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ISSN 1993-3134
ÀHכֿHכֿ
L a b o r a t o i r e d e R e c h e r c h e s u r l a D yn a m i q u e
d e s M i l i e u x e t d e s S o c i é té s
Université de Lomé
À H כֿH כֿ
Revue de Géographie de Lom é
publiée par le Laboratoire de Recherche sur la Dynamique des Milieux et des
Sociétés (LARDYMES) du Département de Géographie de la Faculté des Lettres et Sciences
Humaines de l’Université de Lomé.
Directeur :
Koffi Ayéchoro AKIBODE, Professeur à l’Université de Lomé
Secrétariat de Rédaction :
- Koudzo SOKEMAWU, Maître de Conférences à l’Université de Lomé
- Martin Dossou GBENOUGA, Maître de Conférences à l’Université de Lomé
Secrétariat administratif :
- Koudzo SOKEMAWU, Maître de Conférences à l’Université de Lomé
Comité Scientifique :
- Antoine Asseypo HAUHOUOT, Professeur Honoraire à l’Institut de Géographie
Tropicale – Université de Félix Houphouët-Boigny – Abidjan
- Francis AKINDES, Professeur à l’Université Alassane Ouattara, Bouaké
- Jérôme ALOKO-N’GUESSAN, Directeur de Recherche à l’Institut de Géographie
Tropicale, Université de Félix Houphouët-Boigny – Abidjan, Côte d’Ivoire
- Maurice Bonaventure MENGHO, Professeur à l’Université Marien N’Gouabi
de Brazzaville
- Koffi Ayéchoro AKIBODE, Professeur à l’Université de Lomé
- Benoît N’BESSA, Professeur à l’Université d’Abomey-Calavi, Bénin
- Mamadou SALL, Professeur à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar, Sénégal
- Joseph-Marie SAMBA-KIMBATA, Professeur à l’Université Marien Ngouabi
de Brazzaville
- Yolande OFOUEME-BERTON, Professeur à l’Université Marien Ngouabi, Brazzaville
- Oumar DIOP, Professeur à l’Université Gaston Berger Saint-Louis, Sénégal
- Henri MONTCHO, Professeur à l’Université Zinder, Niger
- Arsène DJAKO, Professeur à l’Université Alassane Ouattara, Bouaké
- Tchégnon ABOTCHI, Professeur à l’Université de Lomé
- Wonou OLADOKOUN, Professeur à l’Université de Lomé
- KLASSOU Komi Sélom, Maître de Conférences à l’Université de Lomé
- ZINSOU-KLASSOU Kossiwa, Maître de Conférences à l’Université de Lomé
N. D. L. R.
Sommaire
Moussa GIBIGAYE
Etude des contraintes liées à l’adaptation de la motorisation agricole dans la région de plateau
et de plaine de la Commune d’Abomey-Calavi au Bénin ………………………………………. p. 12-22
Damitonou NANOINI
Mobilité rurale et difficultés d’accès aux services de base dans la préfecture de Tandjoaré
(Nord-Togo) ……………………………………………………………………………………... p. 45-54
Pessièzoum ADJOUSSI
Morphodynamique et mise en valeur de la basse vallée alluviale du Mono dans les secteurs de
Agomé-Glozou et d’Afomonou (Sud-Est Togo) ……………………………………….……….. p. 80-92
Mohamed LABIADH
Caractérisation aérodynamique des unités géomorphologiques du Sud tunisien à partir des
mesures dérivées du produit POLDER ………………………………………...………………... p. 93-99
Maïmouna YMBA
Pollution de la lagune Ẻbrié et effet néfaste sur la santé des populations riveraines de l’ile de
Petit-Bassam à Abidjan (Côte d’Ivoire) …..……………...……………………………………... p. 113-127
Tatongueba SOUSSOU
Recolonisation des friches urbaines de la ville de Kara (Nord du Togo) par un arbrisseau à
dissémination rapide : Calotropis procera (Aiton) ..……………………………………………. p. 128-134
Nasser SERHAN
Organisation et dynamisme d'une filière migratoire : le cas de la filière Kfar Kila (Liban) -
Céchi (Côte d'Ivoire) ………………………………………………………………….………… p. 135-145
Euloge Grégoire VIDEGLA, Anne FLOQUET, Roch MONGBO, Olga Rachelle ABLOUTAN
Système de commercialisation et qualité de l’huile d’Agonlinmi: atouts et contraintes à la mise
en place d’une indication géographique (IG) ………………………...…………………………. p. 146-153
Source : D’après les travaux cartographiques du 4eRGPH, 2010, modifiée par NANOINI D., 2015.
