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ISSN 2311-1658

EReLAND
Equipe de Recherche en Littératures de l’Afrique Noire et de la Diaspora

Revue internationale de littérature et sciences humaines

Revue annuelle - N°6, Janvier 2019


Lomé, Togo
MultiFontaines no 6, Janvier 2019

ADMINISTRATION DE LA REVUE MULTIFONTAINES


Directeur de publication : Pr Akoété AMOUZOU

Coordinateur de rédaction : Kodjo AFAGLA, M.C.

Secrétariat : Komi BEGEDOU, M.A.

COMITE SCIENTIFIQUE ET DE LECTURE

Président: Serge GLITHO, Professeur titulaire (Togo)


Membres:
Pr Kossi A. AFELI (Togo), Pr Yaovi AKAKPO (Togo), Pr Sonayon
TANHOSSOU-AKIBODE (Togo), Pr Kofi ANYIDOHO (Ghana), Pr Kazaro
TASSOU (Togo), Pr Mamadou KANDJI (Sénégal), Pr Taofiki KOUMAKPAÏ
(Bénin), Pr Kofi MENSAH (Ghana), Pr Adjaï Paulin OLOUKPONA-
YINNON (Togo), Pr Issa TAKASSI (Togo), Pr Simon Agbéko
AMEGBLEAME (Togo), Pr Marie-Laurence NGORAN-POAME (Côte
d’Ivoire), Pr Ambroise C. MEDEGAN (Bénin), Pr Médard BADA (Bénin), Pr
Abou NAPON (Burkina Faso), Pr René Daniel AKENDENGUE (Gabon), Pr
Konan AMANI (Côte d’Ivoire), Pr Komla E. ESSIZEWA (Togo), Pr Méterwa
Akayaou OURSO (Togo), Pr Ataféi PEWISSI (Togo), Pr Essodina PERE-
KEWEZIMA (Togo) ; Kokou Folly Lolowou HETCHELI, Maître de
Conférences (Togo), Jean ZIDA, Maître de Conférences (Burkina Faso),
Martin Dossou GBENOUGA, Maître de Conférences (Togo), Padabô
KADOUZA, Maître de Conférences (Togo), Laré KANTCHOA, Maître de
Conférences (Togo), Komlan KOUZAN, Maître de Conférences (Togo), Komi
KPATCHA, Maître de Conférences (Togo), Bammoy NABE, Maître de
Conférences (Togo), Kokou Mawulikplimi GBEMOU, Maître de Conférences
(Togo).

Relecture/Révision

Pr Simon Agbéko AMEGBLEAME


Pr Serge GLITHO
Pr Komla Messan NUBUKPO

Contact : Revue MultiFontaines, Centre de Recherche en Littératures de


l’Afrique Noire et de la Diaspora (CReLAND)
01BP 4317 Lomé, Togo
Tél. : 00228 91909824/90214621
E-mail :multifontaines@gmail.com
Site web : www.creland.net
© Janvier 2019
ISSN 2311-1658
Tous droits réservés
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MultiFontaines no 6, Janvier 2019

LIGNE EDITORIALE

MultiFontaines est une revue scientifique. Les textes que nous acceptons en
français, anglais, ou allemand sont sélectionnés par le comité scientifique et de
lecture en raison de leur originalité, des intérêts qu’ils présentent aux plans africain
et international et de leur rigueur scientifique. Les articles que notre revue publie
doivent respecter les normes éditoriales suivantes :
La taille des articles
Volume : 18 à 20 pages ; interligne : 1,5 ; pas d’écriture : 12, Times New Roman.
Ordre logique du texte
- Un TITRE en caractère d’imprimerie et en gras. Le titre ne doit
pas être trop long ;
- Un Résumé en français qui ne doit pas dépasser 6 lignes ;
- Les Mots-clés ;
- Un résumé en anglais (Abstact) qui ne doit pas dépasser 6
lignes ;
- Keywords ;
- Introduction ;
- Développement ;
Les articulations du développement du texte doivent être titrées et/ou
sous titrées ainsi :
1. Pour le Titre de la première section
1.1. Pour le Titre de la première sous-section
2. Pour le Titre de la deuxième section
2.1. Pour le Titre de la première sous-section de la
deuxième section
2.2. etc.
- Conclusion
Elle doit être brève et insister sur l’originalité des résultats de la
recherche.
- Bibliographie
Les sources consultées et/ou citées doivent figurer dans une rubrique, en fin de
texte, intitulée :
Bibliographie.
Elle est classée par ordre alphabétique (en référence aux noms de famille des
auteurs) et se présente comme suit :
Pour un livre : Nom, Prénom (ou initiaux), Titre du livre (en italique), Lieu
d’édition, Edition, Année d’édition.
Pour un article : Nom, Prénoms (ou initiaux), ‘‘Titre de l’article’’ (entre griffes)
suivi de in, Titre de la revue (en italique), Volume, Numéro, Lieu d’édition, Année
d’édition, Indication des pages occupées par l’article dans la revue.
Les rapports et des documents inédits mais d’intérêt scientifique peuvent être
cités.
La présentation des notes
La rédaction n’admet que des notes en bas de page. Les notes en fin de texte ne
sont pas tolérées.
Les citations et les termes étrangers sont en italique et entre guillemets « ».
Les titres d’articles sont entre griffes ‘‘ ’’. Il faut éviter de les mettre en italique.
Les titres d’ouvrages et de revues sont en italique. Ils ne sont pas soulignés.
La revue MultiFontaines s’interdit le soulignement.
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Les références bibliographiques en bas de page se présentent de la manière


