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Lycée Jean Perrin de Lambersart – 1G4

La poésie
du XIXè siècle au XXIè siècle
Lycée Jean Perrin de Lambersart – 1G4

Victor Hugo, Les voix intérieures (1837), « À l'arc de triomphe », II, v. 1-24

II

Oh ! Paris est la cité mère !


Paris est le lieu solennel
Où le tourbillon éphémère
Tourne sur un centre éternel !
Paris ! feu sombre ou pure étoile !
Morne Isis couverte d’un voile !
Araignée à l’immense toile
Où se prennent les nations !
Fontaines d’urnes obsédée !
Mamelle sans cesse inondée
Où pour se nourrir de l’idée
Viennent les générations !

Quand Paris se met à l’ouvrage


Dans sa forge aux mille clameurs,
A tout peuple heureux, brave ou sage,
Il prend ses lois, ses dieux, ses mœurs.
Dans sa fournaise, pêle-mêle,
Il fond, transforme et renouvelle
Cette science universelle
Qu’il emprunte à tous les humains ;
Puis il rejette aux peuples blêmes
Leurs sceptres et leurs diadèmes,
Leurs préjugés et leurs systèmes,
Tout tordus par ses fortes mains !
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Théophile Gautier, Émaux et camées, « L' Obélisque de Paris » (1852) [passage commenté (en
gras) : vers 49-72]

L'obélisque de Paris

Sur cette place je m'ennuie, Le Nil, géant à barbe blanche


Obélisque dépareillé ; Coiffé de lotus et de joncs,
Neige, givre, bruine et pluie Versant de son urne qui penche
Glacent mon flanc déjà rouillé ; Des crocodiles pour goujons !

Et ma vieille aiguille, rougie Les chars d'or étoilés de nacre


Aux fournaises d'un ciel de feu, Des grands pharaons d'autrefois
Prend des pâleurs de nostalgie Rasaient mon bloc heurté du fiacre
Dans cet air qui n'est jamais bleu. Emportant le dernier des rois.

Devant les colosses moroses Jadis, devant ma pierre antique,


Et les pylônes de Luxor, Le pschent au front, les prêtres saints
Près de mon frère aux teintes roses Promenaient la bari mystique
Que ne suis-je debout encor, Aux emblèmes dorés et peints ;

Plongeant dans l'azur immuable Mais aujourd'hui, pilier profane


Mon pyramidion vermeil Entre deux fontaines campé,
Et de mon ombre, sur le sable, Je vois passer la courtisane
Écrivant les pas du soleil ! Se renversant dans son coupé.

Rhamsès, un jour mon bloc superbe, Je vois, de janvier à décembre,


Où l'éternité s'ébréchait, La procession des bourgeois,
Roula fauché comme un brin d'herbe, Les Solons qui vont à la chambre,
Et Paris s'en fit un hochet. Et les Arthurs qui vont au bois.

La sentinelle granitique, Oh ! dans cent ans quels laids squelettes


Gardienne des énormités, Fera ce peuple impie et fou,
Se dresse entre un faux temple antique Qui se couche sans bandelettes
Et la chambre des députés. Dans des cercueils que ferme un clou,

Sur l'échafaud de Louis seize, Et n'a pas même d'hypogées


Monolithe au sens aboli, A l'abri des corruptions,
On a mis mon secret, qui pèse Dortoirs où, par siècles rangées,
Le poids de cinq mille ans d'oubli. Plongent les générations !

Les moineaux francs souillent ma tête, Sol sacré des hiéroglyphes


Où s'abattaient dans leur essor Et des secrets sacerdotaux,
L'ibis rose et le gypaëte Où les sphinx s'aiguisent les griffes
Au blanc plumage, aux serres d'or. Sur les angles des piédestaux ;

La Seine, noir égout des rues, Où sous le pied sonne la crypte,


Fleuve immonde fait de ruisseaux, Où l'épervier couve son nid,
Salit mon pied, que dans ses crues Je te pleure, ô ma vieille Égypte,
Baisait le Nil, père des eaux, Avec des larmes de granit !
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Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Les Aveugles »

Les aveugles

Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !


Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules,
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,


Comme s'ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,


Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,


Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?
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Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Le Soleil »

LE SOLEIL

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures


Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis long-temps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,


Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes,


Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
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Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « L'Aube spirituelle »

L'aube spirituelle
Quand chez les débauchés l'aube blanche et vermeille
Entre en société de l'Idéal rongeur,
Par l'opération d'un mystère vengeur
Dans la brute assoupie un ange se réveille.