C’est la préfecture la plus occidentale de la hydrique. Les activités agricoles sont donc
région et la plus accidentée également à cause fortement perturbées et les infrastructures
de sa situation sur le plateau gréseux de routières déjà embryonnaires sont de plus en
Bombouaka. Son chef-lieu est la ville de plus dégradées par la violence des
Tandjoaré. Du point de vue climatique, c’est le précipitations (NANOINI D., 2011).
domaine du climat tropical sahélien caractérisé Le couvert végétal est celui de la savane
par l’alternance d’une saison pluvieuse et herbeuse alors que le réseau hydrographique
d’une saison sèche d’égales durées annuelles est sommaire et constitué de quelques rivières
(6 mois chacune). Les précipitations sont intermittentes dont la plus importante est le
fortement concentrées sur les mois de juillet- Kouloungouna. C’est bref un milieu naturel
août alors que les sols de cette région déjà assez contraignant dans lequel se concentre
squelettiques et pauvres (LARE L. Y, 1999) une nombreuse population à forte croissance
subissent davantage les foudres de l’érosion démographique.
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AHOHO – Décembre 2015
1.2. Un cadre humain marqué par de fortes y est de 5,1% par an contre seulement 2,98%
croissances et densités démographiques pour l’ensemble de la Région et 2,8 pour la
moyenne nationale. La taille moyenne des
La préfecture de Tandjoaré couvre une
ménages y est de 8,6 personnes par ménage
superficie de 848 km² avec une population
contre 5,1 sur le plan national. C’est cette forte
évaluée en 2010 par le 4eRGPH (quatrième
concentration d’hommes qui éprouvent des
Recensement Général de la Population et de
difficultés de déplacement sur des pistes
l’Habitat) à 110 721 habitants, soit une densité
rurales de plus en plus érodées, aggravant leurs
humaine de 131 habitants au kilomètre carré
conditions de vie déjà trop pénibles du point
contre une moyenne nationale de 108 ; ce qui
de vue naturel.
fait de Tandjoaré une des localités les plus
peuplées du Togo. Cette population est à Il y aura certainement un risque de
98,5% rurale (DGSCN, 2011). Elle est surpeuplement de la population dans les 10
inégalement répartie entre les 16 cantons de la prochaines années si aucune politique
préfecture organisés en 291 localités. rigoureuse d’aménagement du territoire ne se
met très rapidement en place ; autrement une
Du point de vue ethnique, c’est une préfecture
politique de redistribution de la population
assez homogène où les Moba-Gourma
vers les terres riches, sous peuplées et moins
représentent plus de 98% de la population
exploitées de la plaine de l’Oti comme le
devant les peulhs bouviers et les Mossi-Yanga
préconisait AKIBODE A. K. (1981).
majoritairement commerçants (Direction
Régionale du Plan et de l’Aménagement, 1.3. Infrastructures de base inégalement
2008). réparties
La religion traditionnelle est la principale Comme infrastructures de base retenues pour
religion de la préfecture devant le nos analyses, nous avons identifié les marchés,
christianisme et l’islam. La croissance les structures sanitaires et les lycées, indiquées
démographique, l’une des plus fortes du pays, sur la carte no2.
Carte no2 : Les infrastructures de base dans la préfecture de Tandjoaré en 2014
Source : D’après les travaux cartographiques du 4eRGPH, 2010, modifiée par NANOINI D., 2015.