suivante : Prénoms (on peut les abréger par leurs initiaux) et nom de l’auteur, Titre
de l’ouvrage, (s’il s’agit d’un livre) ou ‘‘Titre de l’article’’, Nom de la revue, (vol.
et n°), Lieu d’édition, Année, n° de page.
Le système de référence par année à l’intérieur du texte est également toléré.
Elle se présente de la seule manière suivante : Prénoms et Nom de l’auteur (année
d’édition : n° de page). NB : Le choix de ce système de référence oblige l’auteur
de l’article proposé à faire figurer dans la bibliographie en fin de texte toutes les
sources citées à l’intérieur du texte.
Le comité scientifique de lecture est le seul juge de la scientificité des textes
publiés. L’administration et la rédaction de la revue sont les seules habilitées à
publier les textes retenus par les comités scientifiques et de relecture. Les avis et
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Par ailleurs, chaque auteur est tenu de préciser, juste après le titre de son
article, ses contacts (noms, numéro de téléphone et adresse e-mail). Le délai
de rigueur de soumission des articles est fixé au 30 juin de l’année en cours.
L’auteur dont l’article est retenu pour publication dans la revue MultiFontaines
participe aux frais d’édition à raison de 35.000 francs CFA par article et par
numéro. Il reçoit, à titre gratuit, un tiré-à-part.

La Rédaction

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PRIX DU NUMERO

PRIX DE VENTE DU NUMERO

Région / Pays Quantité Prix unité Total


Togo ----------- FCFA 5 000 ------------
Afrique CEDEAO FCFA 7 000
CEMAC FCFA 8 000

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MultiFontaines no 6, Janvier 2019

SOMMAIRE

LITTERATURE …………………………………………………1
1. Allah n’est pas obligé, une écriture originale qui a séduit la jeune
génération française
Justin Anatole AGLIN …………………. ..2

2. Of Dreams and Mirages: John Steinbeck’s Of Mice and Men


Komla M. AVONO…………………...20

3. Frozen in American Space: Immigrants and the Culture of (Non)


Belonging in Ike Oguine’s A Squatter’s Tale
Patrick OLOKO……………………….40

4. Locating and Dislocating the Color-Line: Authenticity Revisited in


Charles Chesnutt’s The Marrow Of Tradition and Toni Morrison’s
Tar Baby
Manzama-Esso THON ACOHIN………………...66

5. Going Against The Tide: John Steinbeck and the American Dream
Koffi ABOTCHI………………………………...82

6. « Nicht Alles, was hinkt, ist ein Vergleich. Afrikanische Germanistik


und Vergleichende Literaturwissenschaft » Oder: von der
Realisierbarkeit des Vergleichs
Djama Ignace ALLABA……………………….99

7. A Double-Edge Sword: Racial Discrimination in Richard Wright’s


Native Son
Koffitsè Ekélékana Isidore GUELLY…………….113

8. Stylisation de la Calomnie dans La Légende de l’assassin de Kangni


Alem et Les Brigands de Friedrich von Schiller
Assion AYIKOUE……………………………133

9. Dialogue of Alterity in James Baldwin’s “Sonny’s Blues”


Michel PODA ……………………………………155

10. Female Domestic Violence against Men and Children: A Reading Of


Paradise and The Men of Brewster Place
Koudjo Vinyo GBAFA …………………………...175

11. Réception de la chanson ou de la musique dans l’écriture du roman Die


Blechtrommel [Le Tambour] de Günter Grass
Kossivi GOKA …………………………………..197
v
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12. Production et réception du discours critique sur la littérature


tchadienne d’expression française
Robert MAMADI……………………………….230

13. Putting your Best Foot Forward: Literary-Aesthetic Performance in


Ilugbedjo Bridal Chants
Felicia OHWOVORIOLE …………………….252

14. Migration and Dismantled Dreams Overseas: A Reading of Amma


Darko’s Beyond the Horizon
Youssifou OURO-KOURA ………………………..267

15. De la musicalité dans L’après-midi d’un faune de Mallarmé


Christian ADJASSOH ………………………….281

16. The Devil at Church: Miller’s The Crucible and Hawthorne’s The
Scarlet Letter
Fo-Koku D. WOAMENO …………………..296

17. Der Taugenichts oder die Friedensbotschaft Joseph Von Eichendorffs


Lambert ZOH ……………………………….319

LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE DES LANGUES………...……339

18. Sexist Constructions of Woman on a Social Media Platform


Feyi ADEMOLA-ADEOYE …………………...340

19. A Study of Metaphorical Images in some Gɛ̃ Idiomatic and Proverbial


Expressions
Vinyikê Dzodzi SOKPOH …………………….…381

20. Etude d’une sous-classe de nominaux en aja : Cas du numéral


Dovi YELOU ………………………………...404

PHILOSOPHIE ET SCIENCES HUMAINES ……………………...424

21. Jalons pour un dialogue intrareligieux


Aureste Clétus H. BOGNON ………………..425

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DE LA MUSICALITE DANS L’APRES-MIDI D’UN FAUNE


DE MALLARME

Christian ADJASSOH
Université Alassane Ouattara, Côte-d’Ivoire

Résumé : L’Après-midi d’un faune est un texte poétique parsemé de mélodies.


