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La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

1. Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1861, « Une Charogne » (XXIX), p. 58-59

1 Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon Derrière les rochers une chienne inquiète
âme, Nous regardait d'un œil fâché,
Ce beau matin d'été si doux : 35 Épiant le moment de reprendre au squelette
Au détour d'un sentier une charogne infâme Le morceau qu'elle avait lâché.
Sur un lit semé de cailloux,
- Et pourtant vous serez semblable à cette
5 Les jambes en l'air, comme une femme ordure,
lubrique, À cette horrible infection,
Brûlante et suant les poisons, Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique 40 Vous, mon ange et ma passion !
Son ventre plein d'exhalaisons.
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Après les derniers sacrements,
10 Comme afin de la cuire à point, Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons
Et de rendre au centuple à la grande Nature grasses,
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ; Moisir parmi les ossements.

Et le ciel regardait la carcasse superbe 45 Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine


Comme une fleur s'épanouir. Qui vous mangera de baisers,
15 La puanteur était si forte, que sur l'herbe Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
Vous crûtes vous évanouir. De mes amours décomposés !

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre


putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
20 Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une


vague
Ou s'élançait en pétillant
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle
vague,
Vivait en se multipliant.
25 Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement
rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un


rêve,
30 Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

© Lycée Xavier Marmier / Pontarlier – 1e1 – 2022-2023


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La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
2. Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1861, « Le soleil » (LXXXVII), p. 142

1 Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures


Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
5 Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,


10 Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
15 Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes,


Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
20 Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

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La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
3. Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1861 « Le voyage » (CXXVI - Partie VI), p. 218-219

" Ô cerveaux enfantins !


85 Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,


90 Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût ;
L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout ;

Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;


La fête qu'assaisonne et parfume le sang ;
95 Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

Plusieurs religions semblables à la nôtre,


Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
100 Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;

L'Humanité bavarde, ivre de son génie,


Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
" Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! "

105 Et les moins sots, hardis amants de la Démence,


Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l'opium immense !
- Tel est du globe entier l'éternel bulletin. "

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La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
1. Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, 1842, « L’Alchimiste »

L'Alchimiste
Rien encore ! — Et vainement ai-je feuilleté pendant trois jours et trois nuits, aux blafardes
lueurs de la lampe, les livres hermétiques1 de Raymond Lulle2.
Non, rien, si ce n’est, avec le sifflement de la cornue étincelante, les rires moqueurs d’un
salamandre3 qui se fait un jeu de troubler mes méditations.
Tantôt il attache un pétard à un poil de ma barbe, tantôt il me décoche de son arbalète un trait
de feu dans mon manteau.
Ou bien fourbit-il son armure, c’est alors la cendre du fourneau qui souffle sur les pages de
mon formulaire4 et sur l’encre de mon écritoire.
Et la cornue5 toujours plus étincelante siffle le même air que le diable, quand saint Eloy6 lui
tenaille le nez dans sa forge.
Mais rien encore ! — Et pendant trois autres jours et trois autres nuits je feuilletterai, aux
blafardes lueurs de la lampe, les livres hermétiques de Raymond Lulle !

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La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
2. Jacques Reda, Retour au calme, 1989, « La Bicyclette »

1 Passant dans la rue un dimanche à six heures, soudain,


Au bout d'un corridor fermé de vitres en losange,
On voit un torrent de soleil qui roule entre des branches
Et se pulvérise à travers les feuilles d'un jardin,
5 Avec des éclats palpitants au milieu du pavage
Et des gouttes d'or — en suspens aux rayons d'un vélo.
C'est un grand vélo noir, de proportions parfaites,
Qui touche à peine au mur. Il a la grâce d'une bête
En éveil dans sa fixité calme : c'est un oiseau.
10 La rue est vide. Le jardin continue en silence
De déverser à flots ce feu vert et doré qui danse
Pieds nus, à petits pas légers sur le froid du carreau.
Parfois un chien aboie ainsi qu'aux abords d'un village.
On pense à des murs écroulés, à des bois, des étangs.
15 La bicyclette vibre alors, on dirait qu'elle entend.
Et voudrait-on s'en emparer, puisque rien ne l'entrave,
On devine qu'avant d'avoir effleuré le guidon
Éblouissant, on la verrait s'enlever d'un seul bond
À travers le vitrage à demi noyé qui chancelle,
20 Et lancer dans le feu du soir les grappes d'étincelles
Qui font à présent de ses roues deux astres en fusion.