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Damitonou NANOINI
Les marchés, les lycées et les structures gendarmerie de préfecture, une douane, un
sanitaires de Tandjoaré sont principalement commissariat de police, un camp de gardien de
concentrés dans quatre localités identifiées préfecture, deux postes militaires, un bouchon
comme pôles structurants de l’espace de douane à la frontière Yembour - Ghana et
préfectoral. A l’observation de la carte no2, il deux postes forestiers et des infrastructures
s’agit de Tandjoaré-Centre, Bombouaka, commerciales et de transport dont 38
Bogou et Nano. Tous ces villages qu’on boutiques/magasins, une gare routière
considère comme centres semi-urbains sont sommaire, et 86 km de routes dont 1 km de
pratiquement contigus alors que la préfecture route nationale et 30 km de routes inter-Etats.
est très étirée d’est en ouest. Du coup, se pose En revanche, aucun marché quotidien, aucune
la question d’accessibilité à ces centres par les station d’essence n’existe dans la préfecture.
populations des autres cantons pour bénéficier Il faut souligner pour ce qui concerne
des prestations de services divers. l’infrastructure routière que seule la route
On s’aperçoit en effet qu’en ce qui concerne nationale N°1 (RN1), qui traverse la préfecture
les structures sanitaires, seul Tandjoaré-centre sur seulement 1 km, est la seule voie revêtue.
dispose d’une polyclinique. Les investigations Elle draine la totalité des échanges interurbains
ont prouvé que cette polyclinique, censée avec Tandjoaré et les autres villes secondaires
répondre rapidement à certaines urgences dans de la région et du pays.
le ressort territorial de la préfecture ne répond Comme on peut l’apercevoir, la préfecture de
pas en raison notamment du sous équipement Tandjoaré n’est que sommairement dotée en
de son plateau technique. En exemple, pour infrastructures et équipements de base
une simple morsure de serpent, il est fréquent inégalement répartis dont l’accès est difficile
que la polyclinique ne dispose pas du sérum à une grande partie de la population en raison,
anti-venimeux (SAV) pour sauver la victime faut-il le rappeler, de l’état délabré des voies
qui pourrait facilement succomber si celle-ci de circulation ou de l’inexistence des services
vient des cantons périphériques comme organisés de transport.
Mamprougou ou Bagou car le temps de
transfèrement de la victime au CHR de 1.4. Les activités économiques dominées par
Dapaong peut être trop long à supporter. Il l’agriculture
existe par ailleurs des cantons (Bagou, Pligou, A près de 99% rurale, la population de
Bologou) qui ne disposent même pas de case Tandjoaré évolue à plus de 90% dans les
de santé alors que les routes menant au centre activités agricoles, 4% dans le commerce des
de santé le plus proche ne sont pas en bon état. produits agricoles et la restauration et le reste
La situation est aussi similaire pour les lycées dans les services divers notamment l’artisanat
et davantage cruciale pour les marchés. et les transports (Direction régionale du Plan et
Outre les infrastructures sus- évoquées, il n’est de l’Aménagement du Territoire, 2008).
pas superflu de signaler au passage l’existence Les principales cultures vivrières sont le maïs,
des infrastructures administratives le petit mil, le mil, le sorgho, le haricot,
notamment : un bureau de préfecture, siège de l’arachide, l’igname et le soja. Le coton reste
l’administration générale de toute la la seule culture industrielle comme partout
préfecture au chef-lieu de préfecture où se ailleurs dans la région. On peut compter dans
rencontre la totalité des services déconcentrés la préfecture, cent cinquante-huit (158)
de l’Etat au nombre de huit ; un bureau de la groupements de productions, quarante un (41)
mairie, vingt-neuf logements administratifs pour la commercialisation et six (6) pour la
publics, dix logements administratifs transformation.