La musique et la poésie s’allient dans le langage poétique mallarméen pour
révéler contextuellement l’essence des réalités qui affectent les sens ordinaires
de l’homme et du poète. Sous des apparences, c'est-à-dire des aspects
détournés qui la rendent quasi imperceptible, la musique se profile à chaque
bout des vers du poème. Elle y draine des métaphores qui révèlent la face
cachée des choses. Son effet irradie tout le texte pour en faire un vecteur de
l’expression de l’essence des référents qui se tissent par l’entremise des
analogies. Avec Mallarmé, elle devient poétiquement un instrument privilégié
de l’exégèse herméneutique de l’univers.
Mots-clés : poésie, musique, langage, analogie, essence.

Introduction

La poésie de Mallarmé a un rapport fusionnel avec la musique. Pour


lui, la musique dans son déploiement et en ce qu’elle participe de la création
artistique, doit dans l’absolu être le support de la poésie. De fait, tout le long
de son existence, sa pratique poétique a tenté d’établir l’effectivité de
l’accointance entre poésie et musique. En apparence, son œuvre poétique
intitulée L’Après-midi d’un Faune semble l’aboutissement de son aspiration
qui est la fonte de la musique et de la poésie. Dans cette perspective, l’étude
de ce texte se propose d’exposer comment la poésie en aliénant la musique
permet au poète de traduire avec plus d’objectivité et d’expressivité l’essence
des réalités qu’elle est censée évoquer. Ce constat suscite alors un ensemble
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d’interrogations pouvant aider à saisir l’opportunité de la densité de la


musique dans ce poème. Comment la mélodie imprègne-t-elle son texte
poétique ? Comment les effets de la musique parviennent-ils à lier le monde
du rêve à celui de la réalité ? Comment la musique peut-elle révéler l’essence
des réalités qu’elle est censée suggérer dans la quête de la poésie pure ?
L’ensemble de ces interrogations tel qu’articulé détermine le tracé de notre
réflexion.

1. Mode d’indexation de la mélodie dans « L’Après-midi d’un Faune »

L’ambition de Mallarmé d’écrire une poésie où l’art des vers reprend à


la musique certains de ses effets se perçoit à la lecture de son poème L’Après-
midi d’un faune. Chishlom (1974 : 13) observe ainsi que ce poème
est, après le Coup de Dé, le poème dans lequel Mallarmé est allé le
plus loin dans sa tentative de musicaliser la poésie. Le texte est plus
beau que celui du Coup de Dé parce que la charpente de la structure
musicale est plus subtile que dans le plus long des deux morceaux et
l’auteur y a moins recours aux procédés de variations
typographiques qui sont assez étrangères à la poésie.
La mélodie dans L’Après-midi d’un faune n’est pas apparente comme
dans les autres textes poétiques où l’auteur emprunte la typographie du solfège
au texte pour suggérer, dans bien des cas, la présence de la musicalité. Elle
baigne le champ du poème par l’évocation de tout mot en rapport avec
l’univers de la musique, comme le montre cet extrait:
« Le jonc vaste et jumeau dont sous l’azur on joue :
Qui détourne à soi le trouble de la joue » (Mallarmé, 1992 : 37)
La musicalité est ici induite par la convocation de la périphrase dans
le vers « Le jonc vaste et jumeau dont sous l’azur on joue ». Claude Peyroutet
(1998 : 97) définit la périphrase comme « le remplacement d’un mot par
plusieurs autres qui la définissent, l’explicitent […]. Au sens propre, elle est
une désignation de nature descriptive […] ». Cette périphrase désigne la flûte

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pastorale par ses attributs. En effet, le jonc que l’on peut assimiler à un roseau
est le moyen par lequel le poète introduit un instrument de musique dans le
champ poétique. La musicalité émerge à partir de l’établissement d’une
analogie entre le roseau et l’une de ces fonctions qui est de faire office de flûte
à partir d’incisions et de perforations sur son corps qui le transforment en
instrument de musique. Ainsi, le « jonc » devient à partir de la poétisation un
pendant de la mélodie. Bien plus, au-delà du simple fait d’évoquer la musique
par la dénomination d’un instrument, la surface du poème peut être jonchée
de mots renvoyant au domaine de la musique :
« […]
Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosés d’accords ; et le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant
Qu’il disperse le son dans une pluie aride,
Visible et serein souffle artificiel
De l’inspiration qui regagne le ciel. » (Mallarmé, 1992 : 36)
Dans cet extrait textuel, la musicalité est induite par un ensemble de
mots qui se rapportent au domaine de la musique. Il s’agit du champ lexical
de la musique que l’on peut identifier à travers le groupe de lexèmes suivants :
« murmure », « flûte », « accords », « tuyaux », « son » et « souffle ». A plus
d’un titre, l’ensemble de ces mots évoque tout phénomène ou action lié à la
production de sonorité. Si « murmure » rappelle un bruit sourd et continu de
la voix humaine, les « accords » convoquent l’association de plusieurs sons de
manière simultanée et codifiée par les lois de l’harmonie pour produire des
sons agréables à l’oreille. Le mot « flûte », quant à lui, convoque comme
référent un instrument à vent en bois ou en métal percé de plusieurs trous. Le
mot « souffle », par contre, est le mouvement de l’air que l’on produit en
évacuant avec une certaine force l’air contenu dans les poumons. De fait, tous
ces mots évoquent le domaine de la mélodie. En effet, pour jouer de la flûte
qui est un instrument à vent en forme de tuyaux, il faut y insuffler son souffle.
Celui-ci engendre alors des sons doux et mélodieux (« accords ») qui