Des Cieux Spirituels l'inaccessible azur,


Pour l'homme terrassé qui rêve encore et souffre,
S'ouvre et s'enfonce avec l'attirance du gouffre.
Ainsi, chère Déesse, Être lucide et pur,

Sur les débris fumeux des stupides orgies


Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,
A mes yeux agrandis voltige incessamment.

Le soleil a noirci la flamme des bougies ;


Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,
Ame resplendissante, à l'immortel soleil !
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Le roman et le récit
du moyen âge au XXIè siècle
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J.-J. Rousseau, Les Confessions (1782), Livre deuxième

Dans le livre I de ses Confessions, Rousseau avait évoqué les premières années de son enfance, qui
l'ont vu passer de tuteur en tuteur avec de plus en plus de difficultés. Le livre II est marqué par son
départ de sa Suisse natale. Rousseau a alors seize ans. Emerveillé par la beauté de Madame de
Warens qui le recueille et le convainc de se convertir au catholicisme, il est finalement envoyé à
Turin, dans un hospice pour catéchumènes. Il est accompagné dans son voyage par M. Sabran,
«  manant » rencontré chez Madame de Warens, et son épouse.

Je m'acheminais gaiement avec mon dévot guide et sa sémillante compagne. Nul accident ne troubla
mon voyage ; j'étais dans la plus heureuse situation de corps et d'esprit où j'aie été de mes jours.
Jeune, vigoureux, plein de santé, de sécurité, de confiance en moi et aux autres, j'étais dans ce court,
mais précieux moment de la vie, où sa plénitude expansive étend pour ainsi dire notre être par
toutes nos sensations, et embellit à nos yeux la nature entière du charme de notre existence. Ma
douce inquiétude avait un objet qui la rendait moins errante et fixait mon imagination. Je me
regardais comme l'ouvrage, l'élève, l'ami, presque l'amant de Mme de Warens. Les choses
obligeantes qu'elle m'avait dites, les petites caresses qu'elle m'avait faites, l'intérêt si tendre qu'elle
avait paru prendre à moi, ses regards charmants, qui me semblaient pleins d'amour parce qu'ils m'en
inspiraient, tout cela nourrissait mes idées durant la marche, et me faisait rêver délicieusement.
Nulle crainte, nul doute sur mon sort ne troublait ces rêveries. M'envoyer à Turin, c'était, selon moi,
s'engager à m'y faire vivre, à m'y placer convenablement. Je n'avais plus de souci sur moi-même ;
d'autres s'étaient chargés de ce soin. Ainsi je marchais légèrement, allégé de ce poids ; les jeunes
désirs, l'espoir enchanteur, les brillants projets remplissaient mon âme. Tous les objets que je voyais
me semblaient les garants de ma prochaine félicité. Dans les maisons j'imaginais des festins
rustiques ; dans les prés, de folâtres jeux ; les long des eaux, des bains, des promenades, la pêche ;
sur les arbres, des fruits délicieux ; sous leurs ombres, de voluptueux tête-à-tête ; sur les montagnes,
des cuves de lait et de crème, une oisiveté charmante, la paix, la simplicité, le plaisir d'aller sans
savoir où. Enfin rien ne frappait mes yeux sans porter à mon coeur quelque attrait de jouissance. La
grandeur, la variété, la beauté réelle du spectacle rendait cet attrait digne de raison ; la vanité même
y mêlait sa pointe. Si jeune, aller en Italie , avoir déjà vu tant de pays, suivre Annibal à travers les
monts me paraissait une gloire au-dessus de mon âge. Joignez à tout cela les rations fréquentes et
bonnes, un grand appétit et de quoi s'en contenter ; car en vérité ce n'était pas la peine de m'en faire
faute, et sur le dîner de M. Sabran, le mien ne paraissait pas.
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F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-tombe (1849), Livre I, chapitre VI

Commencés en 1803, rédigés principalement de 1811 à 1822, et achevés de 1830 à 1841 , les
Mémoires d'Outre-tombe sont l'oeuvre majeure de Chateaubriand. Enfant, le jeune François-René
habite Saint-Malo avec sa mère et ses soeurs, tandis que son père vit au château de Combourg,
qu'il avait décidé de réinvestir après des années de semi-abandon. C'est cet endroit que la famille
rejoint en 1877, alors que François-René a 18 ans, après que leur demeure de Saint-Malo a pris
feu.

