolées par
Haugen qui se résument comme suit :
A ces prédispositions, il faut associer cet autre critère important qui est que « les
langues standard voient le jour à mesure que des groupes de locuteurs
ressentent le besoin de fixer un ensemble de normes linguistiques communes »
(Lodge 1997, p.38). On notera, à la suite de cette énumération, que la mise en
œuvre du processus de standardisation requiert de l’action de la part des
autorités compétentes, mais également que certaines des caractéristiques sont
inhérentes à la langue elle-même qui les acquiert tout naturellement en fonction
de son environnement comme c’est le cas du dioula de Côte d’Ivoire.
3Voir biographie de Louis Gustave Binger (1856 – 1936), explorateur de l’Afrique occidentale, décembre
2008
dira à ce propos que le dioula est la langue qui s’offre comme alternative aux
masses illettrées détribalisées qui forment le gros du prolétariat urbain. C’est
donc à juste titre que le dioula intervient dans tous les contours de la société
ivoirienne et sert de véhiculaire à une grande partie de la population avec des
allures de langue standard.
codification assez élevé. De nombreux travaux ont porté sur cette langue et ce,
sur divers aspects. Ainsi, des études à visée descriptive ont été entreprises avec
pour objectif de déceler les systèmes de règles que comprend le dioula. Ont
donc été établis des syllabaires (Téra, 1995, 2002), des travaux syntaxiques,
phonétiques et phonologiques, lexicologique, etc. (Sangaré, 1984, Téra, 1983,
1984, 2011, Sanogo, 2006, Konaté, 2008, 2016). Par ailleurs, le dioula a fait partie
des langues locales sélectionnées dans le cadre de la phase pilote du projet de
l’enseignement bilingue Français/langue locale en Côte d’Ivoire dans la période
2016-2018. Lors de l’exécution de ce projet, certains résultats de recherche ont
été appliqués et ont permis des avancées notables. Une bonne synthétisation de
ces résultats et une meilleure synergie dans les actions de promotion des
langues locales pourraient servir de base de données pour élaborer puis enrichir
le lexique dioula afin de l’adapter aux réalités du moment pour ensuite entamer
la codification de cette langue commune.
Cela pourrait également contribuer à mettre en place le matériel
didactique adéquat pour une plus large diffusion de l’enseignement du dioula
boostant ainsi son implantation. Certes, pour ce qui est de son acceptation par
la population dans son entièreté, il faudrait faire appel à d’autres canaux de
diffusion par lesquels la sensibilisation à la pratique du dioula serait accentuée.
Pour l’heure, en dépit de quelques minimes tranches horaires réservées aux
langues locales sur la télévision nationale et des émissions aux audiences
relativement faibles sur des radios de proximité, cette disposition peine à se
réaliser. Au regard de la typologie des processus de standardisation et des
prédispositions sociolinguistiques du dioula, et nonobstant certaines étapes non
encore observables, Cette langue a les atouts suffisants pour être promue
comme langue standard. Mais dans le contexte actuel, standardiser une langue
locale peut engendrer des implications autres que celles relatives aux seules
questions linguistiques.
4 Concluant son article sur l’enseignement du français, elle a estimé que la formation pédagogique des
enseignants devrait comporter des modules de linguistique africaine et de linguistique française pour
favoriser une meilleure assimilation.
Conclusion
Des dispositions d’ordre historique, culturel et sociolinguistique ont
contribué à faire du dioula une langue importante dans la sphère
sociolinguistique ivoirienne. Avec un emploi vulgarisé et intégré à tous les
niveaux de la société, le dioula s’est forgé des caractéristiques qui s’apparentent
à celles d’une langue standard tel qu’identifié par Haugen (1959). Au regard de
la typologie des processus de standardisation qu’il a conçu à cet effet, nous
nous sommes évertué à mesurer la probabilité de la standardisation du dioula,
langue la plus commune des langues locales ivoiriennes. Il en est découlé que le
dioula dispose de prédispositions suffisantes pour être standardisé, et qu’en
dépit d’un environnement sociopolitique hostile, cela pourrait se réaliser. Cette
éventualité est rendue opportune par l’impérieuse implémentation des
politiques linguistiques dans le développement des Etats quels qu’ils soient. Il
faudrait pour cela une volonté manifeste des gouvernants car la standardisation
est un acte de haute portée politique.
Références bibliographiques
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Birame SENE
Institut de Français pour les Étudiants étrangers (IFE)
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Institut de Français pour les Étudiants étrangers
biramesene2@yahoo.fr
Introduction
Outre qu’elle tire sa force de la jonction entre la didactique, la syntaxe et
la sociolinguistique, la présente étude s’inscrit dans une démarche de
recherche-action. Elle engage la réflexion sur les facteurs exogènes (influences
du français oral, influences des langues sources) qui sont susceptibles de
ramener à un état inférieur la qualité des productions écrites par les apprenants
Akofenaçn°001 123
Les Influences du français oral et des langues sources dans la production écrite A1 :
cas de l’IFE de Dakar
du niveau A1. En termes clairs, nous tenterons de démontrer qu’il existe des
contraintes extérieures d’ordre linguistique qui peuvent affecter non seulement
la manière d’écrire des étudiants de l’IFE, mais aussi les combinatoires
syntaxiques de leurs phrases. Pour ce faire, nous adopterons un plan bipartite :
premièrement, nous présenterons les cadres environnementaux dans lesquels
les apprenants débutants évoluent ; secondement, nous focaliserons notre
attention sur les facteurs exogènes en question tout en proposant des pistes de
remédiation susceptibles d’améliorer d’un côté les pratiques enseignantes en
FLE (Français Langue Etrangère), de l’autre le niveau de compétence et de
performance des apprenants débutants.
Il s’y ajoute que cette institution n’ouvre pas seulement ses portes aux
ressortissants des pays de l’Afrique de l’Ouest. Elle accueille des étudiants
étrangers, à quelques nationalités que ceux-ci puissent appartenir. Sa vocation
est de proposer des cours de français à tout étudiant souhaitant perfectionner
son niveau à l’oral comme à l’écrit. Ses cours sont calqués sur les référentiels du
Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL). Les
apprenants débutants de l’IFE appartiennent à diverses nationalités. Ils sont
originaires de pays anglophones (Gambie, États-Unis, Sierra Léone, Nigéria,
Soudan...), lusophones (Cap-Vert, Guinée-Bissau, Brésil...), hispanophone
(Guinée-Équatoriale), francophones (Sénégal, Niger, Canada), arabophones
(Mauritanie, Maroc, Égypte, Soudan, Djibouti...). Ils forment, à proprement
parler, un public hétérogène désireux de maîtriser les rudiments
communicationnels de la langue française. Tout compte fait, ils évoluent entre
autres dans deux cadres environnementaux : cadre mésosocial (l’IFE) et cadre
microsocial (les salles de classe de l’IFE). Ne serait-ce que sommairement, ces
cadres méritent d’être étudiés en ceci qu’ils permettent de mieux percevoir les
facteurs exogènes qui peuvent être à l’origine des erreurs syntaxiques commises
par les étudiants dans leurs copies de production écrite A1.
1.1Cadre mésosocial
Les étudiants de l’IFE perçoivent leur institution non seulement comme
un lieu d’apprentissage, mais aussi comme un cadre de communion et
d’échange. Dans cet institut, ils ont plusieurs opportunités :
- intégrer l’Amicale des Étudiants de l’IFE ;
- être membre d’une association particulière (Association des
Capverdiens, des Bissau-guinéens…) ;
1.2Cadre microsocial
En classe, le recours aux langues sources est interdit, du moins désapprouvé.
Quant à la pratique de l’écrit, elle bénéficie d’une même considération que la
pratique de l’oral. Force est de préciser qu’au niveau débutant, l’apprenant
n’écrit pas uniquement pour le simple plaisir d’écrire ; il écrit pour
communiquer. C’est la raison pour laquelle Regina Bikulčienė (2007, p.89)
affirme : «L’expression écrite est une activité qui a un but et un sens : les apprenants
écrivent pour communiquer. »En plus de considérer comme dignes d’intérêt les
notions de besoin (dimension fonctionnelle), de tâche (dimension actionnelle) et
d’interaction (dimension interactionnelle), l’équipe enseignante de l’IFE centre
ses cours sur le milieu social, culturel ou professionnel de l’apprenant. Elle
accrédite l’idée que les ressources langagières de langue française ˗ qu’elles
soient orales ou écrites ˗ servent non seulement à communiquer, mais encore à
agir et interagir. S’il est vrai qu’au niveau élémentaire, elle diligente les activités
orales telles que les interactions verbales, les prises de parole et les jeux de rôle,
il n’en reste pas moins qu’elle organise des activités écrites au cours desquelles
elle met l’apprenant dans une situation de communication déterminée :
Akofenaçn°001 125
Les Influences du français oral et des langues sources dans la production écrite A1 :
cas de l’IFE de Dakar
Bien plus, elle insiste auprès de son public sur la nécessité de construire
des phrases simples. À proprement parler, une phrase simple ne contient qu’un
seul verbe conjugué ; elle peut être affirmative, interrogative, impérative ou
exclamative, sans compter qu’elle peut se prêter à diverses formes (forme
neutre / forme emphatique, forme active / forme passive) ou polarités (polarité
négative / polarité positive). Dans une large proportion, elle se différencie de la
phrase complexe qui a comme propriétés les verbes conjugués, les propositions
indépendantes (juxtaposées ou coordonnées), les principales, les subordonnées,
les incises et les incidentes. Elle se différencie enfin de la phrase canonique qui
est toujours déclarative, neutre, positive et active. En somme, à travers le
présent chapitre, nous pouvons retenir que les apprenants débutants de l’IFE
font face à différentes situations selon qu’ils se trouvent dans les cadres
mésosocial ou microsocial. Ces situations se résument dans le tableau ci-
dessous :
Tableau n°1 : Les situations des apprenants débutants
Cadre Carte linguistique Carte pragmatique
environnemental
Cadre mésosocial -Recours au français oral pour -Fortes activités orales à
communiquer à l’IFE l’IFE
Recours aux langues sources -Faible pratique de l’écrit
pour échanger avec les dans les activités
condisciples de même nationalité parascolaires de l’IFE
Il apparaît donc que le français oral domine le français écrit, selon que
l’on considère les cadres mésosocial et microsocial des apprenants. Il n’est pas
question de nier les avantages du français oral. Comme on le sait, cet outil
linguistique est d’autant plus gratifiant pour lesdits apprenants qu’il favorise
leur intégration sociale, leur dynamique communicationnelle et
l’enrichissement de leur répertoire lexical. Il n’est pas question non plus de nier
la relation de complémentarité qui prévaut entre l’oral et l’écrit. Mais, nous
estimons que le seul espace qui soit concédé à l’écrit – en l’occurrence le cadre
microsocial – est trop restreint pour qu’il y ait émergence de nouveaux talents
littéraires, maturation de l’écriture créative, et appropriation satisfaisante de la
syntaxe française. Par-là, nous pouvons comprendre pourquoi il y a un nombre
élevé de constructions asyntaxiques dans les copies de production écrite.
1http://educativa.catedu.es/44700165/aula/archivos/repositorio/3500/3586/html/32_le_franais_crit_et
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Les Influences du français oral et des langues sources dans la production écrite A1 :
cas de l’IFE de Dakar
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Les Influences du français oral et des langues sources dans la production écrite A1 :
cas de l’IFE de Dakar
Tableau n°2 : La disposition significative des mots par les étudiants débutants
Première séquence Seconde séquence
énonciative Pivot énonciative
La ville de Dakar, c’est très grande.
Le lieu, c’est très belle.
Dakar, c’est bonne
Notre université, ce la plus grande du pays.
Ça, ce bien.
Sénégal se très bon.
Ainsi, le présentatif "c’est" – quelle qu’en soit la forme dans le tableau – tient
lieu de charnière entre la première séquence énonciative qui est réservée au
topique et la seconde qui se destine au commentaire, plus exactement à ce que
Catherine Kerbrat-Orecchioni (1999, p. 80) appelle « les subjectivèmes ». Ainsi
que la dénomination en suggère l’idée, les subjectivèmes mettent sur le
piédestal la subjectivité du sujet parlant ou du scripteur. En plus de cela, ils se
transforment en affectifs ou en évaluatifs, toutes les fois qu’ils expriment
respectivement les émotions ou les jugements de l’encodeur. Dans cette
perspective de vision, il apparaît que tous les adjectifs figurant dans la seconde
séquence énonciative du tableau sont des évaluatifs dans la mesure où ils
permettent aux scripteurs de donner leurs points de vue sur une question
donnée, de caractériser un lieu, de livrer leurs impressions sur la terre d’accueil
(la terre sénégalaise). Par ailleurs, nous constatons évidemment que les
constructions phrastiques de ces scripteurs demeurent asyntaxiques. Cela se
justifie principalement par trois faits :
- En premier lieu, sous l’angle de la polarité négative, les scripteurs ont fait
abstraction de la particule adverbiale "ne" dans l’expression "c’est pas loin". Une
telle façon de procéder ne relève pas d’une décision délibérée puisque ces
scripteurs savent qu’ils ne peuvent pas s’autoriser à supprimer, dans la
combinatoire syntaxique française, une partie du discours – toute petite qu’elle
soit. À l’évidence, ils ont machinalement réutilisé les expressions qui prévalent
dans leur milieu environnemental (cadres mésosocial et microsocial).
- En deuxième lieu, sous l’angle de polarité positive, la plupart des
scripteurs méconnaissent les règles syntaxiques, plus exactement les règles
d’accord. S’il est vrai qu’ils respectent la disposition significative des mots au
niveau de l’axe syntagmatique, il n’en reste pas moins qu’en accordant en genre
les adjectifs qualificatifs, ils font entorse à la grammaire française. Plutôt que
d’accorder avec le pronom neutre "ce", ils mettent en relation les adjectifs
Akofenaçn°001 131
Les Influences du français oral et des langues sources dans la production écrite A1 :
cas de l’IFE de Dakar
"grande", "belle", "bonne" avec la ville de Dakar. Ils ont donc procédé à un
accord logique et non à un accord syntaxique. Ils oublient bien souvent que la
logique et la grammaire ne font pas bon ménage.
- En dernier lieu, ils ont commis des erreurs syntaxiques parce qu’ils
confondent les trois expressions suivantes : "c’est" (présentatif), "ce" (adjectif ou
pronom démonstratif) et "se" (pronom personnel réfléchi). Du fait qu’elles sont
proches par leur sonorité, ces trois expressions entretiennent une relation
paronymique en linguistique française. Mais dans le contexte de l’IFE, aussi
étrange que cela puisse paraître, elles ne fonctionnent pas comme des
paronymes, mais comme des homonymes, plus exactement des homophones.
Les étudiants cap-verdiens et bissau-guinéens ont tendance à prononcer ces
trois expressions de la même manière : [se]. À la question de savoir pourquoi ils
les articulent de la sorte, ils répondent toujours que dans leur pays respectif – le
Cap-Vert et la Guinée-Bissau étant deux pays lusophones qui sont très proches
sur le plan historique, politique, social et linguistique – la lettre "e" se lit [e]. Par-
là, ils attestent qu’ils s’expriment par moments sous l’influence de leur langue
de départ (le portugais).
Et pour nous faire une idée précise du combat linguistique qui se trame
dans le processus psychique de ces apprenants, nous pouvons comparer la
production écrite à un terrain de tir à la corde. Se positionnant de chaque côté
de la cordelette, la langue cible et la langue source se livrent à une épreuve de
force. Leurs tiraillements créent une certaine angoisse chez l’apprenant. Ce
dernier parvient à se forger une interlangue, c’est-à-dire une langue
intermédiaire, transitoire et provisoire qui se constitue sur la base
d’interférences. En vérité, les formules "ce" et "se" que les étudiants utilisent
dans leurs copies de production écrite constituent les preuves matérielles et
vivantes de cette interlangue. En effet, même s’il reste évident qu’elles ne sont
pas bien écrites, ces formules présentatives marquent la jonction entre la langue
cible (le français) et la langue source (le portugais). Cela revient à dire que
chaque apprenant de l’IFE – qu’il soit issu de n’importe quel pays (lusophone,
russophone, anglophone, hispanophone, arabophone...) – est susceptible d’être
sous l’emprise de sa langue de départ. Et il n’est pas facile de mesurer avec
justesse cette emprise, tant il est vrai qu’elle implique des études pointues,
savantes et rigoureuses. Le moins que nous puissions dire, c’est que nous avons
nettement identifié les traces de la langue wolof dans les copies de certains
scripteurs.
Akofenaçn°001 133
Les Influences du français oral et des langues sources dans la production écrite A1 :
cas de l’IFE de Dakar
consignées dans des supports écrits pour que l’apprenant s’accoutume aux
règles complexes qui unissent sons et lettres.
Akofenaçn°001 135
Les Influences du français oral et des langues sources dans la production écrite A1 :
cas de l’IFE de Dakar
prêts à redoubler d’ardeur dans les activités de production écrite. Ainsi, il serait
judicieux que leur établissement dispose d’une bibliothèque, d’un atelier
d’écriture et d’un chronogramme destiné spécialement à la valorisation de
l’écriture créative.
Conclusion
En définitive, la présente étude nous a permis d’engager la réflexion sur les
sphères environnementales des apprenants de l’IFE (cadres mésosocial ou
microsocial). Elle nous a également permis de découvrir comment les scripteurs
réussissent à gérer les tensions qui prévalent entre leurs langues sources et leur
langue cible, comment ils se forgent une interlangue pour sortir de l’impasse, et
comment ils développent une compétence transitoire pour maîtriser à fond la
langue cible. Bien plus, nous sommes amené à constater que la production écrite
transcende l’écriture et qu’elle est en corrélation avec divers facteurs
(sociolinguistique, pragmatique, discursif...). Cela tend à montrer qu’elle est plus
complexe qu’il n’y paraît, et qu’elle intéresse plusieurs branches du savoir.
Références bibliographiques
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Paris, Presses Universitaires de France.
Introduction
En Côte d’Ivoire, le français jouit d’un statut tout particulier. Il est le canal de
diffusion des savoirs scolaires et fait l’objet d’enseignement au même titre que les
autres disciplines scolaires. Sa maîtrise se présente comme l’une des clés de voûte
de la réussite scolaire et de la promotion sociale. Les difficultés rencontrées en
français par les élèves du secondaire ivoirien est une question très préoccupante.
Elle a fait l’objet de nombreux travaux de recherche dans le champ didactique. K. J.-
M. Kouamé (2008, p. 14) parle de « la faiblesse du niveau des élèves en français ».
De son côté, K. N. Ayewa (2009, p. 121), fait remarquer que ce sont « des élèves ayant
Selon lui, nous sommes en train de basculer, depuis quelques années, d’une
polarisation à une autre. C’est-à-dire, on passe d’une logique révolutionnaire à une
logique gestionnaire. Pour ainsi dire, nous sommes entrés dans une nouvelle ère
éclectique (Puren, 1993 : 45 cité dans Martin, 2007 : 48). En substance, on peut retenir
que l’éclectisme est loin d’être un assemblage de théories, il est plutôt un choix
raisonné face à des situations de classe variées et complexes.
2. Cadre méthodologique
L’enquête a été effectuée au Lycée Gadié Pierre situé dans la commune de
Yopougon. Cet établissement secondaire public accueille des apprenant(e)s du
district d’Abidjan et d’autres régions de la Côte d’Ivoire. Il est plus orienté vers
l’enseignement général. Dans cette étude, deux techniques de recherche ont été
mises à profit. Il s’agit de l’observation de classe et de l’entretien semi-dirigé.
L’observation de classe consistait à voir la manière dont les cours de français étaient
conduits. Dans le collège, nous avons assisté à des cours de sixième, cinquième,
quatrième et troisième, en lecture suivie, lecture méthodique, expression écrite et en
grammaire. Les cours observés au lycée ont porté sur le résumé de texte
argumentatif et la dissertation littéraire du fait que ces activités interviennent aux
épreuves du baccalauréat. Par l’entretien semi-dirigé, nous avons recueilli les
propos de quelques apprenants sur leurs difficultés en français, à l’aide d’un
dictaphone numérique.
Notre échantillon est constitué de 182 élèves dont 10 pour la sixième, 20 pour
la cinquième, 28 pour la quatrième, 46 pour la troisième, 34 pour la seconde, 33 pour
la première et 14 pour la terminale. L’âge de ces enquêtés varie entre 11 et 23 ans.
Pour les lycéens, rappelons qu’ils sont issus de différentes séries d’étude. Les
données audio recueillies par enregistrement lors des échanges avec les élèves ont
été d’abord transcrites. Ensuite, elles furent rangées en fonction de leur similitude et
thématisées enfin. Au niveau de l’analyse des données, nous avons eu recours au
traitement qualitatif notamment l’interprétation des discours tenus par les enquêtés
lors des entretiens semi-dirigés. Nous avons symbolisé les questions par la lettre Q,
les réponses des collégiens par C et L, celles des lycéens.
3. Résultats et discussion
Notre enquête s’est intéressée aux difficultés que vivent les élèves du
secondaire ivoirien dans leur apprentissage du français. Nous leur avons donc
soumis la question suivante :
Q1 : « Rencontrez-vous des difficultés en français ?». Les avis recueillis indiquent
que les élèves éprouvent bel et bien des difficultés au niveau des sous-disciplines du
français. Pour comprendre les raisons qui sous-tendent leurs difficultés, nous avons
interrogé ces élèves de la façon suivante :
Q2 : « Pourquoi rencontrez-vous des difficultés en français ? ». Les enquêtés ont
donné les raisons qui, dans une certaine mesure, justifient leurs mauvaises
performances en français. À y regarder de près, on s’aperçoit que celles-ci
apparaissent sous plusieurs aspects.
L128 : « Tout d’abord même, en classe d’abord, on n’arrive pas à bien comprendre
les cours, surtout au lycée ici, les temps qu’on pouvait prendre pour mieux
faire les cours, les temps sont courts »
L131 : « Professeur, même quand il rentre en classe, il discute avec les élèves jusqu’à,
et puis on s’en va à la maison. Genre, il aime les commentaires, les causeries,
quand il vient, c’est ça seulement qu’il fait »
L132 : « Notre professeur quand elle vient, elle a 2 heures avec nous, elle passe 1
heure dans sa voiture ou bien 1 heure 30 mn. Et puis elle vient 30 mn, elle
explique. Littéralement il n’y a pas de temps d’exercice, il n’y a pas de
pratique. Quand c’est comme ça, on peut pas mieux développer ce qu’on a »
L135 : « ya le temps que nous avons en classe qui est restreint parce que, on n’a pas
le maximum en classe »
L130 : « les professeurs, ils n’expliquent pas bien. Ils se limitent à ceux qui sont
devant qui comprennent les cours à part ça, nous qui sommes derrière, on
ne comprend pas les cours ».
L135 : « On n’a pas le maximum en classe. Il faut même faire des recherches si nous
n’avons pas d’explication en classe encore plus lucide ».
L158 : « Au niveau des enseignants, pas qu’on n’aime pas la matière, mais quand tu
as un enseignant qui t’enseigne pas bien ou bien il ne donne pas l’essentiel,
toi, ça t’arrange pas ».
Ces répondants relèvent quelques points saillants qui, d’une certaine façon,
jouent considérablement sur les apprentissages. Il y a le fait que l’enseignant
travaille uniquement avec les élèves performants et abandonne les plus timides ou
inefficaces à leur triste sort. Même si cette pratique justifie en partie le souci de
dérouler le contenu de la progression définie, négliger des apprenants au motif
qu’ils sont moins performants semble contraire à l’éthique didactique. En effet, les
élèves ne progressent pas à la même vitesse, ne résolvent les problèmes de la même
façon et n’utilisent les mêmes techniques d’étude. En s’inspirant de ces paramètres,
il devrait plutôt être à l’écoute de tous les élèves pour pouvoir prendre en compte
leurs interventions et les intégrer à la démarche prévue. Il doit, si nécessaire,
s’attarder à expliciter les zones d’ombre. R. Noelizaire et al. (2014) précisent que
depuis que l’enseignement a acquis le statut de profession, les actes de l’enseignant
doivent être conçus, planifiés et construits en fonction de l’environnement scolaire,
les caractéristiques des élèves, leur niveau de connaissance, leur rythme
d’apprentissage.
L44 : « Souvent les professeurs du lycée, c’est pas eux tous qui aiment bien expliquer
les cours. Au cours de renfo, ils expliquent bien, mais en classe ils
n’expliquent pas bien. Nous quand c’est comme ça nous permet de ne pas
bien faire les cours. »
L134 : « Nous ne comprenons pas vraiment les explications des professeurs. Il y a
les exercices qui sont donnés qui ne sont pas tellement expliqués en classe et
corrigés pour amener l’élève à comprendre »
L159 : « Bon, moi français, bon j’ai remarqué que les professeurs de français, ils
donnent pour la moitié au cours et puis le reste, c’est dans les renfos. C’est-à-
dire au cours, ils passent sur les leçons. Si tu viens pas au renfo, tu ne
comprendras pas. »
le contexte ivoirien où les élèves sont fortement exposés à des variétés de français
qui livrent une rude concurrence au français normé, seule norme admise par
l’institution scolaire, comme le rapportent C101 et L131. La culture de la lecture les
aiderait à avoir directement accès à un « français normatif », en dehors de la classe.
Le « français du livre » viendrait ainsi en contre poids au français de la rue auquel
ils sont fortement exposés. À celles-ci s’ajoutent les effectifs pléthoriques (L130),
« qui leur interdisent d’assurer un encadrement pédagogique de qualité » (K. J.-M.
Kouamé, 2018, p. 74). En conséquence, les enseignants ne peuvent pas se préoccuper
du niveau de chaque élève. Ces enquêtés lèvent le voile sur le problème
infrastructurel qui constitue l’une des gangrènes que l’institution scolaire peine à
résoudre, en raison de l’absence d’une véritable politique. Le mieux serait de vite y
remédier si l’on ne veut voir le système éducatif aller sous les décombres.
3.3. Difficultés liées aux représentations que les élèves ont de la discipline
La discipline « français » a très souvent été l’objet de représentations en
milieu éducatif tant chez les enseignants que chez les élèves. Les enseignants
interrogés par K. J.-M. Kouamé (2018, p. 82-83) perçoivent le français comme une
langue imposée et une langue n’appartenant pas aux Ivoiriens, en dépit du statut
privilégié dont il jouit. Certaines opinions (une frange de ces répondants) qualifient
même le français comme un péril pour les langues ivoiriennes, au regard du danger
que sa promotion représente pour les langues locales. Si ces enseignants ont des
opinions défavorables au français, les élèves de leur côté ne disent pas le contraire.
Ils évoquent d’un côté la complexité du français, et de l’autre, l’inaccessibilité des
cours.
Dans les discours tenus, on constate que plusieurs expressions ont servi à
exprimer la complexité de la discipline. L’emploi des adverbes comme « trop »
(adverbe de quantité à valeur d’intensité), « vraiment » (adverbe de manière servant
à renforcer une idée), « très » (adverbe d’intensité à valeur superlative). Ces emplois
mettent en évidence le degré de complexité du français. À côté de cela, on note
l’emploi de l’adjectif indéfini « même » (C82) qui sert, en réalité, à souligner
l’identité d’une chose. Dans notre cas, cet emploi indique la particularité du français
en tant que discipline qui ne se laisse pas facilement déchiffrer. Ces arguments
tiennent au fait que les composantes qui servent à présenter cette discipline se fixent
elles-mêmes des objectifs au point d’apparaître comme étant de natures différentes,
s’éloignant ainsi du but général visé.
Ce cloisonnement porte préjudice aux apprenants qui se retrouvent devant
une multiplicité d’objectifs disparates qu’ils doivent atteindre simultanément en
faisant preuve d’ingéniosité. Établir les liens entre les différents objets à l’étude ne
semble pas une évidence pour tous les élèves (C. H. Chonou, 2018 ; K. S. Kouassi,
2018), quand l’on reconnait que les élèves ivoiriens sont plurilingues de fait, bien
que l’école prône le monolinguisme (K. J.-M. Kouamé, 2013). Or, ces composantes
devraient faciliter l’acquisition de compétences. Ce qui nécessite une conjonction des
différentes sous-disciplines qui donnera plus de sens aux apprentissages, dans la
mesure où les élèves verront les relations de ceux-ci et l’essor de leurs compétences
langagières.
Il en est de même de la présence des particules dicto-modales « dêh » et
« tchê », de la duplication « Français est dur dêh, vieux père, français est dur » qui ont
une valeur d’insistance. Si d’autres matières apparaissent très souples aux yeux de
la majorité des élèves, il n’en est pas le cas pour le français. Certains enquêtés vont
jusqu’à le comparer à du « caillou » (C77). Cet emploi métaphorique atteste
indubitablement qu’il est imperméable voire impénétrable. Ces interventions
corroborent les propos de L. Márcia (2001, p. 64) selon lesquels « les élèves se
représentent la langue française comme une langue difficile à apprendre ». Ce constat pose
le problème lié à l’inadaptation des contenus à l’environnement des apprenants. Si
le français est perçu comme une discipline complexe, qu’en est-il des savoirs
dispensés ?
L127 : « Production écrite comme ça là, on dit ça se ressemble, mais ce n’est pas
la même chose. Quand on fait pour la 3eme, le professeur nous dit que
non, c’est pas comme ça, on fait pas comme ça. Donc, on n’arrive pas à
comprendre, on sait pas pourquoi »
L135 : « Je peux dire que les cours sont difficiles à comprendre, c’est vraiment
difficile »
Ces répondants soulignent qu’ils ne comprennent pas les cours. Ils perçoivent le
français comme une discipline complexe. Les savoirs en français doivent a priori
répondre aux besoins et questions de ceux qui apprennent. Dans ce cas, les savoirs
destinés aux élèves ne devraient plus être présentés comme allant de soi, d’autant
plus que les élèves sont beaucoup demandeurs. Ils veulent toujours comprendre le
sens de ce qu’ils apprennent. Partant de là, l’enseignant doit prendre conscience de
la spécificité de son enseignement. Il doit comprendre qu’il a en face de lui des gens
qui apprennent une autre langue que leur langue maternelle (Dumont, 1983, p. 35
repris dans B. Diarra, 2009, p. 85). Aujourd’hui, les enseignants doivent intégrer la
pluriculturalité dont les apprenants sont porteurs. Bien que l’école soit tributaire du
monolinguisme, les élèves sont plurilingues par la force des choses, d’où la nécessité
de contextualiser l’enseignement.
Divers motifs peuvent conforter la position de ces élèves. Il est clair qu’à
l’école, toutes les disciplines ne suscitent pas le même intérêt chez les élèves. Même
si l’on peut taxer ces enquêtés de paresseux, il y a lieu de nous interroger sur la
nature même des savoirs transmis. En français, les savoirs sont abordés sous
plusieurs activités à travers les composantes dont la vocation est de faciliter
l’acquisition de la langue. Mais ces composantes se fixent elles-mêmes des objectifs
qui tendent parfois à s’éloigner du but général. Ce qui pose d’énormes défis aux
apprenants qui se trouvent confrontés à une disparité d’objectifs qu’ils doivent
atteindre en faisant preuve d’ingéniosité. C’est cette réalité que dépeint K. J.-M.
Kouamé (2014a, p. 16) quand il énonce que « l’élève est le plus souvent exposé à des
savoirs qui ne signifient rien à ses yeux parce que construits sans prise analytique sur ses
besoins réels, ses intérêts et inadaptés au contexte dans lequel il vit ».
Outre cet aspect, comme l’indiquent R.-F. Gauthier et A. Florin (2016, p. 13),
le milieu socio-économique des élèves influence leurs performances scolaires. Ils
soutiennent que « les élèves issus d’un milieu défavorisé sont moins impliqués,
moins attachés à leur école, moins persévérants, plus anxieux ». Pour ainsi dire que
le désintérêt des élèves pour le français relève en partie des réalités sociales
incommodes. En plus de ces réalités, on pourrait aussi avancer que ces derniers
accordent plus de primauté aux disciplines scientifiques.
Conclusion
Notre regard sur les difficultés en français d’élèves du secondaire ivoirien
révèle qu’elles sont multidimensionnelles. D’une part, on note à travers les réponses
données à une question qui leur a été soumise, les pratiques des enseignants qui
accentuent leurs difficultés. À ce sujet, les réponses des enquêtés semblent indiquer
la mauvaise gestion du temps en classe, la mauvaise gestion de la classe pendant les
activités de même que la négligence des cours ordinaires au profit des cours de
renforcement qu’ils tiennent moyennant une bourse. D’autre part, il y a les
conditions d’enseignement/apprentissage. Parmi ces conditions, on a le déficit
d’enseignants par rapport à la demande (des établissements ou des classes), le
manque d’un environnement intellectuel pour entourer et accompagner les élèves
dans leurs apprentissages. À cette liste s’ajoute le paysage linguistique fortement
hétérogène et favorable à la véhicularisation du nouchi. Par ailleurs, certaines
réponses mettent en évidence les représentations que les apprenants se font de la
discipline. Au nombre de ces représentations figurent la complexité du français et
l’inaccessibilité des cours. À ces facteurs, s’ajoute le manque d’intérêt pour la
discipline. Cette étude pourrait servir à réviser la politique éducative aussi bien que
les pratiques de classe pour une pédagogie beaucoup plus objective. Il faudra
également rendre fonctionnelles, s’il en existe, les bibliothèques au sein des
établissements, au cas contraire, en créer pour accompagner les élèves dans leurs
apprentissages.
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ﻣﻠﺨﺺ
. ﻓﺮﻧﺴﻲ ( ﻓﻲ ﺑﺮاﻣﺞ اﻟﺘﺮﻓﯿﮫ اﻟﺘﻠﻔﺰﯾﻮﻧﻲ/ ﺗﮭﺪف ھﺬه اﻟﻤﻘﺎﻟﺔ إﻟﻰ دراﺳﺔ ظﺎھﺮة اﻟﻠﻐﻮي اﻟﺘﻨﺎوب )ﻋﺮﺑﻲ
. ﻛﻤﺎ ﻧﻠﺤﻈﮫ ﻓﻲ اﻟﺒﻠﺪان اﻟﻤﻐﺎرﺑﯿﺔ اﻷﺧﺮى، ﻟﻘﺪ أﺻﺒﺤﺖ ھﺬه اﻟﻈﺎھﺮة ﺣﻘﯿﻘﺔ واﻗﻌﺔ ﻓﻲ اﻟﻤﺸﮭﺪ اﻟﻠﻐﻮي اﻟﺠﺰاﺋﺮي
. ﻓﺮﻧﺴﻲ( ﻣﻼﺣﻆ ة ﻓﻲ اﻟﻐﺎﻟﺐ اﻟﻤﻨﺎطﻖ اﻟﺤﻀﺮﯾﺔ اﻟﺘﻲ ﺗﺴﺘﺨﺪم ﻓﯿﮭﺎ أﻛﺜﺮاﻟﻠﻐﺎت/ ظﺎھﺮة اﻟﻠﻐﻮي اﻟﺘﻨﺎوب )ﻋﺮﺑﻲ
اﺳﺘﺨﺪام اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ ﻓﻲ اﻟﺒﺮاﻣﺞ اﻟﺘﻠﻔﺰﯾﻮﻧﯿﺔ ﻋﻠﻰ اﻟﺮﻏﻢ ﻣﻦ ﺳﯿﺎﺳﺔ اﻟﺘﻌﺮﯾﺐ ﯾﺠﻌﻞ دراﺳﺔ ھﺬه اﻟﻈﺎھﺮة ﻣﮭﻤﺔ، وﻟﻜﻦ
. ﺟﺪا
، ﻧﻘﺘﺮح دراﺳﺘﮭﺎ ﻓﻲ ھﺬا اﻟﺒﺤﺚ، ﻟﺬﻟﻚ.ﺿﯿﻮف ﺑﻌﺾ اﻟﺒﺮاﻣﺞ اﻟﺘﻠﻔﺰﯾﻮﻧﯿﺔ ﻟﯿﺴﻮ ﺑﻤﻨﺄى ﻋﻦ ھﺬه اﻟﻈﺎھﺮة اﻟﻠﻐﻮﯾﺔ
. ﻓﺮﻧﺴﻲ ( ﻓﻲ ﺑﺮاﻣﺞ اﻟﺘﺮﻓﯿﮫ اﻟﺘﻠﻔﺰﯾﻮﻧﻲ/ ﻟﻤﻌﺮﻓﺔ دور اﻟﻠﻐﻮي اﻟﺘﻨﺎوب )ﻋﺮﺑﻲ
Introduction
Quiconque a pris le temps d'observer des groupes naturels en pleine
conversation se rend compte que l'information sur les schémas d'interprétation
est transmise à la fois par le contenu de la phrase et par des questions de
formes telles que le choix de la prononciation, du dialecte, ou le style de
discours.
Gumperz (1989)
Désirant suivre cette voie, nous avons choisi dans le cadre de cet article de
porter un regard sur les pratiques langagières des algériens dans les émissions
télévisées. Nous avons considéré que l'aspect linguistique des émissions de
divertissement peut constituer un centre d'intérêt pour tout chercheur curieux
de comprendre les raisons de l'emploi de deux langues au sein d'un même
discours. Nous avons constaté que l'alternance codique est omniprésente dans
les conversations quotidiennes des Algériens même de ceux qui ne maîtrisent
pas parfaitement le français. Or, si nous voulons réellement appréhender le
phénomène, nous avons vu qu'il est indispensable de l'analyser à partir de
données authentiques. En d'autres termes, essayer d'analyser le fonctionnement
d'échanges langagiers effectivement attestés, en prenant dans notre contexte de
travail les discussions enregistrées dans différents numéros d’une émission
télévisée hebdomadaire qu’a diffusé la Chaine nationale, "Saraha raha" qui
incarne parfaitement le phénomène dont il est question. Nous nous
interrogeons sur le recours excessif au français par les invités de l’émission ou
la fréquence de l’alternance codique ainsi que les fonctions que remplissent
celle-ci.
0.2. Objectifs
L’objectif est d’identifier les usages alternés des langues (arabe dialectal/
français) dans le cadre des émissions télévisées, leurs aspects
morphosyntaxiques ; ensuite, repérer les règles qui régissent le fonctionnement
de l’alternance codique et qui permettent de montrer son rôle au niveau
conversationnel et interactionnel.
2.2. Réitération
Exprimer un message en français puis le répéter littéralement ou avec
modification en arabe ou l'inverse est très fréquent chez les invités de
l’émission :
Exemple 01
Locuteur A:
-Nafs lmochkil howa mochkil lmonchaât riyadia, les infrastructures fi dzair.
Exemple 02
Locuteur A:
Les textes taw3ek matktebhoumche ki trou7 taxdm .Est ce que ya3touk
lfikra , l'idée w ba3d dalik tmodifiha?
Exemple 03
Locuteur A:
-mba3da zdna ktachfna d'autres talents, mawahib li Farid le rockeur…
- Est-ce que tu es du même avis que c'est pour parler rapidement, C’est-à-dire
rapidement?
Les exemples confirment ce que nous avons déjà avancé à propos de cette
déficience lexicale. Ainsi, l’animateur n'a pas cessé d'utiliser cette tournure dans
ses questions adressées aux invités. A notre avis, c'est un mot interrogatif qui
n'a pas d'équivalent en arabe dialectal. En arabe classique le mot interrogatif "
hal " est rarement employé par les Algériens surtout dans l'usage quotidien. En
outre le mot interrogatif "Pourquoi" qui a comme équivalent en arabe dialectal
"w3lach" et " leh" est peu utilisé par l'animateur ainsi que les invités de
l'émission. Donc, nous pouvons déduire que les locuteurs algériens n'hésitent
pas à se servir du mot interrogatif "est ce que " pour questionner ou interviewer.
Nous rappelons aussi que chercher à combler un vide par un mot français
dans le cadre de l'émission vise à éviter des pauses inutiles ou un blocage
non souhaité devant les spectateurs.
-Déficience lexicale
Notre étude des discussions de l'émission a révélé un autre facteur
responsable de l'alternance codique : La déficience lexicale des Algériens en
arabe dialectal. Selon certaines études sur l'alternance codique (Gumperz1989,
Zongo B. 2004), ce manque de mots dépend du thème abordé par le groupe.
Certains domaines spécialisés exigent l'emploi des mots français car certains
d'entre eux n'ont pas d'équivalents en arabe dialectal. D'autres sont rarement
utilisés par les Algériens. Les mots peu utilisés dans la vie quotidienne
échappent aux locuteurs de l'émission et les remplacent par des mots français
afin de compléter une idée ou maintenir la parole.
Conclusion
Partie D'observations spontanées sur les pratiques langagières des invités
d’une émission de divertissement, nous avons voulu comprendre les règles qui
régissent le fonctionnement de l'alternance codique chez les locuteurs algériens
d'où la question de départ : Pourquoi le recours excessif au français dans une
émission télévisée où l'arabe est exigé? Les facteurs déclencheurs de l'alternance
codique répertoriés dans notre analyse comportent deux dimensions :
- la dimension linguistique ;
- la dimension extralinguistique.
langue française véhicule le discours des Algériens même dans des situations
où l'arabe est exigé. Le phénomène de l'alternance codique est intimement lié à
l'étendue et la complexité du répertoire linguistique des sujets parlants
algériens.
Références bibliographiques
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approche sociolinguistique de la société algérienne, El Hikma.
Introduction
Le bamanankan (bambara) est une langue parlée par plus de 14 000 000
de locuteurs natifs (Ethnologue 2018) en Afrique de l’Ouest. Elle reste
cependant une des variantes du manding (mandenkan) dont l’épicentre est le
Mali. Elle est de loin la plus parlée de ses consœurs (Jula, Maninkakan,
kasonkakan) au Mali et demeure aussi la plus véhiculaire des 13 langues
reconnues nationales par les textes du Mali. Elle possède une population
locutrice autochtone de plus de 4 000 000. Le bamanankan fut doté d’un
alphabet officiel depuis 1966, un alphabet dont les 27 lettres proviennent de
l’alphabet latin. Il est également assez instrumenté en matière de livrets de
grammaire (Dnafla 1997) et de lexique (Dnafla 1983). A cet égard, il dispose
d’une métalangue assez stabilisée en grammaire et de quelques dictionnaires
monolingues (Koné 1995, Dukure 2008) et bilingues (Vydrine 1999, Bailleul
2007, Dumestre 2011). Les productions sur la terminologie restent quand bien
même en deçà des attentes, surtout dans la spécialité biologie.
Par conséquent, la présente contribution porte sur les fiches
terminologiques d’une thèse soutenue sur la biologie en 2019 ; des fiches, dont
les entrées, n’ont bénéficié d’aucun appariement bamanankan si ce n’est qu’à
l’issue d’une création néonymique. Il s’agit d’une thèse ayant fait le
dépouillement terminologique des entrées de sa nomenclature sur la base d’un
corpus représentatif du point de vue nombre de documents y contenant (voir
thèse, 1.6 méthodologie de la recherche). La biologie humaine y est traitée dans
les limites de celle étudiée à l’école fondamentale1. Le travail de recherche de la
thèse a conduit à une exploration de 3 zones dialectales du bamanankan
(Baninko, Segou, Bélédougou) à l’issue de laquelle les entrées pourvues de
dénomination bamanankan (793, soit 38,59%) et celles dépourvues de
dénomination bamanankan (1 262, soit 61,41%) ont été différenciées les unes
des autres.
Vu le nombre très élevé d’entrées pouvant figurer dans la présente
contribution, 1 262 entrées, il a été jugé nécessaire de fixer un nombre à
présenter dans la contribution. Il est donc procédé de trier, sur le volet, cinq
fiches parmi les 1 262. Le tri à viser principalement les notions clés des sous
domaines de la biologie traitée ayant un néonyme comme appariement
bamanankan. Les fiches sont consignées en ordre alphabétique dans la
nomenclature d’expression française comme ce qui suit : anatomie, appareil,
cellule, méninge, microbiologie, nerf.
2 « Forme graphique sélectionnée pour servir d'adresse, d'entrée dans une liste lexicale » (Gr05)
Les libellés des cases portent sur les critères qui ont prévalu dans le choix et la
réalisation de l’unité retenue.
Le maximum d’éléments pouvant faire toute la lumière sur les modes de
formation, de relation, d’attestation, ou encore de prolificité de la dénomination
aux yeux du lecteur y a été intégré (Rondeau 1984 :134). Ce critères peuvent
servir de grilles d’appréciation des organismes de normalisation et de
validation en plus d’être des facteurs d’acceptabilité chez les usagers ordinaires
des termes.
Les cases ne sont quand même pas toutes régulièrement renseignées
d’une fiche à l’autre vu qu’il y a interdépendance entre certaines. Alors, selon
que la dénomination en étude soit en faveur d’un remplissage ou non d’une
case distincte, cela se répercute sur le remplissage de la case avec lequel il existe
une corrélation. A titre d’exemple, si la case « procédé de formation » est
renseignée avec la valeur « non construit », cela va forcément se répercuter sur
le contenu de la case « analyse des formants » qui restera vide parce que le mot
non construit ne possède de formants internes en dehors de lui-même. Par
ailleurs, les cases sont traitées de la manière suivante : la case « dénomination »
correspond à la dénomination bamanankan trouvée pour le concept véhiculé
par l’entrée française.
La case « procédé de formation » ou mode de formation selon les auteurs
a été ajoutée à cette microstructure dans le souci de s’apercevoir de la règle de
formation morphologique qui sous-tend la mise au point du vocable. Son
contenu est une variable à trois valeurs qui sont la composition, la dérivation et
le mot non construit3. La troisième valeur, non construit ou mot
monomorphématique chez certains auteurs, est à comprendre dans le sens de
toute formation qui ne fait ni appel à la composition ni à la dérivation encore
moins à la formation hybride. Il s’agit de la formation singulière du mot simple
(Lehmann 2008 :163) opposé au mot construit (composé, dérivé, hybride).
Dans la case « analyse des formants », la dénomination est segmentée en ses
plus petites unités constitutives porteuses de sens. Les mots non construits sont
d’office écartés d’une telle analyse puisque ces derniers ont une morphologie
insécable. Cet exercice sert à mieux appréhender les frontières morphologique
et sémantique du lexème tout en fournissant la traduction de ses unités
minimales en français. Il arrive de maintenir certaines parties en un seul bloc si
ce bloc est une formation figée ou s’il est beaucoup plus porteur de sens en
français étant en bloc qu’étant scindé. Même maintenus en bloc, les éléments
internes d’un tel formant sont délimités à l’aide d’un point dans leur frontière.
Comme son nom l’indique, la case « traduction littérale » est une section qui est
3Aïno (Niklas-Salminen 1997) attribue la métalangue « mot monomorphématique » au mot non construit.
Elle le décrit de la manière suivante : « quand le mot est formé d’un seul morphème (=
monomorphématique), il s’agit, d’après une terminologie courante, d’un mot simple : fille, maison,
ministre, moustique, timide, garçon, femme… » (p.17).
pratiquant l’extension de sens sont dites néologie de sens. Dans ce dernier cas, il
peut s’agir d’un mot non construit, le plus fréquent, ou d’un mot construit se
chargeant avec une nouvelle acception.
La case « cadre normatif » est renseignée avec des informations relatives
à toute recommandation exigée par le processus normal du traitement. Puisque
toute question de normalisation appartient à un organisme mis sur pied à ce
titre, le rédacteur ne peut prétendre trancher aucune de ces questions à lui seul.
Cependant, la plupart des données de la section est notre propre intervention
pour trancher soit entre deux synonymes ou entre la dominante établie et une
autre dénomination plus crédible.
La case « productivité » est incorporée dans le souci de vérifier la
prolificité de la dénomination. Il s’agit des deux types de productivité
(Lehmann 2008, p.163) : la productivité attestée et la productivité prédictible. Il
montre jusqu’à quel degré, le vocable de la dénomination est capable de partir
en composition ou en dérivation avec d’autres morphèmes pour satisfaire des
besoins de dénomination pour d’autres concepts qui souffrent déjà ou qui
souffriront du manque de dénomination (Dubuc 2009 :141). En un mot, la
composabilité et la dérivabilité du néonyme y sont évaluées en provoquant
quelques constructions de mots, peu importe qu’on désigne ou pas un concept
que la construction servira à dénommer. Le champ est moins régulièrement
renseigné vu que certaines dénominations sont du modèle improductif. La
dernière case est celle du « commentaire ». Elle sert à contenir les réserves, les
observations et même les amendements qui garantissent la cote de pondération
de la dénomination. En cas de manque d’additifs, la case n’est pas renseignée.
Voici donc les fiches qui se suivent les unes après les autres.
Données recueillies : nimafɛnkisɛ Alab; si Am3; niso den Db3; niden, nikisɛ Db4;
unité de structure et de fonction d'un organisme = unité de vie Kb3; nimafɛn jujɔn Kb4;
ɲɛnamaya jusigilan fɔlɔ Kb5; nimafɛn bɛɛ daminɛ Sb1; fɛnɲɛnama jujɔn Sb2; fɛnɲɛnama
daminɛ Sb4; ɲɛnamaya sun Sb5.
Appariement : tufa
Conclusion
La présente contribution met à la disposition des usagers de la biologie
humaine, la dénomination bamanankan toute nouvelle à propos de cinq
concepts. Certes, les dénominations sont des tentatives d’enrichissement de la
langue, mais elles demeurent une avancée en ce sens qu’aucune possibilité
d’utilisation de ces concepts dans l’acte de la parole en bamanankan n’est pas
encore aisée, faute de l’absence de dénomination consacrée qui circule en leur
nom. Ces propositions serviront de guide et peuvent à la longue être implantées
comme on le voie très souvent dans les métalangues forgées en bamanankan
dans les années 1970-1980 : mabɛn (grammaire), dafalen (voyelle), dafata
(consonne), wale (verbe). Tous ces néonymes suivent leur « petit bonhomme de
chemin » dans les centres d’alphabétisation et dans les échanges entre locuteurs
avertis du bamanankan.
Alors, tout porte à croire que les propositions faites dans cette contribution sont
promues à un bel avenir. Il s’agit de : farisodɔn (anatomie), minɛn (appareil),
tufa (cellule), sɛmɛfara (méninge), nimisɛndɔn (microbiologie), sɔmisira (nerf).
Références bibliographiques
Cotes et abréviations
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Am2 : Acquis de dénomination issus de la thèse de Macki Samaké 2004
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Dungew et MAKDAS 1975-2015
b6: Sciences d’observation 5è et 6è
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b88: Boden J., Biologie : géologie
b9: Sciences Naturelles 9è de Traoré Mamadou
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Db1, 2, 3, 4 : Enseignant spécialiste de biologie 1, 2, 3, 4, zone de Dioïla
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linguistique appliquée.
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Jaab93 : Musa Jabi, lexique spécialisé, DNAFLA 1993
Kb1, 2, 3, 4, 5 : Enseignant spécialiste de biologie 1, 2, 3, 4, 5, zone de
Kolokani
Km1, 2, 3, 4, 5 : Médecin spécialiste 1, 2, 3, 4, 5, zone de Kolokani
LEB : Larousse, Encyclopédie,
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/biologie/27091 (11 02 2018)
MAKDAS (Mali Kanko ni Danbe Sebaaya): groupe de promotion de la
culture et des langues nationales du Mali.
ME09 : Microsoft Encarta 2009
MEJ09 : Microsoft Encarta Junior 2009
RDC : République Démocratique du Congo
Sb1, 2, 3, 4, 5 : Enseignant spécialiste de biologie 1, 2, 3, 4, 5, zone de Ségou
Sm1, 2, 3, 4 : Médecin spécialiste 1, 2, 3, 4, zone de Ségou
Résumé : Le présent article part du constat selon lequel, les élèves du Lycée
Général Leclerc (LGL) de Yaoundé ne s’intéressent pas à l’enseignement des
langues nationales. Aussi, ce travail se donne pour objectif de montrer quel
peut être la contribution de l’Animation à la promotion de l’enseignement
de ces langues. La conduite de ce travail a mobilisé les techniques suivantes :
l’observation directe, la recherche documentaire, l’enquête par
questionnaires et les entretiens. Il ressort de l’enquête que la communauté
éducative du LGL et les élèves en particulier n’acceptent l’enseignement des
langues nationales que parce qu’il s’agit d’une instruction étatique. Au
regard de la situation et compte tenu de l’importance de la question des
langues nationales au Cameroun, il est proposé un dispositif de
dynamisation de l’enseignement des langues nationales dans cet
établissement.
Abstract : This present article arrise from the observations stating that the
students of lycée General Leclerc of Yaounde are not interested in learning
of the national languages. The objective of this work is to show how
animation can promote or better the teaching of these languages. This work
pattern is to mobilise the various techniques. Direct observation,
documentary research, investigation by questioning and chats. From the
research it shows that the educative community of lycée General Leclerc of
Yaounde and the students in particuler do accept the teaching of national
languages because it is a goverment’s instruction. With regards to this
situation, and taking into considration the importance of national languages
in Cameroon, it proposed that dynamic disposition should be taken for the
effective teaching of national languages in this school.
Introduction
La communauté internationale célèbre le 21 février de chaque année, la
langue nationale. L’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science
et la Culture (UNESCO) lors de la première réunion d’experts chargés d’étudier
les problèmes linguistiques relatifs à l’éducation de base en 1947, posait déjà la
question de la pertinence des langues nationales dans l’enseignement. Cette idée
fut renforcée des années plus tard par la Conférence des Ministères de
2. Méthodologie
Cette section présente d’une part, les participants à l’étude, et d’autre part,
les instruments et procédures d’enquête.
2.1 Participants
Les participants à cette enquête sont issus d’une population mère estimée
à 4193 sujets dont, 31 membres du conseil d’établissement et promoteur de
l’enseignement des langues nationales au secondaire, 4055 élèves, 07 enseignants
de langues et culture Camerounaise et 100 parents d’élèves. Sur la base d’une
technique d’échantillonnage non probabiliste, en l’occurrence l’échantillonnage
à choix raisonné, nous avons sélectionné 11 membres du conseil d’établissement,
125 élèves à qui l’on enseigne les langues nationales, 05 enseignants de langues
et cultures nationales et 30 parents d’élèves, pour un échantillon total de 1263
sujet soit un taux de représentativité de 30,12%. Les caractéristiques générales de
notre échantillon ont été répertoriées dans le tableau suivant :
Tableau 1 : Caractéristiques générales de l’échantillon
3. Résultats et discussions
Les résultats de ce travail sont présentés en deux blocs et discutés en même
temps. Le premier décline les insuffisances du dispositif d’enseignement des
langues nationales au LGL de Yaoundé, tandis que le deuxième présente à
travers une démarche fondée sur l’Animation, une stratégie de redynamisation
de l’enseignement des langues nationales dans cet établissement d’enseignement
secondaire.
en langues nationales. Cette situation est aggravée par le fait que plusieurs
d’entre eux n’appartiennent pas à l’ère linguistique de la langue enseignée.
Conclusion
Notre travail avait pour objet fondamental la promotion de
l’enseignement des langues nationales au LGL. Nous sommes partis du constat
selon lequel, malgré les dispositions prises par le gouvernement camerounais
dans l’introduction de l’enseignement des langues nationales dans le système
éducatif, plusieurs membres de la communauté éducative y compris les élèves
n’y accordent pas assez d’importance. Au terme d’une menée auprès de la
communauté éducative du LGL, des insuffisances ont été identifiées au niveau
des parents, des élèves, des enseignants, donnant lieu à un ensemble de
suggestions.
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l'enseignement supérieur. Loi.
ÉTAT DU CAMEROUN. 2013. Document de stratégie du secteur de l’éducation et de
la formation (2013-2020).
Introduction
Bien que phénomène réel, les statistiques ne sont pas courantes quant
aux enfants rencontrant des difficultés dans les apprentissages, notamment la
lecture et la transcription, qui sont en effet des activités cognitives très
complexes et qui reposent sur de nombreux autres processus cognitifs.
Beaucoup d’éléments peuvent entraver ces apprentissages, comme les inégalités
sociales, une inadéquation des pédagogies d’apprentissage avec les besoins et la
structure de la langue, les déficiences intellectuelles, les troubles sensoriels, les
troubles de comportement, les troubles de l’attention avec ou sans
hyperactivité, mais également les troubles spécifiques du langage, notamment
oral. Ces troubles apparaissent là encore en l’absence de tout autre trouble ou
de déficience intellectuelle (TSLO). Ces difficultés ont été cataloguées sous le
nom de dysphasie. Ces troubles ont longtemps été étudiés sous la forme d’un
groupe homogène, notamment concernant les difficultés retrouvées en matière
de langage écrit. Les multiples enjeux se superposent autour de l’acquisition du
langage écrit dans le cadre des troubles spécifiques du langage, ce qui induit
des questions suivantes : comment aborder un enfant qui a passé plusieurs
années dans le système scolaire sans parvenir à acquérir les différents principes
de la lecture ? Se concentrer sur l’apprentissage du langage écrit permet-il de
donner des compétences suffisantes à un enfant présentant un TSLO avec une
atteinte importante en matière de compréhension ? C’est pourquoi ces
questions nous préoccupent. En effet, nombre d’enfants scolarisés présentent
des troubles du langage oral qui impactent énormément leurs compétences
dans le domaine du langage écrit. A partir de toutes ces constations, faisons
d’abord l’hypothèse principale qu’il existe des différences entre les profils de
compétences en matière de langage oral et à l’écrit. De cette hypothèse
principale, des différences en matière de langage écrit peuvent apparaître
encore plus facilement en cas de compétences orales très déficitaires.
Avec l’appui des observations de classe, nous avons constitué des
groupes de compétences en matière de langage oral, des moins déficitaires aux
plus déficitaires. La comparaison des compétences de ces différents groupes en
matière de langage écrit peut nous en apprendre beaucoup sur leur évolution.
Aussi, nous sommes-nous fixé pour objectif général de porter un intérêt
particulier à l’impact des troubles du langage oral sur l’acquisition du langage
écrit. De cet objectif général découlent des objectifs secondaires qui sont de
rechercher le groupe qui progresse le plus dans l’acquisition de la lecture en
fonction du profil et du domaine étudié ; observer les dissociations qui peuvent
exister dans ces différentes populations présentant de grandes difficultés à
accéder au langage écrit.
Pour suivre le fil conducteur de notre étude, nous exposerons d’abord le
contexte théorique sur lequel nous nous sommes appuyés, puis nous
reviendrons sur les éléments de méthodologie de notre étude avant de donner
les résultats obtenus et de les discuter.
1. Contexte théorique
La relation entre sciences du langage et enseignement/apprentissage des
langues doit être appréhendée en fonction des prismes institutionnels et des
modèles théoriques qui l’organisent.
non phonological
language skills
+
B
A classic no
dyslexia impairment
+ phonological
classic poor skills
- SLI comprehenders
C
-
Illustration n°1 : Modèle à deux dimensions de la lecture de D.V.M.Bishop et J.
M. Snowling (2004, p.859)
Ce type de modèle existe notamment parce qu’en étudiant les différents profils
des enfants présentant des troubles spécifiques du langage écrit et des troubles
spécifiques du langage oral, il devient rapidement difficile d’être parfaitement
certain de ce qui les sépare réellement.
Enfin, il existe un débat au sujet des différents patterns retrouvés dans les
difficultés orthographiques entre les enfants présentant des troubles spécifiques
du langage oral et des enfants tout-venant, qui n’aboutit pas tout à fait au
même résultat selon les langues : plus d’erreurs phonétiquement inacceptables.
Finalement, il est moins abordé dans le domaine de la transcription
orthographique la question de l’existence d’une grande variation de profils que
dans celui de la lecture (C. Maillart et M-A. Schelstraete, 2012).
2. Méthodologie de la recherche
Un travail de recherche nécessite des outils et des procédures qui seront
appliqués à un public cible. Et pour analyser les résultats et les discuter, une
méthode de travail a été adoptée.
-un groupe d’enfants présentant des troubles globaux de l’expression orale sans
trouble de la compréhension ;
-un groupe d’enfants présentant des troubles mixtes, alliant à la fois des
difficultés de compréhension et d’expression orale.
Nous nous sommes intéressé à vingt enfants scolarisés, âgés de 9 ans à 14 ans. Il
y a six filles et quatorze garçons, ce qui semble conforme à la littérature dans la
mesure où les garçons sont les plus concernés que les filles par les troubles
spécifiques du langage (C. Maillart et M.A. Schaelstraete, 2012).
2.3 Méthode
Nous avons d’abord observé les résultats concernant le langage oral pour
établir plusieurs profils dans le domaine. Il a été choisi de réaliser seulement
trois groupes en fonction des différents troubles observés parmi les enfants et
en fonction des données admises par la littérature :
• Un groupe d’enfants présentant des troubles de l’identification des mots,
avec ou sans troubles de la répétition de mots, et avec ou sans trouble de
la production lexicale, en l’absence de tout autre difficulté orale (pas de
score en morphosyntaxe situé au-delà de -1 ET). Ces difficultés peuvent
être admises car dans d’autres études (D.V.M. Bishop et al., 2009), il est
admis que les enfants présentant un TSLE puissent présenter des
difficultés sur le plan phonologique et lexical. Ce groupe sera identifié
sous le nom de TLE.
• Un groupe d’enfants présentant des troubles globaux de l’expression
orale dans trouble de la compréhension. Les troubles de la
morphosyntaxe en expression sont ici systématiques. Ce groupe sera
identifié sous le nom de TLO-Exp.
• Un groupe d’enfants présentant des troubles mixtes, alliant à la fois des
difficultés de compréhension et d’expression orale. Ce groupe sera
identifié sous le nom de TLO-Mixte.
Ceci étant cette répartition effectuée, sur les vingt enfants concernés, on trouve
neuf enfants à la catégorie TLE, sept enfants à la catégorie TLO-Exp., et quatre
enfants à la catégorie TLO-Mixte.
3. Résultats et discussion
Distinguer l’ordre de l’écrit et l’ordre de l’oral constitue a priori un des
champs des sciences du langage, même si, sur le plan théorique, le débat se
poursuit y compris sur l’interprétation des observables.
3.1 Résultats
Concernant les résultats, il convient de distinguer plusieurs éléments. Il
est à noter dans un premier temps que tous les scores en lecture, en dehors du
niveau de compréhension écrite, et en orthographe sont déficitaires pour tous
les enfants par rapport à leur niveau scolaire et leur âge. En effet, ils sont
évalués en premier lieu alors qu’ils sont considérés comme non lecteurs/non
transcripteurs. Ils conservent un écart à la norme significatif, en particulier en
vitesse de lecture, mais sont capables d’accéder à la compréhension d’un texte
d’un niveau scolaire égal ou approchant celui dans lequel ils doivent retourner.
D’abord dans la comparaison des profils, il est attendu une réplication
d’une partie des résultats déjà retrouvés dans la littérature en lecture : il s’agit
de retrouver une forme de continuum. En effet, les enfants qui présentent le
plus de troubles du langage oral sont supposés présenter plus de difficultés à la
fois dans le décodage mais également dans la compréhension. Par ailleurs, nous
avons également été attentifs à la vitesse dans certaines épreuves, comme il est
préconisé dans l’étude de I. Talli et al. (2014), puis que c’est parfois sur ce type
de détails certaines compétences en lecture se jouent. Il est attendu le même
type de résultats concernant la transcription orthographique, sans forcément
beaucoup de références à la littérature : les enfants présentant le plus de
troubles du langage oral devraient être ceux présentant le plus de troubles en
matière d’orthographe, notamment au niveau de l’usage, comme dans l’étude
de D. Brizzolara et alii. (2011), qui s’appuyait sur la langue italienne, et
retrouvait des patterns orthographiques différents de ceux de la langue anglaise.
Notre orthographe étant moins opaque que celui de la langue anglaise, nous
pensons que des rapprochements sont plus faciles à établir. Des Anovas à
mesures répétées ont donc été utilisées en fonction des facteurs Temps
(début/fin de la prise en charge) et profil (TLE, TLO-Exp., TLO-Mixte) et en
fonction de l’épreuve utilisée.
-Résultats globaux
type : il n’y a pas de différence significative entre les différents groupes, mais
une différence significative là encore au cours du temps.
Les tendances qui se dégagent sur le temps de lecture sont en faveur des
enfants TLO-Exp. et TLO-Mixte : ils lisent les mots plus rapidement que les
enfants du groupe TLE.
-Compréhension en lecture
Le niveau de lecture est évalué sur un texte unique au cours duquel
l’enfant est examiné sur ses compétences en lecture. Le score est ici chiffré
comme suit : 0 représente une impossibilité totale d’accéder à la
compréhension, le niveau 1 correspond à la validation d’un niveau CE1, le
niveau 2 indique la validation d’un niveau CE2 et le niveau 3 la validation d’un
niveau CM. On remarque plusieurs choses au sujet de ces résultats : d’abord, il
existe une différence significative entre le début et la fin de l’enquête,
indépendamment de la question du profil (F(1,114)=244,85, p˂0,01) : les enfants
ont tous progressé. Néanmoins, ils ne semblent pas l’avoir fait de façon
homogène : on peut observer une tendance à la différenciation en fonction du
profil (F(2,114)=3,558, p˂0,023). Ce sont ici les enfants TLO-Mixte qui se
démarquent des groupes TLE et TLO-Exp., plus proches, que ce soit au début
ou à la fin de l’enquête. D’un point de vue descriptif, on remarque qu’en fin
d’enquête, la médiane chez le groupe TLO-Mixte est identique au troisième
quartile, ce qui implique une population déséquilibrée dans ses résultats. Si les
trois groupes ont la même médiane (3), ils sont plus nombreux chez les TLE et
TLO-Exp. à strictement la franchir que dans le groupe des TLO-Mixte qui s’y
arrête plus facilement. On remarque également que l’un des enfants n’a pas
progressé du tout sur ce plan parmi les enfants TLO-Mixte.
3.2 Discussion
Dans cette partie, nous mettons en discussion les résultats en rapport aux
objectifs et aux hypothèses.
ont été trouvés par cette même équipe (I. Talli et al., 2014), où des enfants
présentant un trouble spécifique du langage écrit étaient comparés à un unique
groupe d’enfants présentant des troubles du langage oral, ainsi que des groupes
contrôles appariés en âge chronologique et en âge de lecture. Ces éléments
apportent ici un argument en faveur de l’idée que les troubles du langage oral
et les troubles du langage écrit ne se recoupent et simplement, et pourraient
constituer deux troubles distincts.
-Compréhension écrite
L’évaluation de la compréhension écrite est ici réalisée à l’aide d’un texte
proposé paragraphe par paragraphe à l’enfant, lui offrant la possibilité de
valider différents niveaux scolaires de lecture : absence de fonctionnalité de la
lecture, CE1, CE2 et CM, indiquée sous la forme de chiffres (0, 1, 2, 3, 4). On
constate une progression très importante dans le temps de l’enquête : la
différence est très significative entre le début et la fin de l’enquête. Tous les
groupes ont donc progressé. On remarque néanmoins une tendance à la
différenciation entre les profils, ce qui pourrait impliquer que la progression
n’est pas exactement homogène entre les groupes. Les enfants du groupe TLO-
Mixte semblent obtenir des scores légèrement plus faibles que le groupe TLO-
Exp. et TLE.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que concernant la différenciation des
profils, il ne s’agit que d’une tendance, ce qui peut s’expliquer par le manque de
variabilité du score obtenu : l’écart-type est plutôt grand, notamment pour le
groupe TLO-Mixte (supérieur à 1) et les différences de scores possibles ne sont
pas très étendus, ce qui ne permet pas forcément d’obtenir la prise en compte
d’une variabilité significative. On observe ici une réponse à une interrogation
commune : malgré des scores très déficitaires en matière de compréhension
orale, que ce soit en termes de lexique passif ou de compréhension de phrases,
les enfants du groupe TLO-Mixte progressent en matière de compréhension
écrite, et d’une manière qui semble s’approcher de celle des enfants des deux
autres groupes. La compréhension écrite constitue donc un aspect à ne surtout
pas négliger, malgré les difficultés de compréhension orale qui peuvent exister
par ailleurs chez les enfants TSLO.
-Transcription
C’est l’un des points les plus originaux de notre travail dans la mesure
où c’est un processus peu étudié dans la littérature en psycholinguistique. Sont
ici évaluées la transcription des syllabes puis des phrases, contrairement à
d’autres études où est évaluée l’écriture de mots isolés, sur la même base que
celle utilisée pour les voies de lecture (mots irréguliers, mots réguliers,
logatomes), comme dans les travaux de C. Bednarek et S. Neves (2013), ou de D.
Brizzolara et alii. (2011). Cela ne permet pas forcément d’obtenir le même type
de critères et semble donc en frein aux comparaisons, tout en écartant des
Conclusion
Si l’ensemble du traitement des données n’a pas pu fournir de résultat
permettant de répondre à toutes nos hypothèses, l’originalité de notre
démarche est de proposer des éléments concernant les processus entrant en jeu
dans la transcription en langue française. Par ailleurs, nous avons pu observer
que même pour des enfants avec des compétences extrêmement faibles dans le
domaine du langage écrit après plusieurs années dans le système scolaire
ordinaire, un enseignement scolaire adapté permettait d’accéder à une certaine
fonctionnalité de compréhension de la lecture pour une grande majorité d’entre
eux. Cette étude nous semble ouvrir d’autres perspectives pour mieux
comprendre comment fonctionnent les troubles de l’acquisition du langage oral
et du langage écrit. En effet, il serait intéressant d’étendre la population,
notamment au niveau des enfants présentant un trouble spécifique du langage
oral, pour permettre de construire des groupes avec des outils de compétences
plus fins. L’ajout de trois groupes d’enfants tout-venant semble également une
nouvelle voie d’exploration, comme I. Talli et al. (2014) le proposent dans leurs
recherches. Ici, on pourrait envisager la question en appariant les enfants
présentant des troubles à des enfants tout-venant de même âge chronologique
d’une part, de même âge de développement du langage oral, et enfin de même
âge de développement du langage écrit. Cela permettrait d’observer un certain
Références bibliographiques
BEDNAREK Cécile et NEVES Sarrah. 2013. Acquisition du langage écrit chez les
patients présentant un trouble spécifique du langage oral à prédominance
expressive (de type phonologique-syntaxique) : étude transversale CE2 et étude
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accurately despite language impairment: « who are they and how do
they do it? », Child development, 80, vol.2, p. 593-695
SAVIGNY Michel et al. 2001. Batelem-R, batterie d’épreuves pour l’école élémentaire.
Cycle II et première année du cycle III, Paris, EAP, 134 p.
TALLI Ioanna et al. 2015 “Is there an overlap between specific language
impairment and developpemental dyslexia? New insights from French”,
Language Acquisition and Language Disorders, n°58, p.57-88
Introduction
Le Brevet d’Étude du Premier Cycle (B.E.P.C.) est le second diplôme de
l’enseignement général au Burkina Faso. Il atteste de l'acquisition de
connaissances générales au terme de quatre années d’étude (6e, 5e, 4e et 3e) dans
les disciplines telles que les mathématiques, les sciences physiques, les sciences
naturelles, l’histoire-géographie, l’anglais, le français, et, l’éducation physique
et sportive.
L’épreuve de français, l’une des sept épreuves, comporte trois sous-
épreuves que sont la dictée, le maniement et la connaissance de la langue et
l’expression. Parmi ces sous-épreuves, la dictée semble redoutée par les
candidats, parce que nombreux parmi eux y obtiennent une note de « 00/20 ».
Pourtant la dictée fait depuis longtemps partie de l’enseignement-apprentissage
du français. Elle est donc un outil de contrôle du degré de maîtrise de la langue
française. Son objectif est d’amener l’apprenant à réinvestir ses acquis
linguistiques. C’est pour cela qu’elle est une composante de l’épreuve de
français au B.E.P.C. Mais, pourquoi plusieurs candidats ont-ils zéro en dictée ?
L’hypothèse qui découle de cette interrogation est que les zéros à la dictée sont
dus, d’une part, à la non maîtrise des règles grammaticales et orthographiques
par les candidats et, d’autre part, à la rigidité du barème de notation. Ces zéros
à la dictée contribuent à faire baisser le taux national de réussite au B.E.P.C.
Dans ce présent article, notre objectif est de proposer une nouvelle forme
d’évaluation de la dictée, afin de réduire au minimum le nombre de zéros et par
ricochet, rehausser le taux de réussite national. Pour étayer notre hypothèse,
l’analyse portera d’abord sur les outils de la langue, ensuite nous tenterons de
donner les causes des zéros des candidats à la dictée et enfin, nous proposerons
une nouvelle forme d’évaluation de la dictée au B.E.P.C.
l’enfant de Félix. » (Cf. Sanou/Dao et al. 2010) a permis d’apprendre une autre
variante du même son « an » mais s’écrivant cette fois-ci avec la lettre « e ».
Les lettres qui avaient été apprises pêle-mêle en classe de CP1 par
l’apprenant sont ordonnées par ordre alphabétique en classe de cours
élémentaire première année (CE1). La prononciation de certaines lettres a même
été modifiée. Il s’agit notamment des lettres « c, f, g, h, j, k, l, m, n, r, s, w, x, y,
z ». À partir du classement alphabétique des lettres, l’acquisition de l’alphabet
français est effective. Dès lors, il ne s’agit plus d’apprendre l’alphabet, mais de
combiner les lettres entre elles pour former des mots. Donc, nous pouvons
définir le mot comme étant formé d’un ou de plusieurs lettres. C’est ce que
Porée (2011, p.61) confirme en ces termes : « Les mots sont des entités formées
de petits signes appelés lettres. ». Par exemple, dans la phrase « Ali a un seau
d’eau sur son vélo.», le premier mot « Ali » est formé de trois lettres, alors que
le deuxième mot « a » est formé d’une seule lettre.
Une fois les vingt-six (26) lettres bien mémorisées, l’usager de la langue
française peut générer une infinité de mots. Ces mots, combinés entre eux, lui
permettent de construire des phrases. Une phrase est donc formée d’un ou de
plusieurs mots. Par exemple, « Les élèves inconscients bavardent en classe. »,
« Silence ! » sont des phrases. La première phrase est formée de six mots, tandis
que la seconde est formée d’un seul mot. Mais, il est judicieux de signaler qu’il
ne suffit pas d’aligner des mots pour former une phrase. Ainsi, « Les bavardent
inconscients en classe élèves. » n’est pas une phrase, car elle n’a aucun sens.
Une phrase est donc, selon Urbain Domergue cité par Tisset (2010, p.51), une
« unité ayant un sens complet, contenant autant de propositions que de verbes
finis ». L’agencement des mots dans la phrase tient compte des constituants
canoniques de la phrase verbale. De ce fait, « Les élèves inconscients bavardent
en classe. » est formé du groupe sujet « les élèves inconscients », du groupe
verbal « bavardent » et du groupe circonstanciel « en classe ».
Avec les milliers de mots que compte la langue française, comment
construire des phrases dépourvues de fautes ? À priori, il semble impossible
d’écrire un texte sans fautes. Il est à noter qu’un texte est un enchevêtrement de
phrases. Mais, pour Maingueneau (2001, p.143), il « n’est pas une simple
succession de phrases, [car] il constitue une unité linguistique spécifique ». Le
texte est alors « une suite bien formée d’unités (phrases, propositions, actes de
langage ou d’énonciation) liées progressant vers une fin ». (Adam et Petitjean
1995, p.84). La langue s’est dotée de règles permettant aux usagers
d’orthographier correctement les mots. Une application efficiente de ces règles
permet alors de produire un texte sans fautes d’orthographe grammaticale, ni
de fautes d’orthographe lexicale.
1La syllabation est la prononciation d’un mot en syllabe. Une syllabe est l’association du phonème d’une
voyelle et celui d’une consonne formant un son unique.
la même famille. Il suffit, par exemple, que l’élève sache comment on écrit le
mot « physique » pour réussir aisément, à écrire correctement les mots
« physiologie, physiologiste, physionomie », car ayant le même radical que
« physique ».
La dictée est l’un des outils utilisés par l’enseignant pour contrôler le
degré d’acquisition des règles d’accord et la connaissance des mots de la langue
par l’élève. De ce fait, un texte lui est dicté et la tâche lui revient d’orthographier
correctement les mots. Ainsi, la correction d’une copie de dictée consiste à
rechercher des anomalies d’écriture. En effet, l’enseignant sillonne le texte des
yeux à la recherche de fautes. Pour espérer avoir la moyenne, l’élève doit éviter
de commettre beaucoup de fautes, car une faute d’orthographe grammaticale
lui coûte deux points et une faute d’orthographe lexicale un point.
2. Corpus
Dans la conduite de notre étude, nous nous sommes intéressé aux élèves
de la classe de troisième, candidats au Brevet d’Étude du Premier Cycle. Ainsi,
notre corpus est constitué de dix copies de dictée de l’épreuve de français de
l’examen du B.E.P.C. de la session de 2019 au Burkina Faso. Nous avons choisi
cet examen final, car les notes révèlent le niveau réel des candidats. La dictée
avait pour titre « La plaine commune » et a été extraite de l’œuvre Kalahaldi, la
patte de charognard de l’écrivain burkinabè Baba Hama. L’œuvre a été publiée en
2014 aux éditions L’Harmattan. La dictée comporte cent-vingt-quatre (124)
mots, y compris le titre.
Dans le centre d’examen de Léo, composé de six jurys, les correcteurs2,
en présence des encadreurs (deux inspecteurs de l’enseignement secondaire et
un conseiller pédagogique), ont adopté le barème suivant pour la correction des
copies.
- une faute d’orthographe grammaticale égale à moins 2 points ;
- un accent mal placé (accent entrainant le changement de la classe du mot
comme à et a ; ou et où) égale à moins 2 points ;
- un mot sauté ou inventé égale à moins 2 points ;
- absence de référence du texte égale à moins 2 points ;
- absence de titre égale à moins 2 points par mot ;
- une faute d’orthographe lexicale égale à moins 1 point ;
- absence de majuscule en début de phrase ou nom commun portant une
majuscule égale à moins 1 point ;
- absence d’accent (aigu, grave, circonflexe) au nombre de quatre égale à moins
1 point ;
- la ponctuation : absence de virgule3 au nombre de quatre égale à moins 0,5
point.
4. Discussion
L’un des objectifs de l’enseignement du français au post-primaire est
d’amener l’élève à produire des textes selon la situation de communication.
Ainsi, l’élève, à la sortie de la classe de troisième, doit pouvoir s’exprimer
convenablement à l’oral et à l’écrit, de manière à se faire comprendre. Il doit
donc être capable de :
- rédiger une lettre privée ou officielle avec explication et argumentation,
- rédiger un récit riche et complet avec dialogue et/ou portrait,
- rédiger la suite d’un texte,
- rédiger la scène antérieure d’un texte donné,
- produire tout type d’argumentation.
(Inspection de Français, 2010)
décider de la note qu’on doit attribuer à la copie. En plus, elle motive les élèves
à la lecture et à la rétention des règles d’accord, puisque désormais ils savent
que la dictée n’est plus synonyme de zéros. Enfin, l’élimination des zéros à la
dictée aura pour conséquence positive la réduction du taux d’échec au B.E.P.C.
Conclusion
L’on retient que la dictée est la bête noire des candidats au Brevet
d’Étude du Premier Cycle, parce que plusieurs d’entre eux y ont zéro. Sur cent
(100) élèves qui ont réussi au BEPC de la session de 2019, et, qui sont inscrits en
classe de seconde au titre de l’année scolaire 2019-2020 que nous avons
interrogés, soixante-treize (73) élèves affirment avoir eu zéro en dictée. La
principale cause du nombre élevé de zéro est la non maîtrise des règles de la
langue, doublée d’un désintérêt pour la lecture par les élèves. En plus de ces
deux causes, il ressort que le barème de notation, ainsi que le mode
d’évaluation de la dictée sont des facteurs aggravants. C’est ainsi que nous
estimons qu’il est préférable de remplacer la dictée classique, source de
mauvaises notes, par la dictée à trous, plus avantageuse.
Références bibliographiques
ADAM J.-M. & PETITJEAN A. 1995. Le texte descriptif, Paris, Nathan.
CHARTRAND S.-G., AUBIN D., BLAIN R., SIMARD C. 2011. Grammaire
pédagogique du français d’aujourd’hui, Montréal, Chènevière Éducation.
DUBOIS J. & LAGANE R. 2009. Grammaire, Paris, Éditions Larousse.
GAILLARD B. 2015. 100 jours pour ne plus faire de fautes ! Grammaire, orthographe,
conjugaison, Paris, Éditions de l’Opportun.
HAMON A. 2007. Grammaire et analyse. Analyse grammaticale et analyse logique,
Paris, Hachette Éducation.
LEFRANÇOIS P. 2009. « Mettons-nous d’accord ! », Vivre le primaire, n°1,
volume 22, p. 28-39.
MAINGUENEAU D. 2001. Éléments de linguistique pour le texte littéraire, 3e
édition, Paris, Nathan.
PACTON S., FAYOL M., PERRUCHET P. 1999. « L'apprentissage de
l'orthographe lexicale : le cas des régularités », In Langue française, n°124,
pp. 23-39.
POREE M.-D. 2011. La Grammaire française pour les Nuls, Paris, Éditions First-
Gründ.
RIEGEL M., PELLAT J.-C. & RIOUL R. 2014. Grammaire méthodique du français, 5e
édition, Paris, PUF.
SANOU, DAO B. & SIDIBE, DOUAMBA J. 2010. Lire au Burkina 1re année,
MEBA.
SIFFREIN-BLANC J. et GEORGES F. 2010. « L’orthographe lexicale », In
Développements, volume 1, n°4, pp. 27-36.
Durée : 30 mn
Coefficient : 01
Nom ……………………………………………………………………………………...
Prénom(s)………………………………………………………………………………...
N° PV :……………………………………………………………………………………
Centre :…………………………………………………………………………………...
Jury :………………………………………………………………………………………
Consignes
Choisissez la bonne orthographe et reportez-la dans le texte en vous servant des
numéros.
Conjuguez correctement les verbes dans le texte au temps indiqué entre
parenthèses.
Annexe 2 : Taux de succès au B.E.P.C. depuis ces dix dernières années au plan
national
Années Taux de succès
2010 30,70%
2011 30,63%
2012 52,30%
2013 22,57%
2014 28,73%
2015 39,22%
2016 29,41 %
2017 28,85%
2018 42,94%
2019 26,62%
Source : www.menapln.gov.bf
Introduction
Il n’y a point de chercheur solitaire au monde qui réussisse. Autrement dit,
il n’y a point de progrès scientifique sans une constante collaboration entre
chercheurs. Forts de cette exigence, les universitaires ouest-africains, à l’instar
de leurs pairs d’autres régions africaines et du monde entier, multiplient les
cadres de rencontres d’échanges et de formation tels que les séminaires, les
conférences, les symposiums, les congrès et les colloques. Aussi avons-nous
constaté que chacune de ces rencontres scientifiques rime avec un contact de
langues entre le français et l’anglais, deux langues internationales parfois en
conflit, qui constituent respectivement les langues officielles et d’enseignement
des pays francophones et anglophones de l’espace ouest-africain. Ce contact de
langues est d’autant plus évident que les communications sont animées, soit en
français, soit en anglais, et l’une ou l’autre langue est forcément la langue
officielle et d’enseignement du pays d’accueil des participants, venant
naturellement de pays francophones et anglophones. Or il y a des participants
francophones qui ne parlent pas l’anglais et vice versa.