appartenant aux privés, deux inspections
scolaires, deux recettes perception du trésor, Comme renseignements à retenir, il faut noter
un bureau de poste, un tribunal de 1ère instance que Tandjoaré est la deuxième préfecture,
et une affaire sociale. derrière Kpendjal, plus touchée par
l’insuffisance infrastructurelle constatée dans
A ces infrastructures administratives, viennent la Région des Savanes. Elle occupe cependant
s’ajouter les installations sécuritaires: une une position stratégique pour la région et le
brigade de gendarmerie, un camp de pays de par sa situation transfrontalière avec le
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AHOHO – Décembre 2015
Ghana où les phénomènes de contrebande et (REBOUHA F., 2010). Dès lors, le système de
de l’extraversion se développent (NANOINI transport et son efficacité se situent au cœur de
D., 2011). L’état de nombreuses routes la problématique de développement
presqu’impraticables et l’absence de économique du Togo en général et de
planification des transports posent par ailleurs Tandjoaré en particulier.
un problème énorme à la mobilité des La mobilité a pour soubassement les
populations dont la dispersion des habitats infrastructures routières, les moyens de
oblige à se retrouver parfois très loin des déplacement et les structures de gestion du
infrastructures de base. La section suivante se secteur des transports.
consacre donc à la présentation de l’état des
lieux des transports et la problématique de 2.1. Le réseau routier de Tandjoaré
l’accessibilité aux services de premières Le patrimoine routier de Tandjoaré se
nécessités. compose pour l’essentiel des routes en terre à
2. La question de la mobilité rurale à praticabilité permanente, des routes à
Tandjoaré, une mobilité marquée par la praticabilité temporaire, des pistes rurales à
marche peine carrossables sans ignorer une portion
d’environ 5 km de la RN1qui traverse le chef-
En considérant la mobilité des hommes et des lieu et Bombouaka et qui constitue la seule
biens comme une condition du développement, voie bitumée sur toute l’étendue de la
il n'y aura pas d'échanges commerciaux ni de préfecture (Carte no 3).
libre circulation des hommes et des biens sans
un système approprié de service de transport
Carte no3 : Les infrastructures routières de la Préfecture de Tandjoaré
Source : D’après les travaux cartographiques du 4eRGPH, 2010, modifiée par NANOINI D., 2011.
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Damitonou NANOINI
- le long de la RN1, les tronçons base, trois chefs-lieux de cantons sont choisis
Tandjoaré - Bombouaka ; Tandjoaré pour nos enquêtes : Mamprougue, Lokpano et
Natigou et Tandjoaré-Loko ; Boulogou.
- à l’est de la RN1 : Tandjoaré - Pligou et 2.2. Les modes de transport à Tandjoaré
Tandjoaré-Bologou. dominés par la marche à pied
La majorité de ces pistes sont dans un état de Les principaux moyens de déplacement des
délabrement qui impose des conditions populations de Tandjoaré sont : la marche à
difficiles de mobilité aux populations et par pied, les vélos, les motos, la traction animale
conséquent un accès difficile aux et quelques rares véhicules automobiles à 4
infrastructures de base pour la satisfaction de roues. Un détail de taille est le fait qu’on ne
leurs besoins primaires. rencontre aucune gare routière ni de station-
service dans toute la préfecture, preuve que le
Par ailleurs, on note l’absence de liaison
transport automobile y est encore très
directe entre certains cantons voisins
embryonnaire malgré la forte demande
notamment, Bagou - Mamprougue ;
potentielle qui s’y manifeste. En ce qui
Mamprougue -Tampialime ; Loko - Boulogou,
concerne la répartition modale des
ce qui est préjudiciable à la mobilité des
déplacements de notre échantillon d’étude, le
populations desdits cantons.
tableau no1 exprime les résultats de nos
Pour apprécier les conditions de mobilité des enquêtes.
populations et de leur accès aux services de
Tableau no1 : Répartition des enquêtés en fonction de leur mode de déplacement à
Tandjoaré
Mode Effectif Pourcentage (%)
Marche 80 53,30
Vélo 58 38,70
Voiture 0 0,00
Traction animale 2 1,30
Moto 10 6 ,70
Total 150 100,00
Source : Enquêtes de terrain, mars 2015.