M. de Chateaubriand, retiré dans son château, appela sa femme près de lui : il fallut le rejoindre au
printemps. Le printemps, en Bretagne, est plus doux qu'aux environs de Paris, et fleurit trois
semaines plus tôt. Les cinq oiseaux qui l'annoncent, l'hirondelle, le loriot, le coucou, la caille et le
rossignol, arrivent avec des brises qui hébergent dans les golfes de la péninsule armoricaine. La
terre se couvre de marguerites, de pensées, de narcisses, d'hyacinthes, de renoncules, d'anémones,
comme les espaces abandonnés qui environnent Saint-Jean de Latran et Sainte-Croix-de-Jérusalem,
à Rome. Des clairières se panachent d'élégantes et hautes fougères ; des champs de genêts et
d'ajoncs resplendissent de leurs fleurs qu'on prendrait pour des papillons d'or. Les haies, au long
desquelles abondent la fraise, la framboise et la violette, sont décorées d'aubépine, de chèvrefeuille,
de ronces dont les rejets bruns et courbés portent des feuilles et des fruits magnifiques. Tout
fourmille d'abeilles et d'oiseaux ; les essaims et les nids arrêtent les enfants à chaque pas. Dans
certains abris, le myrte et le laurier-rose croissent en pleine terre, comme en Grèce ; la figue mûrit
comme en Provence : chaque pommier, avec ses fleurs carminées ressemble à un gros bouquet de
fiancée de village.
Au douzième siècle, les cantons de Fougères, Rennes, Bécherel, Dinan, Saint-Malo et Dol, étaient
occupés par la forêt de Bréchéliant : elle avait servi de champ de bataille aux Francs et aux peuples
de la Dommonée. Wace y raconte qu'on y voyait l'homme sauvage, la fontaine de Barenton et un
bassin d'or. Un document historique du quinzième siècle, les Usements et coutumes de la forêt de
Brécilien, confirme le roman de Rou : elle est, disent les Usements, de grande et spacieuse
étendue ; « il y a quatre châteaux, fort grand nombre de beaux étangs, belles chasses où n'habitent
aucune bêtes vénéneuses, ni nulles mouches, deux cents futaies, autant de fontaines nommément la
fontaine de Bélenton, auprès de laquelle le chevalier Pontus fit ses armes. »
Aujourd'hui, le pays conserve les traits de son origine : entrecoupé de fossés boisés, il a de loin l'air
d'une forêt et rappelle l'Angleterre : c'était le séjour des fées, et vous allez voir qu'en effet j'y ai
rencontré ma sylphide. Des vallons étroits sont arrosés par de petites rivières non navigables. Ces
vallons sont séparés par des landes et par des cépées de houx. Sur les côtes, se succèdent phares,
vigies, dolmens, constructions romaines, ruines de châteaux du moyen âge, clochers de la
renaissance : la mer borde le tout. Pline dit de la Bretagne : Péninsule spectatrice de l'Océan.
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Colette, Les Vrilles de la vigne, « Printemps de la Riviera » (p.279-280)

Beau midi, tu me plais, mais je ne t'aime pas. Tu me séduis parce que tu brilles, parce que ton soleil
irrésistible chauffe mes épaules d'une caresse rude, me rend plus active qu'un lézard qui court en
rond sur une pierre chaude, et joue sur la mer qui s'anime et pâlit à son gré… Mais je ne t'aime pas.
Tu fleuris, Midi trompeur, Midi empressé, et ta jonquille, ta violette, ton amandier rosé n'attendent
pas le vrai printemps, – mais qu'ai-je à faire de fleurs sans feuilles, sans leurs feuilles tendres,
enroulées en cornet et pointues comme deux petites oreilles de faune ?… L'herbe, sur tes pentes,
verdit, mais pique et ne saigne pas quand je l'écrase, ce sang pâle et sucré dont le parfum grise…
Tes verdures éternelles, palmiers et cactus, aloès et rosiers hivernants, blessent la main, déchirent la
robe… Enfin, Midi menteur, tu fleuris et n'embaumes pas. Vraiment, sous le banal parfum de tes
fleurs, mon âme forestière quémande ici l'odeur même de la terre, la souveraine odeur du sol vivant,
fertile, humide… Le geste amoureux qui me penche, narines ouvertes, vers un pré arrosé de pluie
tiède, n'a point ici sa récompense ; et tu n'es que poudre blanche et que rocs fleuris.
Il y a moins de printemps parmi ces roses, sous ces orangers lumineux d'oranges mûres, que dans un
seul jour de dégel, là-bas, en mon pays aux collines voilées !… Joli Midi menteur, je donnerais
toutes tes roses, toute ta lumière, tous tes fruits, – pour un tiède et frais après-midi de février où,
dans le pays que j'aime, la neige bleuâtre fond lentement à l'ombre des haies et découvre, brin à
brin, le jeune blé raide, d'un vert émouvant… Sur l'épine encore noire, un merle verni glougloute
mélodieusement, égoutte des notes limpides et rondes, – et le parfum de la terre délivrée, l'arôme
sûr qui monte du tapis de feuilles mortes macérées quatre mois, triturées par le gel et la pluie,
emplissent mon coeur de l'amer et incomparable bonheur printanier…
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Colette, Sido, pages 60-61