Ainsi, dans cette situation de contact de langues, nous nous demandons si le
fait de ne pas parler la langue des communicants ne constitue-t-il pas une
entrave à l’intégration de certains participants lors des colloques
scientifiques en Afrique de l’Ouest. Pour répondre à cette préoccupation, la
présente étude se fixe pour objectifs, d’une part, d’analyser les difficultés
d’intégration des participants ne parlant pas la langue des communicants lors
des colloques scientifiques organisés en Afrique de l’Ouest et, d’autre part, de
proposer des mesures pour faciliter leur intégration harmonieuse.
Pour ce faire, nous formulons les hypothèses que, lors des colloques
scientifiques internationaux de l’Afrique de l’Ouest :
- certains participants ne parlant pas la langue des communicants se
sentent marginalisés au cours des communications;
- certains participants ne parlant pas la langue de leurs collègues
participants éprouvent des difficultés pour sympathiser avec eux en
vue d’une collaboration scientifique.
de la différence de langues
Collaboration scientifique ponctuelle 67,50% 32,50%
et éphémère
Regroupement par affinité selon la 85,50% 14,50%
langue en partage
Conclusion
Cette étude nous a permis d’aller à la rencontre de participants et
organisateurs francophones et anglophones de colloques en Afrique de l’Ouest.
Cette rencontre a été rendue possible par le truchement de questionnaires, après
des observations directes des comportements des participants au cours de
plusieurs colloques. Les résultats obtenus nous ont confirmé nos hypothèses de
départ, à savoir que certains participants ne parlant pas la langue des
communicants se sentent marginalisés au cours des communications et
éprouvent des difficultés pour sympathiser avec eux en vue d’une collaboration
scientifique. Les diverses manifestations de ce sentiment de rejet de certains
participants et de leurs difficultés ont été constatées par les observations
directes de leurs comportements et confirmées par des organisateurs de
colloques et par les participants eux-mêmes. Forts de cette situation déplorable
qui entrave le progrès de la recherche, des suggestions ont été proposées afin de
redonner à chacun la motivation et la joie de participer aux différentes
rencontres scientifiques. Il s’agit essentiellement de la mixité des ressources
humaines impliquées dans l’organisation, de la proposition des résumés de
communication dans toutes les langues du colloque, de la traduction de tous les
courriels ou correspondances, de la traduction de la communication et des
échanges, de la traduction des informations ponctuelles, de la sensibilisation sur
l’apprentissage des deux langues de colloque et du maintien du contact entre
organisateurs et participants. Ces mesures, rappelons-le, sont à appliquer tout
au long du processus, c’est-à-dire avant, pendant et après la tenue de chaque
colloque.
Références bibliographiques
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l’Europe nouvelle, Nancy, CEU.
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typologies, interventions, Jacqueline Billiez (dir.), Paris, L’Harmattan, 318
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DEPREZ, C., 2005, Langues et migrations : dynamiques en cours, Dans La
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JARDEL, J.-P., 1982, « Le concept de diglossie de Psichari à Fergusson »,
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LHOMME-RIGAUD, C. et DESIR, P., 2005, Langue et migration, Dans
Recherches en psychanalyse, n° 4, pp.89-101
Abstract: The French language has gradually become the common good of the entire
Francophone community. Language imposed by the colonizer, it serves as a means
of communication for any user belonging to this community. Leaving the bed of the
metropolis, this language will conflict with other languages. In this linguistic mix,
there is a violation of the classical principles that characterize the French language.
We are talking about the appropriation of French from the Francophone
community. In doing so, in Ivory Coast, the French language knows various
subversions in its use, especially in the use of mode participates. An unfinished
verbal form, the participle, defined as the canons of good usage by purists and
legislators, encounters lexical upheavals in the continuum of Ivorian French,
especially in spoken form. This semantic plurivocity is a hindrance in the education
system. The present study will show on the one hand the morphological aspects of
the mode participates and on the other hand the resémantisation of the participle in
the continuum of the Ivorian French.
Introduction
À l’instar des autres modes, le mode participe est perçu comme le mode le
plus difficile de la grammaire française. Sa difficulté d’emploi relève de ses
variations morphosyntaxiques et de ses usages dans les énoncés. Ce qui laisse
paraitre ce mode constitue comme un morceau de bravoure de la grammaire
française selon M. Arrivé et.al, (1986, p. 26). En effet, la complexité des règles
d’accord liées au mode participe marquée par sa variation désinentielle lui
confère le caractère de bête noire pour les apprenants de la langue française. Le
français, langue impérialiste et commune à l’espace francophone, a connu ses
lettres de noblesse au XVIIe siècle grâce aux orfèvres du bon usage que sont
Malherbe et Vaugelas. Proscrivant les mots d’emprunts latins, ces puristes et
législateurs du français ont su l’enrichir en la dotant d’une forme stable.
Toutefois, en imprégnant les communautés où l’hégémonie de cette langue s’est
avérée, elle s’est muée sans se débarrasser de ses canons, de son identité et de sa
norme. Par ailleurs, elle « s’adapte à différentes niches écolinguistiques,
s’acclimate, se transforme, prend racine » (L.-J. Calvin, 2010, p. 122). En Côte
d’Ivoire, le français, en contact avec les langues locales, connait un avatar à partir
de certains idiomes à travers la diglossie qui y prospère. Ainsi, les Ivoiriens
s’approprient le français en l’adaptant à leur sensibilité, un moyen de
communication indispensable aux besoins de l’expression d’une pensée
ivoirienne. Comment se présente cette altérité discursive à travers l’usage du
participe ? Dans une démarche argumentative et prenant appui sur la grammaire
prescriptive, cette réflexion se conduira dans une perspective à la fois descriptive
et énonciative pour montrer finalement d’une part les aspects morphologiques
du mode participe et d’autre part la résémantisation de ce mode dans le
continuum du français ivoirien.
(E1) : « La nuit précédant la fête des Ostensions, Saint-Junien s’emplit des voix
des ancêtres Armand et Junien. » (L’amour est toujours ailleurs, p. 19)
(E2) : « Un jour, fuyant la classe, l’enfant disparut dans la forêt. » (L’amour est
toujours ailleurs, p. 15)
(E3) : « Des rayons de lumières se croisaient dans les coins de ses yeux, faisaient
jaillir des bouquets de flammes, éclairant son visage. » (L’amour est toujours
ailleurs, p. 22)
Les mots en gras sont des participes présents du fait de la marque désinentielle
~ant. Ils ont tous une fonction verbale en ce sens qu’ils ont chacun un sujet
référentiel. Le participe présent « précédant » a pour sujet réel ou propre « la nuit
». Il est relié directement au participe. C’est la construction la plus usuelle dans
un énoncé. S’agissant du participe présent « fuyant », le sujet du verbe de la
principale est aussi celui du participe. En d’autres germes, le participe partage
son thème avec le verbe de la proposition principale. Il n’a pas de sujet propre.
La réécriture de cette phrase se présente ainsi : Un jour, l’enfant fuyant la classe
/ l’enfant disparut dans la forêt. L’on perçoit aisément le double usage du sujet
« l’enfant » qui embrasse les deux verbes « fuyant / disparut ». Quant au participe
présent « éclairant », il est rattaché au substantif « des rayons de lumières ». Les
catégories morphologiques du genre et du nombre du sujet n’affectent pas le
participe. Selon les principes grammaticaux, l’invariabilité du participe a été fixée
au XVIIe siècle. F. Brunot (1969, p. 354) note à cet effet que « l’Académie française
décida qu’on ne décline plus les participes actifs, depuis le 3 juin 1676 ». Cette
décision est relative à la nuance entre le participe présent et l’adjectif verbal. De
ce qui précède, l’on peut retenir que le participe présent est un temps du mode
participe. Il se caractérise par sa désinence ~ant et par son invariabilité. Par
ailleurs, il garde toujours ses fonctions verbales. Qu’en est-il du participe passé ?
Le participe passé combine deux fonctions : celle de l’adjectif et celle du verbe.
Ses principales caractéristiques résident d’abord, dans ses informités
désinentielles (~e, ~i, ~s, ~u, ~t.), ensuite, dans sa variabilité dans les règles
d’accord et enfin dans ses diverses formes (simple, composée et surcomposée).
Ces différentes caractéristiques se déclinent comme l’exposent les exemples ci-
après :
(E4) : « J.-C. me promenait à travers ces rues de forêts recréées, devant les vitrines
des magasins décorées aux couleurs de la fête et aux symboles de la foi. »
(L’amour est toujours ailleurs, p. 17)
(E5) : « Au moment où nous revenions au village, des gouttes de pluie avaient
commencé à écraser sur le sol. » (L’amour est toujours ailleurs, p. 16)
(E6) : « Elle se tenait seule, sur les marches de l’église, la luciole que j’ai vue hier,
toujours dans sa tunique en bure ; et la masse de clôture des Ostensions allait
prendre fin. » (L’amour est toujours ailleurs, p. 23)
(E7) : « Elle me préparait à ma première participation quand la guerre est venue
nous gommer de la terre. » (L’amour est toujours ailleurs, p. 117)
(E8) : « Marie-Chantal m‘aurait paru encore plus belle si son visage avait été
sculpté à mon goût. » (L’amour est toujours ailleurs, p. 53)
Les participes passés « recréées » et « décorées » représentent la forme simple de
cet aspect verbal. Ils se construisent sans auxiliaire. Par cet usage, ils arborent les
qualités adjectivales. Dans cette perspective, M. Riegel et al. (1994, p. 343)
attestent que « le participe passé employé sans auxiliaire peut jouer le rôle d’un
adjectif qualificatif ». Plus loin, ils indiquent que « le participe passé à valeur
adjectivale peut être épithète du nom ». De ce fait, ils sont variables. Les groupes
nominaux « ces rues de forêts » et « les vitrines des magasins » transposent leurs
de N.M. Knutsen en écrivant que « le français ivoirien est assez plus proche du
français standard, se distinguant de celui-ci par quelques traits d’ordre
phonétique et lexical, à un français basilectal se caractérisant par un nombre de
traits non standard, en passant par un français local ». De ce qui précède, il
convient de dire que le français ivoirien se détermine par le lexique et le niveau
de langue en rupture avec les normes académiques en respectant les normes du
participe, comme l’illustrent les phrases suivantes :
Les mots marqués en gras sont des participes passés de forme composée.
Du point de vue morphosyntaxique, ils obéissent à celle établie par les normes
grammaticales. La subversion de ces usages réside dans la sémantique selon les
énoncés. Le participe passé « tombé » est une expression relative à une publicité
de vin diffusée sur la première chaine de télévision ivoirienne. Dans le français
standard, il indique l’action de chute, de défaillance d’ordre moral,
d’écroulement, d’effondrement… En extension d’emploi, il arbore le sens de
goût, de plaisir, d’affection. C’est un vin succulent prisé par un bon nombre de
consommateurs. Sous l’emprise de ce breuvage, l’on y renonce plus. L’emploi du
participe passé « tombé » traduit l’attachement, la volupté, la délectation qu’offre
cette boisson. Par ailleurs, il importe d’indiquer que le mot « tombé » reprenne
son sens originel en ce sens que l’abus de l’alcool mène à la déchéance, à la
dépravation. En étant dépendant à ce liquide, l’on risque de tomber
véritablement vu son effet sur l’organisme humain. Ce n’est pas fortuit lorsque
les fabricants estampillent la notice : ‟abus dangereux pour la santé”.
Conclusion
En rapport avec l’étude du mode participe, il convient de retenir que le
participe, dans la langue française, constitue une marque de bon usage et une
norme de clarté linguistique. Cet idiome grammatical offre à tout usager un
respect scrupuleux de sa morphosyntaxe telle que fixée par les normes
grammaticales. Malgré le transfert des langues locales africaines dans la langue
française, il n’en demeure pas moins que les dialectes des pays colonisés
continuent d’observer la structure du mode participe. Ce qui dénote de la
créativité qui tend à ivoiriser la langue française jusqu’à un certain seuil. Les
principes immuables de la grammaire française fixés depuis le XVIIe siècle
s’observent dans le continuum du français ivoirien. Ainsi, l’emploi du participe
dans le contexte ivoirien produit une réadaptation lexicale au détriment de celle
énoncée par les usages. Cette expression détournée de la langue du colonisateur
relève de l’acclimatation.
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consulté le 27/01/2019.
Introduction
Dans ce laps de temps court, le traducteur doit être à même de déceler les
éléments essentiels porteurs de sens dans les dialogues pour les afficher. Il
s’agit d’un « raccourcissement du texte original » comme le souligne M.
WURZENBERGER (2011, p.119). Le texte raccourcis doit toutefois rester en
adéquation avec le sens véhiculé par la scène ou dans le dialogue.
On note par ailleurs des contraintes d’ordre culturel. En effet, le sous-titrage
est une traduction audiovisuelle et non littéraire. C’est à dire que le traducteur
ne va pas s’appuyer uniquement sur les dialogues mais sur tout ce qui fait sens
dans le film. La restitution du sens passe par les éléments filmiques tels que les
dialogues, les images, l’environnement diégétique, le contexte, et le son. Le
traducteur doit également maitriser les aspects culturels de la langue de départ
pour parvenir à un meilleur transfert linguistique ; l’origine du film,
l’environnement et le contexte socioculturels du film (environnement
diégétique, la période dans laquelle l’histoire est filmée).
C’est pour parvenir à une telle traduction que des auteurs tels que
BERMAN, (1984) et VENUTI, (1998) évoquent l’idée d’une théorie de la
traduction éthique. Selon leurs études, La traduction doit tenir compte des unités
porteuses de sens (idiomes, situations, attitudes et gestuels, etc.) et du niveau de
langue employé. Selon BERMAN (1984, p.287) cité par MBOUDJEKE (2010), la
traduction est : « un processus où se joue tout notre rapport avec l’Autre ». Pour
l’auteur, la traduction réussie (éthique) doit viser non pas « le biffage de
l’Étranger » (1990, p.12), mais plutôt son respect, respect qui passe
nécessairement par une sorte de traduction contre-idiomatique. Elle doit donc
véhiculer les traits particuliers de la langue de départ. Ainsi on aura une
traduction qui permet de passer du basilecte de la langue de départ vers le
basilecte de la langue d’arrivée, du mésolecte de départ vers le mésolecte
d’arrivée et de l’acrolecte de départ vers l’acrolecte d’arrivée. Les différences
langagières doivent donc être perçues dans la traduction car elles sont
nécessaires dans la saisie du sens.
-Méthodologie
Dans le cadre de cette étude, nous analysons le sous-titrage des films, Bla
Yassoua de Honoré N’ZUÉ (2008), Bronx-Barbès de Éliane DE LATOUR (2000),
Le Djassa a pris feu de Lonesome SOLO (2012), Brouteur.com de Alain GUIKOU
(saison 1, 2011). Ces films présentent des variétés de situation où sont utilisées
le français de Côte d’Ivoire. Ils proposent également un sous-titrage des
dialogues caractérisés par ce parler. Pour recueillir les données qui constituent
le corpus d’étude, nous avons eu recours à la technique de l’observation
indirecte en visualisant les films en question. Nous avons retranscrit les
dialogues des films et leur sous-titrage. Notre corpus d’étude est constitué de
parole filmique transcrite suivie de leur sous-titrage dans les films. L’analyse de ces
données est présentée dans les lignes suivantes.
On peut remarquer que le terme d’adresse ééh mon viée est omis du sous-titrage.
Par contre les autres éléments du discours sont traduits dans leur sens propre
de sorte à en éclairer le sens. C’est ce qui est observé dans la traduction de la
suite de l’énoncé. Ainsi l’expression nouchi sraka sôgô est traduite par « bosser »
et le mot fata est rendu par « vendre ». On note aussi une traduction adéquate
du terme d’adresse frère-sang rendu par « ami ». Selon J.D. N’ZI et E.K. KOUA
(2017) ce terme d’adresse issu du nouchi, loin de désigner un lien de
consanguinité dans son évocation, exprime en réalité une relation égalitaire, un
lien d’amitié et d’intimité. L’omission du terme d’adresse mon viée en début
d’énoncé peut-être perçue comme un élément non essentiel, dans la mesure où
cette omission n’influe pas sur le sens du propos. Dans le film Bla yassoua, on
peut relever aussi des cas de traduction totale. L’extrait suivant présente la
traduction d’un extrait du dialogue entre Bacchus et la prostituée dans un bar
en présence d’Aya.
2
Réad [read] est une contraction du verbe conjugué regarde [rəgard] (forme conjuguée de
regarder), crée par économie linguistique. Il s’agit d’un mode de prononciation très dynamique
en nouchi. Dans la prononciation on constate une ellipse du son [g].
Cet extrait est dit en nouchi et traduit dans un français familier. Les termes
nouchi djô et vieux môgô sont traduits respectivement dans leur sens propre par
« entrer » et « ainés ». On peut remarquer que la réplique est plus longue que le
sous-titrage. En effet, il y a plusieurs répétitions dans le propos les petits eux i
viennent eux i rentrent les vieux môgô eux i décallent, les petits viennent eux i
rentrent, les vieux môgô eux i décallent. La traduction adopte le choix efficient de
ne pas répéter mais de dire l’essentiel par Les plus jeunes rentrent, les ainés
partent… Les traductions de ces extraits sont totales selon nous car elles
s’efforcent de rendre le sens le plus proche des termes et expressions en tenant
compte du contexte énonciatif.
-L’ellipse
L’ellipse se manifeste par l’omission de certaines parties de l’énoncé
quand il passe à l’écrit.
On a une équivalence totale dans (1) le vieux môgô à douf, la vieille est seule traduit
par Le père est mort, la mère est seule. Par contre, l’idée de misère évoquée dans
elle est dans sêguê est omise. En (2) l’évocation du temps et la demande de
-L’atténuation
Cette approche est utilisée généralement par le traducteur quand celui-ci
ne trouve pas d’équivalence directe pour un mot où une expression dans la
langue d’arrivée. Il s’agit d’un décalage stylistique opéré par le traducteur mais
qui a un impact sur le sens du terme. Le terme traduit perd du sens quand il
passe dans la langue d’arrivée.
adresses) faite par le locuteur. On assiste ainsi à une restriction du sens dans le
sous-titrage pour certains termes et expressions.
chanteur ivoirien Bailly Spinto est reprise dans la traduction. Cette analogie
peut être difficilement perceptible pour les publics non-ivoiriens qui ne
connaissent pas forcément l’artiste. Dans l’item (13) on a le terme nouchi minds
(esprit, intelligence) qui est traduit sans tenir compte du contexte. Le sens du
terme n’est pas clair dans la traduction. En fait dans ce contexte, il signifierait
« ardeur ». Dans le film Le djassa a pris feu, on peut retrouver quelques faits de
littéralité comme dans les items (14) et (15). Dans l’item (14), on a la traduction
de l’expression familière eux ils traduite par une autre expression familière
« c’est eux ». L’exemple (15) présente également un cas de paraphrase avec
l’usage de propre à l’oral et à l’écrit. Dans le contexte ivoirien, ce terme est utilisé
parfois dans un sens figuré pour désigner ce qui est « sans équivoque » ou qui
est « bien fait ». Dans le contexte de son emploi ici, il désigne ce qui est « sans
équivoque ». Dans les items (16) à (20), tirés du long-métrage Bla yassoua, le
sous-titrage de certains termes met en exergue des cas de paraphrase. Pour la
traduction du terme nouchi béou (partir/aller) en (16) on a le verbe d’action
« bouge ». Il faut dire que le verbe bouge est utilisé dans le sous-titre avec
l’emploi que le français ivoirien lui donne. En fait, ce verbe est utilisé par les
locuteurs avec une extension sémantique. Il renvoie à aller ou partir. On constate
aussi un cas de paraphrase en contexte avec tantie en (17). Selon J-M. KOUAMÉ
(2012) ce terme est propre au français ivoirien dans la mesure où il est utilisé
avec une extension sémantique pour désigner une femme à qui l’on voue du
respect. Dans l’exemple (18), l’expression nouchi Tu’as prendre drap ! est traduite
par son équivalent en français ivoirien « tu as chaud avec moi ! ». En français
ivoirien « avoir chaud avec quelqu’un » c’est « avoir maille à partir avec cette
personne ». On a ainsi une traduction du nouchi au français ivoirien dans
certains cas. Dans le film Bronx-Barbès, on relève des extraits de traductions
littérales qui gardent les traces de l’oralité. On relève des cas d’omission de
déterminant qui sont présent tant à l’oral (réplique) qu’à l’écrit (sous-titrage)
avec Ø poisson (items 20), Ø flèche (item 22). Au niveau lexical on constate une
traduction littérale des appellatifs vieux père (item 23) et faux types (items 24).
Suite à l’analyse des éléments du tableau on constate que le sous-titrage
de ces films comprend parfois des traductions entre des codes ayant les mêmes
substrats (nouchi vers français ivoirien) ou des paraphrases intracodiques
(nouchi vers nouchi).
2.4. Contre-sens
Les contre-sens dans la traduction se manifestent par des inadéquations
dans le rendu du sens de départ. On en retrouve quelques exemples dans le
tableau ci-après :
(26) Le djassa c’est Qu’est ce qui se passe au ghetto ? Bonjour les gars !
comment ? (Le djassa a
pris feu)
(27) Frères-sang, les gars On dit quoi là-bas ? Comment allez-vous les amis
on dit quoi ? (Bla ?
yassoua)
(28) Yé dis… mais ye dis Quel sac ? Hé grand-frère ! (Hésitations), Mais, grand-
vié père !... Vié père ! frère !!...
(Bla yassoua)
(29) Vous êtes en drap Vous êtes dans les problèmes Vous êtes au courant ?
non ? (Bla yassoua)
(30) ye suis en drap de j’ai un souci Je sais quelque chose
quelque chose (Bla
yassoua)
(31) Anh noon, nous on Non, on s’en va tout près là-bas. Nous allons non loin d’ici
s’eeen tout près là là.
(Bla yassoua)
L’équivalence totale requiert un jeu identique entre sens figuré et sens non-
figuré, équivalences sémantique, stylistique et formelle, tandis que
l’équivalence partielle permet – là où c’est inévitable – un niveau stylistique
différé, des jeux de mots manquants, des modifications du phraséologisme
en question. Bien que le traducteur cherche dans la plupart des cas à
réaliser cette équivalence, ne serait-ce que pour préserver l’effet total
(expressif !) des dialogues, il y aura des cas de l’équivalence « zéro » : le
phraséologisme n’est pas traduit, soit il sera complètement omis, soit
paraphrasé d’une façon plus ou moins expressive.
BASTIAN (2015, p.50)
Ces trois types d’équivalence apparaissent le plus souvent dans les sous-titrages
des films, cependant, comme le souligne l’auteur, elles ne permettent pas toutes
un transfert adéquat du sens de départ des dialogues. L’équivalence totale a la
particularité de véhiculer le sens contextuel en tenant compte des contraintes
techniques. Cette particularité, telle que définie par l’auteur, correspond aux
formes de traductions totales relevées dans l’étude des données. On relève
également des cas d’équivalence partielle dans l’analyse. Ce sont en majorité
des ellipses et des atténuations sémantiques. Pour S. BASTIAN (2015),
l’équivalence partielle est une perte sémantique qui peut être favorisée par les
contraintes techniques (temps, espace, et densité du langage) liées au sous-
titrage. C. BRONNER (2017) abonde dans le même sens. Elle souligne que
l’atténuation des propos à l’oral dans la traduction écrite est un fait qui
3
« Le sous-titrage corrige presque toujours les fautes de grammaire ou la grammaire dialectale »
Conclusion
Cette étude nous a permis de rendre compte de certaines particularités du
sous-titrage dans les films qui mettent en scène le français de Côte d’Ivoire. On
s’est rendu compte que si certaines formes étaient effectivement traduites,
d’autres par contre s’éloignaient de plus en plus de leur sens de départ. À ce
titre, on y a relevé des formes de traductions partielles et des traductions
décalées de leur sens d’origine. Le passage de l’oral à l’écrit du français de Côte
d’Ivoire vers le français de référence internationale est souvent problématique
(inadéquations et défauts de traduction). Ces problèmes de traductions mettent
en avant les difficultés que les traducteurs rencontrent face aux variétés du
français parlé en Côte d’Ivoire. À ce propos, nous pensons que le traducteur
doit veiller à rester le plus proche possible du sens premier. Il doit parcourir
toutes les possibilités que lui offre la langue cible. Une traduction qui s’éloigne
du sens peut biaiser la réalité que le film veut représenter. Cependant, il
convient de souligner que les praticiens de la traduction audiovisuelle sont
soumis à d’autres contraintes en plus des contraintes linguistiques. Il s’agit des
contraintes de marketing (Cf. Y. GAMBIER, 2004) et techniques (E.
VAYSSIÈRES, 2012). Cet ensemble de contraintes pourraient être des facteurs
qui influent sur l’adéquation sémantique entre la langue de départ et son
équivalence dans la langue cible. Ce dernier aspect représente une perspective à
cette étude. En définitive, il ne faut pas perdre de vue qu’une bonne traduction
donne plus de force à l’image et permet de ce fait de mieux cerner le film et son
message.
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française du film Respiro d’Emanuele Crialese », dans Éco, socio, philo… &
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101-116
Filmographie
DE LATOUR Éliane, 2000, Bronx-Barbès, long-métrage, fiction.
GUIKOU Alain, 2011, Brouteur.Com, série (saison 1), fiction.
N’ZUÉ Honoré, 2008, Bla yassoua, long-métrage, fiction.
SOLO Lonesome, 2012, Le djassa a pris feu, long-métrage, fiction.
Abdallah TERWAIT
Institut Supérieur des Sciences Humaines de Médenine
Université de Gabès - Tunisie
Université Sorbonne Université – France
abdou200936@hotmail.fr
Résumé : Nous ferons, dans cet article, la lumière sur les enchaînements
ayant la forme suivante : P comme Q. Dans ce type particulier de phrases,
le morphème comme permet d’établir un parallèle entre deux
constructions verbales ou plus simplement entre deux propositions. Pour
illustrer ce cas de figure, soient à traiter les discours dans les deux
exemples qui suivent : oui, il s’ennuierait le lendemain au ministère,
comme il s’y était ennuyé la veille. (Zola, Au bonheur des dames) ; (…)
enfin, toute sa personne explique la pension, comme la pension implique
sa personne. (Balzac, Le père Goriot).
Bien plus, il serait opportun de noter que bien qu’elle soit importante pour
distinguer les deux modes de prédication dont on parle, intra-prédicativité et
extra-prédicativité, la ponctuation seule ne peut aucunement constituer une
ligne de démarcation exclusive entre les deux types de prédication précités. Il
existe, au fait, quelques configurations ambiguës qui posent possiblement
problèmes. Soit à traiter l’exemple suivant.
(3)
(…) Orso se sentit bientôt atteint par l’émotion générale. Retiré dans un coin
de la salle, il pleura comme pleurait le fils de Pietri. (Mérimée, Colomba)
En guise de commentaire, l’exemple en (5) pourrait donner le jour à plusieurs
interprétations en admettant ainsi différentes lectures. Pour plus de lisibilité,
lorsque la construction en question se conçoit comme étant de nature intra-
prédicative, le discours, dans l’exemple présent, se paraphraserait de la sorte :
Orso pleura de la même façon que le fils de Pietri. En revanche, quand on aurait
affaire à une extra-prédicativité, le même discours pourrait se gloser par : Le
fils de Pietri pleurait. Orso pleura lui aussi/ également. Dans le même ordre
d’idées, quand elle se considère comme élément intra-prédicatif, la
Par ailleurs, il existe des constructions chiasmatiques dans lesquelles les actants
se voient inversés. Les exemples suivants en rendent compte.
(14)
(…) et Mme Frédéric, la seconde, avait tranquillement donné son congé, la
veille, passant à la caisse pour faire régler son compte, lâchant le bonheur
d’une minute à l’autre, comme le bonheur lui-même lâchait ses employés.
(Zola, Au bonheur des dames)
(15)
Oui, toutes nos fortunes sont en toi, comme ton bonheur est le nôtre. (Balzac,
Le père Goriot)
Sur ce point, une variation sur le verbe employé pourrait accompagner
lesdites constructions chiasmatiques. L’exemple en (2), supra cité, en témoigne.
(…) enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa
personne. (Balzac, Le père Goriot)
5. Analogie et Comparaison
La description des tournures en comme est intimement associée à ce qui est
communément désigné par comparaison. A vrai dire, il n’est pas toujours
aisé, dans le cas de la comparaison, de préciser méticuleusement s’il s’agit
d’un rapport sémantique, stylistique ou syntaxique. Dans ce sens, en tenant
compte des différences syntaxiques des constructions réunies souvent sous le
label comparatives en comme selon la terminologie de Martin Riegel (1994 ,
p.515), le fait de proposer une définition syntaxique rigoureuse de la
comparaison, articulée au moyen de comme, pourrait être problématique en
quelque sorte.
Sur ce plan, plusieurs définitions dites syntaxiques de la comparaison, se
sont basées principalement sur des notions de nature sémantique en
l’occurrence le comparant et le comparé (Delabre, 1984 , p.24). Ainsi traitée, loin
d’être une relation purement syntaxique, la comparaison articulée au moyen
de comme est plutôt une relation sémantique. Dans le même ordre d’idées,
Bernard Dupriez (1984) a mis à profit une définition rhétorique de la
comparaison figurative qui serait compatible avec le type de proposition
d’analogie que nous étudions : « la comparaison est une image où thème et
phore sont exprimés (…) et syntaxiquement séparés par une marque
d’analogie » (Dupriez 1984, p.123). Voici l’exemple que Dupriez a proposé
pour illustrer ce cas de figure :
(21)
Comme le sang gonfle les artères, bat au temple et pèse sur le typant quand la
pression de l’air ambiant devient moins grande, ainsi la nuit, dans cette
atmosphère raréfiée que fait la solitude, le silence-l’angoisse, contenus en
nous dans la journée, enfle et nous oppresse. (N.Sarraute, Portrait d’un
inconnu)
Il est aisé de remarquer que les tournures que nous avons analysées jusqu’à ce
niveau, semblent ressortir à l’analogie telle qu’elle est définie par Chaïm
Perelman (1972). En effet, ce dernier considère l’analogie comme une figure
argumentative rhétorique :
Conclusion
Au terme de ce bref exposé, on peut affirmer que les propositions
d’analogie, bien qu’elles puissent constituer un sous-ensemble homogène au
niveau sémantique, ne diffèrent guère des constructions donnant à interpréter
des rapports causaux ou temporels. Dès lors, il est à noter que les effets
sémantiques ne sont pas liés à une différence en lien avec le morphème
Références bibliographiques
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Abib SÈNE
Laboratory of African and Postcolonial Studies
Cheikh Anta Diop University - Senegal
senabb2@yahoo.fr
Introduction
Led and dominate by a one-major ruling political party, the Republic of
The Gambia stepped down in a weak economic context that made life difficult
for the Gambians in the early 1990s. In suchlike context, Nana Grey-Johnson,
through The Magic Calabash, writes out, in the minutest detail, the social,
political and economic crises that befell on his country. He deeps his pen into
the customary and traditional beliefs and realities to shape out the day-to-day
heartfelt concerns among his fellow-citizens. Through a canny style, Johnson
strongly criticizes the bad governance of the Gambian state during the long
reign of the People’s Progressive Party. Having regard to such a fact, we take a
deep interest in analyzing the umbilical cords that links the temporal and the
spiritual powers in a society in which the handful ruling minority close the
doors of opportunity to the great majority of the population. The latter, who
kneel down under the pressure of a hectic existence, agog life for death and
death for life. Thereupon, it will be adequate to base our analysis on the theory
of “accumulation by dispossession”. According to its definition given by Jean
Batou, the dialectic of dispossession and accumulation is a topical point that gives
ground to primitive and modern capitalism. (Batou 2015 p.21).
In The Magic Calabash, Nana Grey Johnson resorts to the capitalist stand
of the People’s Progressive Party in the meanwhile of Jawara incumbency to
knuckle down to the paltry consequences that stem from the former’s ruling
system. How and why the demonized world is paralleled to the world of
humans? How despair has led mere citizens to extreme solutions to bail
themselves out? In a context of dictatorship and total destitution, how is the
future of the Gambians described and illustrated in The Magic Calabash?
Then, it will be particularly appropriate to challenge the political and
economic realities, as they are described in the aforementioned novel, in
looking further into the issue of the dialectical crossing of righting the wrong
and wronging the right in context of non-possessory right and wealth
accumulation. It will, as well, be interesting to unmask the side of falsehood of
the gangrening yoke of a fantasizing political power-system.
The hassled lives of New Town inhabitants is the tree that hide the bigger
picture of social realities. Erubami, a former government messenger, and her
wife are the set examples for many Gambians whose lives grow dark in the
midst of a hopeless environment. Not being able to reject with entire word the
life that imposes upon them, they stop nursing expectations to their highest
pitch. Indeed, in a country where citizens interval the metes and bound of their
very existence by daily tips-off, life cannot but be hunched by a pointless and
demeaning paranoia. New Town is pined to the ground of despair. Erubami,
his wife and suchlike citizens writhe in pain to make end meet:
Nothing is normal nowadays […] people walk in the middle of the road
and cannot hear the car horns. Schoolboys are going mad. They take drugs
and smoke Jamba. […] Only the poor have lost their jobs. While everything
remains the same at the top, they tell us about the government programs
that will make us happy again. But programs that will make us happy
again. But programs don’t put food on our table.
(Nana Grey-Johnson 2004, p.4)
Groups of people sat on the benches nearby talking about their problems:
the retrenchment, no jobs, no money and they had a new topic: mysterious
demons were a coming out at night and causing troubles. They were
accidents, fires, even deaths. No one could explain what was going on but
everyone was afraid.
(Nana Grey-Johnson 2004, p.31)
Dear God, listen to the prayers of your people […] conquer Satan and his
army who walk among us and try to destroy us. Protect this community,
Muslim as well as Christian, from the evil happening and dark times that
we are facing. Master Jesus, bring New Town back into the light.
Nana Grey-Johnson (2004, p.31)
The philosophy of one for all and all for one is skewed and mortally
wounded. Therefore, the demons of disunion nonplus the key-influent
individual and introduce discrepancy among the Gambian people. A political
chaos glosses then over to jibe with a social destitution which hits lengthwise
the whole country “The Gambia during Jawara’s rule experienced one of the lowest
living standards on the continent, being ranked 166 out of 173 countries, according to
the UNDP Human Development Index”. (Abdoulaye S. 2008).
Enclosed in a cage of point-blank misery, the populations, who mooch
off the government’s aid and permanent assistant, mouth off their grievances in
a high-ringing voice. They goof off the street of New Town and cannot any
longer stomach the travails they experience: “We have no work, no rice on our
dinner plates, no money in our pockets, no electricity in our houses and no
petrol even to drive our taxis, but we still sit on benches and chew our ratt
sticks” (Nana Grey-Johnson 2004, p.41).
New Town is in troubles. And its persecutors are kuus-kuus and political
actors. The ones being the whiff of the others in terms of nuisance and ill-fate.
Officials play false with the Gambians and gnome play hell with the latter. Life
becomes nightmarish in the town and to bail oneself out by hook or by crook
appears to be a must-be stance. Nana Grey Johnson therefore wedges apart the
hiding mask of the Gambian authorities and lays naked the grasping grips that
stiffens life and blooming in New Town and Banjul.
After the candidate finished his speech, Erubami invited his old friend into
his bedroom. Fakaba Ceesay was shocked when Erubami put three bundles
of paper money in his hand. ‘Eru this is me than two thousand dalasi.
Nana Grey-Johnson (2004, p.71).
To crown their conjugal life with a wedding bunch, Eru and Modupeh,
in Sunday best, beat the drum of their dream to make it happen. They express
unity in a common gain. Their elan is furthered by distant and close relatives
who do not skimp on resources to loom high above any festive expectation:
It was not possible to have a small party after a wedding in New Town.
Twelve guests had been invited to the church, but by one o’ clock in the
1
Republic of The Gambia National Report 2012.
afternoon, Granny Lucy’s house and backyard were full of people. […]. A
group of singers sang about Granny Lucy’s grandfather who they had
never known.
Nana Grey-Johnson (2004, p.56)
The image of fire and the symbolism of the social and financial
oppression come into resonance through the might of the law to rush Banjul
and New Town into the bottom trawling of a disabled destiny. Evilness spreads
out in the city and Erubami’s family is not spared. His wife and his unborn
children are victimized by Boy Forth and other pixies. Modupeh’s husband’s
wrong deed gets the gnome play god with the surrounding and offsprings of
their ill-doer. The personalized act is collectivized in its punitive consequences:
You took what was not yours. You took the curse into your neighborhood
and into your house. The curse brings death! […] the curs that has been
causing all the problem in New Town […] if he doesn’t take it back, more
people will die.
Nana Grey-Johnson (2004, pp.91-98).
You have so many hats. Your father has one, your mother has one, why
can’t I keep this one?’’ this hat keeps me from eating grass. The money
shows my boss and my friends that I am still a man. Do you understand?
[…] if you want it you‘ll have to fight for it. This hat is mine. I want to live
like the bosses. I want a good house and a good school for my son.
Nana Grey-Johnson (2004, p.95).
The die is cast! Desperation stands as a roadblock and turns the citizen
into a diehard actor that truncates good for evil. “I’ve got a gun under my shirt
[…]. I will shoot them if they touch my hat’’ (Nana Grey-Johnson 2004, p.96).
The magic calabash then majestically and indifferently magnifies the magma-
life in The Gambia, but indirectly points an accusing finger to the political
regime, which, sledgehammers make his populations wring hands in
bemusement and submissiveness.
This love and hate relation at best between human beings and kobolds is
zoomed to the top. Indeed, having fought at length against strange creatures,
Erubami appears to be a groundbreaking example of a self-determined man
who collects the pieces of a dislocated destiny. His struggle to liberate himself
from the claws of destitution finally heeds a voice that entangles with doubt
and renouncement. Nonetheless, Modupeh’s husband, under a strong pressure
from his cousin, Quashie, gives out and steps back to hand over the magic hat
to his owner. A choice is done! Another social reality blows up to wind again
throughout Banjul and New Town. The spirit of self-determination and self-
sacrifice wanes away from the lambda citizen and de-obstacles the road to
alienation and deprivation. A stressful situation and a social discomfort invade
again Eru’s household and, beyond them, the Gambian populations.
However, by dint of perspective and a positive afar vision, Nana shows
up a promising and hopeful up-coming with the birth of twins in Erubami’s
family. Modupeh’s gives birth to a triplet and, by the way, unbind the fate of a
whole community. The symbol of the trinity is convened to speak the language
of safety and liberation. Indeed the older generation can rely on the newly born
one to heal their twelve Egyptian wounds. The beautiful ones are born in Banjul
and a new page is hopefully to be opened for the sake of a fresh vista engrossed
with a mopped of a dead and gone past.
Conclusion
In closing, the recourse to the world of djiins and goblins is a literary
device that gives Johnson the margin to draw a closed circle between the ruler,
the ruled and the malevolent spirits. Nana Grey-Johnson raises the theme of
self-destruction conveyed by a gloomy stark nakedness. On the road to a fairer
and a more egalitarian society, the mere citizen is left behind. Being at sixes and
seven, the inhabitants of New Town and Banjul turn their daily pathway into
an everyday risk-taking. They open the box of tricks to yank themselves out of
the grinding poverty. In parallel, Johnson opens the doors of hope in giving
hints about newly born generation that can be expected to keep a close eye on
the philosophy of “country before the self”, much to the well-being of the
Gambian people.” Through The Magic Calabash Grey Johnson marks the flaws of
the regime based on dispossession and impoverishment of the masses. In so
doing, he demarks the corruptive identity of a system that debases the
subjugated into self-denegation. The magic calabash excitingly lays naked a
three-pronged concatenation of violence, demagogy and ill-governance. Banjul
is then corned in a terrible paranoia of coercion. And the ordinary citizen puts
on the receiving side of maltreatment. Written in an all-particular context of the
harshest and abest Jawara’s regime, The Magic Calabash inks out the derivative
policies that put forward decision-makers’ power-glorification at the expense of
the needy majority, who flounder to fulfil a dream of selfness. The political
duress is then stressed out and the intermixture of disgust and deceitfulness
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CALIXTHE BEYALA :
UNE ÉCRITURE DE CHAIR ET DE SANG
1.1 L’oral
L'écriture de Beyala se déploie en un mouvement continuel, traçant le
déplacement du corps dans l’espace. Ce déplacement du corps est exprimé dans
l’écriture par la circulation de la parole incarnée par la tradition orale ou le «
bouche à l’oreille ». À ce propos Zohra Mezgueldi constate que : « L’espace et
l’itinéraire dans l’écriture confirment l’irruption du corps dans le champ
scriptural, rejoignant ainsi le travail même de l’oralité en mouvement dans la
tradition orale dont le principe est justement la parole de l’errance et de la
transmission, le « bouche à oreille » Mezgueldi (2001, p.241) Dans C’est le soleil
qui m’a brûlée, ce lien complexe entre le déplacement du corps et l’oralité se
traduit par une circulation de la parole. Celle-ci émane du corps et se propage
1.2 La voix
Sur le même plan, la présence de l’oral dans le texte donne à la syntaxe un
« rythme biologique2 » par la reproduction de la sonorité vocale dans l’écrit.
Beyala est attentive à la spécificité du timbre. Ainsi le texte enregistre cette
émanation signifiante et modulante du corps (Jacques Dupont, 2003, p. 178.) et
rend compte de la variété de ses timbres. Ainsi nous entendons une série de voix
qui font référence soit aux corps qui les émanent 5 soit à la situation émotionnelle
et physique dans laquelle se trouvent ces corps au moment de l’énonciation :
«[…] demande d’une voix nasillarde la bourgeoise qui attend la spéciale
[…]D’ailleurs, elle parle, la bourgeoise, d’une voix rendue saccadée par les
secousses » Beyala (2003, p. 204) « La voix rauque de la grosse assise à côté d’elle
», « Interrompt la vieille. Voix basse.» Beyala (1987, p. 25)
Surgissant du passé, la voix est une mémoire. Ainsi résonne aux oreilles
d’Ateba de C’est le soleil qui m’a brûlée la voix de Grand-Maman avec laquelle
l’enfance lui revient en mémoire : « Grand-Maman. Sa voix évoquait pour Ateba
un monde mystérieux, un monde qui renfermait le véritable sens de la vie comme
le secret de la mort. » Beyala (1987, p.27). Faisant appel aux interprétations
symboliques, Beyala donne à la voix féminine et maternelle un caractère
mystérieux. Enfant, Ateba s’accroche à cette voix énigmatique « Et Ateba disait :
(Parle, Mâ, parle-moi encore.) » qui semble porter les mystères de la vie et de la
mort « Et durant des heures, Grand-Maman racontait : elle racontait les étoiles,
la pluie, le vent, Ateba ne comprenait plus, elle racontait encore» Tout en
communiant la passion maternelle « Ateba atteignait ses limites, les dépassait, les
transcendait et, enfin, brisée de sommeil, elle laissait sa tête couler sur ses seins
qui sentaient le hareng séché, et fermait les yeux, tandis qu’au loin l’aube courait
vers ses racines enflammées ». Beyala (1987, p.28). Cette voix mystérieuse fait
référence au corps de la vieille femme, surtout les seins qui évoquent la mère
nourricière. De même, la voix de la mère dans Femme nue femme noire résonne
aux oreilles d’Irène :
J’entends la voix grave de ma mère, cette voix qui gronde et qui caresse d’un
ton égal ; « Veux-tu descendre de cet arbre, Irène ? Quand est-ce que tu vas
te comporter comme une jeune fille digne de ce nom
Beyala (2003, p.64)
La voix maternelle est d’un ton grave et décrite comme voix inapte à marquer la
labilité émotionnelle. Le timbre invariable de cette voix révèle la personnalité de
la mère qui manque de pouvoir expressif et qui évoque par conséquent un
manque de communication affective entre mère et fille. Pourtant, la présence de
cette voix maternelle pendant l’agonie de sa fille est d’un grand symbolisme :
- Au secours ! Au secours ! Aidez-moi, je vous en prie. Ne restez pas là sans
bouger ! Aidez-moi, pour l’amour du ciel ! Ma fille se meurt !
C’est maman. Maman est venue…Sa voix, un écho, porte les mystères d’un
monde qui m’est devenue étranger.
Beyala (2003, p. 223)
Affligée, la voix de la mère énonce des phrases courtes suppliant la foule de
porter secours à sa fille lynchée par les hommes du quartier. Cette voix
maternelle est entendue par Irène agonisante comme un écho, donc une voix qui
vient de loin, qui marque le départ d’Irène d’un monde devenue étranger.
Cependant cette voix « irréelle » provenant d’un monde devenu « irréel » vocalise
la présence charnelle de la mère exprimée par son mouvement et son odeur :
Elle pose ma tête sur ses cuisses. Son torse balance d’avant en arrière, berçant
son chagrin. Je perçois son odeur aussi immuable que les légendes des
fleuves, aussi persistante que les étoiles que seules les ngagas-féticheurs
pouvaient attraper de leurs doigts cornés, au fond des Canaries d’autrefois.
Ses larmes coulent doucement et c’est tout.
Beyala (2003, p. 224)
Leurs mains se sont croisées dans une longue étreinte. Celle d'Irène était
chaude et terriblement vivante, celle d'Ateba tremblait dans son désir de
rassurer Irène, de lui montrer qu’elle n'était pas seule, qu'elle avait Ateba
Léocadie là et partout ailleurs, qu'elle ne devait plus jamais ni pleurer ni se
sentir seule. […] Elle s'est contentée de serrer très fort la main dans la sienne,
d'écouter cette vague de tendresse colorée, brutale, l'envahir et l'entraîner
vers des zones de bonheur tragiques.
Beyala (1987, p.100)
Un autre échange gestuel intervient dans Femme nue femme noire entre Fatou et le
médecin qui la reçoit en urgence et la soigne. C’est un amour qui naît entre les
deux, sous les yeux d’Irène qui commente :
Non, mais je reste ici ce soir. N'est-ce pas, docteur ! » Il acquiesce. Mes yeux
passent de l'un à l'autre. On dirait qu'ils se connaissent. Il se dégage d'eux
une harmonie propre à ceux qui s’aiment. Une auréole spéciale les entoure.
Ils me font penser à certaines représentations du Paradis. Comment peut-on
tomber si vitement amoureux ?
Beyala (2003, p. 182)
Cet échange d’amour et de tendresse intervient comme un répit dans une trame
tissée de scènes érotiques et d’un langage cru. Les gestes peuvent s’interpréter
selon la culture. En Afrique, certains gestes chargés de sens peuvent suggérer une
condamnation ou une colère, comme dans ce passage de Femme nue femme noire,
où Irène rentrant chez elle fait face à la colère des femmes de son quartier :
La méchanceté fait gonfler leur corsage ainsi que leurs yeux. Leurs cœurs
s'emplissent d'une joie mauvaise à l'idée des atrocités qu'elles me feront
subir. Elles piaillent. D'exaspération, leurs sandales, coupées dans du
plastique usagé, battent la terre comme un troupeau de chèvres prêtes au
combat.
Beyala (2003, p. 219)
Dans ce passage le temps du présent : (« fait », «s'emplissent » , «piaillent », «battent
») dramatise l’action et sert à annoncer la violence à venir. La colère de ces
femmes s’exprime à travers leur aspect physique, notamment la poitrine et les
yeux qui gonflent sous l’emprise de l’émotion, ainsi que par le battement de leurs
pieds ; ce sont des gestes qui annoncent la mise à mort d’Irène à la fin du roman.
Le fait de battre les pieds est synonyme de menace et de préparation au combat
comme le dit Irène : « comme un troupeau de chèvres prêtes au combat ». Dans la
même perspective d’interprétation des gestes, nous pouvons noter le geste de
mettre les mains sur les hanches qui exprimerait le mécontentement et la colère
comme dans cette scène ou Ada reçoit sa nièce Ateba qui rentre tardivement à la
maison : « - D’où tu viens ? Tu as vu l’heure ? […] Les mains sur les hanches, Ada
gueule. Dehors, les manguiers ondulent. Ils annoncent la pluie. Ateba baisse la tête. »
Beyala( 1987, p. 41.) Le gestuel d’Ada exprime donc la prise d’autorité sur Ateba
qui est sa nièce et sa fille adoptive ainsi que la position soumise de cette dernière.
A la diversité des gestes correspond une pluralité d’interprétations. Faisant partie
du quotidien, les gestes sont des mouvements qui accompagnent pensées et
paroles des personnages. L’on peut observer les gestes matinaux de la tante Ada
observée par sa nièce Ateba :
Et maintenant, assise en face d'Ada, elle la regarde siroter son café malgré
son désir d'être ailleurs. Ateba déteste les psst du café entre les lèvres, les
cheveux défaits, les yeux bouffis du sommeil. Ils lui rappellent toutes ces
femmes qui, comme Betty, vendent leur corps pour la nuit. Ada s'essuie la
bouche. Elle tire de ses seins une petite blague à tabac. Elle prise une fine
mouture qu’elle enfouit dans ses narines. Elle tousse, elle éternue et, réjouie,
Les gestes esquissés par Ada semblent communs à toutes (« ces femmes qui… »,
«comme Betty vendent leur corps pour la nuit. ») Ils ne sont pas appréciés par Ateba
et marquent la différence entre elle et sa tante. Il se profile derrière cette différence
l’idée d’une rupture entre Ateba, la rebelle qui se voue à l’alliance planétaire anti-
patriarcale avec d'autres femmes, et Ada la femme traditionnelle (qui cultive de
l’homme sans semence). Beyala (1987, p. 136.). Au-delà des gestes qui marquent la
présence corporelle des personnages ainsi que leurs échanges émotionnels, il
existe chez Beyala d’autres modes d’expression qui font appel au corps. Comme
l’usage des tournures et des expressions intégrant le corps dans la syntaxe même.
La vieille est décrite avec des phrases courtes et d’une façon morcelée qui
correspond à sa gestualité mettant l’accent sur son aspect physique dégradé. Ce
morcellement marque l’ensemble de l’écriture qui subit un éclatement en
s’étiolant et se fragmentant. Il s’agit d’un style coupé par la présence excessive de
la ponctuation. Les phrases sont simplifiées à l’extrême :
Dehors, l’air vibre. Les fesses tressautent. Cœurs emballés, les visages
bouillonnent. Un cercle se forme, les sueurs se mêlent. Quatre bras
maintiennent l’initié sur la feuille de bananier. « Rachitique », diraient les
médecins. Ses yeux, ivres de peur, virevoltent en tous sens. Il implore.
Beyala (1987, p.31)
Il est fou, me dis-je, dégoûtée. Son ventre bedonne. Son visage est couvert de
furoncle. Les ailes de son nez sont larges. Il bave comme un dément. Aussi
laid que le diable et ses cornes !
Beyala (2003, p.66)
du texte principal par une page blanche (p.8). L’insertion de l’italique ainsi que
l’usage des guillemets et la page blanche dans le texte créent une opposition avec
l’écriture romaine et opèrent une fragmentation du récit. D’autre part, l’usage des
lettres majuscules à la page 88 du roman met l’accent sur l’importance de l’énoncé
; Ateba qui veut rompre catégoriquement avec l’homme, inscrit sur une feuille en
capitales trois phrases :
Dans ce passage, la violence corporelle est exprimée par des phrases courtes qui
renvoient à l’image mutilée et morcelée du corps. Ainsi que le champ lexical
utilisé rend compte de la brutalité du geste mutilant : « couteau », « sang », «
hurlement ». D’autre part le temps du présent dramatise l’action et confère à la
scène une dimension d’instantanéité. La phrase « Les applaudissements
redoublent » montre que la violence de ce rituel excite la foule et que son
spectacle devient une matière de distraction, une habitude. Une fois le spectacle
terminé, on recommencera, comme on mange tous les jours. La phrase (La foule
se retire, repue.) exprime la grossièreté et la paresse de l’habitude, comme s’il
fallait « bouffer » de la tradition sans cesse. L’espace textuel devient l’effet
immédiat de la violence comme dans ce passage où Ateba suit la scène de la
mutilation avec un certain plaisir mélangé à la haine :
Dans cet extrait, des images brutales sont utilisées pour exprimer la
violence. Ainsi qu’une isotopie d’horreur est créé avec des mots comme (frisson,
dégoût, membre mutilé, cruauté, crevé, traqué, se ratatiner, s’écraser). Nous
remarquons également la répétition du mot « sang » qui a pour fonction produire
une tension et donner une dimension visuelle et tactile à la violence. Sur le même
plan, la répétition du mot « sans » (homonyme du mot « sang ») rappelle ce sang
dont la vue procure à Ateba un plaisir lugubre. Il s’agit d’une image du sang qui
répand même dans la syntaxe du texte dévoilant la force destructrice de l’homme:
«L’homme, par sa cruauté aveugle, a crevé les yeux du sang […] tout ce qui sous terre
vibre va se ratatiner, s’écraser. Il n’y aura plus que le Rien. » Il s’agit d’un monde
chaotique ou le sang s’est banalisé et où l’homme s’est donné le pouvoir
d’engendrer la peur et l’horreur qui jadis était le propre du sang. Le texte et sa
forme deviennent donc le lieu de la représentation de la violence. Le texte,
semblable au corps, subit les marques de la violence comme dans la scène de
lynchage qui clôture Femme nue femme noire. Après une initiation excentrique à la
sexualité, Irène décide de revenir chez elle et de confronter son destin. Les
habitants de son quartier qui la considèrent comme une « gangrène » dont ils
doivent se débarrasser, se rassemblent pour l’assassiner. Nous citons ce passage
d’extrême violence :
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renouveau de l’écriture féminine en Afrique francophone sub-saharienne, Paris,
L’Harmattan, coll. Critiques littéraires.
MEZGUELDI Zohra. 2001 Oralité et stratégies scripturales dans l’ouvre de
Mohammed Khaïr Eddine, Thèse de Doctorat d’État, Université Lumière-
Lyon II, http://www.limag.refer.org/Theses/Mezgueldi/II.htm.
Alexandre DJOULO
Département des Langues Étrangères Appliquées
Université de Dschang - Cameroun
alexandre_djoulo@yahoo.fr
&
Jean-Benoît TSOFACK
Département des Langues Étrangères Appliquées
Université de Dschang - Cameroun
tsofackb@yahoo.fr
Abstract: The study of emotions that holds a written text has been relevant
regarding the field of linguistics for over twenty years. In this article, we aim
at demonstrating that the romantic framework in Tierno Monénembo’s
written work, entitled L’ainé des orphelins is built with emotions involving
transmission and reception. This lead us to put forward that the narrative
pathos is a persuasive range. This is certainly not about a new form of writing,
but a new way of reading the novel. Verifying this assumption leads us to
summon the grid of the literary discourse analysis by its enunciative
approach. This will allow us to highlight the call to fear and the process of
pity as a pathemic effect on the recipient. The latter implies that we will point
out in the writing that the pathos displays itself by redefining reality,
exploiting psychological rapprochements between fictional universe and the
empirical world.
Introduction
La prose romanesque de Tierno Monénembo dans L’ainé des orphelins1 est
fortement tissée par de multiples appels à l’émotion, compte tenu du contenu
construit autour du génocide rwandais. Sa place suggérée dans le projet littéraire
Rwanda : écrire par devoir de mémoire2 en fait foi. Il est donc question d’un
investissement artistique stimulé par la force du ressentiment. L’écriture
romanesque cesse d’exister comme une simple élocution, vu que le marché de
réception fait aussi partie du processus de création, elle prend donc la
connotation d’une allocution. Cet acte de communication s’identifie à une
structure portée par deux embouts avec d’un côté, un sujet parlant/narrant et de
l’autre, la réception en relation avec le contexte : reconstruire le génocide, pour
notre cas. C’est alors que chez A. Halsall (1998, p.192), « Transposé du domaine
oratoire dans le littéraire, ce système permet, me semble-t-il, d’analyser le pathos3
du point de vue de l’énonciateur et des énonciataires encodés, virtuels ou visés ».
Lorsque nous parlons de « rhétorique du pathos narratif », il s’agit de la mise en
discours des émotions ou encore de la crainte que Faustin exerce sur la réception.
Le problème soulevé dans cet article porte sur les divergences interprétatives des
émotions.
Le dispositif d’énonciation est un des éléments clés dans le discours. C’est
donc à dessein que Catherine Kerbrat-Orecchioni stipule que toute analyse de
discours doit commencer par définir ce que l’on appelle parfois l’appareil formel
de l’énonciation4. Dans cette analyse du paysage énonciatif que nous proposons,
nous mettons en lumière les modes de sémiotisation des émotions, observés dans
L’AO de Tierno. C’est donc à la lumière du cadre théorique de l’analyse du
discours littéraire que nous étudions la mise en texte du pathos narratif. L’outil
approprié à l’étude de la mise en texte du pathos narratif est l’approche
énonciative. Dans le plan de construction de cet article fait de quatre
articulations, nous ferons d’abord une lecture analogique de l’œuvre avec son
contexte de production, ensuite un tour sur la question de l’émotion suscitée ou
éprouvée dans l’univers littéraire. Enfin nous présenterons quelques modes de
sémiotisation des émotions dans L’AO vu que l’émotion au-delà d’être dite, peut
aussi être montrée, étayée ou inférée selon Raphaël Micheli (2014, p.17).
1 Désormais L’AO.
2 Programme mis sur pied à l’essor du festival de littérature africaine Fest’Africa (Lille). A propos, 10 écrivains
africains se sont réunis autour de la résidence d’écriture liée à la mémoire du génocide du Rwanda. L’objectif étant un
témoignage rendu au peuple, l’expression de leur solidarité morale, psychologique, envers les victimes, mais aussi et
surtout à la dénonciation des frasques du génocide. Cf. KAREGEYE, J.-P. (2009), « Rwanda : littérature post-
génocide, écritures itinérantes : témoignage ou engagement ? », Protée, n°37 volume 2, pp.25.
3Discours qui régit les appels émotifs que des énonciateurs provoquent intra /extradiégétiquement pour s’assurer de
l’acceptation des positions présentées par des destinataires : persuader.
4 L’expression L’appareil formel de l’énonciation est empruntée à Emile Benveniste, « L'appareil formel de l’énonciation»
La ‘’force’’ de l’intrigue réside aussi dans les émotions qu’elle suscite chez le
destinataire, telles que la crainte ou la pitié évoquées par Aristote, ou telles
que la surprise, la curiosité, le suspense ou la tension narrative dans des
typologies plus récentes.
Baroni (2006, p.164)
De là il ressort que le lien entre l’intrigue et l’émotion est un facteur majeur dans
le déclenchement de l’émotion.
De même, Halsall (1988, p.188) prend à témoin Aristote qui déclare que
« l’on ne rend pas les jugements de la même façon selon que l’on ressent peine
ou plaisir, amitié ou haine ». De là il ressort que la texture du récit, liée à l’histoire
d’un lecteur ou pas, octroie le caractère d’émotion. Il est donc question de
pathémisation, d’effet sollicité, plus proche de l’aspect suscité de l’émotion.
L’expression qui décrit l’émotion n’est automatiquement pas représentative de
cette émotion. Dans notre analyse portée sur L’AO sous l’écriture de la peur ou
de la crainte, c’est par effet de pathémisation et de sensibilité.
Aristote (Cf. Halsall 1988, p.205) définit ce terme comme « une peine ou un
trouble consécutif à l’imagination d’un mal à venir pouvant causer destruction
ou peine. […] Il faut, pour qu’on craigne le plus fortement, que la peine qui nous
menace se présente comme proche et sans remède ». Faustin est face aux dégâts
du génocide, sans les traces d’un membre de sa famille dont il recherche les
traces. La parole elle-même est donc un déictique qui identifie l’expression à la
pensée, à l’état d’esprit de celui qui parle. Le héros est un appareil générateur de
tristesse exprimée. Ils existent donc des signaux du sujet parlant
linguistiquement, perçus sous forme de déictiques et de modalités. Dans
l’appareil énonciatif, la visibilité de l’émetteur reste manifeste par de nombreuses
traces tant directes qu’indirectes. Le témoignage du génocide trahit l’expression
de la tristesse du narrateur par la disparition de ses parents, car la missive
informe le lecteur sur la scène d’après le massacre. Donc, nous pouvons voir en
ce choix délibératif l’exposition du statut du héros.
« Je n’en veux pas au sort. J’en veux à Thaddée. […] Il ne me reste plus
aucune chance : ils viendront me tuer demain ou après-demain. […] J’ai
besoin que l’on m’aide. […] ».
Monenembo (2000, p.11)
« C’est vrai que par ici, les Blancs qui pleurent, on n’en avait
jamais vu, comme si toutes les larmes du monde avaient été
faites pour nous autres Noirs. » (L’AO.84)
« Vous humiliez mon amie devant tout Kigali et vous osez revenir
ici ? » (L’AO.112)
Plus loin, Faustin extériorise la souffrance qu’ont subie ses amis miliciens,
une catégorie d’enfants baptisés de chair à canon dont le destin se tisse au fil des
salves perdues et des ravages du génocide. Ceci dans le souci de confronter le
récepteur à la compassion :
Ainsi pour des raisons d’économie, nous n’avons pas pu retenir toutes les
marques de l’émetteur et du récepteur. Le narrateur porteur de récit
communique par des traces pathémiques des signaux à son récepteur dans le but
de le soumettre au procès de la pitié. Mais au-delà des formes d’expression des
émotions, nous avons aussi d’autres modes de sémiotisation. L’émotion dite dans
L’AO n’est pas désignée par les mots de son lexique.
Ce souci de reconstruction des émotions se lit dans L’AO par le choix exquis
des constituants majeurs du récit.
Cette témérité que subit le narrateur au statut d’orphelin est mise en texte au
point d’en vouloir aux divinités :
Ces extraits contiennent des passages expressifs qui mettent en relief le statut du
héros comme une entité en danger malgré l’idée de protection qu’il suggère à
l’opinion publique car un être sans parents est un objet à protéger. Cela crée un
univers macabre à l’actif du lecteur au milieu duquel, Faustin est englouti.
construction pathémique doit donc largement puiser dans les espaces que nous
présentons comme un objet mémoriel de reconstruction. Le rapport de Tierno à
Kigali est un appel à la nostalgie dédoublée de lamentation et d’espoir, compte
tenu de l’histoire macabre du génocide. Cette analyse se lit dans ce besoin de
reconstruction de la civilisation par l’implication des espaces vécus.
« Le feu vorace finit par s’éteindre. Le bruit des fusils qui s’étaient estompé
dans les faubourgs cessa aussi sur le mont Kigali. » (L’AO.47)
« Les avènements ont emporté avec eux tout ce qui compte vraiment : les
marchés, les églises, les bureaux, les salles de jeu, les bordels aussi. »
(L’AO.95)
Conclusion
L’AO de Tierno Monénembo est un type de récit pragmatique qui du point
de vue de l’esthétique d’écriture, constitue une nouvelle approche en matière
d’argument pathique. Cela se confirme davantage par son appartenance au
projet Rwanda écrire par devoir de mémoire ; projet tenu en main par Tierno et 9
autres écrivains. Son besoin de reconstituer l’histoire du génocide a fait de lui un
palier de l’histoire des civilisations. Dans le champ littéraire, il parvient à faire
cohabiter esthétique littéraire et vérité mémorielle. Mais ce que nous pouvons
retenir, c’est la stratégie argumentative mise sur pied par l’auteur pour capter au
grand nombre ses lecteurs. Donc la mise en texte du pathos narratif ou encore
l’appel aux émotions passe par deux modes de sémiotisation conformément à la
théorie des émotions de Raphael Micheli. L’émotion dite se fait jour par
l’entremise discursive d’un émetteur et son récepteur. Ensuite, le fil des
péripéties nous donne de voir comment sont inférés au texte, les autres éléments
ou mode de sémiotisation des émotions.
Références bibliographiques
BARONI, R. 2006. « Passion et narration », Portée, v. 34, numéro 2,3, automne,
hiver, p. 163–175.
CHARAUDEAU, P. & MAINGUENEAU D. 2002. Dictionnaire d’analyse du
discours, Seuil, Paris.
COSNIER, J. 1994. Psychologie des émotions et des sentiments, Retz, Lyon 2.
GERALD, P. 1973. « Introduction à l'étude du narrataire », in Poétique n°14,
pp.178-196.
Résumé : Les XXe et XXIe siècles français sont deux époques marquées par
l’apparition d’une élite de romancières toutes aussi engagées pour la cause
féminine que pour la production littéraire. De plus en plus présente dans la
littérature en général et dans la littérature française en particulier, les
écrivaines brisent les barrières par le caractère agressif, subversif et sexuel
de leurs œuvres. Fondé sur l’analyse thématique des textes d’auteures
contemporaines du XXe siècle, notre article se propose par le canal de la
description, de mettre en évidence les fantasmes et les jouissances
représentés dans L’amant de Marguerite Duras, Passion simple, Se perdre
d’Annie Ernaux, Et te voici permise à tout homme d’Éliette Abecassis et La vie
sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet.
Abstract: The twentieth and twenty-first centuries of France are two epochs
marked by the appearance of elite of romancers’ equally committed to the
feminine cause as to the literary production. Increasingly present in
literature in general and in French literature in particular, women writers
break the barriers by the aggressive, subversive and sexual nature of their
works. Based on the thematic analysis of the texts of contemporary authors
of the twentieth century, our article proposes by the channel of the
description, to highlight the fantasies and the enjoyments represented in
the lover of Marguerite Duras, simple Passion, To lose Annie Ernaux, And
here you are allowed to all men Eliette Abecassis and The sexual life of
Catherine M. Catherine Millet.
Introduction
Définir la sexualité, c'est préciser la place qu'elle occupe au niveau
collectif et individuel. C’est aussi s'intéresser à sa signification, son symbolisme,
ses rituels. La sexualité est en partie régie par la communauté et est étroitement
liée à la socialisation des individus. Mais elle est aussi une donnée intime,
psychoaffective et corporelle du sujet. Elle dépend du contexte social, historique
et culturel d'une société, mais contribue aussi à son évolution. Sexualité et
culture apparaissent indissociables. Une variété de point de vue : biologique,
phylogénétique, psychologique, anthropologique sociologique et médical sont
exposés par Robert Courtois en ce qui concerne la sexualité. Bien que plusieurs
points de vue sur la sexualité soient émis par différentes disciplines, nous nous
en tiendrons, à retenir le point de vue général proposé par Robert Courtois. En
effet, pour lui, la sexualité renvoie à l'activité génitale. Mais elle se confond
parfois avec l'affection, la tendresse, certaines émotions, l'amour. Elle peut aussi
renvoyer à l'imaginaire érotique, aux conduites de séduction, à la sensualité, au
plaisir, etc. Son caractère polymorphe persiste dans le cas d'une approche plus
rigoureuse. La définition de ce que serait la normalité de la sexualité (si on
suppose qu'elle existe pour un individu ou une collectivité donnée) varie selon
l'importance des facteurs socioculturels et religieux impliqués. Pour le
chercheur, elle varie aussi en fonction des modèles des champs d'étude
considérés et des savoirs interrogés (Robert Courtois, 1998).
0.2 Problématique
La problématique qui sous-tend notre sujet est la suivante : qu’est-ce
qu’un fantasme et une jouissance ? À quel type de fantasme et de jouissance les
romancières du XXe siècles font-elles allusion dans leurs productions ?
Comment les fantasmes et les jouissances sont représentés ou manifestés dans
les œuvres et à quel dessein ? À travers ce questionnement, il importe de
spécifier que cet article procède à la description des fantasmes et des jouissances
présentes dans L’amant de Marguerite Duras, Passion Simple et Se perdre d’Annie
Ernaux, Et te voici permise à tout homme d’Éliette Abecassis et La vie sexuelle de
Catherine M. de Catherine Millet par le biais des indices textuels.
Le petit frère est mort en trois jours d’une broncho-pneumonie, le cœur n’a
pas tenu, c’est à ce moment-là que j’ai quitté ma mère, c’était pendant
l’occupation chinoise. Tout s’est terminé ce jour-là […] Ce jour […] ils sont
morts maintenant […] c’est fini je ne m’en souviens plus.
cinéma hard (Cf. p. 75). Elle fait allusion aux représentations sexuelles de Millet
qu’elle qualifie de plates (Cf. p. 111-112).
Des cinq textes dont nous étudions les fantasmes, La vie sexuelle de
Catherine M. est celui qui en contient un nombre pléthorique. Il est question
dans ce texte de fantasme sexuel. La narratrice se livre joyeusement à ses
fantasmes des plus voluptueux aux plus pervers. Présentons quelques-uns à
travers les extraits ci-après :
J’étais celle que j’imaginais être dans quelques-uns de mes fantasmes, par
exemple celui où je me trouvais dans une loge de concierge, le cul
dépassant seul le rideau qui cache le lit, offert à une longue file d’hommes
qui battent la semelle et s’apostrophent.
(Millet C., La vie sexuelle de Catherine M., p. 40)
2. La notion de jouissance
Évoquer la notion de jouissance dans un sens, c’est faire allusion au
plaisir intense que l’on tire de la possession de quelque chose ou de la
connaissance. Il s’agit d’une sensation ou émotion agréable, liée à la satisfaction
d’un désir, d’un besoin matériel ou mental. Sur le plan sexuel, il s’agit de
sensations érotiques et agréables que l’on retire pendant l’acte sexuel. Au sens
lacanien, la jouissance est un état qui transcende le plaisir. Elle amène l’individu
à outre passer ses limites pour obtenir quelque chose qui lui procure du bien.
Notre corpus présente la jouissance sous différents angles. Il s’agit de l’aspect
matériel, psychologique, érotique et pornographique de la jouissance. Comment
ces jouissances sont perçues dans notre corpus ?
Je lui dis de venir qu’il doit recommencer à me prendre. Il vient. Il sent bon
la cigarette anglaise, le parfum cher, il sent le miel, à force de fumer sa peau
pris l’odeur de la soi. Celle fruitée du tussor de soie, celle de l’or, il est
désirable.
(Duras M., L’amant, p. 54).
mais aussi donner satisfaction sexuelle à son amant. Ces extraits de textes tirés
de Se perdre nous le démontre bien :
1 Par définition, faire une pénétration sexuelle ; par extension, avoir des rapports sexuels.
physiques. Elle le signifie en ces termes : « j’étais tiraillée par petits bouts ; une
main frottant d’un mouvement circulaire et appliqué la partie accessible du
pubis, un autre effleurant largement tout le torse ou préférant agacer les
mamelons […] » (Millet C., La vie sexuelle de Catherine M., p. 21-22). Après avoir
été travaillé près de quatre heures par beaucoup d’hommes qui maintenaient
ses cuisses très écartées, pour profiter de la vue et pour aller frapper loin, elle
eut une « ankylose ». Au moment où on la laissait en repos, elle prenait
conscience que l’engourdissement avait gagné son vagin. Et c’était une volupté
pour elle d’en sentir les parois raidies, lourdes, légèrement endolorie, gardant
l’empreinte de tous les membres qui étaient logés (Millet C., La vie sexuelle de
Catherine M., p. 22). Il eut des circonstances banales dans lesquelles les fonctions
de son corps se sont trouvées en conflit. Ce fut un combat incertain entre plaisir
et déplaisir, jouissance et douleur (Millet C., La vie sexuelle de Catherine M., p.
152). Même quand elle décide de mener une vie sexuelle stable avec Jacques,
elle se retrouve par moment à partouzer à l’insu de celui-ci. C’est dire qu’elle
n’arrive pas à se défaire de cette pratique qui lui procure une pleine jouissance.
Au moment où les multiples séances de partouze procurent de la
jouissance à Catherine, Anna reste confiner dans sa vie de femme civilement
séparée et religieusement mariée. La quête de la jouissance sexuelle n’est pas un
impératif pour elle. Ce qui pourrait lui procurer du plaisir serait l’obtention du
« guet » que son ex-mari Simon refuse de lui accorder. Cependant, quand elle
rencontre Sacha, un bouleversement sentimental se produit. Tout en cet homme
lui procure un bien être indescriptible. Sa voix, ses paroles, ses pensées, ses
loisirs, sa manière d’être, son amour pour elle lui redonnent non seulement
l’espoir de vivre un amour sincère et réciproque mais aussi la force de se battre
contre les préjugés religieux (Abecassis E., Et te voici permise à tout homme, p. 15).
Anna se trouve dans un carcan religieux, empêchée de manifester et de
vivre librement sa relation amoureuse avec son amant Sacha. Très ancrée dans
les pratiques religieuses judaïques et soucieuse de préserver l’image de sa
famille auprès des autres croyants, Anna prend toutes les dispositions pour ne
pas céder à la tentation sexuelle. Mais le contact, les rencontres répétées, le
désir, la passion, les actes de séduction finissent par avoir une forte emprise sur
elle. Elle finit par céder à la tentation et s’adonne pleinement à l’acte sexuel avec
son amant en dépit des contraintes religieuses et morales, pour découvrir la
véritable jouissance sexuelle longtemps méconnue. Elle découvre avec Sacha
une autre facette de l’acte sexuel. Simon était rustre dans sa manière de lui faire
l’amour. Non seulement il le lui faisait rarement mais en plus de cela, il était
préoccupé par sa jouissance à lui. Simon est en tout l’opposé de Sacha. Faire
l’amour avec Sacha relève de l’art. Il le fait avec tant de délicatesse et de désir
que tout le corps, l’être d’Anna se retrouvent embrassés par le feu de l’action.
La première fois avec Sacha, était magique. C’était aussi un moment de pure
découverte de la jouissance sexuelle qui conduit à l’extase. Elle l’exprime en ces
termes :
Cette fameuse nuit où elle s’abandonne à son amant est celle qui
déclenche en elle le désir et lui donne la force d’aller à l’encontre de l’interdit
imposé par la loi religieuse pour vivre sa relation amoureuse avec son amant.
Conclusion
Il ressort de cette étude thématique sur les fantasmes et les jouissances chez
Duras, Ernaux, Millet et Abecassis que chaque auteure a une manière particulière
d’aborder les notions de fantasmes et de jouissance dans son texte. Ces fantasmes sont
d’ordre sexuel, mortel et se manifestent par le lesbianisme, le romantisme exalté, dans
l’imaginaire d’avoir des rapports intimes avec une star ou un parfait inconnu, le fait de
jouer le jeu de la soumission, de la domination pendant l’acte sexuel et enfin le fait
d’imaginer la mort d’une mère qu’on déteste. Les écrivaines adoptent un style
particulier pour représenter les fantasmes et les jouissances des personnages
principaux. Les indices textuels permettent aisément de les représenter. À travers ces
textes, les personnages féminins sont participants et très actifs dans l’acte sexuel.
L’écriture de la sexualité chez les romancières contemporaines du XXe siècle, est
devenue en quelque sorte, la norme et cette nouvelle norme se justifie, d’une part, par
la liberté qui caractérise le roman et, d’autre part, par sa dimension critique,
transgénérique et transgressive.
Références bibliographiques
ABECASSIS É. 2011. Et te voici permise à tout homme, Paris, Albin Michel, Paris.
COURTOIS R. 1998. « Conceptions et définitions de la sexualité : les différentes
approches », Annales Médico-Psychologiques, Revue Psychiatrique, Elsevier
Masson, N°156, pp. 613-620.
DURAS M. 1984. L’amant, Paris, Éditions de Minuit.
ERNAUX A. 1992. Passion simple, Paris, Gallimard.
ERNAUX A. 2001. Se perdre, Paris, Gallimard.
MILLET C. 2001. La vie sexuelle de Catherine M., Paris, Seuil.
PERRON-BORELLI M. 2001. Les fantasmes, Presses Universitaires de France, Que sais-
je ?.
VINCENT Q. « Les fantasmes : origine et fonction créatrice en psychothérapie », 29
octobre 2018/sexualité, disponible sur https://vitaminetavie.com/les-
fantasmes-origine-et-fonction-creatrice-en-psychotherapie/, consulté le 03
décembre 2018.
Arsène ELONGO
Université Marien Ngouabi - Congo Brazzaville
arsene.elongo@umng.cg
&
Monkala DZABOUA
Université Marien Ngouabi - Congo Brazzaville
dzabouamonkala@gmail.com
their traditional noun recommended by the French language and that there
is also a semantic innovation of the epithets used with the nouns prohibited
by the French standard. Our results reveal that the epithets used with the
nouns forbidden by the language create the hypallage process. This remains
among the processes of surrealist modernity, also practiced by Henri
Djombo, it is based on the transgression of the adjectival system with the
noun and allows to read the innovation of the semantics of the epithets with
the characterized uncharacterized authorized by the rules of the statement.
Introduction
Les romans de Henri Djombo, un écrivain du Congo Brazzaville, constituent
un champ très riche pour étudier les figures de la rhétorique, ils contiennent des
métaphores, des comparaisons, les métonymies et les ironies. Ainsi, cette
fécondité rhétorique de cet auteur a permis à Arsène Elongo (2014, pp.157-178)
d’étudier les métaphores prédicatives. Son travail a justifié que les métaphores
d’Henri Djombo présentent quelques traits rhétoriques de la modernité.
Cependant, la présente étude aborde l’hypallage simple comme une autre
particularité stylistique de son innovation dans Lumières des temps perdus.
Cette figure rhétorique a une double construction : la structure complexe et la
structure simple. Ainsi, la structure complexe de l’hypallage fonctionne, de la
manière suivante : l’adjectif typiquement du substantif A caractérise le substantif
B, inversement, l’adjectif typiquement du substantif B détermine le substantif A.
Cet exemple explique le fonctionnement syntaxique de l’hypallage complexe : le
cuisinier lave une mangue incolore dans une eau mûre. L’on remarque que
l’adjectif « incolore » s’emploie traditionnellement avec le substantif « eau »,
alors que l’adjectif « mur » caractérise le substantif « mangue ».
Mais, la structure simple de l’hypallage se construit sur une relation
sémantique allotopique entre le substantif et l’adjectif. En effet, le titre Lumières
des temps perdus montre que l’on identifie l’hypallage simple entre le substantif
« temps » et l’adjectif participial « perdu ». Cet adjectif s’emploie notamment
pour caractériser les personnes ou les objets concrets et non pour apporter son
incidence sur le support des substantifs abstraits. Nous avons choisi d’étudier
l’hypallage simple, parce qu’elle présente plusieurs occurrences dans Lumières
des tempes perdus et qu’elle se construit par une relation sérielle du substantif-
adjectif. Au moyen de son étude, nous cernerions les motivations stylistiques et
intentionnelles de l’auteur sur la pratique de sa modernité rhétorique.
Une problématique de l’hypallage porte souvent sur les problèmes ci-après :
sa définition, sa structure syntaxique ou sémantique, sa caractérisation et ses
effets rhétoriques. Bien que ces problèmes soient posés dans de nombreuses
études de la stylistique et de la linguistique, d’autres problèmes émergent,
lorsqu’il s’agit de cerner ses rapports avec la modernité stylistique ou ses
rapports avec le sens littéral. Notre problème de l’hypallage simple est cerné par
1.2 Hypallage
L’hypallage est une notion de la stylistique. Bernard Dupriez (1984, p.236) en
parle comme procédé des surréalistes pour créer les discordances irréfutables et
montre qu’elle « devient ainsi une variété de l’irradiation ». Bernard Dupriez
(1984, p.236) explique cette notion de l’irradiation comme effets psychiques que
produisent le groupement de mots et de physionomies des mots,
indépendamment des liaisons syntaxiques, et les influences réciproques de leurs
voisinages ». Selon Jean Mazaleyrat et Georges Molinié (1989, p.169), le critère
de l’hypallage est sémantique, lorsqu’ « une lexie se rapporte syntaxiquement à
une autre lexie, différente de celle à laquelle elle se rapporte sémantiquement ».
Patrick Bacry (1992, p.143) décrit l’hypallage comme l’écart par rapport à la
norme sémantique », parce qu’elle remplit une fonction grammaticale différente
de celle que le sens exigerait ». Selon lui, la fonction de l’hypallage est de toucher,
son critère de déplacement et d’inversion attire l’attention du destinataire ou du
lecteur. D’où Patrick Bacry (1992, p.144) pense : « Pour attirer l’attention, on va
jusqu’à inverser les termes essentiels d’un énoncé ».
Avec Michel Pougeoise (1996, p.225), « l’hypallage est une figure qui consiste
à attribuer à un mot d’une phrase ce qui convenait à un autre mot sans que
l’on puisse pour autant se méprendre sur le sens ». Dans ses analyses, François
Rastier (2001, p.118) distingue deux constructions de l'hypallage : l’une simple et
l’autre complexe. Selon lui, « on peut définir l'hypallage simple, au sein du
syntagme nominal, comme une allotopie entre le nom et l'épithète ou le
complément du nom ». Aussi François Rastier (2001, p.119) pense-t-il que « la
Ces exemples montrent que la caractérisation des substantifs avec les épithètes
appelle une analyse sur des hypallages chez Henri Djombo. La structure
syntaxique entre le substantif « malaria » et l’épithète « financière » marque une
rupture sémantique, parce que l’adjectif relationnel « financière » s’emploie
souvent avec les substantifs des domaines administratifs, sociaux et de
l’économie et non avec le champ lexical de la maladie. L’emploi de l’hypallage
peut avoir une fonction de substitution in absentia, parce que Henri Djombo
n’emploie pas les substantifs « la crise » et la mauvaise gestion mais, qu’il les
pénalise au profit du substantif « malaria », d’où l’hypallage a une fonction
stylistique de la rupture sémantique permettant de transgresser l’usage normatif
entre le substantif et l’adjectif pour créer un groupe nominal dénotant une
rupture sémantique. Par conséquent, dans le groupe nominal « la malaria
financière », l’hypallage permet à Henri Djombo d’évoquer la mauvaise
gouvernance financière et de la critiquer. Il emploie également l’hypallage pour
critiquer les institutions financières, lorsqu’il pense qu’elles imposent « aux
gouvernements leurs recettes constipées ». (p.108).
En analysant ces phrases, on constate que le champ lexical des maladies comme
le choléra, la peste et la vérole forment un couple syntaxique avec les adjectifs
relationnels de la société, de la culture et de la politique. Leur groupement
syntaxique crée une déviance sémantique en raison de l’irrespect des normes
fonctionnelles de la langue française. On remarque que Henri Djombo emploie
trois hypallages axées sur le lexique de la maladie pour décrire la déchéance de
la société, de la culture et de la politique. Le premier groupe nominal « le choléra
social » engendre une allotopie ou une incompatibilité sémantique entre le
substantif et l’épithète . Ainsi, le domaine lexical du substantif et celui de
l’adjectif restent sémantiquement incompatibles. Leur rapprochement
syntaxique crée une hypallage esthétique pour parler de la décadence sociale
traduisant la misère, la corruption, le vol, le mensonge et la violence.
Le deuxième groupe nominal « la peste culturelle » montre une incompatibilité
sémantique entre le substantif « peste » et l’adjectif relationnel « culturelle ».