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
1. Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831, Chapitre 1, p. 49-50
Le pacte entre Raphaël et la peau

1 Ceci, dit-il d’une voix éclatante en montrant la Peau de chagrin, est le pouvoir et
le vouloir réunis. Là sont vos idées sociales, vos désirs excessifs, vos intempérances, vos joies
qui tuent, vos douleurs qui font trop vivre ; car le mal n’est peut-être qu’un violent plaisir. Qui
pourrait déterminer le point où la volupté devient un mal et celui où le mal est encore la
5 volupté ? Les plus vives lumières du monde idéal ne caressent-elles pas la vue, tandis que les
plus douces ténèbres du monde physique la blessent toujours ; le mot de Sagesse ne vient-il
pas de savoir ? et qu’est-ce que la folie, sinon l’excès d’un vouloir ou d’un pouvoir ?
[— Eh ! bien, oui, je veux vivre avec excès, dit l’inconnu en saisissant la Peau de chagrin.
— Jeune homme, prenez garde, s’écria le vieillard avec une incroyable vivacité.
10 — J’avais résolu ma vie par l’étude et par la pensée ; mais elles ne m’ont même pas nourri,
répliqua l’inconnu. Je ne veux être la dupe ni d’une prédication digne de Swedenborg, ni de
votre amulette oriental, ni des charitables efforts que vous faites, monsieur, pour me retenir
dans un monde où mon existence est désormais impossible. Voyons ! ajouta-t-il en serrant le
talisman d’une main convulsive et regardant le vieillard. Je veux un dîner royalement splendide,
15 quelque bacchanale digne du siècle où tout s’est, dit-on, perfectionné ! Que mes convives soient
jeunes, spirituels et sans préjugés, joyeux jusqu’à la folie ! Que les vins se succèdent toujours
plus incisifs, plus pétillants, et soient de force à nous enivrer pour trois jours ! Que la nuit soit
parée de femmes ardentes ! Je veux que la Débauche en délire et rugissante nous emporte
dans son char à quatre chevaux, par-delà les bornes du monde, pour nous verser sur des plages
20 inconnues : que les âmes montent dans les cieux ou se plongent dans la boue, je ne sais si
alors elles s’élèvent ou s’abaissent ; peu m’importe ! Donc je commande à ce pouvoir sinistre
de me fondre toutes les joies dans une joie. Oui, j’ai besoin d’embrasser les plaisirs du ciel et
de la terre dans une dernière étreinte pour en mourir.

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
2. Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831, Chapitre 2, p. 187-188
L’action fantastique de la peau : désir et mort

1 Rendu à toute sa raison par la brusque obéissance du sort, Raphaël étendit promptement sur la table
la serviette avec laquelle il avait mesuré naguère la Peau de chagrin. Sans rien écouter, il y superposa
le talisman, et frissonna violemment en voyant une assez grande distance entre le contour tracé sur le
linge et celui de la Peau.
5 « Hé bien ! qu’a-t-il donc ? s’écria Taillefer, il a sa fortune à bon compte.
— Soutiens-le, Châtillon, dit Bixiou à Émile, la joie va le tuer. »

Une horrible pâleur dessina tous les muscles de la figure flétrie de cet héritier : ses traits se
contractèrent, les saillies de son visage blanchirent, les creux devinrent sombres, le masque fut livide,
et les yeux se fixèrent. Il voyait la MORT. Ce banquier splendide entouré de courtisanes fanées, de
10 visages rassasiés, cette agonie de la joie, était une vivante image de sa vie. Raphaël regarda trois fois
le talisman qui se jouait à l’aise dans les impitoyables lignes imprimées sur la serviette : il essayait de
douter, mais un clair pressentiment anéantissait son incrédulité. Le monde lui appartenait, il pouvait
tout et ne voulait plus rien. Comme un voyageur au milieu du désert, il avait un peu d’eau pour la soif
et devait mesurer sa vie au nombre des gorgées. Il voyait ce que chaque désir devait lui coûter de jours.
15 Puis il croyait à la Peau de chagrin, il s’écoutait respirer, il se sentait déjà malade, il se
demandait : Ne suis-je pas pulmonique ? Ma mère n’est-elle pas morte de la poitrine ?