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AHOHO – Décembre 2015
2.3.1. L’accès des populations aux marchés de la importantes du foyer. Les femmes constituent
préfecture et de la région pour ces derniers leurs « moyens de transport »
L’accès des populations aux marchés, lieux privilégiés. C’est ni plus ni moins une forme
par excellence d’échanges économiques (vente de chosification de la gent féminine à laquelle
des produits agricoles et approvisionnement en il faudra parvenir à mettre fin dans l’optique
produits manufacturés) et de création des liens de l’émancipation de la femme.
sociaux et d’amitié reste une des conditions Ce qui est surtout préoccupant, c’est la
indispensables à leur épanouissement. C’est là distance à parcourir à pied, charge sur la tête ;
que les ruraux s’informent des actualités et se des distances parfois considérables avec le
récréent à travers des retrouvailles dans des marché le plus proche : 22 km pour les
cabarets. populations du canton de Lopkano pour
La préfecture de Tandjoaré est caractérisée atteindre le marché de Nano, le plus proche ;
dans ce domaine, non seulement par 26 km pour celles de Sangou pour accéder au
l’insuffisance des marchés dynamiques mais même site. Nous avons estimé en général que
aussi et surtout par le caractère inaccessible de l’ensemble des populations de Tandjoaré
ceux qui existent à la majorité des populations parcourt en moyenne entre 15 et 20 km pour
rurales. Les manifestations visibles de cette accéder aux marchés préfectoraux. Cette
inaccessibilité s’aperçoivent à travers des situation n’est donc pas de nature à favoriser
difficultés de transport des marchandises à la réduction de l’extrême pauvreté dans cette
destination des marchés, les distances parfois préfecture et encore moins le développement
importantes qui séparent certaines populations tant énnoncé dans la plupart des discours
du marché le plus proche d’elles, les stratégies politiques. Le premier pas à poser pour y
ruineuses développées par ces populations arriver reste comme l’on peut s’en rendre
pour la vente de leurs produits agricoles et les compte, l’amélioration de la mobilité des
fréquences de fréquentation des marchés. populations si l’on s’accorde avec Cholez
qu’il faut « bouger pour s’en sortir »
Nous avons déjà signalé qu’il n’existe dans la (CHOLEZ C. et al., 2005).
préfecture de Tandjoaré aucune forme de
transport collectif. En conséquence, les Du fait donc que les populations n’ont pas des
populations rurales ne disposent d’aucun conditions minimum de mobilité requises,
moyen élaboré (si ce n’est la traction animale elles développent des stratégies que nous
dont l’usage n’est pas encore vulgarisé), pour qualifions de ruineuses pour écouler leurs
évacuer leurs produits agricoles notamment le produits agricoles. En effet, s’étant rendus
mil, le sorgho, le maïs, le haricot, le soja, etc. compte de cette situation, les commerçants de
de leurs maisons vers les marchés en vue de céréales des villes voisines de Dapaong,
leur commercialisation. Le port à tête Cinkanssé ou Mango sillonnent les villages
d’homme reste le principal moyen de transport parfois sur demande des paysans pendant les
et cette pénible tâche est souvent dévolue aux récoltes pour acheter et stocker sur place les
femmes. 80% des chefs de ménages interrogés produits agricoles à vil prix. Elles attendront la
affirment en effet, confier le transport et la saison sèche pour louer de gros véhicules qui
vente de leurs produits aux femmes. On se sert viennent transporter leurs marchandises pour
des femmes pour transporter et vendre mais on la ville. Dans les faits, très préoccupés par les
estime qu’elles ne peuvent pas participer aux récoltes (qui restent également à la charge des
achats des besoins courants du ménage ! Ce femmes) en septembre-octobre, et en l’absence
n’est qu’au retour de celles-ci que les hommes de moyens appropriés de transport, les paysans
entreprennent le déplacement sur le marché au se trouvent dans l’obligation de brader leurs
prochain tour avec de l’argent ramené par productions (Tableau no2) pour assurer la
leurs épouses pour effectuer les dépenses rentrée scolaire des enfants.