Leur association sémantique est incongrue, mais elle évoque certainement une
critique sur les valeurs morales, considérées, par Henri Djombo, comme une
maladie grave et mortelle. Cet auteur emploie le champ lexical de la maladie pour
raconter une société et une culture envahies par la violence, la méchanceté et la
crise sociale.
Ces phrases possèdent une figure de l’hypallage formée à la base des domaines
incompatibles entre les substantifs et les adjectifs, car, le substantif « discours »
et l’adjectif « limpide » n’appartiennent pas au même champ lexical. En effet,
l’épithète s’emploie normalement avec les substantifs des liquides comme l’eau
et les liqueurs. Cependant, son usage décalé crée de l’hypallage ou de la
métaphore, lorsqu’il caractérise un domaine éloigné de son extension
sémantique. Dans cette perspective, Henri Djombo aime cette figure de la
rhétorique pour créer une esthétique de l’évocation et de l’expressivité fortes
envers ses lecteurs. Le troisième aspect stylistique de l’hypallage repose sur le
substantif « Kinango » ou pays avec l’épithète « mûri », comme l’indique cet
exemple :
11- « L'anéantissement du Kinango fait partie d'un plan minutieux et bien mûri... »
( p.281).
Cette structure « d’un plan (…) bien mûri » contient une hypallage, parce que
l’auteur associe le substantif abstrait « plan » à l’adjectif « mûri » relevant du
concret. La relation entre le substantif « plan » et l’adjectif « mûri » traduit une
esthétique du langage décalé propre à Henri Djombo. Cet auteur s’inspire des
référents de son environnement pour créer de l’esthétique dans l’usage des
hypallages. On retrouve, chez lui, les images rhétoriques du domaine de l’arbre.
Par exemple, la phrase suivante a une isotopie esthétique issue du domaine de
la végétation :
12- « D'ailleurs, les Kinangois avaient perçu le piège tendu par la béya : elle leur
demandait de juguler les tensions inflationnistes et de parvenir à des effets
positifs en utilisant des mesures propres à une inflation galopante, tandis
qu'au Kinango elle était rampante ! »(p.261)
À travers cet extrait, on voit bien que Henri Djombo reste le maître créateur
des hypallages. On identifie deux adjectifs que cet auteur emploie, il s’agit des
caractérisants « galopante » et « rampante », l’un issu du domaine du cheval,
l’autre celui de la plante, ayant une relation d’incompatibilité soit avec le
substantif « inflation » soit avec le pronom représentant « elle », antécédent du
substantif « inflation ». En restant fidèle à ses sources de référents, Henri Djombo
dérègle les codes esthétiques de la sémantique pour aboutir à une nouvelle
écriture ayant les traits de la modernité stylistique, ces traits portent sur ses choix
rhétoriques. En évidence, les hypallages de Henri Djombo se construisent avec
les domaines de la maladie et de l’environnement, référents mémoriels de sa
création esthétique, elles viennent également du champ lexical de la gestion.
14- Ils (…) comptaient sur la vacuité, sur la cécité économique des décideurs, les
hypnotisaient ( p.278).
15- « Ce procès est le premier dans son genre, pour crimes économiques contre le
Sud » (p. 263)
16- Qu'il y eût démenti au moins de cette vérité crue, de cette réalité
cruelle(p.105).
humaine. Mais, elles caractérisent les substantifs nouveaux, dans Lumières des
temps perdus, dont l’usage est interdit par la norme du bon usage. Elles constituent
des aspects principaux des hypallages en relation syntaxique avec les substantifs
« histoire » et « constitution » et elles créent des effets novateurs dans le style narratif
de Henri Djombo en fonction de l’engendrement d’un nouvel usage ou d’un sens
nouveau en rupture avec le sens normatif et traditionnel. Ce dernier aime les
épithètes décalées et suggestives pour attirer certainement la sensibilité de ses
lecteurs sur l’esthétique de sa narration. Il leur attribue une fonction esthétique de
la décoration narrative au service de son style.
La seconde série d’épithètes porte sur les substantifs notionnels « compétence »
et « position », il s’agit des épithètes comme « pointue » et « rigide », comme on les
identifie à partir de ces exemples :
21- « ces autres fous qui osaient toiser l'horizon prédateur » (p.70).
c’est certainement la motivation qui pousse cet auteur à l’adopter dans Lumières
des temps perdus.
La seconde nouveauté des hypallages s’inscrit dans l’usage du substantif
abstrait comme l’adversité et musique avec une caractérisation du domaine
auditif « sourde » ou du domaine actif « dansante, comme l’illustrent ces
énoncés.
22- « pour affronter (…) l'adversité sourde qui se transmettait en échos. » (p.234)
23- « Une musique dansante hurlait nuit et jour » (p .254).
24- « on devrait leur apprendre à porter avec une plainte muette leur peine »
(p.89)
On sait bien que l’adjectif « juvénile » peut être une contiguïté des traits
spécifiques de l’homme, une période de son développement physique, morale et
intellectuel. Dans cet emploi, il a une valeur dénotative, mais, il devient une
valeur connotative et hypallagique, quand il forme une structure caractérisante
avec le substantif « aube ». Ainsi, la caractérisation « la fraîcheur juvénile » peut
devenir une hypallage en raison de l’allotopie sémantique et elle ajoute un usage
sémantique nouveau au fonctionnement de la langue. Elle participe à une
écriture de la modernité dans Lumières des temps perdus de Henri Djombo.
Cet auteur a multiplié les usages hypallagiques dans son roman. Il emploie
une caractérisation insolite ou allotopique entre le substantif « rumeurs » et
l’adjectif « persistante ». C’est ce qui est souligné dans cet exemple :
27- « Un présent qui émergeait sans cesse d'une aube mielleuse » (p.216)
apport sémantique sur les supports prédéfinis de leur usage comme l’homme ou
de la femme, mais ils caractérisent de nouveaux supports non prédéfinis à l’exemple
du substantif « ville ». En conséquence, ils remplissent une fonction rhétorique de
l’hypallage. C’est là qu’il faut évaluer une part de la modernité rhétorique de Henri
Djombo, puisqu’il emploie librement et subjectivement les épithètes décalées avec
les substantifs non prédéfinis par la langue française pour marquer son empreinte
de la modernité traduisant également l’originalité scripturale.
humain. Dans cette perspective, l’élan de plaire à ses lecteurs pousse certainement
Henri Djombo à employer les adjectifs hypallagiques sans tenir compte de leur
classe prédéfinie par la classe paradigmatique. Ce romancier forme des relations
hypallagiques suivantes : discours-nauséeux et « Hauts-parleurs-enrhumés ». Ces
énoncés le témoignent :
42- « heureux d'opérer en toute liberté sur cette terre débonnaire et accueillante.
« (p .273).
Conclusion
Bien que l’hypallage soit un procédé de la modernité au temps des
écrivains surréalistes, notre article vient de montrer qu’elle l’est également à
l’époque de Henri Djombo, parce qu’elle répond à trois traits de la modernité: la
rupture, la nouveauté et la subjectivité. En effet, cette figure de style est un trait
dominant de l’écriture de Henri Djombo et elle permet à son style d’entrer dans
le panthéon de la modernité par trois raisons stylistiques. D’abord, notre étude a
noté que le constituant de la détermination nominale, dans Lumières des temps
perdus de Henri Djombo, s’est construit sur la toile de fond de la rupture
sémantique créant une figure de l’hypallage simple. On a fréquemment identifié,
dans l’écriture de cet auteur congolais, un réseau sériel d’hypallages et on a pensé
qu’il veut renouveler les canons esthétiques du langage littéraire, et qu’il adopte
le chemin de la rupture langagière ou stylistique de l’hypallage afin de
renouveler les emplois habituels de la détermination ou de la caractérisation
nominale. Ensuite, l’étude a constaté que l’hypallage simple engendre les
relations sémantiques nouvelles entre le substantif et l’adjectif instaurant une
dynamique de la modernité, les usages interdits par la norme deviennent comme
une innovation dans le style de Henri Djombo. Ainsi, créer un style nouveau,
c’est savoir employer, comme lui, la figure de l’hypallage. Enfin, notre analyse a
souligné que l’hypallage simple manifeste une écriture de la subjectivité dans
Lumières des temps perdus de Henri Djombo, puisque les adjectifs décalés
sémantiquement ne peuvent pas marquer une valeur objective de la
caractérisation, mais une esthétique singulière de cet auteur.
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Armand Colin.
Baboucar DIOUF
Université Assane Seck de Ziguinchor - Sénégal
b.diouf@univ-zig.sn
Abstract: Inspired by The River Between, this article situates Ngũgĩ’s novel
within the series of works dealing with the issue of identity. It argues that
the strife between Kameno, the traditionalists’ ridge, and Makuyu, the
Christians’ ridge, is based on the complex issue of religious identity. By
analyzing the religious identity of each ridge, via a psychosocial theory
analysis, I suggest that Ngũgĩ’s realistic depiction is crucial to backing up the
idea of a possible dialogue between Christianity and Gikuyu traditional
religion, which stops the ‘duelogue’ and opens up new ways of living within
a society where the members’ religious beliefs strongly differ.
Résumé : Inspiré par The River Between, cet article situe le roman de Ngũgĩ
dans la série des ouvrages traitant de la question de l'identité. Il met en
exergue le conflit entre les traditionalistes de la crête de Kameno et les
chrétiens de celle de Makuyu. Cette étude s’intéresse particulièrement à la
question complexe de l'identité religieuse. En s’appuyant sur la théorie
psychosociale, j’analyse respectivement l'identité religieuse des
traditionnalistes, des chrétiens, et des partisans d’une identité réformée.
Ainsi, je suggère que la représentation réaliste de Ngũgĩ, qui s’inspire des
données coloniales, est cruciale pour soutenir l'idée d'un dialogue possible
entre le christianisme et la religion traditionnelle Gikuyu pour mettre fin au
« duelogue » et ouvrir de nouvelles perspectives du vivre en commun au
sein d'une société où les croyances religieuses des membres s’opposent
fortement.
Introduction
The problem of identity is still a recurrent and complex issue in literature.
Considering the elements constituting the issues of African literature derived
from the interaction between African people and other countries, one comes to
understand that the problem of identity is not an old-fashion subject. It is the
backbone of the elements which determine the objective of this work that focuses
on Ngũgĩ wa Thiong’o’s The River Between. This novel highlights the dilemma of
the new generation to be free from Gikuyu and Christian religious hardliners as
tensions grow between the two ridges, Kameno and Makuyu, after the arrival of
Aware of the fact that religion is very difficult to define (Koenig, 2009,
p.284), scholars accept that it embraces the whole life of all human beings
(Schuurman, 2011, pp.273-274) and pertains to the question of their existence or
being (Mbiti, 1999, p.15). Interested in deciphering the link between religion and
identity in the literary context, this part attempts to analyse the Gikuyu religious
identity from its traditional perspective. From this point, the study calls into
question the relationship between characters’ faith belonging and their identity:
who they are and in what they believe in.
Identity is a long-life project construction that is related to individuals’
histories (Erikson, 1950, 1968; see also Cooper, Behrens, & Trinh, 2009). This
implies that studying the Gikuyu traditional identity is about taking into account
the history of the Gikuyu society in terms of culture and belief. The latter is, in
the eyes of the first missionaries and the newly Christian converts, nothing but a
heathenistic way of living that merits no respectful consideration (Ngũgĩ, 1965).
The death of Muthoni, the Makuyu reverend’s daughter, when undergoing
clitoridectomy confirmed, according to the new converts, “the barbarity of
Gikuyu customs” (Ngũgĩ, 1965, p.55). This conviction is shared amongst the
Christians that the Gikuyu religion is a religion of mercilessness which testifies
to the extremely cruel and uncivilized identity of these people. This
understanding can make one consider the Gikuyu people as what Erikson
characterizes as a society having an “almost total prevalence of negative identity
elements” (Erikson, 1968, pp.297–298).
But, the Christians’ prejudices on the traditionalists prove that this society
is “being denied the bases for a collective identity formation and with it that
reservoir of collective integrity from which the individual must derive his stature
as a social being” (Erikson, 1950, p.154). Therefore, it is genuinely important to
specify that the Gikuyu people are known to be specific in the way they manifest
their religious identity. Unlike Christians who are convinced that a true believer
is but a follower of Jesus Christ, they abide by their God through the
recommendations of Gikuyu and Mumbi, father and mother of the tribe. Backing
up the idea of the existence of a multiplicity of religious identities, Gikuyu
traditionalists connect their religious faith to Ngai or Murungu and what
resembles much to what Steve Biko refers to as the religions of African peoples:
we did not believe that religion could be featured as a separate part of our
existence on earth. It was manifested in our lives. We thanked God through
our ancestor before one drank beer, married, worked, etc. We would
obviously find it artificial to create special occasions for worship. Neither did
we see it logical to have a particular building on which all worship would be
conducted. We believed that God was always in communication with us and
therefore merited attention everywhere and anywhere
(Biko, 1972, p.45).
But, before Murungu dispatched them to their abode, Gikuyu and Mumbi
were given instructions as how to multiply and grow into a nation. They were
also told how to pray and worship God. Besides, they were given a code by which
they and their offspring were to conduct themselves daily. Gikuyu was then
commanded to take his wife, Mumbi to the land allocated to him by Murungu
and build his homestead near a “blessed and sacred place. … where… grew up
[a] tree” (Ngũgĩ, 1965, p.18). The father and mother [of the tribe] had nine
daughters who bore more children. The children spread all over the country.
Some came to the ridges to keep and guard the ancient rites…’ (Ibid.).
From Murungu’s recommendations, the Gikuyu people identify
themselves with the land and find the dogmatic view of worshipping their God
through all that belongs to the land, a manner which consolidates their religious
identity. This is evidence enough that the Gikuyu people is aware of the necessity
to stick to this recommendation as a condition without which their ‘Gikuyuness’
will be questionable. In their life, some behaviours, activities and rites of passage
– from rebirth to circumcision –, give them the opportunity to prove to
themselves, to the members of the tribe the gradual expression and conviction of
their faith to the tenant of “the mountain of he-who-shines-in-Holiness” (Ngũgĩ,
1965, p.17).
What testifies to the religiousness of a person, in the Gikuyu religion, is the
respect displayed towards seers, ancestors and spirits, and rites of passage. This
is part of what Erikson (1968) names the “social group history”, religiosity. In
TRB, Ngũgĩ skilfully underscores this fact.
Like Mugo wa Kibiro, Chege, Waiyaki’s father, is a seer. Protection of the tribe
is one of his main concerns. He is an active member of the society and is still
interested in the affairs of his people’s living conditions. He is believed to wield
great authority, having special power to influence the course of events or to
control the well-being of his living relatives. On top of that, he is a peace maker,
a link that fosters communication between the living and the dead, through
sacrifices and prayers. For this reason, “the other elders feared and respected
him. For he knew, more than any other person, the ways of the land and the
hidden things of the tribe. He knew the meaning of every ritual and every sign”
(Ngũgĩ, 1965, p.7). The attitude of the elders strengthens the belief that the
Gikuyu people have a religion and consolidate their religious identity through
the above-mentioned attitude vis-à-vis the seers: “a sense of membership and
belongingness” (Loewenthal, 2000) to the Agikuyu land.
Another important aspect in the displaying of one’s religious identity, in
the Gikuyu tribe, is related to the fact of propitiating spirits. Since the spirit
continues in some measures to be kin and be active participants in the life of the
community, the attitudes toward this force vary from love, respect and trust
mingled with particular feelings of admiration to total fear. The spirit of the dead
is often thought to help the living, but, often, they are thought to harm if they are
not appeased. In TRB, Waiyaki’s attitude regarding spirits is that of reverence,
and expectation of help and guidance as he wants “to feel at one with the whole
creation, with the spirits of his sister and father” (Ngũgĩ, 1965, p.73). It is believed
The change could be a permanent one, or it could last only a period of time.
Conversion could take place within the same religious system to which an
individual or a group already belongs or professes, or it could involve a
change away from a religion to which one was previously affiliated to
another one altogether.
(Eziju, 1989, p.110)
clarifies the problem of the religious identity, of either those who change their
religious identity from the Gikuyu religion or those who deny the Christian way
of living in favour of the traditional religion or mix up the two religions.
In TRB, it is shown that the conversion of Joshua and some of his followers
from the Gikuyu religion to Christianity is a full conversion-stage. The fact of
avoiding to act like someone who is in the adhesion stage during which he stands
“with one foot on either side of the fence adopting their new worship as useful
supplement” (Ikenga-Metuh, 1986, p.xiii) to the old. Their religious identity deep-
roots itself through their will and activities to spread the doctrine of the Bible and
act as fervent religious actors. In expanding the religious doctrines of the
Christian religion, Livingstone preaches Joshua and Kabonyi into being
enthusiastic servitors of Jesus Christ (Ngũgĩ, 1965, p.29).
After his conversion, Joshua becomes a devoted actor across the way of
Satan. He preaches and works for the expansion of the Christian faith for he is
aware of the fact that the Bible has a message of faith to be taken seriously. You
obey it to your good or neglect it to your risk (Ngũgĩ, 1965, p.85). He knows that
Livingstone, Kabonyi and his followers adore the one and merciful God who will
judge mankind on the last day (Bible). Joshua also believes in the message of the
Bible to be practical and involving because it is not a simple book to be read and
dropped in the cupboard of forgotten things; it is read merely to do what it says.
One has to follow Jesus’s teachings or goes to hell (Bible). For all these reasons
Joshua manifests a respectful attitude vis-à-vis the Bible and is at the service of
God’s son, Jesus, for he knows that in addition to the reward awaiting him, his
Christian identity must be fully displayed to make people know how respectful
he is regarding God’s volition. He preaches vigorously about coming “to Jesus”,
not to “hearken to [Satan’s] voice”, and “march with one heart to the New
Jerusalem “(Ngũgĩ, 1965, p.85).
Joshua’s message testifies to his irrevocable decision to act as an apostle of
Jesus. His sermon gives evidence that the basic aim of the Bible is to save people
from Satan and the everlasting punishment. It is to warn people not to wander in
the value of darkness where they are destined to be lost forever. The Bible is
revealed to Jesus to save people and be a guidance tool for a better place in the
world beyond. Thus, faithfulness to the words of God is part of the doctrines of
Christianity and determines the religious identity of the Makuyu people. Faith
can, then, be summed up in two points: it is the confidence on Jesus, by
committing oneself deeply in the respect of the religious doctrines; it is also a
commitment to action.
As a Christian family, Joshua’s “house had a strong Christian foundation and
he wanted his daughters wax strong in faith and the ways of God. [This] proved
to all [how] a Christian home should be […]” (Ngũgĩ, 1965, p.30). The way Joshua
runs his family is typical to what he considers to be the real way through which
a true Christian house must be ran. His wife’s educative advice to their daughters
is a great testimony of their will to build a Christian behaviour justifying their
religious identity. Miriamu’s “injunction to her children was always: “‘obey your
father’, […] an expression of faith, of belief, of a way of life” (Ngũgĩ, 1965, p.85).
This strictness in building a Christian family and feasting during Christmas
(Ngũgĩ, 1965, p.54) is part of the understanding that religious practice gives a
poignant meaning to theory. It also helps foster the Makuyu ridge’s religious
identity and sense of belonging. Therefore, even if Christian believers go a long
way to the church, these displayed efforts are not enough to guaranty the faithful
religiousness of all the members of the Church and mainly Joshua’s daughters
(Muthoni and Nyambura).
1
In the charts above, H.S stands for Holy Spirit, Chr. Believers for Christian believers, and G. believers for
Gikuyu believers.
dialogue or clash. When Livingstone first set foot in the Agikuyu land, he was
convinced that dialoguing with the indigenous people was the best way which
could guarantee the success of his project. He was aware of the necessity to
combine the two ridges’ forces and religious convictions to correct the dirty
imprint of his predecessors in the Agikuyu land (Ngũgĩ, 1965, p.56). Later,
Livingston rejects the Gikuyu customs since he finds Kameno people’s way of
dealing with “religion” as savage and being in Tylor’s words: “the most
rudimentary form of religion which may get or bear that name” (Reddy, 1994,
36). Avoiding to make the same mistake by focusing his work only on the
propagation of the good news, Livingstone is consistent in accepting rites and
traditions while they do not conflict with divine laws (Ngũgĩ, 1965, p.56).
Strategic as he is, Livingstone aims to approach the indigenous population in
order to spread the doctrine of the Bible. For him, the missionary is an apostle of
Jesus Christ. It is then his task as a faithful Christian to light the torch for those
sitting on the shadow of death and open the gate of heaven to those who rush to
their destruction. Later, he realises that it is a mistake to attend the home-grown
people’s religious practices.
Therefore, the “duelogue”, which is presented as troublesome and counter-
productive, in chart 2, can be read in the relationship between Livingstone and
the defenders of the Gikuyu nation’s traditions and belief systems. After having
witnessed a ritual ceremony of the Gikuyu tribe, Livingstone changes his mind
about how to attract people to be converted to Christianity. “Livingstone is
frustrated by the prospect of failure for the larger civilizing mission” (Amoko,
2010, p.40). Thus, in his eyes, the doctrine of the Bible cannot go hand in hand
with such “satanic practices.” “But when he saw that this policy of letting things
happen gradually had not the expected result, he began to preach against the
custom vigorously” (Ngũgĩ, 1965, p.56). He becomes convinced that it is a great
charity for him, the Head of the Siriana missionary church, to help the local
population withdraw from their traditional religion in favour profit of the true
faith of Jesus, Christianity.
Livingstone’s project differs much from that of Waiyaki. Having lost his
father, Chege, the seer of the tribe, and his religious identity, Waiyaki is
convinced that the two religions can be reconciled under education and mutual
love. But, like Samba Diallo in Kane’s Ambiguous Adventure (1963), Waiyaki is lost
in the world created by colonial circumstances. His aim is to marry an
uncircumcised girl, Nyambura, Joshua’s daughter. As a member of the new
generation, his dream is to make people aware of the necessity to build a new
Gikuyu nation where Christians and non-Christians can live in peace. But the so-
called saviour cannot save himself from the claws of the society he is to keep
away from strife and warfare. This messianic project (Ogude, 1999, p.68) of using
love and education as remedies against estrangement fails to respond to
Muthoni’s wish to get Makuyu and Kameno in good terms. On this basis, Oliver
Lovesey states that “Ngũgi’s apparent message of unity and reconciliation
cannot be conveyed by a weak, internally divided leader, pulled between
commitments to both traditional values and Western education.” (2016, pp.150-
51)
For her part, Muthoni’s expectation is to make the division between the
Kameno people – who identify themselves with the traditional religion – and the
Makuyu people – who identify themselves with Christianity – fade away.
Therefore, her father and his followers come into direct conflict with the
defenders of the culture and religion of Kameno, because if Christian forms are
given non-Christian meanings, the result is syncretism; and, according to them,
in such syncretism the essential meanings of Christianity are lost (Hiebert, 1981,
p.378). Resisting that restrictive belief, Muthoni holds “the Bible in one hand and
[the] traditional religion in the other” (Steyne, 1989, p.16) and decides to join her
aunt for initiation. She hopes to integrate the two contradictory faiths. So, like her
father and mother whom circumcision “did not prevent […] from being
Christians”, Muthoni confesses that “the white man’s God does not quite satisfy”
and that she needs “something more”, the traditional religion (Ngũgĩ, 1965, p.26).
But beyond these considerations, one can say that Ngũgĩ’s delineation of
the character of his novel is a realistic depiction of the Kenyan society during the
colonial period. Muthoni’s rebellion against her father can be understood at three
levels: she objects to the puritanism of her father who “wanted his daughter to
wax strong in faith and the ways of God” (Ngũgĩ, 1965, p.30); she calls into
question what Livingstone and his missionary counterparts preach and what
they do; and she wants to affirm a new religious identity which belongs to the
new generation. Muthoni tries to mingle the Christian faith and the traditional
religion (Reddy, 1994, p.38). Her will to make the Christian priest and the seer
dialogue, the ancestors (spirits) and Jesus be reconciled, and the Christian God
(Jesus) and the Gikuyu God (Murungu) united in her, is an attempt to gather the
Christian identity and the Gikuyu religious identity as one. This practice is not
only the very essence of the Gikuyu culture that “has enormous educational,
social moral and religious implications”, but also “the tribal symbol which
identifies the age-groups” and the “spirit of collectivism and national solidarity”
(Kenyatta, 1938, pp.134-135) of the Gikuyu people.
This awareness makes Waiyaki realize that “Circumcision of women was
not important as a physical operation. It was what it did inside a person,
[because] if the white man’s religion made you abandon a custom and then did
not give you something else of equal value, you became lost” (Ngũgĩ, 1965,
p.142). Being conscious of the necessity for a Gikuyu woman to be circumcised
and become a full member of the tribe, Muthoni protests against the fact of
limiting herself to saying prayers to profit from an eternal rest in paradise –
according to the Christian teachings (Nicholls, 2010, p.38). For her, a woman in
the manner of the tribe is more than being a good Christian. Thus, pleading for
religious reconciliation or “Religious hybridity” (Gikandi, 2000, p.61) via
circumcision, Muthoni tells Waiyaki the following reconciliatory appeal: “I am a
Christian, see, a Christian in the tribe. Look. I am a woman and will grow big and
healthy in the tribe? Tell Nyambura I see Jesus. And I am a woman beautiful in
the tribe” (Ngũgĩ, 1965, p.53). So, for her, “genital mutilation” is a way to reaffirm
the “Kikuyu identity” (Gikandi, 2018, p.83). Her sister, Nyambura, is convinced
that a new religious identity must be coined out of what the Bible has stated. For
her, the religious identity of the Makuyu people, as taught by her father, does not
follow the doctrines of the Bible. This is nothing but a fallacious interpretation of
Joshua and his followers. For Nyambura, Joshua’s religion
could never be a religion of love. Never, never. The religion of love was in
the heart. The other was Joshua’s own religion, which ran counter to [my]
spirit and violated love. If the faith of Joshua and Livingstone came to
separate, why, it was not good. If it came to stand between a father and
daughter so that her death did not move him, then it was inhuman.
(Ngũgĩ, 1965, p.134)
So, the religious identity as being lived by Joshua’s followers is, according to her
daughter, a misconception of the Good News. Testifying to this, Nyambura refers
to Matthew, 11, 28 where we read: “Come unto me, all ye that labour and are
heavy laden, and I will give you rest” (Ngũgĩ, 1965, p.134). This verse
corroborates the idea according to which all suffering people such as her
deceased sister, Muthoni, and Waiyaki, her lover, may find their rest in the
religion of love where Kameno and Makuyu can dwell in brotherhood. By
condemning her father’s “own religion” (Ngũgĩ, 1965, p.134) by describing his
“disorientation” (Taylor, 1989, p.27), Nyambura focuses on “the most essential
element of Christianity in Christ, most decisively his human aspect” (Kruger,
2008, p.325). This Christ teaching, she identifies herself with, is that which can be
found in Isaiah, 11, 6-9:
The wolf also shall dwell with the lamb, and the leopard shall lie down with
the kid; and the calf and the young lion and the fatling together; and a little
child shall lead them. And the cow and the bear shall feed; their young ones
shall lie down together: and the lion shall eat straw like the ox. And the
sucking child shall play on the hole of the asp, and the weaned child shall
put his hand on the cockatrice’ den. They shall not hurt nor destroy in all my
holy mountain: for the earth shall be full of the knowledge of the LORD, as
the waters cover the sea.
(Ngũgĩ, 1965, p.134)
The true Christian religion must be based on mutual love and respect, a dialogue
between all members of the Gikuyu tribe. This dialogic relationship, which fails
to be materialized in TRB on account of mutual misunderstandings, has been
given credence when Pope John Paul II calls for dialogue with African
Traditional Religions.
This assertion proclaimed some years later after the publication of Ngũgĩ’s
novel testifies that the author of TRB was early aware of the fact that dialogue is
an important aspect that can help Christians and non-Christians respect and
listen to one another in full acceptance of each other’s religious identity. This
perspective backs up Hans Mol’s assertion that “Identity on the personal level is
the stable niche that man occupies in a potentially chaotic environment which he
is prepared vigorously to defend” (1976, p.65), and on the social level it is as a
“stable aggregate of basic and commonly held beliefs, patterns, and values (that)
maintains itself over against the potential threat of its environment and its
members” (Mol, 1976, p.65). As understood, Ngũgĩ’s aesthetic pleads for the
protection of Christian identity via the guarantee and the guarding of “religious
freedom” (Coertzen, 2008, p.345) as religion seems to be “the principal criterion
of (sic) demarcating identities” (Coulmas, 2019, p.89).
Conclusion
Ngũgĩ wa Thiong’o’s The River Between presents different aspects of the
Kenyan history and reveals a logical continuous struggle of the Kenyan society
against the mutual misunderstanding between non-Christians and Christians. It
delineates amongst other themes the impact of the Church on the promotion of
the value system of the settler over that of the natives and the Kenyan people’s
aim to adopt syncretism as a unifying agent and a way to marry the two religious’
identities. Exploring the complex quest of religious identity, this work ends with
the dialogic relationship encouraging mutual respect for the propagation of
interreligious dialogue which is the only choice to fight against any societal
disintegration caused by religious strife. This paper results in concluding that the
different dialoguing attempts include “personal dialogue of the heart”, “the
encounter between [two] religious groups”, “societal dialogues on common
issues”, and “theological dialogue” (Vroom, 2008, p.313). Further, Muthoni’s
death and Waiyaki and Nyambura’s difficult project achievement can be justified
by Ngũgĩ’s poetic justice. Moreover, the paper highlights that Ngũgĩ’s aesthetic
writing questions these challenging choices, in such a context, which cannot fully
be carried out without harsh consequences, for the incompatibility between
Kameno and Makuyu is greater than the will of a younger generation disarmed
by their loneliness in the struggle against two antagonistic forces. From this
standpoint, the paper proposes that to soothe a burning situation people must
rise to fight against division so as to settle any impending conflict.
Bibliography
AMOKO, A. O. 2010. Postcolonialism in the wake of the Nairobi revolution: Ngũgĩ wa
Thiong’o and the idea of African literature, London, Malgrave Mcmillan.
AKPER, G. 2008. «Christianity or African Christianity? On Christian Identity in
Sub-Saharan Africa», Christian Identity, Edited by Eduardus Van der
Borght, Boston, Brill, pp. 405-420.
BIKO, S. 1972. I Write What I Like, London, Heinemann.
BYANG, K. 1975. Theological Pitfalls in Africa, Nairobi, Evangel Publishing House.
TAYLOR, C.. 1989. Sources of the Self. The making of the modern identity, Cambridge,
Cambridge University Press.
VROOM, H. 2008. «Christians and Religions: Towards a Contextual Theology of
Religions Christian Identity», Edited by Eduardus Van der Borght, Boston,
Brill, pp. 313-324.
LA PROBLÉMATIQUE DE LA DESCRIPTION :
ENTRE PEINTURE ET ÉCRITURE
Bara NDIAYE
Faculté des sciences et Technologies de
l’Éducation et la Formation(FASTEF)
Université Cheikh Anta Diop - Sénégal
bara3.ndiaye@ucad.edu.sn
Résumé : Cet article réfléchit sur la description que fondent les interactions
entre peinture et écriture. Dans l’histoire de la critique d’art, un paradoxe
est à souligner. Il est clair que, dans toute forme de mutualisation, chacun
apporte ce qu’il a de meilleur. Dans le cas de ces deux derniers, l’un,
l’écrivain, parle, démesurément, de l’autre qui, en réalité, n’en fait pas
autant. Comment se justifie une telle extravagance ? Le peintre, qui choisit
le silence, ne condense t – il pas tout son message en un tableau ? La
représentation a – t – elle le droit d’être impassible pour un genre qui
abhorre les cloisons entre des pratiques artistiques différentes ?
Introduction
Quand on parle de « description », nous pouvons tomber dans le piège
qui consiste à réduire cette activité à la peinture d’une contemplation que
prolongent l’esprit et l’expression. Cela veut dire que l’on continue à dire ce que
l’on a déjà vu. Or, « voir » est si complexe. Paul Eluard, dans « Donner à voir »,
nous invite d’ailleurs à remettre en cause le fruit de notre regard surtout s’il
porte sur un objet transmis par l’intermédiaire d’une image picturale. Par
instinct, nous isolons, dans une narration, le descriptif du récit. Cela veut – il
dire qu’il existerait des signes distinctifs qui en donnent les repères ? La
description, obéit – elle à un protocole qui lui fixe une mission et lui assigne des
objectifs ? De telles interrogations fondent les réflexions de Hamon (1972) qui se
penche sur les textes littéraires en général et particulièrement sur ceux de Zola.
Dans le fil conducteur pour toute séquence descriptive, Hamon admet trois
Akofenaçn°001 345
La problématique de la description entre peinture et écriture
Problématique et perspective
Ce qui est amusant dans l’examen de la description en tant qu’imitation
dans les interactions entre écriture et peinture, c’est que cette analyse me fait
penser à une autre forme d’imitation, de représentation. Déjà, nous
réfléchissons sur un corpus qui emprunte certaines de ses ressources à l’écriture
et une bonne partie de sa matière à la peinture. Ce constat n’inspire – t – il pas
des interrogations ? S’agit – il, pour l’écrivain, d’écrire la peinture ? Ou bien, le
peintre ne tente – t – il pas de représenter physiquement, avec des couleurs, ce
que l’écrivain confie à l’écriture ? Pourquoi de tels attraits entre des arts qui ne
disposent point des mêmes matériaux ? Pour répondre, nous allons interroger
le temps. Et, on peut le dire dorénavant, Rabelais et Doré tout comme
Baudelaire et Delacroix font partie d’une large gamme d’artistes qui
s’influencent mutuellement. Un paradoxe est à souligner cependant. Il est clair
que, dans toute forme de mutualisation, chacun apporte ce qu’il a de meilleur.
Dans le cas de ces deux derniers, par exemple, l’un, l’écrivain, parle,
démesurément, de l’autre qui, en réalité, n’en fait pas autant. Comment se
justifie une telle extravagance ? Le peintre, qui choisit le silence, ne condense t –
il pas tout son message en un tableau ? La représentation a – t – elle le droit
d’être impassible pour un genre qui abhorre les cloisons entre des pratiques
artistiques différentes ? Et le temps aura révélé que le pacte qui lie écrivains et
peintres peut trouver son cordon ombilical dans l’époque d’autant que,
appartenant à la même mode, tous les arts s’inspirent des mêmes faits qu’ils
représentent – tels quels – ou qu’ils contestent. C’est dire que si le point de vue
idéologique ne justifie pas pareille affinité, la thématique peut bien être la
raison qui pousse peintres et écrivains à fraterniser.
Analyse
Akofenaçn°001 347
La problématique de la description entre peinture et écriture
Notre regard est attiré par le profil du visage aux yeux baissés, nettement
découpé sur la tenture vert sombre, et par la finesse des mains occupées à
rédiger. Holbein a d'ailleurs porté un grand soin à la description de ces
mains, comme nous le montre une feuille d'étude conservée au musée du
Louvre. La composition est sobre afin de refléter l'attention du modèle qui
se concentre exclusivement sur son activité littéraire. Le choix d'un profil
strict, très rarement pratiqué par Holbein, est une claire allusion aux
effigies d'empereurs romains gravées sur les médailles antiques. Ainsi ce
portrait, malgré le caractère intime de la représentation, revêt une allure
très officielle. Holbein nous livre une véritable icône de ce grand lettré,
dont la bouche légèrement pincée trahit l'exigence morale. Érasme, qui
prêtait une grande attention à son image, dut apprécier ce tableau savant et
calme, lui qui fut si déçu par son portrait sans concession gravé par
Albrecht Dürer.
Foucart Walter Elisabeth (1985, p. 20)
Dans ces propos, tout comme dans le tableau, rien n’est de trop. Avec un
sens élevé de la mesure et de la retenue, on rend compte d’une œuvre en
respectant la lettre et l’esprit qui en constituent la quintessence. Le champ
lexical qui les domine n’est ni appréciatif, ni dépréciatif. Il constate.
« Nettement », « finesse », « soin », « sobre », « attention », « concentre »,
« strict », « empereurs », « médailles », « allures », « officielles », « savant »,
« calme » sont autant de termes qui renvoient à la grandeur et à la noblesse. Le
propre des sages et des grands hommes reste leur humilité. Ne compte pour
eux que leur activité intellectuelle. C’est ce que le peintre met en relief au
détriment de toute notoriété qui ne manque pourtant pas à l’humaniste.
Akofenaçn°001 349
La problématique de la description entre peinture et écriture
Akofenaçn°001 351
La problématique de la description entre peinture et écriture
L'autre en tant que je me reconnais en lui sans le connaître : c'est une des
possibles définitions de l'inconscient. Que le destin d’Éros se joue plus
parmi les fruits, poissons et légumes de Chardin que dans les libertinages
de Boucher et les grivoiseries de Greuze, c'est là un des paradoxes et l'une
des zones obscures du siècle des Lumières, essentielle pourtant pour saisir
le surgissement d'un art moderne. C'est bien cela que désigne
indirectement le texte de Diderot, à travers la rhétorique, l'ornement, le
creux, le silence, autrement dit à travers son éventuelle défaillance comme
critique, à travers l'aveu d'une impuissance de l'écriture. Tout cela n'était
guère possible sans braver parfois le bon sens, et parfois aussi le sens tout
court…
Denis Diderot (1984 p.98)
Conclusion
En définitive, nous retenons de notre propos trois grands moments. Le
premier est révélateur d’une perspective qui situe la description au carrefour du
voir et du dire. Décrire signifie dire puisque l’image picturale n’est que prétexte
ou motif d’écriture dans la quête d’un plaisir qui profite beaucoup plus à
l’écrivain qu’au peintre. Autrement dit, la description devient un acte de re –
création d’autant qu’il s’agit de donner aux mots une mission qui situe l’écriture
entre le visible et l’invisible. En second lieu, nous nous sommes rendu compte
qu’il faut « parler peinture ». L’expression « parler peinture » n’est pas
d’ailleurs suffisante puisqu’autant que les écrivains, les peintures aussi écrivent.
Tous ou presque ont rédigent des journaux. C’est donc un effet de mode encore
qu’au 19e siècle, par exemple, foisonnent les salons. Les salons deviennent des
couloirs de circulation et de diffusion des nouvelles idées. En parlant peinture,
l’on ne s’attarde guère sur le tableau. On laisse vagabonder ses propres
émotions ou convictions de sorte que l’on peut promouvoir un peintre et toutes
ses œuvres comme on peut lui faire une mauvaise presse. En dernier lieu,
parlant peinture, l’écrivain cible un lecteur virtuel qui est défini sans équivoque.
L’acte décrire devient un acte commercial. Dans le point de mire, le bourgeois
est bien pointé. L’objectif consiste à l’amadouer, à l’encenser pour qu’il
consomme le produit artistique d’autant qu’il ne dispose point de culture
artistique ou scientifique qui l’aiderait à faire la part des choses. De fait, nous
retrouvons dans cette manœuvre dans l’usage de la description des traits de la
représentation classique. Partir d’un vide pour ensuite le meubler. Cet exercice
sera rendu possible par des similitudes qui fondent tous les rapprochements et
toutes les correspondances. En effet, se penchant sur l’analogie, cette pratique
montre sa force, du 16e siècle à nos jours. Elle reste le fil et l’aiguille qui tissent
des relations incontestables entres des choses que rien, parfois, ne rapproche
visiblement. Parce qu’on aime une chose ou parce qu’on la déteste, on s’en
approche ou, on s’en éloigne. Et, puisque la chose est traduite par un signe, le
signe lui – même matérialise la similitude et tous ses attributs. C’est cette
attitude aléatoire qui fait, dans une perspective de représentation, de
l’herméneutique et de la sémiologie, des ressources essentielles. Procédés de
déchiffrement, de lecture et de compréhension du signe pour l’une, de
connaissance rendant possible son identification pour l’autre, ces domaines
permettent d’aboutir à la ressemblance d’autant que les mots et les choses ne
sont pas sui generis.
Références bibliographiques
CLAUDETTE Sarlet. 1992. Les Écrivains d’Art en Belgique (1860 – 1914),
Bruxelles, Labor, p.11
DENIS Diderot. 1984. Essais sur la peinture, Salons de 1759, 1761, 1763, Textes
établis et présentés par Gita May et Jacques Chouillet, Paris, Éditions
Hermann, p.219.
ERASME – Hans Holbein.2009. Éloge de la folie avec les dessins de Hans Holbein,
Bordeaux, Castor Astral.
Akofenaçn°001 353
La problématique de la description entre peinture et écriture
Bouna FAYE
Université Cheikh Anta Diop - Sénégal
bouna.faye@ucad.edu.sn
faye.lettres@gmail.com
Introduction
Thématique fondamentale des œuvres flaubertiennes, l’échec amoureux
fait de Madame Bovary, le roman de l’amour malheureux et impossible qui permet
à Flaubert de peindre avec beaucoup d’ingéniosité l’esprit du siècle auquel il
appartient. Cet échec est dû à l’énorme décalage qui existe entre le grand amour
passionné qu’a toujours rêvé Emma et celui qu’elle a trouvé en Charles Bovary,
son mari. De ce fait, il apparaît une incompatibilité d’humeur au sein du couple,
car les attentes romantiques de l’héroïne sont radicalement faussées. Une union
qui reste donc déterminée par des ennuis, des désillusions et des échecs sans
terme. En effet, Emma, comme tous les héros romanesques du XIXe siècle,
cherche à s’élever au-dessus de la condition qui lui est faite, rêve d’une vie
mondaine où tout est liberté et félicité. Élevée au couvent et nourrie très tôt
d’aventures romantiques grâce à ses lectures, Emma, en acceptant de se marier
avec Charles Bovary, médecin de campagne et de le rejoindre en province, croyait
pouvoir satisfaire ses illusions sentimentales, changer de cadre de vie et
améliorer son statut social. Mais malheureusement, elle se confronte à la
médiocre réalité qui caractérise son mari, incapable de donner satisfaction à ses
désirs sentimentaux. Cela est à l’origine de ses frasques et fantasmes ; d’où les
multiples amants qu’elle collectionnait, à son gré, et les dettes qu’elle contractait
pour tenter de se rattraper en amour et assouvir son instinct. Malgré ce palliatif,
elle échouera lamentablement et, ne pouvant supporter ce déshonneur, abrège
ses jours en buvant de l’arsenic, pour trouver remède à son chagrin.
Ainsi, dans cette étude, notre propos consistera à examiner la grande
espérance amoureuse qui habitait Emma et qui l’avait poussé à se marier avec
Charles Bovary, un jeune veuf. Il sera question aussi d’analyser les déboires et la
déchéance amoureuse d’Emma dans cet espace où l’âpreté et la mesquinerie
dominent le quotidien des populations.
Pour ce faire, nous adopterons une démarche intertextuelle, telle que
définie par Julia Kristeva : « […] tout texte se construit comme une mosaïque de
citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte » ()1.
Cela nous permettra d’établir des rapprochements entre Madame Bovary et
quelques œuvres des autres littératures, particulièrement française et africaine,
puisque l’amour, en tant que thème d’écriture, occupe une place charnière dans
tous les champs d’études.
1Sémeiotiké. Recherches pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1979, p. 145 ; Philippe Sollers, à la suite de Kristeva,
donne une définition de l’intertextualité : « Tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à
la fois la relecture, l’accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur », Théorie d’ensemble,
« Tel Quel », Paris, Seuil, 1968, p. 75 ; Pierre-Marc de Biasi, « Intertextualité », in Encyclopaedia Universalis,
1989 ; Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité, Mémoire de la littérature, Paris, Nathan, 2001.
[…] la présence de cet homme avait suffi à lui faire croire qu’elle possédait
enfin cette passion merveilleuse qui jusqu’alors s’était tenue comme un
grand oiseau au plumage rose planant dans la splendeur des ciels
poétiques ;− et elle ne pouvait s’imaginer à présent que ce calme où elle
vivait fût le bonheur qu’elle avait rêvé.
Flaubert (1972, pp. 62-63)
Au fil du temps, l’héroïne se fait des illusions dans son esprit et fonde
beaucoup d’espoirs en Charles Bovary, croyant qu’il sera l’homme idéal qui la
fera réaliser la vie paradisiaque qu’elle s’était créée grâce au plan de Paris et ses
nombreuses lectures des œuvres de Balzac et d’Eugène Sue :
2 Les remarquables notes de Claude Digeon confirment les préoccupations quotidiennes de l’héroïne et
expliquent ses profonds désirs : « C’est au couvent que certains déguisements (modernes et vulgaires) de ce
désir émerveillent Emma. Vagues rêveries, sensualités douceâtres de la religion, lectures romanesques lui
proposent sur fond de piété quelques images prestigieuses de ‘‘messieurs braves comme des lions, doux
comme des agneaux’’, de grandes dames et d’amours magnifiques », Connaissance des lettres, Paris, 1970,
Hatier, pp. 72-73.
3 Nous précisons, d’emblée, que nous travaillons avec l’édition de Madame Bovary, Paris, Gallimard, 1972 et
Librairie José Corti, 1961 ; Jacques Bony, Lire le romantisme, collection « Lire », Paris, Nathan, 2001, p. 140 ;
Elle s’acheta un plan de Paris, et, du bout de son doigt, sur la carte, elle faisait
des courses dans la capitale. Elle remontait les boulevards, s’arrêtant à
chaque angle, entre les lignes des rues, devant les carrés blancs qui figurent
les maisons. Les yeux fatigués à la fin, elle fermait ses paupières, […]
Flaubert (1972, p. 88)
Rêvant d’une rapide ascension sociale et voulant vivre comme les gens de la
haute bourgeoisie, Emma imagine également que Charles était ce mari qui lui
apprendra la valse comme le vicomte l’avait fait avec elle au bal du château de la
Vaubyessard. Dans ce passage, qui suit, le narrateur décrit admirablement les
moments de jouissance d’Emma au cours de cet événement passionnel tant rêvé :
Ils commencèrent lentement, puis allèrent plus vite. Ils tournaient ; tout
tournait autour d’eux, les lampes, les meubles, les lambris, et le parquet,
comme un disque sur un pivot. En passant auprès des portes, la robe
d‘Emma, par le bas, s’ériflait au pantalon ; leurs jambes entraient l’une dans
l’autre ; il baissait ses regards vers elle, elle levait les siens vers lui ; une
torpeur la prenait, elle s’arrêta. Ils repartirent ; et, d’un mouvement plus
rapide, le vicomte, l’entraînant, disparut avec elle jusqu’au bout de la galerie,
où, haletante, elle faillit tomber, et, un instant, s’appuya la tête sur sa
poitrine.
Flaubert (1972, p. 81)
Emma souhaitait que son mari, à la place du vicomte, lui fasse valser comme tous
les hommes font avec leurs épouses. Cet espoir « gargantuesque »5, qu’Emma
Bovary avait placé en Charles, au début de leur union, va se muer rapidement en
déchéance, du fait que le mari, malgré son attention, son affection, ses efforts de
séduction, n’arrive point à exaucer les grands rêves d’Emma. Pourtant, au
moment de la cérémonie de réception, apparaissaient les premiers signes qui
auraient dû alerter Emma sur la faiblesse de son mari :
5Cet adjectif fait allusion à Gargantua, héros de Rabelais dans l’œuvre éponyme, qui aspire toujours à la
grandeur, au gigantisme.
2. Les déboires
Plongée maintenant dans un cadre qui ne répond guère à ses aspirations
romantiques, Emma s’étouffe, s’ennuie et désespère. Pour elle, cette situation
dramatique qu’elle vit au quotidien émane du comportement de son mari. Un
comportement qui est l’opposé de ses rêves de jeune élève au couvent et qu’elle
décrit avec beaucoup de mépris : « Sa conversation était plate comme un trottoir
de rue, […], il n’enseignait rien, celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien »
(Flaubert, 1972, p. 65). C’est à partir de ces regrets inattendus que commencent
ses interrogations sur son avenir sentimental et les stratégies à peaufiner afin de
se libérer de cette vie monotone, de cet espace qui la ronge intérieurement. Cet
extrait est fort évocateur des plaintes quotidiennes d’Emma :
Avant qu’elle se mariât, elle avait cru avoir de l’amour ; mais le bonheur qui
aurait dû résulter de cet amour n’étant pas venu, il fallait qu’elle se fût
trompée, songeait-elle. Et Emma cherchait à savoir ce que l’on entendit au
juste dans la vie par les mots de félicité, de passion et d’ivresse, qui lui
avaient paru si beaux dans les livres
Flaubert (1972, p. 55)
Le bal du château de la Vaubyessard, où Emma avait pris part avec son époux,
est le lieu où ses aspirations les plus profondes se sont déclenchées, mais aussi
où des solutions, pour ses interrogations, se sont élaborées car, pour elle, la vie
qu’elle s’imaginait dans les œuvres romantiques vient d’être vécue :
Pourquoi, mon Dieu ! Me suis-je mariée ? Elle se demandait s’il n’y aurait
pas eu moyen, par d’autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre
homme ; et elle cherchait à imaginer quels eussent été ces événements non
survenus, cette vie différente, ce mari qu’elle ne connaissait pas. Tous, en
effet, ne ressemblaient pas à celui-là. Il aurait pu être beau, spirituel,
distingué, attirant, tels qu’ils étaient, sans doute, ceux qu’avaient épousés ses
anciennes camarades du couvent.
Flaubert (1972, pp. 69-70)
Elle laissait maintenant tout aller dans son ménage, et Mme Bovary mère,
lorsqu’elle vint passer à Tostes une partie du carême, s’étonna fort de ce
changement. […] Du reste, Emma ne semblait plus disposée à suivre ses
conseils ; une fois même, Mme Bovary s’étant avisée de prétendre que les
maîtres devaient surveiller la religion de leurs domestiques, elle lui avait
répondu d’un œil si colère et avec un sourire tellement froid, que la bonne
femme ne s’y frotta plus.
Flaubert (1972, p. 99)
6Pour Guy Riegert, c’est « l’absence de caractère totale de Charles » qui est à l’origine de l’échec de leur
amour. Madame Bovary Flaubert, Analyse critique, Paris, 1971, Hatier, p. 22.
3. La déchéance amoureuse
Appréhendé comme un véritable « laboratoire du réel »8 par Michel Butor,
le roman apparaît comme un document d’analyse psychologique. Madame Bovary
en est une parfaite illustration. Charles, un des personnages principaux de
l’œuvre, par un diagnostic comportemental, est arrivé à comprendre les causes
des profondes métamorphoses de sa femme. Inquiet, pour répondre aux désirs
romantiques de sa moitié, l’officier de santé décide, malgré lui, de quitter Tostes
: « Comme elle se plaignait de Tostes continuellement, Charles imagina que la
cause de sa maladie était sans doute dans quelque influence locale, et, s’arrêtant
à cette idée, il songea sérieusement à s’établir ailleurs » (Flaubert, 1972, p. 101). Il
migra vers Yonville-l’Abbaye, à la faveur du décampement du médecin polonais.
Ce lieu, vu comme échappatoire à l’existence morose dans laquelle se trouvait
Emma, se révèlera être la cause profonde de ses amères difficultés. Arrivée dans
un espace social où règne « le triumvirat : amant-femme adultère-mari » (Ndiaye,
1998, p. 139) et où les hommes sont orientés insidieusement vers la recherche
effrénée du gain et où l’argent est « le grand mot qui décide de tout […] »
(Stendhal, 1830, p. 24), Emma y connaîtra tous les déboires amoureuses et
financières. Elle devient ainsi la proie de tous les vices et malheurs de l’espace
yonvillien (adultère, mensonge, dette, etc.) à ce titre, le « changement de cadre de
vie et cette transplantation ont transformé son caractère » (Pavie, 2006, p. 29). Elle
se métamorphose donc psychologiquement, voire sentimentalement et tombe,
insidieusement, dans la décadence la plus absolue.
Puisque le mari est « incapable de combler le cœur insatisfait de son
épouse » (Stroppini, 1992, p. 175) et restant toujours occupé par ses patients,
Emma, « en quête de félicité » (Stroppini, 1992, p. 175), trouve l’occasion
d’entrevoir des possibilités amoureuses avec des hommes cyniques, sans
scrupules, dépourvus de tout moral. Le clerc, Léon Dupuis, sera le premier
7 Analysant la situation dans laquelle se trouve Emma, Guy Riegert note magnifiquement : « Mais rien ne
peut assouvir ses désirs vagues et elle s’irrite de plus en plus de la sottise absolue de son mari. Les saisons
se succèdent, l’ennui s’accroît et le caractère de la jeune femme s’altère. », Madame Bovary Flaubert, Analyse
critique, op. cit., p. 22.
8 Michel Butor, « L’Espace du roman », Essais sur le roman, Paris, Gallimard, 1975, pp. 48-58 ; pour le même
sujet, on peut se référer à Michel Raimond, « L’Expression de l’espace », Le Roman, Paris, Armand Colin,
1989.
homme de Yonville avec qui elle partagera ses goûts romantiques et dont elle
sera fort éprise :
Bien qu’étant amoureux de la dame, Léon, pour ne pas compromettre son avenir
professionnel, rompt, sans délai, cette liaison adultérine. Après Léon, c’est au
tour de Rodolphe, « un jeune aristocrate débauché » (Gianfranco,1992, p. 175), de
conquérir le cœur d’Emma et de s’en débarrasser aussitôt à cause de l’exaltation
trop poussée de l’héroïne :
Il leur fallait un bon quart d’heure pour les adieux. Alors Emma pleurait ;
elle aurait voulu ne jamais abandonner Rodolphe. Quelque chose de plus
fort qu’elle la poussait vers lui, si bien qu’un jour, la voyant survenir à
l’improviste, il fronça le visage, comme quelqu’un de contrarié. – Qu’as-tu
donc ? dit-elle. Souffres-tu ? Parle-moi ! Enfin il déclara, d’un air sérieux, que
ses visites devenaient imprudentes et qu’elle se compromettait.
Flaubert (1972, p. 233)
9 À ce propos, Claude Digeon précise : « Son rêve sentimental vient se confondre avec la réalité, qui va lui
faire découvrir l’universel mensonge », Connaissance des lettres, op. cit., p. 69.
Cet espace urbain, tant rêvé et chéri, apparaît finalement comme source des
malheurs et des fatales déceptions pour Emma, car rien de bon ne lui réussit.
Tourmentée, déboussolée, bouleversée et déçue par cet espace, elle y perd ses
repères, connaît tous les vices et s’enfonce inéluctablement vers l’abîme en
s’empoisonnant avec de l’arsenic : « −Ah ! C’est bien peu de chose, la mort !
pensait-elle ; je vais m’endormir, et tout sera fini ! Elle but une gorgée d’eau et se
tourna vers la muraille » (Flaubert, 1972, p. 438). Emma a donc été victime des
méfaits de la ville, car « les lieux ont une fonction aussi importante que les êtres »
(Pavie, 2006, p. 29), à cause de sa folie de grandeur. Parlant de cet espace urbain,
avec son lot de conséquences, dans le contexte africain, Aminata Sow Fall dira
âprement que « La ville transforme les gens… Elle les attire et les détruit » (Sow
Fall, 1979, p. 12).
Le mari également, objet d’une stigmatisation déferlante et d’une série de
châtiments qui passent par le déshonneur, mourra peu après avoir traversé les
pires moments de son existence à cause d’un amour passionné. C’est dans ce sens
que Guy Riegert, avec une profonde analyse psychologique, décrit la mort de
Charles en ces termes : « Sa fin est pitoyable, dans sa solitude désespérée : image
d’une vie qui se défait, prédestinée à l’échec, dans l’indifférence et l’abandon de
tous » (1971, p. 12). Ce sont là les véritables raisons qui ont conduit à la déchéance
de l’héroïne, voire à la fin tragique du couple Bovary. Cet échec amoureux est
celui de toute « une jeunesse qui vient se briser contre les réalités brutales de la
société capitaliste de l’époque », selon les propos de Paul Lidsky et Christine
Klein-Lataud (1992, p. 35). Des ouvertures intertextuelles permettent de voir que
cet échec amoureux, dans Madame Bovary, fait aussi figure de marque dans les
œuvres de Balzac. Par exemple dans Le Père Goriot, nous notons l’abandon atroce
de Madame de Beauséant par Ajuda Pinto ; l’horrible trahison de Charles
Grandet à l’endroit de sa cousine, Eugénie Grandet, à qui il avait promis un
mariage dans Eugénie Grandet. À cet effet, comme le note Alioune-Badara
Diané, « La textualisation de l’échec amoureux a produit une œuvre qui s’évade
constamment d’elle-même pour aller à la rencontre d’autres textes qui la fondent
et lui permettent d’exister » (Alioune-Badara Diané 2012, p. 386).
Les procédés intertextuels nous ont permis également de remarquer cet
échec de l’amour dans le champ littéraire africain. Pour l’illustrer, nous nous
appuyons sur les œuvres de la Sénégalaise Mariama Bâ. Par exemple, dans Une
si longue lettre (1979) et Un chant écarlate (1982) tous les amours qui ont été bien
construits, au départ, sont brisés par la polygamie. On peut citer le couple
Aissatou/Maoda Bâ qui s’est soldé par un divorce parce que Maoda a pris une
seconde épouse ou encore Ousmane Guèye/Mireille de la Vallée qui vole en
éclat, du fait qu’Ousmane, lui aussi, a épousé Ouleymatou, une femme de son
ethnie, pour satisfaire les caprices de sa mère. Ici se pose, avec acuité, le problème
de l’’identité culturelle ; ce qui aboutit par conséquent à un échec cuisant de
l’amour.
Conclusion
Au terme de notre analyse, nous retenons que l’échec de l’amour, dans
Madame Bovary, est tributaire de l’échec d’un programme de vie conjugal non
atteint. Une relation qui a été bien débutée et qui finit, par la suite, dans le
véritable désastre, car l’héroïne n’a pu vivre dans le bonheur romantique qu’elle
rêvait. Emma, en acceptant de se marier avec Charles, pensait pouvoir réaliser
ses fortes ambitions sentimentales et se mettre au faîte de la société française.
Déçue de cette faible union, Emma bafoue « la fidélité conjugale » (Gianfranco,
1992, p. 175), pour exalter son cœur, par le biais de l’adultère, avec des hommes
cyniques. Ce qui la périclite profondément et permet ainsi à son mari, déchu, de
définir l’amour comme une « fatalité » (Flaubert, 1972, p. 481) à laquelle un cœur
sensible ne peut jamais échapper. À ce point d’ancrage, l’amour, comme fatalité,
rappelle le héros à l’époque classique par exemple Phèdre (héroïne de Phèdre de
Jean Racine), pour ne citer que celle-là. Triste roman de l’amour impossible,
reflétant, sans complaisance, les tares de la société de l’époque10, Madame Bovary,
à bien des points de vue, est aussi comparable à La Nouvelle Héloïse (1761) de Jean-
Jacques Rousseau où le thème de l’échec amoureux occupe une place capitale.
Cet échec amoureux du couple Bovary peut être considéré comme la résultante
de la transgression des structures formelles du genre romanesque que Flaubert
avait entamée pour réformer la littérature et annoncer, par ailleurs, le roman
moderne, qui occupera tout le XXe siècle. Au-delà de la thématique de l’échec de
10Abondant dans le même sens Guy Riegert renseigne : « Madame Bovary offre une galerie de types qui en
font assez une féroce satire de l’esprit du siècle. Esprit dominé par le lucre, la cautèle, l’égoïsme et dans tous
les cas par le conformisme le plus plat », Madame Bovary Flaubert, Analyse critique, op. cit., p. 39.
l’amour dans Madame Bovary, « l’œuvre de Flaubert est présente, dans l’histoire
de la littérature occidentale, comme le symbole actif d’un véritable
renouvellement dont la critique d’aujourd’hui n’a pas fini de mesurer les
significations et les effets », dixit Pierre-Marc de Biasi (1990, p. 523).
Références bibliographiques
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DIANÉ. A-B. 2012. « ‘’En même temps que j’écris ces lignes’’… : La mise en scène
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sénégalaise de Langues et de Littérature, n°s 1-2, Faculté des Lettres et Sciences
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FALL. SA. 1979. La grève des bàttu ou les déchets humains, Les Nouvelles Éditions
Africaines du Sénégal, Dakar.
Introduction
Quand entre 1980 et 1990, des intellectuels africains qu’A. Waberi a
appelés « les enfants de la postcolonie » (1998, pp. 8-15) émigrent en Occident
pour des raisons diverses, certains parmi eux sont soucieux de transcrire
propos trahissent un imaginaire colonial qui continue d’habiter les esprits. Les
formes de réminiscences perçues ici et là sont le produit d’une page de la
colonisation de l’Afrique par l’Occident, difficile à tourner ; elles permettent de
saisir le poids du passé et les enjeux d’un combat idéologique.
M. Hippocrate, « ce voisin » au caractère trempé que le héros a du mal à
supporter, lui qui a « la malchance d’avoir son studio collé » à son appartement
(p. 34), ne cesse, par exemple, de rappeler ce que la colonisation n’aurait jamais
manqué ou cessé d’être. Le narrateur rapporte ses propos en ces termes: « Il dit
que les colons n’ont pas bien terminé leur boulot, qu’il leur en veut à mort pour
ça, qu’ils auraient dû nous fouetter encore plus pour nous inculquer les bonnes
manières. Le problème des colons français, c’est qu’ils ne sont jamais allés
jusqu’au bout des choses » (p. 35-36). Ces propos soulèvent la problématique
d’un sujet postcolonial (la migration) qui « fournit une clé de lecture de la société
d’immigrés noirs à Paris et des groupes sociaux ghettoïsés de par leurs statuts de
résidents provisoires ou de parias » (V. Tarquini, 2015, pp. 79-100). Les questions
migratoires et les problèmes qu’elles soulèvent posent la condition des Africains
migrants en termes de conflits entre l’Afrique et l’Occident au regard d’un
héritage colonial difficile à assumer et presqu’impossible à supporter. La
littérature africaine francophone est confrontée au problème de l’alternative entre
le passé colonial marqué par les brimades, les abus, les violations de droits de
l’homme, etc., et les réalités postcoloniales avec ses problèmes dont la question
migratoire. Ce dilemme impose à certaines figures du roman, le double soi et des
crises intérieures sous diverses formes, à l’image du personnage central dans le
roman de Mabanckou, dont l’histoire rappelle le parcours de millier de candidats
à la migration.
Pris entre deux mondes et deux cultures évoquant le bazar qui donne son
nom au roman, les personnages, dont Fessologue, s’acharnent à conserver leurs
origines tout en cherchant à s’intégrer dans la culture occidentale, au point qu’on
observe que quelques-uns vont jusqu'à se décrêper les cheveux et blanchir la
peau pour affirmer une forme d’ascension sociale et culturelle. Ce bazar dans
lequel évolue la communauté noire immigrée est la conséquence de la
colonisation que le roman passe au peigne fin, écorchant au passage l’Afrique
des indépendances avec ses dirigeants corrompus, ceux du Congo-Brazzaville
notamment. L’ironie et le rire se mêlent à l’autodérision, au pathétique des
descriptions et allusions, repérables dans le parcours de la plupart des Africains
immigrés dont l’histoire repose sur une alchimie des réalités de l’Ici et de
l’Ailleurs. L’univers fictionnel que propose Mabanckou est construit autour des
malheurs d’un ‘‘héros’’ qui n’est pourtant pas, dixit le narrateur, celui qui
« creuse le trou de la Sécurité sociale » (p.23). À l’instar de la plupart des migrants
qui sont accusés d’être à la base des problèmes économiques de leurs pays
d’accueil, de compromettre l’accès à l’emploi aux autochtones (l’actualité récente
en Afrique du Sud a été marquée par des scènes de meurtres et de pillages de
certains autochtones vis-à-vis des étrangers, les Nigérians en particulier, qu’ils
accusent de leur voler leurs emplois), Fessologue et ses amis migrants doivent
faire l’amère expérience d’un pays d’accueil hostile qui suscite une interrogation
sans réelle réponse: faut-il rester dans le pays d’accueil avec son lot de désillusion
ou retourner dans son pays d’origine qui n’offre pas de sécurité sociale et
économique crédibles? Les querelles liées au processus d’intégration, à l’identité
et à la culture, qui sont des paradigmes de la mobilité, offrent à l’écriture
migrante la posture épistémologique de l’entre-deux dont le personnage-migrant
est la figure représentative. Le point commun entre la mobilité du migrant et son
processus d’intégration est la crise identitaire qui se présente à lui, face à
l’impossibilité du compromis, à l’hybridité, à la tension spatiale, au
« double…soi ». Le péril parisien des aventuriers africains, avec sa galère et son
bazar (identitaire, linguistique, social, spatial…), porte le projet social de
Mabanckou qui légitime une écriture de la migration dont les contours (variés et
multiples) sont mis en texte pour mettre aux yeux du monde, une réalité
postcoloniale majeure dont la responsabilité incombe à la fois à la France et à
l’Afrique.
migrants parisiens, et qui donne son titre au roman, est soumis à une écriture
s’inscrivant dans le prolongement des écrits transgressifs de Mabanckou, cet
auteur majeur de la littérature africaine contemporaine.
Le roman de l’écrivain congolais ne s’écarte pas de décrire, avec des mots
crus, une réalité qui frappe aussi bien l’Afrique que l’Europe. Le texte est traversé
par des sujets liés au racisme, à l’alcool, au sexe, à la prostitution, à la drogue. Le
ton est cru et les descriptions sont ouvertes pour donner une visibilité au lecteur
face à une situation critique qui continue de hanter les esprits. Le conflit culturel
entre Noirs et Blancs, bien que n’étant pas un sujet nouveau, permet de montrer
la face sombre des rapports entre l’Afrique et l’Europe au lendemain de la
colonisation. La critique semble poser le sujet de la migration sous l’angle d’un
conflit culturel, à l’instar de celui qui a marqué la littérature ante-coloniale avec
des figures de proue qu’étaient Césaire, Senghor, etc., qui évoquaient les rapports
difficiles entre Noirs et Blancs, sauf que celui-ci, postcolonial, semble ne pas
comprendre cette logique d’altérité systémique, au moment où tous parlent
d’intégration, de brassage culturel, de liberté de circulation, etc. Le lien
métaphorique entre Black et Bazar qui est une forme d’euphémisation de noir,
trahit une remarquable écriture qui est une sorte de pont entre l’Afrique et
l’Europe, entre le migrant et sa terre d’accueil hostile; une écriture somme toute
marquée par le sceau de l’Histoire /l’histoire et des réalités postcoloniales. Selon
des analystes dont Justin Bisanswa, les romans de Mabanckou, à l’instar de Black
bazar, fonctionnent comme une partie de la société à l’échelle réduite.
D’ailleurs, l’écriture de Mabanckou rappelle les romans de Louis-Philippe
Dalembert et ceux de Dany Laferrière. Dalembert (2005), par exemple, raconte la
vie quotidienne dans cette rue, d’un enfant qui ne sait pas qu’il est haïtien. La
question de l’identité, de la territorialité et de la culture est mise en exergue pour
montrer l’une des faces sombres des sociétés postcoloniales où l’identité du
migrant est perçue sous l’angle dépréciatif. Alain Mabanckou construit son
roman dans cet univers conflictuel et cristallisant. En plus de tourner en dérision
l’aventure migratoire et l’anxiété de l’exil, il propose une écriture de soi et une
représentation des autres dans lesquelles la force des préjugés et des apparences
décentrent le récit. À tout point de vue, le corps favori de l’écriture de Mabanckou
reste l’informe, cette forme d’écriture qui trahit les habitudes et qui inscrit le texte
dans l’aventure et le possible narratif. Construit à la première personne à travers
la figure du « je » témoin, le roman traduit l’aventure migratoire, avec ses joies
éphémères et ses doutes, ses contradictions et ses mystères. La forme
autofictionnelle du récit sous l’angle foulcauldien rappelle la condition de
l’auteur qui est dans la peau du Sujet-migrant (son double fictionnel) témoin de
la réalité de la migration. Sans être exclusivement l’image ou la représentation de
l’auteur, le héros semble cependant assumer le parcours de celui-ci, tout comme
les textes migrants sont, en général, la représentation du parcours de leurs
auteurs dans des espaces de crise. Dans la posture d’une contre-écriture marquée
par le désordre, la parole libérée, l’écriture de la migration devient cette « autre
forme du témoignage, puisque le sujet migrant est le porteur de l’envers de la
mémoire officielle qu’il dénonce par son écriture » (S. Harel, 2005, p.63). Le sexe,
l’alcool, la prostitution (comme celle pratiquée par des Nigérianes pour sortir de
la précarité que leur impose une société d’accueil hostile, p. 84), etc., ne sont plus
des sujets tabous, mais participent à la représentation d’une écriture qui est de
l’ordre de la réalité dicible, mais aussi de l’histoire, celle qui, selon P. Nganang
(2007), traduit « un lieu du départ et un lieu de l’arrivée » dans lesquels se noue
le projet migratoire du migrant. Mabanckou offre ainsi une écriture de
déconstruction dont les multiples facettes montrent les difficultés que connaît la
société française à accueillir des migrants, à leur offrir un mieux-être, à l’instar de
ce que raconte François Durpaire (2006), où l’on découvre l’espoir déçu par une
France incapable d’apporter un épanouissement total à ses citoyens. La
géographie parisienne est certes marquée dans le roman de Mabanckou, mais
celle-ci évoque tous les espaces occidentaux dans lesquels la lutte pour la survie
est ce qui guide la vie des Sujets migrants.
Cette fiction de l’aventure parisienne, qui témoigne des contradictions des
sociétés modernes, est construite sur des regrets, des déceptions, des trahisons.
Ces réalités semblent marquer Mabanckou dont l’écriture comble le vide et la
solitude qui caractérise le plus souvent l’aventure migratoire. À l’instar de
Laferrière qui a dit: « j’écris comme je vis », Mabanckou écrit comme il vit, avec
la posture d’un écrivain ‘‘naïf’’ dont le projet social est aussi celui des Sujets
migrants (Fessologue notamment) qui rêvent d’une vie meilleure que leur terre
d’origine ne peut leur offrir. Dès lors, l’écriture devient totale, tranchée, ouverte,
et le langage semble faire écho à un mal africain qui continue de hanter les esprits.
Le jeu des formes, l’écriture désarticulée et cette espèce d’auto-flagellation
scripturale qui installe son auteur dans l’ambiguïté et le paradoxe, consistent à
faire du texte littéraire le lieu du désordre, de l’aventure pour échapper à toute
classification. À l’instar des migrants qui trouvent quelquefois leur chemin dans
l’incertitude, l’inachevé et dans des lieux de débris, les textes migrants forment
une esthétique de l’informe, de la déconstruction, de la violence scripturale qui
offrent des formes variables et irrégulières au tissu narratif.
Conclusion
Dans sa réflexion sur les effets de la colonisation de l’Afrique par l’Occident,
B. Ashcroft écrit ceci:
Plus de trois quarts des gens vivant dans le monde aujourd’hui ont eu leur
vie forgée par l’expérience du colonialisme […] La littérature leur offre l’une
des voies les plus importantes par lesquelles ces nouvelles perceptions sont
exprimées et c’est dans leurs écrits que les réalités quotidiennes vécues par
les peuples colonisés ont été transcrites avec plus de force […] Toutes les
littératures émergent dans leur forme présente de l’expérience de la
colonisation.
Ashcroft (1989, pp. 1-2)
La perspective de lecture du passé colonial débouche sur la pertinence
d’une réévaluation de certains paradigmes qui sont, aujourd’hui, des motifs à la
base des tensions du récit. L’immigration par exemple est un motif
paradigmatique et narratif autour duquel se cristallisent les querelles déictiques
liées au trauma de l’ici et à l’aventure dans l’Ailleurs. S’il est admis que la
Références bibliographiques
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CÔTÉ, J.- F. 2003. « Littérature des frontières et frontières de la littérature de quelques
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WABERI, A. 1998. « Les enfants de la postcolonie. Esquisse d'une nouvelle génération
d'écrivains francophones d'Afrique noire », Notre librairie n°135, septembre-
décembre.
1 Soumis outre à des règles de contrats de communication (Charaudeau, d’autorité énonciative (Bourdieu,
1982) mais également aux paradigmes de représentation d’images de soi (Amossy, 2010 et Kerbrat-
Orecchioni, 2016) pour l’exigence de la construction d’un miroir politique (Lamizet, 2002) où locuteurs,
allocutaires et objets discursifs doivent partager la même représentation sociale (1994) mais également aux
contrats de communication (Charaudeau, 1997) et d’autorité énonciative (Bourdieu, 1982).
2 Nous indiquons là le système des tours de parole dans la logique de Catherine Kerbrat-Orecchioni (1990 :
160) où nous considérons cela naturellement comme un système d’attente normale entre les agents qui
interviennent dans un espace discursif et aussi comme un système de droits et devoirs pour l’optimisation
du rendement de la conversation et surtout pour la promotion du principe de coopération et d’harmonie
indispensable pour la construction de l’espace argumentatif.
Abstract: We ask from the beginning for the writing of this article that this
debate between the two-rounds of the presidential election is "a symbolic
interaction" where it is necessary to treat "developed social relations" as
"relations of power symbolic where force relations between the speakers
and / or their respective groups and interaction topics are actualized
"(Bourdieu, 1982, 14). Thus, each participant being taken as an institution, it
is a question of ensuring that the recognition of oneself as such is
assimilated for the construction of a positioning in the argumentative
public space that must absolutely be occupied. In this context, three
institutional bodies are available to our stud y: the institutional body of the
camp of the continuation for the safeguarding of the "already detained
power", the institutional organ of the camp of the rupture for "the recovery
of the power to exercise it '' and the mediating institutional body for '' the
management of the rights and duties of the other two bodies in the
argumentative space ''. Clearly, the "right to keep and give in" soon
becomes a "duty of preservation and confiscation"; the interaction leaves
necessarily disabled and challenges research. Pierre Bourdieu (1982),
Catherine Kerbrat-Orecchioni (1998) and PamphileMebiame-Akono (2016),
thanks to their work, provided this study with the scientific tools necessary
for its realization.
Keywords: interaction, turn of speech, right to keep and give away, duty of
preservation, confiscation.
3 Il s’agit de l’ensemble des questions sous diverses formes des animateurs aux débatteurs.
Il a été retenu après les échanges avec les représentants des candidats et à
l’issuede la conférence de production avec les techniciens de l’Ortb des
dispositions dont la présence d’une minuterie visible qui affiche le temps
de parole de chaque intervenant, l’interdiction du plan d’écoute, la mise en
place d’un cadre de confort, l’option de la position assise et la répartition de
la parole.
4 Instance de régulation instituée constitutionnellement comme pouvoir, depuis 1990, pour assurer l’accès
équitable des partis politiques aux médias publics en République du Bénin.
5 Les débatteurs avec leurs multiples représentations : le ‘’soi’’ comme légitimation de la prise de parole, le
‘’soi’’ comme représentation légitime puisque déclaré et tant que tel, donnant droit à être sur le plateau, le
‘’soi’’ avec double casquette, à savoir représentant de sa propre personnalité et de celle du groupe, le ‘’soi’’
comme image doxique d’identité personnelle et de ceux dont le ‘’je’’ réclame le droit de représenter et le
‘’soi’’ comme sachant de l’objet discursif.
6 Il s’agit là du polissage mutuel des faces, de la maitrise du processus énonciatif pour affirmer un ‘’je’’
lecture aux usagers des médias ou encore des modèles de rédaction aux réalisateurs des œuvres
médiatiques dans le but de partager la réflexion de Patrick Charaudeau (1997) qui met en exergue
combien, lorsqu’on parle de télévision, « l’objet est d’une origine et d’une matérialité sémiologique très
composite» et combien les composantes de tout texte dans ce cadre (en termes de matérialité signifiante, de
règles, de systèmes, de construction linguistique et de procédés d’organisation discursive) ne peuvent être cernées
sans une approche par rapport aux ‘’types de mode discursif, d’instance énonciatrice, de contenu et des
caractéristiques du dispositif scénique’’. Ce qui certainement a conduit Catherine Kerbrat-Orecchioni (2016) à
l’aborder comme « genre discursif bien particulier » par ses formes de construction et de ritualisation.
8Lokonon, Clémentine (2015 : 120) sur les sites d’un discours politique oral
9le titre de l’émission montée avec des images sous fond d’une musique qui n’excède pas souvent 20 à 30
secondes.
On peut détecter là deux (2) séquences concourant à signifier à tous les invités
de l’espace, qu’ils soient ‘’actifs’’ ou ‘’passifs’’ le mécanisme structurant devant
permettre la conduite de l’espace argumentatif. La question est : de ces deux
séquences (a) et (b), laquelle permet d’informer l’autre acteur (le citoyen), qui
n’était invité ni de près, ni de loin dans les préparatifs de la construction d’un
espace public, du mécanisme structurant mis en place ?
De cette séquence b positionnée ici, à savoir,
Amlon : Nous voilà partir pour 120 /mn et je ne serai \pas seul’ à
vous accompagner : dans ce débat/ J’aurai à mes\ côtés mon
confrère Benja:BenjaminAgon qui sera avec moi /pour modérer ce
débat/ et faire↑ en sorte qu’il soit le plus équitabl’ possible. Monsie’
BénjaminAgon Bonsoir
Bourdieu que,
Plus le marché est officiel, c’est-à-dire pratiquement conforme aux normes
de la langue légitime, plus il est dominé par les dominants, c’est-à-dire par
les détenteurs de la compétence légitime, autorisés à parler avec autorité ».
Pierre Bourdieu (1982, p.64)
10la force venant à la fois du statut légitime que d’actes langagiers légitimant pour dire qui ‘’on est’’ (ayant
droit) et pour le montrer et l’exhiber. Le duel prend alors plusieurs visages et ne se joue plus simplement
entre ‘’débatteurs’’ ; il implique également les acteurs des médias sur l’axe de communication parce que
tenus de faire respecter l’ordre (mécanisme structurant)- symbolisme de tout leur pouvoir. L’espace
communicationnel permet la force ; cependant, il privilégie la négociation-et, les uns et les autres ne
viennent là (en négociation) qu’avec ce qu’ils possèdent en interaction verbales : leurs faces- face négative
(territoire) et face positive (narcissisme). C’est donc un combat pour montrer « qu’en plus de la légitimité
qu’on a la ‘’charisme’’ » (Charaudeau, 2012).
Comme cela se laisse lire, les deux débatteurs, par la locution interjective « oui !
mais »ou « oui ! oui ! », s’il est vrai qu’ils disent au pouvoir modérateur ‘’nous
sommes en accord avec toi’’, ils expriment pourtant l’état émotionnel dans
lequel ils se trouvent sur ce plateau, à savoir, ‘’la confiance en soi comme
pouvoir’’.Ainsi, ce mot « oui » n’est pas « vide de sens » dans ce cadre-ci et il est
difficile de le voir comme « servant de soupape de sécurité intonative11 »,
comme l’a fait remarquer Volochinov (1929). Il faut les voir comme ces
‘’marqueurs d’accord’’ obligeant également l’autre partie à adopter une position
donnée, la position tolérable et non choquante ou désobligeante. La compétence
linguistique dominante peut-il ne pas avoir, comme l’évoque Pierre Bourdieu,
Alexy (1978) qui veut que l’on exclut dans l’espace de communication, toute
contrainte pouvantinfluencer l’intercompréhension ; car,« chacun doit pouvoir
problématiser toute affirmation quelle qu’elle soit ; chacun doit pouvoir faire
admettre dans la discussion toute affirmation quelle qu’elle soit ; chacun doit
pouvoir exprimer ses points de vue, ses désirs, et ses besoins » (Robert Alexy,
1978 : 40-41). Autrement dit, il revient au pouvoir médias de veiller à ce que
rien ne vienne de l’intérieur ni de l’extérieur mettre à mal le processus de
construction de l’espace argumentatif quelle que soit sa force, quelle que soit la
puissance. Cela y va de l’intérêt de tous ; car, le coût qu’exigent ces
interférences dépasse parfois toutes les évaluations ou pronostics faits avant
l’ouverture de l’espace public. Or, tout est question de prix sur le marché de
l’argumentation, de coût et de bénéfice pour tout interactant dans un espace
discursif. En effet, de façon caricaturale, le jeu se révèle êtreavant tout, celui du
‘’questionneur’’ et des ‘’questionnés’’ ; tout schéma contraire retire de ‘’la
compétence légitime’’. Néanmoins, une interrogation : les ‘’questionneurs’’
sont-ils réellement ‘’ceux’’ qu’on voit sur le plateau puisque les chapeaux sont
déjà déterminés (10 au total pour 120 minutes de débat) ? Ceci permet de faire
une brève incursion dans le monde des actes questionnant avant de poursuivre
pour voir comment les animateurs ont construit le mécanisme structurant et
sont arrivés à l’imposer sur la plateforme communicationnelle.
Ainsi, en tant que ‘’pouvoir questionneur12’’, il faut retenir que les animateurs
ont fait usage de plusieurs formes d’actes :
- les questions avecpourquoi … ? qu’est-ce que … ?, que … ?, comment
… ?; ce sont là des marqueurs qui orientent bien le contenu de la
réponse du questionné. Les candidats ont-ils pu rester dans le cadre
tracé par les questionneurs ? La réponse est peu évidente. Ce qui
justifie donc ces rappels, ces insistances des animateurs.
Exemples :
1- Amlon : et nouzauront l’occasion
Talon : alors on nous dira
Amlon :d’aller encore plus en profondeur sur ce sujet puisqu’ (inaudible)
12 Et c’est réellement un pouvoir, car, en politesse linguistique, on sait bien que celui qui pose de question
court le risque de voir l’autre lui mal répondre, ne pas lui répondre ou encore lui renvoyer sa propre
question. Ainsi, toutes ses faces (positive et négative) sont menacées ; surtout quand on sait que la réponse
peut lui imposer en retour l’obligation de poser d’autres actes langagiers. (voir C. Kerbrat-Orecchioni,
1991). Ceci nous conforte dans notre position et montre combien sur un plateau de télévision, il est difficile
de rencontrer une scène où un invité rejette la co-construction qu’imposent les genres journalistiques
(interview, entrevue, débat). Néanmoins, il faut le souligner, la ‘’démonstration de compétence légitime’’
se met parfois en scène ailleurs afin de contrer d’autres actes ou comportements langagiers, justifiant cette
légitimité de porter une ‘’telle parole interrogatoire ou interpellative’’ à un moment donné.
qu’il faut anticiper dans un tel espace argumentatif ? Car, ceci se passe dans les
10 premières minutes du débat.