« Ah ! ah ! Raphaël, vous allez bien vous amuser ! Que me donnerez-vous ? disait Aquilina.
— Buvons à la mort de son oncle, le major Martin O’Flaharty ! Voilà un homme.
— Il sera pair de France.
20 — Bah ! qu’est-ce qu’un pair de France après Juillet ? dit le jugeur.
— Auras-tu loge aux Bouffons ?
— J’espère que vous nous régalerez tous, dit Bixiou.
— Un homme comme lui sait faire grandement les choses », dit Émile.] [2]
Le hourra de cette assemblée rieuse résonnait aux oreilles de Valentin sans qu’il pût saisir le sens
25 d’un seul mot ; il pensait vaguement à l’existence mécanique et sans désirs d’un paysan de Bretagne,
chargé d’enfants, labourant son champ, mangeant du sarrazin, buvant du cidre à même son piché,
croyant à la Vierge et au roi, communiant à Pâques, dansant le dimanche sur une pelouse verte et ne
comprenant pas le sermon de son recteur. Le spectacle offert en ce moment à ses regards, ces lambris
dorés, ces courtisanes, ce repas, ce luxe, le prenaient à la gorge et le faisaient tousser.

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
3. Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831, Chapitre 3, p. 279-280
L’accomplissement du destin de Raphaël

1 Raphaël tira de dessous son chevet le lambeau de la Peau de chagrin, fragile et petit comme la
feuille d’une pervenche, et le lui montrant : Pauline, belle image de ma belle vie, disons-nous adieu,
dit-il.
- Adieu ? répéta-t-elle d’un air surpris.
5 - Oui. Ceci est un talisman qui accomplit mes désirs, et représente ma vie. Vois ce qu’il m’en
reste. Si tu me regardes encore, je vais mourir… »
La jeune fille crut Valentin devenu fou, elle prit le talisman, et alla chercher la lampe. Éclairée
par la lueur vacillante qui se projetait également sur Raphaël et sur le talisman, elle examina très
attentivement et le visage de son amant et la dernière parcelle de la Peau magique. En la voyant belle
10 de terreur et d’amour, il ne fut plus maître de sa pensée : les souvenirs des scènes caressantes et
des joies délirantes de sa passion triomphèrent dans son âme depuis longtemps endormie, et s’y
réveillèrent comme un foyer mal éteint.
« Pauline, viens ! Pauline ! »
Un cri terrible sortit du gosier de la jeune fille, ses yeux se dilatèrent, ses sourcils violemment
15 tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec horreur, elle lisait dans les yeux de Raphaël un de ces
désirs furieux, jadis sa gloire à elle ; et à mesure que grandissait ce désir, la Peau en se contractant,
lui chatouillait la main. Sans réfléchir, elle s’enfuit dans le salon voisin dont elle ferma la porte.
« Pauline ! Pauline ! cria le moribond en courant après elle, je t’aime, je t’adore, je te veux !
Je te maudis, si tu ne m’ouvres ! Je veux mourir à toi ! »
20 Par une force singulière, dernier éclat de vie, il jeta la porte à terre, et vit sa maîtresse à demi
nue se roulant sur un canapé. Pauline avait tenté vainement de se déchirer le sein, et pour se donner
une prompte mort, elle cherchait à s’étrangler avec son châle. « Si je meurs, il vivra ! » disait-elle en
tâchant vainement de serrer le nœud. Ses cheveux étaient épars, ses épaules nues, ses vêtements
en désordre, et dans cette lutte avec la mort, les yeux en pleurs, le visage enflammé, se tordant sous
25 un horrible désespoir, elle présentait à Raphaël, ivre d’amour, mille beautés qui augmentèrent son
délire ; il se jeta sur elle avec la légèreté d’un oiseau de proie, brisa le châle, et voulut la prendre
dans ses bras.
Le moribond chercha des paroles pour exprimer le désir qui dévorait toutes ses forces ; mais
il ne trouva que les sons étranglés du râle dans sa poitrine, dont chaque respiration creusée plus
30 avant, semblait partir de ses entrailles. Enfin, ne pouvant bientôt plus former de sons, il mordit Pauline
au sein. Jonathas se présenta tout épouvanté des cris qu’il entendait, et tenta d’arracher à la jeune
fille le cadavre sur lequel elle s’était accroupie dans un coin.
- Que demandez-vous ! dit-elle. Il est à moi, je l’ai tué, ne l’avais-je pas prédit !