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empruntent la consistance phonique des murmures. Ainsi, sans pour autant


perdre ces effets, la musicalité est dissoute dans l’espace du poème et se pose
de manière insidieuse dans sa texture.
En dehors du champ lexical comme facteur d’injection de la
musicalité dans le poème, le poète prospecte un autre phénomène, celui de la
fluidité des sonorités à l’intérieur des mots comme facteur de production
mélodique :
« Mais l’autre tout soupir, dis-tu qu’elle contraste
Comme brise du jour chaude dans la toison ?
Que non par l’immobile et lasse pamoison
Suffocant la chaleur le matin frais s’il lutte
Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte
[…] » (Mallarmé, 1992 : 36)
Dans ce groupe de vers apparaît une mélodie qui s’énonce à travers
une suite de sonorités ravissantes qui captivent par leur légèreté. Par ailleurs,
ces sons ne sauraient être dépourvus de sens comme le signifie Jean Joubert à
travers ces propos :
« Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ces suites de sons ne
sont pas totalement dépourvues de sens, surtout si on les lit en
adoptant une diction expressive : sens diffus qu’on tentera
d’expliciter en termes de sentiments (colère ? peur ?), analogue au
sens vague qu’on croit déceler dans un morceau de musique. De
telles expériences ont l’intérêt de conduire la poésie à la limite où
elle cesse d’être la poésie pour basculer du côté de l’art des sons : la
musique » (Joubert, 1997 : 116).
Pour Joubert, la réplétion de sonorités analogues dans un texte
poétique ne peut être fortuite. Elle recèle une signification et instaure la
musicalité dans tout poème. Cette pratique de la production de la sonorité à
partir de l’itération de sonorités diverses, engage la poésie « du côté de l’art
des sons ». En effet, la reprise de plusieurs sons identiques dans un même
vers, une suite de vers ou plusieurs vers contigus engendre de la mélodie. C’est

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bien ce qu’opère Mallarmé dans les vers précédents : « Que non par
l’immobile et lasse pamoison » et « Ne murmure point d’eau que ne verse ma
flûte ». Dans le premier vers, la mélodie est produite par l’allitération de la
consonne liquide l dans les mots « l’immobile » et « lasse », tandis que dans
le second vers de l’extrait la mélodie opère à travers l’allitération de la nasale
m dans « murmure ». Ces deux consonnes par leurs sonorités évoquent qui
l’écoulement (l) qui le bruissement du souffle (m). Cette double allitération
suggère la douceur de la mélodie par sa fluidité qui finit par engendrer une
monotonie qui ravit l’oreille. De ce qui précède, il est établi que le paysage de
son poème est envahi par la musicalité qui finit par transformer son texte en
un vaste opéra où les sonorités se côtoient pour essaimer et ponctuer son texte
d’une mélodie silencieuse. Par ce mécanisme instrumental et sonore, le texte
poétique se transforme en un récital à travers lequel le Faune concilie le rêve et
la réalité.

2. La musique comme instrument de synthèse : entre rêve et réalité

L’Après-midi d’un Faune est un espace textuel où foisonne la


musicalité. Cette profusion de la musique n’est pas hasardeuse chez Mallarmé.
De fait, elle sert de pont entre le rêve et la réalité qui en apparence sont deux
dimensions qui paraissent inconciliables. Cependant, avec Mallarmé, la magie
de la poésie permet une superposition du rêve et de la réalité malgré son
caractère incongru par le truchement de la musique. Le caractère incongru de
la superposition du rêve et de la réalité provient du doute du faune qui ne sait
pas si le commerce qu’il a semblé avoir avec les nymphes au bord du lac est un
rêve ou une réalité, comme l’observe Llyod J. Austin à travers ces propos : « A
travers ce poème l’ambiguïté entre le rêve et le souvenir est magnifiquement
créée et soutenue. C’est à cause de ce doute que le faune se tourne vers
l’imagination créatrice qui effectue la synthèse du rêve et de la réalité »
(Austin, 1968 : 24).