2- « Agon : jusque-là /vous n’avez pazencore tous deux hein vous n’avez pas encore
répondu à la
question
Talon : si
Agon : comment comptez-vous réellement assurer↑ça je l’ai dit dès le départ
Talon : j’en viens »
3- « mais nous n’avons pas répondu à la question posée par Benjamin Agon sur la question du
partenariat »
L’exemple 2 montre bien que les débatteurs déroulent parfois leur plan sans
tenir compte de la présence du ‘’pouvoir-modérateur’’ sur le plateau ; même s’il
est reconnu que tout sujet occupant la position de ‘’questionneur’’s’expose à un
risque de menace de faces lors de la réalisation de l’acte. Le risque perçu justifie
donc cet acte langagier performatif que pose le modérateur Amlon George :
« mais nous n’avons pas répondu à la question posée par Benjamin Agon sur la
question du partenariat ». On voit là une négation de ce qui est dit
précédemment par le candidat Patrice Talon : « si » et « j’en viens ». Quand bien
même le déictique utilisé est le « nous » dans ce contexte n’est nullement
inclusif puisque dans ce cadre, ‘’je’’ Amlon n’occupe nullement la position de
‘’questionné’’. On peut déduire facilement que c’est le jeu de négociation de
position, de mise en place d’une stratégie ‘’soft’’ pour la valorisation du
‘’pouvoir représenté’’dans l’espace. Alors, face à des ‘’pouvoirs contradicteurs’’
qui se reconnaissent comme tels et qui luttent pour l’occupation afin de sortir
‘’gagnant’’ de l’espace argumentatif ouvert, la ‘’soft stratégie13’’ portera-t-elle son
fruit ?
Les autres procédés utilisés pour jouer le rôle du ‘’pouvoir questionneur’’ sont
également :
- Les appellations par le nom avec les intonations : monsie’ Lionel
Zinsou/, monsie’ Patrice Talon/ monsie’ Zinsou/, monsie’ Talon ; sans faire
abstraction des autres énoncés qui portent en eux la typographie de
l’interrogation14 ;
- assertion orientée:’’vous avez envie de réagir, ‘’vous avez sans doute envie
de :: ben’’, ‘’vous avez encore quelques minutes de retard : vous pouvez vous
rattraper en réagissant’’, ‘’Alors le partenariat public privé’’, ‘’toujours à
propos de…’’, ‘’… si vous permettez messieurs nous allons quitter ce terrain
qui me semble bien épineux pour aller vers celui de l’emploi’’, ‘’éducation,
formation, emploi’’
Exemple 1 :
Amlon : nous allons commencer si vous le voulez bien monsieur Lionel Zinsou avec monsieur
Patrice Talon qui a du retard
Talon : vous savez monsieur Zinsou dit beaucoup de contre-vérité ↑ ça me gêne …. ……… il a
dit une énormité je l’ai relevé et puis après il a parlé des appels d’offre qui ont été lancé
j’aimerais qu’il me dise quel appel d’offre a été lancé :::: Alors le partenariat public privé
Amlon : si vous permettez monsieur Lionel Zinsou peut répondre tout de suite à cette
interpellation16
Zinsou : alors au fond on a des espaces d’accord ………. je vous remercie …….. vous avez
fondamentalement raison parce que nous avons un programme
16 cet énoncé aussi performatif qu’il soit devrait être voué à l’échec comme l’a expliqué Austin s’il n’avait
pas été réalisé par un locuteur possédant, ou reconnu comme ‘’le pouvoir’’ devant le prononcer ; Bourdieu
(1982 :113)fera reconnaître que « le langage d’autorité ne gouverne jamais qu’avec la collaboration de ceux
qu’il gouverne, c'est-à-dire grâce à l’assistance des mécanismes sociaux capables de produire cette
complicité, fondée sur la méconnaissance, qui est au principe de toute autorité ». On est en droit de se
demander où sont ‘’les sorciers de la communication’’ de Lionel Zinsou ? Ceci fait partie des astuces à
mettre en jeu quand le respect du ‘’principe de la complicité’’ exige beaucoup de coût ! Car, le débatteur
devrait simplement amener ‘’le pouvoir-médias’’ en faillite à se reconnaître en tant que tel et à lui
permettre à lui de rebondir et de s’installer. Ce faisant, il n’aurait pas céder son droit de conclure le débat
que les deux autres ‘’pouvoirs’’ lui ont facilement arraché. S’ils transforment Patrice Talon en
‘’modérateur’’, c’est leur droit ; mais lui, il ne peut payer le coût pour eux ; conséquence, le candidat
Zinsou, tout en voulant s’exécuter, va répondre pas ‘’dans son temps’’ mais dans leurs ‘’temps à eux’’.
Doit-on rappeler ici que, c’est au moins cinq (5) minutes de temps d’antenne qui ont été soustraits
volontairement de celui de Lionel Zinsou !
17C’est là un des aspects qui détruit toutes les formes de ritualisation auxquelles est soumis le débat entre-
les-deux-tours et qui le particularise par rapport au débat simple-fut-il politique. Les formes d’expressivité
en font « une forme particulière, remarquable par rapport à son caractère exceptionnel et son fort degré de
ritualisation », comme l’a si bien démontré Kerbrat-Orecchioni (2016) par rapport aux diverses
fonctionnalités de l’image de soi.
Ainsi, il est aisé de s’imaginer combien doivent se morfondre dans leur salon les
partisans de Zinsou qui ne comprennent plus pourquoi il ne se détache pas du
régime en place et veut répondre de tout alors qu’il ne partage que les réalités
de cette gestion depuis peu ; pendant que ceux soutenant Talon doivent jubiler
puisque leur ‘’candidat’’ arrive même à sortir de son couloir pour s’installer
dans celui des journalistes – animateurs qui ne s’en offusquent guère mais
semblent apprécier, tout en lui cédant en plus de ‘’son pouvoir institué’’ leur
‘’pouvoir institutionnel’’. Alors, quelle chance pour l’autre ‘’pouvoir
contradicteur’’ de se voir accepté et protégé dans le jeu, malgré les actes de
dissonance ? « On perd toujours cher ‘’la singularisation de soi’’ dans la mise en
scène » informe Villeneuve (2010), dès qu’on s’isole du principe de
‘’performance collective’’. Le morceau suivant pose davantage le problème.
«Talon : dans le domaine du partenariat public privé il est important cela provient …….si vous
étiez candidat en France
Amlon : alors
Talon : tant que c’est pourquoi je répète monsieZinsou que vous êtes atteint du syndrome
de l’aspirant gouverneur d’une contrée de sauvage
Amlon : Alors justement monsieur Talon désolé de vous interrompre sur la question mais vous
avez touché là à un sujet que nous devrons forcément évoquer qui est celui des réformes
institutionnelles : développez/
Zinsou : ah pardon monsieur j’ai été interpellé et cette interpellation est fausse
Amlon : pardon monsie Lionel Zinsou vous aurez le loisir de répondre tout à l’heure mais je
souhaiterais que sur cette question précise euh euh Patrice Talon développe et qu’ensuite nous
puissions voir ce qui est faisable et que vous promettez vous aussi dans ce secteur là
Agon : mais nous n’allons pas occulter tout de même la question de l’emploi qui avait été
évoquée tout à l’heure
Talon : Oui ok
Amlon : sans aucun doute »
Comme le montre cette séquence, quand ‘’le candidat est interpellé’’, ‘’le pouvoir
modérateur’’ exige de lui de s’expliquer ; mais quand ‘’il est attaquéad
hominem’’, le seul ‘’pouvoir’’ habileté à accorder la parole la lui retire et lui
demande de laisser le débat se dérouler « pardon monsie Lionel Zinsou vous
aurez le loisir de répondre tout à l’heure :: ». Jusqu’à quand, jusqu’où, un
pouvoir peut accepter de sacrifier ses prérogatives ? C’est certainement parce
que percevant ces risques que Robert Alexy (1978)indiquequ’« aucun locuteur ne
doit être empêché par une pression autoritaire, qu’elle s’exerce à l’intérieur ou à
l’extérieur de la discussion, de mettre à profits ses droits […] ». Poser ou subir l’acte
revient à sortir du cadre d’une discussion pratique dont l’objectif réel est ‘’la
recherche en commun de la vérité18’’comme c’est surtout le cas pour un débat
entre-les-deux-tours d’une élection présidentielle. Les rapports de force sont
inversés forcément pour l’installation d’un système loin de la négociation pour
l’institutionnalisation des pouvoirs déjà ‘’institués’’ juste par rapport à la
justification de la présence dans l’espace.
Cette séquence montre bien que la résistance n’a pas porté ses fruits, le
débatteurZinsou a essayé mais il n’a pas pu dire au ‘’pouvoir média’’, « arrête,
ne continue pas, ça ne passe pas » ; même si cela doit dépiter ceux qui sont
‘’contre’’ lui. Le ‘’pouvoir médias’’ a à défendre son image, sa position ; il rejette
toute négociation et tend à laisser voir en Lionel Zinsou,l’acteur détruisant ‘’le
mécanisme structurant’’. « je vous en prie », puis « Lionel Zinsou » pour finir par
« je vous en prie Lionel Zinsou : vous aurez tout le loisir oui … » répétait sur le
plateau George Amlon. L’analyse de l’énoncé fait découvrir l’usage du verbe
18 Si toutes les vérités préétablies s’effondrent aujourd’hui même en droit (Alexy, Robert (2005) ;
Fridman,Bénoît (2000)), il y a lieu de comprendre que, sur un espace d’échange et d’argumentation, il faut
se battre quels que soient les objectifs, pour la rencontre des consentementssur les faits de développement ;
Perelman et Olbrechts-Tyteca (2008) feront comprendre dans ce sens que, « sur certaines ‘’prémisses de
l’accord’’, à savoir, les faits, les habillages et le logis, les voix ne s’accordent pas forcément dans la convergence mais
dans l’inhérence et l’évidence ».
métalinguistique « prier 19» avec appellation par le nom « Lionel Zinsou » sans
oublier le « je » ; quelle construction pour dire combien on déifie un simple
individu qui, transformé en ‘’pouvoir’’ sur le plateau est devenu ingérable,
s’impose même à soi ‘’pouvoir’’ ; alors, on ‘’le supplie’’, on ‘’l’implore’’ de se
taire pour laisser circuler l’information, pour ne pas confisquer la parole en
rompant de ce fait l’harmonie existante sur le plateau. Et pourtant, dès
l’entame, comme nous l’avons démontré, déjà dans les 10 premières minutes, le
mécanisme structurant est mis à mal, il est confronté à l’entêtement des
contradicteurs sur le plateau, à la motivation de leurs actions sur l’espace. Nous
sommes là en présence d’une activité de communication que Jürgen Habermas
(1986 : 148) décrit comme « le cas où des acteurs s’orientent exclusivement vers
le succès, autrement dit lorsqu’ils se concentrent exclusivement sur les
conséquences de leurs actions, […] ». De toutes les manières, le ‘’pouvoir
média’’ s’est maintenu comme ‘’pouvoir’’, il a gagné le duel20 ; la position n’a
pas été négociée, on l’occupe et la garde. Arrive-t-on à garder, maintenir la
position occupée pour tous les duels ?
Exemple :
19Cette unité linguistique laisse lire le code qu’utilise le locuteur Amlon dans son discours ; c’est un
enrichissement qui permet au mot comme le souligne Gheorghe Has (1975) « d’acquérir un sens nouveau
sans éliminer le sens précédent ». En interaction verbale, le choix n’est jamais anodin, le mot dit pour faire et
faire-faire (référence à la classification des verbes en actes de langage (Austin, 1970. Roulet, 1978). C’est
aussi implicitement une injonction adoucie parmi la panoplie dont dispose les animateurs sur le plateau.
20 A un certain moment, sur le plateau du débat entre-les-deux-tours de l’élection présidentielle, les
animateurs, comme l’imposent leur statut, doivent garder la position haute, réussir à tenir sa position, à ne
pas capituler est aussi une prouesse dans ce cadre. (Kerbrat-Orecchioni, 2013).
On constate donc que Talon ne voit plus les représentants du média comme
‘’pouvoir’’ « que l’ORTB demain », il indique et délimite ; puis percevant
quelques signaux de résistance de la part des représentants des médias qui, se
sont souvenus qu’ils jouent également leur image dans ce duel21, les menace « si
vous me laissez parler » ; alors, le débatteur les conduit à déposer les armes sans
une forme de défense « on va vous donner acte de cet élément- là ». C’est là le
symbolisme d’un débatteur, obligeant l’interlocuteur à se revêtir d’une toge qui
n’est pas prévue pour lui : « donner acte » : un acte exercitif, réservé à un corps
social donné. Comme on le voit tout au long de ce face à face, les rapports de
force s’actualisent pour la négociation de l’institutionnalisation des pouvoirs.
Conclusion
Si les journalistes-animateurs constituent les représentants du ‘’pouvoir
institué-médias’’parce que contraints de déployer dans l’espace argumentatif le
mécanisme structurant malgré la volonté manifeste des forces internes ou
externes à l’espace de le modifier pour satisfaire la motivation de leur action, il
faut reconnaître que ‘’toute raté’’ par complaisance ou connivence peut
définitivement faire perdre la position de ‘’pouvoir institué’’. Le débat d’entre-
deux-tour d’une élection présidentielle est comme le souligne Jürgen Habermas
(1986), un moment de ‘’recherche en commun de la vérité’’ ; alors, le seul canal de
facilitation demeure le ‘’pouvoir médias’’ face aux ‘’pouvoirs contradicteurs’’ qui
se résume en ‘’proposant’’ et ‘’opposant’’ pour la conquête du pouvoir, de la
gestion du pays et surtout pour le bien-être des citoyens. Ainsi, la fin peut
devenir ce qui doit justifier les moyens au détriment de l’argumentation comme
cela a été démontré dans ce travail. Un ‘’pouvoir contradicteur’’ peut facilement
se donner pour ambition de dérégler le ‘’mécanisme structurant’’ afin de sortir
‘’gagnant’’ de la guerre sur le marché linguistique. Alors, de simple négociation
de positionnement et d’affirmation de soi comme ‘’pouvoir institué’’, un
candidat débatteur peut sortir de son couloir, occuper l’espace de l’autre,
pendant que l’autre candidat débatteur s’efforce de lui rappeler qu’il viole
constamment ‘’les dispositions institutionnelles’’ (Habermas, 1986). Or, le seul
21Selon le nombre de débatteurs sur un plateau, selon que peuvent se développer divers duels ; le tout
dépend du but de chaque acteur sur le site et du jeu mis en place : coalition des animateurs contre les
débatteurs ou des débatteurs contre les animateurs (Kerbrat-Orecchioni, 2013) ; ou dans le sens contraire
quelque fois, comme s’est noté dans ce débat : coalition d’un débatteur et d’animateurs contre un
débatteur.
devant demeurer ‘’pouvoir institué’’22 reste les médias ; dès qu’il cède face à la
pression, aux charmes, ou encore à la volonté manifeste d’un des ‘’pouvoirs
contradicteurs’’ de ‘’violenter’’, ‘’d’agresser’’, de ‘’faire chanter’’, il(pouvoir
médias) laisse construire en sa présence un espace public d’argumentation sans
les pouvoirs, sans les rapports de force.
Références bibliographiques
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mars 2017. URL : http://edc.revues.org/2856 ; DOI :10.4000/edc.2856
22 Parce qu’institutionnelle par essence et institué selon le site en construction en ayant conscience que
l’animation est à eux acteurs des médias et non aux débatteurs, très tournées vers leurs personnes, leurs
images sur ce plateau.
WEBOGRAPHIE
www. cairn.info/https://www.cairn.info/revue-mouvements-2010-4-page-
165.htm
https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1989_num_20_1_1483
http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00493561/fr/
Dame DIOP
Université Assane Seck de Ziguinchor - Sénégal
dame.diop@univ-zig.sn
Abstract: Dream, imagination and perfections are the key words that
characterized Thomas More's traditional utopia through the description of
perfect cities and nations. In fact, the island of utopia is the reign of nowhere,
which helps authors of utopian novels to escape the reality of an unbearable
Europe, immersed in the Iron Age. These were false utopias underpinned by
the quest for a better world, even an earthly paradise. The Golden Age,
however, was embodied in the eighteenth century in Spain by the
repugnance for the utopian novel, a feeling reinforced by censorship through
the strict control of novels published on the Spanish territory, even the
censorship and prohibition of Enlightenment philosophers books. But
despite this literary restriction, emblematic figures like Pedro Montengón
(1745-1824) managed to get published in Spain, trying more or less to comply
with the will of the censors, thanks to self-censorship or transposition in time
and in space. Also, the analysis of Paul Guinard's works on the 18th century
in Spain serves us as a support to deepen the study of the aspects and
manifestations of the utopian novels of Spain, whose main figure is
undoubtedly Pedro Montengón. Even if his whole writing can be considered
as utopian in view of the anchoring of the story in space and time, the
purpose of this article is to choose two of his novels (Eusebio, 1786, & Mirtilo,
1795) to demonstrate his utopian inscription in a possible, dynamic and
experimental way.
Introduction
Selon Marti (1994, p. 501) : « L’utopie donc, malgré son caractère irréel, est
en étroit rapport avec la réalité de son époque. Elle se définit toujours, à des
degrés divers, comme un contre-modèle de la société de son temps. ». Étant
normalement un règne de nulle part qui relève de l’imagination et du rêve, la
pensée utopique (Zavala, 1984, p. 1) peut être définie comme un ensemble de
grandes aspirations, d’illusions et d’idéaux dans une société en profonde
mutation. Il s’agit d’une pensée aux allures irréelles qui se manifeste à travers des
visions du monde structurées et cohérentes. Selon Iris Zavala, l’auteur des
utopies de « l’Ancien Régime » est la plupart du temps un savant coupé du
monde et enfermé dans son bureau ou dans sa cellule, à la recherche de la « pierre
philosophale » pour créer un monde meilleur. La cible de ses écrits était les rois
et les ministres, ou les classes privilégiées qu’il souhaite convaincre et faire
adopter des causes nobles. Pour une telle définition de l’utopie, Iris Zavala s’est
basée sur l’abondance des écrits utopiques à partir du créateur de ce genre en
1516, Thomas More, sans oublier le best-seller de Francis Bacon la Nouvelle
Atlantide (1526), Richard III de Shakespeare, y compris dans le Nouveau Monde
où le premier évêque de Michoacán (Don Vasco de Quiroga) tentait
d’expérimenter « l’utopie agraire » de More qu’il considérait comme la « parfaite
communauté chrétienne ».
Cependant l’île fictive d’Utopie représentait une république idéale où
régnait la justice. La vie était organisée et tout le monde était heureux. Cet
horizon de perfection (Domínguez, 2016) se retrouve au-delà du monde réel et
s’associe, de manière naturelle, à l’idée d’un paradis terrestre. L’Utopie était une
île imaginaire qui avait réussi à avoir une organisation juste et durable, grâce à
l’esprit humain toujours préoccupé par l’existence d’un monde meilleur. L’Utopie
de Thomas More a servi de contrepoint à l’atmosphère d’avarice, de corruption
et d’incompétence qui régnait dans son propre pays.
Dans son article intitulé Realismo y utopía en la literatura española (Baquero,
2005), Mariano Baquero Goyanes attire notre attention sur la répugnance des
Espagnols par rapport aux utopies ayant trait à la théorie politique, la spéculation
philosophique et scientifique (Baquero, 2005, p. 11) en s’appuyant sur les
exemples de la Ville du Soleil de Campanella en Italie au XVIe siècle, l’Histoire
comique des États de la Lune et du Soleil de Cyrano de Bergerac en France au XVIIe,
les Voyages de Gulliver de l’Irlandais Swift au XVIIIe. Toutefois les utopies existent
bel et bien en Espagne sur le plan purement littéraire, c’est-à-dire à travers la
« satire » et la « critique littéraire » : ce sont des œuvres caractérisées par le rêve
et l’utopie. Les exemples connus (Baquero, 2005, p. 11-12) sont les
incontournables Voyages du Parnasse, à travers la version de Cervantès, ou
encore la República Literaria de Saavedra Fajardo au XVIIe siècle, ou alors au XVIIIe
C’est ce qui pousse Paul Guinard à tirer la conclusion selon laquelle les utopies
ne pouvaient pas faire florès en Espagne en raison de leur essence critique
intolérable, provoquant même une « vigoureuse autocensure » (Guinard, 1977,
p. 172).
Au XVIIIe siècle, les ouvrages utopiques sont « très nombreux » (Guinard,
1977, p. 171) en Europe, surtout en France, à travers la description d’une société
parfaite, par opposition à la société contemporaine. Il s’agit en effet de
« critiques » ou de « satires » avec des réformes en vue de corriger cette société.
Toutefois, les manifestations de ce genre de romans sont loin d’être connues en
Espagne pour Jacques Guinard qui s’est employé à en faire le point dans son
article Les utopies en Espagne (Guinard, 1977, p. 171-188). Ainsi affirme-t-il que
l’utopie n’apparaît que dans quelques chapitres en ce qui concerne Juan Luis et
Antenor, contrairement à l’Eudamonopeia qui décrit des sociétés antithétiques à
une époque contemporaine de l’auteur même s’il y a des descriptions pouvant
être considérées comme anachroniques et intemporelles (Guinard, 1977, p. 173).
Conformément à la tradition pastorale, le récit de Mirtilo débouche sur une
situation utopique qui est le contre-modèle de la société fuie par le héros. Sinapia
est cependant la « description cohérente » d’une société des « terres australes »
en contraste avec la société espagnole du XVIIIe siècle : l’utopie n’y apparaît que
dans l’imagination. Paul Guinard pense que cela est encore plus vrai que la
description du pays des Ayparchontes dans El Censor (Guinard, 1977, p. 173).
Postérieur de cinq ans à Juan Luis (1781), Eusebio (1786) de Pedro Montengón pose
le problème de l’éducation d’un jeune aristocrate (Guinard, 1977, p. 177) espagnol
recueilli dans une famille de quakers en Pennsylvanie, juste après un naufrage
où ses parents ont péri. Ce roman est un chef-d’œuvre, qui a permis de faire
connaître Pedro Montengón que Paul Guinard considère comme « le seul vrai
romancier » (Guinard, 1977, p. 180) de l’Espagne au XVIIIe siècle. De plus, il y a
eu un décalage entre son discours et celui des écrivains restés dans la Péninsule
ibérique (Guinard, 1977, p. 180-181), à cause de son exil en Italie où s’est déroulée
sa vie littéraire. Ses maîtres jésuites ont été expulsés vers l’Italie par Charles III
en 1767. Le jeune Valencien d’origine modeste quitte l’Espagne pour les retrouver
lors d’un exil qu’il a mal vécu. C’est en Italie qu’il renonce à la vie ecclésiastique
pour se mettre en contact avec des idées nouvelles qui circulent en Europe, avant
de se marier. Parmi ses cinq romans publiés, Paul Guinard s’est particulièrement
intéressé à Antenor et à Mirtilo afin de mettre Pedro Montengón au sommet de la
pyramide dans sa tentative de classer les écrivains espagnols dans les utopies du
XVIIIe siècle.
La réflexion de Paul Guinard a eu le mérite de passer au peigne fin les
procédés par lesquels les romans du XVIIIe siècle espagnol s’insèrent dans
l’utopie à travers le récit, l’espace ou le temps, en partant de la plus ancienne des
utopies dont la date est connue, (Guinard, 1977, p. 173), (Las aventuras de Juan
Luis, de Diego Ventura y Rejón, parues en 1781). L’année 1781 symbolise
également la fondation de l’hebdomadaire satirique et critique, El Censor, qui
était le journal le plus important de l’Espagne du XVIIIe siècle (Guinard, 1977, p.
174), à l’image du Spectator anglais.
1.2. Juan Luis (1781) : l’impact de l’Île Fortunaria sur Nogalia devenu une
« nation civilisée »
Dans Juan Luis, nous avons l’Île Fortunaria où l’on fait fortune, c’est-à-dire
une ancienne colonie de Nogalia qui est la métropole (Guinard, 1977, p. 175). Au
lieu d’améliorer le sort de ses habitants, les Nogaliens ne pensaient qu’à
l’exploitation des richesses en rudoyant de plus en plus ces malheureux
opprimés qui se sont finalement libérés, grâce à l’aide d’une puissance voisine.
L’île, désormais libre sans les oppresseurs Nogaliens chassés à la suite d’une
révolte, devient une république oligarchique gouvernée par un prince élu
(Guinard, 1977, p. 175-176). Juan Luis, protagoniste principal y voit maintenant
une société idéale qui ne cesse de l’éblouir, au regard de son organisation et de
son mode de fonctionnement. C’est une société austère (Guinard, 1977, p. 175-
176), sans peine de mort, qui bannit « toutes les formes de luxes » (alimentaire,
vestimentaire ou autre), en plus de l’ordre qui y règne. Les autorités ont tout fait
pour éradiquer l’oisiveté, en interdisant la mendicité, l’ivrognerie et le
vagabondage. De retour à Nogalia, Fortunaria lui servira de modèle pour réaliser
les progrès qui font défaut à sa patrie pour devenir une « nation civilisée ».
Fortunaria est une île dont la description nous ramène aux « traits
typiques des grandes utopies traditionnelles », mis à part la « relative liberté de
circulation », l’omission des « éléments essentiels » en rapport avec la description
des structures sociales. Aussi se demande Paul Guinard s’il y existe une noblesse
héréditaire, des esclaves, une organisation économique. Bref, des thèmes sont
donc passés sous silence (la propriété des biens, la monnaie, le commerce, l’industrie),
(Guinard, 1977, p. 176), au profit d’autres familiers à la « minorité éclairée »
(Guinard, 1977, p. 176).
créée par Philarète et régie par l’austérité, l’égalité. De plus, la vie y est
communautaire et fraternelle, sans oublier l’absence de la société privée.
Estimant sa mission accomplie juste après l’élection d’un roi, Philarète
prodigue des conseils au peuple à travers un discours et quitte l’îlot afin de
poursuivre son voyage vers « le pays du bonheur parfait » (Guinard, 1977, p. 185-
186). Un pays sans nom et sans configuration. Dans la nouvelle société tout
comme dans le pays « du parfait bonheur », Paul Guinard déclare que nous
avons affaire à des utopies au sens strict du mot et non à des projets réformistes
(Guinard, 1977, p. 185-186). C’est en ce sens qu’il assimile ces utopies à celles de
More et Campanella, si l’on tient compte du rejet d’une « société caricaturée »
dans « l’utopie négative » des Hédoniens. Par conséquent, Traggia n’y émet pas
l’espoir de sa transformation. Enfin, conformément à la convention, le roman
prend fin au moment où Philarète raconte son enfance à ses hôtes.
des Sinapiens est égalitaire, si ce n’est les esclaves achetés, les prisonniers de
guerre ou prisonniers de droit commun (Guinard, 1977, p. 188). Par conséquent,
les enfants de ces victimes de l’inégalité sont libres. Enfin, cette population
pourvue de tout le nécessaire se voit interdire le luxe, que ce soit dans la
nourriture, le costume et l’ameublement.
Synthèse
Pionnier de l’étude des utopies de l’Espagne du XVIIIe siècle, Paul
Guinard avait eu raison de ne pas clore le champ de la recherche au cours de la
présentation de ses travaux qu’il considérait comme les premiers résultats d’une
recherche incipiente. Les multiples facettes de l’utopie à laquelle il s’est intéressé
concernent essentiellement les romans publiés entre 1781 et 1796. Sa tentative
d’expliciter l’utopie dans ces romans est incontournable pour mieux explorer
d’autres pistes de recherche dans la même veine mais sous d’autres angles
d’analyse, notamment l’espace ou le temps en rapport avec le récit. Rappelons
que Paul Guinard s’est appuyé sur le récit des romans afin d’examiner l’idéologie
des différents auteurs en corrélation avec l’Utopie de Thomas More, La cité du
soleil de Campanella, La nouvelle Atlantide de Bacon, ou avec de nombreux
ouvrages publiés en France au XVIIIe siècle (Guinard, 1977, p. 171). Il s’agit d’une
démarche intéressante qui consiste à faire comprendre l’utopie dans les romans
espagnols du XVIIIe siècle en partant du récit romanesque ou de la réalité
contemporaine critiquée, fuie, avant d’être vite abandonnée au profit du récit
utopique ou de la recherche de la société idéale, grâce à l’insertion du personnage
principal dans un environnement artificiel. Pour tout dire, il a dans un premier
temps abordé les « fruits d’un humanisme imprégné de Platon », très influencés
par les grandes découvertes du XVIe siècle, avant de circonscrire le champ de sa
recherche sur le XVIIIe siècle européen et espagnol (Guinard, 1977, p. 171) où l’on
assiste à la description d’une société parfaite sous-tendue par des critiques d’une
société contemporaine et par l’évocation des réformes.
Le voyage est le symbole fonctionnel dans ce genre de romans, dans la
mesure où les personnages principaux effectuent des déplacements pour fuir le
réel (la société contemporaine) à travers par exemple des évasions dans le temps
et l’espace comme dans les romans de Pedro Montengón (Blanco, 2001). Mais la
différence de Pedro Montengón avec tous ces écrivains de romans utopiques,
c’est qu’il s’est distingué dans l’utopie possible (Fabbri, 1985), dynamique.
en plus de ses travaux champêtres afin de diversifier ses activités. Aussi certains
critiques littéraires appellent-ils ce best-seller de Montengón l’Émile espagnol, en
se fondant sur le retour vers la nature pure vierge, l’éducation du jeune Eusebio
dans la vertu naturelle, y compris celle de son fils Henriquito. La seule différence
entre ces deux romans est que le jeune Eusebio est dans une société ouverte au
monde contrairement au jeune Émile.
La campagne est un havre de paix et source de richesses (fortune
d’Henrique Myden, homme d’affaires à Philadelphie) où prédominent l’espoir,
la tranquillité et la fertilité, contrairement à la ville où se nichent les vices de
l’orgueil et de l’ambition. Cependant, la ville symbolise dans Eusebio le danger.
C’est pourquoi elle joue un rôle de contrepoint, mettant en relief les bienfaits de
la campagne. Dès leur sortie de la prison de Newgate à Londres, Eusebio et son
maître Hardyl se rassérènent à la campagne en compagnie du lord et de sa femme
Nancy, la jeune fille bergère. L’histoire d’Adélaïde à Paris est le point d’orgue
d’une ville pervertie : cette jeune fille de la campagne, originaire de Linnois (lieu
de résidence de ses parents), y est victime de maladies vénériennes avant d’être
sauvée in extremis par Hardyl qui l’a fait sortir de l’hôpital de Bicêtre (un asile
ignominieux) pour la ramener à ses parents.
Le Locus amoenus fait son apparition dans le roman lorsque par exemple
Eusebio et sa femme Leocadia quittent la ville de S… en Espagne après y avoir
vécu l’enfer de la prison. En partance pour l’Amérique, ils découvrent une plage
paradisiaque, un lieu dont la végétation est luxuriante et où coule l’eau et règne
une tranquillité totale, avec un sol fertile et amène. Tous ces exemples que nous
venons de voir par rapport à l’espace utopique de la campagne justifie le fait que
le voyage n’est pas uniquement le seul moyen pour Montengón d’aborder
l’utopie qui apparaît dans Eusebio sous plusieurs facettes à la fois philosophiques,
(Serra, 1981), (la raison), anthropologiques (Quintana, 1996), imaginaires et
romantiques (http://www.auladeletras.net/), intérieures pendant le périple et
expérimentales avec l’expérience vitale d’Hardyl et d’Eumeno à travers la
douleur et la souffrance, sans oublier son projet de société basé sur l’éducation
de Rousseau et le voyage utile (Lafarga, 1994).
A l’image des meilleurs auteurs du XVIIIe siècle espagnol, il (Lafarga, 1994,
p.10) pense que ce roman de Montengón marque un tournant dans la littérature
de voyage. Selon lui, Eusebio est à l’aune de Las cartas marruecas de Cadalso et de
Las cartas turcas de Meléndez Valdés. A cette époque la littérature de voyage était
limitée en Espagne, contrairement au reste de l’Europe, où dominait la tendance
aux voyages. Il s’agit donc d’un paradoxe. D’autant plus que les autres pays de
l’Europe voulaient découvrir ce qui se passait dans les pays voisins, voire en
dehors de leur continent (l’Amérique). La France, l’Angleterre, l’Italie et
l’Amérique étaient les destinations privilégiées (Lafarga, 1994, p. 5). Ce sont des
voyages qui avaient comme objectif de faire connaître les expériences vécues et
les réalités observées à travers ces différents toponymes référentiels. Ainsi le
périple d’Eusebio et de son maître Hardyl démontre-t-il que la véritable utopie
est intérieure. D’où la différence entre Eusebio et toutes les utopies classiques,
même si Montengón s’en inspire.
L’intérêt de son article (Lafarga, 1994, p. 18) réside dans le fait qu’il nous
permet de comprendre comment Montengón, Cadalso et Meléndez Valdés ont
accéléré le passage du XVIIIe au XIXe siècle en caractérisant le changement de
mentalité et de goût, à l’instar des écrivains de la fin du XVIIIe siècle. Épris de
connaissances, ces voyageurs étaient préoccupés par l’éducation de leurs
compatriotes recroquevillés sur leur terroir et rétifs aux nouvelles idées.
Autrement dit, ce sont des voyageurs dont la préoccupation n’était pas
uniquement la curiosité.
Dans El Mirtilo (1795), la campagne est l’espace utopique tandis que son
modèle utopique nous ramène à un paradis perdu. Le protagoniste Mirtilo fuit
la ville (corte) qu’il avait regagnée dans l’espoir de décrocher un emploi, juste
après ses études en Italie. Sa déception à la ville désordonnée et tumultueuse est
telle que Mirtilo décide de vivre à la campagne où il suit des bergers en
transhumance vers le sud de l’Espagne, l’Andalousie. Il s’agit donc d’un roman
où il n’y a guère d’action (Montengón, 1998, p. 43). Marc Marti fait savoir dans
son article (Marti, 2001, p. 206) qu’à partir du XVIIIe siècle l’espace romanesque
abandonne les références littéraires du topos de « menosprecio de corte y
alabanza de aldea », au profit de l’imitation concrète de la réalité à travers la
description de ses beautés et de ses imperfections. Au niveau de la construction
du récit, il y a une évolution du genre pour les romanciers de cette époque. C’est
ce qui explique l’abondante toponymie et les fonctions de l’espace urbain. En
guise d’exemple, Marc Marti nous donne l’exemple de La Serafina de José Mor de
Fuentes Marti, 2001, p. 204-205).
Faisant partie des premiers romans urbains, l’auteur de La Serafina nous
livre la description d’une ville contemporaine, Saragosse. Les premières lettres
du protagoniste Alfonso expriment son aversion pour la corte, en faveur de la
ville province. Avec Mor de Fuentes le monde rural cesse d’être idéalisé en ce qui
concerne la représentation spatiale, marquant ainsi l’autonomie du genre envers
les poétiques classiques (Marti, 2001, p. 206). Mais dans son roman pastoral, El
Mirtilo, o Los pastores transhumantes, Montengón s’en sert comme point de départ
de la narration (Marti, 2001, p. 199) : le topos devient dans ce roman un noyau
narratif.
Par ailleurs, les deux plans proposés par Paul Guinard pour déterminer la
structure romanesque de Mirtilo sont d’ordre narratif et lyrique (Guinard, 1977,
p. 183), c’est-à-dire deux mondes superposés : un monde respectivement réel à
travers le récit et un autre irréel introduit par la poésie. Aussi Marc Marti parle-
t-il à ce propos de noyau narratif (Marti, 2001, p. 199), issu du topos. Toutefois,
l’analyse de l’espace de Mirtilo peut nous permettre de démêler l’écheveau du
noyau narratif, qui peut s’articuler sur trois espaces, à savoir un espace
romanesque relatif à Madrid (la corte) et deux autres espaces utopiques, ayant
trait à la campagne et à la poésie lyrique, mythique. Dans ce roman pastoral, qui
est un contre-modèle de la société du temps de Montengón, nous avons trois
sortes d’utopies : l’utopie dynamique possible grâce aux toponymes référentiels
(l’Espagne, l’Andalousie, l’Estrémadure), l’utopie imaginaire et mythique avec la
poésie pendant les heures de pause, l’utopie régressive avec la découverte de la
vallée des rêves (la grotte de Melania et Melanira).
Arrivé en Estrémadure (Mirtilo, 1795, p. 264-265), Mirtilo s’étonne du
retard de cet endroit presque désert où le commerce et l’industrie n’y existent
pas, sans oublier l’agriculture abandonnée. C’est l’élevage qui est la principale
activité économique de cette zone. Aussi propose-t-il des réformes : les petits
troupeaux sédentarisés doivent remplacer les grands troupeaux transhumants.
Autrement dit, la propriété des paysans doit remplacer celle des latifundistes.
Conclusion
L’inscription de Montengón dans le roman utopique du XVIIIe siècle
marque la révolution du genre, eu égard aux différentes facettes de l’utopie que
l’écrivain d’Alicante exploite, afin de se singulariser des autres romanciers
utopiques, que ce soit les fausses utopies traditionnelles purement imaginaires et
hermétiques, ou les demi-utopies de l’Espagne à partir de 1781 jusqu’en 1795.
Avec Montengón, l’utopie devient vraie, c’est-à-dire une réalité expérimentale.
En attestent les toponymes utilisés dans ses romans, et notamment dans Eusebio
(1786) et Mirtilo (1795) qui ont fait l’objet d’étude de cet article. Étant soit un
espace romanesque ou un espace utopique, la topographie mimétique facilite
ainsi l’ancrage du récit dans le réel, pour ne pas dire dans la vraie utopie au
travers des voyages dans Eusebio et de la transhumance dans Mirtilo.
Dans ses romans utopiques, les différents protagonistes de Montengón
quittent l’espace romanesque pour se réfugier dans l’espace utopique, à savoir la
campagne dans Eusebio (1786) et son pendant féminin Eudoxia (1793), dans Mirtilo
(1795). Eusebio, Eudoxia et Mirtilo se sont tous régénérés à la campagne. Les
rescapés Eusebio et Gil Altano se retrouvent en Amérique, à la granja d’Henrique
Myden, juste après le naufrage de leur embarcation venue d’Espagne.
Accompagnée de Domitila, la famille d’Eudoxia est déportée de la ville de
Constantinople pour la campagne à cause de la jalousie du roi. Quant à Mirtilo,
il est à la recherche du paradis perdu dont le retour semble dès le début
impossible : il a finalement trouvé une nouvelle humanité à la campagne pure et
vierge, à l’image des primitifs incarnés par la mère et la fille (Melania et
Melanira).
Références bibliographiques
Romans de Pedro Montengón
MONTENGÓN P. 1998. Eusebio, Edición de Fernando García Lara, cátedra,
Letras Hispánicas.
MONTENGÓN P. 1990. Eudoxia, hija de Belisario, Edición de Guillermo Carnero,
Alicante, Instituto de Cultura Juan Gil-Albert.
MONTENGÓN P. 2002. El Rodrigo, Ediciones Cátedra, Madrid.
MONTENGÓN P. 1795. El Mirtilo ó Los pastores trashumantes Madrid, Imprenta
de Sancha.
MONTENGÓN P. 1788. El Antenor, primera parte, con licencia en Madrid: por
Don Antonio de Sancha. http://books.google.fr
MONTENGÓN P. 1788. El Antenor, parte segunda, por Don Pedro Montengón,
con licencia en Madrid: por Don Antonio de Sancha.
http://books.google.fr/
Bibliographie générale
BAQUERO M. G. 2005. Realismo y utopía en la literatura española, Università di
Murcia, art. cité le 30/10/2017 à 8h45 http://www.cervantesvirtual.com
BATTESTI M., Batailles navales (âge de la voile), (repères chronologiques).
http://www.universalis.fr/
DOMINGUEZ E. U. Utopía en tiempos de distopías, art. consulté le 09/11/2016 à
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DURAND G. 1960. Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris, Bordas.
JOUVE V. 1997. La Poétique du Roman, Paris, Sedes. Literatura romántica, pp. 10.
http://www.auladeletras.net/
ZAVALA I. M. 1984. Utopía y astrología en la literatura popular del Setecientos: los
almanaques de Torres De Villarroel, Rijksuniversiteit Utrecht, p. 14.
Introduction
Dans tout discours écrit adéquatement structuré, le titre est l’élément
scriptural avec lequel entre en contact, en premier, l’œil du lecteur. Il sert à la
fois de porte d’entrée, mais aussi de condensé du contenu discursif qu’il
s’agisse d’un livre, d’un chapitre d’ouvrage ou d’un texte quelconque. Dans le
domaine de la presse, le titre occupe une place cruciale en raison de son essence
appellative et de sa grande capacité à nommer les êtres, les choses et les
évènements. Tous les praticiens des médias de manière générale (et écrite de
manière particulière) connaissent le rôle clé de l’art du titrage dans la fortune
ou l’infortune d’un journal. Savoir titrer est un impératif majeur, car étant l’un
des moyens les plus efficaces pour attirer, capter et garder un éventuel lectorat.
Titrer un article, ou la page Une, peut s’apprendre dans une école de
journalisme ou dans une salle de rédaction. Cependant, au-delà de cette
[…] résument pas le contenu de l’information, mais ils ont pour but de piquer la
curiosité. Ils cherchent toujours à surprendre, à faire sourire, à intriquer par des images
audacieuses, des mots chocs, des jeux de mots, des formules détournées….
Ngoc Q. Tran, (2017, p.27)
Et bien sûr, le dessein ultime des titres incitatifs est de vendre le journal.
Car, ne l’oublions jamais, l’activité journalistique est à la fois intellectuelle et
commerciale :
- La reine des rois
(Le Quotidien, 08 mars 2018, N° 4520, P 3)
- GARDE A FOU !
(Le Quotidien, 20 juillet 2014, N° 3441, P1)
- La mosquée bleue ne connait pas le blues
(Le Quotidien, 13 avril 2013, N° 3067, P 8)
Au niveau syntaxique, les titres de presse s’identifient sous trois variétés
phrastiques :
1. Détournements patronymiques :
Les détournements patronymiques sont très usités dans les intitulés du
journal qui nous a servi d’objet d’observation. En effet, dans notre corpus, il y a
beaucoup de titres qui ont été construits autour de noms de famille de
personnalités publiques :
- ABDOULAYE ELIMANE TIENT BIEN SA KANE
(Le Quotidien, 05 janvier 2018, N° 4467, P1)
- LE PRESIDENT SY ATTENDU A TIVAOUANE
(Le Quotidien, 09 décembre 2016, N° 4149, P1)
- TIRS SECK SUR IDY
- Le Touré joué
(Le Quotidien, 02 septembre 2013, N° 3181, P2)
Les trois premiers exemples sont des titres de Une et le dernier, quant à lui,
surplombe un article de page intérieure. Notons que « KANE », « SY »,
« SECK » et « TOURE » sont des patronymes sénégalais bien connus. Et qu’en
l’occurrence, ils renvoient ici à Abdoulaye Élimane Kane (un ancien ministre), à
la famille maraboutique de Tivaouane et enfin à deux anciens premiers
ministres : Idrissa Seck et Aminata Touré. Ces différents titres sont des
détournements qui reposent sur un jeu d’homophonie entre noms de famille et
mots existant dans la langue française.
Dans le premier cas de figure, le journaliste substitue le substantif « canne »
(bâton dont on se sert pour marcher) au patronyme de la personne évoquée par
l’article. Ceci pour signifier que cette dernière a échappé à une exclusion de son
parti, contrairement à d’autres membres de celui-ci. Tel est également le cas
avec « si pour SY » et « secs pour SECK ». En effet, dans le second exemple,
l’auteur du titre insiste sur la forte attente que les dignitaires de Tivaouane (une
ville religieuse) auraient par rapport une visite imminente du président (de la
République). La troisième Une découle du binôme « sec / SECK ». Et les « tirs
SECK » auxquels fait allusion le journaliste ne sont rien d’autres que des
attaques verbales acerbes adressées à un adversaire politique. Et enfin, le
dernier titre est un calembour réussi : « Le tour est joué » pour « Le Touré
joué ». Voici d’autres exemples du même genre qui concernent des célébrités
non sénégalaises :
- VALLS DE MILLIARDS
(Le Quotidien, 24 septembre 2016, N°4088, P1)
- SAMIR dit Amine
(Le Quotidien, 15 novembre 2016, N°’4129, P1)
- DONALD TRUMP 137 SENEGALAIS
(Le Quotidien, 22 février 2017, N°4210, P1)
Pour ces trois titres à la Une, les procédés de fabrication n’ont pas variés.
Les techniques créatives sont similaires à celles déjà évoquées. VALLS est le
nom de famille d’un ex-chef de gouvernement français qui avait effectué une
visite officielle au Sénégal, au cours de laquelle il aurait promis un soutien
financier à l’Etat sénégalais. D’où le rapprochement entre « valse » et
« VALLS ».
Cette Une parut suite aux propos désobligeants que le milliardaire président
avait tenus à l’encontre des pays africains qu’il avait traités de « pays de
merde ». Et le journal intelligemment répond en alliant le mot « trou » (qui ici
renverrait à l’anus) à Trump (qui rappelons-le peut signifier « pet »). Réponse
ne pouvait être plus subtile et ajustée. Par ailleurs, le patronyme de l‘actuel chef
de l’Etat du Sénégal (Macky SALL) semble être une aubaine et du pain béni
pour les pisse-copies sénégalais et surtout ceux du journal « Le Quotidien ». En
effet, le vocable « SALL », en plus de ses homonymes français « sale » et
« salle », a une proximité phonétique avec « salé » ou même « saleté ». D’où les
titres suivants :
- Sall crash !
(Le Quotidien, 24 avril 2014, N°3371, P11)
- Bokk Guis-Guis fustige la Sall gestion
(Le Quotidien, 11 novembre 2016, N° 4126, P7)
- BATAILLE SALEE
(Le Quotidien, 18 février 2017, N° 4207, P1)
- SALL PIEGE
(Le Quotidien, 04 janvier 2017, N° 4169, P1)
Le détournement de prénom est aussi une pratique récurrente dans la titraille
de notre canard. Et à l’instar du cas précédent, le dessein recherché est d’attirer
l’attention par le moyen d’un jonglage de mots qui, très souvent, est réussi :
« Macron marine Le Pen » : cette pépite évoque la défaite de Marine Le Pen face
à Emmanuel Macron lors des élections présidentielles françaises de 2017. Ici, ce
qui rend plaisant et savoureux la construction, c’est la métaphore culinaire par
le biais du prénom « Marine » et le verbe « mariner ». En procédant de la sorte,
l’effet recherché est de souligner à grands traits la défaite à plates coutures de
Le Pen.
Le titre suivant est de la même teneur. Robert SAGNA est un ancien
ministre sénégalais réputé pour sa grande compréhension de la crise
casamançaise. Et comme le fameux dictionnaire éponyme qui a une réputation
de qualité avérée, SAGNA apporte des éclairages précieux. L’intitulé
« Mackyavélique ! » est composé du prénom « Macky » (celui du chef de l’Etat
sénégalais) et des dernières syllabes de l’adjectif « machiavélique » de
« Machiavel » ; le très connu théoricien politique florentin du 16è siècle.
Cependant, signalons que les techniques de détournement ne se limitent pas
seulement aux noms de famille. Les exemples suivants l’illustrent parfaitement :
- C’EST LENT 3
(Le Quotidien, 25 mars 2015, N°3644, P1)
- MACKY MARS A RECULONS
(Le Quotidien, 26 mars 2017, N°4237, P1)
- BOCAR SAMBA DIEYE NE RIZ PLUS !
(Le Quotidien, 07 juin 2017, N°4295, P1)
Entre les deux premiers titres, il y a 2 ans d’intervalle. Néanmoins, ils évoquent
le même thème : l’anniversaire de l’accession au pouvoir de Macky Sall. « C’est
lent 3 » (comprenez, C’est l’an 3) insiste sur la lenteur de l’avènement des
changements promis. La même critique est renouvelée deux ans plus tard :
« Macky mars à reculons » pour dire qu’il « marche à reculons ». « Mars » parce
que c’est le mois où il est arrivé au pouvoir. Le dernier titre fait allusion à des
difficultés rencontrées par l’un des plus grands importateurs de riz du Sénégal.
C’est ce qui explique le remplacement du verbe rire à la 3è personne du
singulier « rit » par « riz ».
- Footeur de trouble !
(Le Quotidien, 17 novembre 2016, N° 4131, P2)
- CODE DEHONTEOLOGIE
(Le Quotidien, 12 juillet 2015, N°3731, P1)
- BATHILY PROFESSORT
(Le Quotidien, 31 janvier 2017, N°4191, P1)
- Le (dis) court message de Macky
(Le Quotidien, 05 avril 2017, N°4245, P7)
- RETOUR SUR LA PLANETE MACK’S
(Le Quotidien, 25 mars 2013, N°3052, P1)
- ERDOGAN DEGULËN A DAKAR
(Le Quotidien, 02 mars 2018, N°4515, P1)
Enfin, avant de refermer cette étude, il nous faut évoquer deux points non
négligeables des techniques de titrage du « Quotidien » : l’alternance codique et
l’emploi d’éléments sémiotiques. On parle d’alternance codique quand dans un
énoncé oral ou écrit sont utilisés des codes (ou langues) différents. « Le
Quotidien », comparé à d’autres journaux sénégalais, n’est pas très friand
d’alternances codiques. Et d’ailleurs, soulignons au passage que celles-ci sont
davantage l’apanage des journaux dits « people », qui alternent souvent le
wolof avec le français. « Le Quotidien » n’appartient pas à cette catégorie ; c’est
peut-être ceci qui explique cela. Cependant, quelques exceptions contenues
dans notre corpus :
- Présidence de l’OFNAC
NAFI OFF, NABOU IN
(Le Quotidien, 26 juillet 2016, N°4039, P1)
Conclusion
En somme, le journal « Le Quotidien » dans ses productions journalières
s’évertue tout le temps à rendre attrayant et captivant sa titraille. Ceci par le
biais d’images, de figures rhétoriques et de détournements patronymiques
vivants et attrayants. Ce procédé est devenu la marque de fabrique de cet
organe et explique entres autres sa fortune dans le paysage médiatique
sénégalais.
Références bibliographiques
AGNES, Yves. 2002. Manuel de journalisme. Paris : La Découverte.
GUILLAUME, G. 1919. Le problème de l’article et sa solution dans la langue
française. Paris : Hachette.
MARTIN-LAGARDETTE. 2005. Jean-Luc. Le guide de l’écriture journalistique.
Paris : La Découverte.
TRAN, Ngoc Quan. 2017. Étude des titres de presse : classement syntaxique, valeurs
sémantiques et pragmatiques. Mémoire de Master (Université de Toulon),
184 pages.
Gaël NDOMBI-SOW
CRELAF/CELIG
Université Omar Bongo - Gabon
sowgael@yahoo.fr
Introduction
Les études sur les titres en littérature sont porteuses de plusieurs
anecdotes, aussi croustillantes les unes que les autres. On apprend par exemple
que Gustave Flaubert doit la gloire de son roman Madame Bovary, à ce titre, lui-
même rendu célèbre après le procès qu’a connu le jeune auteur de 35 ans avant
la publication de cette première œuvre. En janvier 1857, Flaubert est traîné devant
le tribunal correctionnel de Paris pour répondre au délit d’outrage à la morale
publique et à la religion, intenté contre lui alors qu’il avait déjà publié quelques
épisodes du futur roman dans la Revue de Paris. En cause notamment, le titre qui
mettait en avant le nom d’un personnage dépravé, dont les actions et les actes
dans le roman portaient atteinte à la morale. Le procès, considéré comme l’un des
plus curieux que la France littéraire a connu, a apporté au jeune écrivain une
monumentale publicité, lançant avec fracas ce livre au titre tant querellé.
L’anecdote susmentionnée souligne que le titre d’une œuvre, à de
multiples facettes, peut jouer un rôle primordial dans sa réception. Défini par
Charles Grivel comme un « ensemble de signes linguistiques [...] qui peuvent
figurer en tête d’un texte pour le désigner, pour en indiquer le contenu global et
allécher le public visé » (Charles Grivel 1978, pp.169-170), le titre est un élément
essentiel de la constitution du livre, en raison de sa place stratégique : c’est le
premier élément qui entre en contact avec le lecteur. Dans la majeure partie des
cas, le choix d’un titre accrocheur est un facteur commercial efficace. Selon les
mots de Marie-Eve Thérenty :
1 Toutefois, il faut se garder de penser que la réussite littéraire de ce texte réside exclusivement dans son
titre tapageur. A ce sujet, l’avertissement de Gérard Genette est à prendre en considération : « si le titre est
bien le proxénète du livre, et non pas de lui-même, il faut sans doute craindre et éviter que sa séduction ne
joue trop à son propre profit, et au détriment de son texte » (Genette, op.cit : 97).
2 Extrait du film-documentaire réalisé en 2009 par Pedro Ruíz, Dany Laferrière, la dérive douce d’un enfant de
Petit-Goâve.
Dans tous les cas, les lecteurs se trouvent confrontés à des titres énigmes
dont ils attendent la révélation à l’issue de la lecture. Chez Alain Mabanckou, ce
processus littéraire est aussi présent. Le premier roman de l’écrivain congolais,
publié en France, a la particularité de porter comme titre une réinscription des
trois couleurs du drapeau français : Bleu blanc rouge (1998). Le fait qu’un écrivain
non français, au nom exotique – qui de plus est originaire d’une ancienne colonie
française –, publie une œuvre en mettant en exergue le drapeau français laisse
penser qu’il s’agit là d’un livre qui, soit fait le procès de la France, soit voue un
amour pour cette patrie. On peut penser que l’auteur a choisi ce titre dans
l’intention de séduire et si possible de faire scandale. Ce genre de titre
provocateur, à l’instar de Je suis noir et je n'aime pas le manioc (2005), attire
l’attention et constitue une manière d’inscrire son identité d’auteur sur la scène
littéraire. Gaston Kelman s’est fait connaître avec ce titre qui semble renier son
identité africaine, à travers la non-consommation du manioc. Ce refus ici traduit,
dans une lecture globalisante, l’idée du déni de ses origines, au détriment de la
culture occidentale. Justement, le livre de Gaston Kelman, qui place au cœur de
sa narration l’indélicate alliance entre l’immigration et l’intégration, a connu une
réception mitigée en Afrique, tiraillé entre les sceptiques qui voient en lui un
« traitre » et les modérés qui considèrent que l’identité d’un individu ne se limite
pas au produit de son pays d’origine.
Chaque emprunt […] produit son effet. Les énoncés intertextuels que sont
les pastiches ou parodies de titres proposent aux lecteurs un jeu ou un défi
par rapport au champ littéraire. […] Ces titres transformés, ou « titres-
citations », affichent en clair une référence supposée connue du lectorat et
dont la reconnaissance est comme un point de départ de la lecture. Cette
reconnaissance est un premier acte interprétatif du lecteur. Le sens qui en
résulte peut ne correspondre qu’à un aspect de l’œuvre, le renvoi au canon
littéraire n’est pas moins significatif, puisqu’il définit ou fixe, par avance, un
certain horizon esthétique.
Roy (2008, p.51)
3 On peut notamment citer Pierre-Yves Gallard, « Mémoire et intertextualité dans Verre Cassé d’Alain
Mabanckou », Malfini, publication exploratoire des espaces francophones, en ligne : http://malfini.ens-
lyon.fr/document.php?id=140, publié le 25 mars 2015.
African psycho : ce serait le sens commun qui parlerait ici dans ce titre bizarre,
en anglais, et quasiment intraduisible. [...]. On sait aussi qu'il y a un prétexte
à ce titre, un roman de Bret Easton Ellis : American psycho. Et Alain
Mabanckou, qui habite désormais dans le monde étatsunien, mais qui écrit
en français, joue habilement de cette posture. Il y a une universalité
désormais de cette culture des États-Unis.
Chemla (2009).
Conclusion
Il est connu que les livres sont mis dans le circuit littéraire selon deux
modalités différentes constituées par la double face économique et symbolique.
Soit ils appartiennent à la sphère de production restreinte ; soit l’aspect
économique domine lorsque le livre appartient à la sphère de grande production.
Ces deux données impactent systématiquement sur les stratégies mobilisées par
les écrivains pour se conformer à la pratique littéraire. Pour le cas de certains
écrivains du Sud, il s’agit de se mobiliser pour se sociabiliser dans l’un des codes
et de se construire une identité d’auteur en usant de plusieurs stratégies de
visibilité. De ce fait, le choix d’un titre, à quelques égards, répond à un besoin de
consécration : parvenir à se faire un nom et à taper dans l’œil des lecteurs. Le
succès obtenu par ces titres auprès du public, procure une « autonomie » aux
écrivains vis-à-vis des instances de légitimation, puisqu’ils se voient accorder une
4 Toutefois, le rapprochement entre les deux titres, fait par Kathleen Gyssels, est peu objectif. S’il est vrai que
la familiarité est évidente, leur programme d’annonce est différent. Le titre de Michael Morgenstern joue
sur la question des genres, notamment la satisfaction des désirs sexuels de la femme, qui consiste, selon une
idée répandue, à atteindre le mythique point G, foyer du plaisir féminin. A contrario, le titre de Dany
Laferrière joue avec les codes raciaux et la question du genre. C’est l’image du « nègre », bête sexuelle, aux
prises avec la femme occidentale qui est ici relayée. Le point commun entre les deux titres est le motif du
sexe, mais approché de manière différente.
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LITTÉRATURE ET NUMÉRIQUE :
RUPTURE OU CONTINUITÉ ?
Abstract: Today, digital is slipping into the praxis of literature. From this
point of view, literature and digital now have very close relations.
Literature rubs shoulders with everyday digital technology to the point
where we could talk about cyberliterature or digital literature, which gives
birth to a digital culture. Literature and digital are therefore
complementary. Thus, with digital literature, one cannot speak of a break
or continuity between literature and digital but rather of a complementarity
or a change of medium that implements the specificities of the medium for
new artistic openings.
Introduction
De tous les arts, la littérature est curieusement celui qui a rencontré
l’informatique le plus tôt, bien que cette rencontre soit restée longtemps secrète.
Le numérique fait partie du quotidien de la littérature tant du côté des écrivains
que du côté des consommateurs. On peut parler, dans cette optique, d’usages
au quotidien et au-delà de culture numérique. Ainsi, le numérique côtoie
considérablement la pratique de la littérature, et produit à cet effet de multiples
phénomènes nouveaux tels que l’utilisation d’outils informatiques et
audiovisuels pour la diffusion et la consommation massive des contenus des
livres. Cela débouche sur une (ré)industrialisation du secteur du livre et crée
des connections étroites et raisonnées entre la littérature et le numérique. Dans
ce sens, Jean Clément affirme que
Oui, il existe une forme d’œuvre textuelle de fiction propre au Web. Oui,
cette forme possède une structure différente du roman en livre. Oui, cette
forme est vécue différemment par le lecteur. Oui, l’élément fondamental est
le lien hypertexte. J’appelle cette forme webature. Il s’agit d’un texte de
fiction utilisant une structure en liens hypertexte. [...]
Fineltin (2001, p.6)
[…] L’un des problèmes que connaît l’Afrique noire c’est l’absence de
bibliothèque. On ne peut pas avoir à côté de grandes universités des
bibliothèques indigentes ! Certes ça coûte cher une bibliothèque,
notamment au niveau des acquisitions, de la formation du personnel ; mais
en même temps, et sauf d’avoir décidé de renoncer à la formation de
l’intelligence, je ne vois aucune explication. Ceci étant dit, je pense qu’on
peut en sortir par un excès de pratiques numériques. J’ai coutume de dire
que l’Afrique a une chance inouïe : c’est celle de passer du néant au plus en
termes technologique [Sic]. La technologie va nous permettre de faire
l’économie de toutes les étapes qui permettent d’évoluer vers le numérique
performant.
Romuald Blaise Fonkoua (2017, p.10)
c'est le déplacement qu'il faut examiner ». Fort de ce credo très mobile, François
Bon explore les changements qui touchent actuellement l'écrit. Il le fait en tant
que praticien de la littérature, sur un mode personnel qui tranche avec les
synthèses publiées sur le sujet. Évoluant de l'imprimé vers le numérique, le
livre est entraîné à pa(ge)s grandissant(e)s vers sa propre dématérialisation.
Pionnier en matière de nouvelles technologies, l'auteur de Sortie d'usine et de
Paysage fer le sait mieux que quiconque : « Le contemporain s'écrit numérique »,
peut-on lire noir sur blanc dès la page d'accueil de la coopérative d'édition
numérique4 qu'il a fondée. Et pourtant, jamais la matérialité de l'objet-livre ne se
sera plus fait sentir que dans cet essai si dense, composé de fragments, d'incises
- qui fut d'abord publié en ligne... De l'épaisseur des volumes à leur odeur, en
passant par leur emplacement sur les rayonnages d'une bibliothèque, émane
une même gestuelle : « Le livre imprimé appelle une manipulation qui le constitue
comme mémoire ». Mais le propre de cette mémoire est de n'être jamais figée,
jamais unique. Le livre existe toujours au contact d'autres livres. Le livre, en un
sens, c'est toujours le Tiers Livre, nom du site personnel de l'auteur inspiré par
Rabelais. De même, l'art du griffonnage et le goût des petits carnets
continueront à trouver leur place « entre nos téléphones à tout faire, nos
tablettes, et le bureau bien rangé de l'ordinateur ». Contre les prophètes de
malheur, Après le livre préfère tricoter des fils heureusement plus colorés : ceux
que tresse justement la pluralité de nos usages. La numérisation des textes a
pour conséquence leur « déterritorialisation » et leur dématérialisation. Pour
Jean Clément,
Ce mouvement, déjà amorcé sur les premiers supports magnétiques, s’est
accéléré avec la popularisation du réseau Internet. Désormais les textes ne
sont plus seulement dans les livres et dans les bibliothèques, ni sur un
disque dur ou un cédérom, ils circulent sur les réseaux, ils sont devenus «
nomades ». À la différence des livres toujours soumis à des contingences
matérielles incontournables de diffusion et de communication, les textes
numériques s’affranchissent des distances et des dispositifs lourds de la
chaîne éditoriale. Un roman de huit cents pages se duplique en quelques
secondes et s’expédie à l’autre bout du monde en quelques minutes. Pour
lire un texte, il n’est plus besoin d’en passer par les médiateurs habituels du
livre. Sur Internet, des auteurs, comme Stephen King diffusent eux-mêmes
leurs œuvres. Des associations comme Gutenberg aux États-Unis ou l’ABU
(Association de Bibliophiles Universels) en France mettent à contribution
les internautes pour constituer des fonds textuels en libre accès. Des sites
de référence comme Athena dressent des catalogues interactifs des textes
disponibles à travers le monde. Des libraires font de la vente en ligne et des
éditeurs expédient à leurs clients des ouvrages numériques.
Clément (2001a, p.115)
les marges, constitution de corpus, etc.) favorisent une lecture active dans
laquelle le lecteur est prêt à tout moment à passer à l’écriture.
Clément (2001a, p.130)
Conclusion
Il est plausible de rappeler qu’il n’y a pas séparation brutale entre une
œuvre littéraire numérique et les œuvres non numériques mais une continuité
qui a établi, progressivement, un lent déplacement de la question littéraire. Dès
lors, nous convenons avec Antonio Casilli qu’
il est désormais impossible d’affirmer que les seules vraies communautés
sont basées sur un lieu qu’on partage. Les rencontres en face-à-face ne sont
plus la modalité exclusive d’interaction. Le contexte sociétal contemporain
s’est enrichi de nouvelles manières de « se sentir en communauté » et, par
cela, de « faire de la communauté ». Il faut bien souligner ce dernier point :
les pratiques communautaires en ligne s’ajoutent à celles qui préexistent et
ne se substituent pas à elle [sic]
Antonio Casilli cité par Pérès-Labaurdette Lembé ( 2015, p.44)
En effet, depuis le début du XXème siècle, les diverses avant-gardes ont fait
quitter le texte de la page imprimée en l’insérant dans des tableaux et des
objets. Elles ont aussi transformé de manière manifeste les relations
auteur/texte/lecteur, par exemple à travers le happening, et se sont penchés sur
la production de sens elle-même, en travaillant la relation des lettres entre elles,
des mots entre eux et, plus généralement, la relation entre le mot et d’autres
systèmes de signes. C’est pourquoi Philippe Castellin, l’éditeur d’une des
revues les plus importantes en littérature numérique, estime que la littérature
numérique serait un « achèvement » des formes travaillées par ces avant-
Références bibliographiques
Notes
1. La littérature numérique voit le jour en 1952. Un an plus tard, Boris Vian pose avec
Gustave le robot. Une belle illustration de sa nouvelle futuriste La peur des modernes,
dans laquelle il popularise le mythe du “robot-poète”. Exposition “Présence du Futur”
(1953).
2. Paul Fournel est un éminent membre de l’OULIPO (Ouvroir de Littérature
Potentielle, association fondée en 1960 par Raymond Queneau et le mathématicien
François le Lionnais, pour réfléchir autour de la notion de littérature « sous contrainte »
et auteur d’un roman intitulé La liseuse.
3. Ici, il faut prendre le terme « dispositif » au sens de Giorgio Agamben. Selon
Agamben, le dispositif est « tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de
capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer
les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants », in Giorgio
Agamben, Qu’est-ce que le dispositif, Paris, Payot/Rivages poche, 2007, p.31.
4. www.publie.net
5.Marie Lebert, « Une courte histoire de l’ebook » [archive] [PDF], sur www.etudes-
francaises.net, Études françaises de l’Université de Toronto, 2009 (consulté le 21 février
2017) : « Chose souvent passée sous silence, Michael Hart est le véritable inventeur de
l’e-book. Si on considère l’e-book dans son sens étymologique, à savoir un livre
numérisé pour diffusion sous forme de fichier électronique, celui-ci aurait bientôt
quarante ans et serait né avec le projet Gutenberg en juillet 1971. », p. 11.
6. Ce terme est officiellement recommandé en France dans le JORF du 4 avril 2012. La
République française, « Vocabulaire de l’édition et du livre (liste de termes, expressions
et définitions adaptés) », [archive], n°0081, sur legifrance.gov.fr, Journal officiel de la
République française, 4 avril 2012 (consulté le 201 février 2017), p.6130.
PROBLÈMES DE VERSIFICATION :
L’ALEXANDRIN EN QUESTION DANS LE POÈME « HÉRO D’EBÈNE »
DE REFRAINS SOUS LE SAHEL DE TITINGA PACÉRÉ
Keywords: Alexandrian; Titinga Pacéré; African poetry; classical poetry; Alexander The
Great.
Introduction
Cet article s’inspire d’un écrit de Joubert (1999). L’auteur, dans cet écrit met en
évidence l’aventure de l’alexandrin dans la poésie africaine francophone. Il y affirme
que les poètes africains se mettent presque tous, implicitement ou explicitement, à
l’école de l’alexandrin :
dont la régularité saute aux yeux (…) Mais tantôt l’alexandrin se glisse presque
incognito dans de grandes coulées de vers libres. On pourrait faire une anthologie
de ces vers blancs des poètes noirs.
J. L. Joubert (1999, p.3)
1 Alexandre le Grand est fils du roi Philippe II à qui il succéda. Mais au sommet de sa gloire, il va se construire sa
propre légende, tentant à convaincre l’opinion générale que Philippe II ne fut pas son père. Il serait né, selon ce
mythe d’un dieu qui se serait transformé en serpent pour s’introduire dans le lit de sa mère pendant que celle-ci
dormait. C’est cette visite dans la plus parfaite discrétion qui aurait donné naissance à Alexandre que l’on connait.
2 Héraclès ou Hercule est l’une des mythologies grecque la plus connue, dont la littérature est la plus abondante.
différents arts. En plus de tous ces savoirs, il fut aussi initié à l’art des armes. Puis, en
(-336) Alexandre le Grand, après la mort de son père, devint roi de Macédoine. Il
entreprit de soumettre à son joug, le reste de la terre. On lui doit, en (-332) la Cité
d’Alexandrie, qui porte d’ailleurs son nom. Cette ville, à l’embouchure du Nil devint
le centre littéraire, scientifique et commercial du monde hellénique. Elle est par ailleurs
rendue célèbre par son emblématique symbole, le « Phare 4» : « le Phare
d’Alexandrie ».
Il est tout à fait vrai qu’Alexandre le Grand a été un grand conquérant. Il a
remporté une importante victoire contre les Perses ; il a fécondé un vaste empire qui
partait de l’Occident jusqu’en Égypte ; de l’Orient jusqu’en Inde. Toutes ces conquêtes
se moulèrent dans un vaste ensemble, qu’on appellera royaumes hellénistiques. Cette
période de domination qui va durer près de trois cents (300) ans, sera appelée
l’hellénisme5. Dans le roman, Le Monde de Sophie, Jostein Gaarder revient sur cet
épisode :
Une nouvelle société à l’échelle mondiale vit le jour au sein de laquelle la culture et la
langue grecque jouèrent un rôle prédominant. Cette période qui dura 300 ans, on l’a
appelée l’hellénisme. Le terme « d’hellénisme » recouvre à la fois la période proprement dite
et la culture à prédominance grecque qui s’épanouit dans les trois grands royaumes
hellénistiques : la Macédoine ; le Syrie ; et l’Égypte.
On appelle ainsi (alexandrin) le vers de douze syllabes. Seul vers français dont le
nom n’est pas fondé sur la quantité syllabique, l’alexandrin date du début du XIIè
siècle. Son nom, qui ne lui a été donné qu’au XVè siècle, est dû à un poème de
douze syllabes sur Alexandre le Grand, qui parut à la fin du XIIè siècle et connut
un vif succès. Au XIIIè siècle, il est utilisé dans les épopées hagiographiques, les
discours majestueux, les chansons de geste remaniées, (…) Au XVIIè siècle, il
s’impose désormais comme le grand vers. Il n’a cessé depuis d’être le plus employé
de la poésie française, jusqu’à en être une sorte de figure emblématique, …
A. Michèle et G. Molinie (1999, pp. 443-444)
2. Problèmes de versification
2.1. La métrique
4 Le phare en question, qui symbolisant Alexandrie était une tour de 134 m au sommet de laquelle on faisait brûler
des feux en guise de repère pour les bateaux.
5 On se rappellera cette hypothèse de Léopold Senghor qui a d’ailleurs fait grand bruit. Des désapprobations
fusèrent de partout parmi l’intelligentsia noire. En effet, quand Senghor affirme « L’émotion est nègre, la raison est
hellène », le terme de hellène renvoie à cet empire grecque antique, symbolisant l’Occident ; alors il eut des
protestations au sein des intellectuels noirs.
« Héros d’Ebènes » est le onzième des seize poèmes que compte le recueil
Refrains sous le Sahel qui compose la trilogie de Oswald 1976. Ce poème aux allures
classiques s’organise autour de onze strophes composées chacune d’un quatrain.
Typographiquement, il se construit autour de quatre pages, reparties en 3-3-3-2 ; c’est-
à-dire que les trois premières pages comptent trois strophes chacune, tandis que la
quatrième page en compte deux. Au total, il y a onze (11) strophes et par conséquent
quarante-quatre (44) vers. Dans cette séquence, nous examinerons la métrique de ce
poème.
Observons la première strophe du poème. Les trois premiers vers qui la
structurent sont des décasyllabes (10 syllabes) chacun. Le dernier vers, est un
alexandrin (12 syllabes). Il y a un dysfonctionnement rythmique, créant une
impression de régularité. Il s’agit donc d’une régularité irrégulière, en ce sens que
l’équilibre est intentionnellement faussé. Au-delà de la métrique, il importe par
ailleurs d’avoir un regard sur la rime : « Monde/ anathèmes/ Suprêmes/ confondent ».
On reconnaitra assez facilement la disposition ABBA, caractéristique de la rime
embrassée. On notera dans l’illustration suivante que toutes les rimes sont féminines,
au lieu d’une alternance entre rimes masculines et féminines, principe important dans
le classicisme :
Présentons enfin, en guise d’illustration la dernière strophe. La rime, encore une fois
de plus conserve la même disposition avec alternance : « haine/ Hamar/ Omar/
D’EBENE ! ». Le dernier vers du poème est mis en exergue par le caractère
typographique, écrit en lettres capitales. Les trois premiers vers de cette strophe sont
des alexandrins (12 syllabes) chacun. Cependant le dernier vers comprend, quinze (15
syllabes) ; comme on peut le remarquer à travers cette illustration :
6 (Sic). Le mot est ainsi écrit (avec un seul p.) dans le poème au lieu de opprobre !
Le vers libéré est un vers de mètre traditionnel, mais de forme assouplie (…) Le code est,
comme dans le vers régulier d’une double nature : m étrique et sonore. Métrique car
le vers libéré est de mètre commun : alexandrin libéré, décasyllabe libéré. Sonore,
car il reste soumis à un principe de liaison des vers par homophonies finales (…)
La rime s’allège de ses contraintes graphiques (abandon de la règle des consonnes
équivalentes), renouvelle ses alternances du système « masculine/ féminine » au
système « vocalique/ consonantique » ou les supprime (…)
Mazaleyrat et Molinie (1989, pp.198-199)
Il n’y a pas une distinction catégorique entre ces deux tendances établies par Lilyan
Kesteloot. En effet, il arrive que certains poètes, tout en empruntant un ton plus
lyrique, voire romantique critique avec verve le néocolonialisme. C’est dans cette
veine que l’on peut classer par exemple le recueil Ça tire sous le Sahel (satires nègres), de
Titinga Pacéré. On constate que le sous-titre de ce livre « satires nègres » est indicatif
dans ce sens. Dans ce poème précisément, nous verrons comment se manifeste la
remise en cause de l’alexandrin.
Il y a dans ce poème, comme nous l’avons constaté, deux problèmes qui se
posent : le problème de la rime et celui de la métrique. La rime est d’une régularité
apparente et déroutante en ce sens que les règles qui régissent le classicisme en la
matière ne sont pas scrupuleusement respectées. Il y a donc à partir de là, un écart qui
peut s’expliquer par une volonté de l’auteur de s’affranchir du prisme occidental. La
problématique de la métrique participe de cette même dynamique. Dès lors « le
fétichisme de l’alexandrin » tombe en désuétude. Cette démystification de l’alexandrin
n’a d’égal que son désir ardent de restauration, une défense et illustration des héros
africains. Pour s’en convaincre, arrêtons-nous sur le titre du poème « Héros
d’Ebènes ». Le terme « Ebènes » est connoté et porte en lui deux sèmes importants, à
savoir force et noir. Syntaxiquement, « d’Ebènes » est rattaché à « héros », duquel il est
complément. Le syntagme « Héros d’Ebènes » est un hommage rendu aux figures
historiques du continent noir, l’Afrique. C’est en ce sens qu’il participe à une défense
et illustration des héros africains. Cette entreprise de restauration ne peut
véritablement prendre forme, qu’en dénonçant une supercherie, savamment
entretenue par ces « Libérateurs de l’Afrique ». Des hommes pourtant considérés
comme des « Dieux », qui sont venus « nous » asservir au lieu de délivrer. L’auteur les
interpelle de la sorte dans la quatrième strophe :
Le poète cite des noms bien connus, à travers une remarquable ironie. En traitant en
effet, « Voulet-Chanoine » d’hommes de la non-violence, c’est bien une ironie pour
souligner leur cruauté. Parce qu’un non-violent renonce à la violence ; il s’inscrit dans
une dynamique de rencontre de l’autre dans la paix et dans l’amitié. Surtout, en aucun
cas il n’usera d’armes pour se défendre encore moins pour attaquer. Ce qui est tout à
fait l’opposé de Voulet-Chanoine qui ont fait usage des canons contre les arcs du
Mogho, comme il ressort dans ce passage :
Après cette mise au point de l’histoire l’auteur se tourne vers les Africains, les Sofas. Il
les encourage et les appelle à la résistance contre la colonne Voulet-Chanoine :
Enfin, à travers cette dernière strophe, le poète indique que l’histoire de l’Afrique, telle
que jusque-là écrite (par les vainqueurs) et enseignée aux Africains est un long tissu
de mensonges. Il en appelle à la vérité, la vraie connaissance de l’histoire pour qu’elle
jaillisse et éclaire la terre d’Ébène, c’est-à-dire l’Afrique :
Dans ce poème, les grands résistants africains sont cités, en signe d’hommage rendu.
Ce sont entre autres : « Damel Lat-Dior » ; « Samory » ; « Béhanzin » ; « Ahmadou » ;
« Koutou » ; « El Hadj Omar » ; etc. L’auteur déplore le fait que ces illustres hommes
ne soient pas suffisamment connus ; toute chose qui met l’Afrique en péril. L’auteur
devient par ailleurs plus amer quand il note qu’en lieu et place des héros africains,
l’Afrique « A ses fils apprend des noms célèbres : Goureau, // Bouet Willaumez, Protet,
Faidherbe, Lamy ! »
Conclusion :
Problèmes de versification, voilà la préoccupation que cette réflexion a voulu
examiner dans ce poème « Héros d’Ebènes ». Le terme problèmes (au pluriel) n’aurait
sans doute pas passé inaperçu ; parce qu’au moins deux problématiques ont pu être
dégagées et examinées, à savoir d’une part la rime et d’autre part la métrique. Au
terme donc de cette analyse, il ressort assez clairement que « Héros d’Ebènes » est un
poème pseudo-classique. L’auteur, dans ce poème s’engage à déconstruire le système
métrique français (l’alexandrin). En élargissant cette étude, on peut noter que nombre
d’auteurs africains, dans les différents arts, proposent chacun à son niveau un
renouvellement des pratiques, une volonté d’adaptation à l’être du Noir. C’est à cette
conclusion également que Justin Ouoro est parvenu dans son analyse sur le cinéma
africain :
Cette réalité participe à une entreprise de valorisation des figures historiques, des
valeurs africaines. C’est ce que nous avons appelé Défense et illustration des
valeurs/figures africaines, parallèlement à Joachim Du Bellay, à l’époque de la
reconnaissance, s’engageant dans une défense et illustration de la langue français.
Alors Pacéré, à travers ce poème, rejette le classicisme occidental, rejette l’alexandrin,
prône le retour/recours à l’Histoire, à l’Afrique. « Héros d’Ébènes », semble défendre
l’idée selon laquelle, il y a eu en Afrique des Héros plus grands que Alexandre le Grand
que nous méconnaissons, parce que comme le dit ce vers du poème : « L’Afrique
ignorante vilipende ses héros ! »
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Hervé WANDJI
Université de Douala - Cameroun
wandjiherve51@yahoo.fr
1 Cameroon Railways
Introduction
Le vendredi 21 octobre, au Cameroun, aux environs de 13 heures, le train
152 qui quittait Yaoundé pour Douala a déraillé à Eséka dans l’arrondissement
du Nyong-et-Kelle. Les journaux de la presse écrite en particulier ont
événementialisé cet accident suivant leurs lignes éditoriales en produisant des
discours à dimension argumentative. L’argumentation vise à agir sur l’autre, sur
l’interlocuteur. Même « une description journalistique […] peut avoir une
dimension argumentative » (Amossy, 2000 : 25) parce que l’organe médiatique
doit satisfaire son double marché de consommation. Les journalistes sont les
représentants d’une façon de voir le monde, ce sont eux qui écrivent la société.
Ils subissent à cet effet plusieurs influences. C’est pourquoi Koren (1996 : 41)
pense que « le regard idéologique aurait même pour caractéristique
fondamentale de se servir de l’événement comme un prétexte ». C’est dire que la
liberté du journaliste est compromise par les « conventions, les idéologies, les
points de repère, les habitudes » (Koren, ibid. : 31). Cette communication vient
ainsi poser le problème de l’impossible transparence du discours médiatique.
Maingueneau (2002 : 13 et 2012 : 15) trouve qu’on peut mobiliser trois
types de contextes dont on peut extraire des éléments nécessaires à
l’interprétation. Il s’agit de l’environnement physique de l’énonciation ou
contexte situationnel ; du cotexte et des savoirs partagés. Dans la présente
communication, nous focaliserons notre attention sur la première et la troisième
typologie car ils permettent mieux de voir les positionnements des machines
médiatiques. Ce travail, en s’appuyant sur la théorie de l’argumentation, fait
savoir que les contextes des énoncés renforcent leur dimension argumentative
dans la presse écrite francophone2 dans le traitement médiatique du déraillement
du train 152 survenu le 21 octobre 2016 à Eséka et répond aux préoccupations de
savoir comment et dans quel but le sujet parlant a l’intention de persuader, à
2 Il s’agit de Cameroon Tribune (avec 130 articles et 6 titres à la une) d’une part, Le Messager (avec 85 articles
et 14 titres à la une) et La Nouvelle Expression (avec 71 articles et 21 titres à la une) d’autre part ayant pour
moment discursif le 24 octobre au 30 novembre 2016. Ce moment discursif est constitué d’un corpus de 286
articles et 41 titres à la Une. On s’intéresse autant à l’énonciation des journalistes qu’à l’énonciation des non-
journalistes qui charrient les données contextuelles pour l’interprétation-compréhension de la médiatisation
du déraillement du train 152. Tous ces trois journaux sont des quotidiens qui paraissent régulièrement du
lundi à vendredi. Dans les exemples du corpus, LNE, CT et LM correspondent respectivement à La Nouvelle
Expression, Cameroon Tribune et Le Messager. Si nous avons choisi ces presses, c’est d’abord pour aller dans le
sens de Charaudeau (2009 : 56-57) qui dit que le choix du corpus doit être fait sur la base des similitudes
(l’accident ferroviaire) et de différences (les quotidiens aux lignes éditoriales différentes). Aussi, nous tenons
à rappeler que nous suivons la logique du volume et non celle des publications. D’ailleurs Cameroon Tribune
va de 30 à plus de 40 pages or, les deux autres presses rodent autour de 12 pages par numéro. C’est la raison
pour laquelle nous réunissons ces deux quotidiens, rappelons-le, en termes de volume, pour essayer de «
challenger » le premier.
travers les contextes, le lectorat dans les prises de position des machines
médiatiques3.
Sur le plan méthodologique, notre démarche va consister, tout d’abord, à
rassembler l’ensemble des quotidiens des différentes publications qui constituent
notre corpus. Ensuite, nous identifierons les différentes références au contexte
présentes dans les supports du corpus et les analyserons. Il s’agira de se focaliser
d’une part sur les savoirs partagés et sur la situation d’énonciation d’autre part.
(1) Le malheur de Camrail fait le bonheur des autres (titre) Pour s’acheter le
ticket de voyage, il faut avoir 8000 Fcfa. Pas question de négocier. En ce
moment où il y a très peu de bus disponibles pour Douala, ce sont les
chauffeurs qui choisissent leurs passagers. LM4, 24/10/2016 Amandine
Atangana P.4
Le titre du Messager est une sentence. Cette dernière « est une affirmation
portant non pas sur des faits particuliers […] mais sur des généralités » (Aristote,
1991 : 254 ).Comme pour être effectives, les sentences doivent énoncer des vues
qui sont admises par l’auditoire auquel s’adresse le discours (Amossy, ibid. : 109),
3 Machine médiatique (Charaudeau, 2011 :119) est le synonyme d’organe médiatique.
4 Le Messager
« Le malheur de Camrail fait le bonheur des autres » qui est une paraphrase de
la sentence « le malheur des uns fait le bonheur des autres », vient légitimer un
cas particulier à partir d’une sagesse globale (ibid.). L’organe médiatique veut
faire comprendre au lectorat que le déraillement de train avec son corolaire de
morts et blessés à prendre en charge, porte atteinte à l’image de la compagnie
Camrail, la met de ce fait dans une posture inconfortable et profite aux
entreprises de voyages routiers qui ont doublé, voire triplé, les frais de transport
Douala-Yaouné-Douala. De cette séquence titrale, une évidence naît du sous-
entendu : Camrail est responsable du déraillement. Cameroon Tribune suit la
logique du Messager dans l’accusation de la société ferroviaire :
(2) C’est l’auteur du dommage qui paye. Maintenant, est-il assuré ? Si oui,
c’est son assureur qui paye. C’est l’assureur qui répond aux dommages subis
par les personnes qui ont été transportées. CT5, 26/10/2016 Aaron Lemb,
assureur, directeur du pool Véhicules de transport public de voyageurs, Asac.