Elle refusait régulièrement aussi de prêter géraniums doubles, pélargoniums, lobélias, rosiers nains
et reines-des-prés aux reposoirs de la Fête-Dieu, car elle s'écartait – baptisée, mariée à l'église – des
puérilités et des fastes catholiques. J'obtins d'elle la permission de suivre le catéchisme entre onze et
douze ans, et les cantiques du « Salut ».
Le premier mai, comme mes camarades de catéchisme, je couchai le lilas, la camomille et la rose
devant l'autel de la Vierge, et je revins fière de montrer un « bouquet béni ». Ma mère rit de son rire
irrévérencieux, regarda ma gerbe qui attirait les hannetons au salon jusque sous la lampe :
- Crois-tu qu'il ne l'était pas, déjà, avant ?
Je ne sais d'où lui venait son éloignement de tout culte. J'aurais dû m'en enquérir. Mes biographes,
que je renseigne peu, tantôt la peignent sous les traits d'une rustique fermière, tantôt la traitent de
« bohème fantaisiste ». L'un d'eux, à ma stupeur, va jusqu'à l'accuser d'avoir écrit des œuvrettes
littéraires destinées à la jeunesse !
Au vrai, cette Française vécut son enfance dans l'Yonne,son adolescence parmi des peintres, des
journalistes, des virtuoses de la musique, en Belgique, où s'étaient fixés ses deux frères aînés, puis
elle revint dans l'Yonne et s'y maria, deux fois. D'où, de qui lui furent remis sa rurale sensibilité, son
goût fin de la province ? Je ne saurais le dire. Je la chante, de mon mieux. Je célèbre la clarté
originelle qui, en elle, refoulait, éteignait souvent les petites lumières péniblement allumées au
contact de ce qu'elle nommait « le commun des mortels ».
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Colette, Les Vrilles de la vigne, « De quoi est-ce qu'on a l'air » (p.217-218)

-Levez-vous tard. Ou bien vous perdrez votre beauté, mon petit.


Elle me regarde, étonnée :
- Me lever tard ? Vous en parlez à votre aise. Et la maison ? Et les ordres à donner ? Et les comptes
des fournisseurs ? Et tout et tout !… Et la femme de chambre qui frappe à ma porte vingt-cinq fois !
- Tirez le verrou, et dites qu'on vous fiche la paix.
- Mais je ne peux pas ! Rien ne marcherait plus chez moi ; ce serait le coulage, le vol organisé…
Tirer le verrou ! Je pense à la figure que ferait, derrière la porte, mon gros maître d'hôtel qui
ressemble à Jean de Bonnefon … De quoi est-ce que j'aurais l'air ?
- Je ne sais pas, moi… D'une femme qui se repose…
- Facile à dire…, soupire-t-elle dans un bâillement nerveux. Vous pouvez vous payer ça, vous qui
êtes… qui êtes…
- En marge de la société…
Elle rit de tout son coeur, soudain rajeunie… Puis mélancolique :
- Eh oui, vous le pouvez. Nous autres, on ne nous le permet pas.
Nous autres… Pluriel mystérieux, franc-maçonnerie imposante de celles que le monde hypnotise,
surmène et discipline… Un abîme sépare cette jeune femme assise, en costume tailleur gris, de cette
autre femme couchée sur le ventre, les poings au menton. Je savoure, silencieuse, mon enviable
infériorité.

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