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En effet, après une longue sieste au bord d’un lac bordé de roseau, le
faune sort progressivement de son sommeil. La torpeur qui s’installe dans son
esprit engendre un doute. A-t-il eu contact avec des nymphes ou c’est
l’illusion du rêve qui lui procure cette sensation qu’il veut garder éternellement
hors des brumes qui plongent sur sa mémoire en brouillant ses souvenirs et ses
sens :
« Ces nymphes, je les veux perpétuer.
Si clair,
Leur incarnat léger, qu’il voltige dans l’air
Assoupi de sommeils touffus » (Mallarmé 1992 : 35)
Ces vers traduisent le désir du poète de ne point sortir de ce moment
d’extase où ses sensations poétiques se sont confondues avec la sensation qu’il
a ressentie dans son étreinte avec l’une des nymphes capturées au bord du lac :
« Mais, l’autre tout soupir, tu dis qu’elle contraste
Comme brise du jour chaude dans ta toison ?
Que non ! par l’immobile et lasse pâmoison
Suffoquant de chaleur le matin frais s’il lutte, […] » (Mallarmé
1992 : 36)
Cependant, l’effectivité de cette étreinte est encore auréolée par le
doute accentué par le vers : « Aimé-je un rêve ? » (Mallarmé 1992 : 35). Cela
contribue à décliner l’apparence de la nymphe à travers plusieurs réalités. Dans
sa mémoire, tout en sortant progressivement du sommeil, la réalité avec
laquelle le Faune semble avoir eu contact se présente à sa conscience
successivement à travers des analogies sous la forme d’une femme, d’une fleur
et d’une morsure qui marque son flanc. Cet état de fait détermine Llyod J.
Autin à formuler le constat suivant :
« Les analogies sont exquises. Mais elles sont immédiatement
rejetées, et remplacées par d’autres, plus subtiles encore. Les
nymphes ne pouvaient être une illusion, née de la seule musique.
Rejetant la seconde hypothèse, le Faune communique la sensation

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de la chaleur étouffante de l’air immobile qui a vaincu la fraîcheur


du matin » (Austin, 1968 : 26).
Ces visions permettent en réalité au Faune d’établir des analogies
entre la réalité imaginée dans son rêve et celle perçue par sa conscience claire
pour la rendre préhensible à la raison. Le caractère évanescent de son
sentiment est troublant. Mais le Faune ne peut attester de l’effectivité de cette
étreinte avec la divinité qu’à travers le recours à la musique qui lui permet de
remonter à la surface du rêve pour consolider sa vision. En cela, il se réfère à
la flûte qu’il a taillée dans le roseau avant son assoupissement par un après-
midi caniculaire :
« Tâche donc instrument des fuites, ô maligne
Syrinx, de refleurir au lac où tu m’attends ! » (Mallarmé, 1997 :
37)
C’est à partir de sa référence à l’instrument de musique que le Faune
peut espérer tracer une ligne de démarcation entre le rêve et la réalité. De fait,
la musique qui atteste de sa présence, par le truchement du mot grec « syrinx
»61 ramenant au roseau dans lequel le Faune a taillé sa flûte, devient le
catalyseur qui permet de passer du rêve à la réalité. En allant reprendre la flûte
laissée au bord du lac, par le processus de la réminiscence, le Faune parvient
enfin à démêler le rêve et la réalité. En effet, le contact avec la flûte lui permet
de se remémorer l’ensemble des faits qu’il a vécus avant de s’assoupir au bord
du lac où à son réveil tout lui paraissait un rêve :
« Au bosquet arrosé d’accords ; le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant

61
Selon A. R. Chischolm le mot Syrinx pose quelques problèmes. En grec, comme en latin, il
s’agit exclusivement d’un nom propre, porté par une nymphe qui fut changé en roseau,
nom dérivant du mot grec (latin) Syringias (masculin). Littré l’atteste qu’en français
comme en latin la flûte de Pan s’appelait Syringe (féminin), mais il ajoute que l’on
disait aussi syrinx, le genre féminin. Mallarmé, probablement, adopte la forme féminine
et populaire, et en même temps il est influencé, sans doute, par le fait que c’est le nom
d’une nymphe.

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Qu’il disperse le son dans une pluie aride,


C’est, à l’horizon pas remué d’une ride,
Le visible et serein souffle artificiel et serein
De l’inspiration qui regagne le ciel » (Mallarmé 1992 : 36)
L’appropriation à nouveau de sa flûte réactive sa mémoire. Il se
souvient que la mélodie émise par la flûte après sa fabrication alors qu’il
accordait cette dernière (« arrosé d’accord ») a effrayé des nymphes qui se
trouvaient au bord du lac. Celles-ci, surprises par sa présence, se sont jetées à
l’eau pour échapper à l’emprise de son regard sur leur corps en l’éclaboussant
avec l’eau du lac (« dans une pluie aride »).
Dès lors, la musique apparaît chez Mallarmé comme une passerelle
jetée entre le rêve et la réalité. Elle permet au poète de révéler par son
entremise certains pendants de la réalité qui échappent au sens ordinaire de
l’homme. Elle sert à son imagination de vecteur qui tisse et matérialise les
choses et les êtres qui peuplent son univers imaginaire. Du coup, la musique se
transmue en une sonde par laquelle le poète accède à l’essence des réalités
l’environnant et qui ne s’éludent que dans son imagination.
La fusion entre le domaine du rêve et celui de la réalité s’opère à
partir d’une analogie dont l’élément déclencheur est la mélodie. Elle exacerbe
la sensibilité du Faune et le plonge dans une extase à travers un rêve profond
où il s’accommode de l’image des réalités. Pour avoir une emprise sur la
réalité, le Faune convoque de nouveau la musique mais celle-ci par moments
lui fait perdre toute emprise sur la réalité. Ainsi, le Faune épouse-t-il toutes les
caractéristiques et les sensations du poète. Dans l’écriture de L’Après-midi
d’un faune, le poète établit une analogie entre le Faune et Mallarmé
relativement à l’effet de la musique dans leur rapport à l’univers. En effet, chez
Mallarmé tout fonctionne et ne se révèle qu’à la lumière de l’analogie dont la
musique est l’un des catalyseurs. Pour lui, ce que nos sens ordinaires nous
révèlent n’est pas dans l’absolu la réalité que nous percevons. Ainsi, pour
Mallarmé, une danseuse dans un opéra