Propos recueillis par Alliance Nyobia p.6
L’assureur Aaron Lemb commence ses propos par un discours doxique bien
connu. Même si son discours est représenté par un locuteur identifié (Aaron
Lemb), « il est endémique dans les sphères sociales ou professionnelles auquel il
appartient » (Njoh Komè, 2010 : 61). L’énoncé « C’est l’auteur du dommage qui
paye » produit par le représentant de la compagnie d’assurance, peut être
considéré comme la reprise de l’adage « Qui casse paye » ancré dans la mémoire
collective au Cameroun. On a affaire à ce que Maingueneau (2004 : 112) appelle
une « particitation », « mot-valise qui mêle «participation» et «citation», car
l’énoncé d’Aaron Lemb « est un énoncé autonome : parce qu’il l’est
originellement, ou bien parce qu’il a préalablement été autonomisé par
détachement d’un texte » (ibid.). Comme on sait que la sentence n’est efficace que
dans son rapport avec l’ethos de l’orateur (Amossy, 2000 : 109), la presse officielle
camerounaise vient étayer son accusation implicite par un directeur de la
compagnie d’assurance, qui éclaire avec sa notoriété dans son domaine.
D’ailleurs, dans l’argumentation qui structure cet article de la presse
gouvernementale, le journaliste fait appel à un expert en assurance dans son
activité de démonstration pour tenter de dire l’exact (Charaudeau, 2011 : 73) :
Camrail « est le premier responsable » (Jean Jacques Ekindi, LNE, 04/11/2016)
du drame et « c’est Camrail, le transporteur, à travers son ou ses assureurs, qui
doit s’occuper de toutes les victimes » (Me Célestin Kengoum, avocat au Barreau
du Cameroun, LNE, 24/10/2016). En dehors de ces discours parémiques, les
instances journalistiques s’appuient également sur les lieux communs pour agir
sur le lecteur.
5 Cameroon Tribune
(4) Les catastrophes et scandales en série dans ce pays sont dus à la mauvaise
gouvernance et à l’absence de politiques publiques claires et lisibles. Nous
avons subi 33 années d’improvisation tous azimuts où tout se résumait
uniquement à maintenir le prince au pouvoir. LM, 04/11/2016 p.3 Joshua
Osih
(7) Le Président de l’Ufp6, Olivier Bilé, pour lui, la gouvernance actuelle est
en cause. « 60 morts et 650 blessés dans l’accident de train de camrail. Révélation
d’une crise majeure de la gouvernance actuelle en matière de travaux publics et de
transports. C’est la gouvernance globale de l’État qui est plus que jamais en cause.
Les responsabilités des acteurs doivent être établies car la vie des camerounais ne peut
être ainsi vendangée7. » LNE8, 24/10/2016 Ben Christy Moudio P. 7
(8) C’est trop. Combien de personnes doivent mourir ? Combien doivent être
blessées ? Combien allons-nous encore sacrifier sur l’autel de l’incompétence
de notre gouvernement? [...] Il ne fait aucun doute que nous avons perdu des
dizaines de vies camerounaises aujourd’hui parce que le régime actuel est
incapable de fournir des services de base, sûrs et sécurisés le transport de ses
citoyens entre ses deux plus grandes villes LNE, 24/10/2016, Edith Kah
Walla, P.8
(9) C’est très grave ce qui s’est produit dans notre pays et je précise que
cela relève de l’irresponsabilité général (sic) du gouvernement qui nous
gère […] l’Etat doit assumer ce qui s’est passé […] les pouvoirs publics on
(sic) carrément délaissés (sic) le Cameroun Honorable Soub Lazare (Mrc9)
LNE, 24/10/2016 P.9 réalisé par Hervé Villard Njiéle
(10) «Vous avez nommé une commission d’enquête indépendante, vous avez
nommé une commission composée entièrement de votre gouvernement ; lequel fait
partie des acteurs et des responsables clés dans ce drame », observe le
mouvement Stand up For Cameroon… « Comment le gouvernement va-t-il
être juge et partie ? » LNE, 01/11/2016 Linda Mbiapa P.3
À regarder les arguments avancés ci-haut, l’endoxon qui est ce sur quoi
peuvent s’accorder tous les hommes, ou tout au moins la plupart d’entre eux, ou
encore les sages (Amossy, 2000 : 90), consistent à désigner le gouvernement
comme étant le responsable des malheurs du « vendredi noir ». Tout porte à
croire, lorsqu’on lit les extraits ci-dessus, que le gouvernement est le principal
responsable de ce qui est arrivé ce vendredi. D’ailleurs, les personnalités de
différents bords comme Vincent-Sosthène Fouda, Petit Pays, Ben Christy
Moudio, Edith Kah Walla, Soub Lazare, sont d’avis que tout part de l’inertie, de
l’impunité, des détournements et de bien d’autres gangrènes que le
gouvernement Rdpc a lui-même instauré. Ils trouvent que « personne ne peut
soustraire la responsabilité du gouvernement dans ce drame » (Vincent Sosthène
Fouda), que « les catastrophes et scandales en série dans ce pays sont dus à la
mauvaise gouvernance et à l’absence de politiques publiques claires et lisibles »
(Joshua Osih), que « notre véritable problème c’est l’impunité et l’inertie » (Petit
Pays), que « C’est la gouvernance globale de l’État qui est plus que jamais en
cause » (Ben Christy Moudio), que « le régime actuel est incapable de fournir des
services de base, sûrs et sécurisés le transport de ses citoyens entre ses deux plus
grandes villes » (Edith Kah Walla) et que « cela relève de l’irresponsabilité
général (sic) du gouvernement qui nous gère » (Honorable Soub Lazare), bref
« c’est trop » (Edith Kah Walla). Aussi, les questions rhétoriques que les uns et
les autres posent sont révélatrices de ce que le gouvernement est totalement
immergé en matière de responsabilité lorsqu’il s’agit du déraillement du train
152. La presse gouvernementale dans sa vitrine du deuxième jour de la médiation
du déraillement, recadre l’accusation des responsables du drame :
(13) Ce drame a encore le mérite de confirmer ce que nous savions déjà : nous
avons un réel problème d’infrastructures routières et ferroviaires. CT,
25/10/2016
Dans Cameroon Tribune, c’est par le biais du pronom personnel « nous » que
la rédaction exprime la communion au Cameroun en insistant sur la conscience
de la vétusté des voies de transport qui s’avère une belle excuse pour les
défenseurs du gouvernement quant au déraillement. L’expression « confirmer ce
que nous savions déjà » vient légitimer le fait que la faute revient non pas au
gouvernement, mais à la vétusté des infrastructures qui s’avérait être un manque
de moyens financiers pour la réhabilitation des infrastructures par le régime en
(16) Comme d’autres jeunes gens et filles, elle a témoigné de l’émotion qui a
parcouru le petit monde de l’université : « je suis très touchée par ce que nous
avons vu. Je voudrais que les blessés soient soignés dans de bonnes conditions
mais je n’ai pas d’argent pour les assister. Je donne donc un peu de mon
sang. » CT, 03/11/2016
(17) Une : Accident d’Eseka (surtitre) Le train 152 comme l’affaire Albatros ?
(titre) LNE, 16/11/2016
1.2 L’interdiscours
Le jeu d’interdiscursivité participe des stratégies discursives que le sujet met
en œuvre pour tenter d’influencer son interlocuteur (Charaudeau, 2006 : 34).
Amossy (2000 : 99) utilise le terme d’interdiscours pour renvoyer à la
dissémination et à la circulation des éléments doxiques dans les discours de tout
type. L’interdiscursivité est omniprésente dans tous les actes de communication,
mais elle n’est pas toujours montrée comme dans les citations (Charaudeau,
2006 : 38).
L’expression « vendredi noir », qui s’emploie en société par les uns et les autres,
est récupéré dans les presse comme un « îlot » qui a échappé à l’opération de
reformulation du discours par le locuteur-journaliste et que l’on peut donc
qualifier de « textuel » (elle est utilisée déjà pour formuler les titres de presse et
viennent dans ces deux presses évaluer le jour de l’accident). L’adjectif « noir »
qui accompagne le jour vient connoter l’inhabituel, le deuil, la perte énorme en
vies humaines. Même au niveau de la dénomination du train 152, on a des îlots
textuels qui la dénomment autrement, surtout négativement :
(21) Jean Roger KEMYO rend l’âme dans le « train fou » LM, 26/10/2016
(22) surtout lorsqu’il faut défendre des personnes en détresse comme les
victimes du « train de la mort ». LNE, 18/11/2016 David Nouwou
(23) Des sources proches de ce dossier révèlent que l’un des ministres qui
a été le plus « cuisiné » par cette commission est bien le ministre des
travaux publics (sic) Emmanuel Nganou Djoumessi. LNE, 30/11/2016
PAS SIGNE P.10
qui pense que s’il y a eu catastrophe à Eséka, c’est tout simplement parce que les
gouvernants ne sont plus à la hauteur des enjeux du pays. Plus précisément, l’une
des personnes qui est en incapacité de gérer dans le gouvernement est Emmanuel
Nganou Djoumessi qui a été « cuisiné » par la commission d’enquête. Si donc ce
gouvernement est dans l’incapacité de gérer les affaires publiques et citoyennes,
c’est parce que, comme le dit un ancien membre du gouvernement, Marafa, au
Messager, ce gouvernement travaille dans la distraction, la négligence, dans une
« incurie » totale. Ces îlots textuels ne sauraient avoir, chacun, un équivalent
sémantique dans la langue parce qu’ « Une autre propriété essentielle de
l'autonyme est qu'il n'a pas de synonyme. Cette propriété est due au fait que,
contenant son signifiant dans son signifié, il ne saurait être mis en relation avec
un autre signe qui aurait le même signifié, et un autre signifiant, ce qui est la
définition de la synonymie » (Authier-Revuz, 1992, p.40).
Nous venons de voir comment le discours sentencieux, les lieux communs et
les typologies d’argument qui sont des manifestations du discours doxique,
viennent permettre aux machines médiatiques, dans un conformisme, d’accuser
Camrail comme étant le responsable du drame. Également, la presse privée à
travers les énonciations internes et externes, trouve que le gouvernement à sa
part de responsabilité dans ce drame. Enfin, la presse officielle veut montrer que
tout va pour le mieux par un discours d’héroïsation. Il faut bien voir cependant
que, dans le discours argumentatif, les phénomènes de stéréotypie interviennent
sur le plan de l’énonciation aussi bien que de l’énoncé (Amossy, 1994).
2. La situation d’énonciation
La rédaction d’un article de presse suppose deux parties au préalable. On a
un auteur qui construit une information en direction d’un lecteur. Entre ces deux
parties, l’objet-article qui est une marchandise doit remplir un certain nombre de
caractéristiques notamment la pertinence et la beauté. Très souvent, l’auteur d’un
article, dans l’optique de vouloir faire savoir à l’autre que ce qu’il dit est vrai,
doit s’impliquer dans le texte. Le texte argumentatif suppose une forte
implication de l’argumentateur (Claude Jamet et Anne-Marie Jannet, op. cit. :
240). D’ailleurs, l’environnement physique de l’énonciation, ou contexte
situationnel permet d’interpréter des unités comme « ce lieu », le présent, le « je »
ou « tu » (Maingueneau, 2012 : 15). Dans cette section, nous analyserons
uniquement les marques de l’énonciateur car une analyse des pronoms
personnels permet ainsi de faire intervenir l’auditoire, défini comme l’ensemble
de ceux qu’on veut persuader, aussi bien sous la forme d’un « tu » et d’un
« vous » que d’un « nous » (Amossy, 2000 : 42). C’est à travers cette dernière
catégorie de marques que les journalistes véhiculent leurs positionnements.
2.2 Cameroon Tribune et l’expression d’une norme sociale sous la forme d’une
morale à maintenir
Dans le cas de Cameroon Tribune, nous avons une mise en évidence des
interlocuteurs par le prisme des pronoms dans l’article « Forts, ensemble » de
Marie-Claire Nnana du mardi 25 octobre 2016. En gros, les éléments linguistiques
qui permettent de repérer les marques de celui qui parle dans le texte sont entre
(29) Même si nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour tirer les leçons
de ce drame, nous pouvons déjà en dégager quelques-unes. CT, 25/10/2016
Marie-Claire Nnana
(31) Sous le ciel paisible où s’écoulaient nos jours, une vraie déflagration
[…] On peut admettre, dans une lecture réaliste, que les effondrements de
ponts et les déraillements de trains ne sont pas l’apanage des pays en
développement comme le nôtre. Ces derniers mois, ils se sont produits
aussi bien en Amérique du Nord, qu’en Europe du Nord et en Asie. […] Il
faut une modernisation tous azimuts de nos infrastructures. CT,
25/10/2016 Marie-Claire Nnana
On voit bien la trajectoire. Elle montre d’abord que tous les Camerounais
vivaient paisiblement (« Sous le ciel paisible où s’écoulaient nos jours ») avant de
faire savoir que la situation de crise dans laquelle le peuple camerounais est
immergé (« les effondrements de ponts et les déraillements de trains ne sont pas
l’apanage des pays en développement comme le nôtre ») se retrouve également
(33) C’est parce que le prosaïque axe lourd comme nous appelons
bêtement ici10 s’est effondré à cet endroit que des illuminés qui nous
gouvernent ont pensé bien faire en attelant maladroitement ces voitures
qui ont achevé le voyage dans un ravin […] Parce que nos vies à nous ne
comptent que pour des prunes. LM, 28/10/2016 Jacques Doo Bell
Il s’agit du journaliste et les gouvernés, les administrés qui sont mis en exergue.
Enfin ce déictique s’élargit pour toucher le Cameroun en général. C’est pourquoi
on lit :
(34) Ailleurs, on a le sens de responsabilité, chez nous on ne se soucie que
de son confort personnel. LM, 28/10/2016 Jacques Doo Bell
trompe point, ce qu’il dit est vrai et serait même accepté par tous les autres
compatriotes. Le pronom « on », la négation restrictive « ne … que » et la forme
pronominal « se soucie » associé à « chez nous », viennent démontrer la
dénonciation d’un malaise qui dure, de la corruption que tout le monde est censé
le savoir et même le partager. D’ailleurs, Roseline Koren estime que
(37) on nous signale cependant, que l’eau a atteint son trop plein et qu’il
faut penser à amener autre chose LNE, 26/10/2016
Conclusion
L’exploitation des contextes par les machines médiatiques du corpus a une
visée argumentative surtout que chaque instance médiatique a une position
qu’elle défend. En effet, Lamizet (2006 : 65) affirme que « le discours des médias
est à la fois une représentation de l’événement et un engagement politique ». Ces
organes médiatiques se conforment lorsqu’il faut qualifier le jour du déraillement
comme un « vendredi noir », lorsqu’il faut apprécier péjorativement le train 152
et lorsqu’il faut voir Camrail comme étant le responsable de la tragédie. La presse
privée accuse tous les responsables de l’accident, Camrail et le gouvernement,
tandis que la presse publique en déclinant la responsabilité des gouvernants,
recadre l’accusation sur Camrail et montre comment la gestion de l’après
déraillement est parfaitement maitrisée par ledit gouvernement. Est-ce la même
logique qui se dessine lorsqu’il s’agit des émotions mises en discours ?
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(eds.), Dianoia, Marne.
Abstract: This paper sets out to delve into the means of consolidation and
rework of the prediscursive ethos with the strategic aim of regaining
and/or conserving the audience’s confidence in the Cameroonian President
Paul Biya’s speech to the Nation on 10 September 2019. This speech was
delivered within the backdrop of a serious security crisis in the two
English-speaking regions of Cameroon. In the light of discourse analysis as
conceptualized by Maingueneau and of an integrative argumentative
approach dear to Amossy, this study shows that this speech show-cased
two elements of the procedure for the elaboration of a discursive personal
image. First, the speaker stands on the foundational beliefs of the political
field in order to reiterate his legitimacy and credibility. Then he mobilizes
shared values in order to present himself as a president who is close to his
people, cares about their well-being and who promotes national unity and
social inclusion, a man of peace. He also portrays himself as a fervent
defender of his sovereignty as Head of State and of the territorial integrity
of his country, both being victims of terrorist aggressions. Using the same
tools, he also wants to be seen as a fervent promoter of respect for the laws
of the republic and of justice. Through this elaborate image, the speaker
realizes a good discursive and rhetorical integrity that would have aroused
the confidence of his audience.
Introduction
Sortant de son calendrier traditionnel d’adresses à ses compatriotes, Paul
Biya, Président de la République, Chef de l’État du Cameroun, s’est adressé à la
Nation le 10 septembre 2019. Ce message1 radio-télévisé intervient à un
moment où la nation camerounaise est secouée en ses régions dites
anglophones par une importante crise sécuritaire et par des tensions socio-
politiques et à un moment où, de fait, une certaine pression politico-
diplomatique semble s’exercer avec acuité sur lui. De ce fait, la réputation de
l’homme politique chevronné semble aussi en recevoir des coups importants.
Ainsi, ce message à la Nation est traversé par un projet de consolidation et de
retravail de son ethos ou image de soi qui seront l’objet du présent article. Dans
une perspective qui est celle de l’analyse du discours entendue comme l’étude
de l’imbrication d’un texte et d’un lieu social (Maingueneau 2014, pp.43-44),
nous nous proposons de mettre en lumière les procédés par lesquels Paul Biya
tente d’effectuer discursivement la consolidation et le retravail de son image
aux fins de regagner et/ou de conserver la confiance de son auditoire, qui est à
la fois national et indirectement international. Ceci nous conduit à adopter
l’approche argumentative intégrative que Ruth Amossy développe dans
L’Argumentation dans le discours (2000). Cette approche s’intéresse au pouvoir de
la parole à influer sur son public et aux moyens verbaux qui assurent la force
illocutoire de la parole sans aucun penchant évaluatif.
1 Nous avons travaillé avec la version PDF de ce discours téléchargée du site officiel de la Présidence de la
république du Cameroun ˂http://www.prc.cm/discours˃. Elle est donnée en annexe de cette réflexion.
homme a plus de poids que celui que peuvent fournir ses paroles », « un
homme de bien est seul à pouvoir bien dire » (Amossy 2007 pp.62-63). Il s’agit
de l’image que porte le locuteur ou que se fait l’auditoire de lui avant sa prise
de parole. Il correspond à ce que Charaudeau appelle « identité sociale »
(Charaudeau 2009 p.19).
Dans ce travail, nous ne nous intéressons pas à la querelle qui vise à
valoriser l’un ou l’autre de ces deux versants de l’ethos oratoire. Ce qui nous
intéresse, c’est l’intrication des deux dans le discours au service de l’efficacité
discursive ou de l’influence de la parole. Si l’on s’en tient à l’affirmation de
Christian Plantin (Cf. Charaudeau 2009 p.63) selon laquelle « Le discours est
obligatoirement teinté par la réputation du locuteur, et même, à l’occasion, par
l’histoire conversationnelle qu’on entretient avec lui : il y a une permanence de
l’image de soi donnée à l’autre », on est en droit de dire que l’ethos préalable,
tout comme l’ethos discursif, est pris en compte dans le discours. C’est sur lui
que l’ethos discursif dans tout son déploiement s’appuie pour donner à
l’homme du discours tous ses airs rhétoriques. Du fait que tous les deux se
trouvent désormais dans le discours, il est tout à fait raisonnable de parler de
l’ethos tout court ou encore de l’ethos discursif pour parler de ces deux
versants. Un locuteur, selon les objectifs de sa sortie discursive, peut choisir de
renforcer ou de retravailler une image qui circule déjà de lui ou encore d’en
créer une toute autre. Le reste de ce travail s’interroge sur comment Biya
consolide et retravaille l’image qui lui est déjà collée par l’imaginaire collectif
depuis le début de la crise dans les deux régions d’expression anglaise.
Comment Paul Biya procède-t-il dans son discours à la consolidation de
certains aspects de l’image qui circule de lui dans la société camerounaise et
internationale ?
il est bénéficiaire doit chaque jour être méritée à travers des actes concrets, d’où
la question de la grandeur fonctionnelle du pouvoir politique.
Dès le départ, fidèle à une option qui m’est chère, j’ai instruit l’instauration d’un
dialogue entre le Gouvernement et les organisations syndicales en vue de trouver
des réponses appropriées à ces revendications. Les mesures qui ont été prises par
le Gouvernement à l’issue de ces concertations sont allées bien au-delà des
revendications de départ. Qu’il me soit permis d’en énumérer quelques-unes.
Biya (2019, p.1)
Nous avons prouvé que lorsque nous sommes unis, il n’y a pas de difficulté
que nous ne puissions surmonter, d’obstacle que nous ne puissions
franchir. Nous l’avons prouvé hier. Nous le prouverons encore aujourd’hui
et demain.
Biya (2019, p.8)
Ce pronom personnel construit un collectif national qui est appelé à être soudé
en tant que tel pour pouvoir faire face à ses défis collectifs et individuels. Ce
n’est que quand ce collectif national agit comme une entité unie et inséparable
qu’il a la victoire (« Nous avons prouvé que lorsque nous sommes unis… »). Il
s’agit donc d’un « nous » de l’inclusion sociale, politique, culturelle et
économique de toutes les forces positives de la nation camerounaise. Paul Biya,
dans ce discours se montre proche de son peuple dans une formule d’unité et
d’inclusion nationale sans laquelle la nation cesserait d’exister : « Ensemble
nous avons relevé de nombreux défis et remporté d’innombrables victoires »
(Cf. Biya 2019, p.8). C’est la preuve que nous le ferons encore et toujours.
Les pronoms possessifs et les adjectifs possessifs, quant à eux marquent
davantage cet appel à l’unité nationale, cette inclusion socio-politique, cette
appartenance et surtout cet attachement viscéral de Paul Biya à son peuple et à
sa nation. Ces possessifs se retrouvent prioritairement dans des expressions
telles que « notre pays », « nos populations », « nos compatriotes/ nos frères et
sœurs des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ». Par ces expressions, l’on
voit bien que le pays appartient à tous les citoyens au rang desquels le
président lui-même et ainsi sa construction et sa gestion ont été et sont une
affaire de tous :
Cette crise, faut-il le rappeler, est née des revendications corporatistes des
Avocats et des Enseignants, qui réclamaient la traduction en langue
anglaise des Actes Uniformes OHADA et la préservation de la spécificité
du système judiciaire et du système éducatif anglo-saxon dans les deux
régions.
Biya (2019, p.1)
En un président qui écoute son peuple, il affirme avoir apporté des réponses
appropriées à travers des mesures qui allaient au-delà des revendications
exprimées : « Les mesures qui ont été prises par le Gouvernement à l’issue de
ces concertations sont allées bien au-delà des revendications de départ » (Cf.
Biya 2019, p.1). C’est un président qui ne peut dormir si une partie de ses
populations est en souffrance et se rapproche davantage d’elle pour
comprendre ses cris et ses désirs :
Par ces procédés, Paul Biya est donc attaché à son peuple, ressent ce qu’il
ressent, l’écoute et œuvre à la réalisation de ses désirs les plus profonds. Il est
attaché à l’unité de la Nation, à sa sécurité, à sa paix et à son progrès. Pour lui,
c’est ensemble, dans l’unité que l’on peut et pourra relever tous les défis
auxquels on fait face en tant que Nation.
Dès le départ, fidèle à une option qui m’est chère, j’ai instruit l’instauration
d’un dialogue entre le Gouvernement et les organisations syndicales en vue
de trouver des réponses appropriées à ces revendications. Les mesures qui
ont été prises par le Gouvernement à l’issue de ces concertations, sont
allées bien au-delà des revendications de départ.
Biya (2019, p.1)
Dans cet élan d’homme de paix, ce locuteur fait voir aussi les airs d’un
homme qui préconise l’apaisement et le pardon en temps de crise. C’est ce qui
ressort de cet extrait : « Dans un souci d’apaisement, j’ai même décidé de l’arrêt
des poursuites judiciaires pendantes devant les tribunaux militaires contre 289
personnes arrêtées pour des délits commis dans le cadre de cette crise » (Cf.
Biya 2019, p.3). Cela participe d’un acte d’apaisement et de pardon. Il le fait en
bon père de famille pour ceux qui avaient été arrêtés pour des délits liés à la
crise. Ce pardon va plus loin pour toucher ceux qui sont encore en train de
perpétrer des actions au rang des plus barbares et inhumaines.
Dans le même ordre d’idées, j’ai adressé une offre de paix aux membres des
groupes armés, en les invitant à déposer les armes et à bénéficier d’un
processus de réintégration dans la société.
Biya (2019, p.3)
Il n’y a pas d’homme plus pacifique pour ouvrir une telle porte en temps de
guerre à celui qui est considéré comme l’ennemi. Le caractère pacifique de Paul
Biya est ainsi dessiné dans son discours pour refaire la pensée populaire qui
commençait déjà à être négative à son sujet. Si l’homme politique, un dirigeant,
est si proche de son peuple et si doux et pacifique et une partie de ce peuple
continue de livrer la guerre contre la Nation, cet homme peut se considérer
comme une victime des agressions terroristes.
Le monde entier a été témoin des atrocités commises par ces groupes armés :
mutilations, décapitations, assassinats des éléments Forces de Défense et de
Sécurité, des autorités administratives et des civils sans défense, destructions des
infrastructures et édifices publics, incendie des écoles, des hôpitaux, etc. ».
Biya (2019, p.2)
souffrance de ce peuple et peut parler en son nom. Si le peuple est attaqué, c’est
lui qui est attaqué. Encore plus si un projet de partition est formulé au sujet du
territoire dont il est gardien, c’est lui qui est provoqué. Les termes qu’il emploie
pour désigner ceux qu’il considère comme des ennemis de la Nations son
suffisamment graves et relèvent du registre réservé aux mouvements terroristes
dans le monde : « mouvements radicaux », « projet sécessionniste », « groupes
armés ». Leurs actions sont aussi suffisamment déplorables et causent la
souffrance des populations et la terreur: « ont causé un lourd tribut aux
populations », « atrocités commises », « mutilations, décapitations, assassinats,
destructions des…, incendie des écoles et hôpitaux ». Tout ceci réalise l’acte de
langage d’affirmation et de réaffirmation que l’État est victime des agressions
terroristes.
Pour se rendre plus crédible, il prend à témoin le monde entier : « Le
monde entier a été témoin des atrocités commises par ces groupes armés ». Les
exactions « intolérables » attribuées aux groupes armés dans les régions en crise
mettent davantage en lumière le statut de victime que se donne Paul Biya et
justifie des interventions des Forces de défense et de sécurité en légitime
défense :
Face à ces actes intolérables, les Forces de Défense et de Sécurité ont
pris des mesures énergiques, souvent au péril de leur vie, pour
assurer leur devoir de protection des citoyens et de leurs biens.
Biya (2019, p.2)
Tout doit être « dans le cadre de notre Constitution ». Tout ce qui ne cadre
pas avec la Constitution de la République est d’office exclu de tout débat
républicain. Cette précision montre à suffisance que ce locuteur tient
farouchement à la loi. Ensuite, il insiste sur le fait que tous ceux qui ont commis
et commettent des crimes odieux contre le peuple et contre la Nation doivent
être punis conformément à la loi, à moins que l’on veuille instaurer l’anarchie :
Conclusion
À tout prendre, le discours de Paul Biya à la Nation le 10 septembre 2019
est traversé de part en part par une volonté de regagner et/ou de conserver la
confiance de son auditoire, la communauté nationale, voire internationale, dans
une situation de crise dans les deux régions anglophones du pays. Nos analyses
montrent bien que cela est possible à travers des procédés de consolidation et
de retravail de l’ethos qui est l’image de soi élaborée discursivement et appuyée
sur un redéploiement de la réputation pré/extradiscursive que d’aucuns ont
appelée ethos préalable. Par le truchement des croyances fondatrices de l’illusio
politique que sont la grandeur originelle et la grandeur fonctionnelle du
pouvoir politique, il a pu asseoir sa légitimité et sa crédibilité. Il ira plus loin
construire et promouvoir les valeurs d’inclusion sociale et d’’unité nationale à
l’aide des procédés tels que les termes d’adresse, les déictiques personnels de la
première personne du pluriel et l’étalage de sa parfaite connaissance et de ses
actions relatives à la crise anglophone. Par-là, il crée une certaine intimité avec
le peuple et reste permanemment à son écoute, ce qui montre sa bienveillance
vis-à-vis de ce peuple. L’inclusion sociale, qu’il opère principalement par le
« nous », réfute la thèse d’une quelconque marginalisation des Anglophones. En
se servant des évidences ou des valeurs partagées, à savoir la paix, la
souveraineté et l’intégrité territoriale et la justice, Paul Biya a montré son
attachement à la paix par le dialogue et le pardon (bienveillance), son
attachement à la justice par sa détermination à assurer le respect des institutions
Références bibliographiques
AMOSSY R. 2010. La présentation de soi. Ethos et identité verbale, Paris, PUF, PDF.
LE RÉCIT MYSTIQUE
DANS LE ROMAN AFRICAIN FRANCOPHONE
Introduction
Dans son évolution, la littérature africaine a connu plusieurs étapes.
Après la période de désillusion qui a suivi la période de contestation, les
romanciers continuent leur entreprise de révélation de l'Afrique sous toutes ses
formes. En effet, à côté de la représentation des réalités africaines, les écrivains
africains donnent de mieux découvrir l'Afrique dans son intégralité à travers la
représentation de certaines croyances culturelles et cultuelles des peuples noirs.
La représentation de ces croyances comme la métempsycose, la sorcellerie, Le
culte des mânes etc., invite alors à entrer dans un univers mystique et surnaturel.
Devons-nous par conséquent parler de littérature fantastique africaine plus
précisément dans le genre romanesque ? Quelle que soit la réponse, un constat
montre que le roman ne laisse plus au conte, à la légende, au mythe et à l'épopée
le soin de plonger le lecteur dans un univers magico-religieux. Dans leurs écrits,
l’on observe que des romanciers se sont lancés dans cette entreprise, insérant dès
lors le surnaturel dans leur récit. Cette présence du mystique pousse à
1Dans la religion païenne, c’est Le passage d’une âme d’un corps dans un autre.
2 Selon une légende populaire, chaque être humain possède un double animal dans la nature. Pour Kibangui, le
personnage principal, il s’agit d’un porc-épic. Ce dernier est un « double nuisible » destiné au mal contrairement aux
«doubles pacifiques » qui protègent et recherchent du bien.
principal, le jeune Kibandi, a été depuis l'âge de dix (10) ans initié par son père à
la sorcellerie. Cette initiation lui procure un double animal qui l'aidera dans sa
mission de mangeurs d'hommes et avec qui il mit fin à la vie de quatre vingt dix
neuf (99) personnes.
Dans ce roman de Mabanckou, la première dimension mystique se trouve
dans le fait que l'histoire est narrée par un animal (un porc-épic) doté d'une
capacité humaine : la parole. L'introduction du porc-épic dans le récit en fait le
narrateur principal et introduit une dimension surnaturelle dans le roman. Ce
dernier joue d'ailleurs dans la narration le rôle du double nuisible. Mabanckou
présente ainsi un roman d'une dimension surnaturelle qui relate l'histoire d'un
homme et de son double nuisible et invisible qui usent de méthodes surnaturelles
pour procéder à des assassinats en série.
Le roman de Mabanckou nous plonge aussi dans la cosmogonie africaine
à travers le mythe des jumeaux. En effet, le personnage Kibangui, que rien ni
personne ne semblait pouvoir arrêter, sera mis en échec par deux jumeaux qui
seront d'ailleurs à l'origine de sa mort.
Dans le roman de Mamadou Samb, le personnage principal traverse une
série d'oppressions liée à une certaine malédiction traditionnelle en vigueur dans
sa vie. Dans Le Soleil, la folle et le taureau, Mamadou Samb s’intéresse à la société
diola. Il plonge ainsi le lecteur dans l’univers mystique de cette société à travers
l’histoire de Néné. Cette dernière est victime d’une malédiction ancestrale qui la
poursuit depuis sa jeune enfance. Cette malédiction va ébranler son foyer à
travers la mort de ses enfants et de son mari. Elle va tenter en vain, par tous les
moyens de s’opposer au destin fatal que ses ancêtres ont dressé pour elle.
Le récit de Samb tourne alors autour d'un cycle meurtrier qui introduit le
thème de la mort. Cependant, cette mort est loin de ne pas passer pour une réalité
mystérieuse. La mort hante le récit car elle est présente sous plusieurs formes.
Trois scènes de morts ne manquent cependant pas d’attirer l’attention du lecteur.
La première se trouve être la scène de la mort des jumeaux. La maladie de la
jumelle était venue rappeler à Gueudjine (le mari de Néné) que la sentence de
mort jadis proclamée sur la descendance de Néné était toujours active.
Cette maladie d’ordre mystique était l’œuvre de divinités supérieures aux
hommes. C’est ainsi qu’Ambou, voulant ramener Gueudjine à la raison lui fit
comprendre que le combat était loin d’être simple : « Gueudjine, tu es très fort
physiquement, mais il ne s’agit pas d’un conflit entre hommes... Fais ce que tu
as à faire, mais avec sagesse » (M. Samb, 2003, p.56).
Contre toute évidence, la mort de leur fille apparaît comme une évidence.
Ce couple était conscient de la mort spirituelle qui planait sur lui à cause de la
malédiction jetée sur Néné. Le caractère mystérieux de cette mort réside aussi
dans le fait que les jumeaux sont morts presqu’en même temps alors que rien ne
laissait présager ce cas. Dans ce dialogue entre l’infirmier et la grand-mère Clara,
le lecteur prend conscience du tragique de la situation :
– Mais au fait, le mort dont vous parlez c’est un garçon ou une fille ?
– Monsieur vous n’allez pas me dire que vous ne reconnaissez pas une fille d’un
garçon ?... Celui qui est dans la salle, c’est le jumeau, il ne fait que dormir, le corps
de la fille se trouve dans la chambre.
– Si tel est le cas, répondit l’infirmier, j’ai peur que tous les deux ne soient alors morts,
car le garçon qui se trouve dans la salle, ne vit plus.
Samb (2003, pp. 77)
intronisé. Par conséquent, la réaction des animaux témoigne que Fama avait une
dimension de chef de terre. Dès lors, son décès ne pouvait passer inaperçu.
Dans La grève des battus, on découvre un personnage, un homme politique,
qui veut bénéficier d'un haut poste politique. Pour espérer avoir la faveur du
Président, ce fervent musulman tente le tout pour le tout et recherche des sciences
occultes capables de changer le cours des choses en sa faveur. C'est ainsi qu'il
demande les services de Kiffi Bokul, un homme que l'auteur peine à décrire, mais
qui peut facilement être considéré comme un esprit incarné ou un féticheur hors
norme. Toujours est-il que ce dernier lui préconise des offrandes à donner aux
mendiants de la rue. Cette prescription est un dilemme pour Mour Ndiaye car
c'est lui-même qui avait pris des mesures contre tous les mendiants de la ville de
Dakar et avait demandé de les bouter hors de la capitale. Dès lors, sa quête
désespérée pour ramener ces mendiants dans la circulation afin de s’acquitter de
son offrande, témoignent de la portée spirituelle des mendiants dans la société
sénégalaise. Malheureusement Mour ne parvient pas à faire céder les mendiants
qui s'étaient repliés aux parcelles assainies. Par conséquent, il perd le poste de
vice- président auquel il aspirait. Pour mieux cerner la portée de cette écriture du
mystique, nous porterons notre analyse sur les pratiques dites mystiques.
Il existe un devoir plus grand, plus noble que celui d’aimer un individu, fût-
il notre parent. Mon fils, c’est ce devoir qui arme la main du juge, qui arme
la main du responsable du chef ... dans cette enceinte, on vient pour se
soumettre. Tu devras comprendre que tu n’es pas libre de dire et de faire ce
que tu veux, car ton bonheur ne réside pas dans la liberté mais dans
l’acceptation de l’héritage que tes ancêtres ont accumulé.
Samb (2003, p. 127)
À travers ces mots, on sent qu’il existe une certaine homologie de sens entre la
souffrance corporelle et morale pour la quête du divin. Louis Gardet dans son
Ici, mon enfant, je m’occupe de la préservation de l’héritage que nos ancêtres nous
ont laissé. Je veille à l’application des règlements, au suivi strict des rites de nos
traditions qui semblent absurde à vos yeux et qui pourtant façonnent chacun d’entre
nous.
Samb (2003, p. 126)
Il apparaît donc comme un fait impossible que celui de se départir du culte des
idoles et des fétiches. Ceci est d’autant plus vrai que les fétiches semblent
posséder une arme fatale qui se trouve être la mort que rien ne peut stopper. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle les féticheurs comme Balla sont craints.
Ainsi, les libations et les sacrifices sont les monnaies d’échange auprès des
fétiches soit pour apaiser leur colère soit pour avoir leur faveur. Ces sacrifices
doivent être accompagnés d’une disposition précise et rigoureuse que doit
adopter le sacrificateur au moment des sacrifices rituels.
portée spécifique que seuls les initiés maîtrisent. C'est pourquoi ils sont
accompagnés d’un rituel précis et rigoureux. Dans nombre de traditions
africaines, le sacrifice permettait de déjouer le mauvais sort. « Dans toute
l'Afrique d'avant les soleils des indépendances, les malheurs du village se
prévenaient par des sacrifices » (A. Kourouma, 1970, p.154). Chaque sacrifice est
en lui un rituel particulier qui nécessite une ou plusieurs phases d’incantation.
Ainsi à travers le personnage de Kouyack, le lecteur découvre la gestuelle du
vieux féticheur- Kouyack fit remarquer :
Tous les sacrifices qui sont faits dans les romans du corpus passent
inconditionnellement par du sang versé. Le sang a toujours été, dans l'univers
spirituel, comme une monnaie d'échange pour une alliance ou pour l'obtention
d'une faveur divine. La valeur du sacrifice est déterminée par la valeur de ce à
quoi on s'attend. Le sang versé est ainsi le moyen par lequel les esprits se
déploient pour opérer dans le surnaturel. Plusieurs passages évoquent ainsi la
valeur de ce liquide vital. Dans Les Soleils des indépendances, le narrateur évoque
la valeur de ce liquide au moment des sacrifices de Fama pour la cérémonie
mortuaire du quarantième jour de son cousin. Il déclara à cet effet : « Le sang est
prodigieux, criard et enivrant. De loin, de très loin, les oiseaux le voient
flamboyer, les morts l'entendent, et il enivre les fauves. Le sang qui coule est une
vie... » (A. Kourouma, 1970, p.141).
Chaque sacrifice a une valeur qui lui est propre ainsi qu'un rituel
particulier. C'est ainsi que Sow-Fall, pour présenter le personnage de Kiffi
Bokoul, parle du sacrifice spécial qui a été offert par ses parents afin de conjurer
leurs années de stérilité. A cet effet, le narrateur fit savoir : : « Pour cette femme
exemplaire, le mari avait offert aux esprits poudre d'or, lait de chamelle et sang
de taureau tout fumant dans la fraîcheur de l'aube à peine naissante » (Sow-Fall,
1979 : 108). De même, plus le sacrifice que l’homme offre aux esprits est rare et
précieux, plus il a de chances de recevoir ce qu’il demande.
2.3. La voyance
Le rituel de voyance ou divination est bien présent dans les œuvres mais
encore plus dans La grève des bàttu. Aminata Sow Fall y montre que cette pratique
est le quotidien de certains comme Mour Ndiaye. Dans le roman de Sow Fall, le
maître d'œuvre des pratiques mystiques religieuses est la personne du marabout.
Le marabout, selon les croyances de bon nombre de pays islamisés, est
quelqu'un qui a une assise dans la connaissance du Coran. Cette maîtrise de ce
livre saint lui donne alors la capacité surnaturelle de manipuler ou d'influencer
le cours naturel des choses. En effet, les pratiques divinatoires de Abdoulaye,
marabout de Salimata nous permet de découvrir tout le syncrétisme qui entre en
jeu dans les pratiques de voyance : « Il usait de trois pratiques : le traçage des
signes sur sable fin (évocation des morts), jet de cauris (appel des génies), lecture
du Coran avec observation d’une calebasse d’eau (imploration d’Allah) » (A.
Kourouma, 1970, p.68).
Cette forme de main mise que ces voyants ont sur le monde invisible fait
qu’ils sont prisés par les hommes d'affaires et les hommes politiques de la trame
de Mour Ndiaye en quête d’un avenir meilleur. En effet, après avoir fait interdire
toute forme de mendicité dans les rues de la ville de Dakar, le fonctionnaire de
l’administration est informé d'un imminent remaniement ministériel. Alors, pour
se donner les chances d’être nommé vice-président, Mour a recours aux services
d'un marabout et d'un féticheur, lesquels lui demandent d'offrir des sacrifices
aux mendiants. À partir de là, le récit entre dans une autre dimension, celle où
un acte, à première vue anodin, influencerait une décision politique et
administrative. Par-delà même le rôle de ces deux hommes mystiques, c'est
l'image du mendiant qui est auréolée d'un titre mystique. En effet, ces êtres
humains considérés comme des rejetés, des loques humaines, semblent être l'âme
même des citadins. Ces derniers donnent aux mendiants une si grande capacité
d'intercession divine qu'ils n'hésitent pas à se déplacer pour les trouver dans leur
maison aux parcelles assainies afin de leur donner une offrande.
La voyance ici est pratique dans le seul but de conjurer le mauvais sort, de
maximiser les chances d'un individu en vue d'une situation socio-politique ou
financière bien précise. C'est ainsi que Salimata, dans en quête d'un enfantement
a recours aux services de marabouts dont Abdoulaye qui après ses pratiques
divinatoires annonçait le sacrifice nécessaire (cf. p. 70).
Abossolo montre ainsi qu’il n’existe pas de frontière entre les deux mondes. Cette
implication des morts et vivants apparaît dans les propos de Néné pour mettre
en garde les villageois venus pour l’enterrement de Gueudjine et qui élevaient
des propos malveillants à l’endroit du défunt : « Sachez que, lui mort, son âme
est beaucoup plus libre pour hanter vos esprits. [...] Que ceux qui avaient peur
de lui vivant sachent qu’il est temps de se cacher maintenant qu’il est mort » (M.
Samb, 2013, p.100).
Ces propos témoignent du respect qui est plus voué aux morts qu'aux
vivants car le mort revient auprès des siens, plus fort et plus insaisissable. Cela
semble d'autant plus vrai lorsqu'on voit l'attitude des populations face au taureau
ayant blessé l'immolateur, affolé par un coup de fusil. L’intervention d’Ambou,
père de Kouyack donne un aperçu sur le mystère :
Gueudjine, nous savons, nous tous ici réunis, que le Gueudjine, ton
homonyme animal, n’a rien à voir avec ce drame. Ton âme s’est introduite
en lui pour continuer à nuire, ce qui ne peut durer. Il est temps d’en finir, dit
mon père, qui pointait son doigt tantôt sur le corps de Gueudjine homme,
tantôt sur le corps de Gueudjine animal.
Samb (2003, p. 99)
Dans les pratiques liées au culte des morts, figure en bonne place la
chanson qui peut servir de point de contact entre le visible et l’invisible. Dans Le
Soleil la folle et le taureau, les rites funéraires de Gueudjine permettent aussi de
mettre en évidence la relation entre les morts et les vivants en milieu diola. Le
mort reçoit ainsi des hommages qui lui sont dus à travers des chants et des danses
qui se font toute la nuit : « La veillée fut unique dans son genre. Ses amis, ses
anciens compagnons et adversaires de lutte étaient venus nombreux des villages
voisins, pour chanter et danser toute la nuit au son des tam-tams et des flûtes
guerriers ». (M. Samb, 2013, p.95). Guiomar considère ces chansons qui entrent
dans le rite funéraire comme étant un signe de refus de l’idée de la mort. Il
s’explique en ces termes :
Dans le funéraire entre à la fois les conceptions métaphysiques d’une société
et d’un individu mais aussi, avec toutes les catégories de la Mort venue de
ces conceptions, une sorte de divertissement, parure mise sur la Mort et sur
le mort, pour voiler ce qui est inconsciemment refusé, la destruction.
Guiomar (1967, p.149)
De plus dans la société diola, les morts sont honorés à travers du sang
provenant d’immolations d’animaux. C’est un moment solennel car la grandeur
de la personne est rendue visible par la quantité de sang versé le jour de son
enterrement. Parlant de celui de Gueudjine, le narrateur raconte:
Les animaux furent amenés au milieu du grand cercle que formait
l’assistance, face à la demeure du défunt. Un grand taureau noir aux longues
cornes fermait le défilé de chèvres et de cochons qui criaient en tentant de
s’échapper [...] Les animaux, tués à tour de rôle, agonisaient avant de
s’éteindre dans une dernière ruade de souffrance.
Samb (2003, p. 96)
2.5. L'initiation
L'initiation est le chemin par lequel d'autres portes de connaissances sont
ouvertes à l'initié. Dans certaines cultures africaines, l'initiation est le moment où
certains éléments sociaux et spirituels sont révélés à l'initié. Ce dernier découvre
alors les réalités mystiques autour de laquelle sa société est régie. Le dictionnaire
Le Nouveau Littré le définit en ces termes : « Chez les anciens, action d'initier aux
mystères ; cérémonie qui accompagnait cette action » ou encore : « Première
Conclusion
Cette étude a révélé que la présence du surnaturel est ancrée avant tout
dans la tradition et la vie quotidienne de l’Afrique noire. C’est alors ce qui justifie
la grande place donnée aux pratiques mystiques dans nombre de romans
africains, surtout ceux constituant ce corpus qui accordent à chacun de découvrir
le mysticisme tel vécu dans de nombreuses sociétés africaines. Dans le roman
africain la représentation de cette particularité mystique est mise en valeur par
un style particulier prompt à faire voyager le lecteur dans un monde fantastique.
Les romans du corpus nous introduisent ainsi dans un univers mystérieux, où
des éléments surnaturels ne provoquent toujours pas de sentiment de peur mais
l’admiration et le respect. Cette étude a permis de redécouvrir la métaphysique
africaine à travers l’écriture romanesque. Cette dernière expose le surnaturel
comme un élément ordinaire au monde africain. La présence d'éléments liés au
fantastique, au surréel montre une écriture tournée vers le mystique et à ses
pratiques. Cette dernière puise sa source d’une tradition millénaire qui est de
plus en plus révélée par le monde romanesque africain.
Références Bibliographiques
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Karima JOUIDA
Université Abdelmalek Essaâdi – Maroc
jouida.karima@gmail.com
Introduction
Depuis la révolution de 19791, le cinéma iranien ne cesse de gagner un
public curieux qui cherche non seulement à découvrir les secrets d’un pays
excessivement jaloux de sa culture, mais également un pays subissant les vents
du changement qui transforment lentement mais sensiblement l’ensemble des
constantes identitaires de sa civilisation multiséculaire. Rien ne semble pouvoir
1 Également nommée révolution islamique. Il s’agit de la révolution iranienne qui a renversé l’État
impérial d’Iran de la dynastie Pahlavi.
2 La trilogie de Koker est une saga de trois films : Où est la maison de mon ami (1987), La vie continue (1991) et
Au travers des oliviers (1994) dont les histoires convergent, liés par un point commun le village de Koker.
3 (En persan : ﮔﺰارش, Gozāresh), est un long métrage, d’une durée de 112 minutes, racontant la vie d’un
couple qui traverse une grave crise conjugale. Il est l’un des rares films de Kiarostami interprété par des
acteurs professionnels.
4 En outre de ce prix, le film a obtenu Prix du meilleur film étranger au Boston Society of Film Critics
mais s’enlisaient dans les rizières du Viêt Nam. Etroitement lié à la contestation sociale qui animait une
partie de la jeunesse américaine, le genre développe le thème de l’errance dans un esprit proche du roman
picaresque revu par la beat generation. Le road movie exploite le thème traditionnel de la route : il exprime
une quête, un désir d’espace, de découvertes, de rencontres nouvelles. Le récit se cale sur les sinuosités
d’un parcours initiatique, ce qui lui confère une grande liberté de composition et de ton.
6 Interdit en Iran, ce film est arrivé à Cannes à la dernière minute parce que les autorités refusaient le visa
de sortie. En effet, Kiarostami ne l’avait pas présenté au Festival de Téhéran pour obtenir l’assentiment de
la censure.
Je sais que ton devoir c’est de prêcher et de guider les gens. Mais tu es
encore jeune, tu as le temps tu pourras le faire plus tard. C’est de tes mains
dont j’ai besoin. Je n’ai ni besoin de ta langue, ni de ton esprit. C’est ma
chance que ces mains appartiennent à un homme de foi. Avec la patience,
l’endurance et la persévérance qu’on vous apprend, vous êtes la meilleure
personne pour venir à bout du travail.
A. Kiarostami (1997)
7 Signalons qu’Abbas Kiarostami a fait appel à des comédiens non professionnels pour incarner les
différents personnages du film. Parmi lesquels, Homayon Ershadi qui, pour interpréter le rôle de Badii,
recourt à des moyens qui vont au-delà des apparences pour toucher des profondeurs. C’est pour cela
d’ailleurs qu’il a pu suggérer intelligemment tout le mystère qui se rattache au protagoniste.
8 Roman fantastique qui relate les hallucinations d’un fumeur d’opium poursuivi jusque dans sa vie
présente par les tragiques interférences d’une existence antérieure. Jugeant trop audacieuse pour le public
iranien, Hedayat n’en a tout d’abord donné qu’une édition confidentielle (1936) ; il attendit 1941 pour la
publication réelle de ce livre qui, même alors, fit scandale à Téhéran.
En effet, le film décrit une société iranienne, aux antipodes avec la culture
occidentale, qui prêche la liberté dans tous les domaines. Concentrée sur sa
culture, cette société, si l’on excepte une élite d’intellectuels éclairés, lutte contre
tout ce qui peut secouer ses constantes identitaires, pourtant mal adaptées à la
modernité.
Par ailleurs, les iraniens accusent l’implication du régime en Afghanistan,
en Irak, au Liban, en Syrie, au Yémen, qui ont été néfastes aux populations de
ces pays, au peuple iranien et à la communauté internationale.
Tout au long du film, Kiarostami a su dissimiler ses convictions politiques
pour éviter le scandale. Le film propose néanmoins une vision sur la société
iranienne qu’on ne peut déduire qu’en cherchant derrière les mots des acteurs
les messages subtiles du cinéaste. Kiarostami semble avoir été influencé par la
culture politique de son pays c’est pourquoi il essaie de prendre part à l’action
politique par le biais du septième art. C’est d’ailleurs le seul choix qu’il devait
exploiter, en tant que professionnel, pour dire son mot sur ce qui se passe dans
ce pays. L’Iran qui a vécu sous des systèmes politiques qui varient entre le
radicalisme et l’ouverture sur l’autre offre au réalisateur, à l’image de
Kiarostami, la possibilité d’exercer le cinéma et d’exprimer des contradictions
d’une société qui cherche encore sa chance d’échapper à l’hostilité occidentale.
9 Mathématicien, astronome, philosophe et poète musulman perse, Omar Khayyam s'intéressait également
à la musique, la mécanique et la géographie. De son vivant, il fut célébrité dans les deux domaines qu’il
illustra à la perfection : la poésie et les mathématiques.
10 Les Quatrains sont perçus comme épicuriens, mais en réalité profondément empreints de mysticisme
leur pouvoir absolu sur la société sous prétexte qu’ils détiennent la réalité.
Kiarostami cherche donc à réhabiliter l’esprit humain en insistant sur le
principe de la liberté même devant le suicide. L’individu, pour lui, doit exercer
sa liberté totale en faisant de son corps ce qu’il veut et personne n’a le droit de
lui imposer ses choix.
Au cours de sa quête, le personnage principal fait plusieurs rencontres
dans la banlieue de Téhéran avec un soldat, un étudiant en théologie, un
gardien et un taxidermiste. Chacun d’entre eux réagit différemment à sa
proposition. Plus conservateur et marqué par la religion, le jeune séminariste
met en exergue les impasses théologiques du choix de se suicider. L’ordre
religieux interdit le suicide puisqu’il le considère comme un péché. « Puisque
d’après les Hadiths, nos douze Imams et aussi le Coran font allusion au suicide
et disent que l’homme ne doit pas se tuer. Le corps de l’homme est confié par
Dieu. L’homme ne doit pas affliger son corps » réplique le séminariste, (A.
Kiarostami, 1997). L’homme doit se conformer que son corps appartient à Dieu.
A cet effet, on n’a pas le droit de suicide. D’ailleurs le fait de se suicider est un
acte contre soi-même comme le laisse entendre encore une fois le séminariste en
appuyant son idée par des versets du Coran : « Vous ne vous tuerez pas vous-
mêmes »11 et « Et ne vous jetez pas par vos propres mains dans la
destruction ».12
Le taxidermiste, qui est le dernier personnage à qui Badii a demandé de
l’aider dans son projet, a fini par accepter la proposition du protagoniste en
exhaussant ainsi son vœu.
Pour tenter d’endiguer cette envie de mourir chez Badii, le taxidermiste se lance
à la fois dans un plaidoyer poétique et hédoniste sur l’amour de la vie, et lui
racontant des récits qui sont autant d’hymnes à la vie. «Tu es désespéré? Tu as
vu la lune? Tu ne veux pas voir les étoiles?" Tu veux fermer les yeux. Mais mon
cher, tout ça il faut le voir!» dit le taxidermiste, (A. Kiarostami, 1997). En effet, le
taxidermiste pousse Badii à réfléchir sa décision et à voir la vie d’un œil
optimiste en lui rappelant l'abondance des dons de Dieu, la beauté du monde,
les couleurs scintillantes des paysages, les suggestions séductrices de beaux
corps, la saveur des mets succulents,…et le goût de la cerise. La réconciliation
avec l'existence passe par le goût de la cerise suggéré par le vieil homme. Pour
qu'il soit changé, le monde a besoin de bonnes intentions et d'actes de bonté. A
l’encontre du séminariste, le taxidermiste chante la vie et rejette la mort.
Les protagonistes (Badii, monsieur Baghreri,…) dont le rôle varie selon la
parole et l’acte que leur accorde le cinéaste, n’ont ni les mêmes affinités ni la
même vision du monde. Leurs divergences sur Dieu, l’existence, le
bonheur…reflètent les courants de pensées et de philosophie qui agitent la
société iranienne. Dans un climat de contestation politique et religieux, on peut
visiblement relever des courants et des contre-courants mettant en question des
Conclusion
La production cinématographique de Kiarostami s’inscrit dans un courant qui
s’interroge sur la légitimité des fondements politiques et culturels de l’Etat iranien. Un
qui se cherche encore dans un contexte où une confrontation acharnée entre l’esprit
théocratique et la laïcité prend une dimension de plus en plus importante. De ce point
de vue, les thèmes que nous propose Kiarostami méritent d’être traités non seulement
au sein des institutions officielles fermées mais également et surtout aux instances
mises à la disposition du grand public. Dans le film Le Goût de la cerise, comme nous
l’avons constaté, Kiarostami, par le biais d’un questionnement d’ordre philosophique,
s’adresse à toutes les composantes de l’Etat iranien tout en impliquant les dirigeants
qui façonnent, à leur manière, la société sans en avoir le plus souvent son
consentement. Les critiques de cinéma s’accordent, non sans fondement, à qualifier le
cinéma kiarostamien d’avant-gardiste en raison de son esprit révolutionnaire.
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Résumé : À mesure qu’on lit et relit Petr Král, son œuvre et sa vie semblent
de plus en plus à l’analyste qui y consacre une étude que cet auteur s’inscrit
de plein pied dans le champ géopoétique fondamental tel que conçu et initié
par l’Institut international de géopoétique. La dimension transdisciplinaire
de ce champ de recherche et de création, fondé par Kenneth White en 1989,
de même que la prédominance de certains principes tels que créer le poème
de la terre, se consacrer à une belle méditation du monde tout en se posant
la question fondamentale qui consiste à chercher à savoir ce qu’il en est de la
vie sur terre et ce qu’il en est du monde sont si saillants dans l’œuvre de Petr
Král qu’il importe de le souligner.
Abstract: As one reads and re-reads Petr Král, his work and his life seem
more and more to the analyst who devotes to it a study that this author fits
fully into the fundamental geopoetics field as conceived and initiated by the
International Geopoetics Institute. The transdisciplinary dimension of this
field of research and creation, founded by Kenneth White in 1989, as well as
the predominance of certain principles such as creating the poem of the
earth, devoting oneself to a beautiful meditation of the world while asking
the question Fundamental which consists in seeking to know what it is about
the life on earth and what it is of the world are so salient in the work of Petr
Král that it is important to underline it.
Introduction
Depuis quelques années, la dimension spatiale se taille une place de choix
dans le vaste domaine de la critique littéraire. Notamment avec la géopoétique
de Kenneth White que l’on pourrait considérer comme une étude des formes
littéraires qui façonnent l’image des lieux, et une réflexion sur les liens qui
unissent la création littéraire à l’espace. En effet, vers 1978, lors d’un voyage au
Labrador, le mot « géopoétique » vient à l’esprit de cet auteur écossais
contemporain. Son but est de se mettre en étroite relation avec le dehors. « Loin
de la poésie du terroir, il retourne au sens initial du mot « cosmos » et déploie
un monde poétique où le nomadisme intellectuel brise tout carcan idéologique
» (Sophie Chiari-Lasserre, 2006). En fait, l’approche analytique qu’il propose
associe littérature et géographie. Dans le cadre de l’analyse qui est faite ici, cela
permettra d’apprécier les espaces évoqués dans les œuvres de Petr Král et la
façon dont l’imaginaire de celui-ci les affecte tout en mettant en avant leur valeur
symbolique et leur dimension poétique.
En outre, l’étude de la littérature Králienne à travers cette approche est des
plus adaptée dans la mesure où, en tant que théorie, elle servira à analyser, à
interroger l’ouvrage sur la façon dont l’auteur s’intéresse à l’espace comme
représentation de sa mentalité tout comme évolution de celle de l’humanité.
Cette approche permettra aussi de lire dans les textes choisis comment l’auteur
écrit son propre rapport à l’espace qui met en crise le savoir géographique, et
comment au lieu de reproduire les données géographiques, celui-ci les réinvente
et les recrée (M. Collot, 2015, pp.8-23).
Dire le monde à travers une crise de la narration, une déconstruction du
personnage et de l’intrigue au profit de l’espace est l’une des postures de Petr
Král que cette façon de lire le texte permet de révéler. Le thème de l’espace prend
de la valeur dans l’œuvre de cet auteur piéton dont les déambulations
permettent de saisir les lieux à la manière d’un peintre, d’un photographe ou
d’un enquêteur. C’est selon le cas. Cette attention portée sur le lieu se ressent
dans la transcription faite dans l’œuvre. Dans quelle mesure justement cette
large description du lieu noie-t-elle le récit au point de rendre ambiguë pour le
lecteur la scission entre récit et documentaire, fiction et reportage ? Aussi, dans
le souci de mesurer son intérêt pour les espaces qui l’entourent, ceux qui sont
rares comme ceux du quotidien, comment s’en nourrit-il et à quel point ceux-ci
impactent-ils sa création littéraire et sa vision du monde ?
retranscrire passe pour Petr Král, comme il le fait dans son œuvre Enquête sur des
lieux, par se souvenir du monde de son enfance, le monde premier. De cette
tendre enfance, il s’en souvient ainsi :
Dans l’enfance, les lieux semblaient donnés une fois pour toutes,
irremplaçables et définitifs. Pour être dans le vrai, il eut en quelque sorte
suffi d’apprendre leur usage ; gagner leur confiance et veiller à la conserver.
Alors que, dehors, la façade de la villa s’endormait sous des vagues d’été
palpitant contre le crépi de sable, il exploitait l’intérieur dans l’espoir d’en
découvrir les sèves cachées et leurs circuits secrets dans les murs. […] Deux
pièces voisines, à l’étage, se disputaient sa curiosité. Le « boudoir » de la
mère, clair, rêveur, égayé des grands éclats du jour qui entraient par les vitres
larges, rarement voilées, pour mouiller le blanc des porcelaines rangées sur
une longue commode ; une grande psyché, à l’angle, renvoyait à son tour au
ciel le reflet de ses élans. Le salon, à côté était une pièce d’homme : plus
sombre, lambrissé, à la fois protectrice et distante. Porte-fenêtre donnant sur
un balcon, rideaux empesés et blancs, comme tissés de toiles d’araignée, dont
les mailles inégales rendaient doublement diffus, la nuit, le clair de la lune
qui pénétrait à l’intérieur. À droite de la porte-fenêtre, flanqué d’une lampe,
un grand fauteuil marron foncé dominait un recoin « fumeur ». Trône
abandonné qui, après le départ du père, devait seul tenir la place du roi.
P. Král (2007, p. 15-16.)
Dans cet extrait, le monde c’est d’abord le pays de l'enfance. Il ne s’agit pas de
l’État ou de la Nation mais simplement de la villa familiale qui a logé son enfance
avec tout ce qu’elle avait d’insouciante, de fragile et de neutre. Cette villa est
significative en ce qu’elle représente l’habitat premier et désigne tout ce qu’il y a
d’essentiel et de structurel.
construit pas à pas le récit de son périple, qu’il relate comme un événement
majeur la moindre chose vue, découverte ou apprise en voyageant. Et quand
voyager serait impossible dans le sens d’emprunter un véhicule pour aller d’une
ville à une autre, le marcheur qu’est Petr Král, ne trouve aucun problème à faire
d’une simple déambulation dans une rue tout un voyage. Ce besoin de
mouvement est pour le moins significatif.
Si le poème relève de l’inspiration, Petr Král ne nie pas la part d’expérience, cette
somme de faits quotidiens, d’anecdotes, de flâneries en banlieue, de faits vécus à
la sortie au restaurant ou à la traversée d’un pont. La magie créatrice, qu’elle se
manifeste sous la forme de poème ou de prose tient en un arrêt sur des moments
de ses promenades que l’auteur réussit à faire basculer dans un voyage intérieur,
un tourbillon duquel émergera le secret du monde et le secret en lui. C’est ainsi
que Jack Doron fait l’éloge du monde intérieur mis à découvert à travers le
paysage extérieur :
Il est clair que, peu importe le genre, poème ou prose, Petr Král propose une
définition du geste créateur comme la mise en évidence d’un monde qui
émergerait de l’esprit de l’écrivain et de son environnement. Quand le contact est
adroit, délicat, recherché, on invente un monde au sens fort de ce mot : un espace
d’épanouissement créé à dessein pour être cet univers qu’il cherche en vain
partout et qu’il ne trouve nulle part. Qu’est-ce donc que ce monde ? Lisons
Kenneth White :
Ce que tu as appelé monde, lit-on dans Zarathoustra, il faut commencer par
le créer - ta raison, ton imagination, ta volonté, ton amour, doivent devenir ce
monde." Et, ajoute-t-il ceci : "La vie n'aura servi à rien à celui qui quitte le
monde sans avoir réalisé son propre monde".
K. White (1982, p.52.)
secret : le fait qu’il ne surplombe qu’un plat échiquier sans tournants. Luxe
nécessaire, le tournant est le seul à alléger la prose de notre séjour au monde
et à changer la traversée de celui-ci en danse. Même les joies de l’amour
consistent dans les détours, sans quoi il ne serait qu’un stupide va-et-vient
de piston-boucles et laisses de la séduction, flottement de jupe, lent
enlèvement du gant ou du chapeau, douces déviations par la courbe de
l’épaule ou par le creux discret dans le pli du coude. Le tournant permet de
s’attarder avec les choses de passage, de maintenir plus longtemps dans les
yeux la lueur d’un éclat de verre et la pâleur d’un buisson qui, au bord de la
route, glisse contre l’horizon.
P. Král (2005, p.90)
Ces rendez-vous pris avec les tournants constituent un enseignement de vie
basé sur la préservation poétique du monde et favorisant du même coup un
assainissement de l’esprit.
Je pense que la pratique du haïku, en Occident, est une bonne chose. Et j'ai
recommandé pour tout le monde ce que j'ai appelé le haïku-walking (la
"promenade-haïku"). Cela invite l'esprit à se concentrer, et affine la
perception des choses. Et puis cela débarrasse la poésie de la Poésie.
K. White, 2005, p. 98)
de plus en plus attentif à l’inscription des faits humains dans l’espace tout en
accordant un point d’honneur à la représentation de l’espace dans ses écrits.
Comment s’expriment ici les liens qui unissent la création littéraire à l’espace ? le
propre de l’œuvre de Petr Král est que dans celle-ci, le texte s’efface, l’auteur
s’efface, et les personnages s’effacent pour laisser place au monde. Il fait tout cela
pour faire voir le monde. Écrire, pour lui, c’est faire plus une description du
monde qu’autre chose. C’est le cas notamment dans une prose telle qu’enquête sur
des lieux, qui rompt avec le schéma linéaire de la narration, et parfois avec la
narration elle-même pour accorder une part importante et parfois dominante à
la description, et où les personnages tendent à perdre leur autonomie au profit
d’une présence envahissante du paysage, devenu acteur et non plus simple décor
( J-Y. Tadié, 1978.). Voici un extrait des plus illustratifs :
La résidence
Avant de s’endormir, parfois, il fuyait la villa en s’inventant pièce par pièce
une maison à lui, tout à son image. Il ne la voyait pas neuve ; qu’il l’ait située
au cœur de vieilles ruelles ou parmi les jardins quartier résidentiel, elle
ressemblait à un palais décrépit, confortable et vaste mais passablement
marquée par le temps et l’usure. Son parc lui-même – s’il choisissait une
résidence – serait laissé à l’abandon, peu à peu gagné par une végétation
sauvage ; la tour qui surmonterait le toit, faite de planches grossièrement
assemblées et peintes en blanc, aurait l’aspect écaillé et terni de quelque
vieille piscine ou d’un enclos de banlieue. D’entrée de jeu, par une sorte
d’allergie naturelle à l’odeur du mortier ou du ciment frais, il plaçait la
maison aux antipodes d’un nid charmant et perfectionnable sans fin par un
bricolage assidu. Destinée simplement à tomber peu à peu en ruine, elle
appellerait d’emblée un orage qui la ferait trembler sur ses gonds et blêmir
sous les éclairs, révélant brièvement ses charmes parmi les arbres courbés et
les touffes d’orties fouettées par la pluie.
P. Král (2005, p.22)
Tout cela, pour rendre compte des visites faites dans les gares, détours
indispensables pour prolonger l’errance. Œuvres après œuvres, le récit tourne
court, on relève des évocations autobiographiques et des recueils de fragments
dans lesquels l’inspiration géographique occupe une place prédominante. Une
telle évolution du contenu textuel peut être assimilée à un récit d’espace, une
tentative pour découvrir le lieu et en rendre compte auprès de ses lecteurs.
4. Dire le monde
La quête d’un écrivain tel que Petr Král c’est de trouver cet espace si singulier
dans son esprit de créateur, mais vertigineusement si ordinaire pour le reste du
monde. En fait, pour lui, c’est justement cet ordinaire qui reste à définir. La
poétique fondamentale de Petr Král, consiste à découvrir cet espace, ce monde
dont très peu ont la clairvoyance et face auquel nombreux sont ceux qui souffrent
de cécité. En effet, s’il fallait être métaphysicien piéton comme l’est Petr Král, sans
doute que l’on gagnerait aussi à se loger dans le confort d’une vie de penseur
existentialiste qui s’arroge la liberté de vivre comme il le souhaite et aussi
librement qu’il l’entend. Une telle attitude dispose-t-elle plus favorablement aux
signes du monde et au message de celui-ci ? Comment le savoir ? Quoiqu’il en
soit, l’écrivain s’est imposé le sacerdoce d’observer le monde et de le dire. C’est
à croire qu’il se sent l’élu du paysage et qu’il a été oint par lui pour dire auprès
du reste des humains les paroles sacrées que seuls peuvent entendre les initiés.
Le but serait alors de transmettre à d’autres les visions reçues afin d’éviter que
l’humanité ne disparaisse. Dire le monde pour un nomade tel que le piéton
métaphysicien Petr Král, c’est vivre un rêve de démiurge créant une suite d’état
tous divers par leur qualité et leur quantité en faisant le choix des paysages qui
représentent des images de sa psyché en dépression dont l’écriture constitue un
soulagement. Cet esprit créateur d’une œuvre originale, celle d’un nouveau
D’autre part, dire le monde c’est aussi en révéler les signes et symboles. C’est
laisser son attention être captivée par ceux-ci. Tout le secret consiste à savoir
reconnaitre ses signes et à savoir en user pour en tirer la sagesse nécessaire à la
conduite d’une vie. La routine du comportement est interrogée dans chacun des
textes de l’auteur comme s’il y trouvait une nécessité quasi vitale à penser ce qui
meuble les journées comme ce qui meuble l’environnement. Toutefois, du fait
que la vie se vit au quotidien, c’est-à-dire au jour le jour, le déroulement des jours
et le cadre spatial qui en est le théâtre impactent largement sur la qualité de la
vie. C’est pour cela que pour Král, la cadre de vie doit correspondre au projet de
vie. Et, tant que celui-ci n’y correspond pas, il faut mener une quête tellement
rigoureuse qu’elle conduira à une découverte ou permettra de trouver la voie de
celle-ci.
Rien qu’à suivre attentivement ses lignes de force, en même temps que ses
propres envies secrètes, il forcerait le décor à raconter l’histoire qu’il contient
en germe, voire à révéler sous ses divers attraits un ordre cohérent. Peut-être,
c’est vrai, cet ordre est-il déjà à lire à la surface des choses ; si les lieux qui
l’attirent lui paraissent en même temps singuliers et « justes », cela tient
aussi, sans doute, à leurs qualités purement plastiques : aux accords et échos
par quoi leurs recoins et leurs niches, les teintes des murs et des rideaux, les
masses et les contours des objets présents se répondent comme les formes et
les couleurs d’un tableau achevé. Mais ne peut-on autant inverser le propos,
pour voir dans l’unité plastique d’un lieu (ou d’une toile) le simple signe
d’un ordre plus occulte, et autrement important ? Reste que suivre l’appel
des lieux, c’est aussi leur donner la réplique et les inciter à parler, fût-ce au
moyen d’un simple aménagement.
P. Král (2007, p.129-130)
Ainsi, faire un inventaire du monde dans lequel l’humain est logé, avec les lieux
qui sont son habitat et les objets qui meublent celui-ci, les symboles qui
représentent sa vie et son cadre de vie pour essayer de soigner l’embarras de son
identité et justifier sa singularité dans un monde qu’il aura rendu plus lisible : tel
est le projet d’écriture de Petr Král.
Conclusion
Taraudé par la question de la nature du monde qui l’entoure et bien
souvent dégouté par le sentiment d’incarcération qu’il éprouve, Petr Král est
comme aspiré par le goût de l’ailleurs et de l’exploration d’espaces nouveaux.
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Abstract: This study deals with the role of translation in the learning of
foreign languages, and it is the case of the Spanish foreign language (SFL) in
Ivorian universities that is highlighted. Indeed, techniques of learning
foreign languages have always been offered by didacticisms. One of them is
the translation that we think is an efficient way of assisting foreign language
learning. This study therefore draws attention to these two concepts
(translation-languages) which are inter-linked by the factor of learning.
Clearly, it will be necessary to highlight the role or impact of this activity in
the process of learning Spanish in an Ivorian university setting. Based on
quantitative and explanatory methods, we arrived at the conclusion that in
learning Spanish as a foreign language, learners consider three main roles
related to translation: it enriches the vocabulary, facilitates writing and
communication.
Introduction
Les stéréotypes et préjugés sur les langues lors des débats scientifiques en
didactique de langues suscitent généralement des polémiques sur la
problématique de l’intérêt ou la nécessité d’apprendre les langues étrangères.
1L’on sait que l’apprentissage des langues étrangères apporte des avantages compétitifs pour ceux qui les maitrisent
par rapport aux autres. C’est l’un des outils utilisés par de nombreux pays dans le monde pour développer leur
économie grâce à la formation linguistique de leurs habitants dans les domaines liés aux industries, aux activités
commerciales et aux intérêts internationaux qu’ils recherchent. (Notre traduction).
2. Méthodologies et corpus
2.1. Méthodologies
Pour l’atteinte de nos objectifs d’étude, nous avons opté pour deux
méthodes : à savoir la méthode quantitative de collecte et d’analyse des données
et la méthode explicative dans la mesure où la présente réflexion repose en partie
sur l’observation, l’analyse et la connaissance empirique du contexte de ce champ
d’étude que nous avons. La première nous permettra de faire une enquête de
terrain dans l’objectif de connaitre le point de vue des étudiants du département
d’espagnol sur la question de l’impact ou du rôle de la traduction dans
l’apprentissage de celle-ci. Quant à la deuxième, explicative, elle vient appuyer
et compléter la première. Elle permettra en effet de décrire, d’expliquer les
différents avantages liés à la traduction au moment d’apprendre l’espagnol,
langue étrangère. Dans cette étude, nous soulignons qu’il y a complémentarité
entre les deux méthodes privilégiées, et ce, pour une analyse plus pertinente et
plus scientifique de la question de l’importance de la traduction dans
l’apprentissage de l’espagnole en milieu universitaire ivoirien.
2.2. Informateurs
Ce sont des apprenants universitaires de l’espagnol, langue étrangère à
l’Université Félix Houphouët d’Abidjan, inscrits aux deux premiers cycles
(Licence et Master). Au niveau des deux cycles universitaires, nous avons
particulièrement orienté notre enquête vers les étudiants de Licence 3 et Master
1, toutes les spécialités confondues. Nous estimons que ces derniers sont mieux
outillés et capables de mesurer la portée scientifique de cette étude analytique en
répondant de façon très objective aux questionnaires. Nous voulions au départ
étendre notre enquête au deuxième niveau du deuxième cycle, c’est-à-dire, les
étudiants de Master 2, mais cela n’a pas été possible car la période d’enquête
Licence Master
Licence 3 Master 1
50 30
Niveau des enquêtés et leur degré d’amour pour la trad Nombre Pourcentage
(%)
Fort 27 33,75
Fort 11 13,75
À la lecture de ce tableau, nous constatons qu’au niveau des étudiants L3, vingt-
sept (27) ont souligné que leur amour pour la traduction est fort et seulement
deux (2) ont coché la case « très fort ». Aussi, treize étudiants ont refusé de donner
leur avis sur la question en cochant la case « sans avis », sept (7) disent aimer la
traduction « un peu fort » et un seul a coché la case « moins fort ». Quant aux
étudiants de M1, presque la moitié (11/30) était convaincu de leur amour « fort »
pour la traduction, seulement deux (2) étudiants ont coché la case « très fort »
pour exprimer leur degré d’amour. Quatorze (14) étudiants disent aimer la
traduction « un peu fort » et trois (3) soulignent aimer « moins fort » cette activité.
Cela nous amène à dire que les étudiants de M1 de notre échantillon, étant mieux
imprégnés de la traduction en tant que discipline, n’ont aucun doute quant à leur
amour pour cette activité ; contrairement à ceux de L3 ou 13/30 n’ont pas
exprimé un amour « très fort » pour celle-ci.
Nous remarquons ici que les trois (3) stratégies décrites par les étudiants sont la
lecture, l’apprentissage des mots et l’autoévaluation. En L3, vingt-neuf (29)
étudiants ont parlé de lecture et trente-sept (37) d’apprentissage des mots du
dictionnaire. En M1, vingt-cinq (25) étudiants ont évoqué la lecture et vingt-sept
(27), l’autoévaluation et dix-sept (17) ont proposé d’apprendre le lexique
espagnol. En clair, (2) deux stratégies ont été décrites par l’ensemble des
étudiants de L3 (lecture et apprentissage des mots du dictionnaire) et trois (3) ont
été décrites par ceux de M1 (lecture, autoévaluation et apprentissage du lexique).
Certains ont décrit une seule stratégie et d’autres en ont décrit deux.
En L3, dix-neuf (19) étudiants ont trouvé que la traduction est fantastique, 27
(intéressant), 25 (génial), 39 (complexe), 5 (difficile) et 2 (fatiguant). Nous
constatons en M1 que quinze étudiants ont qualifié la traduction de
« fantastique », 17 (complexe), 17 (spécifique), 9 (unique), 5 (riche). Il est
important de souligner que les réponses se chevauchent entre elles, les étudiants
qui ont utilisé les qualificatifs ‘’fantastique’’ ou ‘’complexe’’ ne sont pas
forcément les mêmes qui ont écrit ‘’génial’’ ou ‘’unique’’ ; et cela se perçoit au
niveau de la quantification des qualificatifs par niveau. Il en est de même pour
les résultats quantitatifs présentés plus haut.
-Analyse
-La traduction : moyen d’enrichissant du vocabulaire en langue étrangère
Soixante-cinq étudiants sur quatre-vingts (65/80) ont évoqué ce point
dans notre enquête. En réalité, il est impossible de nier le bien-fondé de la
traduction dans le perfectionnement des langues étrangères, au risque
d’offusquer les travaux scientifiques qui ont été effectués à ce sujet. Et, l’aspect
qui est touché du doigt ici est la traduction qui est perçue par les étudiants
comme un moyen d’enrichissement du vocabulaire en langues étrangères, ici,
l’espagnol. Cette perception n’est aucunement pas fortuite, surtout quand nous
considérons cette définition simple et standard selon laquelle un texte est un
ensemble de mots. Ainsi, traduire un texte revient donc à traduire un ensemble
de mots ou de vocables d’une langue de départ à une langue d’arrivée. En effet,
dans l’activité de traduction, l’on découvre toujours de nouveaux mots, de
nouvelles expressions qui parfois empêchent de transcrire fidèlement le texte de
départ. C’est pourquoi au niveau des stratégies d’exercices, des étudiants ont
proposé d’apprendre les mots. KONAN (2017 : 33) va plus loin en parlant
d’acquisition lexicale, il dit en ses termes : « l’acquisition lexicale demeure
primordiale dans l’apprentissage des langues étrangères dans ce sens ou c’est le
lexique qui qui caractérise, révèle la langue ». Pour revenir à ces nouveaux mots
que l’on rencontre parfois dans les textes à traduire, il faut dire qu’ils sont d’une
grande utilité. Car rencontrer un mot nouveau, inconnu, incite la curiosité de
l’étudiant qui va chercher à mieux connaitre celui-ci et son emploi dans différents
contextes, enrichissant ainsi son lexique. Plus il découvre des mots inconnus, plus
il enrichi son vocabulaire, il est donc de son avantage de rencontrer ce genre de
2 DELISLE (1988) distingue la traduction pédagogique de la traduction professionnelle. Selon l’auteur, cette dernière
consiste à finaliser un texte destiné aux lecteurs de la langue cible, déjà maitrisée par le traducteur. Sa pédagogie a un
objectif bien défini qui consiste à la formation de futurs traducteurs professionnels ou la formations de futurs
formateurs de traducteurs.
peuvent pas être traduits de la même façon. Ils doivent acquérir une connaissance
assez conséquente de chaque type de texte : littéraire, technique, académique, etc.
À ce propos BOZTAS (1992, p.37) dit : ‘’on estime que la traduction est possible
quand les apprenants connaissent précisément les différentes façons de dire, les
types de textes, les profils de langue et l’usage de langue dans le contexte de la
langue d’arrivée. En somme, la traduction permet de faire le parallélisme entre
les langues française et espagnole afin de cerner leur ressemblance et leur
différence aux niveaux morphosyntaxique et lexico-sémantique, etc.
Pour traduire une langue étrangère, il faut remplir deux conditions, dont
chacune est nécessaire, et dont aucune en soit n’est suffisante : étudier la
langue étrangère ; étudier t’ethnographie de la communauté dont cette
langue est l’expression. Nulle traduction n’est totalement adéquate si cette
double condition n’est pas satisfaite. L’ignorance de cette double condition
se reflète aussi dans ce fait que l’on appelle indistinctement erreurs de
traduction les erreurs qui ressortissent à l’insuffisante connaissance de la
langue étrangère, qui ressortissent à l’ignorance de la civilisation dont cette
langue est l’expression ; et donc le traducteur commet ces erreurs à cause de
l’ignorance de la langue qu’il traduit.
Mounin (2004, p.236)
3.3. Discussion
Au niveau des résultats ou il était question de décrire quelques avantages
de la traduction dans l’apprentissage de l’espagnol, citer des stratégies
d’exercices pour réussir les activités de traduction de textes, citer quelques
qualificatifs de la traduction, les réponses se chevauchent entre elles. Les
réponses peuvent différer d’un étudiant à un autre ; cela signifie que celui qui a
cité la lecture comme stratégie d’exercice n’est pas forcément celui qui a parlé
d’autoévaluation ; et cela se perçoit au niveau de la quantification des réponses
par niveau. Aussi, dans l’ensemble, les étudiants prétendent aimer la traduction
(L3, amour fort 33,75 % ; M1, amour fort 13,75) ; cependant, très peu choisissent
cette discipline comme spécialisation. Nous le comprenons mieux quand nous
nous référons aux chiffres de l’année universitaire 2018-2019 : L3 (aucun étudiant
spécialisé en traduction), M1 (1 étudiant spécialisé en traduction). Il se peut que
les étudiants aiment de loin cette activité, mais préfèrent se spécialiser dans
d’autres disciplines. En tout état de cause, cela reste une réalité à éplucher dans
d’autres études à l’avenir. Au-delà des stratégies d’exercices des étudiants et de
leur degré d’amour pour la traduction, nous pouvons retenir de façon générale
que la traduction pédagogique est une activité à double fonction ; 1) tester les
capacités linguistiques de l’apprenant dans la langue étrangère (ici, l’espagnol),
2) augmenter ou renforcer ses capacités quand le test démontre que la capacité
linguistique de celui-ci s’avère faible.
Conclusion
Dans les méthodes traditionnelles de l’enseignement des langues, la
traduction était perçue comme un moyen de consolidation des acquis
linguistiques en langue étrangère à travers l’exercice de traduction directe, de
contrôle de la compréhension des textes à l’aide de la traduction inverse.
LAVAULT (1985, p.18) abonde dans ce sens et affirme que ‘’l’objectif de la
traduction pédagogique est essentiellement didactique… La traduction n’est plus
une fin mais un moyen, dans la mesure où ce qui importe, n’est pas le message,
le sens que le texte véhicule, mais l’acte de traduire et les différentes fonctions
qu’il remplit : acquisition de la langue, perfectionnement, contrôle de la
compréhension, de la solidité des acquis, de la fixation des structures […]’’.
Les enquêtés ont décrit différents avantages exprimant le rôle de la
traduction dans l’apprentissage de l’espagnol langue étrangère : elle enrichit le
vocabulaire, elle facilite la rédaction et la communication. En un mot, elle permet
d’apprendre mieux les langues étrangères. C’est pourquoi les étudiants
universitaires ivoiriens en particulier, inscrits en espagnol, doivent s’intéresser
davantage à cette activité dont le but est de les aider à découvrir leurs lacunes
lexicales, linguistiques afin de les corriger et se perfectionner.