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Damitonou NANOINI
Tableau no2: Prix en bol de 2 kg de différents produits agricoles en fonction des lieux de
vente et des périodes
Prix en période de
Prix à la récolte sur Prix au marché
Produits soudure (mai -juillet)
place (en F CFA) (en F CFA
(en F CFA)
Maïs 150 250 350
Sorgho 200 275 400
Haricot 400 500 800
Soja 300 400 700
Mil 200 300 500
Sésame 500 600 1 000
Source : D’après les résultats de nos travaux de terrain, 2015.
A la lecture du tableau no2, on constate par les lycéens de chaque canton pour leurs
d’importantes variations des prix selon les besoins de formation peut être estimée à 18
lieux et les périodes. Lorsque les commerçants km. En conséquence, les élèves de la plupart
se déplacent jusqu’au village, ils économisent des cantons que nous qualifions de
entre 75 F et 100 F CFA par bol selon le périphériques notamment Mamprougue,
produit considéré. Ramené à une grande Lopkano, Doukpergou, Sangou, Tampialime,
quantité vendue par le paysan, le manque à Pligou, Boulogou et Loko se trouvent bien
gagner est énorme pour le paysan. Par obligés de louer dans les chefs-lieux des
exemple, pour un sac de 60 bols, le paysan cantons abritant les lycées, des chambres dont
perd en moyenne 6 000 F CFA sans oublier la les loyers mensuels dépassent rarement 2 000
falsification de l’instrument de mesure opérée F CFA. Or, la situation de pauvreté généralisée
par les commerçants pour agrandir la que nous venons de peindre précédemment ne
contenance des bols, ce qui relève d’une pure permet pas à de nombreux élèves de pouvoir
tricherie. Le paysan, bon gré mal gré accepte se loger. Logiquement, la déprise scolaire au
ces conditions parce qu’’il n’a pas les moyens profit de l’exode vers le Sud-Togo, le Ghana,
de déplacement pour effectuer la vente de ses le Nigéria, la Côte d’Ivoire voire la Libye
produits au marché en toute sérénité. devient leur première alternative. Vu ces
conditions, il convient de retenir que l’accès
A ces contraintes de transport s’ajoutent celles
aux lycées dans la préfecture de Tandjoaré
du stockage qui les obligent à tout brader avant
reste encore un des nombreux défis à relever
la période de mai-juillet durant laquelle les
pour lancer Tandjoaré dans la voie du
prix sont plus intéressants. Malheureusement,
développement humain, et par ricochet
pendant cette période, les paysans deviennent
économique et social.
plutôt la clientèle des commerçants de la ville
qui avaient acheté à vil prix auprès d’eux Si nous pensons qu’il est utopique pour
pendant les récoltes. N’ayant point d’argent l’heure de préconiser la création des lycées
pour en acheter, ces commerçants leurs dans chaque canton de la préfecture comme
imposent des conditions ruineuses. Il s’agit de c’est le cas par exemple dans la préfecture de
servir les paysans à crédit en échange des prix la Kozah dans la Région de la Kara ou dans le
en vigueur à la prochaine récolte. Ne disposant Kloto dans la Région des Plateaux, une des
plus de quoi nourrir leur famille, les paysans solutions pour améliorer l’accès aux lycées
sont contraints d’accepter ces conditions dans Tandjoaré serait la construction des
ruineuses entretenant un cercle vicieux de logements sociaux, si possible des cantines
pauvreté dans la préfecture. scolaires pour ces élèves « déshérités » des
2.3.2. La fréquentation des établissements cantons périphériques de notre aire de
secondaires du deuxième cycle recherche. Cette mesure qui pourrait être
élargie à toute la Région des Savanes, nous la
Tandjoaré dispose, comme tantôt signalé plus qualifions de mesure de discrimination
haut, de 3 lycées officiels : les lycées de Nano, positive en faveur des régions sinistrées, étant
de Tandjoaré-Centre et de Bombouaka et d’un donné que la région des Savanes est reconnue
lycée d’initiative communautaire à Yembour officiellement comme telle depuis 2007.