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
1. Stendhal, Le Rouge et le noir, 1830, 1ère partie, Chapitre X
La destinée de Julien

1 Julien prenait haleine un instant à l’ombre de ces grandes roches, et puis se


remettait à monter. Bientôt par un étroit sentier à peine marqué et qui sert seulement
aux gardiens des chèvres, il se trouva debout sur un roc immense et bien sûr d’être
séparé de tous les hommes. Cette position physique le fit sourire, elle lui peignait la
5 position qu’il brûlait d’atteindre au moral. L’air pur de ces montagnes élevées
communiqua la sérénité et même la joie à son âme. Le maire de Verrières était bien
toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de tous les insolents de la
terre ; mais Julien sentait que la haine qui venait de l’agiter, malgré la violence de ses
mouvements, n’avait rien de personnel. S’il eût cessé de voir M. de Rênal, en huit jours
10 il l’eût oublié, lui, son château, ses chiens, ses enfants et toute sa famille. Je l’ai forcé,
je ne sais comment, à faire le plus grand sacrifice. Quoi ! plus de cinquante écus par
an ! un instant auparavant je m’étais tiré du plus grand danger. Voilà deux victoires
en un jour ; la seconde est sans mérite, il faudrait en deviner le comment. Mais à
demain les pénibles recherches.
15 Julien, debout sur son grand rocher, regardait le ciel, embrasé par un soleil d’août.
Les cigales chantaient dans le champ au-dessous du rocher, quand elles se taisaient
tout était silence autour de lui. Il voyait à ses pieds vingt lieues de pays. Quelque
épervier parti des grandes roches au-dessus de sa tête était aperçu par lui, de temps
à autre, décrivant en silence ses cercles immenses. L’œil de Julien suivait
20 machinalement l’oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles et puissants le
frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement.
C’était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne ?

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Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
2. Marcel Proust, Du côté de chez Swann, À la recherche du temps perdu, 1913
Quand la jalouse s’en mêle

1 Sur le point de frapper contre les volets, il eut un moment de honte en pensant qu'Odette
allait savoir qu'il avait eu des soupçons, qu'il était revenu, qu'il s'était posté dans la rue. Elle
lui avait dit souvent l'horreur qu'elle avait des jaloux, des amants qui espionnent. Ce qu'il
fallait faire était bien maladroit et elle allait le détester désormais, tandis qu'en ce moment
encore, tant qu'il n'avait pas frappé, peut-être, même en le trompant, l'aimait-elle. Que de
5
bonheurs possibles dont on sacrifie ainsi la réalisation à l'impatience d'un plaisir immédiat !
Mais le désir de connaître la vérité était plus fort et lui sembla plus noble. Il savait que la
réalité de circonstances qu'il eût donné sa vie pour restituer exactement, était lisible derrière
cette fenêtre striée de lumière, comme sous la couverture enluminée d'or d'un de ces
manuscrits précieux à la richesse artistique elle-même desquels le savant qui les consulte ne
10
peut rester indifférent. Il éprouvait une volupté à connaître la vérité qui le passionnait dans
cet exemplaire unique, éphémère et précieux, d'une matière translucide, si chaude et si belle.
Et puis l'avantage qu'il se sentait - qu'il avait tant besoin de se sentir - sur eux, était peut-
être moins de savoir, que de pouvoir leur montrer qu'il savait. Il se haussa sur la pointe des
pieds. Il frappa. On n'avait pas entendu, il refrappa plus fort, la conversation s'arrêta. Une
15
voix d'homme dont il chercha à distinguer auquel de ceux des amis d'Odette qu'il connaissait
elle pouvait appartenir demanda :
- Qui est là ?
Il n'était pas sûr de la reconnaître. Il frappa encore une fois. On ouvrit la fenêtre, puis les
20 volets. Maintenant, il n'y avait plus moyen de reculer et, puisqu'elle allait tout savoir, pour ne
pas avoir l'air trop malheureux, trop jaloux et curieux, il se contenta de crier d'un air négligent
et gai :
- Ne vous dérangez pas, je passais pas là, j'ai vu de la lumière, j'ai voulu savoir si vous n'étiez
plus souffrante.
25 Il regarda. Devant lui, deux vieux messieurs étaient à la fenêtre, l'un tenant une lampe, et
alors, il vit une chambre, une chambre inconnue. Ayant l'habitude, quand il venait chez
Odette très tard, de reconnaître sa fenêtre à ce que c'était la seule éclairée entre les fenêtres
toutes pareilles, il s'était trompé et avait frappé à la fenêtre suivante qui appartenait à la
maison voisine.