Pour terminer, lors des activités de compréhension de textes en langues
étrangères, les apprenants s’adonnent généralement à un exercice cognitif de
traduction avant même de répondre aux questionnaires du texte ; dans certaines
productions écrites, les apprenants recourent parfois à la traduction sans s’en
rendre compte. Au regard de toutes ces observations, n’est-il pas possible de
déduire que tout est traduction dans l’apprentissage des langues étrangères ?
Références bibliographiques
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UNSAL, G. 2013. Traduction pédagogique et analyse d’erreurs. Synergie Turquie
n6, p.91.
Annexe
I. IDENTIFICATION DE L’ENQUÊTÉ(E)
Spécialité :
II. QUESTIONS
1- A quel degré aimez-vous la traduction de textes ? :
Très élevé Un peu élevé Elevé Moins élevé Sans avis
&
Introduction
Les organes d’information, ayant connu un développement prodigieux
avec l’avènement des technologies de l’information et de la communication, ont
tendance à se particulariser dans l’intention de se démarquer de leurs
concurrents afin d’attirer le plus de lecteurs (pour la presse), d’auditeurs (la
radio) ou de téléspectateurs (l’audiovisuel). Cette particularisation se ressent
même dans le traitement des informations qui sont mises à la disposition des
citoyens désireux de s’informer. On peut remarquer que les nouvelles traitées
ne remplissent pas toujours les critères d’objectivité et d’impartialité car par sa
manière de présenter l’information, le journaliste peut approuver ou
déconstruire les actions des personnalités qui font l’actualité selon sa propre
sensibilité politique.
Ainsi, quand un homme politique rencontre son assentiment, le
journaliste a tendance à le présenter sous un angle favorable et même à le
défendre lorsque son image est écornée. Mais quand il s’agit d’un homme
politique dont il ne partage pas les idéaux, le journaliste se montre plus critique
envers ses faits et gestes, et a tendance à le blâmer à la moindre occasion
(N’Guessan, 2018). Cette manière de traiter l’information souvent biaisée et
tendancieuse peut mettre à mal les faces des acteurs concernés par les
nouvelles. Or, Goffman (1974) recommande de préserver la face des personnes
avec lesquelles l’on interagit au risque de créer des précédents. D’autant plus
que lors des échanges, chaque individu est amené à gérer ses deux faces
(positive et négative) et les deux faces de l’autre interactant prenant part à
l’échange.
La présente étude sera basée sur la théorie de la politesse telle
qu’élaborée par Brown et Levinson, en prenant appui sur la notion de « face »,
mise en place par Goffman. Les préoccupations suivantes seront au centre de la
recherche :
Les journalistes font-ils preuve de politesse ou d’impolitesse dans le
traitement de l’information qu’ils présentent à leur lectorat ? Ne peut-on pas
cerner la subjectivité des journalistes au regard de la théorie de la politesse ?
Notre objectif est de chercher à comprendre la subjectivité des journalistes au
regard de la théorie de la politesse, qui a été initialement mise en œuvre pour
l’étude des interactions interpersonnelles.
constituée des territoires corporel (le corps et ses prolongements), spatial (la
bulle dans laquelle chaque individu évolue) et temporel (le temps de parole
imparti à l’individu). Quant à la face positive, il s’agit de l’ensemble des images
valorisantes que chaque locuteur a de lui-même et qu’il tente d’imposer à
l’autre durant l’interaction. Il y a donc quatre faces en présence durant une
interaction, ce qui correspond aux faces positive et négative de chaque individu
prenant part à l’échange (dialogue).
Au cours des échanges, les individus sont amenés à accomplir plusieurs
actes potentiellement menaçants, qui peuvent être verbaux ou non-verbaux ; ces
différents actes sont nommés Face Thratening Acts (FTAs) par ces auteurs parce
qu’ils constituent des actes menaçants pour l’une ou l’autre des deux faces de
chaque interactant. Mais ils précisent que certains procédés sont mis en place
par les interlocuteurs afin de ménager la face des individus avec lesquels ils
sont engagés dans l’interaction ; ce qui permettrait de préserver leurs faces et
celles de l’autre.
La théorie de la politesse de Brown et Levinson a connu plusieurs
critiques et aménagements. Nous pouvons retenir l’apport de Kerbrat-
Orecchiono (1996) qui veut que la politesse puisse consister non seulement en
un adoucissement des menaces, mais aussi, plus positivement, en une
production d’« anti-menaces ». Dans l’apport de Kerbrat-Orecchioni, il faut
souligner qu’il a été mis en exergue certains actes de langage visant à valoriser
la face de l’interlocuteur ; actes qui constituent en quelque sorte le pendant
positif des FTAs et qu’elle a baptisés Face Flattering Acts (actes « cajoleurs) ou
FFAs. Ces aménagements qui ont abouti à la distinction entre les FTAs et les
FFAs ont permis aux chercheurs de faire la part entre la politesse négative
(consistant essentiellement à adoucir les FTAs) et la politesse positive (qui
consiste à créer plutôt des FFAs de préférence renforcés).
Ainsi, il convient de tenir compte des aménagements apportés par d’autres
chercheurs afin de cerner tous les contours du problème à analyser dans cette
étude.
Les articles qui ont été retenus sont au nombre d’une soixantaine (56) mais il se
trouve que ce sont les mêmes faits d’actualité qui ont été traités différemment
par les différents sites de la presse en ligne puisque ces faits datent de la même
période.
2. Les actes menaçants et les actes rassurants les faces dans la presse en ligne
Selon la théorie de la politesse de Brown et Levinson, les actes de langage
peuvent être classés en quatre catégories qui sont : les actes de langage
menaçant la face positive du locuteur, les actes de langage menaçant la face
négative du locuteur, les actes de langage menaçant la face positive de
l’interlocuteur et les actes de langage menaçant la face négative de
l’interlocuteur. À la suite du réaménagement de la théorie de la politesse, il a
été inclus des actes servant à valoriser les faces des acteurs en présence. Vu que
le journaliste ne traite pas de faits se rapportant à lui de manière explicite,
l’accent sera mis sur les actes de langage menaçant et les actes de langage
valorisant pour les faces des acteurs de nouvelles.
2.1. Les énoncés potentiellement menaçants pour la face positive des acteurs de
nouvelles
Sont classés dans la catégorie des actes menaçants la face positive de
celui qui les subis, tout acte qui menace le narcissisme de l’autre tels que les
critiques, les reproches, les moqueries, les accusations, etc. En parcourant la
presse en ligne, on peut voir apparaître un nombre important d’articles
contenant des énoncés qu’on pourrait qualifier d’acte menaçant pour la face
positive de l’interlocuteur. Sont considérés comme interlocuteur, les différents
lecteurs de la presse car les informations qui sont traitées leur sont destinées.
Mais on peut également considérer les acteurs des nouvelles comme des
interlocuteurs, sachant qu’ils peuvent intervenir sur une information les
concernant dans l’intention de démentir certains faits qui leur sont reprochés ou
de préciser certains actes qui leur sont attribués.
Ce sont donc les acteurs politiques qui sont au centre des informations
divulguées, sachant que nous avons retenu les articles de la rubrique politique
nationale. Dès lors, il convient de les considérer comme des interlocuteurs. Ce
sont donc leurs faces qui subissent d’éventuelles menaces qui feront l’objet
d’analyse. En guise d’exemples, nous pouvons mentions ces énoncés issus de la
presse en ligne :
Dans cet exemple, même s’il est évoqué une idée d’échec, celle-ci n’a pas
été émise par la procureure elle-même mais plutôt par des personnes s’étant
érigées en critiques des actions de la Cour Pénale Internationale. Ainsi, en
affirmant que ‘‘la procureure a avoué avoir lamentablement échoué’’, le
journaliste s’attaque à son image, et au-delà à l’image de l’institution qu’elle
représente, tout en énonçant des propos qu’elle n’a pas tenus, ou du moins pas
sous cette forme.
Cette affirmation qui peut s’apparenter à la moquerie vise à discréditer
les actions et l’image de la Cour Pénale Internationale auprès des populations et
particulièrement des lecteurs du journaliste. Le journaliste s’érige ainsi en
critique et non pas en collecteur d’information, comme son rôle de journaliste le
préconise. D’où le manque d’objectivité et d’impartialité qui pousse l’auteur à
employer l’adverbe ‘‘lamentablement’’, au lieu de faire une description des faits
qu’il doit présenter à son lectorat. Avec le deuxième exemple, nous sommes
face à une menace qui concerne aussi la face positive de l’acteur dont il est
question, en l’occurrence le président de la république :
2.2. Les énoncés potentiellement menaçants pour la face négative des acteurs de
nouvelles
Les actes menaçants pour la face négative de celui qui les subit sont les
actes du type violations territoriales, qu’elles soient non verbales ou verbales,
comme les questions indiscrètes, les comportements incursifs. Ce sont les actes
tels que l’ordre, la requête, les suggestions, les conseils, les interdictions et
autres qui entrent dans cette catégorie.
Ce type d’actes de langage se rencontre très régulièrement dans les
communications interpersonnelles puisque les interlocuteurs sont en présence
et peuvent de ce fait préciser ou réorienter leurs propos s’ils sont mal perçus
lors de l’échange. Ce qui n’est pas le cas de la presse écrite qui est une
communication de masse même si avec la presse en ligne, certains lecteurs ont
la possibilité de laisser des commentaires, sans oublier que les acteurs de
nouvelles concernés peuvent également réagir de façon instantanée sur les
réseaux sociaux en guise de droit de réponse. Ainsi, les énoncés potentiellement
menaçants pour la face négative des acteurs de nouvelles peuvent se rencontrer
dans la presse en ligne quand bien même ils ne sont pas très nombreux. En
guise d’illustration, cet exemple peut être mentionné :
Exemple 3 : Arrêtez donc les intimidations et les menaces pour obliger les Ivoiriens
à adhérer à votre RHDP. […] Investissez dans l’école, la recherche scientifique et
l’innovation.
Avec cet énoncé, il est question des griefs soulevés par l’opposition eu
égard aux conditions d’obtention de la nouvelle carte d’identité. Par le fait de
donner raison et de soutenir la position de l’opposition, le journaliste valorise sa
face et lui démontre que le combat qu’il mène est fondé. Or, les écrits du
journaliste seront consultés par plusieurs personnes et certaines d’entre elle
auront également tendance à abonder dans ce sens.
Mais il faut ajouter que le journaliste n’emploiera pas des énoncés
valorisants pour la face pour tous les acteurs de nouvelles dont il parle. Il agit
ainsi, en général, pour les acteurs politiques ou hommes publics qui rencontrent
son assentiment. En d’autres termes, le journaliste sera prompt à encenser les
acteurs politiques dont il partage les idéaux, dont il se sent plus proche d’une
manière ou d’une autre. Cette manière de faire du journalisme, quand même
elle n’est pas conforme à la déontologie de cette pratique, est possible parce que
Conclusion
La théorie de la politesse et de la gestion des faces est plus appropriée
pour des études concernant des interactions verbales car il est plus facile de
suivre les tours de paroles et de voir apparaitre les différents phénomènes à
étudier. Bien que les articles de la presse en ligne ne rentrent pas dans ce
canevas, on peut aussi leur appliquer cette théorie, vu que selon le dialogisme,
tout propos peut être qualifié de réponse à des actes de parole précédemment
proférés. Cette théorie a permis de comprendre quelques traits de subjectivité
liés au traitement de l’information ; sachant que le journaliste devient plus ou
moins poli en fonction de l’information à traiter, et que ce traitement est
quelque peu conforme à la ligne éditoriale du quotidien et à l’acteur de
nouvelle concerné (homme politique en général). Ainsi, il se montrera plus poli
lorsqu’il traitera les informations relatives aux acteurs politiques qui
rencontrent son assentiment ; par la même occasion, il se montrera moins poli
lorsqu’il s’agira d’écrire des articles concernant les faits et actes qui concernent
les acteurs de nouvelles envers qui il n’a pas de sympathie.
Néanmoins, la manière de traiter les nouvelles, qui peut être considérée
comme biaisée, répond, en général, aux désirs des lecteurs du quotidien en
question ; d’autant plus que ces derniers s’attendent à rencontrer certaines
informations qui doivent correspondre à leur opinion de départ. Le journaliste
se charge donc de satisfaire cette attente, de sorte qu’il s’instaure une certaine
complicité entre le journaliste et les lecteurs. Ce qui amène à comprendre que
les lecteurs ne lisent pas seulement la presse, qu’elle soit écrite ou en ligne,
uniquement pour s’informer mais pour conforter le point de vue qu’ils se sont
déjà forgés sur certains acteurs de nouvelles ou sur certains faits de société.
Références bibliographiques
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PENELOPE Brown and STEPHEN C. Levinson. 1978/1987. Politeness: Some
Universals in Language Usage, vol. 4 of Studies in Interactional
Sociolinguistics.
PENELOPE Brown and STEPHEN Levinson. 1978/1987. Politeness: Some
Universals in Language Usage, vol. 4 of Studies in Interactional
Sociolinguistics Cambridge: Cambridge University Press
Le Patrice LE BI
Université Peleforo Gon Coulibaly – Côte d’Ivoire
lebilepatrice@yahoo.com
Introduction:
A common belief in the French School of discourse analysis in general, and
enunciative linguistics in particular, tends to present language as being exclusively
and irrevocably subjective. That perception of language as being subjective was
extensively advocated by Benveniste (1966: 258-266; 1974: 79-88) and carried over by
many other linguists, Catherine Kerbrat Orrechionni (1999: 39-162), Antoine Culioli
(1980; 1984; 1991; 1999) and Oswald Ducrot (1972; 1973; 1980; 1989; 1998) being some
of them. Contrary to post-benveniste reflections on human language which
favoured the study of subjectivity, objectivity could also be studied in another
conceptual framework which we intend to present in a scientific project termed the
Formal Apparatus of Enunciative Objectivity.
The scientific project referred to as the Formal Apparatus of Enunciative
Objectivity was inspired by Emile Benveniste’s L’Appareil formel de l’énonciation and
Gustave Guillaume’s Psychomechanics. However, the project tends to draw a lot
more on Antoine Culioli’s Theory of Enunciative Operations. The conceptual
framework and the methodological approach to this project which is at the
crossroads of three linguistic theories aims to turn the concept of objectivity into a
special scientific object amenable to study. As such, the project tends to further
explore and oppose the concept of ‘’subjectivity’’, which has informed many
research works in the framework of the French School of Discourse Analysis, to that
of objectivity. However, the portion of the research program presented here is to be
taken as the prolegomena to a bigger research program the tools of which are still
under construction.
In this article whose aim is to give a rough idea of the conceptual framework
mentioned above, a special emphasis will be laid on the need for such theoretical
tool by justifying its reason for being and by unveiling some of its theoretical tools
and operating concepts which will help conduct an analysis of the traces of
objectivity. The article also revisits and brings out the flaws of some indexicals of
subjectivity as developed by Benveniste’s theoretical thoughts. The article finally
describes some of the anchorage points of objectivity as perceived in the framework
of the Formal Apparatus of Enunciative Objectivity.
As a matter of fact, the FAEO designates the scientific framework in which we intend
to later conduct the analyses meant for tracing the ‘’linguistic individuals’’ aiming to
objectivize the discourse of the utterer. On the long run, that theoretical ground
should be able to provide the necessary tools likely to help list some ‘’objectivemes’’,
that is, markers of objectivity in discourse.
As for the Impersonalization Effect, though it was inspired by the
Guillaumian concept of Speech Effects, it should not be semantically and conceptually
equated with it. The two concepts rather run in opposite directions. The concept of
Speech Effects, amply systematized and described in Gustave Guillaume’s theory and
later literally carried over in Henri Adamczweski’s Meta-Operational Grammar,
refers to the different values a given linguistic unit takes in different contexts or
places of occurrence. Those different contextual values derive from a core or
invariant value. That invariant value is unique and absolute. Hence the pluralization
of the word ‘’Effects’’ in the phrase ‘’Speech Effects‘’.
Contrarily to the Guillaumian concept of Speech Effects, the concept of
Impersonalization Effect rather refers to a set of linguistic forms or a bunch of various
occurences of linguistic units likely to yield a unique or single effect. The terms
‘’Effect’’ and ‘’Impersonalization’’ have been carefully chosen given that objectivity is
basically an ideal in the sense that an enunciation always originates from a more or
less personified instance. The figure provided below brings out the difference and
gives a good account of the opposition between the psychomechanic concept of
Speech Effects and that of Impersonalization Effect that is being developed. In the figure
below, the following acronyms SE, LF and LU respectively stand for Speech Effects,
Linguistic Form and Linguistic Unit.
Under those circumstances, SE would range from 1 to n, meaning that
the invariant value of a linguistic unit is likely to yield several Speech Effects while
different Linguistic Forms and/or Linguistic Units ranging from 1 to n could be used
objectively to yield an Impersonalization Effect.
SE1 LF1/LU1
SE2 LF2/LU2
Impersonnalization Effect
Invariant/Linguistic Unit SE3 LF3/LU3
SE4 LF4/LU4
SEn LFn/LUn
Illustration of the concept Speech Effects Illustration of the concept of Impersonnalization Effect
Figure 1: Comparison between the Concepts of Speech Effects and that of the Impersonalization Effect
1 Léna Soler (2000) presents what he calls three types of scientific truths. He first of all presents scientific truth
as a correspondence between scientific discourse and the extra-linguistic reality. He then defines scientific truth
as coherence. In other words, within the framework of that second type of scientific truth, a theory is believed
to be true if it is devoid of any contradictions. Finally, when scientific truth is perceived as a consensus, it is
accepted by the scientific community as being valid.
enunciative theories. The final goal is to smoothly get rid of the already known
terminology of Enunciative Linguistics so as to let the one which is being suggested
within the framework of the Formal Apparatus of Enunciative Objectivity to surface.
For Benveniste,
Il y a des énoncés de discours, qui en dépit de leur nature individuelle, échappent à
la condition de personne, c'est-à-dire renvoient non à eux-mêmes, mais à une
situation « objective ». C’est le domaine de ce qu’on appelle la « troisième
personne. »
even to all personal pronouns in general. Thus, the correlation between objectivity
and impersonalization can be corroborated through the following statement by
Benveniste, ‘’Je crois (que…) équivaut à une assertion mitigée. En disant je crois
(que…), je convertis en une énonciation subjective le fait asserté impersonnellement,
à savoir le temps va changer, qui est la véritable proposition.’’ (Benveniste, 1966,
p.264).
Benveniste’s thought indicates that the personalization of a stated fact raises
the latter fact to the rank of a subjective enunciation. Conversely, one could be led
to say that an impersonally-stated-fact is non-subjective. In other words, it is
objective. Whereas there is no better way of impersonally asserting than resorting to
the third person that Benveniste calls the non-person.
Impersonalization which is substituted for by the concept of Impersonalization
Effect takes shape through all types of pronouns. The defining features of
impersonalization can therefore be extended to all the other persons of conjugation
in accordance with the perspectives opened by the Guillaumian theory.
Obviously, it is under those circumstances that A. Joly and D. O’Kelly, whose
approach to the matter carries over the position held by Guillaume within the
framework of Psychomechanics, underscore the irrelevance of the perception of the
third person as a ‘’non-person’’. That very position held by A. Joly and D. O’Kelly
grapples with and brings out some flaws of Benveniste’s views related to the third
person. The ‘’non-person’’ is consequently substituted for by that of ‘’intercolutive non-
person’’. For, even though the third person does not basically seem to share in the
communicational or conversational space governed by the interlocutive relation
between the ‘’I’’ and the ‘’you’’, this does not question its very status of person of
conjugation.
It could therefore be contended that the Delocution Value or Delocution Property
which seems intrinsically inherent in the third person (the Delocuted) could also be
found in the other persons with regard to some particular literary uses or
occurrences of personal pronouns. This state of fact can be ascertained in the
utterances below borrowed from Joly and O’Kelly:
(1)
‘’It will keep me’’, says I, ‘’If you will let me live with you’’; and this I said
=in such a poor petitioning tone, that (…).
(D. Defoe, Moll Flanders)
(2)
I was just walking out of a dance hall, when this geezer nabs me. ‘’What do you
want?’’ I says. ‘’Information,’’ he says. (
B. Behan, The Hostage)
In the two utterances (1) and (2) under study, the Delocution Value, which is basically
the defining property of the third person (possibly He, She or It), is transferred to the
first person ‘’I’’. The Impersonalization Effect which is thus expressed semantically
actually originates from the Delocution Property associated with the third person. By
transitivity, it is that very impersonalization which is generally equated with
objectivity, but particularly with the objectivity of the non-person from Benveniste’s
perspective. The second person also abides by the principle mentioned above as
illustrated in utterance (3) below:
(3)
‘’You always gets it at pore, dear Mrs Heregroves’’
(H.F Head, A Taste for Honey, p.13)
kingpin is the verbal tense termed passé composé in French was presented by
Benveniste as the absolute marker of temporal objectivity. It is that very primary
perception of temporal objectivity which informed the taxonomy of verbal tenses in
terms of Tenses of Discourse (‘’passé composé’’, ‘’présent’’ and ‘’futur’’) on the one hand,
and tenses of Narrative (‘’prétérit’’ or ‘’passé simple’’ and certain uses of the
‘’imparfait’’) in French, the latter tenses being regarded as objective.
One of the first attempts to theorizing the Aoristic by Culioli (1999: 140) within
enunciative linguistics reshuffled the then classificatory perception of verbal tenses.
Hence, the passé simple, the imparfait, the passé composé, the présent, and the futur
which were held close together in their relation to objectivity were all unified within
a single concept referred to as the Aoristic. That new status raises them to the rank
of potential markers for the expression of aspecto-temporal objectivity.
The unification of those verbal tenses under a homogenous fact or reality seems
to present the Aoristic as the absolute characteristic or defining property common to
all those tenses considered as objective. The objective expression of verbal tenses will
therefore be dependent on that property. Though constructed in different verbal
tenses, the utterances2 provided below feature that property of the Aoristic which
further yields an impersonalization effect. That impersonalization effect is finally
likely to be perceived as the expression of aspecto-temporal objectivity.
(4)
Young, naive mathematician Andrea Aspinall comes to Lisbon in 1944 to spy
on a man suspected of involvement in making Germany’s ultimate ‘’secret
weapon’’. She meets Karl Voss, Military Attaché to the German Delegation,
and they have an urgent clandestine love affair (…)
(The Gardian Weekly).
(5)
The last few days at Gaze had been exceptionally somnolent. She had started
reading La Princesse de Clèves with Hannah and they had almost fallen
asleep over it (…) Feeling today lively and more than usually liberated from
shyness, she resolved to question Jamesie about a lot of things before the
journey should be out.
(I. Murdoch)
(6)
They’re leaving at 2:30
2These utterances were borrowed from Jacqueline Guillemin-Flescher, especially from her book titled Autour
des prédicats: variables aspectuo-temporelles et sémantiques (page 11).
(7)
Il [Naruse] préférait rester reclus chez lui, dans un silence quasi-total, négligeant
ses épouses comme ses amis, qui finiront par le laisser seul, et ne semblait
éprouver d’amour réel que pour le saké.
(Le Monde, 10/01/2001)
(8)
Le lendemain, lors de ce repas en tête à tête, il avait pris brusquement
conscience de l’importance que Catherine avait acquise dans sa vie (…)
(Détective, cité par J. Simonin, 1984)
(9)
On le retrouve quelques années plus tard, chantant en yaourt dans un groupe
de rock. Il entend sur Europe 1 le Lonely Woman d’Ornette Coleman avec
Don Cherry à la trompette. ‘’Un choc énorme’’. Il s’acoquine alors avec
quelques musiciens en marges de la scène de jazz (…)
(Le Monde 10/01/2001)
Those utterances feature the Aoristic value of various verbal tenses which are
respectively the past simple, the plu-perfect progressive and the present progressive
for utterances (4), (5), (6) in the English language, and the futur simple, the plus-que-
parfait and the présent simple for utterances (7), (8), and (9) in the French language.
Though the third person seems to be on focus here, the different occurences of verbal
tenses rather evidence the recourse to an Impersonalization Effect for the facts
presented or the events ‘’narrated’’. Finally, it stems from this short account of the
tools of analysis presented therein that markers of objectivity can possibly be traced
in discourse. However, it is to be understood that the theoretical tools which inform
the FAEO were presented in a raw state. This means that those tools are yet to be
refined in a more systematized and rigorous manner so that the conceptual and
methodological framework under construction may be worthy of the ambition it
claims to bear.
Conclusion
This article tried to argue against the ingrained postulate that ‘’linguistic
individuals’’ traditionally presented as traces of subjectivity could well, and
seriously, be regarded differently. Their status of subjective entities, that is
‘’subjectivemes’’, could be questioned as a result of the position held in this article.
Even though those very indexicals which have always been believed to be markers
of subjectivity from a certain standpoint, with regard to some of their particular
manifestations or occurences in discourse, they could at the same time be considered
References
ADAMCZWESKI Henri & J-P GABILAN. 1992. Les clés de la grammaire anglaise. Paris,
Armand Colin.
COTE Pierre et al. 1993. Les Théories de la grammaire anglaise en France, Paris, Hachette
Supérieur.
DUCROT Oswald et al. 1980. Les mots du discours. Paris, Édition de Minuit.
Résumé : Si le voyage demeure l’un des thèmes les plus exploités dans la
littérature africaine d’expression française, notons tout de même que son
traitement dans la nouvelle est d’une autre nature. En d’autres termes, si le
roman par exemple se borne, le plus souvent, à nous présenter les
aventures d’un personnage masculin, dans la nouvelle, les auteurs
s’intéressent généralement aux conditions de vie des femmes qui
s’exposent à toute sorte de situations qui leur enlèvent leur « morceau de
dignité ». En cela, la structure de la nouvelle s'apparente à celle du conte.
Ainsi, à travers La Noire de… d’Ousmane Sembene et La Préférence nationale
de Fatou Diome,1 cet article diagnostique les conditions dans lesquelles
baignent les femmes africaines, et cela, avant, pendant le départ et lors de
leur séjour en terre étrangère. Cette situation médiocre dans laquelle elles
vivent est aggravée par leur différence biologique (relative à la couleur de
leur peau) et par leur non-appartenance à la société européenne. Dans ces
conditions, leurs rêves de jadis, se transforment maintenant en cauchemar
car, ni la société ni le milieu professionnel ne reconnaît à la femme
immigrée le statut d’être humain.
Abstract : If travel remains one of the most exploited themes in both oral
and written African francophone literature, let us note that its treatment in
the short story is of a different nature. In other words, if the novel confines
itself in depicting the adventures of a male character, in the short story, the
authors are generally interested in the living conditions of women who are
exposed to all kinds of situations that take away their "piece of dignity". In
this, the structurr of the short story is similar to that of the take. Thus,
through La Noire de... by Ousmane Sembene and La Préférence nationale
by Fatou Diome, this article diagnoses the conditions in which African
women evolve, beforr, during departure and during their stay in the
foreign land. This mediocre situation in which they live is aggravated by
their biological difference (relative to the color of their skin) and by their
non-belonging to the European society. Under these conditions, their
yesteryears dreams are now turning into a nightmare because; neither the
1Pour plus d’économie, à la place de La Noire de…, nous écrirons L.N.D… et à la place de La Préférence
nationale, nous mettrons L.P.N.
Introduction
La littérature a toujours été considérée comme un des lieux privilégiés de
contacts entre les peuples et les civilisations. Dans la littérature sénégalaise, la
fascination extrême pour les valeurs de la civilisation occidentale provoque un
avide désir de se rendre à ces lieux dont la capitale mythique est considérée
comme un endroit de consécration et de réussite sociale. Dès lors, étudier le
thème du voyage, c’est s’engager dans une réflexion sur un phénomène de plus
en plus abordé sous une autre forme dans la littérature postcoloniale.
Déjà, les romans d’apprentissage des années soixante tels que Kocoumbo,
l’étudiant noir d’Aké Loba, L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane nous
ont habitué à la confrontation brutale entre l’Afrique et l’Occident. Comme
Mirages de Paris, ces romans s’inspirent de la Négritude qui idéalise l’Afrique et
accuse l’Occident d’être responsable du mal dans lequel baigne le continent
noir. Sensibles comme leurs prédécesseurs à la souffrance des Noirs en Europe,
des nouvellistes et des romanciers tels que Ousmane Sembene, Calixthe Beyala,
Sami Tchack, Fatou Diome,... abordent le thème tout en essayant de mettre un
terme à cette idéalisation forcenée de l’Occident. Ils dénoncent non seulement le
passé colonial qu’aucun Africain ne peut oublier mais aussi les rapports qui
lient l’Afrique à l’Occident.
Ainsi, l’illusion séduisante et les raisons socio-économiques constituent les
deux causes les plus visibles qui poussent les personnages de la littérature
africaine à vouloir s’expatrier vers des pays de l’Europe. En effet, aux contacts
avec l’environnement, le milieu physique et les autochtones, les voyageurs
bénéficient d’une forte expérience hexagonale. Celle-ci est le but d’une peinture
acerbe des conditions exécrables de ces derniers et les sottises des Français.
Resté à Niodior, un village sérère situé sur la Petite Côte au Sénégal, Madické a
ainsi une perception paradisiaque de la France. L’emploi de « imaginer »,
conjugué à l’imparfait et à la troisième personne du singulier révèle l’ancrage
de la réputation de l’Occident dans l’imaginaire populaire africaine. C’est le
début de la manifestation du mythe de l’Europe, d’autant que le verbe suggère
une certaine illusion que le passage suivant rend davantage visible
[Les glaces Miko] restent pour eux [les étrangers africains] une nourriture
virtuelle, consommée uniquement là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique,
dans ce paradis, où ce petit charnu de la publicité a eu la bonne idée de
naître, pourtant, ils y tiennent à cette glace et, pour elle, ils ont mémorisé
les horaires de la publicité. Miko, ce mot, ils le chantent, le répètent comme
les croyants psalmodient leur livre saint. Cette glace, ils l’espèrent comme
les musulmans le paradis de retour du Christ.
Diome (2003, p.21)
économiser et revenir au pays » (D. Fatou, 2003, p.90). Quant à Madické, le petit
frère de Salie, lui, il éprouve une réelle fascination pour la France où il espère
servir en qualité de footballeur. Le départ est l’occasion pour lui aussi de fuir
son village, démunie d’activités comme le note Salie : « Mon frère avait la ferme
intention de s’expatrier [...]. L’immigration était la pâte à modeler avec laquelle
il comptait façonner son avenir (F. Diome, 2003, p.90). C’est donc l’instinct de
survie qui semble dicter les déplacements des Africains.
À travers cette affirmation, c’est donc l’espoir de toute une jeunesse
africaine qui est mis en exergue car, confrontée à un problème de sous-
développement économique ; notons par conséquent que celle-ci est habituée à
prôner l’idée très répandue et très ancrée dans les mentalités et consistant à dire
: Barca ou Barzak (ce qui signifie littéralement « Partir pour Barcelone ou pour
l’Au-delà ».
Outre ces prétextes économiques, s’ajoutent d’autres motifs purement
sociaux qui justifient les départs des jeunes Africains vers les métropoles
occidentales. En effet, dans la littérature africaine, surtout, dans la nouvelle,
miroir de celle-ci, la sempiternelle recherche du bonheur semble être au cœur
des préoccupations majeures et des aspirations les plus profondes des
personnages en vue de s’assurer un présent radieux aux lendemains qui
chantent. Dans la nouvelle « Voltaïque », c’est l’aspiration à de meilleures
conditions d’existence qui motive les déplacements des habitants vers d’autres
localités. En vue de se soustraire de la cruauté des négriers, les chasseurs
d’esclaves, ces derniers se cachent dans les forêts et les brousses. Ils ont été
forcés de vivre soit « dans la forêt et être exposés [aux maladies] ou bien rester
sur la savane » (L.N.D…, 1962, p. 109) et faire partie des captifs. En vérité, la
cause première de ces déplacements reste marquée par la quête de sécurité
sociale car, dans ces conditions, ils vivent de « lamentation sur lamentation »
(L.N.D…, 1962, p. 106).
Le chemin du voyage est pour Ken Bugul un moyen de s’évader, voire de
se « sauver au loin » (Ken Bugul, 1984, p.34) afin de s’être épargnée de la «
solitude ». C’est pourquoi tout au long de son livre, elle ne cesse d’assimiler
l’Europe à une « Terre Promise » (Ken Bugul, 1984, p.45). Dès lors, l’on constate
que l’impossibilité de vivre une vie sécurisée en milieu naturel conduit la
plupart des gens à l’errance. À cela s’ajoute la volonté de fuir une situation
sociale sombre et la quête d’une meilleure amélioration, du point de vue
matériel ou autre.
De son côté, L.P.N. présente des nouvelles dans lesquelles l’héroïne
émerge à une liberté affamée après un itinéraire douloureux. En fait, si l’on croit
à la Préface à l’œuvre du Professeur Madior Diouf (2001), le milieu dans lequel
Satou vit « nous montre la bêtise humaine, les violences exercées sur les enfants,
la lubricité de l’homme combinée à l’autoritarisme que favorise la tradition et la
pauvreté ». En plus de cela, elle se sent mal en compagnie de certains de ses
condisciples issus de familles riches : « Aujourd’hui les canards, dit-elle, ne se
mêlent plus à la danse des paons » (L.P.N.). Tenaillée par cette pauvreté, cette
misère, le tout coiffé par le manque de respect envers l’être humain, pousse
Satou à lutter chaque jour pour retrouver la liberté. Celle-ci, elle l’aspire depuis
qu’elle est au lycée ; on se souvient de son choix qui porte sur un poème de
Césaire intitulé « Partir » (voir la nouvelle « Mariage volé »). C’est dire que
l’individu cherche un certain réconfort dans son propre environnement mais
dès lors que celui-ci ne parvient pas à lui procurer l’épanouissement dont il a
besoin, c’est alors le départ vers d’autres espaces plus cléments. Et tout cela la
motive davantage dans son désir de sortir de ces difficultés en empruntant les
chemins de l’Europe.
Ousmane Sembene dans L.N.D... suggère qu’en Afrique, la dégradation
des valeurs s’est opérée à partir de leur fausse perception de l’Occident. À
Dakar, l’implantation du couple Blanc qui détient seul une voiture dans tout le
village, la nature de sa villa sur la route de Hann, suscitent davantage de l’envie
d’aller en Europe. C’est cette aisance matérielle qui enfonce de plus en plus les
Africains au mirage. Ainsi, considéré comme un lieu de consécration et de
réussite sociale, un endroit où l’argent se gagne sans grande peine, Paris
demeure l’espace mythique vers où convergent beaucoup de personnages
africains en quête de meilleures conditions de vie, le savoir y compris.
Toutefois, l’être humain, pour se libérer d’un environnement qui l’étouffe
et le soumet aux difficultés de la vie, trouve une solution : lutter pour la survie.
Et le départ vers un ailleurs plus clément (cette idée est toujours fondée sur un
mirage) demeure la seule issue possible pour les personnages de la nouvelle
afin de parvenir à un tel résultat. Donc, l’aspiration au bonheur va se
concrétiser par le voyage imposé par le hasard de la vie ou par la volonté des
personnages.
Si certains sont motivés par la recherche du bonheur, d’autres sont guidés
par la quête du savoir. Celle-ci est une activité par laquelle l’être humain tente
de comprendre le monde et la nature des choses tels qu’ils se manifestent à
partir de données fournies par l’observation. Ce savoir peut être ésotérique ou
exotérique et il permet à l’homme de percer le mystère de l’univers. Vivre sans
savoir équivaut à vivre inutilement et à dormir pendant toute sa vie. D’emblée,
ceux qui en manifestent une soif inassouvie s’offrent tous les moyens possibles
quelles que soit les pertes hideuses qu’ils peuvent encourir pour arriver à leur
fin. Cela se justifie par la détermination farouche de Satou à vouloir sauver ses
études et sa dignité, à la suite de son divorce avec son mari. Ailleurs, Fatou
Diome nous dit que le savoir est l’objectif le plus grand et le plus noble qu’une
femme puisse se fixer sur terre. En tout état de cause, semble nous dire
Ousmane Sembene, aucun écolier africain ne refuserait pas le chemin de
l’Europe. Il dit : « Quel est l’écolière qui n’a pas rêvé de la France, des rues
illuminées » (L.N.D..., p.78). C’est le cas de François Gogodi dans Kocoumbo,
l’étudiant noir. Celui-ci veut coûte que coûte aller en France afin d’étudier «
comme tout le monde » (A. Loba 1960).
Nous nous souvenons déjà le fait que, dans L’Aventure ambiguë, Samba
Diallo, durant une étape de sa vie, quitte son Diallobé natal afin d’aller en
2003, p.162). Dès lors, le départ vers l’ailleurs apparaît comme une voie qui
mène au salut, un moyen de soulager la douleur d’un quotidien incertain,
marqué par l’injustice, la pauvreté, l’exploitation abusive de la femme
gardienne du foyer qui ne cesse de vivre dans la misère et dans l’absurdité de la
vie. L’idée d’une quête de liberté et l’épanouissement social constituent un
élément central qui contribue à favoriser les déplacements comme le note
toujours Fatou Diome dans Le Ventre de l’Atlantique: « L’exil est pour moi gage
de liberté » (F. Diome, 2003, p.262).
En résumé, si nous faisons l’exégète de ce vaste et complexe thème, nous
nous rendons compte que les sempiternels déplacements d’un lieu vers
d’autres, proches ou lointains, sont, en général, motivés par la quête de
meilleures conditions à savoir le bonheur dans toutes ses dimensions. Dans ces
conditions, l’Africain, traumatisé par un présent qui ne lui donne aucune
possibilité de réussite, mythifie l’Occident jusqu’à la considéré comme un
Eldorado, idée elle-même illusoire. Par ailleurs, d’autres sont motivés par la soif
de savoir qui, seul, permet à l’homme, dans sa quête, de percer les mystères de
ce monde et d’instaurer une vie sécurisée. Ainsi, tels que décrits dans leurs
consciences et dans leurs imaginations, ces biens par excellence ne cessent de
stimuler leur curiosité et de hanter leurs rêve. De toute façon, la recherche de
gain, de capital est aussi l’une des causes du départ qu’il ne faut pas négliger.
Cependant, une étude sur l’univers des voyageuses nous élucide davantage sur
le phénomène.
Par ailleurs, dans L.P.N., Satou se sent gênée au plus profond d’elle à
cause des regards fixés vers sa direction du fait de son caractère exotique. À
travers cette attitude des Français, elle se sent comme exclue et prend, alors,
conscience de la singularité qui caractérise sa personne « une carte
d’immatriculation raciale et ethnique voilà pourquoi on me regardait tant »
(L.P.N., p.59). Par l’emploi de l’expression « carte d’immatriculation », Fatou
Diome fustige l’ethnocentrisme des Blancs qui affichent toujours un regard
étonnant devant d’autres races qu’ils considèrent comme des gens dépourvus
de cultures, à la limite comme des choses. C’est le cas par exemple de M.
Dupont qui se plaint devant sa femme pour dire : « Mais qu’est-ce que tu veux
qu’on fasse avec ça ? » (L.P.N., p.62). En parlant d’une telle façon à propos de
Satou, celui-ci fait preuve d’un manque de respect total à l’égard de la
Sénégalaise mais aussi de la race noire toute entière. Cela se note aussi dans les
paroles malveillantes du retraité de la Marine Nationale dans L.N.P. : « Oh ! les
indigènes ignorent la date de leur naissance » (L.N.D..., p.161). Même le moyen
de transport avec lequel Diouana est embarquée rappelle la triste période de
l’esclavage : le bateau. Comme l’a noté Ousmane Sembene dans « Nostalgique
», une nouvelle du recueil intitulé Voltaïque, La Noire de... : « Elle est victime
comme nos ancêtres / du troc » (p.186). La discrimination atteint son comble au
moment où le voyage de ses patrons est « assuré par la compagnie » de
l’aéronautique de Dakar.
Cependant, les familles Dupont, Dupire dans L.P.N., Monsieur, Madame
et les enfants dans L.N.D… ne sont pas les seuls à mépriser les étrangers ; les
autorités étatiques aussi démontrent cette indifférence. En fait, ils ne
développent aucune politique consistant à venir en aide aux Noires. C’est ainsi
que Satou se retrouve seule et sans secours suite aux démêlées qui résultent de
son mariage. Ce dernier n’est en vérité qu’une autre forme d’exploitation dont
elle est victime et qui démontre que les étrangers, à son image, subissent les
abus des Français qui les utilisent d’abord, et les abandonnent ensuite. Leur sort
devient ainsi plus pathétique que celui des animaux qui semblent être plus
considérés qu’eux comme en témoignent ces propos : « dans ce pays il y a la
SPA pour les animaux abandonnés par leurs maîtres, mais rien pour les
étrangers que les Français ont livré à la mort » (L.P.N., p.76).
Dans L.N.D…, les inspecteurs chargés d’enquêter sur la mort de Diouana
n’ont pas approfondi leur investigation pour déterminer les véritables causes
du suicide de cette bonne qui est heureuse quand elle quitte l’Afrique pour la
France. Ainsi, par la marginalisation et la non-assistance des Noirs en Europe,
les nouvellistes, Ousmane Sembene et Fatou Diome, font dans leurs œuvres un
procès de la xénophobie qui fait que renforcer le visage masqué de la misère
européenne. Cette déconstruction de l’image idyllique de la France est
amplifiée par la relation sado-machochiste qui lie Blanc et Noir depuis toujours.
Le sadisme est la volonté perverse qui consiste à humilier l’autre et à le faire
souffrir dans sa chair comme dans son âme. Cette maladie psychique imprègne
la conduite des personnages européens mis en scène par les deux nouvellistes.
S’adressant à Diouana, Madame dit : « Diouana, tu es sale quand même. Tu
aurais pu laisser la salle de bain en ordre [...] Que tu en aies marre, c’est
possible. Mais que tu mentes comme les indigènes [...] J’aime pas les menteuses
et tu es une menteuse » (L.N.D..., p.184).
Persécutée, Diouana choisit de se suicider pour ne pas vivre dans la
soumission et dans la misère totale. Quant à Satou, de ce jadis de son bonheur,
elle repasse à l’ici de son malheur. En ce sens, les deux héroïnes subissent toutes
le même sort ; elles sont exploitées, opprimées et déçues : l’une dans vie de
bonne de maison, l’autre dans sa vie de couple. C’est à travers l’isolement moral
et la solitude physique que nous saisissons la souffrance morale des deux
héroïnes. Elles sont perpétuellement en proie à un déséquilibre psychologique
profond qui les vide d’elles-mêmes. Devant la fragilité de leur condition sociale
et des menaces constantes qui pèsent sur leurs personnes, elles ne peuvent
s’empêcher de méditer sur leur sort. C’est pourquoi, Léon-François Hoffmann
écrit : « De pitoyable victimes, le Noir deviendra ce grand enfant que la France
[a] pour vocation de civiliser »2.
Fatou Diome a raison d’écrire dans Le Ventre de l’Atlantique : « Clandestins,
sans diplôme ni qualification, vous risquez de galérer longtemps, si toutefois
vous avez la chance de ne pas vous faire cueillir par la police prête à vous
étoffer dans un charter » (2003, p.203).
En somme, en plus des modifications climatiques qui ne facilitent pas leur
séjour en Europe, les voyageuses sont victimes du racisme des Blancs qui
abusent d’elles et les maltraitent. Cette haine, présente dans l’univers social,
visible à travers une technique de déconstruction de l’ailleurs, se trouve aussi
dans le monde de l’emploi.
est à noter aussi qu’après les conditions climatiques, l’autre difficulté que
rencontrent les voyageuses, c’est l’insertion dans le marché du travail. Ce
problème fait d’elles de misérables chercheuses de jobs.
La femme domestique en France n’est jamais perçue comme un acteur,
mais toujours comme une cible qu’il faut exploiter. Or, la réalité ne correspond
pas tant s’en faut, à cette image : loin de se construire en irresponsables,
nombreuses sont les femmes domestiques qui sont devenues, de ce fait, des
soutiens financiers de leurs familles, qui en ont une claire conscience et qui en
tirent souvent une légitime fierté. À cela s’ajoute l’inhospitalité des employeurs
qui se considèrent comme de véritables rois. Ils éprouvent un dégoût vis-à-vis
des Noires. Parfois, ils refusent d’être envahis par des étrangers qu’ils jugent,
non seulement de trop, mais surtout souillant. Ainsi, Négresse dans une maison
où les Blancs sont maîtres, Diouana possède une sensibilité et une perspicacité
lui permettant de comprendre les moindres gestes et paroles mais que sa
condition de « bonne » lui permet de se taire.
Dans ce milieu, l’oppression commence quand on nie à la femme
domestique son statut de personne, la responsabilité de ses actes ; l’exploitation
la renvoie à la confiscation d’un « surtravail », partie non rémunérée du temps
de travail, condition nécessaire pour que, l’employeur réalise une plus-value. À
la stricte exploitation économique s’ajoute l’oppression liée au statut de la
femme.
Par ailleurs, faire travailler des femmes se pratiquait dans le but d’avoir
du travail gratuit ou à moindre coût. L’examen historique des faits l’atteste, tout
comme le vocabulaire de la dépendance, réelle ou symbolique. Toute une
parodie terminologique renvoie, en effet, à l’équation « femme = infériorité », «
femme= soumission ». Prenons le plus plein des termes latins classiques. Le «
servi », devenu « serfs » au cours du Moyen-âge central, et la désignation
ethnique des esclaves de traite à partir alors d’un état d’infériorité de sexe et
d’âge. Dès lors, il apparaît normal que le travail des femmes ait été
fondamentalement un travail domestique, c’est-à-dire lié à la famille, à la
maison, à l’économie domestique. Car le travail domestique est affaire de
subordonnés. D’autres études faites sur la condition des voyageuses en France
indiquent des résultats semblables concernant les bas salaires, des conditions de
travail pénibles, de longues heures, un bien-être réduit au minimum. Diouana
est une bonne-à-tout-faire qui perçoit uniquement trois mille francs par mois.
Quant à Satou, non seulement elle travaille « 7 heures par semaine » (L.P.N.,
p.106), mais « elle fait tout dans la maison » (L.N.D..., p. 65).
Toutefois, à la base du sort douloureux réservé aux femmes Noires dans
les sociétés européennes où l’esclavage est loin d’être éradiqué, du moins dans
les mentalités et les pratiques, il y a l’idée, le mythe selon lesquels le Blanc est le
Maître et le Noir, l’esclave. En effet, celui-ci est considéré comme un citoyen de
deuxième classe. Ce racisme qui l’empêche de s’épanouir librement est illustré
et traduit en acte et en parole. Dans L.P.N., la narratrice entre dans la pensée du
maître de famille Dupire et devine le fond de sa pensée envers Satou dont il
suggérerait qu’elle est venue piquer leur pain à la bouche : « Il secoua la tête,
l’air de dire : encore une qui veut le pain de nos gosses » (p.78) ou bien « la
relation entre employeur et employé, dit Fatou Diome, n’est pas une relation de
personne à personne, mais de ventre à pain » (L.P.N., pp. 92-93). Diouana, de
l’autre côté, est contrainte d’accomplir un travail digne des camps de
concentration nazis ; elle le doit uniquement à la cruauté de Madame. Le
dialogue qui les oppose en est une illustration :
3 Parti politique français nationaliste fondé en Octobre 1972 et présidé depuis lors, par Jean-Marie Le Pen.
Son nom complet, à l’origine, était Front National pour l’Union Française (FNUF).
gagne vaut les valeurs que l’on perd ». Devant toutes ces ridiculisations,
l’héroïne, pour garder son travail, est obligée d’accepter la soumission.
En somme, les Noires en quête d’un meilleur avenir en Europe sont
confrontées non seulement à une rude exploitation, mais aussi à une
humiliation qui leur vole leur dignité et ternie l’image de toute une race. La
société décrite à ce niveau est faite de toute les horreurs. Ainsi, l’élément
commun aux deux recueils de nouvelles est sans doute la médiocrité et la
banalité navrantes des Blancs. Il apparaît que tous les contre-héros sont
dominés par une animalité sourde et qu’ils se rapportent invariablement aux
instincts du racisme, de la discrimination, de la ségrégation et de
l’ethnocentrisme qui réduisent leur champ d’épanouissement d’où les titres des
nouvelles. Toutefois, tenace et vaillantes, grâce à leur intelligence et leur
dignité, Satou parvient à surmonter les obstacles et se construire un autre
univers socio-professionnels confortable à sa survie, tandis que Diouana résout
le problème par le suicide qui signifierait implicitement le refus catégorique à
toute forme de soumission au Blanc.
Conclusion
En définitive, à travers cette analyse, il semble que les nouvellistes comme
Ousmane Sembene et Fatou Diome tentent de dénoncer le caractère
inhospitalier de l’Occident et le déracinement total dont sont victimes les
candidats au voyage. Que ce soit celles qui, depuis leurs villages, convoitent la
ville, attirées par ses mirages et ses promesses ou celles qui quittent
complètement leurs pays pour le chemin de l’Occident, le constat reste le même
: elles sont toutes victimes d’illusion. Dès lors, longtemps synonyme d’espoir et
de progrès du fait qu’elle semble permettre à la femme africaine de satisfaire ses
besoins élémentaires et d’y développer une vie sociale, la ville africaine ou la
capitale occidentale devient aujourd’hui pour beaucoup si invivable.
Références bibliographiques
Marwa HLEL
Université Paul Valéry Montpellier - France
Laboratoire CRISES
hlel.marwa@gmail.com
Abstract : Starting from the analytical and reflexive look brought to the
European coastal houses built between 1920 and 1950 in Sidi Bou Saïd and
Hammamet, the present work focuses on the relationship between the
concept of the artialisation, the coastal architecture and the tangible and
intangible heritage. The aim is to reveal the different forms of the cultural
and artistic mix between the East and West. In fact, pictorial, literary and
poetic representations, mixed with linguistic, mythical and architectural
registers outline a path towards the construction of an aesthetic architecture
and a new way of life on the Tunisian coast. Often marginalized, this coastal
heritage finds in the diversion of the initial function a preserved past that is
still surviving.
Introduction
Depuis l’instauration du Protectorat en 1881, la Tunisie connaît des
mutations politiques, sociales, économiques ainsi qu’architecturales et artistiques
caractérisant cette période transitoire de son histoire. Sa réception des flux
d’européens allait du quartier franc de la Médina, à la nouvelle ville européenne
jusqu’aux les villages de la banlieue de Tunis et la région de Cap Bon où les
résidences permanentes et secondaires en bords de mer constituent une véritable
1 Parmi ses ouvrages sur l’architecture tunisienne, on cite : L’habitation tunisoise. Pierre, marbre et fer dans
la construction et le décor (1978), Palais et résidences d’été de la région de Tunis (XVIe-XVIIe siècles) (1974),
Aspects de l’élément andalous dans les palais et demeures de Tunis (1973).
Pendant combien d’années faudra-t-il tremper nos yeux et notre pensée dans
ces colorations insaisissables, si nouvelles pour nos organes instruits à voir
l’atmosphère de l’Europe, ses effets et ses reflets avant de comprendre celle-
ci, de les distinguer et de les exprimer jusqu’à donner à ceux qui regarderons
les toiles où elles seront fixées par un pinceau d’artiste la complète émotion
de la vérité.
De Maupassant (1993, p.90)
Son palais était un véritable carrefour de rencontre pour les peintres, les
musiciens, les voyageurs, les hommes de sciences d’origine européenne,
tunisienne ou maghrébine. Sans oublier le grand intérêt qu'il portait à la musique
andalouse et du Malouf ainsi qu’aux instruments musicaux pour compléter son
œuvre orientale.
À l’aide d’un petit bateau, je me suis rendu au large pour vérifier la justesse
de l’implantation de mes bâtiments. Je voulais, du lycée, profiter de la vue
tout en respectant, l’intégrité du site millénaire.
Institut français d’architecture (1991, p.228)
Illustration 3 : Sidi Bou Saïd, Jacques Marmey, Aquarelle, 1987, Le centre d’archives d’architecture du
XXe siècle, Paris Source : Fonds Jacques Marmey. Centre d’archives d’architecture du XXe siècle
2L’architecturevernaculaire est avant tout une architecture amie du patrimoine et de l’environnement. Elle
est mise en œuvre par le biais de discours transmis d’une génération à une autre. Elle présente le modèle
d’une intégration à un environnement aussi complexe tels que le désert, la montagne, le littoral, etc. Selon
Amos Rapoport, l’architecture vernaculaire se définit à partir du climat, de l’économie, de la technologie,
des matériaux et de la religion.
le moucharabieh, mais aussi, les terrasses et la piscine encadrée par une galerie
d’arcades, sont agencés d’une manière à capter les segments de la nature, les
couleurs et la lumière dans son évolution journalière (voir Illustration 7 et 8).
Toute blanche, cette maison se fonde nettement dans l’atmosphère
méditerranéenne, excluant toute illusion de construction ou d’aménagement.
Ces caractéristiques s’appliquent à dar Henson avec une jonction entre les arts.
Des éléments architecturaux comme le patio, le bortal3, le moucharabieh, la
dokkana4, l’atba5 ou le seuil, les portes traditionnelles à double battants affirment
le style arabo-musulman (voir Illustration 9). L’agencement de l’espace intérieur,
quant à lui, est imaginé par Jean-Michel Frank, ami proche de couple Henson. Il
3
Bortal (bratel en pluriel) est un débordement au niveau de la dalle permettant de protéger les pièces
ouvertes sur le patio à ciel ouvert.
4
Dokkana ou dukkana (dkaken en pluriel) est une banquette en pierre, blanchie à la chaux.
5
Atba (atteb en pluriel) est une marche située à l’entrée principale de la maison.
patio, wesetel-dar entourée par des portiques et des pièces ayant la forme de T
renversée. Cet usage du terme Dar par les européens est voulu probablement
pour sa signification sociolinguistique et patrimoniale ainsi qu’architecturale. Ils
désiraient n’est-ce pas déchiffrer les signes de la culture arabo-musulman et de
s’investir profondément dans le patrimoine au moment où les tunisiens le
laissent en préférant le style moderne et international.
Une initiative privée tout en faisant appel à des acteurs variés et complexes
en Tunisie et en France aboutit finalement au classement du village Sidi Bou Saïd
patrimoine mondiale par l’UNESCO en 1979. Avec Sébastian et Henson le
tourisme qui se fonde sur le voyage passager se transforme en un tourisme
romantique de résidence ou selon la formule de Paul Klee une manière d’«habiter
poétiquement Hammamet » (Duvignaud, 1980 :31). Cependant, les architectures
produites sont fortement attachées au paradigme patrimonial dont le concepteur
le façonne et le réutilise selon ses approches personnelles et ses rêveries. Il n’était
pas difficile que cette créativité architecturale se diffuse en tant qu’un véritable
art de vivre et de construire. Après des années d’isolement dans la Dar Lekbira,
Sébastian se remet à réaliser des actions de rénovation, de sauvegarde et de
réaménagement dans la ville de Hammamet.
Il aménagea des souks couverts, installa un bain maure, rénova les échoppes
offertes aux artisans, créa un café-maure aux pieds des remparts y imposant
son style reconnaissable aux trois grands arcs qui reposent sur de frêles et
hauts piliers formant trois portiques rythmés en alternance avec trois
mûriers. […]. Il fit disparaitre les câbles électriques qui défiguraient la
médina et interdit les antennes collective, installée extra muros.
Revue d’art et de décoration (1967)
Ses ambitions n’ont pas de limite ce qui lui amène d’ailleurs à déclarer que pour
la région de Cap Bon jusqu’au le Sahel :
Une initiative qui est en continuité avec celle de Rodolphe même si les processus
et les résultats ne sont pas les mêmes. Palais Ennajma Ezzahra, Dar Patout, Dar
Sébastian et Dar Henson qui ont une mission militante dans la valorisation de
l’architecture arabo-musulmane continuent leur mission aujourd’hui sous une
forme nouvelle. Ennajma Ezzahra détournait de sa fonction initiale pour devenir
le Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes. Après l’acquisition de Dar
Sébastian par l’Etat, elle devient le Centre Culturel International de Hammamet.
Dar Patout et Henson, quant à eux, immortalisent l’histoire de leurs propriétaires
et leurs sites d’implantation. En effet, le concept de détournement se voit comme
une alternative pour revivre les bâtiments et préserver le patrimoine. Certaines
maisons en bords de mer qui ont tombé dans l’oubli pour des années ouvraient
leurs portes au public sous forme de musée de mémoire tels que le palais de
Habib Bourguiba (Palais de marbre à Skanès), le musée privé Dar El Annabi6 à
Sidi Bou Saïd. D’autres sont réaménagées en maisons d’hôtes à savoir Dar Babi
et Dar Lebhar à Hammamet, ou en accueillant une institution à savoir Dar El-
Kamila, la résidence de France à la Marsa. Le changement de la fonction initiale
ne se limite pas aux maisons côtières mais il atteindra les espaces sacrés comme
les zaouïas converties en un espace de loisir (café ou restaurant) ou culturel.
Même si la raison de leur existence s’estompe progressivement, ce nouvel usage
présente une forme de préservation face aux menaces du tourisme en masse.
Conclusion
De ces quelques maisons côtières, on arrive à parcourir une partie de
l’histoire de l’architecture tunisienne. Entre 1920 et 1950, Sidi Bou Saïd et
Hammamet ont connu des esthètes européens d’origine allemande, américaine,
française, italienne. Ils ont joué un rôle pionnier dans l’intégration d’un concept
nouveau l’artialisation de la nature et d’une œuvre architecturale esthétisée et
largement ouverte sur le paysage. C’est dans la trilogie : maison, jardin et mer
que la vie de ces esthètes se déroulait sans épanouissement. Cette artialisation in
situ est accompagnée par une artialisation in visu. Elle s’illustre dans les œuvres
artistiques, musicales, littéraires et poétiques. Paul Klee et ses amis peintres,
Auguste Macke et Louis Moilliet ont mémorisé leur voyage artistique à
Hammamet en 1914 par les peintures qui enchantent la lumière, la couleur et les
symboles de la Tunisie. Le discours élaboré par des artistes, écrivains, poètes,
architectes…à savoir Le Baron d’Erlanger, Jacques Marmey, Gustave Flaubert,
Guy de Maupassant complètent cette démarche esthétique. L’ensemble des
6 Dar El Annabi est une ancienne résidence d’été du Mufti Mohamed Annabi à Sidi Bou Saïd.
Références bibliographiques
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PAUL Klee. 2004. Journal, Grasset, Paris, coll. « Les cahiers rouges ».
Max-Médard EYI
Université de Libreville - Gabon
medardeyi2004@yahoo.fr
Introduction
L’herméneutique blanchotienne trace la ligne de démarcation entre ce qui
serait littéraire et ce qui ne le serait pas encore. Elle instruit que la littérarité du
dire littéraire se signalerait lorsque l’œuvre devient consciente de sa propre
question. La réflexion menée ici tente de creuser la voie par laquelle on peut
aller à la littérarité questionnante du texte de Verlaine et de Maupassant.
Autrement dit, lire le XIXe siècle à travers nos deux auteurs, mieux, cerner la
littérarité de Verlaine et de Maupassant dans le XIXe siècle s’écrivant, c’est
pointer le texte comme un être de langage en question, par une intensité telle
que cette question tient en haleine tout écrivain : le vide par le vide ; le mal
inconnu ; le climat mental ennuyeux. En fin de compte, ce qui est antérieur au
langage et qui est l’ancienne question qui se questionne sans cesse au point de
s’abolir est la tentative vaine et téméraire d’écrire la mort.
En effet, c’est de sentir et réagir qu’il est question ici. Il s’agit par-là de saisir,
sous ce double rapport qu’est l’a-perception1(L.-M. Morfaux,1999, p. 21-22) et la
ré-action, la manifestation épistémologique du XIXe siècle littéraire. En d’autres
termes, l’ambition pointer ici est de montrer les différents traits saillants de cet
immense siècle. Ce travail de la pensée mis délibérément en action est décelable
à travers toute la texture (R. Barthes, 1973, p. 101) des œuvres de Verlaine et de
Maupassant, ainsi que dans leur vie sociale. Il n’entre ni dans mon objet, ni
dans mes intentions de perdurer ici dans l’élan donné par le romantisme à
l’histoire, à la philosophie et/ou à l’élargissement de l’homme. Il m’importe
davantage de souligner comment à peine esquissée, la nosographie du « Mal du
siècle » romantique irrigue une vaste littérature de la plainte, de la déréliction,
du manque et … de la fascination du « moi ». Le sentiment romantique général,
c’est une itinérance incertaine et probabiliste ; des horizons toujours instables,
indistincts et désorientés :
1 « Terme créé par Leibniz signifiant la prise de conscience réfléchie par les monades douées de raison des
choses qui les entourent. Chez Kant, conscience de soi, soit aperception empirique, qui accompagne toute
connaissance du réel, soit aperception transcendantale ou Je Pense, principe suprême du moi, qui confère
l’unité au divers de la pensée. Chez Maine de Biran, aperception immédiate : acte par lequel le moi se
saisit comme cause et comme sujet dans le fait de l’effort ».
croyance à la vie future), soit de l’humanité ou de la nature (fin du monde, « jugement dernier », etc.). Phil.
Anal. Toute conception concernant les fins à venir de l’humanité et de l’univers (sens et fin de l’histoire) ».
« tout fume, tout brûle, tout brille, tout bouillonne, tout flambe, s’évapore,
s’éteint, se rallume, étincelle, pétille et se consume » (H. de Balzac, 1958, p. 166).
Une question se pose ici : « Mais qu’arrive-t-il quand l’époque tout entière
connaît l’épreuve du vide ? » (M. Haar, 1994, p.136). L’épreuve du vide
ensemence tout autre chose : la présence répétée de la détresse ressortissant
au registre de « la beauté tôt vouée à se défaire ». Mais au fond de cette
présence infinie de la détresse, ce que je veux clarifier dans ces pages
s’identifie à l’intensité de l’irréconciliation des romantiques avec le monde,
les amenant quasiment à souscrire au saut vers l’Inconnu, lieu qui
préfigure l’horizon ultime de formulation de ce « quelque chose » d’autre
que tout ici a clos :
H. de Balzac (1958, p. 166)
Calme-toi. Je suis mieux. - Vers des clartés nouvelles
Nous allons tout à l’heure ensemble ouvrir nos ailes.
Partons d’un vol égal vers un monde meilleur.
Un baiser seulement, un baiser !
Levaillant (1959, p. 150)
Serait neutre celui qui n’intervient pas dans ce qu’il dit, de même que
pourraitêtre tenu pour neutre la parole, lorsque celle-ci se prononce sans
tenir compted’elle-même, comme si, parlant, elle ne parlerait pas, laissant
parler ce qui ne peut se dire dans ce qu’il y a à dire.
Blanchot (1969, p. 447)
5 L’in-désir n’est pas le non désir ou le refus du désir. Sa postulation, plus ontologique, découle du
substantif adjectival « in-désiré ». À l’inverse du non désiré et/ou du refus du désir qui ressortent de
l’aspect technique des choses, l’in-désir défend et valorise la dénégation du vouloir et du sens. Dans son
acception terminale, le concept s’enveloppe du poids du néant des choses, de leur impossibilisation. En
tout court, son contexte d’énonciation topographie toujours et déjà la hantise de la finitude.
juillet 1873, à Bruxelles, deux coups de revolver qui blessent légèrement son
amant adolescent de dix-huit ans, Arthur Rimbaud... ou un grand poète, « le
plus grand poète français » d'après Borges, qui s'y connaissait en poésie ?
Il fut sans doute les deux. En tant qu'homme social, sa trajectoire nomme un axe
constant de l'être humain qui persévère dans la jubilation de « l'évidement »6:
Le destin silencieux trame les fils invisibles de nos vies mais s'annonce parfois en
sonorités prémonitoires. Venir au monde et s'appeler Paul Verlaine présage un
bonheur harmonieux. Moduler l'anagramme Pauvre Lélian inverse cette chance en
mélodie du malheur. (G. Gardes, 1996).Dans ses proses peu connues, Mémoires
d'un veuf (1886), Mes Hôpitaux (1891), Mes Prisons (1893), Confessions (1895), ainsi
que « Les poètes maudits » où «il se place au terme d'une lignée qui comprend
Tristan Corbière, Rimbaud, Mallarmé, Marceline Desbordes-Valmore, Villiers
de L'Isle-Adam » (P. Brunel, 1979, p. 1172), « Pauvre Lélian » fut sans doute son
propre premier biographe.
En 1844, notre planète accueillit la venue de Paul Marie Verlaine. Enfant très
choyé par sa mère et une cousine Elisa Moncomble, le petit-bourgeois fait des
études secondaires passables et, après son baccalauréat, il est employé de
bureau à l'Hôtel de Ville de Paris en 1864. Très affecté par la mort de sa cousine
Elisa en 1867, Verlaine se met à boire :
Je suis un berceau
Qu'une main balance
Au creux d'un caveau
Silence, silence!
6L'évidement en littérature prescrit une certaine manière de penser le personnage, qui ne sera plus cet être
entier, linéaire, compact, se posant lui-même comme maître absolu de son destin. Désormais, c'est un être
qui doute et assiste inexorablement à sa dissolution. Il expérimente l'échec, l'obsolescence valéryenne des
valeurs tout en découvrant le nouvel absurde par lequel un visage se dissout dans le vide.
7 L'école symboliste vouait un culte à Baudelaire et à l’idéalisme : le monde visible n'est qu'un reflet du
monde spirituel que seul le langage poétique permet d'atteindre. Chez Verlaine, reconnu comme le père
de cette école, l'idéalisme prend une forme particulière puisque le signe et la réalité à laquelle il renvoie
sont mêlés : l'âme et le paysage vivent au diapason sans que l'on sache lequel des deux est métaphore de
l'autre (« Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la ville »).
plus beau d’entre tous les mauvais anges » (Rimbaud) n’est jamais bien loin, la
tentation du crime de l’amour est toujours prête à surgir […] Ce que Verlaine a
essentiellement apporté à la poésie est un plaisir nouveau, fondé sur les
innovations prosodiques, une musicalité inédite, les claudications du mètre
impair ou d’un rythme discrètement syncopé : le dialogue de l’Indécis et du
Précis qu’évoque son « Art poétique » exclusivement orienté vers la recherche
de la nuance (Jadis et Naguère)/ Tout en recourant à un vocabulaire familier et
à des formes classiques. Verlaine crée des ruptures, dissonances, équivoques
par lesquelles le rêve s’introduit, la fantaisie se déploie, le paysage-état d’âme se
construit. Sachant bien que tout le reste… est littérature !(B. Valette/G.
Mathieu, 2003, p. 191).
On peut établir que le dispositif de la dislocation propre au Blanchot du
Livre à venir (M. Blanchot, 1959) incorpore une structure eschatologique « qui vit
de l’impossibilité même de se stabiliser » (D. Maingueneau, 2004, p. 53). La vie
et l’œuvre de Verlaine se mesurent par la multiplication des paramètres
paratopiques. On n’est pas loin de Mendelsohn parlant de « chien crevé », car
tout de lui sent le dangereux miroitement du gouffre, un parfum de péché, de
messe noire. D’ailleurs, il mourut dans un taudis et toute son existence
désordonnée semble une lamentable aventure, entrecoupée de repentirs sans
lendemains.
8Chez les écrivains, la figure de Saturne est considérée comme la planète de la mélancolie, froide et
malfaisante, ennemie de la nature, de l'homme et des autres créatures.
typologie décisive, au lieu où elle tient que l'œuvre véritable est celle qui
parvient à s'affranchir de sa répétition paresseuse du Même pour devenir une
écriture auto-prescriptive, autodestructrice, et inventive. En clair, une œuvre
qui devient une immense institution subversive, transgressive, mais surtout
exclusive.
Du latin exclusio, l'exclusion produit les modes de lisibilité moderne du
texte littéraire. En effet, une approche sociologique de type goldmannien (L.
Goldman, 1995) pourrait montrer que le « dieu caché » de cette exclusion se
réciproque avec l'idée de frustration, de privation des droits les plus légitimes.
Mais aussi, la relégation, l'interdiction, la marginalisation, l'excommunication,
le tortillage, l'expulsion, la radiation, l'élimination, la révocation, le rejet. Encore
convient-il de prendre la mesure de ce thème qui se consacre de manière
patiente et détaillée à ce qu'il convient d'appeler le nomadisme9 (I. Stengers,
1988) des horizons de sens du langage littéraire. Revenons à Maupassant ! Son
écriture est révélatrice d'un mal ontologique présent au XIXe siècle. En effet, ce
« clandestin »(O. Fribourg, 2000) nous convie à lire le déclin qui relève d'une
difficulté à vivre, car chez lui, l'identification au monde et l'identification de soi
est désormais impossible:
Son navire cachait au fonds des cales une marchandise monstrueuse, le Cthulhu de
Lovecraft, plus communément appelé le "hors-là", qui, penché au-dessus de lui, lui
faisait écrire: "À présent, je sais, je devine. Le règne de l'homme est fini. Il est venu,
celui que redoutaient les premières terreurs des peuples naïfs, celui qu'exorcisaient les
prêtres inquiets, que les sorciers évoquaient par les nuits sombres" [...]. (J. Macé-Scaron,
p. 14-18).
En repensant la conscience lucide de l'histoire de Maupassant et l'altérité
de son activité d'écrivain, il apparaît que dans son « soleil noir » (J. Kristeva,
1987), il y a dépression et création. Toute son œuvre est empreinte d'un
pessimisme profond, dû peut-être à sa santé fragile10. Mais avant de
« s'animaliser »11 peu à peu, la désinence de l'écriture de Guy de Maupassant
démontre que « plutôt que de chercher le sens du désespoir, il n'y a de sens que
du désespoir » (J. Kristeva, 1987). En effet, le désespoir est ce qui fait sens dans
son écriture car l'identité narrative tend vers la hantise de l'héritage de la
démence. Cette permanence du malheur à venir dans la vie de l'auteur détruisit
son équilibre psychique et le fit tomber dans la dépression. Disciple de
Schopenhauer12 (E. Clément, 1994, p. 322), les pleurants affligés entourés de la
9Sous l’appellation de « concepts nomades », elle montre que certains concepts voyagent d’une science à
une autre en commettant des infidélités sémantiques qui souvent, sont à l’origine de la naissance d’un
nouveau savoir.
10 Rappelons que Maupassant avait contracté dans sa jeunesse une syphilis et qu'il aurait hérité des
douloureux. Le désir, qui est l’expression consciente et individuelle de ce « vouloir-vivre » est tragique,
parce que l’homme croit, en l’assouvissant, servir ses propres intérêts, alors qu’il est au service de l’espèce,
comme cela est clair dans le cas de la sexualité. De surcroît, le désir est douloureux parce qu’il est
Conclusion
Avec Verlaine et Maupassant, la littérature atteint la jonction
problématique du corps et de l’âme ; une contamination entre dedans et dehors.
Dans ce type de « réalisme aggravé »14, la bile ou l’humeur noire se déverse sur
« l’extérieur des choses » : l’homme est au bord du précipice. C’est cet
effacement constant des traces et des signes qui conduit souvent la pensée
littéraire moderne à célébrer une mythologie blanche, une écriture sans origine
ni consistance. Dans ce paysage vide, côtoyant une sensation d’étouffement, la
littérature semble se détruire, disparaître, se retirer d’elle-même et expérimente
l’échec, la chute sans fin. Le gouffre est sans fond. Dans le projet scriptural de
Verlaine et de Maupassant, le langage constitue une expérience sans limites en
ce sens où il serait l’utopie de l’homme.
Références bibliographiques
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CLEMENT E. Pratique de la philosophie de A à Z, Paris, Hatier, 1994.
essentiellement manque, par conséquent insatiable. », [dans ;], (dir. E. Clément), Pratique de la philosophie de
A à Z, Paris, Hatier, 1994, p. 322.
13 La solitude essentielle est selon Blanchot le travail de l'écrivain qui consiste à rencontrer pleinement et
douloureusement le langage.
14Flaubert, pour son roman, Madame Bovary a été inculpé de « réalisme aggravé ».
ORMESSON J. d’. 1997. Une Autre histoire de la littérature française Tome 1, Paris,
Nil Éditions.
QUILLIO T R. 2000. Qu’est-ce que la mort ? Paris, Armand Colin, coll. « U. »,
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Mohamed YAMEOGO
Université Joseph Ki-Zerbo Ouagadougou – Burkina Faso
ouagazoodo@yahoo.fr
Akofenaçn°001 613
Littérature africaine de langue allemande : Potentialités didactiques de l´oralité
Introduction
Akofenaçn°001 615
Littérature africaine de langue allemande : Potentialités didactiques de l´oralité
Mündlichkeit wird in die Schriftkultur integriert als eine Quelle des Wissens
und der Artikulation von Welterfahrung und kann insofern als kritische
Reflexion der Entfremdung in Prozessen der Modernisierung begriffen
werden.
Hofmann (2008, p.290)1
1 « L´oralité est intégrée dans la culture de l´écriture en tant que source source de connaissance
et d´articulation de l´expérience du monde, et peut de ce fait, être comprise comme une réflexion
critique de l´éloignement dans le processus de la modernisation ». [Texte traduit en français par
nos soins]
2« […] les textes écrits des contes, en dépit de leurs manques, semblent être plus fiables et durer
plus longtemps que leurs versions orales ». [Texte traduit en français par nos soins]
3« Ce que démontre Kourouma, c´est le fait que les littératures orales africaines disposent d´un
ensemble de formes, d´images, de motifs et de thèmes qui peuvent être mobilisés ça et là pour la
réalisation d´œuvres écrites de belle facture ». [Texte traduit en français par nos soins]
4« Ma grand-mère savait toujours conter. Elle était une source intarissable. Elle ne savait pas qui
lui avait conté quelle histoire. Sa mère ou sa grand-mère ? Son père ou son grand-père ? » [Texte
traduit en français par nos soins]
Akofenaçn°001 617
Littérature africaine de langue allemande : Potentialités didactiques de l´oralité
Meine Großmutter wußte, daß die Geschichte von Ngono Mefane nicht
bei mir gefangen bleiben, sondern weitererzählt werden sollte. Sie
erwartete ein deutliches Zeichen von mir, daß ich dies auch wirklich tun
würde.
Belinga Belinga (1990, p.170)5
Ainsi, la petite-fille qui joue en même temps, le rôle d’auditrice, ne compte pas
intérioriser l´histoire de manière passive. Elle apprend à l´interpréter et ce, de
manière à inventer une nouvelle histoire, sur la base de l´ancienne.
Par cette illustration, Belinga Belinga tente de démontrer qu´il est bien
possible, de lier oralité et écrit sans toutefois, omettre des pratiques inhérentes, à
la manifestation de la tradition orale. Les commentaires ouvrent la voie à
l´auditrice d´exprimer ses sentiments. Puisque l´histoire se fonde sur des
situations spécifiques de la vie, alors le narrateur se permet facilement des
comparaisons entre les réalités de l´univers du conte, et celles de la vraie vie. En
outre, on peut aussi, noter la présence d´autres genres oraux comme les
proverbes, dans les pages 28, 48, 51, 52, 59 et même des chansons dans les pages
21, 69 et 118 qui ont été intégrées dans l´histoire. Tous ces genres de l´oralité sont
très importants, au regard de leur fonction didactique. Le texte de Belinga
Belinga pourrait être bien considéré comme source de motivation pour les
apprenants d´allemand du Burkina Faso, car en dehors, du cadre scolaire et/ou
en cours d´allemand, langue étrangère, il pourra leur offrir des possibilités
d´identification. Par conséquent, l´apprenant ne se verra pas seulement comme
un lecteur, mais aussi, comme un protagoniste et, cela devrait alors, lui permettre
une compréhension, plus facile du texte.
À côté des contes, dont la dimension éducative est considérable dans les
traditions orales, les fables ne sont pas aussi en reste. Avant leur processus de
littérarisation, elles existaient déjà, dans les sociétés africaines, mais se
transmettaient oralement. Elles admettent tout comme le conte, la présence d´un
auditoire et d´un conteur.
5 « Ma grand-mère savait que l´histoire de Ngono Mefane ne devait pas rester avec moi, mais
devrait plutôt, être transmise. Elle attendait un signe de moi, prouvant que je le ferais. » [Texte
traduit en français par nos soins]
Les fables attirent fréquemment, l´attention sur les dangers par le biais des
mises en scène fantaisistes et elles visent généralement, à donner des leçons de
vie de manière ludique (Lange / Petzoldt 2011, p.63). Par conséquent, elles sont
du point de vue de Walter Schäfer des (avertisseurs) « Mahner » qui invitent à se
comporter selon la bienséance (Schäfer 1999, p.181). Ce sont d´ordinaire, des
animaux qui sont certes, au cœur de l´intrigue, mais cela n´exclut pas le fait que
les personnages soient des humains, ou d´autres entités. La morale de la fable se
trouve communément, à la fin de celle-ci, et il appartient à l´auditoire, au cas où,
elle n´est pas explicitement exprimée, de la deviner.
En partant de la fable des Basaa, une œuvre éditée par le Camerounais Yomb
May, on peut tenter d´illustrer, un certain nombre de caractéristiques propres aux
fables, ayant été évoquées ici. Le projet de Yomb May à travers son œuvre, est
bien de démontrer à travers la prose que la littérarisation, n´entrave pas
forcement, les récits oraux et leurs caractères performatifs. Dans le même ordre
d´idée, il insiste que l´interaction entre le conteur et l´auditoire, favorise
continuellement, la reconstitution du contexte, du lieu et du motif de la narration
May (2000, pp.78).
Pour des apprenants africains de la langue allemande, ayant une
(socialisation littéraire double) «doppelten literarischen Sozialisation» , pour
ainsi reprendre les expressions de Riesz (1993, p.18), la lecture des fables éditées
par May, devraient être facile d´accès. Les aspects performatifs comme des
expressions « So geschah es ! »6 ou « Hört mir zu ! »7 font en général référence à
un contexte d´oralité.
L´emploie des proverbes pendant la narration est aussi, un autre élément se
renvoyant à la pratique de l´oralité. Dans le cas spécifique des fables Basaa, on
constate que l´illustration d´un proverbe peut conditionner la narration d´une
histoire donnée comme cela se remarque avec la fable Die Löwenjagd. Dans cette
fable, on raconte comment un écureuil, en mission pour des chiens est tombé
malade, en tentant de garder un répère dans lequel un lion avait trouvé refuge.
En se référant au motif de la narration, le conteur lui-même, explique le processus
de la transmission du proverbe illustré par la fable de la manière suivante :
Hört mir genau zu: Das Sprichwort »Das Eichhörnchen hat sich bei der
Löwenjagd den Keuchhusten geholt« kommt von einer Geschichte unserer
Vorfahren, die ich euch nun erzählen möchte. So“.
May(2000, p.32)8
6 Ceci étant!
7 Écoutez-moi!
8 « Ecoutez-moi bien : Le proverbe « l´écureuil a piqué la coqueluche en allant à la chasse au lion »
vient d´une histoire de nos ancêtres que j´aimerais vous raconter. » [Texte traduit en français par
nos soins]
Akofenaçn°001 619
Littérature africaine de langue allemande : Potentialités didactiques de l´oralité
Deswegen sagt man: »Das Eichhörnchen hat sich bei der Löwenjagd den
Keuchhusten geholt.« Dieses Sprichwort warnt uns davor, uns in
Angelegenheiten einzumischen, die uns nicht direkt angehen.
May (2000, p.33)9
Autant qu´une fable peut être introduite par un proverbe, il arrive aussi qu´un
un proverbe résulte de la narration d´une histoire. Pour cela, la fable n°12
intitulée Die schildkröte und der Hund constitue là, un exemple patent. Un chien
avait été nommé roi des animaux. Lors de la nomination, tous les animaux étaient
présents, sauf la tortue. Lorsqu´elle apprit la nouvelle, elle s´y opposa et entreprit
à la prochaine bonne occasion à tenter de prouver que le chien n´était pas digne
de la couronne. Lors d´une rencontre de tous les animaux, chez le chef choisi, elle
détourna l´attention du chien et de sa famille avec un os. Ce fut de cette manière
que le chien perdit son trône. Cette fable va amener le conteur à poser la question
rhétorique suivante: „Denkt ihr, daß die Vorfahren töricht waren, als sie sagten:
»Beherrsche deine Gelüste und üblen Angewohnheiten, wenn du dir Ansehen
und Respekt verschaffen willst?« (May 2000, p. 44).10
Les fables sont aussi bien importantes, d´un point de vue esthétique, que
didactique, et pourrait à plus d´un titre, jouer un grand rôle dans le cours
d´allemand, surtout au niveau du secondaire au Burkina Faso. Sa brièveté et sa
structure, facilement compréhensible, peuvent favoriser la promotion de la
lecture, chez les apprenants. Les lecteurs pourraient aussi, développer leurs
compétences communicationnelles sur la base de leur manière de narrer
l´histoire. En effet, les 20 fables de May Yomb offrent la possibilité d´identifier
des cas d´interaction, et des styles particuliers de narration. En dernier ressort, il
y a aussi, la possibilité à travers le travail, avec les textes d´acquérir des
connaissances grammaticales, ainsi que lexicales.
9 C´est la raison pour laquelle on dit : « l´écureuil a piqué la coqueluche pendant la chasse du
lion ». Ce proverbe nous prévient de ne pas nous immiscer dans des affaires qui ne nous
concernent pas directement. [Texte traduit en français par nos soins]
10 «Pensez-vous que les aïeux étaient fous lorsqu´ils disaient : « contrôles tes envies et tes
mauvaises habitudes, si tu veux te faire respecter et avoir une bonne image ? » [Texte traduit en
français par nos soins]
15 Citer les personnages qui sont plus ou moins concernés par le problème.
Akofenaçn°001 621
Littérature africaine de langue allemande : Potentialités didactiques de l´oralité
- Listen Sie die Elemente der Endsituation auf (Lehre, Moral, Sprichwort).17
In der Mündlichkeit sind das Sprechen und das Hören simultan und stehen
in Interaktion zueinander. Die Art, wie der Sprecher spricht, hat einen
Einfluss auf die Art und Weise, wie der Hörer zuhört. Umgekehrt beeinflusst
die Art, wie zugehört wird, das Sprechen. Sprechen bedeutet also immer
zuhören. Und zuhören bedeutet zugleich sprechen, deutlich sichtbar
machen, dass man zuhört, und zwar durch artikulierte Fragen oder durch
eine Körpersprache, die Zustimmung, Skepsis oder Ablehnung signalisiert.
Simo (2008, p.33)18
développées dans les sociétés marquées par l´oralité (Cf. Tokponto 2013, p.87).
Cela justifie alors, le développement et l´usage des moyens performatifs comme
la gestuelle, la mimésis et l´accompagnement musical dans la pratique de
l´oralité. Pour cela, l´artiste n´est pas le seul maître de la parole, il doit aussi,
écouter son auditoire afin qu´une communication interactive puisse être possible.