dans le canton de Tamongue créé seulement
depuis 2013. La distance moyenne à parcourir
52
AHOHO – Décembre 2015
2.3.3 Le difficile accès aux centres de santé dans parcourir de longs trajets et supporter des
Tandjoaré coûts d’opportunités élevées pour bénéficier
Une étude menée en 2005 par la Commission de ces soins. » (Union Africaine, 2005). Les
Economique de l’Union Africaine sur le populations de Tandjoaré n’échappent pas à
transport rural et la santé, révèle que « les cette donne. Evoquant en effet, les itinéraires
familles les plus pauvres en Afrique thérapeutiques des enquêtés et les raisons qui
subsaharienne sont les plus souvent éloignées motivent ces choix, le tableau no3 présente la
des établissements de soins et doivent du coup situation.
Tableau no3 : Itinéraires thérapeutiques des ménages de Tandjoaré
Itinéraires thérapeutiques Effectif Pourcentage
Soins modernes 18 12
Médecine traditionnelle 129 86
Autres 3 2
Total 150 100
Source : D’après les résultats de nos travaux de terrain, 2015.
Les données du tableau n°3 montrent que 86% de base notamment les marchés, les écoles et
des enquêtés utilisent la médecine les centres de soins y sont insuffisants et
traditionnelle pour leurs soins. Les raisons inégalement répartis mais aussi l’état
avancées pour expliquer cette situation défectueux des infrastructures routières ne
relèvent d’une part du manque de confiance favorise pas leur accès. L’absence des
des populations en ce qui concerne la qualité transports en commun et de toute structure
des soins reçus dans les centres de santé relevant des services de transport comme les
environnants et d’autre part les difficultés stations-services et les gares routières vient
d’accès à ces derniers. Sur des pistes rurales corser l’addition déjà lourde.
délabrées et en l’absence du transport
Cette courte contribution à la connaissance des
automobile, les populations, en cas de maladie,
conditions de mobilité rurale dans Tandjoaré a
se tournent vers l’automédication basée sur la
permis de relever les faits suivants:
médecine traditionnelle qui conduit le plus
souvent à de graves complications. C’est - les infrastructures routières de l’aire
seulement après que la plupart se décident à se d’investigation sont essentiellement des
rendre dans les dispensaires locaux où il pistes rurales en état défectueux ;
n’existe ni le personnel suffisamment qualifié - l’inexistence de liaisons directes entre
ni l’équipement adéquat pour la prise en certains cantons pourtant voisins ;
charge de ces cas compliqués. Les patients
sont dans ces conditions toujours transférés au - l’éloignement de nombreuses localités
Centre Hospitalier Régional (CHR) de des infrastructures de base ;
Dapaong. L’absence d’ambulance pour ces cas - la marche est le premier mode de
précis engendre le plus souvent le décès du transport des populations avec une
patient car le transport du malade dans des proportion de 53% devant le vélo et la
conditions pénibles contribue à son décès moto. Le transport en voiture relève
parfois avant même les premiers soins. encore du luxe ;
Conclusion - l’impact négatif des contraintes de
Tandjoaré, une des préfectures les plus mobilité sur l’éducation, l’économie
pauvres du Togo, connaît de nombreux locale et la santé des populations.
handicaps pour son développement. Parmi ces Eu égard à tout ce qui précède, nous avons
handicaps, les difficultés de mobilité des choisi de clore notre propos par un certain
populations majoritairement rurales viennent nombre de suggestions visant l’amélioration
au premier plan si l’on s’accorde avec des conditions de mobilité des populations de
CHOLEZ C. et al. (2005), que l’on ne peut Tandjoaré pour tenter de sortir cette préfecture
sortir de la pauvreté si l’on ne peut pas bouger de sa léthargie économique et sociale actuelle.
suffisamment et surtout aisément. Non Nous suggérons entre autres actions de
seulement les infrastructures socio-collectives développement, le bitumage des artères
53
Damitonou NANOINI
54
Àhכֿhכֿ
Àhכֿh כֿ: que signifie ce vocable et pourquoi l’avoir choisi pour désigner une revue scientifique ?