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MultiFontaines no 6, Janvier 2019

« […] n’est pas une femme qui danse, pour ces motifs juxtaposés
qu’elle n’est pas une femme, mais une métaphore résumant un des
aspects élémentaires de notre forme, glaive, coupe, fleur, etc., et
qu’elle ne danse pas, suggérant, par le prodige de raccourcis ou
d’élans, avec une écriture corporelle ce qu’il faudrait paragraphes en
prose dialoguée autant que descriptive, pour exprimer, dans la
rédaction : poème dégagé de tout pareil du scribe » (Mallarmé 1945
: 304).
La musique au rythme de laquelle elle danse et les pas et les figures
qu’elle est amenée à ébaucher la laissent apparaître sous d’autres formes. Ainsi,
par le truchement de l’analogie, ces formes donnent à voir aux spectateurs
selon l’acuité et sous l’emprise de la mélodie, un « glaive », « une coupe » ou
« une fleur ». En réalité, la musique devient le vecteur de la révélation de
l’essence des réalités qui nous environnent. Relativement au rapport de
Mallarmé à la musique dans l’écriture poétique où des rapprochements, sous
l’impulsion de la mélodie, deviennent la clé du décryptage des réalités de
l’univers, le poème L’Après-midi d’un faune est le ferment d’une forte
musicalité. Les formes qu’il y est distille, engendre des analogies conduisant à
assimiler les lignes des corps nus des nymphes et la ligne de l’horizon qui se
profile derrière elles, pendant leur baignade dans le lac sous le regard discret
du Faune masqué par les roseaux à une mélodie. Cette propension de la
musique à déclencher des rapprochements insoupçonnés et inattendus est
confirmée par Llyod J. Austin (1968 : 26) par ces propos :
« Merveilleusement transposition d’art que cette analogie entre
l’arabesque des lignes du corps des nymphes et la ligne mélodique,
dont la sonorité, la ténuité et la monotonie sont suggérées par ces
six mots ! Il nous mène au cœur de l’esthétique mallarméenne avec
son culte du « ou creux néant musicien » ou l’« aboli bibelot
d’inanité sonore ».
Pour Austin, la musique du Faune engendre un univers merveilleux où
toutes les réalités sont reconfigurées par le biais de l’analogie qu’elle suggère.

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Elle affecte la ligne du corps des nymphes dont la finesse finit par conférer
leurs traits à la ligne de l’horizon faisant d’elles à travers l’impulsion de la
musique des êtres mélodieux :
« Une sonore vaine et monotone ligne » (Mallarmé 1992 : 37)
Cette finesse engendrée par l’effet de la musique affecte tout le
langage poétique de Mallarmé pour faire de la musicalité l’un des ferments de
sa modernité poétique où l’art poétique sous l’impulsion de la musique se fait
le prospecteur des représentations mentales du poète.

3. La musique comme métaphore de l’essence

Durant la deuxième période de sa vie poétique, après sa crise de


Tournon en 1864, la quête poétique de Mallarmé transcende la matière. Il
cherche l’au-delà des choses qui pourrait fixer toute réalité dans l’éternité. De
fait, il cherche à élaborer une poésie atemporelle dont le sens une fois fixé ne
puisse pas être altéré sous quelques cieux ou époque quel que soit l’esprit qui
l’éprouve. En cela, selon Yves Bonnefoy, « La parole mallarméenne cherchait
pourtant dans ces vers superbes à passer au plan des essences, par des
évocations aussi intemporelles et pures que possible […] » (Bonnefoy, 1992 :
XII). Cette démarche de Mallarmé dans le domaine de la poésie, dès la
deuxième moitié du XIXe siècle, fonde son originalité qui fait de la création
poétique un ouvrage produit à partir d’une véritable ascèse sondant la
profondeur de l’imagination.
L’écriture poétique de Mallarmé fait de la musique l’un des pendants
de la poésie. Ce qui induit certains critiques à penser qu’il assimilait la poésie
à la musique. Toute chose qu’Albert Thibaudet (1926 : 341) évacue en
montrant la subtilité du rapport de Mallarmé à la musique en ces termes :
« On définit parfois l’originalité de Mallarmé comme une tentative pour faire
de la poésie une musique. Ce n’est pas exact. La présence de la musique le
hanta, le tourmenta longuement ; mais ses rapports avec elle demeurent
complexes ». En effet, le rapport de Mallarmé à la poésie en y associant la