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Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
1. Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, 1999, Prologue, p. 51-52

PROLOGUE
1 LOUIS. ─ Plus tard‚ l’année d’après
─ j’allais mourir à mon tour –
j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge
que je mourrai‚
5 l’année d’après‚
de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à
tricher‚ à ne plus savoir‚
de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚
l’année d’après‚
10 comme on ose bouger parfois‚
à peine‚
devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir
faire de bruit ou commettre un geste trop violent qui
réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚
15 l’année d’après‚
malgré tout‚
la peur‚
prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚
malgré tout‚
20 l’année d’après‚
je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller
sur mes traces et faire le voyage‚
pour annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision
─ ce que je crois ─
25 lentement‚ calmement‚ d’une manière posée
─ et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout
précisément‚ n’ai-je pas toujours été un homme posé ?,
pour annoncer‚
dire‚
30 seulement dire‚
ma mort prochaine et irrémédiable‚
l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚
et paraître
─ peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en
35 toutes circonstances et depuis le plus loin que j’ose me
souvenir ─
et paraître pouvoir là encore décider‚
me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚
toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je ne connais pas (trop
40 tard et tant pis)‚
me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion
d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette
extrémité‚ mon propre maître.

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Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
2. Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, 1999, Première partie, Scène 1, p. 53-54

1 SUZANNE. ─ C’est Catherine.


Elle est Catherine.
Catherine c’est Louis.
Voilà Louis.
5 Catherine.
ANTOINE. ─ Suzanne, s’il te plaît, tu le laisses avancer, laisse-le avancer.
CATHERINE. ─ Elle est contente.
ANTOINE. ─ On dirait un épagneul.
LA MÈRE. ─ Ne me dis pas ça, ce que je viens d’entendre, c’est vrai, j’oubliais, ne me
10 dites pas ça, ils ne se connaissent pas.
Louis tu ne connais pas Catherine ? Tu ne dis pas ça, vous ne vous connaissez pas, jamais
rencontrés, jamais ?
ANTOINE. ─ Comment veux-tu ? Tu sais très bien.
LOUIS. ─ Je suis très content.
15 CATHERINE. ─ Oui, moi aussi, bien sûr, moi aussi.
Catherine.
SUZANNE. ─Tu lui serres la main ?
LOUIS. Louis.
Suzanne l’a dit, elle vient de le dire.
20 SUZANNE. ─ Tu lui serres la main, il lui serre la main. Tu ne vas
tout de même pas lui serrer la main ? Ils ne vont pas se serrer
la main, on dirait des étrangers.
Il ne change pas, je le voyais tout à fait ainsi,
tu ne changes pas,
25 il ne change pas, comme ça que je l’imagine, il ne change
pas, Louis,
et avec elle, Catherine, elle, tu te trouveras, vous vous trouverez
sans problème, elle est la même, vous allez vous trouver.
Ne lui serre pas la main, embrasse-la.
30 Catherine.
ANTOINE. ─ Suzanne, ils se voient pour la première fois !
LOUIS. ─ Je vous embrasse, elle a raison, pardon, je suis très heureux, vous permettez ?
SUZANNE. ─Tu vois ce que je disais, il faut leur dire.
LA MÈRE. ─ En même temps, qui est-ce qui m’a mis une idée
35 pareille en tête, dans la tête ? Je le savais. Mais je suis ainsi,
jamais je n’aurais pu imaginer qu’ils ne se connaissent,
que vous ne vous connaissiez pas,
que la femme de mon autre fils ne connaisse pas mon fils,
cela, je ne l’aurais pas imaginé,
40 cru pensable.
Vous vivez d’une drôle de manière.

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Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
3. Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, 1999, Deuxième partie, Scène 3, p. 118-120

1 [32] je pense,
je pensais,
que peut-être, sans que je comprenne donc
[35] (comme une chose qui me dépassait),
5 que peut-être, tu n’avais pas tort,
et que en effet, les autres, les parents, moi, le reste du monde,
nous n’étions pas bons avec toi
et nous te faisions du mal.
[40] Tu me persuadais,
10 j’étais convaincu que tu manquais d’amour.
Je te croyais et je te plaignais,
et cette peur que j’éprouvais
– c’est bien, là encore, de la peur qu’il est question –
[45] cette peur que j’avais que personne ne t’aime jamais,
15 cette peur me rendait malheureux à mon tour,
comme toujours les plus jeunes frères se croient obligés de
l’être par imitation et inquiétude,
malheureux à mon tour,
[50] mais coupable encore,
20 coupable aussi de ne pas être assez malheureux,
de ne l’être qu’en me forçant,
coupable de n’y pas croire en silence.