Le mot ahכֿh כֿprononcé àhכֿhכֿ, à ne pas confondre avec ahכֿhlõ, désigne en éwé le cerveau, au
propre et au figuré, et aussi la cervelle. Il appartient au champ analogique de súsú "pensée″,
"idée" ; anyásã " intelligence" " connaissance". Anyásã désigne également la bronche du
poisson.
Dans les textes bibliques, anyásã est mis en rapport synonymique avec núnya " savoir".
Mais pour exprimer le savoir scientifique, et la pensée profonde profane, on utiliserait Àhכֿhכֿ.
Voilà pourquoi le vocable a été retenu pour nommer cette Revue de Géographie que le
Laboratoire de Recherche sur la Dynamique des Milieux et des Sociétés (LARDYMES) du
Département de Géographie se propose de faire paraître annuellement.
La naissance de cette revue scientifique s’explique par le besoin pressant de pallier le déficit
d’organes de publication spécialisés en géographie dans les universités francophones de
l’Afrique subsaharienne.
Aujourd’hui, nous vivons dans un monde de concurrence et d’évaluation et le milieu de la
recherche scientifique n’est pas épargné par ce phénomène : certains pays africains à l’instar des
pays développés, évaluent la qualité de leurs universités et organismes de recherche, ainsi que
leurs chercheurs et enseignants universitaires sur la base de résultats mesurables et prennent des
décisions budgétaires en conséquence. Les publications scientifiques sont l’un de ces résultats
mesurables.
La publication des résultats de la recherche (ou la transmission de l’information ou du savoir est
la pierre angulaire du développement de la culture technologique de l’humanité depuis des
millénaires : depuis les peintures rupestres d’animaux (destinées peut-être à la formation des
futurs chasseurs ou à honorer un projet de chasse) en passant par les hiéroglyphes des Egyptiens
jusqu’aux dessins et écrits de Léonard de Vinci (les premiers rapports techniques). L’apparition
de techniques d’impression bon marché a induit une croissance explosive des publications, et
une certaine évaluation de la qualité était devenue nécessaire. Les sociétés savantes ont
commencé à critiquer les publications, qui étaient souvent sous forme manuscrite et lues en
public ; ce procédé est la version ancestrale de l’évaluation que nous pratiquons de nos jours.
Aujourd’hui, une publication électronique multimédia accessible par un hyperlien, comportant
un code exécutable et des données associées, peut être évaluée par toute personne au moyen d’un
commentaire en ligne.
Le fait d’extérioriser les concepts de l’esprit des chercheurs et enseignants universitaires, de les
consigner par écrit (avec les résultats et observations qui y sont associés), permet une
conservation posthume des travaux de ceux-ci et rend leurs résultats reproductibles et
diffusables. Certains estiment que cette « conservation externe de la mémoire » est le signe
distinctif de l’humanité.
C’est précisément pour parvenir à cette vision holistique de la recherche (et non seulement de ses
résultats, dont les plus évidents sont les publications, mais aussi de son contexte), que nous
éditons depuis 2007 la revue Ahכֿh כֿafin que chaque géographe trouve désormais un espace pour
diffuser les résultats de ses travaux de recherche et puisse se faire évaluer pour son inscription
sur les différentes listes d’aptitudes des grades académiques de son université.
Puisse sa parution être transmise au sein des enseignants et chercheurs du LARDYMES de
génération en génération.