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musique n’est pas déterminé par une volonté de soumission de la poésie à la


musique. Tout au plus, la musique devient un instrument pour matérialiser
des sensations ou les effets que produisent certaines réalités sur les sens du
poète et que l’expression ordinaire ne parvient pas à traduire dans toute sa
totalité.
Dans l’expression de l’ineffable, la musique se présente à lui comme
un puissant vecteur de signification qui lui permet d’écrire une
« superpoésie », une poésie apte à sonder toute réalité pour traduire l’idée
qu’elle peut suggérer derrière son apparence bariolée. Thibaudet (1926 : 344)
l’atteste en soutenant que :
« La musique, dans la dernière année de sa vie poétique, lui versa les
mains subtiles et douces, ce que d’abord par des mains ironiques et
sèches ; les sentiments de l’impuissance lui avaient suggéré : l’idée
au-delà de la poésie, d’une « superpoésie » vers laquelle il est beau
de s’efforcer, d’indiquer déjà, par une main tendue, une recherche,
une volonté. La musique qu’il sentait médiocrement comme
musique, fut pour lui une catégorie de cette idéale, et il l’a senti
beaucoup comme frontière de la poésie. Et précisément parce que sa
poésie est, au regard de la poésie ordinaire, une frontière, elle peut,
au même titre que le concert, nous apporter un peu de sentiment
musical. »
Ainsi le mode d’articulation de la musique dans la poésie de
Mallarmé engage l’écriture poétique dans une nouvelle dynamique. Elle est en
rupture avec la poésie régie avec les normes de Nicolas Boileau qui prescrit
que tout référent affectant le champ de la poésie doit être sous le joug de la
raison et de la clarté. Mallarmé veut une poésie absconse dont le mode
d’expression intègre les effets de la musique qui a une grande capacité de
suggestion, comme l’effet produit par la musique de l’allemand Wagner sur
l’auditoire, ainsi que le précise Thibaudet (1926 : 348) :
« Ce que Mallarmé imaginait du poème, il le trouva alors rayonnant
dans la musique wagnérienne et il se pencha sur elle pour

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reconnaître les secrets qu’elle avait dû dérober à la poésie : “Amenez


les théories de Mallarmé à une conclusion pratique, dit M. Symons,
multipliez, à mesure, ses moyens – et vous avez Wagner ».
Une prospection accrue de la technique de Wagner lui permet
d’éditer un art poétique dans lequel la musique en communiquant ses effets à
la poésie la rend plus expressive par des analogies que les sonorités suggèrent à
l’imagination. Dès lors, sa poésie intègre la musique et toutes deux
apparaissent comme les faces d’une médaille permettant de révéler la face
cachée de toute réalité qui se pose dans l’univers de l’homme. A cet effet,
Mallarmé écrit (1992 : 50) : « […] la Musique et les Lettres sont la face
alternative ici élargie vers l’obscur ; scintillante là avec certitude, d’un
phénomène le seul, j’appelai l’idée ». Selon lui, cette idée traduit ou manifeste
cette dernière réalité dans sa forme la plus authentique et la plus pérenne
relevant ainsi sa pureté. Dans cette optique, parlant de l’objectivité de la
représentation de l’essence des objets et des phénomènes en rapport avec les
sens de l’homme, il énonce :
« A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa
presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant, si
ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret
rappel de la notion pure » (Mallarmé, 1945 : 857).
De fait pour Mallarmé, toute réalité qui gravite dans l’environnement
de l’homme n’est qu’une apparence. Derrière sa forme première se trouve
inscrite une apparence plus objective et incorruptible qui traduit une idée
autre que ce qu’elle laisse paraître. Ainsi, pour Mallarmé, seule la fusion de la
poésie et de la musique peuvent nous permettre de sonder l’idée à laquelle
renvoie chaque réalité qui pour lui s’apparente à l’essence.
Dans cette dynamique, le langage poétique recherché par Mallarmé
trouve sa plus haute expression dans L’après-midi d’un faune. Ce texte où
musique et poésie fusionnent pour édicter un langage poétique à travers lequel
toute idée ou référent renvoie à autre chose que ce qu’il est censé traduire de
prime abord. Il s’apparente ainsi à une vaste métaphore qui nous révèle

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l’essence ou l’idée à laquelle ramène le poète qui campe métaphoriquement le