Parfois, eux et moi,


[55] et eux tous les deux, les parents, ils en parlaient et devant
25 moi encore,
comme on ose évoquer un secret dont on devait me rendre
également responsable.
Nous pensions,
[60] et beaucoup de gens, je pense cela aujourd’hui, beaucoup de
30 gens, des hommes et des femmes,
ceux-là avec qui tu dois vivre depuis que tu nous as quittés,
beaucoup de gens doivent assurément le penser aussi,
nous pensions que tu n’avais pas tort,
[65] que pour le répéter si souvent, pour le crier tellement comme
35 on crie les insultes, ce devait être juste,
nous pensions que en effet, nous ne t’aimions pas assez,
ou du moins,
que nous ne savions pas te le dire
[70] (et ne pas te le dire, cela revient au même, ne pas te dire assez
40 que nous t’aimions, ce doit être comme ne pas t’aimer assez).
On ne se le disait pas si facilement,
rien jamais ici ne se dit facilement,
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13
45
non,
[75] on ne se l’avouait pas,
mais à certains mots, certains gestes, les plus discrets,
les moins remarquables,
à certaines prévenances
– encore une autre expression qui te fera sourire, mais je n’ai
[80] plus rien à faire maintenant d’être ridicule, tu ne peux pas
l’imaginer –
à certaines prévenances à ton égard,
nous nous donnions l’ordre, manière de dire,
de prendre plus souvent et mieux encore soin de toi,
[85] garde à toi,
et de nous encourager les uns les autres à te donner la preuve
que nous t’aimions plus que jamais tu ne sauras t’en rendre
compte.

Je cédais.
[90] Je devais céder.
Toujours, j’ai dû céder.
Aujourd’hui, ce n’est rien, ce n’était rien, ce sont des choses
infimes
et moi non plus je ne pourrais pas prétendre à mon tour,
[95] voilà qui serait plaisant,
à un malheur insurmontable,
mais je garde cela surtout en mémoire :
je cédais, je t’abandonnais des parts entières, je devais me
montrer, le mot qu’on me répète,
[100] je devais me montrer « raisonnable ».
Je devais faire moins de bruit, te laisser la place, ne pas te
contrarier
et jouir du spectacle apaisant enfin de ta survie légèrement
prolongée.

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14
Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
1. Pierre Corneille, Le Cid, 1637, Acte I, scène 5

DON DIÈGUE
1 Rodrigue, as-tu du cœur ?

DON RODRIGUE
Tout autre que mon père
L'éprouverait sur l'heure.

DON DIÈGUE
Agréable colère !
Digne ressentiment à ma douleur bien doux !
Je reconnais mon sang à ce noble courroux ;
5 Ma jeunesse revit en cette ardeur si prompte.
Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte ;
Viens me venger.

DON RODRIGUE
De quoi ?

DON DIÈGUE
D'un affront si cruel,
Qu'à l'honneur de tous deux il porte un coup mortel :
D'un soufflet. L'insolent en eût perdu la vie ;
10 Mais mon âge a trompé ma généreuse envie ;
Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir,
Je le remets au tien pour venger et punir.
va contre un arrogant éprouver ton courage :
Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage ;
15 Meurs, ou tue. Au surplus, pour ne te point flatter
Je te donne à combattre un homme à redouter ;
Je l'ai vu, tout couvert de sang et de poussière,
Porter partout l'effroi dans une armée entière.
J'ai vu par sa valeur cent escadrons rompus ;
20 Et pour t'en dire encor quelque chose de plus,
Plus que brave soldat, plus que grand capitaine,
C'est...

DON RODRIGUE
De grâce, achevez.

DON DIÈGUE
Le père de Chimène.