L´œuvre ainsi réalisée, est le fruit de l´artiste et du public (Cf. Simo 2008, p.33).
Acquérir des compétences à l´orale signifie apprendre à parler et à écouter,
en d´autres termes, c´est parler pour susciter des réactions et écouter pour
pouvoir prendre la parole. Ce schéma d´apprentissage tel que présenté, pourrait
éventuellement servir en classe comme en dehors du cadre scolaire à faire non
seulement, la promotion des compétences orales chez les apprenants d´allemand,
mais aussi renforcer le goût à la lecture.
Conclusion
Malgré la forte présence de la culture scripturale dans les habitudes, la
tradition orale occupe encore une place importante, aussi bien dans les sociétés
africaines que dans les productions littéraires. En entreprenant de l´analyser sous
une perspective didactique, il en résulte qu´elle favorise la communication. Les
acteurs en présence, c´est-à-dire l´émetteur (conteur) et le destinataire (auditeur),
ont la possibilité d´interagir dans le cadre du déroulement de la narration. Cette
valeur instructive de la littérature orale africaine se révèle être utile ; surtout dans
la perspective de trouver une solution au problème d´acquisition de compétences
orales chez les apprenants de la langue allemande au Burkina Faso. À ce titre,
l´étude des deux genres oraux dans la littérature africaine de langue allemande
permet de mettre les potentialités didactiques de ladite littérature en vedette.
Pour des apprenants, qui, justement pratiquent peu les connaissances acquises
en classe et dont la culture communicationnelle repose encore sur l´oralité, il
serait souhaitable d´avoir recours, à la pratique de la littérature orale comme
moyen de promotion de la communication orale. Toutefois, la condition pour un
accès plus efficient aux textes, serait de les faire accompagner de quelques
techniques dérivées de l´approche orientée vers l´action et la production.
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Akofenaçn°001 623
Littérature africaine de langue allemande : Potentialités didactiques de l´oralité
Abstract: The use of the adverb occupies a capital place in Kourouma’s work.
Its syntactic working obeys a stream of functions in the sentence. In an
expressive point of view, the adverb is extensively used in the process of
sense assignment. Both "categories", put together, affect the semantic content
of the literary speech. The act of appropriation of the language in speech by
the speaker for his own account determines a situation of enunciation in
which the statements emerge. All these factors finally create a particular style
effect for the writer.
Introduction
L’adverbe est un mot invariable qui modifie le sens d’un verbe, d’un
adjectif qualificatif, d’un autre adverbe. Il fait partie des termes invariables
comme les prépositions et les conjonctions. Il diffère néanmoins de ces deux
classes grammaticales parce qu’il peut assumer une fonction syntaxique dans la
phrase et possède en conséquence un contenu sémantique propre. En un mot, on
définit l’adverbe d’une manière générale par l’association de trois critères
fondamentaux à savoir : l’invariabilité, le caractère généralement facultatif et la
dépendance par rapport à un autre élément de la phrase. Du point de vue
morphologique, il existe une variété d’adverbes. Après cette définition de
l’adverbe, il convient de statuer sur ce qui nous occupe fondamentalement dans
l’analyse à venir. En effet, dans l’œuvre littéraire de Kourouma, l’emploi de
l’adverbe occupe une place importante. Quelles sont les fonctions qu’occupe
l’adverbe chez l’écrivain ? Qu’en est-il de son fonctionnement syntaxique et
énonciatif dans l’économie générale du texte ? Quels sont les effets de style qui
en résultent ? Notre analyse s’articulera autour de cette problématique.
Dans ces extraits qui précèdent, nous avons les adverbes antéposés aux
différentes phrases mais séparés d’elles par une virgule. La remarque que nous
pouvons faire ici dans ce cas, c’est la mobilité de ces adverbes ; ils peuvent se
placer soit en tête comme nous venons de le voir, soit en fin de phrase sans
aucune affection du contenu sémantique de la phrase. Ainsi, nous avons : il sera
pardonné par le colonel Papa le bon, autrement ; il allait en tenue de parachutiste
avec le revolver en main, partout. Quelle que soit la place qu’occupent les
adverbes de phrase, l’aspect sémantique de la phrase reste inchangé. Cela est dû
au détachement que connaissent ces adverbes. Ils correspondent à cet effet (en
position détachée) à une seconde affirmation qui est un commentaire de
l’énonciateur sur l’énoncé auquel ces adverbes sont associés. Par ailleurs, ces
adverbes « permettent à l’énonciateur de porter un jugement » (Dominique
Maingueneau 1999, p.94). Aussi l’antéposition de ces adverbes ne produit-il pas
le même effet que quand ils sont postposés. En position initiale, ils expriment une
réaction affective de l’énonciateur.
Nous constatons dans ces énoncés que les adverbes placés en fin de phrases sont
difficilement détachables de la phrase car ils sont directement liés à elle. Qu’en
est-il de la position de l’adverbe par rapport au verbe ?
Le verbe est à un temps composé : « si le verbe est à une forme composée, les
adverbes de temps et de lieu se placent ordinairement après le groupe auxiliaire
+ forme adjective » (Pinchon, 1962, 416).
Exemples : Nous les avons pris tout de suite en chasse. (p 97)
Ils avaient pleuré auprès du dictateur Houphouët Boigny (108).
(mise en évidence, lien avec ce qui précède) et des choix des écrivains ». En
somme, les différences de construction permettent de distinguer les sens et les
valeurs. Ainsi un adverbe peut-il avoir une valeur différente selon qu’il
détermine :
-un terme ou une phrase : on opposera ces deux énoncés suivants : Le colonel se
mettait nu et les femmes aussi. Dans cet énoncé, l’adverbe est placé après le verbe,
il a une valeur d’addition. Aussi le colonel se mettait-il nu. Ici, l’adverbe est proche
d’une conjonction, ceci donne un lien de conséquence.
-un verbe ou un adjectif : soit les énoncés ci-après :
Les guerrillos ont agi follement. L’adverbe a une valeur de manière dans
cette phrase. En revanche, dans ‘‘les guerrillos sont follement soûl’’, l’adverbe
devant l’adjectif qualificatif « soûl » prend une valeur d’intensité. En tout état de
cause, les adverbes de manière, selon le mot avec lequel ils sont construits, selon
leur place dans la proposition, selon l’intonation peuvent avoir des « valeurs très
variées » .Pour ce qui nous concerne et avec un regard de linguiste sur les
faiblesses de la grammaire traditionnelle, nous nous demandons : qu’en est-il du
fonctionnement de l’adverbe dans bien d’autres langues autre que le français ?
Existe-il des problèmes de place de cette classe grammaticale dans ces langues
du fait de sa variété ?
Dans les trois énoncés ci-dessus, « beaucoup, tout et rien » sont par nature
des adverbes et par leur fonction des sujets. Isolément, ils gardent leur nature
adverbiale, mais n’ont plus de fonction. La fonction est ce qui les rattache aux
contextes dans lesquels ils figurent, c’est ce qui distingue le mot dans un contexte
du mot isolé. Ainsi, les adverbes « beaucoup, tout et rien » n’assument la même
fonction : la fonction de sujet, respectivement par rapport aux verbes
« connaissent », « est déballé » et « marche ».
Dans les quatre premiers énoncés, les adverbes sont précédés des verbes
d’états. En effet, les adverbes permettent d’attribuer par le truchement de la
copule « être » , des qualités aux mots ‘‘ gâchis, concert, malinkés et au présentatif
‘‘c’est’’ .Ils occupent dans les phrases la fonction de sujet. Quant aux adverbes
eux-mêmes, ils ont une valeur adjectivale en ce sens qu’ils qualifient les procès.
Le dernier énoncé, lui, met l’accent sur la qualité de la bouffe qui est
nutritionnellement pauvre et non sur la manière de bouffer. En un mot, l’adverbe
« mal » joue le rôle d’un qualificatif.
E4 : Les royalties tombaient juste à la fin du mois, toutes les fins de mois. Johnson
décida que cela méritait d’être fêté. On organisa une grande fête au camp. On a
payé les salaires en retard. Même les enfants-soldats ont eu des dollars pour
acheter du haschisch. On dansait, buvait, mangeait, se droguait. Au milieu de la
fête, Johnson fait arrêter les festivités. (Allah p 163).
E5 : Le deuxième tour des élections se fait quand même. Malgré les amputations
des mains de nombreux citoyens sierra-léonais, le petit peuple sierra-léonais
s’enthousiasme pour le vote. Même les nombreux manchots et surtout les
manchots. Les manchots votent quand même. Ils entrent dans l’isoloir avec un
ami ou un frère pour accomplir leur devoir. (Allah p 180).
E6 : Alors le dictateur Eyadema aura une idée géniale, une idée mirifique.
Cette idée sera activement soutenue par les USA, la France, l’Angleterre et
l’ONU. Cette idée consistera à proposer un changement dans le changement sans
rien changer du tout. Eyadema proposera avec l’accord de la communauté
internationale au bandit Foday Sankoh le poste de vice-président de la
République de Sierra Léone, avec autorité sur toutes les mines que Foday Sankoh
avait acquises avec les armes, avec autorité sur la Sierra Léone utile qu’il tenait
déjà. (Allah p185).
particularité, c’est qu’ils ne portent pas sur le contenu du procès mais sur l’acte
même de proférer la phrase. Tout comme ces modalisateurs, d’autres apportent
un commentaire axiologique (bon / mauvais) ou un degré de réalité du procès.
On peut les apprécier respectivement dans les extraits qui suivent :
E7 :Walahé ! Le colonel Papa le bon était bizarrement accoutré (….) une soutane
blanche, soutane blanche serrée à la ceinture par une lanière de peau
noire…..P61.
E8 : La meilleure protection contre les balles sifflantes, c’est peut-être un peu de
chair de l’homme. Moi Tieffi, je ne vais jamais au front sans une calebassée de
sang humain…(…) une boule de sang qui est sûrement de la chair humaine.
P188-189
Les adverbes modalisateurs d’énoncé, (Sarfati, 2014, p.26) précisent le degré
d’adhésion du locuteur au contenu de l’énoncé (…) permettant, à travers cette
phraséologie spécifique, l’expression du certain, du possible, du probable etc.
Pour Émile Benveniste, dont nous partageons les propos :
L’énonciateur dans Allah n’est pas obligé, a su manier le discours par le biais de la
classe adverbiale pour rendre compte d’une situation donnée, et attirer
l’attention de l’homme sur les méfaits de la guerre.
Dans le même ordre d’idée, Léo Spitzer (1970) indique que le style est « la mise
en œuvre méthodique des éléments fournis par la langue ». A la suite de ces deux
auteurs, nous disons que l’œuvre littéraire, au même titre que toute autre
communication fournit à la stylistique les matériaux dont elle dispose pour sa
description, les faits. L’adverbe a été largement mis à contribution dans
l’expression des faits dans la production littéraire de Kourouma. Son étude a
consisté en la caractérisation de la vision de l’écrivain à partir des détails
linguistiques révélateurs. Ainsi, dans le processus d’assignation de sens, nous
étudierons les figures qui donnent une épaisseur à la production romanesque.
Nous nous attacherons essentiellement à montrer comment l’adverbe participe
aux effets de style dans son usage par l’auteur ivoirien. A ce titre, nous étudierons
1. La métaphore
La métaphore se définit comme une image qui opère par transfert de sens.
Ce transfert de sens se fait sur la base d’une identification de deux objets, souvent
par le moyen de la copule « être ». Selon le point de vue de la linguistique
moderne, le fonctionnement de la métaphore repose sur la mise en valeur ou la
sélection d’un ensemble de traits communs à deux termes qui sont par ailleurs
sémantiquement disjoints. Du point de vue de ses fonctions, on attribue
ordinairement trois fonctions essentielles à la métaphore. La première, d’ordre
cognitif dont le chef de file est Aristote « instruit et donne la connaissance » et est
de pratique constante dans les discours philosophiques, scientifiques
pédagogiques ou simplement quotidiens. La fonction persuasive, elle, opère dans
les discours politiques, juridiques moraux, en imposant des opinions sans les
démontrer. Sa force tient à ce qu’elle fournit une « analogie condensée, un
jugement de valeur accentué, elle endort la vigilance de l’esprit » en transférant
analogiquement une valeur décisive attachée au terme métaphorique sur la
proposition à faire accepter. La dernière fonction de cette image, qui est la
fonction esthétique dans laquelle s’inscrit notre étude, concerne les énoncés
littéraires. Dans cette fonction, de nombreux stylisticiens perçoivent la
métaphore comme un « ornement brillant » du discours. Son esthétisme émane
de son relief, de sa force imageante et de ses effets de concrétisation.
Dans le processus de communication, toutes les classes grammaticales ou
de mots peuvent s’employer métaphoriquement. Cependant, les classes
susceptibles d’être employées à ce titre sont les noms, les verbes et les adjectifs
qualificatifs. Quant à l’adverbe qui fait l’objet de notre étude, Fontanier P. (1986,
99) avance qu’il peut être « employé métaphoriquement mais assez rarement ».
Dans Allah n’est pas obligé, seulement quelques adverbes de négation et de
manière, bien que n’étant pas représentatifs jouent un rôle important à côté du
nom, de l’adjectif qualificatif ou du verbe qui font véritablement appel à l’image
métaphorique. Les quelques extraits qui suivent illustrent fort bien notre propos.
Exemples :
E1 : Sous l’emprise de l’alcool, le Colonel Papa le bon se rendit dans la prison ; à
l’intérieur, il souffrait, grognait, la colère ne s’éteignit pas d’une petite braise.
E2 : Les bandits de grand chemin se sont servis, (….) c’est au moment de partir
qu’un enfant soldat s’est réveillé et a tiré, tout en parlant obscurément…
2. La comparaison
La comparaison est une image qui identifie deux objets à partir d’un détail
qui leur est commun. Elle procède par un rapprochement de sens entre deux
réalités au moyen, bien souvent, d’un terme de comparaison qui peut être un
verbe (sembler, paraître), une expression (on n’aurait pu le prendre pour), ou un
adverbe (comme, aussi…). Les comparaisons sont extrêmement nombreuses et
largement mises à contribution dans Allah n’est pas obligé. Elles font souvent appel
à des réalités faciles à visualiser par le lecteur et le rapprochement entre le
comparé et le comparant est sous un angle ironique. Nous pouvons apprécier la
comparaison rendue possible dans les extraits qui suivent par l’adverbe
« comme » :
E 3 : Elle était jolie comme une gazelle, comme un masque gouro.
E4 : Nous étions tous forts par le hasch comme des taureaux.
E5 : Ils étaient vilains et sales comme l’anus de l’hyène.
E6 : La première fois que j’ai pris du hasch, j’ai gueulé comme un chien.
E7 : Tous les hommes de l’univers avaient eu marre de voir au Libéria les nègres
noirs africains indigènes s’égorger comme des bêtes sauvages ivres de sang.
E8 : Le général Onika était une petite femme énergique comme un cabri auquel
on a pris le petit.
E9 : Le Prince Johnson commanda qu’on coupe les doigts de Samuel Doé, (…) le
supplicié hurla comme un vau.
Dans ces illustrations, nous nous rendons compte que l’écrivain semble établir
une corrélation entre deux isotopies différentes par leur mode d’existence à
savoir celle de l’humanité et celle de l’animalité. L’homme et l’animal semblent
coexister chez Kourouma et cela crée une sorte de comique. Par ailleurs cette
coexistence n’est pas fortuite. Elle donne ou attire une attention très particulière
quant à l’attitude inhumaine de l’homme face à son semblable. Dans ces
exemples rigoureusement sélectionnés, sans exception d’ailleurs, nous avons
remarqué trois éléments : l’objet ou l’homme dont on parle, la qualité commune
exprimée par le verbe et l’objet repère considéré comme le prototype de cette
qualité. Ainsi, la comparaison dans son fonctionnement dans la phrase est plus
analytique : elle détaille, explique. Ce processus d’assignation de sens nous
amène à dire que ces comparaisons semblent attirer l’attention de l’être humain,
en l’occurrence les dirigeants noirs africains, sur les méfaits de la guerre ; une
attention mêlée d’humour.
Conclusion
La classe adverbiale a été largement mise à contribution tant au niveau
syntaxique et sémantique qu’au niveau énonciatif. Dans une virulence
langagière, du fait des faits poignants dans une période donnée, dans une
Afrique en proie à la guerre civile, l’écrivain a su mettre en relief par le
truchement de l’adverbe, le mécanisme d’engendrement énonciatif du discours
littéraire. On a fort bien remarqué, les différentes fonctions qu’occupe l’adverbe
ont une incidence sémantique sur le contenu de l’énoncé. Ce fait énonciatif, si
l’on se réfère à son instauration dans le discours littéraire, correspond bien
souvent dans certaines situations à travers notre analyse, à une tension
objectivisante. En vertu d’une situation de guerre avec son corolaire de pertes en
vies humaines en masse, l’énonciateur se pose ici dans les constructions
syntaxiques amenées par les adverbes, comme un éveilleur de conscience qu’il
justifie à l’envi la prolifération des formes diverses d’adverbes dans les énoncés.
Le trait sémantique de l’adverbe, lequel entretient des relations privilégiées avec
le trait axiologique, est un fait révélateur de la mise en sens du discours
romanesque. Le discours littéraire est essentiellement un moyen d’agir et il doit
être observé en situation. A ce titre, la classe adverbiale est un processus
linguistique énonciatif majeur parmi d’autres classes grammaticales qui a, dans
l’œuvre de Kourouma, montré la force argumentative du discours. Les adverbes,
pour terminer, dans le discours littéraire de l’écrivain ont mis en relief, sur les
plans syntaxique et énonciatif, l’esthétique d’une œuvre par les effets de style qui
en découlent.
Références bibliographiques
GREVISSE Maurice. 1993. Le Bon usage, 13ème édition (refondu par André Goosse),
Paris, Duculot.
Introduction
Si Saint Augustin a pu dire qu’il n’est pas de crime que l’enfant ne serait
tenté de commettre s’il avait la liberté totale sur ses actes, il voulait
certainement faire comprendre que l’enfant est une réserve du mal ou du péché.
En effet, l’enfant, des siècles durant, a été représenté d’un côté comme un ange,
de l’autre comme un démon. Donc, il fallait recourir à des mesures punitives (la
fessée), afin de lui inculquer une éducation fiable et prometteuse. C’est dire et
reconnaître que l’enfant est voué au mal, tout en ayant des prédispositions
susceptibles de l’aider à apprendre et à comprendre le monde qui l’entoure. A
cet effet, le rôle de l’éducateur serait de l’éloigner de ses inclinations supposées
naturelles afin de lui apprendre et de lui transmettre les savoirs utiles à son
adaptation familiale et sociale. Cependant, c’est avec F. Dolto (1977), que
l’enfant devient « l’enfant-roi ». L’enfant a une conscience et un langage dès sa
naissance. Donc l’enfant est « un sujet à part entière » (idem) à qui il faut donner
la liberté d’entreprendre. Pour Dolto (id), l’éducation bascule à la permissivité,
sur la base de laquelle les parents doivent la liberté à l’enfant sur tout ou
presque. P. Mbonguila Mukinzitsi, estime qu’une telle éducation participe de la
destruction de l’enfant et de sa désocialisation. C’est dans ce cadre que s’inscrit
son roman les courbes du fleuve (2016).
Cette œuvre romanesque propose et présente les causes et les
conséquences néfastes du style éducatif permissif ou laxiste. Le roman met en
œuvre l’histoire d’un jeune immature qui finit par polluer et déstabiliser le
système éducatif de toute une école. L’instabilité et le déséquilibre, imputables
au jeune garçon, irradient vers la société entière, occasionnant mort, séparation,
délinquance juvénile, mensonges, dépravation des mœurs et désobéissance. À
cause du laxisme et de l’irresponsabilité de son père, l’adolescent prendra goût
au mal, voulant éliminer tout ce qui se dresse contre son égo démesuré.
Cependant, le roman ne donne pas à voir passivement le spectacle d’un univers
voué à l’échec à cause des caprices d’un « enfant à papa », orgueilleux et
prétentieux qui pense obtenir tout ce qu’il désire. Sa perspective est de réunir et
de proposer, à travers le chaos orchestré par le jeune garçon, les valeurs
religieuses, sociales et juridiques, qui participent de la construction de
l’équilibre et du développement d’une société.
Comment ce roman traite-t-il l’éducation ? Comment se manifeste-t-elle ?
Quelles sont les voies et techniques textuelles dont il se sert pour le montrer ?
Quel est l’objet visé par l’auteur, en dévoilant les causes d’une éducation
permissive chaotique ?
Afin de construire une étude scientifique fiable et répondre
convenablement à ces questions, il nous paraît appliquerons à notre corpus la
sémiotique « figurative » de P. Hamon et D. Bertrand (2000), notamment
l’actorialisation. C’est l’étude du personnage comme signe dans la lisibilité
sémiotique. P. Hamon (1972) identifie trois catégories de personnages : le
personnage-référentiel, le personnage-embrayeur et le personnage-référentiel. Mais
celui qui nous intéresse est le personnage-référentiel. C’est une instance discursive
qui renvoie au monde réel perceptible. Il peut être historique, mythologique
allégorique (l'Amour, la Haine, ..) ou social (ouvrier, chevalier, père, mère,
enfant, etc.). Le personnage-référentiel n’est pas une donnée stable, a priori, mais
une construction du lecteur qui se fait progressivement, le temps d’une lecture
ou d’une aventure fictive dans le roman. Ladite construction se fonde sur la
mémoire, lui donnant un sens fixe en fonction d’une culture, de la participation
du lecteur à cette culture, afin de lire l’illusion du réel de la société gabonaise.
Le principe de cette analyse de l’acteur repose sur la lecture et
représentation des personnages d’ancrage culturel gabonais à travers l’homme
de papier. La meilleure lisibilité de cette étude porte sur trois articulations : la
présentation des différents styles éducatifs à travers trois familles différemment
présentées dans le corpus, les conséquences nocives d’une éducation parentale
permissive à travers les relations des personnages et quelques principes de
l’éducation à adopter, en vue du développement humain.
divertissements s’avèrent plus importants que sa propre mère. Après avoir été
mise au courant de l’inconduite de son fils, Madame Embomba voudra le
reprendre de son comportement déviant. Comme accusé de réception, le garçon
se permet de dire insolemment : « Hôôôô, maman ! A cause de toi, j’ai perdu la
partie » (ibidem, p. 84). Ainsi, l’insolence, le manque de respect, l’arrogance et
l’égoïsme caractérisent le portrait moral de l’écolier. Le jeune garçon est sujet au
mal. En plus de répandre le mal autour de lui, le garçon « avait un passe-temps
bizarre : il aimait suivre les films de la mafia italienne et visualiser les images
pornographiques.» (ibid., p. 24). Cela sous-entend qu’Esêrênguila ne pouvait
prétendre à une bonne éducation. Car tous ces hobbies cinématographiques
avaient une influence très négative, voire néfaste sur lui. On comprend
finalement son attrait au mal ; il ne peut pas s’en passer. Il donne l’impression
que la malfaisance fait partie de sa nature et de ses valeurs morales, au point
qu’il ne plaît qu’aux seuls enfants issus des familles économiquement faibles
comme celle de Marc, séduit et corrompu.
L’axe de communication
L’axe de désir
Le schéma actantiel repose sur trois axes qui définissent les relations ou
rapports entre les actants. L’axe de communication (en gris), l’axe de pouvoir
(en bleu) et l’axe de désir (en rouge). Dans cette analyse, il nous appartient de
lire l’interaction actantielle à partir des axes correspondants. Le but de cette
étude est de montrer comment l’éducation parentale permissive a un impact
nocif sur l’enfant Esêrênguila, sur ses relations familiales, scolaires et sociales.
La nuit en prison fut très longue. Les trois garçons n’arrêtaient pas de
pleurer, de se lamenter et de plaindre leur sort […] Le lendemain, l’état des
jeunes garçons était loin de s’améliorer. Assis dans un coin, à même le sol,
Essêrênguila méditait sur son sort. Il semblait regretter son acte. » (ibid,
p.165).
Conclusion
L’examen portait sur « Les aléas de l’éducation permissive dans l’œuvre
de Patrick Mbonguila Moukinzitsi ». Bien qu’étant inépuisable et vaste, nous
avons voulu appliquer à cette étude, la sémiotique figurative, plus précisément
le personnage-référentiel selon Philipe Hamon. L’étude a donné l’occasion de
questionner les personnages qui renvoient au monde extérieur perceptible, afin
de créer l’illusion du réel. Pour ce faire, à la question de savoir comment se
manifeste cette éducation permissive à travers ces personnages, nous avons
voulu y répondre en organisant ce travail en trois axes essentiels. Le premier
axe s’articulait autour de la présentation des systèmes éducatifs à travers deux
familles ; l’une négligente et l’autre permissive ou laxiste. Mais nous avons
focalisé notre attention sur l’éducation permissive dont les informations sont
fournies. Le but de cette partie était de décrire le portrait moral et le psychisme
abimé d’un jeune délinquant ayant reçu, de la part de ses parents une liberté
sans limite dans son éducation au point d’être devenu enfant-roi. Le deuxième
axe a permis de lire les relations chaotiques que le jeune homme entretient avec
ses parents, ses camarades et la société entière qui tend à l’en exclure. Enfin, la
Références bibliographiques
Barthes (R.). 1968. « L'Effet de réel », Communications, n° 11, Paris, Éd. du
Seuil.
BERTAND D. 2000. Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan Université, 2000.
BUISSON F. 1883-1887. « Laïcité », in Dictionnaire de pédagogie et d’instruction
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DOLTO F. 1977. Lorsque l’enfant paraît — tome 1. Paris, Éditions du Seuil, 189p.
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https://www.ac-paris.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2015-
06/lettre_ferry_instituteurs.pdf
JAMIL CURY C. R. 1972. Réflexions sur les principes juridiques de l’éducation
inclusive au Brésil légalité, droit à la différence, équité,
https://www.cairn.info/revue-recherche-et-formation-2009-2-p-41.htm.
Les premiers pas dans la vie de l’enfant, Naissance et première enfance, Paris, L’Ecole.
MBONGUILA MUKINZITSI P. 2016. Les courbes du fleuve, Gabon, La Maison
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MOUMOUNI A. 1967. L'éducation en Afrique, Présence Africaine.
MOURALIS B. 1981. Littérature et développement, Paris, Silex.
OUATTARA V. 2016. Littérature et sciences de l'éducation, Lectures
interdisciplinaires, Harmattan International Burkina Faso.
HAMON P. 1972. « Pour un statut sémiologique du personnage », Littérature,
vol. 6, n° 6, p. 86-110.
VERNEUIL Y. 2014. « L’école et la laïcité, de l’Ancien Régime à nos jours :
enjeux du passé, enjeux dépassés ? », Tréma [En ligne], 37 | 2012, mis en
ligne le 01 avril 2014.
Abstract : The theater piece, Amoro, by Jacques Prosper Bazié carries the
stigma of a community devasted by a brutal and bloody confrontation of a
society excruciatingly affected in its communnity dynamics, of a
trauùatized and abused people. This article therefore sets out to examine
the discursive, linguistic and verbal strategies used to say violence. What
literary procedures are in place to draw the reader into a violent universe ?
What characteristics define the « bazien » imagination of violence ? This
article questions the space and the challenges of community violence from
the angle of literary theory and creation.
Introduction
La violence est très présente dans les pièces de théâtre. En effet, des
dramaturges comme les tragiques grecs, Shakespeare, Jean-Pierre Guingané et
Prosper Kompaoré disent la violence dans leurs œuvres. S’inscrivant dans cette
lancée, Jacques Prosper Bazié met en texte des sentiments dévastateurs et de
pulsions destructrices dans Amoro. Cette pièce de théâtre est le lieu d’expression
de la cruauté, de la férocité et de l’atrocité de Samory. C’est une violence sujette
à des mutations thématiques et esthétiques qui la font évoluer tout au long de la
pièce. Prise au piège d’événements tragiques, atroces et d’actes révolutionnaires
qui ne peuvent être tus, la dramaturgie de Bazié est hantée par les images
horribles de la confrontation sanglante entre Amoro et Samory dont elle se fait
l’écho. Comment la violence se manifeste-t-elle dans Amoro ? Quels sont les
moyens mis en œuvre pour la dire ? Pour répondre à ces questions, nous
exploitons les travaux de Jean-Pierre Ryngaert et Jean-Pierre Sarrazac qui
proposent des pistes d’analyses et des voies d’entrée dans le texte dramatique.
Akofenaçn°001 647
Esthétique et dramatisation de la violence dans Amoro de Jacques Prosper Bazie :
expression et typologie
Notre démarche est de poser la violence comme une réalité en étroite relation
avec son univers d’émergence. Le présent article sur les structures théâtrales de
la violence s’organise autour de trois axes. Le premier renvoie à la
dramatisation de la violence dans Amoro. Le deuxième révèle les procédés de sa
dramatisation. Le troisième est consacré aux implications signifiantes des
stratégies langagières pour dire la violence sur les plans esthétique et
pragmatique.
Akofenaçn°001 649
Esthétique et dramatisation de la violence dans Amoro de Jacques Prosper Bazie :
expression et typologie
vagabonde […]. J’ai entendu les griots clamer que qui honore et vénère le sol des siens
ne sera jamais perdu dans la furie des combats […] », Jacques Prosper Bazié (1986, p17)
-La tradition
La tradition constitue pour Jacques Prosper Bazié, une riche matière de
réflexion. Il y tire directement certains thèmes abordés dans la pièce.
►En plus de ce volet, Jacques Prosper Bazié recours au discours du griot dans
sa pièce. Maître de la parole, gardien de la tradition orale, conservateur des
mœurs ancestrales, le griot joue un rôle social important. Son statut fait de lui,
le conseiller proche du roi. Responsable de la tradition orale, le griot transmet
entre autres l’histoire et la poésie. Cet art oratoire est un genre vivant. Les
paroles du griot malgré une certaine fixité, s’adaptent à chaque interlocuteur et
se renouvelle constamment. Ce sont des paroles empreintes d’une force de
Akofenaçn°001 651
Esthétique et dramatisation de la violence dans Amoro de Jacques Prosper Bazie :
expression et typologie
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Esthétique et dramatisation de la violence dans Amoro de Jacques Prosper Bazie :
expression et typologie
comment cette catégorie qui est resté classique s’insère dans la forme
dramatique. En effet, le dramaturge raconte de façon chronologique les repères
historiques de sa trame et présente les personnages comme des résistants.
le déchirement des Tiéfos. Les razzias et les exterminations ont suscité la terreur
en leur sein.
L’histoire est le fondement de cette violence politique. Les conflits mis en
intrigue ont une dimension historique. Ils constituent un épisode de la vie des
Tiéfos. L’histoire et les conflits permettent au lecteur de remonter le cours de la
mémoire collective des Tiéfos. Le passé génère la violence dont il porte les
germes et l’histoire sert de creuset aux antagonismes. C’est un mécanisme de
conditionnement, voire de mise en forme du mécanisme conflictuel.
L’opposition entre Amoro et Samory remonte à l’origine des conquêtes du
Wassoulou. Le conflit se présente comme une obsession chez les personnages
ayant un statut de roi. Ils se sentent investis d’une mission historique. Ce qui
renforce l’idée que le devoir fonde le conflit mis en trame. La guerre prend
l’allure d’un destin à accomplir impérativement. Mener la lutte contre
l’adversaire est une question d’honneur dès qu’elle implique l’avenir d’une
communauté. La violence menée dans cette pièce est, également, une violence
historique qui dans son déploiement ramène le passé au présent. Ce qui suscite
la révolution.
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Esthétique et dramatisation de la violence dans Amoro de Jacques Prosper Bazie :
expression et typologie
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Esthétique et dramatisation de la violence dans Amoro de Jacques Prosper Bazie :
expression et typologie
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Esthétique et dramatisation de la violence dans Amoro de Jacques Prosper Bazie :
expression et typologie
Conclusion
L’intérêt d’une telle analyse, relève de la texture particulière de la parole
et de son rapport à la violence. Souvent allégorique, elle est tissée de propos
dont l’hermétisme contribue à créer la tension dramatique. Le langage
allégorique, met en place une opération d’encodage qui nécessite un exercice de
décodage. Il s’agit d’une parole pour initiés, dont l’hermétisme ne manque pas
de susciter le suspens. Elle met, en effet, en alerte le lecteur puis le noie dans un
flot interminable de proverbes. La violence se manifeste à travers la puissance
de la parole. Elle rend compte de la gravité de certaines situations dramatiques.
Le discours constitue à la fois, l’énoncé et la preuve de l’intensité du conflit. Un
examen plus approfondi des proverbes et des métaphores employés, conduit à
un autre lien avec la violence. En plus de son rôle de générateur de la violence,
le langage est annonciateur de drame. Il fonctionne dans ce cas, comme un
discours prémonitoire. Au-delà de son caractère obscur, la parole imagée est un
art poétique dont la beauté et la richesse amortissent souvent l’effet de violence.
C’est une circonlocution qui exprime indirectement ou par contournement la
pensée afin d’éviter de choquer l’interlocuteur. Cette manière d’embellir le
discours pourrait renvoyer à la fonction de « l’agent rythmique » Ce texte
théâtral apparaît être le lieu de la mise en œuvre de stratégies discursives pour
dire la violence. Ce qui interroge l’acte énonciatif et ses effets pragmatiques.
Ainsi, nous avons analysé la violence et son effet, en montrant comment la
violence verbale a pu être, un moyen de réalisation des effets perlocutoires
désirés ou réels. Notre question a porté sur la manifestation de la violence à
travers les mécanismes discursifs de l’énoncé théâtral. Nous avons démontré
comment l’énoncé, le discours pouvait être le résultat des contraintes
énonciatives imposées par la communication théâtrale. Cet article a présenté les
multiples formes que revêt la violence dans Amoro. Il s’est agi d’établir la
typologie des formes de violence puis de révéler les modalités de leur
énonciation. Enfin, nous avons examiné les implications signifiantes des
stratégies mises en œuvre pour dire la violence des conflits sur les plans
esthétique et pragmatique.
Akofenaçn°001 661
Esthétique et dramatisation de la violence dans Amoro de Jacques Prosper Bazie :
expression et typologie
Références bibliographiques
AIMÉ CÉSAIRE :
UNE ÉMOTION NÈGRE ET UNE POÉTIQUE HELLÈNE
Abstract: An obvious African literature poet who is all the same at the basis
places and at the foundations of this movement, but also one of the most
relentless bards of the negritude movement, we can’t imagine how much Aimé
Césaire is soaked and shaped by the Western imagination in his poetic writing.
The césairien text feeds on a whole referential field specific to the West and its
order of speech. This major consideration is very often sidelined by some who
would like to relate the sources of poetic creation to a purely African
imagination, among whom we can quote Lilyan Kesteloot. Thus, to validly
analyze the poetry of Césaire, we cannot ignore the contribution of the western
culture in his intellectual training and his literary sensitivity. This is precisely
what we are trying to demonstrate in this article. In his poetic text, Aimé
Césaire shouts his negritude to claim his “Bambara ancestors”, it is why we
grant him his “Negro emotion”. But what interests us here and which seems
less obvious, it is the imagination constantly reaffirmed by the text of a
referential universe specific to the West, that is what we call its “Hellenic
poetics”.
Introduction
Suite aux humiliations et aux souffrances connues ces dernières années
par les Africains subsahariens – avec l’émigration dite clandestine, la mal
gouvernance, la vulnérabilité face aux calamités, entre autres – nous nous
sommes demandé, dans une étude, s’il ne fallait pas réinventer la Négritude.
Voilà une question à laquelle nous avions tenté de répondre par un « non,
mais ». C’est là une préoccupation qui s’inscrit en droite ligne d’une série de
travaux que nous voulons consacrer au bilan sur la Négritude. C’est dans cette
perspective que j’invite à lire, ici, la véritable valeur nègre de l’un des plus
farouches défenseurs de cette poésie, à savoir Aimé Césaire. Une posture qui
tiendrait en piètre considération cet héritage helléniste qui conditionne
l’imaginaire césairien, serait même qualifiée de « ridicule » (Bernard Zadi-
Zaourou, 1978, p.117).
En interrogeant le texte poétique lui-même, la question qui se pose alors
est celle de savoir si Aimé Césaire n’est pas un poète français à part entière.
Nombre de pistes que nous tenterons de tracer dans cette étude militeraient en
faveur de cette hypothèse. Aussi ne devrait-on pas seulement le confiner dans
une littérature africaine comme on a tendance à le voir dans certaines
anthologies. Ainsi, à partir d’une approche intertextuelle, nous entendons
montrer comment le texte poétique césairien se présente comme un hypertexte
de la pensée occidentale mais aussi comment ses fondements trouvent leur
cristallisation dans l’univers référentiel helléniste.
Je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me
tanneront […] Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre,
l’œil furieux. Sur mon masque on me jugera d’une race forte. Je serai mêlé
aux affaires politiques. Sauvé. (« Mauvais-sang »)
Cet extrait, renvoie à un passage du Cahier, dans un ordre d’idées presque
similaire, et où Césaire dit :
Partir. Mon cœur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais
lisse et jeune (…) : «J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertées
de vos plaies ».
Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : « Embrassez-moi sans crainte...
Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerais ». (Cahier, 22)
Cette fuite d’un ici par indignation pour un ailleurs revigorant, et le désir
d’un retour prodigieux où le poète, tel après un temps d’exil, vient s’immiscer
dans les questions politiques, peuvent être notés dans les deux passages. Partir
puis revenir pour s’engager, tel est la trajectoire dessinée par les deux hommes.
On reconnaît, par ailleurs, le style rimbaldien à travers la prose poétique
empreinte d’une suppression fréquente du verbe, ce qui peut aboutir à des
constructions paratactiques. Ce style sera emprunté par l’écriture césairienne
dans le but de prêter une certaine fulgurance aux images poétiques à partir des
effets de surprise nés des ruptures syntaxiques.
Et vous fantômes montez bleus de chimie d'une forêt de bêtes traquées de
machines tordues d'un jujubier de chairs pourris d'un panier d'huîtres
d'yeux d'un lacis de lanières découpées dans le beau sisal d'une peau
d'homme… (Cahier, 21)
Ici, dans cet extrait cité en guise d’exemple, nous pouvons remarquer le
style accumulatif avec des constructions nominales, dans un champ lexical qui
fait appel à l’horreur. Il est caractéristique de l’écriture de Rimbaud, notamment
d’un ouvrage comme Une saison en enfer.
En outre, l’épisode du nègre « COMIQUE ET LAID » dans le tramway est
un pastiche sans équivoque du célèbre poème « L’Albatros » de Charles
Baudelaire. Cette intertextualité permet de placer le nègre dans le tramway
dans la même posture que l’oiseau « sur les planches » devant les méchantes
risées des « hommes d’équipage ». Ce « prince des nuées », à la risée « des
hommes d’équipage » devient semblable à « ce nègre comique et laid » dont
« des femmes derrière ricanaient en le regardant » (Cahier, 41). C’est tout comme
la description de la rue Paille dans le Cahier, avec ses laideurs repoussantes,
passage qui irait bien dans un extrait des Chants de Maldoror du comte de
Lautréamont. D’ailleurs, dans la même veine, dans un poème publié dans
Tropiques (n° 8/9, 1948) et intitulé « Maintenir la poésie », Césaire écrit à juste
cause :
Ici la poésie égale insurrection
C’est Baudelaire
C’est Rimbaud, voyou ou voyant
C’est notre grand André Breton.
Césaire prétend qu’il faudrait « maintenir la poésie ». Mais pour lui, il
pense qu’ « ici poésie égale insurrection » et s’appuie pour sa pleine réalisation
sur un Baudelaire, sur un Rimbaud et sur un André Breton, des figures illustres
Conclusion
En définitive, l’on s’aperçoit que l’écriture poétique césairienne, sans une
connaissance poussée des structures de la pensée occidentale, serait
difficilement déchiffrable. Bien sûr, on ne saurait nier que la poésie de Césaire
constitue le produit fini d’un homme issu d’un moule à trois compartiments ; et
que ce sont donc ces trois sources référentielles, à savoir africaine, antillaise et
occidentale, qui conditionnent cette écriture. Né à basse-pointe en Martinique,
son pays natal, formé par la France, sa patrie, et rêvant d’une terre africaine, sa
« matrie », Aimé Fernand David Césaire est difficile à cerner dans une culture
Références bibliographiques
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définitive.
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critique sous la direction, Paris, Présence Africaine – Planète Libre – CNRS
Édition – ITEM.
NGAL M. 1975. Aimé Césaire, un homme à la recherche d’une patrie, Dakar, NEA.
Rached CHAABENE
Faculté des lettres, arts et sciences humaines.
Lettres, Sciences Humaines et Sociale
Laboratoire interdisciplinaire : Récits, Cultures et Sociétés
rached03@yahoo.fr
Introduction
En 1954, Mohammed Dib publie L’Incendie, un texte qui deviendra un
classique de la littérature francophone du Maghreb. Ce roman, qui fait partie
de la trilogie inaugurée par La Grande maison (1952) et clôturée par Le Métier à
tisser (1957), prolonge et complète le programme de l’auteur. Le lecteur retrouve
le personnage d’Omar, jeune garçon de Tlemcen qui est témoin des
bouleversements que connaît la société algérienne pendant les années 1930.
C’est l’œil d’Omar qui fonctionne comme un témoignage de plus en plus, lucide
de l’histoire de l’Algérie, au temps de la colonie. Pourtant le regard du garçon
évolue au fur et à mesure qu’il grandit. En ce sens, le roman conjugue le
principe du « Bildungsroman », comme histoire d’un parcours initiatique, et le
projet politique d’une littérature clairement engagée. Dans ce roman, il ne
s’agirait pas d’une écriture historique selon la tradition du XIXe siècle, mais
d’un mélange de plusieurs types d’écriture. Nous y trouverons intégrés dans le
cadre historique, des éléments du roman de formation, des éléments de
l’autobiographie, des éléments du roman réaliste, etc. Il s’agit d’Histoire
Akofenaçn°001 675
Réalité et construction imaginaire dans L’Incendie de Mohamed Dib
Ce roman est une partie constituante des premières œuvres classées sous
l’égide de la trilogie "Algérie" inspirée par la ville natale de Dib, où est décrite,
dans une "écriture de constat", l'atmosphère de l'Algérie rurale. Publié en 1954 –
c'est-à-dire au moment où, se déclenche la lutte armée pour l'Indépendance –, il
évoque des événements antérieurs d'une quinzaine d'années, puisque se
déroulant dans l'hiver 1939-40, qui fut effectivement très sombre pour le peuple
algérien, au plan climatique et politique. Dib y témoigne tel un "écrivain
public", à partir de faits authentiques, de la misère des villes et campagnes, des
grèves des ouvriers agricoles, et des revendications nationalistes naissantes. La
trame narrative de ce roman est relativement simple. Omar, le jeune citadin
pauvre de La Grande Maison, dont l'adolescence bourgeonne, vient passer des
vacances à la campagne. Il y sera le prétexte à des descriptions de l'exploitation
coloniale, que lui fait entre autres un vieillard nommé Comandar. Et, il assistera
à la montée progressive, de discussion de fellahs en discussion de fellahs, d'une
prise de conscience politique jusque-là, inconnue. Cette prise de conscience
apparaîtra donc comme un langage que les paysans vont apprendre, non pas de
la bouche d'un militant, Hamid Saraj, pourtant présent, mais au contact
quotidien de l'injustice. À cette prise de conscience, les autorités coloniales
comme leurs alliés parmi les paysans riposteront par l'Incendie des masures,
point de départ de la métaphore qui donne son titre au livre. Incendie dont le
retournement et la généralisation seront bien sûr, des annonces de la Révolution
à venir.
Au début de L’Incendie, le lecteur retrouve Omar à la campagne, où il
passe les grandes vacances d’été, dans un cadre tlemcénien qui complète celui
de Dar Sbitar. En recourant à un témoin direct de la guerre de colonisation
française, Dib raconte quelques instants distinctifs de l’histoire algérienne. Dib
crée un personnage fictif en l’intégrant dans un tableau sombre et réaliste ; cette
méthode l’autorise de traduire, en mots, cette période d’horreur, de crainte et
de barbarie coloniale. Par ailleurs, une œuvre littéraire supposant un tel projet
idéologique, se lit à plusieurs niveaux, où s’imbriquent sens littéral et implicite
ou sous-entendus produits par le travail textuel de l’auteur. C’est pourquoi
nous proposons l’analyse du prologue de L’Incendie afin d’illustrer les traits
stylistiques et narratifs de l’écriture dibienne. Ainsi, en parcourant ce prologue,
nous avons d’abord, été frappés par les techniques d’écriture qui, tout en
inscrivant le texte dans la fiction, nous renvoient à la réalité. Le prologue
produit donc une profusion de noms géographiques issus de la toponymie
réelle de la région de Tlemcen : Mansourah, Attar, Scharf-el-Ghorab, Ain-el-
Hout etc… Renvoyant à des entités sémantiques stables, des noms authentifient
d’emblée le récit, en l’ancrant dans un contexte spatio-culturel précis. Et, tout en
étant caution du réel, en traçant les limites d’un espace géographique, le
prologue déploie un registre isotopique lisible idéologiquement : la description
est élaborée de telle sorte et douée d’une telle homogénéité par un entassement
de qualificatifs que le lieu-cadre est transformé progressivement en lieu-
atmosphère, puis en lieu sur-signifiant. Nous nous trouvons dès lors, devant un
condensé du milieu paysan et de sa misère, qui transparaît dans la
transfiguration du paysage :
Akofenaçn°001 677
Réalité et construction imaginaire dans L’Incendie de Mohamed Dib
Tous les jours, des hommes partaient ; on s'en apercevait bien : leur départ
créait un remous pendant quelque temps ; puis ils disparaissaient, absorbés
par l'inconnu. Des mois s'écoulèrent encore. La même vie continuait. C'était
la drôle de guerre. Mais quelque chose que l'on sentait venir de loin, et qui
allait peut-être loin, une lame de fond qui se transformerait peut-être en
une vague géante s'approchait insensiblement
Dib (1954, p.171)
2. Le dépassement du réalisme
2.1 La tension didactique dans l’œuvre
Le réalisme est ici, bien souvent, synonyme d’"engagement". La critique
littéraire, nous enseigne que l’écriture est d’abord là, pour réaliser une intention
et servir un projet initial. L’Incendie en tant que production, se propose de créer
un effet, et le projet réaliste, écrit Hamon, "s’identifie avec le désir pédagogique
de transmettre une information sur telle ou telle partie du référent jugée comme
inexplorée ou mal connue" (Hamon, p.243). Les Histoires de la littérature
maghrébine, ont coutume de "classer" L'Incendie, avec la trilogie dont il fait
Akofenaçn°001 679
Réalité et construction imaginaire dans L’Incendie de Mohamed Dib
partie, dans le "courant ethnographique" des années 1950.1 Quoi qu'il en soit, et
contrairement à la plupart des textes de ce "courant ethnographique" des
années 50, L'Incendie est explicitement un roman "engagé", qui convoque
l'Histoire et l'énonce. Mais si l'écriture du roman procède d'un engagement
devant lequel la critique coloniale, ne s'est pas trompée, ce roman n'en est pas
moins, en même temps, une mise en question des dires de cet engagement :
réflexion sur leur efficacité, mais aussi, sur leur fidélité au réel, ou au contraire,
sur leur trahison. La description, base du "réalisme", sera implicitement mise en
question ici. Mais peut-être aussi, déjà, la relation de l'écriture et de la réalité : si
au lieu de rendre compte, plus ou moins, fidèlement de cette réalité, l'écriture
tentait de la produire, en créant une perception dynamique des choses ? On le
voit, c'est la question même de l'efficacité d'une écriture littéraire "engagée" qui
est ici posée, dans un premier temps, par ce roman.
L'apprentissage du langage politique par les paysans, ne peut se faire qu'à
partir des langages, bien différents de ceux, des citadins qui leur sont familiers.
Le roman sera donc aussi, une manifestation captivante de ce langage bien
étrange des paysans, pour les lecteurs citadins. Langage fort éloigné des
catégories idéologiques, et bien rarement décrit par la littérature romanesque.
L'Incendie, par ailleurs, a été composé explicitement dans l'optique d'une
efficacité pédagogique militante. En témoignent ses articles dans Alger
républicain sur « Littérature décadente et littérature progressiste aux USA » (26
juillet 30 avril 1950), ou l'article de Liberté intitulé « Pourquoi nous devons lire
les romans soviétiques » (27 juillet 1950). Le libellé même de ces titres est
révélateur, dans l'injonction « nous devons », et dans l'opposition "décadente" –
"progressiste", d'un moralisme idéologique dont l'écrivain se défera vite. Le
roman, en ce sens, tente de décrire pour dénoncer la situation coloniale, relève
d’un double projet réaliste/idéologique et prétend à une communication de
masse. Dès lors, le roman s’inscrit dans un circuit d’échange réel-auteur-roman-
public. Le travail du Dib consisterait, non plus à copier un monde réel, mais à
créer, un modèle de société vraisemblable qui emporte l’adhésion du lecteur.
Plus qu'une description, réaliste ou non, de la réalité coloniale, L'Incendie est
une parole en train de se trouver, une parole en train de se dire elle-même. Peu
de descriptions, et surtout pas de descriptions de type ethnographique : les
modes et coutumes de la vie quotidienne des fellahs et des cultivateurs, leurs
"travaux" et leurs "jours" sont bel et bien présents, et nullement éludés, mais
jamais, ils ne sont isolés dans une description, à l'usage du lecteur étranger,
curieux de coutumes inconnues. Çà et là, une note discrète, explique un terme
de vocabulaire, c'est tout. Ainsi, l’œuvre dibienne naissante, se présente comme
« littérature à thèse » dont le but humaniste et universaliste était de familiariser
"le monde" avec cet "indigène" que l’idéologie coloniale présentait comme
étrange, voire barbare. Mais, par-delà cette volonté de témoignage, impulsée
1 Au même titre que les romans de Feraoun ou Mammeri en Algérie, de Sefrioui au Maroc. Ce courant
ethnographique se caractériserait surtout, par sa description d'une Société traditionnelle figée,
idylliquement, hors du temps chez Sefrioui, tragiquement condamnée par l'Histoire à laquelle, elle ne
participe que négativement, chez Mammeri. Ce qui permet à la critique idéologique, que ce soit celle
d'intellectuels nationalistes comme Mostefa Lacheraf à l'époque, ou celle d'universitaires actuels, un peu
pressés d'établir une continuité entre ce courant et celui du roman colonial.
Akofenaçn°001 681
Réalité et construction imaginaire dans L’Incendie de Mohamed Dib
Akofenaçn°001 683
Réalité et construction imaginaire dans L’Incendie de Mohamed Dib
2Charles Bonn « Parole et silence : La Rive Sauvage » ʺEcriture et biographie, ou l’ambiguïté tragique du
sensʺ, op. cit. [www.limag.refer.org/Textes/Iti21/Itineraires21-22Dib.htm]
3 Paul Veyne, Comment on écrit l’Histoire, Paris, Seuil, 1979.
4 Michel de Certeau, L’écriture de l’Histoire, Paris, Gallimard, 1975.
Conclusion
Nous soulignerons, pour conclure, que l’Histoire (comme savoir) n’est pas
remise en cause dans ce roman. Ce sont les formes traditionnelles de la
légitimation de l’Histoire qui sont mises en question. Le roman n’est pas, en
effet, déraciné du contexte historique puisqu’il inclue d’une façon significative
l’événement historique dans l’intrigue. Mais, il l’inclue en témoignant d’une
nouvelle volonté discursive, celle qu’on appelle, peut-être, moderne. Le roman
dibien apparaît comme un espace ouvert capable de faire rejoindre l’aventure
collective et l’aventure individuelle, de fusionner le récit de voyage, le récit
d’aventure et le récit d’initiation au sein du même texte. D’un autre côté, il sera
utile, peut-être, de montrer que Dib fait, parfois, référence directement à sa vie
personnelle. Dans ce cas, une autre problématique se pose donc, en mettant en
question, une des caractéristiques fondamentales du récit historique, celle de la
neutralité et de l’opacité de l’auteur, vis-à-vis de son texte et de ses
personnages. Ce qui nous amène à supposer que le texte revêt parfois, les
accents de l’histoire personnelle de son écrivain. Les éléments
autobiographiques qui surgissent dans le roman peuvent nuire à la
représentation historique objective et complète. En contredisant le caractère
traditionnellement réaliste de l’écriture de l’Histoire, Dib ouvre la voie à une
nouvelle réécriture de l’Histoire qui implique avant tout, une inversion de la
relation hiérarchique entre Histoire et Fiction. Une telle rencontre des deux
notions s’ajoute à la dimension mythique et allégorique pour donner au roman
un fort symbolisme qui contraste avec la simplicité du ton de la narration et la
structure schématique des personnages. Au-delà de l’information historique,
L’Incendie renferme le plus souvent d’autres sens cachés, autorisant ainsi,
plusieurs niveaux de lecture.
Références bibliographiques
BARBERIS P. 1980. Le prince et le marchant, Fayard.
Akofenaçn°001 685
Réalité et construction imaginaire dans L’Incendie de Mohamed Dib
Secka GUÈYE
Université Cheikh Anta Diop - Dakar/ARCIV
seckagueye@gmail.com
Résumé : Ken Bugul fait partie de ces romancières qui essaient de mettre au
service de la création romanesque les grandes questions contemporaines. Il
s'agit moins, pour notre auteur, de s’inscrire dans une logique bien-pensante
que de poser des contrastes vigoureux qui tourmentent la femme africaine
émancipée dans sa quête identitaire. Les péripéties du voyage du
personnage en Europe nous installent dans un questionnement identitaire
plus immédiat de l’Afrique moderne désorientée par la colonisation.
L’approche d’écriture particulièrement intimiste grossit les traits de la
marginalité et met en avant la portée révolutionnaire de l’écrivaine
sénégalaise en tant qu’elle est porteuse d’une transgression des valeurs
sociales.
Abstract: Ken Bugul belongs to those novelists who try to put expertise at
the disposal of the novelistic creation of the great contemporary questions.
It is les for our author, to belong in a well-logical thinking than to raise
vigorous contrasts which torment the emancipated woman in her quest for
her identity. The events of the character's journey to Europe place us in
obsession with issues of identity more immediate for the modern Africa
which is thrown into confusion by the colonization. The approach of the
writing that is specifically intimist swell the features of the marginality and
put forward the revolutionary impact of the Senegalese writer as she is the
bearer of the breaking of the social values.
Introduction
La société exerce souvent sur l’individu une pression inadmissible.
L’engagement moral qu’elle demande ne peut pas être donné librement. Dès lors,
il perd sa valeur et l’échec s’érige en règle surtout quand l’africain doit quitter
son espace traditionnel pour s’installer en Europe. Chacun tient à gagner le
monde libre même quand les scrupules sont encore plus forts que le désir. Il
suffirait de se référer à ces propos de Mahriana Rofheart :
Le Baobab fou marque son ancrage dans les tourments identitaires de la femme
africaine. L’expression littéraire devient représentative de l’organisation et de la
structuration que la société se donne. Le choix du voyage voire de l’exil n’est
donc pas négligeable et marque l’inscription en filigrane de l’errance, à la fois
psychologique et physique, dans la « migritude ». Le lien intrinsèque que nous
venons de mettre en avant entre le voyage et la quête identitaire, nous permet de
tracer la double articulation qui relie le roman de Ken Bugul à la révolte et à la
marginalité qui se voient donc reflétées dans le texte où s’exprime une
contestation radicale de la romancière envers les codes et les règles qui l’aliènent
dans la vie courante. La vie solitaire du personnage suscite un questionnement
autour de l’identité afin que s’opère la réconciliation au cœur des antagonismes
culturels. Ainsi, elle construit son identité dans la solitude qui s’exprime d’abord
par un retour à son enfance, une sorte de découverte de soi qui laisse le
personnage s’enfermer dans sa propre existence. Ce retour lui permet, a priori,
de reconstruire son identité dès lors qu’elle éprouve le sentiment d’exister en
dehors des conventions traditionnelles. Simone Vierne, psychanalyste de
formation, apporte dans son étude sur le lien entre la psychanalyse et l’initiation,
une analyse détaillée des éléments qui permettent de percevoir dans le retour à
l’enfance le reflet d’une construction de l’identité.
Ce roman est avant tout une histoire thérapeutique qui repose sur un dialogue
interculturel tributaire de l’émancipation du personnage féminin. C’est par le
voyage en Belgique que le personnage tiraillé entre le désir et la réalité se
réconcilie avec la mémoire identitaire africaine. Celle-ci participe, par un retour
à l’enfance, à la construction d’une identité. « C’est la mémoire du passé qui nous
dit pourquoi nous sommes ce que nous sommes et nous donne notre identité. Et
les individus le savent, comme ces enfants trouvés qui se forcent à découvrir leurs
origines pour guérir de ce manque physionomique qui les rend malheureux,
psychologiquement imprécis, défigurés, parce que sans visage. » (Klomlan
Gbanou 2003, p. 53).
Ken Bugul, dans son roman, s’éloigne des passions qui sont les plus
convenables à l’homme notamment l’amour et l’ambition. Son récit met en
perspective une vision de l’existence qui procède d’une certaine quête de la
vérité, d’une identité nouvelle qui est le lieu de la condition de la femme africaine
émancipée. Cette quête enferme le personnage dans la plus grande solitude
l’entrainant ainsi dans une sorte d’errance. Elle trouve les raisons de son repli
dans son enfance.
La solitude ! Encore… Je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui. Depuis
deux, trois semaines, ma mère préparait ses affaires. Cela m’inquiétait. Je
n’avais plus envie de m’éloigner de la maison, tant je pressentais un départ
imminent. « Mon Dieu, si ma mère partait, que deviendrais-je ? »
Dans cette maison, il n’y avait qu’elle que je distinguais. Il y avait père, mais
il était le père de tout le monde ; il avait autant d’affection pour ses propres
enfants que pour les autres.
Ken Bugul (1996, p.144)
L’avantage majeur de cette étude est justement d’observer le Baobab fou en tant
que « symbole de résistance » et surtout de livrer une analyse des enjeux
idéologiques à la base des thématiques du roman. De manière générale, l’histoire
du roman reflète, aux yeux du lecteur, l’histoire de la force subversive de la
femme africaine occidentalisée, l’affirmation d’une identité dans un monde
socialement régi par l’interculturalité. Sur la base de l’analyse apportée par
Rodah Sechele-Nthapelelang, il nous est donné de surtout comprendre que :
« C’est en étant adulte, en se rendant compte de la perte de repères que l’on se
pose la question de l’identité. Autrement dit, la perte de frontières, de repères
oblige les sujets à se repenser. A l’instar de l’enfant, les identités sont en devenir,
en construction et il faut faire un retour à l’enfance pour ainsi cerner les cadres
Si la solitude est subversive, c’est qu’elle s’introduit précisément dans les limites
de la reconstruction de l’identité de la narratrice. Il nous semble que ce que nous
appelons rapidement ici la solitude est, pour l’essentiel, profondément fidèle à
l’inspiration sociétale européenne dans la mesure même où elle est l’expression
de la formation d’une personnalité nouvelle. La rupture des relations durant le
séjour de la narratrice en Europe va déboucher sur une sorte de vacuité renforcée
par les souvenirs d’une enfance malheureuse relevant essentiellement du
manque affectif. La solitude devient ainsi le miroir des hantises et des grandes
interrogations contemporaines.
Dans ce pays, les malades étaient seuls, les handicapés seuls, les enfants
seuls, les vieux seuls. Et c’étaient les étapes les plus riches de la vie humaine.
Là-bas tout le monde est intégré, concerné, entouré ; tout vit ensemble.
Même l’arbre donne l’ombre et la fraicheur, a son utilité culinaire, ou
thérapeutique, il est un lieu de méditation.
Ken Bugul (1996, pp.146-147)
Chacun se disait obligé de m’aider, de faire quelque chose pour moi. Quoi ?
Que pouvaient-ils m’apporter ? Le gouffre dans lequel ils m’avaient jetée, ils
étaient en train d’y sombrer. Cela ne fit qu’empirer ma folie. J’essayais de
scandaliser la société, dans des robes transparentes aux couleurs vexantes, le
crâne rasé, de chapeaux immenses, cherchant à afficher le surréalisme à
l’envers, les délires intellectuels, le jeu de la couleur noire : être une femme
noire qui plaise à l’homme blanc.
Ken Bugul (1996, pp.148-149)
La distance que j’avais maintenue avec les autres élèves du lycée, qui était le
seul endroit où je parlais, n’était nullement prétentieuse et ils le savaient. La
communication ne pouvait s’établir avec des êtres qui avaient une famille,
qui avaient soudé des liens, des êtres qui avaient une enfance et s’en
C’est cette année-là que je m’étais fait "devierger" par mon professeur
d’histoire. Expérimentant avec le corps, je n’en avais pas tiré ce que
j’attendais des lectures, des propos tenus par les autres. La sexualité ne
m’avait pas apporté l’orgasme.
Ken Bugul (1996, p. 259)
Nous nous rattachons dans ces remarques à l’un des points mis en exergue
précédemment, selon lequel l’ensemble des données picturales rattachées à la
trame constituent les tourments identitaires. Comme Rodah Sechele-
Nthapelelang nous le fait remarquer, l’image de la femme qui se dégage de
l’histoire « reflète aussi l'autre visage de Ken; celui d'une fillette, née dans un
village du Sénégal, qui finit par s’aliéner en absorbant des modes de vies
étrangers. Reflet de Ken, le baobab vit les mêmes événements que l’héroïne, dont
la folie, l’aliénation, symbole d’une mort mentale, sociale et culturelle au sein de
sa communauté.» (Sechele-Nthapelelang, 2009, p.3)
L’auteur relate ainsi l’état de marginalité dans lequel se trouve plongée la
femme africaine émancipée et la responsabilité individuelle et collective de sa
déchéance qui pose la question de l’identité au détour de la trajectoire du
personnage féminin dans Le baobab fou. Alpha Noel Malonga conduit son analyse
sur le thème : « migritude, amour et identité… ».
« Mal aimée par sa famille, mal aimée par cette Europe qui l’a méprisée, Ken plonge
dans les gouffres de la déchéance, et puisqu’il faut boire jusqu’à la lie, elle boit, seule et
tremblante cette coupe (…) » (Alarcon, 2012, p.146). À la base de cet engrenage
pervers nous constatons la place prépondérante assignée à la soif de liberté pour
laquelle tous les moyens sont mobilisés, y compris le reniement des valeurs
socioculturelles africaines.
l’image du baobab qui marque son enracinement à ses origines. Tout en persiflant
des valeurs vénérées par les milieux africains qu’elle dépeint, elle sait faire
susciter la pitié devant le drame de l’identité d’une femme africaine. Ce qui fait
attendrir le cœur à la lecture de ce roman, c’est bien le spectacle navrant de
l’existence troublée d’une femme en quête d’identité. Il est significatif de
constater que c’est une femme qui éprouve intensément la nécessité de repenser
l’identité africaine dans un contexte de métissage culturel. Si elle a touché juste,
c’est qu’elle a su fédérer les destins des femmes africaines subjuguées par
l’occident. Vue sous cet angle, le destin du personnage est une échappée à la
tentation d’une identité sclérosée et un triomphe « des échappées solitaires ».
Pour mieux apprécier ce texte, il faut le rapprocher de celui de Cheikh H.
Kane : L’aventure ambiguë. Le comportement à la fois dramatique et cathartique
s’inscrit bel et bien dans une tendance de questionnement sur l’identité. La
tradition africaine, objet de souvenirs énamourés, s’étiole dans cette entreprise
mutilante pour l’intégrité originelle.
Conclusion
Le roman de Ken Bugul, par son très fort lien implicite au tourment
identitaire, déjà mis en évidence par de nombreux analystes (Alpha Noel
Malonga, Rodah Sechele-Nthapelelang etc.), porte les contradictions centrales de
l’époque notamment la quête irrépressible de modernité et le sentiment
d’ancrage au pays natal. Le personnage principal inscrit sa quête d’émancipation
dans une perspective de métissage culturel marquée par une situation de
tragique qui enserre ce dernier dans la solitude et la marginalité. Un lien existe
indubitablement entre la parole et l’identité et il est ainsi difficile de concevoir la
crise de l’identité sans la dégénérescence de la moralité dans le discours de la
femme africaine. Devant les contingences du modernisme, l’identité s’effrite
progressivement. La représentation picturale très audacieuse et la violence
verbale que nous rencontrons dans les lignes de ce récit, nous prouvent
suffisamment, qu’il existe chez la romancière, une tentative très symbolique
d’inscrire son œuvre dans un tournant remarquable de l’histoire du roman
féminin d’Afrique noire francophone. On ne peut pas reprocher à la romancière
sénégalaise, dans son roman, la peinture de réalités étrangères aux lecteurs. Mais
à ne considérer les tabous que sous ses rapports immédiats, nous ne voyons pas
ce que l’écriture de Ken Bugul, conservée dans un genre qui se prête le plus à la
peinture réaliste du quotidien, peut avoir de si déplaisant. L’écriture doit varier
avec les époques pour nous extraire d’une certaine logique de « l’homme
éternel ».
Références bibliographiques
ALARCON Isabel E. G. 2012. Douleur, exil et déchéance dans le Baobab fou de Ken
Bugul », Cuad. Invest. Filol, N°37-38, p. 139-150.
BUGUL Ken. 1996. Le baobab fou. Dakar: Les Nouvelles Éditions Africaines.
Yambaïdjé MADJINDAYE
Université de N’Djaména - Tchad
madji_genial@yahoo.fr
Introduction
Synonyme de précarité, de vu vulnérabilité, de discrimination et de
ségrégation, la notion d’exclusion est avant tout perçue comme une marque
profonde de dysfonctionnement de la société. À la fois mouvant uvante et imprécise,
elle se définit «comme
comme un phénomène multidimensionnel et tout à fait nouve nouveau,
qui peut affecter les gens, quelle que soit leur situation dans la hiérarchie
sociale, à n’importe quel moment ou sous n’importe quel aspect de leur
existence » (Alban,
Alban, 2004, p.44)
p.44). En d’autres termes, l’exclusion sociale désigne la
mise à l’écart,, la relégation ou la marginalisation sociale d’un ou de plusieurs
individus, ne correspondant pas ou plus au modèle dominant d’une société.
1L’expression "exclusion sociale" trouve son origine dans l’ouvrage de René Lenoir intitulé Les Exclus : un
Français sur dix, collection « Points actuels », Paris, Éditions du Seuil, 3e édition mise à jour, 1981 (1974).
de douze ans sont les derniers de la couche sociale et doivent,, par conséquent,
obéissance et loyauté à ceux cités supra. Cette organisation sociale rigoureuse
laisse déjà voir des conséquences liées à l’exclusion au cas où un des membres
viendrait à transgresser volontairement ou involontairement l’interdit ou à
manifester une vie différente et/ou contraire à celle de la communauté.
En ce qui concerne la caractérisation, les habitants d’Eku ont des
habitudes et des attitudes qui les prédisposent à un conflit évident ; en effet,
tous n’ont pas la même vision du monde. Dans la conscience collective des
habitants d’Eku, la femme n’est autre qu’une domestique sur qui repose tout le
travail, mieux le poids total de la famille : piler l’igname et le plantain, aller
puiser de l’eau, garder et entretenir la maison, s’occuper des enfants, enfants faire la
cuisine, s’occuper de son mari, bref de sa famille. En revanche, les hommes,
eux, ne se donnent pas trop aux travaux domestiquesdomestiques. Ils partent en ville de
Mboasu et les villes des pays voisins pour chercher du travail et revenir une ou
deux fois l’an pour rendre visite à leurs femmes et repartir aussitôt. Ils restent
assez rarement avec leur leurs familles et ne manquent pas de prendre d’autres
femmes ou d’aller se satisfaire ailleurs
ailleurs,, ce qui est d’ailleurs permis et accepté de
tous. Io, sa bru Ié ett toutes les femmes du village partage partagent et intègrent cette
même conception des choses.
En revanche, Eké, fils d’Io, sa femme Aama (une une étrangère)
étrangère et Ayané leur
fille se distinguent des leurs à travers leurs comportements complètement
marginaux. Eké, qui devrait être en ville comme les autres hommes du village village,
décide de rentrer et de rester au village. Pire encore, il épouse une étrangère et
refuse de prendre une seconde épouse parmi son peuple : « Lorsque ses frères
lui conseillaient de prendre une autre femme, d’abord parce que c’était mal
d’avoir rejeté toutes celles du clan, ensuite parce que c’était mal de trop aimer
une femme, il répondait qu’il ne voyait pas pourqu pourquoioi il le ferait » (LDN, 2005,
p.17). De même, au u lieu de cultiver la terre
terre, Eké fabrique des objets en boue
pétrie qu’il teint et il sculpte des objets en bois is pour les vendre aux étrangers de
la ville.. Bien plus, il couvre sa femme d’d’une attention particulière, contribue aux
travaux ménagers, s, s’occupe de leur enfant Ayané qui ne sera autre que le reflet
de ses parents. Aama, la femme d’Eké d’Eké, travaille sans relâche et sans contrainte,
prend bien soin de son mari et de sa fille, aime les habitants d’Eku, ku, quoiqu’elle
quoi
ne soit pas aimée en retour et, pour couronner onner le tout, elle refuse d’adhérer
d’ à
leur réunion pour ne pas s’attirer de des malheurs.
Ces caractères et comportements à la fois distincts et contraires aux
normes et valeurs de la communauté ne peuvent les amener qu’à une fin
indésirable, notamment l’ex l’exposition à une éventuelle exclusion de la société.
lui. C’est
est la situation dans laquelle se trouve Eké qui rentre entre de la ville
uniquement avec sa femme Aama, l’étrangère non appréciée de la
communauté. En effet, p psychologiquement et socialement, Eké prend l’initiative
de faire un pas en avant sur sa communauté de par ses idées avant-gardistes.
avant
Psychologiquement, il s’arme de toutes les idées pos possibles
sibles lui permettant de
faire face aux réactions de sa communauté
communauté. Il décide de les ignorer ignor pour
pouvoir mener une vie à la manière dont il la conçoit. Sur le plan social, Eké
évolue plus que tout autre habitant du village.. Son activité lui rapporte
beaucoup d’argent. Ill constr
construit
uit une belle maison à sa femme. En témoignent les
propos du narrateur rapporté dans l’extrait ci ci-après: « Il l’avait installée comme
une princesse dans la case qu’il a b bâtie de ses mains,s, avec une pièce de plus que
les autres. Il lui avait construit un abri de tôle […] » (LDN, 2005, p.17), p. les
maisons en tôle étant rarissimes dans la région.
Après la mort d’Eké
d’Eké,, Aama s’est tant bien que mal défendue pour garder
son confort et assurer un bon avenir à sa fille Ayané en faisant le commerce. commerce
Elle travaillait, subvenait aux besoins de sa fille et la contraignait à faire les
études jusqu’à l’université
université pour aller poursuivre ses études en France. La
famille d’Eké ne faisait que prospérer en d dépit de leurs comportements
comportement hostiles
à la tradition. Les habitants d’Eku
d’Eku, en revanche, n’évoluent pas du d tout : la terre
ne leur est point rentable alors qu’ils ne savent avent pas faire ce que fait f Eké.
Conséquence : les es hommes s’ébranlent vers la ville sans pouvoir subvenir aux
besoins de leurs familles. L’enfant le plus avancé du village est Epa. Il a arrêté
ses études après l’obtention de son brevet. Bref, d’un ’un côté, nous avons la
communauté soudée qui régresse et de l’autre, la famille d’Eké marginalisée
marginalisé qui
progresse. Cettette situation paradoxale suscite en particulier la jalousie des
femmes, provoquant ain nsi la colère de toute la communauté d’Eku contre la
famille d’Eké.
Par ailleurs, l’espace
’espace dans lequel vivent les personnages du roman est
révélateur de leur mode de vie, de leur mode de pensée ainsi que de la nature
même de leur relation aux autres et au monde monde. Il revêt, au-delàdelà d’un simple
espace d’habitation, une valeur profondément symbolique. Dans L’Intérieur de
la nuit, les villageois sont répartis en trois communautés différentes : les
dignitaires, les gens du commun et les étrangers. Chaque habitant d’Eku occupe
un espace qui est conforme à son statut
statut. L’extrait ci-après en dit plus :
Sa case [celle de Ié ] était peu distante de celle qui abritait les fétiches du
clan, dans la partie est du village
village,, où se trouvait les habitations des
notables, des familles de haut rang [...]. Les cases du centre étaient celles
des gens du commun
commun. Celles de la partie ouest appartenaient aux étrangers
étrange
intégrés,, familles dont l’origine n’était pas du clan et dont un ancêtre avait
été captif de guerre ou une femme enlevée aux siens pour sa beauté. Au fil
du temps, l’histoire ne s’était plus racontée que parmi les notables
notables, de qui
était qui dans ce vill
village,
age, et on les avait considérés comme les autres.
autres S’ils
vivaient à gauche, c’était par habitude. Pas du tout parce que le ccôté
ôté gauche
était réputé maléfique et que personne ne voulait y résider. Et si la casecas à
plusieurs pièces des parent
parentss d’Ayané se trouvait là, ce n’était pas parce
Eké, l’homme d’Aama, contrevenait aux règles qui avaient toujours régi le
clan. Il se rendait à la source à sa place, et elle avait en permanence une
petite réserve d’eau.
eau. Lorsque ses frères lui conseillaient de prendre une
autre femme, d’abord parce que c’était mal d’avoir rejeté toutes celles du
clan, ensuite parce que c’était mal de trop aimer une femme, il répondait
qu’il ne voyait pas pourquoi il le ferait. Il était le benjamin et ses aînés
avaient tous entre deux et quatre épouses, qui avaient chacune au moins
trois enfants. Comme ils étaient six frères, la pérennité du clan n’était pas
en péril : on pouvait bien le lai
laisser vivre comme il l’entendait.
(LDN,
LDN, 2005, p.17-18)
Ce passage montre le les règles de base que transgresse volontairement
Eké, non pour causer du tort aux siens siens, mais pour son propre ropre bonheur.
Cependant, étant donné que ses nouvelles règles à lui diffèrent de celles de la
communauté, cette dernière est amenée à les lui reprocher.. Les premiers à lui
faire des remontrances sont ses propres frères. Quelquess-unes de ces
remontrances mentionn
mentionnées
ées dans le roman méritent d’être relevées. Quand
l’épouse d’Eké était à trois mois de l’ l’accouchement, il faisait it tout à sa place.
Cette attitude déplut à sa communauté
communauté. Au moment de donner un nom à
l’enfant,
enfant, lui et sa femme invent
inventent un nom : Ayané. Cela est exprès ; en effet,
aucun des noms, qui existaient dans ce village, ne leur plaisaient. Une fois de
plus, les habitants
tants d’Eku prirent cela comme ""une injure à la tradition".tradition" En
outre, le travail d’Eké, qui consistait à fabriquer des statuettes, des jarres, jarres des
écuelles à l’aide de la boue
boue, et son métier de sculpteur, lui attirai aient beaucoup
d’ennuis. En témoignent les propos du narrateur : «Tout Tout le monde le trouvait
bizarre.. Ce n’était pas dans les mœurs de ces paysans d’envisager la terre
autrement que comme la source de leur pain quotidien. Les calebasses dans
lesquelles les femmes transportaient l’eau n’étaient pas d’argile mais de bois bois»
LDN, (2005, p.18). Sa femme Aama non plus n’est pas à l’abri des reproches r en
raison de son comportement. Son hospitalité et sa générosité sans hypocrisie lui
sont reprochées par les femmes qui se rendaient malgré elles chez elle, à la
recherche de leurs enfants venus jouer avec Ayané. Ses es qualités de bonne mère,
mère
qui se plaît à bien prendre soin de sa fille unique et de femme réservée sont de
même mal vues. Son refus d’intégre
d’intégrer la réunion des femmes est mal interprété.
Or, voici ce qu’Aama dit à sa fille Ayané : « – Tu sais, ma fille, je ne suis pas
d’ici. Alors, si je me mêle d’histoires d’argent, je suis certaine de m’attirer des
ennuis » (LDN, 2005, p. p.39). Quoi qu’elle fasse, elle fait face aux critiques qui
sont sanctionnées par son rejet. Il en est de même de leur eur fille Ayané.
Ayané En effet, le
simple fait que son éducation diffère de celle d des
es enfants de son âge la met dans
une situation inconfortable au même titre que ses parents. La pauvre fille paye
innocemment pour les déviances de ses géniteurs. Somme toute, toute en vérité, la
mentalité des habitants d’Eku, à la fois teintée d’hypocrisies et de jalousies,
exclut, d’emblée, Eké et sa famille dont la conscience se heurte contre la
conscience collective. La réaction de la communauté prouve que rien de ce qui
vient
ient de la famille d’Eké ne les intéresse. Pourtant, lorsqu’AyanéAyané rentrait de la
France, tout le village l’att
l’attendait au lieu où on accueillait les voyageurs.
voyageurs Pour les
habitants d’Eku, elle devai
devait leur rapporter des cadeaux.. Cela ne fut pas le cas :
elle passa au milieu d’eux sans mot, ce qui suscita l’indignation de toute la
population qui se ligua contre elle, en l’injuriant.
L’exclusion sociale d’Eké nous a semblé finalement être une exclusion
choisie en raison de ses idées révolutionnaires. Le fait de choisir de mener une
vie différente de celle de la communauté dans ans laquelle l’on vit peut amener
méchanceté, elle saisit le prétexte selon lequel Ayané a chassé les femmes qui
s’occupaient de sa maman pendant qu’elle était en France :
manifestée contre leur fille. É Évidemment, à leur tour, les enfants relayent ce
comportement en rapportant les paroles injurieuses et rancunières de d leurs
mères sur Ayané. Nous comprenons donc pourquoi Ayané n’a jamais eu un ou
une amie dans lee village.
La mort d’Aama peut également être perçue comme la conséquence
directe de la mort de son époux. Elle se meurt depuis la disparition de son mari
qui était l’unique personne avec qui elle partagea
partageaitit ses convictions. Aussi a-t-
elle préféré quitter cette société qui a refusé de la comprendre.. À l’aube de la
mort de la mère d’Ayané, le narrateur affirme que « personne n’avait le temps
de s’inquiéter d’elle,, de cette balafre qu’
qu’elle trimbalait au-dedans,
dedans, de n’être de
nulle part » (LDN, 2005, p. p.34). Bien évidemment, Ayané souffre du fait de
n’appartenir à aucun groupe. Ses parents so sont
nt décédés et son clan ne la
reconnait pas comme une des leur leurs. Tous les fâcheux événements,
événements qui ont
frappé le village dont les rebelles en sont les auteurs, lui sont portés à charge.
Son
on bannissement définitif a été prononcé. Cette fois, devant tout le monde, Ié
lui a demandé de s’en aller :
Tu es une sorcière par nature. Tu n’y peux rien, mais nous non plus. Tu
apportes le mal, et nous ne pouvons t’accepter parmi nous.
Ai-je déjà fait le moindre mal à aucune de vous ? avait demandé Ayané à Ié
qui la dardait de ses yeux ronds.
Tu fais le mal sans le savoir, c’est en toi. Tout ce que nous pouvons
t’accorder,, c’est de venir saluer tes paren
parents
ts une fois par an. Nous ne
toucherons pas à leur maison. Ils sont morts à la même période de l’année.
Tu viendras donc une fois pour les deux. Quant à nous, nous aurons
effectué nos rituels de protection en prévision de ta venue
venue.
(LDN, 2005, pp.206-207)
pp.
Le sort d’Ayané
Ayané est définitivement scellé. Elle est désormais bannie
b et
rejetée par les siens à causes de sa différence
différence. Ne pouvant pas comprendre
l’attitude d’Ié
Ié à son égard, sa tante maternelle Wengisané l’aide,
l’aide tant bien que
mal, à la comprendre en disant qu’en elle, « elle voyait une farouche protectrice
de la cohésion de son groupe
groupe.. Lorsqu’elle la traitait de sorcière, ce qu’elle
voulait surtout dire, c’était qu’elle mettait en danger la santé du corps que
représentait le clan en refusant de s’y fondre » (LDN, 2005, p.207)
207). Les dégâts de
cette exclusion sociale sont énormes. Ayané remet tout en question : ses études
en France, la certitude que lui apporterai
apporterait son diplôme,, la confiance en elle, en
l’homme, en l’humanité..
Conclusion
Il a été question, dans cette réflexion, d’explorer les contours de
l’exclusion,, notamment l’exclusion sociale et les différentes formes de
transgression qui la sous
sous-tendent ou l’accompagnent. Le phénomène, tel qu’il se
produit dans le roman de Leonora Miano
Miano, montre qu’il existe dans toutes
toute les
sociétés humaines des normes et des valeurs que l’individu ne devrait pas
transgresser au risque d’encourir ou de subir de lourds châtiments. En d’autres
termes, l’individu
’individu ne peut valablement s’épanouir dans la sociét
société que s’il
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Abstract. The new black American drama (NBAD) has marked a turning
point in African American literature, though it has emerged and come of age
in the most politically turbulent era of the twentieth century. Without
focusing on any specific book, this work aims at exploring the link between
this dramatic form and American sociopolitics (ASP) from 1950 to 1975. It
examines how NBAD and ASP interconnection operated within that time. In
light of New Historicist theory, this paper posits that there is a form of
reciprocity, where black drama, shaped by American politics, becomes a
mule for sociopolitical reforms.
Keywords: the new black American drama, politics, black arts, revolt,
racism
Mots clé : théâtre noir américain, politique, arts noirs, révolte, racisme
Introduction
The new black American drama, in this very study, spans the fifties to the
mid-seventies, when racism became a less serious matter (Amiri Baraka, 1969,
1979, p. 251). This period has been, for black theatre practitioners, an
outstandingly prolific, but also the most sociopolitically turbulent era in the
twentieth century. Consequently, whereas several thinkers posit that the political
change had its roots in the previous decade (Strain, 2017, p. 16) celebrated
scholars, such as Amiri Baraka, draw a conclusion that it rather has swelled from
the artistic prolificacy. He made the point that art is politics (Watts, 2001, p.196).
Meaning, art is meant to change (LeRoi Jones, 1966, p. 212) sociopolitical
dispositions. In the same vein, August Wilson observes that all art is political,
because it serves the politics of someone (Bonnie Lyons and August Wilson, 1999,
p.2). I take up this thought to assert that a close examination shows the art-politics
link is not unilateral, but reciprocal. For, artworks mostly are prior offshoots of
politics, but also inspire politics. Wilson confesses that in America, Whites have
a particular view of Blacks, therefore his plays offer them a new different way to
look at black Americans (ibid.). The fact that white Americans have a particular
view of Blacks is political. The subjugation on the basis of complexion projects a
disdainful way of seeing Blacks. This racist policy shocks the heedful artist who
addresses it through arts. So, Wilson’s plays spring from politics, or reality, and
aim at reforming that politics.