rôle du faune dans son rapport avec l’univers. Ainsi, l’être du poète qui
coïncide dans L’Après-midi du faune avec celui du faune incarné par la flûte,
fait du poète un être vibrant et mélodieux qui tire toute sa substance de la
musique qui devient son essence. Du coup, ce texte s’apparente à un opéra qui
déclenche une vague de réflexions à travers laquelle s’opère une sublimation de
toutes les réalités qui baigne dans l’univers du texte pour le rendre plus
radieux sous l’effet de la musique. En effet, dans ce texte la mélodie pulvérise
tout référent pour lui donner une nouvelle configuration.
Le poète devient le faune, la ligne du corps des nymphes s’apparente à
la limite de l’horizon et la flûte induit la présence de la mélodie. L’emprise de
cette alchimie engendrée par le langage poétique mallarméen où mélodie et
poésie fusionnent pour assimiler le poète à une divinité (« Le faune »), se
mesure à la capacité de l’expression poétique à révéler l’essence du réel
tangible et de l’irréel. Dans cette perspective, Jean-Pierre Richard (1961 :
412) en parlant de L’après-midi d’un faune, argumente la forte propension
de suggestion de la musique par le truchement des rapprochements inédits:
« Texte essentiel où se décrit à nous, une lumineuse évidence,
l’opération, si souvent rêvée de Mallarmé, de la transposition. Il
s’agissait pour lui […] de dévoiler à l’intérieur d’un objet transposé
la vivante figure d’une “idée“. Mais cette idée ne se ramène pas à une
simple abstraction : elle ressemble plutôt à ce que les philosophes
nomment aujourd’hui une essence concrète. La métaphore permet
alors et promeut le mouvement d’une véritable chasse aux essences
concrètes ».
En effet, la musicalité qui retentit dans ce poème tend à nous révéler
d’autres pendants («essences concrètes ») des réalités qui baignent le poème.
Il n’en demeure pas moins que cette musique dans le poème procède par des
rapprochements pour exposer un aspect insoupçonné de chaque réalité qu’elle
effleure. Cela provoque en permanence une abstraction qui nous présente
chaque réalité sous une apparence mouvante en rapport avec une autre réalité

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pour en traduire encore une autre qui semblerait éloignée des deux qui
l’évoquent. C’est cette dernière qui représente chez Mallarmé l’essence.
Cependant, il faut signaler que sous l’impulsion de la musique la deuxième
apparence dénotée conduit à une autre encore plus volatile par l’entremise de
la métaphore engendrée par l’effet de la musique. Ce que soutient sans
ambages Jean-Pierre Richard (1961 : 413):
« L’essence mallarméenne a donc pour elle-même essence,
l’ouverture, la modification, et c’est le privilège de la danse de nous
faire percevoir cette vérité. Du chant fatalement monolithique,
jusqu’à la danse hiéroglyphique et métaphorique, il y a donc un
énorme progrès spirituel. Mais cette information [soutient] la
vitalité musicale, et l’aide à vaporiser le sens».
En réalité, la musique en s’alliant à toute image suggère un ensemble
d’idées ou de représentations qui dans la plupart des cas n’ont aucun rapport
avec la réalité. Elles permettent au poète d’établir un rapport subliminal entre
l’homme et les réalités. Tout référent ainsi généré dans cette relation n’infère
pas nos sens ordinaires. Ils sont le fruit de l’abstraction qui à partir de
rapprochements entre des réalités de différentes sphères concourt à faire
germer dans l’esprit du lecteur, sous l’effet de la musique, un monde ou des
êtres oniriques font perdre au référent toute leur teneur physique en les
constituant en tant qu’images des réalités que les mots ordinaires ne sont pas
aptes à traduire dans toute leur manifestation.

Conclusion

L’après-midi d’un faune est un texte poétique qui s’apparente à un


opéra. Il exhale à profusion des sonorités qui sous diverses formes essaiment à
travers le texte poétique pour volatiliser la signification. Par l’entremise de la
musique enjolivant tous les référents sous l’impulsion de la métaphore, le
poète est assimilé à une divinité tandis que la mélodie se distille dans le texte
sous l’apparence d’un pipeau. L’effet de la musique par sa forte capacité de

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suggestion fait du champ poétique un lieu d’ascèse quand toutes les réalités
sont transfigurées pour paraître sous une forme nouvelle perçue par
l’imagination. Ce qui fait de L’Après-midi d’un faune le texte de Mallarmé où
poésie et musique cohabitent pour fonder un langage poétique abscons.

Bibliographie

Chisholm, A. R. (1974). L’Après-midi d’un Faune, exégèse et étude critique,


précédées de Stéphane Mallarmé, traduction de François Van Laere et
l’auteur, Bruxelles, Editions Jaques Antoine.
Joubert, Jean-Louis. (1997). La poésie, Paris, Cérès Editions, Tunis.
Mallarme, Stéphane. (1998). Ecrit sur l’art, Présentation Michel Draguet,
Paris, Flammarion.
_______. (1945). Œuvres complètes, Introduction, bibliographie,
iconographie et notes par Henri Mondor et Georges Jean-Aubry,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard.
_______. (1992). Poésie, Préface d’Yves Bonnefoy, Paris, Editions
Bertrand Marchal, Gallimard.
Peyroutet, Claude. (1998). Style et rhétorique, coll. « Repères pratiques »,
Paris ; Nathan.
Richard, Jean-Pierre. (1961). L’univers imaginaire de Mallarmé, Editions
du Seuil, Paris,
Thibaudet, Albert. (1926). La poésie de Stéphane Mallarmé, Paris, nrf
Gallimard.
Comment citer cet article :

MLA: Adjassoh, Christian. “De la musicalite dans L’apres-midi d’un faune de


Mallarme.” MultiFontaines 6 (Janvier 2019): 281-295.
APA: Adjassoh, C. (2019). De la musicalite dans L’apres-midi d’un faune de
Mallarme. MultiFontaines (6), 281-295.

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