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15
Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
2. Beaumarchais, La Mère coupable, 1792, Acte IV, Scène 13

1 La Comtesse (un peu plus fort). – […] Puis, vous le1 chassez de chez vous, et semblez lui
fermer la maison p… par vous habitée ! Permettez-moi de vous le dire, un traitement aussi
étrange est sans excuse aux yeux de la raison. Qu’a-t-il fait pour le mériter ?
LE COMTE (s’arrête, d’un ton terrible). – : Ce qu’il a fait !
5 LA COMTESSE (effrayée). – Je voudrais bien, Monsieur, ne pas vous offenser !
LE COMTE (plus fort). – Ce qu’il a fait, Madame ! Et c’est vous qui le demandez ?
LA COMTESSE (en désordre). – Monsieur, Monsieur ! vous m’effrayez beaucoup !
Le Comte (avec fureur). – Puisque vous avez provoqué l’explosion du ressentiment qu’un
respect humain enchaînait, vous entendrez son arrêt et le vôtre.
10 LA COMTESSE (plus troublée). – Ah ! Monsieur ! Ah, Monsieur !…
LE COMTE. – Vous demandez ce qu’il a fait ?
LA COMTESSE (levant les bras). – Non, Monsieur, ne me dites rien !
Le Comte (hors de lui). – Rappelez-vous, femme perfide, ce que vous avez fait vous-
même ! et comment, recevant un adultère dans vos bras, vous avez mis dans ma maison cet
15 enfant étranger, que vous osez nommer mon fils.
LA COMTESSE (au désespoir, veut se lever). – Laissez-moi m’enfuir, je vous prie.
LE COMTE (la clouant sur son fauteuil). – Non, vous ne fuirez pas ; vous n’échapperez point
à la conviction qui vous presse. (Lui montrant sa lettre2.) Connaissez-vous cette écriture ? Elle
est tracée de votre main coupable ! et ces caractères sanglants qui lui servent de réponse…
20 LA COMTESSE (anéantie). – Je vais mourir ! je vais mourir !

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16
La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
1. Jean de La Bruyère, Les Caractères, 1688-1693, Remarque V,7, p. 19
Acis

1 7 (V) Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? J’y
suis encore moins. Je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid ; que ne disiez-
vous, il fait froid ? Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige ; dites, il pleut, il neige.
Vous me trouvez bon visage, et vous désirez de m’en féliciter ; dites, je vous trouve bon
5 visage. Mais, répondez-vous, cela est bien uni et bien clair ; et d’ailleurs qui ne pourrait pas
en dire autant ? Qu’importe, Acis ? Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et
de parler comme tout le monde ? Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables
les diseurs de phoebus ; vous ne vous en défiez point, et je vais vous jeter dans
l’étonnement : une chose vous manque, c’est l’esprit. Ce n’est pas tout : il y a en vous une
10 chose de trop, qui est l’opinion d’en avoir plus que les autres ; voilà la source de votre
pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient
rien. Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre ; je vous tire par votre
habit, et vous dis à l’oreille, ne songez point à avoir de l’esprit, n’en ayez point, c’est votre
rôle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l’ont ceux en qui vous ne trouvez
15 aucun esprit peut-être alors croira-t-on que vous en avez.

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17
La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
2. Jean de La Bruyère, Les Caractères, 1688-1693, Remarque VIII,74, p. 123-124
Ethnographie de la cour

1 74 (I) L’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils ; les jeunes gens au
contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse : ils se trouvent affranchis de la passion des
femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir ; ils leur préfèrent des repas, des
viandes, et des amours ridicules. Celui-là chez eux est sobre et modéré, qui ne s’enivre que
5 de vin : l’usage trop fréquent qu’ils en ont fait le leur a rendu insipide ; ils cherchent à réveiller
leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueurs les plus violentes ; il ne
manque à leur débauche que de boire de l’eau-forte. Les femmes du pays précipitent le déclin
de leur beauté par des artifices qu’elles croient servir à les rendre belles : leur coutume est
de peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu’elles étalent avec leur
10 gorge, leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles
pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qui habitent cette contrée ont une
physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux
étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête :
il descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu’on ne connaisse les hommes
15 à leur visage. Ces peuples d’ailleurs ont leur Dieu et leur roi : les grands de la nation
s’assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un temple qu’ils nomment église ; il
y a au fond de ce temple un autel consacré à leur Dieu, où un prêtre célèbre des mystères
qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables ; les grands forment un vaste cercle au pied de
cet autel, et paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères,
20 et les faces élevées vers leur roi, que l’on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent
avoir tout l’esprit et tout le cœur appliqués. On ne laisse pas de voir dans cet usage une
espèce de subordination ; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. Les
gens du pays le nomment ***; il est à quelque quarante-huit degrés d’élévation du pôle, et
à plus d’onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons.

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