This article explores the forms and the roles of the NBAD focusing on the
reciprocity between dramatic art and American sociopolitical changes from 1950
to 1975. It shows, on the one hand, how politics has influenced the emergence of
the new black drama, and, on the other hand, how this dramatic form has
reshaped American politics. The applied literary tool encompasses thematic,
autobiographic, individual and collective works, focusing on a series of striking
historical events, and the New Historicist approaches. Knowing that the latter is
not monolithic, I consider Stephen Greenblatt’s definition that any literary work
is a framework of non-literary texts (Peter Barry 1995, p.173). The literary and the
non-literary texts are interconnected, for, both are given equal importance and
allowed to work as sources of information and interrogation with each other
(Rajani Sharma, 2014, p.3). In this context, it is used to reexamine this reciprocity
by considering each field (politics/drama) a source of inspiration.
[…] with all eyes on her, she turns again in the direction of the officials,
defiance in her gaze. Her hand comes up to finger the medal on her lapel.
Then, looking down at it, she hastily unpins the medal and comes forward,
extending it in her hand. Here... Yes, here! You take it—General. Take it back!
There are ad-libs amazement…Yes, Willie’s dead and gone now, and I’m
proud he was brave and helped save somebody else ‘fore he got killed. But
I can’t help thinkin’ Willie died fighting’ in the wrong place. (Quietly intense)
Willie should had that machine gun over here! So you can take this medal
back on up to Washington and tell ‘em I don’t want it!
Woodie King and Ron Milner (1986, pp.469-471)
Mrs. Jackson’s refusal marked a new starting point in black drama. She does not
comply with General. Rather, she stubbornly defies the racist and oppressive
powers. At this very juncture, the critic Hay stresses that the image shocked the
audience …What made Mrs. Jackson’s truth spilling so painful was its
complementing theme: Eliminate racism by eliminating racists (op. cit., p.88).
This recurring conflicting mood, without compliancy, penetrates Alice
Childress’s Trouble in Mind (2001), which portrays a friction between Manner, a
white patronizing stage director and Mayer Wiletta, a black actress. Her
audacious stand against Manners’s disdainfulness is a relatively unprecedented
attack. Commenting on Wiletta’s activism, Hay thinks she unveils the hidden
toughness of African American actresses in that time. She demands African
American theatre practitioners to boycott foolish characterizations shaped by
public perception and policies (op. cit., p.89). That defiance filters through Loften
Mitchell’s A Land Beyond the River (1975), another famous landmark play which
tackles, in the same perspective, racism through the protest of some characters.
Lorrain Hansberry’s A Raisin in the Sun (1987) the best play in its time, is hailed
as the epitome of modern black drama. For, the playwright has produced on
1[This medal is] offered to the dead Willie Jackson, an African American soldier killed in battle overseas, as
his posthumous award for bravery.
The black attack dramatic form covers the sixties and the early seventies. It
mirrors the sociopolitical battles for equal justice in that era. Indeed, the rise of
the New Liberals in the 1960s has brought profound transformations to black
drama. The general shyness and the reluctance to speak out on controversial
issues (Martin Halliwell, 2007, p.18) in the past years faded away, and the
tongues have been loosened up. The 1960s attack drama emerged in lieu of the
protest drama. It represents a solid springboard where black artists slackly
address any sociopolitical issues, galvanizing for prompt revolt. Several
theatrical movements, and groups mushroomed. Baraka founded Black Arts
Repertory Theatre/School (1965), and Black Arts Movement (1965). In addition,
he published Black Revolutionary Theater (1968) to adumbrate the criteria of the
new black drama. In the same vein, Larry Neal launched Black Aesthetic (1968).
Whereas, many theatre companies such as The Free Southern Theater (1964), The
New Lafayette Theater (1967), National Black Theater (1968), The Negro
Ensemble Company (1966) to name but a few, emerged and operated in line with
the new policies. Theodora Tsimpouki explains:
The sixties was an era of great social and cultural upheaval. It was a period
of mass mobilization that attempted to redefine “America” by addressing
issues of racial exclusion, sexual subordination and national identity. […]
Rock music, radical activism that included civil rights and anti-war
demonstrations, consciousness-raising groups, anti-disciplinary politics as
well as alternative lifestyles that adopted willed poverty, communal living,
drug experimentation and non-Western, non-Christian practices and beliefs
created a powerful yet loosely organized cultural movement.
Theodora Tsimpouki (2009, p.45)
The new liberal policies have given rise to unprecedented freedom of speech
which resulted in the growth of several free cultural movements. A growing
slogan was “Free your mind and the rest will follow” (ibid. 47). Freeing one’s
mind, according to Baraka, is the ability to express or translate through art the
political trends in a country. (Dennis Büscher-Ulbrich and Amiri Bakara, 2010,
p.2) As a result, the endless sociopolitical upheavals, riots, and violent
repressions inspire many adamant playwrights who pig-headedly engage in
human sacrifice performances, by exposing bloody exactions against Blacks.
Consequently, the 1960s attack dramatic form realistically addresses the
sociopolitical issues through many devices include language styles, themes,
plots, symbols, and characterizations.
The themes are mostly centered on violence. Both, the titles and the contents
are peppered with provocative styles, exposing killings of any sorts in America,
especially in South and at the same time, calling for an immediate retaliation.
Kalamu Ya Salaam titled his play, The Destruction of the American Stage (1972),
Philip Hayes Dean called his own, The Owl Killer, (1971) whereas Amiri Baraka
(LeRoi Jones) published Junkies Are Full of (SHHH…) (1971), Bloodrites (1971), and
Four Black Revolutionary Plays, (1969) which comprises: Experimental Death Unit
#1, A Black Mass, Great Goodness of Life, Madheart, and Why No J-E-L-L-O? In the
introduction to this very collection, LeRoi Jones warned that: “Unless you killing
white people, killing the shit they’ve built, dont read this shit, you wont like it,
and it sure wont like you.” (op. cit. 1969, p. vii) Violence is tangible through the
titles. It alludes to rebellion, destruction, death. In this extensive euphoria, Shelby
Steele, in “Notes on Ritual in the New Black Theatre”, opines that one of the
salient characteristics of the New Black Theatre that maintains its separation from
the mainstream American drama is its ritualistic aspect (Errol Hill, 1987, p.30).
Ritualistic, Steele explains, means the strong presence of symbols, characterizations,
themes, and language styles which are frequently repeated from play to play and
over a period of time (ibid.). The repeat refers to the hidden idea of violence
against Blacks, which permeates not only the titles, but also the contents.
Likewise, the content of the black attack drama is peppered with inner
frustrations, anger, protest, and violence. It becomes a battle field where the
exactions against Blacks are loosely exposed to serve as severe frontal attacks on
Whites. William Wellington Mackey explains that his play is
This excerpt illustrates the objective of the new black drama that it should not
only express “repressed feelings of anxiety and deep inner frustrations”, but it
should trigger “anger and hostility toward the white masses”. Mackey’s vision
matches with Joseph A. Walker’s in Ododo, where he chronicles in a persistence
emotional style the plight of black Americans from their enslavement. He stresses
on how Blacks are murdered, hung and humiliated. (Joseph A. Walker, 1986,
pp.363-364) Actor G is endeavoring to give the statistic of Blacks killed by Whites.
ACTOR A: Dig it.
WOMEN (sing): Six million people
ACTOR A: Yeah, that’s a lot.
ACTOR G: How many millions of blacks died by lynchings, rapings,
murderings, torturings, starvings, and diseasings?
ACTOR A: Before and after slavery.
ACTOR G: Dig it
(ibid. p. 378)
Beside these exactions against Blacks which littered the attack drama, the
playwrights also propel for violent actions. Walker claims that when a man tries
to put his hands on you, insults your dignity, plays around with your humanity,
messes with your manhood, you better kill him, kill him, kill him, and kill him
good! I say kill that man! (ibid. pp. 381-382) The black attack drama, contrary to
protest drama, eschews resignation. It is a form of drama that preaches assault
on the oppressor. In Gabriel, Clifford Mason, through the character of Gabriel,
appeals for resistance and frontal attack: Get up, shoot, kill, change, (Amiri
Baraka 1969, p.218) for, black drama must accuse and attack anything that can be
accused and attacked (ibid. p.211). Archie Shepp, in Junebug Graduates Tonight,
through the character of Junebug suggests: kill him (white) back when he
murders you! (Archie Shepp, 1986, p.58)
The new black drama must attack the oppressive American politics
embodied by Whites who are dehumanized. They are referred to as beast, savage,
bitch, devil, hell. In Baraka’s A Black Mass, the white character claims to be the
beast as follow:
BEAST: I White. White. White. White. (Leaps, coming to stiffness, then screams
stupidly) White! White! White! (Hops like beast goon, making horrible farting
sounds with his mouth) White! White! White! (Hops back toward stage, and
up) White! White! (…)
TIILA: White! White! (Her humanity breaks through the dead animal language
briefly.)OH LORDS HELP ME I AM TURNED INTO A MONSTER. OH
LORDS... (LeRoi Jones, 1969, pp.30-35)
The fight for equal justice seriously started when the dramatists published
and staged plays to awake Blacks’ consciousness and incite them to public
manifestation against many social injustices. Topical social issues, like the right
of vote, the segregation of public facilities, services and unequal opportunities,
permeate the plays. However, two different ideologies, the integrationist and the
separatist visions, have divided the dramatists.
The integrationist playwrights believe, to resolve the problems of Blacks,
they must integrate the white mainstream. Championed by W.B.B Dubois, this
vision is carried on by other celebrated playwrights like Langston Hughes,
Lorraine Hansberry, James Baldwin, Sonia Sanchez, Steve Carter, to name but a
few. Baldwin, in The Amen Corner, (1968) has subtly expressed his position
through the character of Alexander Margaret. When because of racism, and hate,
she lost her husband, child and church, she realizes that love, compassion and
forgiveness constitute the solid soil she can build her family and congregation
on. This metaphorical description illustrates the playwright’s vision of American
community. For Baldwin, love and compassion have nothing to do with the color
of anybody’s skin (ibid. v). This is a plea for racial integration which Hansberry
in her pioneering play, A Raisin in the Sun, sees not only as the suitable response
to racism, but also, as Blacks’ right to claim for. Commenting on Mama’s choice
in this play, Silvia Castro Borrego thinks, considering the sociopolitical
atmosphere, integration becomes a well-deserved reward for the moral choices
the members of the Younger family have made with great effort on their part
(Borrego, 2015, 124). It calms down people who feared violent uprisings, and
contributes to demonstrating that life in the ghetto does not always lead to crime
or disgrace (ibid). Sonia Sanchez takes it up stressing on the need to reclaim the
right to assimilate into the white mainstream. In her one-act play, The Bronx is
Next (Sonia Sanchez, 1971), she provides a revolting depiction of black ghetto in
Harlem. The burning of the buildings, the death of White Cop, and the
humiliation of Black Bitch, the white cop’s mistress convey a message that
propels to uprising. Dr Hasan Mohammed Saleh and Shatha Amanallah Aziz
observe that:
This quotation underscores that the new black American drama has been
essentially a political and a catalyst agent in the fight for sociopolitical reforms.
Unlike the integrationists, the separatists flatly reject any form of subordination
to white supremacy and seeks for total independence. This stance leads to the
emergence of a new form of nationalism to quest for black political and cultural
freedom. It is led up by several celebrated playwrights and political activists such
as Douglas Turner Ward, Ed. Bullins, Marvin X, Archie Shepp, and Amiri Baraka
at the forefront. Advocating for separation, the latter asserts that the struggle is
not simply for “equality”, or “better jobs” or “better schools” and the rest, it is to
completely free the black man from the domination of the white man…The black
man has been separated and made to live in his own country (LeRoi Jones, 1966,
pp.84-85). The envisioned black country refers to an enclosed arena to celebrate
black history, culture, and politics. Thus, he proposed, as quoted by Komozi
Woodard, that "Harlem secede from the United States” (Komozi Woodard, 1999,
p.66), and pleaded for black unity as follow: “If you want a new world, Brothers
and Sisters, if you want a world where you can all be beautiful human beings,
we must throw down our differences and come together as black people. We are
asking for a unity so strong that it will shake up the world” (ibid.). These ideas
permeate many of Baraka’s plays. Bloodrites, for example, is a provocative,
violent, and highly revolting play which insistently calls for unity of action. The
character of Loudspeaker asserts: “We all need each other. If we are to survive.
We all need to love each other […] Brother, sister, seeing this, react, move…”
(Amiri Baraka, 1971, pp.28-29). He believes that unity of black people is a key in
the achievement of their goals. Therefore he suggests that “black […] theatre will
show victims so that their brothers in the audience will be better able to
understand that they are the brothers of the victims, and that they themselves are
victims if they are the blood brother.” (LeRoi Jones, 1966, p.213)
Thus, the new black American playwright’s role is to draw from the daily
realities and to cast on the stage through characterization shocking conditions of
black American citizens. He has to shape them as victims, so that it strikes the
audience, awakes its consciousness and incites to revolt.
Between 1965 and 1970, more than 500 urban uprisings galvanized a new
generation in the struggle for black liberation. The massive tumult of the
ghetto revolts set the stage for the fusion between the nationalism of small
circles of radical artists and intellectuals and the grassroots nationalism of
the broad urban masses; out of that explosive mix came a new generation of
militant Black Power organizations, demanding self-determination, self-
respect, and self-defense. In the midst of the uprisings the politics of black
cultural nationalism and the Modern Black Convention Movement took
The quotation above delineates the broad scope of the riots around
America. At the forefront, there are artists and intellectuals notably the new black
American dramatists. Abney Louis Henderso refers to women artists and
activists like Lorraine Hansberry, a playwright and activist, and Sonia Sanchez,
poet, Audre Lorde, poet, activist, and feminist, all took part in the liberation of
Blacks during the civil rights movement in 1950s-1970s. They attended rallies,
and were fully involved in political movements that changed the lives of black
people in America. (Abney Louis Henderson, 2014, p.13) In addition to this, a
good deal of theatrical movements, groups, and companies altogether joined the
rallies. In the limelight, the Black Arts Movement, co-fathered by Baraka in 1965.
It is a broad association of radical visual artists, playwrights, poets, novelists, and
musicians whose common target is black liberation. It is a form of cultural and
political separation from white dominating concepts through black arts. The
director of the FST (the Free Southern Theatre) then, John O'Neal, argued that,
politics is to art as content is to form, one cannot exist without the other. Art is
dominated by and is an expression of politics. Thus, the FST believes that political
actions can be stimulated by art (Errol Hill, 1987, p. 294)
Consequently, within this period (1950 to 1975), a new generation of
committed black dramatists and political activists has emerged and influenced
many political reforms such as: the Brown v. Board of Education in 1954 which
aims to end segregation in school in America, the Voting Rights Act in 1965,
allows African American voters who have been disenfranchised to vote, the 1968
Fair Housing Act proscribes the sale of housing based on race, sex, or religion2.
Conclusion
This paper has examined the reciprocal relationship between the new
black American drama and American politics from 1950 to 1975. It has
highlighted, on the one hand, how American sociopolitical ideologies have given
birth to a new dramatic form, and, on the other hand, how this new black drama
has triggered sociopolitical reforms. The result reveals that the new black drama
which emerged in the 1950s and died at the mid-1970s was fundamentally a
product of American politics. For, its three waves: the protest drama, the struggle
drama and the revolutionary drama, are influenced by the political tendencies
mainly: the cold war, the liberalist ideology, and the Jim Crow. Besides, the new
black drama is seen as a political tool employed to raise black consciousness,
promote black revolution, black aesthetic and nationalism, by reforming
American politics. It is seen as the stimulus of many political reforms until mid-
seventies, the milepost of a new dramatic form.
2
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VARIA - SOCIÉTÉ
A. I. Aboutou & K. Y. Kambe
Introduction
L’alcoolisme demeure l’une des causes de mortalité avec 3,3 millions de
décès dont 28,9% des femmes dans le monde et 4% pour les ivoiriennes (OMS,
2012). Par conséquent, l’alcoolisme chez les femmes devient une préoccupation
quelles que soient les raisons évoquées. En Afrique, la Côte d’Ivoire occupe le
deuxième rang avec un taux de prévalence de 64% en 2012. Le pourcentage des
femmes qui ont consommé de l’alcool est de 60,7% contre ceux 39 ,3% qui
s’abstiennent et celles qui ont consommé 5 verres d’alcool ou plus par jour est
de 22 ,1% (STEPS, 2012). Si l’alcool est considéré traditionnellement « la
drogue » culturelle dans nos sociétés, son utilisation est en plus renforcée
volontairement et efficacement.
Ainsi la vulgarisation de l’alcool apporte aussi ses propres
représentations au féminin ; représentations qui vont dans le sens des intérêts
financiers des entreprises. Ainsi le regard posé sur la femme qui boit de l’alcool
évolue. Le regard consterné adressé à la femme alcoolique s’efface avec la
publicité diffusée, car les femmes sont devenues un marché potentiel pour eux.
La culture commence à se modifier au sein des générations plus jeunes Gueibe
(2008). Les façons de boire changent d’après les générations de femmes. « Ce
sont les groupes sociaux auxquels les femmes appartiennent et la société où elles vivent
qui déterminent si ces femmes consomment de l’alcool de manière excessive. » Cordis,
(2008). En somme, ce sont ces tabous destinés à réprimer l’alcoolisme féminin
qui incitent les femmes à se cacher pour boire et les préjugés à leur égard
accentuent les problèmes des alcooliques à la clandestinité par les mœurs
sociales. Elles sont amenées à dissimuler rapidement leur vice jusqu’à ce que le
regard de l’autre ne leur importe plus. Wilson et al., (1995). Par ailleurs
l’urbanisation rapide est l’une des causes les plus visibles des transformations
des modes de vie et de consommation dans la famille : 49,73% de la population
vit dans les villes selon le RGPH (2014). Cette urbanisation favorise le
développement d’une culture individualiste et affecte les structures familiales et
communautaires qui assuraient la solidarité au sein de la famille élargie.
L’organisation actuelle de la société ne permet pas de réduire les
dépendances allouées (ou face) à l’alcool. A titre d’exemples, l’on peut citer les
multiplications des tâches ménagères, le silence contre les violences conjugales,
le non recours aux instances juridiques, les conditions de travail difficiles dans
les emplois essentiellement féminins. Au regard de ces séries de constats
empiriques, il importe de comprendre les motivations sociales liées à la
consommation de l’alcool par la femme ivoirienne particulièrement celle vivant
à Marcory l’un des quartiers d’Abidjan. Ainsi pour mieux comprendre cette
situation, nous nous sommes posé la question suivante : Quels sont les facteurs
qui expliquent la consommation des boissons alcoolisées chez les femmes dans
la commune de Marcory ? Il s’agit en clair pour nous de rechercher les causes
efficientes liées à l’alcoolisation de la femme.
Corpus et méthode
L’étude effectuée en milieu urbain dans la commune de Marcory, l’un
des quartiers de la capitale économique ivoirienne, Abidjan qui, au dernier
recensement de 2014, compte près de 500 000 habitants dont 70% ont moins de
30 ans avec un taux de scolarisation de 79%. La commune de Marcory peut
aussi être considérée comme un laboratoire du vivre-ensemble par le caractère
cosmopolite de sa population composée d’Ivoiriens, d’Africains, de Libanais,
Syriens et d’Occidentaux.
Cette étude porte sur les femmes qui consomment de l’alcool dans la
ville d’Abidjan et a été réalisée à l’aide d’entretiens individuels sur une période
de trente jours. Les entretiens ont été menés dans les domiciles respectifs des
enquêtés si nécessaire, sur les lieux de consommation et enfin sur leurs lieux de
travail. Pour le recueil de données, nous avons utilisé un questionnaire
comportant quatre variables, à savoir : les caractéristiques
sociodémographiques des femmes consommatrices de l’alcool ; leurs
motivations pour la consommation de l’alcool ; le mode de consommation ; la
période de consommation ; le type d’alcool consommé. L’enquête s’est déroulée à
du 24 novembre au 29 décembre 2018. Nous avons mené une étude spontanée,
analytique auprès des femmes quel que soit leur âge. Ont été incluses dans
l’enquête, toutes les femmes quelques soient leur âge, religion, profession,
nationalité, ethnie, lieu de d’habitation et niveau d’instruction.
L’échantillonnage accidentel a été utilisé. Il a consisté à interroger les femmes
qui consommaient de l’alcool dans les bars, maquis (fermés, couverts ou à ciel
ouvert). Les données ont été saisies et enregistrées à l’aide du logiciel Sphinx.
Résultats
1.1. L’âge
L’âge est un critère de référence lié à la consommation de l’alcool
affectant l’existence de la femme. L’âge influe sur les raisons des femmes à
consommer de l’alcool. La consommation de l’alcool croit avec l’âge. Les
femmes de moins de 15 ans constituent 0,35% ; 2,87% des femmes ont entre 15
ans et 17 ans, Clles de 18 ans à 21 ans, 22 ans à 25 ans, 26 ans à 29 ans et de plus
de 30 ans représentent respectivement 11,78% ; 28,05 %; 34,53% et 22,42%. C’est
une méthode à laquelle le chercheur a recourt quand il n’a pas le choix, il
procède alors au prélèvement d’un échantillon de la population qui lui
convient.
1.3. La religion
Cette varaible donne les résultats suivants : 56,83% de femmes
animistes ; 21,63% de femmes chrétiennes ; et 21,54% de femmes musulmanes.
1.4. La profession
Lié à l’existence humaine, le travail est au cœur des rapports sociaux et
entre les groupes de personnes. Au niveau de cette variable, les enquêtées sont
composés de commerçantes (82,73%); de ménagères ( 1,91%). 5,19% travaillent
dans le secteur public et 10,17% dans le secteur privé.
25,0%
50,50%
19,40% Week-end
Fête
Repas
78,60%
Avant et ou après le travail
250
200 176
150
100
72
50 29
10 100%
5,10% 30,80% 49,70% 12,60% 1,80%
0
Non réponse Plaisir Curiosité Imitation Soucis de la TOTAL OBS.
vie
l’alcool pour obtenir des effets spécifiques particuliers. Le plaisir est l’un des
principaux mobiles qui sous-tendent la consommation de l’alcool chez les
femmes. Le plaisir est en effet un état affectif lié à la satisfaction d’un désir, d’un
besoin. Il indique également une sensation, un sentiment agréable.
Les passages du temps de travail à celui de repos, se réalisent autour des
lieux de consommation d’alcool. L’usage de l’alcool ne peut pas seulement être
perçu comme un acte individuel ; il relève au contraire d’un fait social qui va
prendre sens à travers les valeurs normatives collectives du groupe. Les
femmes soulignent particulièrement avoir recours à l’alcool en cas de soucis, du
fait du caractère réciproque du lien entre soucis et alcool : alcool pour oublier
ses soucis et l’effet de l’alcool sur la personne consommatrice. On en conclut
que ces femmes qui utilisent l’alcool comme moyen pour faire face aux
évènements stressants constituent une population particulièrement à risque de
développer une dépendance.
Effectif; Total;
278
Effectif
(%)
(%); Total; 100
Effectif; Amis;
61 (%); Conjoint;
(%); Amis; 41,8 (%); Seule; 39,2 (%); Parents;
38,8
28,2
Les enquêtées ont la possibilité de nous faire part de leurs choix quant au
mode de consommation de l’alcool. 41,80% déclarent boire de l’alcool avec leurs
amis. Ces femmes, tout comme le décrit le milieu social, choisissent leurs amis
en fonction de leur préférence et leur affinité en matière de consommation
d’alcool. 39,20% des femmes affirment boire de l’alcool seule. Ce choix
s’explique par la stigmatisation voire le rejet des femmes alcooliques. Cette
stigmatisation renvoie à la dépravation. 28,20% de femmes le font avec leurs
250
200
150
115
105
100
45
50
13
4,67% 16,16% 37,76% 41,36% 100%
0
Non réponse Breuvage de luxe Bière Breuvage local TOTAL OBS.
Discussion
Les raisons de consommation sont diverses, mais elles sont reliées à un
modèle que nous avons décrit. Les motifs trouvent aussi leur place ici
: « Lorsqu’une personne attend de l’alcool qui lui permette de se sentir mieux,
cela peut constituer un motif à consommer ». Les raisons de boire diffèrent
selon le contexte de consommation et permettent d’expliquer en partie la
quantité d’alcool consommée dans une occasion. Elles ont aussi tendance à
boire davantage pour être plus sociables, pour faire comme les autres. Les
raisons exprimées par les enquêtées concernant leur consommation sont soit de
nature extrinsèque ; soit par curiosité, soit pour le plaisir, soit pour faire une
nouvelle expérience, soit pour appartenir à un groupe ou de nature intrinsèque,
c’est à dire besoin d’oublier les soucis, les conflits familiaux. Ainsi, en initiation
ou consommation occasionnelle, les femmes consomment par curiosité, par
identité familiale parce que le parent consomme, ou pour appartenir à un
groupe de pairs.
Lorsque la fréquence de consommation augmente, les motifs évoluent et
deviennent par désir d’affiliation pour une quête d’identité. Les usages de
l’alcool et les discours qui s’y rapportent relèvent des conceptions socialement
construites et s’inscrivent dans un système culturel particulier. Consommer de
l’alcool est une pratique qui structure un mode de relations aux autres. Boire de
l’alcool permet la transition entre des espaces et des temps sociaux différents :
en privé, en famille, au passage du lieu au public, maquis, bistrots.
La manière dont quelqu’un vit les effets de l’alcool peut à son tour
influencer la consommation. Ou encore, l’environnement social peut influencer
les attitudes des personnes de diverses manières et donc aussi l’attitude vis-à-
vis de la consommation d’alcool. Les résultats de cette section sont estimés à
11,41% la proportion de femmes qui s’adonnent à la consommation journalière
d’alcool. Cette proportion, bien que significativement faible par rapport aux
femmes qui ont une consommation hebdomadaire 35,92% et 53,26% pour celles
qui le font mensuellement constitue un motif d’alerte. En effet, ces valeurs
reflètent le degré de consommation des femmes issues des milieux urbains quel
que soit leur statut socio-professionnel. Selon Henri (1999), le risque alcoolique
s’installe à partir d’une consommation régulière de 30g d’alcool par jour pour
une femme. Autant la consommation régulière est un facteur déterminant ;
autant le milieu socioculturel est un élément influent.
Quel que soit le milieu de la femme, le modèle de consommation d’alcool
est élevé. Cette situation est contraire à celle du Canada que révèle l’analyse de
(Desrochers, 1968); les modèles de consommation au Canada diffèrent d’un
milieu culturel à un autre. On conclut que les modèles de consommation, les
types de consommation existent bien dans tous les milieux tant sociaux,
professionnels et culturels. Aussi n’est-il pas surprenant de constater une
relation entre les facteurs explicatifs de cette habitude de consommation tels
que l’âge de consommation 51,63% qui survient entre 16-20 ans et favoriserait
une consommation à l’excès.
Cet âge d’initiation à la première consommation peut être avancé par les
modèles de conduites de consommation du père ou de la mère 49,57% (Fattah
et al., 1969) associé cela au milieu culturel, au statut socio professionnel des
parents et renforcé par le degré d’entente entre les parents. C’est la thèse que
soutient (Daigneault-Racicot, 1970), pour qui le milieu familial d’origine et
actuel est celui qui influence l’alcoolisme d’un individu. Cette affirmation ne
sous-estime pas l’importance des facteurs génétiques et héréditaires.
Contrairement à Fouquet (1971) qui estime que ce sont les facteurs de
l’environnement social qui constituent une prédisposition à l’alcoolisme.
Toutefois, notons que cet âge coïncide bien avec le désir de connaître,
d’expérimenter et de s’affirmer. C’est une pré-consommation ou l’on prend
conscience des boissons alcoolisées mais ne dit pas pour autant que l’on doit
pratiquer sa consommation. Cette explication nous amène à rechercher les
facteurs explicatifs d’une telle attitude.
Les raisons qui pourraient justifier un tel type de consommation sont à
l’origine de la première consommation. Elles sont d’ordre psychologique ou
mental : plaisir 40,76% et curiosité 41,84% (Moss, 1970). L’habitude une fois
installée crée à la longue la dépendance psychologique, la fréquence (Laforest,
1972 ; Murphy et Beauchesne, 1972). Les motifs de boire se catégorisent en motif
de renforcement (plaisir), motif de conformité (imitation). Les raisons sont aussi
associées au type d’alcool consommé. L’alcool procure de la convivialité. Il faut
souligner que la consommation d'alcool est aussi une pratique culturelle ; ce qui
peut aussi s'inscrire dans le processus de la construction identitaire, mêlant à la
fois la pérennité et le changement. La construction identitaire est un processus
qui s'élabore tout au long de la vie. Les boissons alcoolisées font partie de
véritables codes de convivialité.
Il existe aussi le type d’alcool qui est un déterminant social dans le
processus d’alcoolisation. Le Vin et la bière jouissent d’un statut véritablement à
part qui semble jouer un rôle fondamental dans la consommation quotidienne
d’alcool et dans les attitudes et comportements de régulation qui caractérisent
la cible des consommatrices excessives. La bière et le vin sont des alcools très
profondément ancrés à la fois dans le généalogique (famille) et dans le
quotidien (repas ou rituels traditionnels). D’où la remarque suivante :
l’assimilation de la bière et surtout du vin avec l’aliment.
Concernant le vin, son statut d’acteur incontournable du repas l’intègre
directement dans la culture gastronomique et plus largement dans un savoir-
vivre. Le breuvage local et la bière restent les boissons les plus consommées.
Elles sont présentes dans toutes les surfaces, boutiques, et donc d’un accès très
Conclusion
Notre réflexion sur l’alcoolisation en milieu féminin en Côte d’Ivoire a
fait ressortir progressivement quatre résultats. Ces résultats se situent au niveau
de la période de consommation, des motivations, du mode de consommation et
du type d’alcool consommé. Ces réponses ont permis de saisir les contours de
cette réalité sociale à travers les questionnaires et le guide d’entretien. Le fait de
boire de l’alcool quelle que soit la raison est un fait social. Il marque une
consommation sociale. Cette prise d’alcool est consciemment vécue et pratiquée
suivant le mode, le temps, l’espace, le type d’alcool et la raison évoquée par les
femmes. Elle est socialement acceptable et donc admise par la société. Elle est
une bonne source de catalyseur pour les brasseries.
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Akofenaçn°001 731
Bolibana, la cité de la diaspora ou les exclus de la société ?
Introduction
La question de la migration constitue de nos jours une préoccupation
majeure. Elle est, au même titre que les catastrophes naturelles et les guerres,
source de nombreux dégâts, aussi bien en termes de pertes en vie humaines que
de dommages moraux et psychiques. Pourtant, l’humanité n’a jamais été
confrontée à ce phénomène, tant les candidats au départ ne cessent d’accroître.
Malgré les mesures drastiques déployées pour réduire le flux migratoire,
surtout des pays pauvres vers ceux de la métropole, tels des essaims d’abeilles
mus par le même objectif, convergent des effectifs considérables d’émigrés vers
les pays développés. Or, pensons-nous, l’exil ne saurait constituer une solution
définitive au besoin d’épanouissement de la jeunesse. C’est pourquoi, à travers
une étude comparative de la situation d’un personnage d’un recueil de
nouvelles (Bolibana) et celle des migrants africains telle que vécue de nos jours,
nous tenterons de déterminer les enjeux de ce fléau social. Mais pourquoi cet
entêtement des migrants ? La destination européenne constitue-t-elle vraiment
une porte de sortie pour les personnes en quête de mieux vivre ? Quelle peut
être la portée d’une telle option ? Ce sont autant de questions dont les réponses,
dans les lignes qui suivent, aideront à mieux comprendre le phénomène. De
quoi est-il question dans cette œuvre ?
La vie s’écoulait, alternant les séjours dans les régions tropicales nouvelles
et ceux que l’on faisait dans les villes de midi de la France, mais toujours
dans une ambiance familière de chambrées, de service de garde, de salut
aux couleurs, de manœuvres, de tir au fusil, de revues de détail, de défilés,
de fêtes militaires, de mission de service d’ordre, de permissions
dominicales.
DELMOND (1999, p.11)
Tout comme Djigui, plusieurs émigrés africains partis de chez eux pour
accomplir des missions de travail ou dans le cadre de leurs études, mènent une
vie plus ou moins paisible dans de nombreux pays autres que les leurs, que ce
soit sur le continent ou ailleurs. En dehors de ces cas, les demandeurs d’asile
africains sont de plus en plus confrontés à de multiples difficultés, surtout pour
s’intégrer dans les pays de la métropole. C’est ce qui nous révèle cet autre pan
de la vie du personnage.
Akofenaçn°001 733
Bolibana, la cité de la diaspora ou les exclus de la société ?
trouvé refuge, jusqu’à la fin de son service militaire. Il y avait perdu sa femme,
une fille de son pays qu’il avait épousé.
À Bordeaux, la situation de Djigui ne sera pas non plus reluisante.
Désormais, on l’appelait « La-paix-seulement », parce qu’il répondait toujours
par ces mots lorsqu’on lui demandait « Comment ça va ?». Pire, nul ne pouvait
le désigner par ses origines, note le narrateur : « On ne savait pas d’où il était
[…]. Il venait, disait-on, de contrées lointaines de l’intérieur de l’Afrique qui,
pour un bordelais moyen, sont impossibles à situer » (DELMOND, 1999, p.8).
Pire,
C’était un homme seul, sans femme ni maîtresse attitrée, sans parents ni
congénères. L’étranger total, que l’océan déposa sur la grève, et qu’il
viendra reprendre, à moins qu’entre temps, malade, il ne s’en aille mourir à
l’hôpital Saint-André, anonyme, parmi les anonymes, et que son squelette
serve à instruire des générations d’étudiants.
DELMOND (1999, pp.8-9)
C’était une inspiration irrésistible, comme si elle avait veillé dans un recoin
caché de son esprit, depuis de longues années. Regagner l’Afrique ! Quelle
Afrique, et pour faire quoi, et pour revoir qui ? Il n’en savait rien, il n’y
réfléchissait même pas. Oui, regagner l’Afrique ! Fuir bordeaux, ses pierres
et ses hommes, les copains déjà abolis et qui allaient le harceler de
questions et de requêtes, fuir, repartir […].
DELMOND, (1999, p.10)
Akofenaçn°001 735
Bolibana, la cité de la diaspora ou les exclus de la société ?
Mais hélas, c’est un accueil blessant et injurieux, un accueil des plus amers
qui lui fut réservé. Alors, en vint-il à regretter sa décision de rentrer au pays :
« Revenir au pays, c’est bien joli ; mais tous les problèmes ne sont pas résolus
parce qu’on a les poches pleines et un passeport en règle ; il te faudra peut-être
Akofenaçn°001 737
Bolibana, la cité de la diaspora ou les exclus de la société ?
6. À qui la faute ?
Deux principales raisons sont évoquées par le narrateur pour justifier l’exil
de Djigui, d’abord à Dakar et plus tard, en France. Dans un premier temps, son
départ définitif de chez les siens serait dû à son comportement irrespectueux
envers son père, ce qui s’est soldé par le bannissement de ce dernier. Il y a aussi
les raisons financières car, incapable de joindre les deux bouts à Dakar, il décide
d’aller vers d’autres cieux, vers l’eldorado. Mais quelle lecture peut-on faire de
ces causes ?
Dans un entretien accordé à René HOLENSTEIN, Joseph KI-ZERBO (2013,
p.49), abordant la question de la migration, note que ce n’est toujours pas de
gaieté de cœur que les gens vont de chez eux. S’ils le font, c’est parce qu’ils sont
plutôt refoulés de chez eux à cause des fléaux tels que les guerres et la pauvreté.
Quelles sont les véritables raisons ayant poussé Djigui à la migration ?
Le comportement de Djigui envers son père est le symbole de la situation
des jeunes Africains de façon générale. En effet, la jeunesse africaine est en proie
aux maux sociaux tels que le banditisme, l’alcoolisme, le vol, le chômage, parce
qu’il n’existe pas une bonne politique de développement en sa faveur.
Abandonnée à elle-même, elle ne sait pas à quel saint se vouer. Comme le dit si
bien abbé Luc Hema (in Les jeunes en Afrique : la politique et la ville, 1992, p.372),
les jeunes sont souvent désabusés dans la famille, perdus à l’école ou au village, révoltés
dans les milieux urbains et professionnels.
L’on assiste de nos jours à une fuite de responsabilité de la part de certains
parents. Quelle éducation a-t-elle été donnée à Djigui pour qu’il arrive à
offenser ses parents ? Ces derniers ont-ils réellement joué leur rôle dans le
devenir de cet enfant ? Comment en est-il arrivé à s’adonner à l’alcool de sorte à
commettre l’irréparable ? Ce sont là autant d’inquiétudes dont la responsabilité
pourrait incomber aux parents ?
Sur le plan culturel, certains pesanteurs jouent négativement sur les
rapports sociaux, et contribuent à éloigner les jeunes de leur biotope. En nous
référant au cas de Djigui, du moment qu’il avait porté atteinte à la dignité de
son père, obligation lui était faite dès lors de quitter sa famille, même s’il avait
la possibilité de revenir s’excuser auprès des siens plus tard. Tout en
reconnaissant son erreur, il trouve sévère cette sanction. Pour lui, il était jeune à
l’époque et cette immaturité a été sans doute à l’origine de toutes les fautes qu’il
aurait commises. Alors, un bon encadrement lui aurait sans doute permis
d’emprunter le bon chemin et d’éviter toutes ces souffrances inutiles.
Sur le plan scolaire, la politique éducative de la plupart des pays, surtout
ceux de l’Afrique de l’ouest est essentiellement orientée vers les connaissances
théoriques. Dans un pays où l’enseignement général est développé et où les
jeunes sont incapables de s’auto-employer, il va de soi que le taux de chômage
soit élevé. Or, l’État ne peut embaucher tous les diplômés qui sortent des
structures éducatives. Alors, sans repères et sans aucune débouchée, ceux-ci se
tournent vers l’ailleurs, espérant y trouver des lendemains meilleurs.
Même les fonctionnaires n’arrivent pas à vivre décemment des salaires qui
leur sont servis. Sinon, comment comprendre le fait que Djigui n’arrive pas à
joindre les deux bouts, lui, un ancien combattant de l’armée ? Comment a-t-il
pu se retrouver en Europe après avoir rendu service à la Nation ? Comment se
fait-il qu’il mène une vie misérable malgré la pension qui lui est servie ? Ne
pouvait-il pas être utile à l’État à la fin de son service militaire ? Voilà autant de
raisons qui peuvent servir à comprendre le phénomène de la migration, surtout
en ce qui concerne les pays pauvres. Elles permettent de situer la responsabilité
des uns et des autres, face à un phénomène à multiples conséquences. Mais
quelles solutions pouvons-nous proposer ?
7. Que faire ?
Outre les problèmes ci-dessus évoqués, il en existe bien d’autres fléaux qui
sont en défaveur des migrants africains: noyades dans les côtes occidentales,
problèmes de sans-papiers, retour forcé des exilés. Face à ces multiples
problèmes, des solutions doivent être impérativement trouvées. Pour éviter que
les populations des pays pauvres ne soient amenées à choisir entre partir ou
périr, il faut travailler à relever leur niveau de vie. Il faut faire des villes et des
campagnes des pôles attractifs et des lieux d’espoir pour la jeunesse. Cela
suppose que les peuples africains doivent travailler à atteindre un véritable
développement. Et pour Joseph KI-ZERBO (2013, p.189), l’atteinte d’un vrai
développement passe obligatoirement par trois conditions. Dans un premier
temps, il préconise que les Africains aient une culture de l’intégration, y
Akofenaçn°001 739
Bolibana, la cité de la diaspora ou les exclus de la société ?
pays. Dans ce sens, nous saluons l’esprit qui sous-tend la création d’une cité de
la diaspora au Burkina Faso, d’autant plus que ces aménagements, selon le
Ministre de l’urbanisme et de l’habitat, vont témoigner d’un équilibre entre
développement et qualité de vie. Toutefois, il faut éviter toute action visant à
isoler davantage les migrants de leur société. Alors, nous pensons qu’il aurait
été préférable d’assister les candidats au retour pour l’acquisition de terrains et
la construction de leurs logements dans les localités de leur choix. Cela éviterait
sans doute de les isoler davantage, et permettra un brassage entre ces derniers
et leurs communautés d’origines. Est donc fort appréciable, l’exemple des
Burkinabè de l’étranger qui décident de construire une citée de la diaspora dans
la région du centre-est, en la faveur des festivités de la fête nationale 2019. Une
telle initiative, tout en permettant une meilleure intégration de ces derniers,
peut être un remède efficace contre les attaques subies par les richesses
culturelles et sociales de l’individu en situation migratoire : langue, croyance,
rituels, normes, valeurs, etc.
Conclusion
Aussi longtemps qu’existera le monde, les hommes continueront de
migrer pour diverses raisons. Mais bien que parfois inévitable, l’émigration
constitue de nos jours un problème social auquel il semble impératif de trouver
des solutions efficaces. Au-delà des difficultés d’acceptation et d’intégration
dans les pays d’accueil, les émigrés, quelles que soient les raisons qui justifient
leur choix, subissent une rupture communautaire, avec des conséquences tout
aussi dramatiques sur leur existence. Alors, à chaque Nation de faire des
questions migratoires sa priorité et de travailler à ce qu’elles ne constituent pas
une gangrène pour sa société. Car, bien exploités, les migrants peuvent
constituer de véritables leviers de développement, aussi bien pour les pays
d’accueil que ceux d’origine. C’est dans cette vision qu’il faut comprendre
l’œuvre de Paul DELMOND qui, tout en faisant une peinture réaliste, suggère
des mécanismes à mettre en œuvre pour une gestion efficace de ce phénomène.
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DIOME F., 2003, Le vent de l’atlantique, Roman, Edition Anne-Carrière.
KI-ZERBO J., 2008, Regards sur la société africaine, Panafrica, Fann, silex/
Nouvelles du sud, Dakar.
Akofenaçn°001 741
Bolibana, la cité de la diaspora ou les exclus de la société ?
Résumé : L’isotopie, telle que définie par Rastier, est prise comme l’effet de
récurrence d’un même sème. Cette conception sera adoptée pour les besoins de
l’analyse d’un texte chanté de Pierre Akendengué « Marié avec ». L’étude
implique les isotopies sémantiques ou sémiotiques desquelles découlera un sens
construit sur la base d’une sémiotique interprétative. De ce fait, l’analyse les
concernant fera ressortir les différents parcours interprétatifs qui les structurent.
Il s’agira d’abord de présenter quelques remarques théoriques sur le concept
d’isotopie du point de vue de la sémantique interprétative. Ensuite, on
distinguera les types d’isotopies présents dans « Marié avec ». Pour finir, on
localisera les réseaux isotopiques. En réalité, c’est une description de quelques
opérations interprétatives de base qui régulent l’affectation des significations
aux mots en contexte par rapport à une stratégie d’interprétation de texte
orientée sur l’isotopie.
Introduction
Les anciens encyclopédistes et les synonymistes du XVIIIe siècle ont fait une
distinction quant au caractère différentiel de la signification lexicale. Au niveau du
texte, sont plutôt formulées des théories de l’interprétation unifiant tous les paliers
de la description linguistique. Cet héritage a été pris en compte par la sémantique
2Dans le cas du versant structural de la sémantique interprétative, il faudra évoquer les noms de Pottier, Greimas
et Caseriu.
3 L’isotopie microgénérique (récurrence d’un sème microgénérique dans les sémèmes du même taxème ; par
exemple, /humain/ dans ‘‘homme’’, ‘‘femme’’, ‘‘garçon’’, ‘‘fille’’, etc. ou /fruit/ dans ‘‘pomme’’, ‘‘orange’’,
‘‘framboise’’,‘‘myrtille’’…), isotopie mésogénérique (récurrence d’un sème mésogénérique dans les sémèmes du
même domaine ; par exemple, /maritime/ dans ‘‘bateau’’, ‘‘naviguer’’, ‘‘vigie’’, ‘‘ancre’’, ‘‘matelot’’, etc.),
isotopie macrogénérique (récurrence d’un sème macrogénérique dans les sémèmes de la même dimension
sémantique ; par exemple, /animé/ dans ‘‘femme’’, ‘‘mouche’’, ‘‘oiseau’’, ‘‘rat’’, etc. ou /non animé/ dans
‘‘pierre’’, ‘‘table’’, ‘‘montagne’’, ‘‘verre’’, etc.).
Ce sont des signifiés appartenant au domaine de la galaxie. Ils ont pour particularité
de produire de la lumière, de l’éclat.
- Isotopie spécifique /eau/ est mise en évidence par les sémèmes « mer »,
« fleuve », « pluie », « pleut ».
Ces signifiés s’inscrivent dans le domaine de la « terre », car ils n’existent nulle
part que sur la planète terre. L’anaphorisation et la métonymie sont les principaux
moyens par lesquels se constitue la redondance du trait //terre//. Selon Rastier
(1994, p.187), l’anaphore peut « désigner toutes sortes de renvois sémantiques par des
mots ou syntagmes à des mots ou syntagmes précédents ou successifs dans le même
texte ». Par exemple, « chacun voyage jusque dans la terre » correspond
sémantiquement à « tout homme est l’égal de son frère jusque dans la tombe ». La
métonymie se manifeste, quant à elle, dans des cas comme « dès qu’on est sur cette
terre ». L’élément terre étant mis pour représenter le tout, la vie.
La combinaison de ces éléments fait aussi naître un autre phénomène isotopique
qu’on pourrait nommer ‘‘mutation isotopique’’. Cette mutation se décrit dans la
transformation d’une isotopie vers une autre. Ce mécanisme est rendu possible
grâce aux relations tropiques relevées plus haut. Il s’agit de : la mutation de
l’isotopie de la /terre/ vers l’isotopie de l’/homme/ ; et de la mutation de l’isotopie
du cosmos vers l’isotopie de l’/homme/ mise en évidence au moyen des
métaphores :
« folies de la terre »,
« la montagne qui tourne le dos »
« étoile du ciel pose pied… ».
(/homme/ ou /vie/ sont de ces sèmes. La « terre » est normalement une réalité
inerte, insensible et inexpressive. C’est un élément de l’univers s’opposant à d’autres
corps célestes, d’autres mondes ou d’autres éléments. Elle est la troisième planète
du système solaire au-delà de Mercure et Venus. Toutefois, en plus d’évoquer ce
sème inhérent, le sémème terre actualise, dans ce passage, les afférents /homme/ et
/vie/. La terre est prise pour l’homme même ; elle devient un être vivant et, avec
elle, tout ce qu’elle comporte. Elle représente le monde matériel, imparfait. On peut
lire d’autres afférences également du sémème terre dans les exemples ci-après:
« On danse mieux sur notre terre » : afférent /origine/
« Chacun voyage jusque dans la terre » : afférent /tombe/
« Ici commence ou fini le royaume des vies étranges sur cette terre » : afférent
/monde/
« De telles amitiés n’iront guère, guère plus loin que la tombe guère au-delà de cette
terre » : afférent /vie/
« Marié la terre avec le soleil » : afférent /divinité/.
On perçoit, dans cette dernière phrase, une union parfaite entre deux planètes
(terre et soleil). La lecture symbolique dégage le cas de l’isotopie /divinité/ établie
dans ce vers. Ainsi, évidemment attaché à l’idée de lumière, le soleil est lié au concept
du Dieu céleste5 qui détruit les ténèbres. Il est représenté comme le conditionneur
de la vie sur terre ; la terre considérée comme l’origine de toute fécondité, l’élément
primordial conçu comme la mère universelle. Elle est incarnée par une déesse mère.
Pour décrire une autre propriété importante de la lecture isotopique, il faut rappeler
que les significations des sémèmes-occurrences peuvent être actualisées par
assimilation du trait isotopant. Cette propriété renvoie au principe de présomption
d’isotopie.
En général, on considère l’isotopie comme une forme remarquable de
combinatoire sémique, un effet de la combinaison des sèmes. Ici au contraire, où
l’on procède paradoxalement à partir du texte pour aller vers ces éléments,
l’isotopie apparaît comme un principe fondamental. Ce n’est pas seulement la
récurrence de sèmes déjà donnés qui constitue l’isotopie, mais à l’inverse la
présomption d’isotopie qui permet d’actualiser des sèmes, voire les sèmes. Cela
apparaît dans le processus d’identification des sémèmes : on distingue deux
sémèmes différents dans casser un verre1 et dans boire un verre2 parce que le trait
/rigidité/ dans ‘casser’ sélectionne le trait /rigidité/ dans ‘verre’1, et le trait
/liquidité/ dans ‘boire’ sélectionne /liquidité/ dans ‘verre’2.
Rastier (1997, p.82)
La lecture active de certains fragments montrera comment cette action est menée
dans le texte.
5 Dans l’ancien Testament, l’avent proche de Jésus fut prophétisé comme un renouvellement de Lumière et Soleil.
Le symbolisme de la Lumière est donc toujours associé à Christ. La Lumière, ce Feu qui brûle le mal et dissipe
les ténèbres, purifie ; le soleil qui donne de nouvelles énergies : fertilité et fécondité. Tout cela est concentré dans
l’optique chrétienne dans la figure de Jésus Sauveur, https://www.holyart.fr/blog/.
- « Même l’étoile du ciel pose pieds sur la vague » : sème isotopant /rayon/
assimilé par le sémème ‘‘pieds’’ dans le contexte ‘‘étoile du ciel’’ (soleil).
- « Tout homme est l’égal de son frère jusque dans la tombe sans votre guerre
sur cette terre » : sème isotopant /mort/ assimilé par le sémème ‘‘tombe’’
dans le contexte ‘‘terre’’.
- « Marier les chefs avec les sous-chefs, et s’il y a sous-chefs c’est qu’il y des
dessous » : sème isotopant /corruption/ assimilé par le sémème ‘‘dessous’’
dans le contexte ‘‘chefs’’, ‘‘sous-chef’’.
- « Marier les chefs devant les cadres du pays, Cadres supérieurs en bois de
chauffage » : sème isotopant /incompétence/ assimilé par le sémème ‘‘bois
de chauffage’’ dans le contexte ‘‘cadres supérieurs’’.
Il arrive dans certains cas que l’isotopie présumée soit extrinsèque au texte. C’est le
cas de l’isotopie de l’/incompétence/ établie dans le vers « marier les chefs devant les
cadres du pays, cadres supérieurs en bois de chauffage » par une lecture ironique, et
l’isotopie de /divinité/ du vers « marier la terre avec le soleil » par une lecture
symbolique. Il se pose donc une distinction entre isotopie intrinsèque de l’isotopie
extrinsèque6. Á cet effet, Rastier souligne que :
6L’isotopie intrinsèque est constituée à la base d’une interprétation intrinsèque (et dans un interprétant
intrinsèque) mettant en évidence des sèmes (inhérents ou afférents) actualisés dans un texte ou une séquence
linguistique. L’isotopie extrinsèque est construite à la base d’une interprétation extrinsèque (dans un
interprétant extrinsèque) produisant des sèmes non actualisés dans le texte ou une séquence linguistique.
Conclusion
Le concept d’isotopie fait l’objet de maintes recherches et s’étend à tous les
domaines des sciences de la signification. L’itération d’un même thème dans
différentes unités donne lieu à différentes structures d’isotopies et de stratégies
interprétatives dans la chanson de Pierre Akendengué. C’est un texte poly-isotope
dans lequel nous avons pu distinguer des isotopies génériques et spécifiques. Le
concept a servi à décrire les mécanismes d’assignation des significations aux mots
dans l’interprétation intratextuelle (isotopie intrinsèque) et dans l’interprétation
extratextuelle (isotopie extrinsèque). Il a permis également de mettre en évidence la
nature de ce texte qui s’avère plurivoque parce qu’il comporte plusieurs isotopies
génériques, donc un grand nombre d’isotopies homogénériques et un grand nombre
de sémèmes indexés sur elles. Le texte qui n’en comporte qu’une seule est univoque.
De ce fait, ce texte, poly-isotopique, a permis d’affecter, par réécriture ou par
association, une seule et même unité lexicale à différentes isotopies génériques.
Ainsi, le concept d’isotopie permet non seulement de donner une description
cohérente à des relations sémantiques établies dans la chanson interprétée sous son
angle, mais de décrire le processus d’interprétation rendant compte de règles
d’assignation de la signification à un texte.
Références bibliographiques
AKENDENGUE Pierre. 1984. « Marié avec » in Réveil de l’Afrique.
GREIMAS Julien et COURTÉS Joseph. 1979. Sémiotique: dictionnaire raisonné de la
théorie du langage, tome 1, Paris, Hachette.
RASTIER François. 1985. L’isotopie sémantique, du mot au texte, Paris
RASTIER François. 1987, Sémantique interprétative, Paris, PUF
RASTIER François. 1994, Sémantique pour l’analyse. De la linguistique à l’information,
coll “Sciences cognitive”, Paris, Masson
RASTIER François. 2001. Arts et sciences du texte, Paris, PUF
RASTIER François. 1997. « Herméneutique matérielle et sémantique des textes », in
F. Rastier, Salanskis J-M, Scheps R (Eds), Herméneutique : textes, sciences, Paris,
PUF.
Dictionnaire Littré-Dictionnaire de la langue française [en ligne]
https://www.littre.org/Interview [en ligne]https://www.lusafrica.comLes
symboles chrétiens et leur signification [en ligne] https://holyart.fr/blog/
Mbaye DIOP
Université Gaston Berger – Sénégal
mbayediopoete@gmail.com
Résumé : De son vrai nom Mariétou Mbaye, Ken Bugul est l’une des
premières romancières à représenter, dans Le Baobab fou publié en 1982, une
Africaine qui vit en Europe des aventures telles que l’avortement, la
drogue, la prostitution et le suicide. Par contre, Calixthe Beyala fait partie
des écrivains expatriés pour qui l’exil représente un véritable salut. Pour la
romancière franco-camerounaise, la liberté de la femme se trouve dans
l’immigration parce qu’elle considère l’homme africain comme un agent
aliénateur dans ses œuvres. Ainsi, les deux écrivaines présentent le rapport
dialectique qui existe entre les pays du Sud surexploités et appauvris et le
Nord industrialisé. Par extension, elles montrent la tendance des Noires
émancipées ressortissantes des pays francophones à voir en l’ancienne
métropole, la solution à la crise, le sous-développement et les pesanteurs
sociales. Mais, une fois en Europe, il y a le rejet de l’autre et la quête d’une
identité noire à reconquérir. C'est dire que la littérature africaine confère
une importance à l’exil de la femme africaine avec ses conséquences
heureuses et malheureuses que nous nous proposons d'étudier à travers cet
article qui problématise l’interaction bonheur et identité dans une
perspective problématique.
Mots-clés : bonheur, amour, migritude, exil, émancipation.
Abstract: With her real name Mariétou Mbaye, Ken Bugul is one of the first
novelists to represent, in The abandoned Baobab published in 1982, an African
woman who lives in Europe adventures such as abortion, drugs,
prostitution and suicide. On the other hand, Calixthe Beyala is one of the
expatriate writers for whom exile represents a true salvation. For the
French-Cameroonian novelist, women's freedom is found in immigration
because she considers the African man as an alienating agent in her works.
Thus, the two writers present the dialectical relationship that exists
between the overexploited and impoverished countries of the South and
the industrialized North and, by extension, the tendency of emancipated
black women from French-speaking countries to see the former metropolis
as the solution to the crisis, underdevelopment and social burdens. But,
once in Europe, there is the rejection of the other and the quest for a black
identity to be regained. That is to say that African literature gives
importance to the exile of African women with its happy and unhappy
consequences that we propose to study through this article which
problematizes the interaction between happiness and identity in a
perspective of failure.
Keywords: happiness, love, migritude, exile, emancipation.
Introduction
Dans les fictions, seuls les personnages féminins inscrivent leur quête
d'émancipation et de bonheur dans une perspective de métissage culturel. Avec
une bonne touche de mémoire identitaire et de dialogue avec l'homme, ils
atteignent leur objectif et deviennent, dès lors, les agents d'un changement
possible pour l'Afrique. Chez Calixthe Beyala, l'interaction bonheur et identité
ne peut être réalisée que par la conjugaison de l'intériorité et de l'extériorité, par
la synthèse des valeurs africaines et occidentales, c'est-à-dire la modernité. Cela
signifie que cette modernité devient la mémoire identitaire de l'universalité. La
force subversive des personnages féminins de Calixthe Beyala se dresse en
prétexte pour « penser autrement l'Afrique », en revendiquer la réinvention.
Ken Bugul, quant à elle, replace l’interaction bonheur et identité dans une
perspective d'échec. En effet, elle milite pour une émancipation féminine
thérapeutique, voire cathartique ; avant tout, la femme doit d'abord se sentir en
harmonie avec elle-même, et ce quel que soit son régime matrimonial. L’écriture
du Baobab fou est une écriture thérapeutique. Il y a, dans ce livre, une volonté de
revenir sur soi. Ce discours de la romancière rappelle l'élan autobiographique
où le personnage féminin narrateur porte le même nom que l'auteure, Ken
Bugul. Puisant aux sources d'une expérience authentique, ce livre mène une
réflexion paradoxale et courageuse sur les traditions africaines, la polygamie, la
monogamie, l'aliénation, la séduction, la vie et la mort. Ainsi, les romans de la
migritude1 de Ken Bugul se lisent comme le prolongement de la même histoire.
Ken Bugul invite l'Homme à réfléchir sur les notions de féminisme et de
bonheur au sein d'une relation amoureuse. Féminisme et polygamie seraient-ils
incompatibles ? La polygamie ne pourrait-elle pas être un pan de la modernité,
si tant est qu'elle permet à la femme de vivre une relation amoureuse en accord
avec ses repères culturels et spirituels ? Deux itinéraires de quête du bonheur
amoureux se dessinent : Afrique-France-Afrique pour les personnages féminins
de Calixthe Beyala ; Afrique-Europe-Afrique pour ceux de Ken Bugul.
Cependant, dans les deux cas, ce bonheur n'est réalisable que dans une logique
de retour temporaire ou définitif et d'ancrage au pays natal. Le bonheur
amoureux, dans le contexte de la migritude, nécessite de rester fidèle à son
identité. Calixthe Beyala et Ken Bugul proposent deux démarches qui, si elles se
recoupent en certains points, sont révélatrices de l'établissement géographique
propre à chaque auteure. Le lieu géographique participe bien, par un jeu
d'influence, à la construction de l'identité et du mode de pensée de tout
individu. Dans les œuvres de l’immigration actuelles, l’interaction amour-
identité détermine le destin de nombreux personnages féminins qui
entreprennent le voyage Afrique-Europe et/ou Europe-Afrique. Chez les
écrivaines, la littérature de la migritude est véritablement née dans les années
1 Jacques Chevrier a écrit un article qui aborde cette question définie sous le terme «Migritude», en
opposition á la Négritude. Selon Chevrier ce «néologisme renvoie á la fois á la thématique de
l’immigration, qui se trouve au cœur des récits africains contemporains, mais aussi au statut d'expatriés de
la plupart de leurs producteurs qui ont délaissé Dakar et Douala au profit de Paris, Caen. Loin d'être
source d'ambigüités, ce statut semble avoir désinhibé les écrivains par rapport aux questions
d'appartenance...», in «Afrique(s)-sur-Seine : autour de la notion de «migritude». Notre Librairie, n° 155-156,
juillet-décembre 2004.
1990, après Le baobab fou de Ken Bugul paru en 1982. Nous analyserons les
œuvres de Calixthe Beyala — écrivaine vivant en France —, notamment Maman
a un amant, Assèze l'Africaine ; et à celle de Ken Bugul, Le baobab fou qui
proposent une dimension particulière et nouvelle du rapport que la femme
africaine intellectuelle et « évoluée » entretient avec l'Afrique. Il s'agira de
montrer d’abord que, dans le roman féminin d'Afrique noire francophone, l’exil
est le lieu d’échappatoire de la femme africaine. Ensuite, nous démontrerons
que seuls ces personnages ayant migré inscrivent leur quête de bonheur dans le
cadre de la mémoire identitaire et parviennent à atteindre leur objectif.
situation similaire avec son personnage Aïssatou. Présentée comme l’alter ego
de Ramatoulaye, elle refuse les consensus sociaux et lois édictées par la famille
de son mari Mawda. Ses études d’interprétariat en France, qui lui ont permis de
s’exiler aux Etats-Unis dans un milieu diplomatique, lui confèrent la possibilité
d’assumer son statut de femme divorcée. Quant à Calixthe Beyala, elle fait
partie des écrivains expatriés pour qui l’exil, loin d’être synonyme de
bannissement, de séjour obligé et pénible, représente au contraire un véritable
salut, d’où une conception positive de l’ailleurs perçu avant tout comme la
solution aux difficultés rencontrées par les Africaines. Elle soutient dans un
entretien qu’elle accorde à Emmanuel Matateyou : « L’exil résout beaucoup de
choses […]. L’exil me donne la liberté qui m’est refusée, l’exil me donne la
parole qui m’est refusée, l’exil est ma survie. Je ne dirai pas vie, mais survie »
(Emmanuel Matateyou, 1996. p.613). L’Afrique post-coloniale, telle qu’elle
apparaît sous la plume de Beyala, est un enfer pour la femme. C’est, en effet, un
cadre qui s’illustre par une précarité. Ainsi, le salut se trouve de l’autre côté,
dans l’hexagone. Dans Assèze l’Africaine de Calixthe Beyala, l’héroïne est victime
du test de l’œuf, épreuve consistant à introduire un œuf dans le vagin d’une
fille pour vérifier sa virginité : « Grand-mère s’acharnait à faire de moi une
épouse. Tous les mois, je subissais l’épreuve de l’œuf » (Calixthe Beyala, 1994.
p.20). De même, dans C’est le soleil qui m’a brûlée, Ateba est également soumise
au test de l’œuf sous l’œil vigilant de sa tante Ada ; l’objectif étant de s’assurer
du « bon état » du corps féminin avant le mariage, devenu une vente aux
enchères. C’est ce qui ressort des propos de Mégri lorsqu’elle relate sa
cérémonie de dot :
Les pourparlers commencèrent. On énuméra les vaches, les moutons, les poules
qu’il fallait apporter en échange de ma personne. Je me faisais l’impression d’une
esclave sur le marché public. Mon corps était mis aux enchères… Mais regardez ses
dents, elle a toutes ses dents. Mille francs ! J’ai entendu deux mille, qui dit mieux.
Allez, messieurs ! Mais regardez-moi ce corps. Fait pour enfanter. Ces seins. Trois
mille francs. D’ailleurs que vois-je ? Elle est enceinte. Une parfaite reproductrice
avec preuve à l’appui […] Le pire fut quand, à la fin, mon futur beau-père, après
m’avoir longuement dévisagée, me prit dans ses bras et me donna un baiser
sonore sur les joues pour me souhaiter la bienvenue dans la famille. Un
baiser reçu comme un sceau marquant l’appartenance.
Calixthe Beyala (1990, p.41)
Je suis venue en Occident, attirée par vos théories, vos combats, vos
victoires. Grâce aux revendications des femmes Occidentales leurs
consœurs des pays africains ont vu l’espoir de se libérer des pratiques
ancestrales rétrogrades poindre à l’horizon.
Calixthe Beyala (1995, p.10)
Mais, bien plus, son œuvre est une invitation à la solidarité entre les femmes
quelles que soient leur origine, leur couleur, leur classe. Toujours, dans les
œuvres de notre article, les raisons qui poussent les héroïnes à s’exiler
demeurent à peu près semblables. Si elles empruntent le chemin de l’exil, ce
n’est pour acquérir une connaissance livresque et retourner au bercail mais bien
pour y reconstruire leur vie, bâtir d’autres projets, en un mot pour se réaliser.
Lieu de supplice pour l’homme qui a désormais tout perdu de ce qui constituait
son prestige (sa tradition, sa religion, sa place au sein de la famille), l’exil est
plutôt, pour la femme, une occasion d’ouverture et de prise de conscience.
Désormais, libérée des préjugés et de la domination de l’homme, la femme peut
sereinement envisager sa propre liberté : sexuelle mais aussi politique et sociale.
L’exil sauve, donc, les personnages féminins, ce qui aboutit à la dégénérescence
masculine.
En dépit des plaintes de son mari, Mammaryam dite M’am, la première épouse
et mère adoptive de Loukoum décide d’aller encore plus loin en mettant en
exécution le projet qu’elle nourrissait depuis belle lurette : « Partir, acheter [la]
liberté »(Calixthe Beyala, 1999. p.61). Elle commence, pour ainsi dire, par
transformer sa façon de s’habiller en optant pour les petites culottes courtes et
des robes à fleurs. Ensuite, elle trouve l’occasion de changer sa vie de femme
pauvre et dominée en créant une petite « entreprise » de fabrique de bijoux
exotiques avec le concours de Lokoum. Grâce aux bénéfices réalisés, elle peut se
payer le luxe d’envoyer toute sa famille en vacances à Cannes. Cela constitue en
soi un événement car, comme le dit Loukoum, « ce n’est pas tous les jours que
des Nègres de Belleville se tirent à Cannes» » (Calixthe Beyala, 1999, p.15). Lors
de ce séjour, M’am se prend un amant pour trouver et éprouver l’amour. Le
narrateur, le jeune Loukoum, témoin privilégié, rapporte le désespoir de son
père face au comportement de sa femme. Cette relation, qui sera, en fin de
compte, une école d’amour, permet à M’am d’apprendre l’érotisme et de
découvrir « le relais de tendresse qu’Abdou [lui] refusait » (Calixthe Beyala,
1999. p.232). Avec les encouragements de son amant blanc, M’am apprend à lire
et à écrire et ce malgré le sentiment de désapprobation des Nègres de Belleville
très attachés à la culture africaine. Cette décision l’aide à se débarrasser de son
manteau de « femme née à genoux aux pieds de l’homme» » (Calixthe Beyala,
1999. p.34). Si, plus tard, elle revient à la maison, le rapport de force s’est
équilibré, voire inversé en sa faveur. Comme on peut le remarquer, l’exil scelle
la déchéance de la gent masculine. L’homme, tel qu’il apparaît dans les deux
romans de Calixthe Beyala, est un être faible et vulnérable, totalement
désemparé et incapable de s’adapter aux exigences de la vie en Occident et à
l’évolution irréversible du monde. L’image de l’homme fort, dominateur et
maître de la femme qui prévalait dans l’espace africain a disparu pour laisser
place à celle d’un homme désabusé, totalement impuissant. Affaibli, l’homme
adopte désormais la posture de la victime. Les hommes deviennent passifs et
inactifs ; les femmes dynamiques et actives. Pourtant, il faut souligner que la
négation totale du sexe masculin chez Beyala est à la fois rare et extrémiste, bien
que le séparatisme soit inévitable pour que l'Afrique progresse. La vision
séparatiste de Calixthe Beyala n'est usuellement pas partagée car en Afrique
noire le séparatisme comme le féminisme est rejeté comme un prolongement de
l'individualisme, antithèse de l'esprit communautaire de la tradition africaine.
supériorité » (Ken Bugul, 1996, p.74). Aussi, elle avoue, consciente : « De plus en
plus je me rendais compte que je jouais un jeu avec le Blanc. Léonora m’en fit la
remarque une fois : “Arrête de jouer, sois toi-même.” Mais qui étais-je ? » (Ken
Bugul, 1996, p.67). En fin de compte, tout au long du livre, en contrepoint, il
ressort que l’Occident, gris et froid, décadent, trépidant, souffre davantage de
« mal être » que l’Afrique traditionnelle, laquelle évolue avec lenteur dans
l’immanence du soleil et des baobabs. Seuls ceux qui cherchent leur reflet dans
le miroir occidental « brisent l’harmonie », au risque de devenir « fous ».
Nombreux sont les Africains qui s’adonnent à ces pratiques dès leur arrivée.
Cela est surtout lié au fait qu’ils se trouvent très vite confrontés au manque
d’emploi, tant occulté mais qui, de plus en plus, sévit dans les pays
occidentaux. Son séjour européen inscrit sa vie dans une logique de
bouleversement, de perte de repères jusqu'au moment où l'échec se matérialise
par un retour précipité en Afrique afin de « renaître ». C'est également un
retour précipité en Afrique qu'effectue Marie Mbaye, alias Marie Ndiaga,
l'héroïne de Cendres et braises. Cette femme tombe amoureuse de Y., un Français,
et accepte de le suivre à Paris. Elle découvre alors que Y. est marié et aime son
épouse. Elle va donc vivre seule, dans un quartier cossu du sixième
arrondissement de Paris, « cinq années de drames, de tourmentes [...], où le
bout du tunnel n'était pas toujours visible » (Ken Bugul, 1996. p.105). Tout en
endurant l'alcoolisme de son amant blanc et sa violence, elle éprouve
perpétuellement un sentiment de culpabilité pour usurpation d'époux, la
législation française ne permettant pas à l’homme d'afficher sa polygamie.
Instruite, comme toutes les héroïnes de l'auteure d'ailleurs, Marie Mbaye
perçoit l'union maritale ou conjugale avec le Blanc comme le ferment de son
total accomplissement et s'inscrit, dès lors, dans un refus absolu de la condition
traditionnelle de la femme africaine, d'autant plus que « Y. était un homme
élégant, très distingué » (Ken Bugul, 1996. p.105) et intelligent. Cendres et braises
peut, alors, se lire comme l'expression d'un dépit né de ses espoirs déçus.
Calixthe Beyala et Ken Bugul axent leur analyse sur les dures conditions de vie
des immigrés qui évoluent dans un espace carcéral avec toutes les
conséquences. Cela participe à mettre en exergue les aspects les plus négatifs du
voyage qui sont la privation, le manque de liberté, le dénuement, l’humiliation.
Mon papa reprend du poil de la bête et M'am frissonne devant lui comme une
Scarlett, et tout est limpide autour d'eux comme une illusion. Ils sont heureux, ces
Nègres de Belleville, avec cet amour qui les ensanglante comme un coucher de
soleil.
Calixthe Beyala (1999, p.298)
Assèze, le second personnage qui exprime son bonheur (Calixthe Beyala, 1994,
p. 348) — ce cas est unique dans les fictions de Beyala —, hisse, tout au long de
son itinéraire, l'Afrique au rang d'espace de référence et de repère. Son
itinéraire est cyclique. Assèze quitte son village natal pour Paris, en passant par
Douala, avec, à la fin du roman, un voyage Paris-village natal-Paris. C'est là un
véritable parcours initiatique de la femme africaine, synthèse de l'humanité,
c'est-à-dire celle qui est façonnée par les valeurs vitales de l'Afrique et de
l'étranger, dans un procès d'interpénétration des cultures, de quête de soi et de
l'autre. Le récit d'Assèze a toutes les composantes d'un récit de voyage
ulyssien : départ, épreuves, victoire, retour chez soi ainsi que la dialectique
narrative du dehors et du dedans. L'héroïne, après avoir conquis la Toison d'or
(l'époux et le bonheur), regagne son village, pleine d'usage et de raison, pour se
laver de la souillure des épreuves endurées en Europe. Le pays natal apparaît
ici comme un espace privilégié d'assomption, de transcendance et
d'accomplissement de soi. Ce retour avec l'époux français pour y célébrer leur
mariage se comprend aussi comme une plongée effectuée dans les profondeurs
de la mémoire, celle qui consolide l'union du couple, bien qu'il soit mixte et la
possibilité pour l'homme blanc de connaître l'Afrique. Ce retour permet
également une mise à jour des conditions des relations entre époux et de leur
rapport au monde. Parallèlement, les récits de Ken Bugul, quant à eux,
fonctionnent différemment : les personnages ne retournent pas au pays natal
avec la Toison d'or ; celle-ci les y attend. Les personnages féminins de l'auteure
entreprennent donc des voyages pour rien. Le cercle ici n'est plus symbole de
plénitude, mais plutôt parcours initiatique qui aide à réaliser la valeur de
l'enracinement culturel. Dans Le baobab fou, Ken Bugul entreprend un retour au
village natal pour prendre du recul. Le silence qui l'envahit lorsqu'elle se trouve
devant le baobab signifie sa réconciliation avec la réalité traditionnelle africaine
et sa réintégration dans celle-ci. Plus prégnant encore est le destin de la
narratrice-personnage de Cendres et braises et Riwan ou le chemin de sable,
intellectuelle « évoluée » dont la vie est meurtrie par les tumultes d'une longue
quête, non d'identité mais d'identification à l'Europe et aux cités africaines. Le
retour au village lui sert de tremplin pour recouvrer l'harmonie identitaire.
L'héroïne de Ken Bugul choisit de devenir la vingt-huitième épouse d'un
marabout. Elle révèle : « Je fonctionnais dans mon milieu familier, avec des
Conclusion
En définitive, quelles que soient les conditions dans lesquelles l’Africaine
arrive en Europe, le salut dans l’exil demeure problématique comme nous
l’avions émis dans notre hypothèse de départ. Il est une constante épreuve pour
les étrangers qui doivent affronter la xénophobie, la discrimination, le racisme,
le défaut d’intégration et les stigmatisations qui les présentent comme
d’éternels envahisseurs, des usurpateurs d’emplois. Les romancières des
nouvelles écritures de l’immigration, telles Calixthe Beyala et Ken Bugul,
situent leurs œuvres dans le contexte d’une Europe aux frontières extérieures
régies par les accords de l’espace Schengen. Elles suggèrent que, pour parer à
tout cela et en même temps réhabiliter la situation de l’immigré à l’étranger,
comme beaucoup d’autres pays d’Afrique à forte tendance à l’émigration,
l’Europe se doit de revoir leur politique intérieure. Les pays du Sud doivent
éradiquer les disparités économiques, par l’intégration de la population jeune
dans la vie active. Pour ce faire, les Africains eux-mêmes doivent rompre avec
les clichés habituels qui présentent l’Afrique comme pauvre et l’Europe comme
« Terre promise ». Calixthe Beyala et Ken Bugul montrent que la route
conduisant les personnages féminins de l'Afrique à l'Europe traduit un
sentiment ambivalent fait d'amour et de rejet. Ce parcours provoque en eux un
sentiment de tragique du fait d'une rupture entre la réalité et le désir. Le
bonheur de ces personnages est alors tributaire de leur fidélité à la mémoire
identitaire, quel que soit le lieu de résidence : l'Europe ou l'Afrique. Quoi qu'il
en soit, chez les deux écrivaines, le bonheur des personnages n'est possible que
dans une logique de retour temporaire ou définitif et d'ancrage au pays natal.
La question qu’il faille se poser est de savoir : est-ce que l’Afrique n’est-elle pas
finalement une terre de rédemption pour se recréer ?
Références bibliographiques
Résumé : Cet article est une contribution à la compréhension des questions des
mariages interethniques et le droit d’accès au foncier en milieu rural dans le
village de Nandibo 2 dans le sud ivoirien. L’objectif de cette étude est d’analyser
les mécanismes d’accès au foncier dans les alliances matrimoniales (mariages
intra ethniques et interethniques), le mode d’accès au foncier des descendants et
les différentes interprétations de ces acteurs. Les données présentées dans cette
contribution s’appuient sur des enquêtes qualitatives réalisées dans le village de
Nandibo 2 auprès de 25 couples, mais également avec les acteurs ayant
contractés les mariages inter ethniques avec des descendants (les enfants ayant
de plus 18 ans) de cette union. Elle s’est servie de l’analyse de contenue pour
exposer les rapports qui structurent les mariages interethniques au foncier rural.
A cet effet, les résultats révèlent que même si les mariages interethniques
participent à la consolidation de la cohésion sociale, une reconnaissance des
descendants issus de cette alliance matrimoniale. Ils génèrent des tensions au
niveau de la circulation des biens d’héritage.
Introduction
De tout temps les hommes se sont déplacés, d’une localité à une autre,
d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. La migration est un fait social
inhérent à la condition humaine et la physionomie des déplacements de
population reflète un monde en perpétuel changement en Afrique et
particulièrement en Côte d’Ivoire (Djédjé, 2006). En Côte d’Ivoire, au cours du
XVIIè et du XVIIIè siècle, le Bas-Bandama (l’actuelle région des grands ponts) a
connu un flux des populations qui ont participé à l’organisation de cet espace
(Sékou, 1993). En effet, dans le cadre des échanges commerciaux et le
développement de l’économie de plantation (coton, anacarde, café et cacao)
plusieurs groupes ethniques ont migré dans la partie sud du pays à la conquête
de l’espace et de la ressource foncière. La quête de conditions climatiques et
végétales propices à l'activité agricole, la recherche de bien-être économique et
sociale, les guerres et la fuite des travaux forcés pendant la période coloniale sont
les différentes causes de la migration des groupes ethniques (Djédjé, 2006). Les
migrations ont ainsi conduit à la cohabitation de différents groupes ethniques
d’origines diverses sur le même terroir villageois. C’est le cas du village de
Nandibo 2. Ce village de la région des grands ponts, situé à 2 Km du fleuve
Bandaman, est un espace structuré par un environnement pluiri-ethnique où
se déroule un commerce qui attire les populations de différentes cultures. Ainsi,
dans cette région des grands ponts (Bas- Bandaman) aux anciennes populations
les Kotrowu et les Zeiri du littoral, les Asren, les Akpatifwe, les Akrowufwe, les
Krobou et les Mandu de l’hinterland forestier sont venus se joindre d'autres
populations (Avikam, Anyi-Alangwa, Baoulé-asabu (elomwen, swamlin warebo,
ngban) Abe, Abidyi, Anyi-aali, Anyi-amantyan (Sékou, 1993), par la suite il y a
eu des migrants venus du Nord de la Côte d’Ivoire (Malinké) et des pays voisins
(Soudan et Haute-Volta).
La proximité de ces différents groupes ethniques dans la région des
« grands-ponts » et particulièrement dans le village de Nandibo 2 favorise les
alliances matrimoniales, partant des mariages interethniques qui sont un
excellent révélateur du niveau d'intégration et d'homogénéisation socio-
culturelle des populations qui cohabitent depuis plusieurs siècles ou entre
autochtones et immigrés (Snjezana, 2000). Les mariages intra ethniques facilitent
la définition des conditions d’accès au foncier et l'appartenance ethnique des
descendants de ce type de mariage de façon générale et particulièrement à
Nandibo 2. Ils constituent, par ailleurs, une continuité dans le processus
d'assignation des appartenances ethniques (Bogui, 2006). Cependant, le mariage
interethnique suscite une restriction au niveau du droit foncier. Mais alors,
quelles sont les logiques sociales d’accès au foncier à partir d’un mariage intra
ethnique et interethnique dans le village de Nandibo 2 ? Comment les
descendants issus de ces mariages ont-ils accès au foncier ? Comment est-elle
interprétée par les enquêtés?
2. Résultats
2.1 Les moyens de production
« Les moyens de productions sont constituées par l’objet sur lequel on travaille
et par les moyens de travail au sens le plus large » (Harnecker, 1975, p. 21). Il
s’agit notamment des terres, des capitaux, des énergies humaines et animales,
des outils, des machines, des matières premières. Dans le cadre de notre étude,
nous nous intéressons à certains catégories des moyens comme les terres.
quelles ont été les dépenses effectuées t’ayant amené à déterrer le palmier.
Suite à la question Bouhoussou reste muet. Le vieux Assa (défunt chef de
terre) souligne que les enfants eux-mêmes ont fait leurs dépenses,
pourquoi vous êtes allé déterrer le palmier. C’était Kouassi qui était
l’héritier, ils se sont fâchés en disant qu’il ne veulent plus d’héritage. Le
vieux Assa a décédé cette année-là, maintenant ceux sont les enfants qui
héritent de leur défunt père.
les frères de notre défunt père qui voulait prendre tous ces biens
propres. »
G. L, 45 ans oncle maternel : Discours 7 « Quand moi je marie une femme, mon
père préfère les enfants de ma sœur que les miens , quel que soit l’homme
que ma sœur va épouser, ces enfants sont plus considérés que les enfants
que je vais faire, c’est une femme c’est le système matrilinéaire. Les parents
diront que ces leurs enfants ».
Cette situation est source de querelles et disputes entre les enfants issus
d’une alliance matrimoniale interethnique, c’est à dire les oncles maternels et
les enfants issus d’un mariage intra ethnique. Lorsque les enfants du frère de la
sœur égo revendent, les autres membres de la famille disent :
Dans cette situation, lorsque la parcelle de terre n’a pas encore été mise en
valeur, si celui-ci commence à empiéter sur la parcelle de terre en pratiquant les
cultures vivrières ou pérennes. Cet état de fait suscite des querelles au sein
de la cellule familiale. L’analyse montre qu’au niveau des alliances
matrimoniales inter-ethniques, l’existence d’une reconnaissance des
descendants issus de cette alliance qui leur permet d’être reconnus socialement
au sein de la cellule familiale, voire dans la communauté et une importance
accordée aux cousins croisés patrilatéraux; c’est-à-dire le fils du frère de la
mère d’ego, il est associé dans la circulation des biens dans le système
matrilinéaires.
3. Discussions
3.1 Le mode de production.
L’écrit de Karl Marx et Friedrich Engels met en lumière nos résultats
concernant le mode de production des populations de Nandibo 2. En effet pour
ces auteurs, l’acte de production établit des relations entre les hommes eux-
mêmes, entre ceux-ci et la nature. Karl Marx et Friedrich Engels ont bien perçu
cette dimension de la production lorsqu’ils ont écrit : « les hommes doivent être à
même de vivre pour pouvoir faire l’histoire. Mais pour vivre, il faut avant tout boire,
manger, se loger s’habiller et quelques autre choses » (Cf. Marx et F. Engels, réed.1968,
p.57). Ils montrent l’importance du mode de production dans l’évolution de
l’histoire des sociétés. Le mode de production, c’est la production des moyens
matériels élémentaires d’existence et, partant, chaque degré de développement
économique d’un peuple ou d’une époque forment la base d’où se sont
développées les institutions d’Etat, les conceptions juridiques, l’art et même
les idées religieuses des hommes. Le mode de production inclut une forme de
la production de la vie matérielle. La ressource foncière s’inscrit dans cette
forme de production, les différents groupes ethniques en Côte d’Ivoire et
singulièrement ceux de Nandibo 2, ont eu besoin de celle-ci pour assurer leur
survie.
[…] au fur et à mesure que la densité croît, c’est-à-dire que la terre se fait de
plus en plus rare, la tenure se fait de moins en moins souple ; les règles de
dévolution successorale deviennent plus rigides, ce qui a pour effet de faire
baisser la proportion des champs hérités et d’usage permanent hérité et de
faire monter la proportion des champs prêtés.
Conclusion
« Les mariages mixtes sont, en quelque sorte, le condensé de la communication
entre deux cultures et représentent en cela un phénomène universel » (Delcroix, 1989).
L’investigation dans le village de Nandibo 2 en utilisant la technique d’échantillonnage
en réseau et l’analyse de contenu ont mis en évidence que cette alliance matrimoniale
contribue à l’accès au foncier pour les conjoints. Cependant, il s’agit d’un droit d’usage
de la terre pour le conjoint et un legs pour la conjointe puisse qu’elle reçoit cette
portion de terre de la part de son géniteur. Aussi, il faut noter une déconstruction
concernant la circulation des biens d’héritage dans ce système matrilinéaire de cette
localité. Outre, cet aspect les descendants issus de cette alliance (mariage mixte
interethnique) acquièrent une reconnaissance sociale au sein de la communauté.
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