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PARCOURS 1 : ALCHIMIE POÉTIQUE : LA BOUE ET L’OR

OBJET D’ÉTUDE : LA POÉSIE DU 19 ÈME AU 21 ÈME SIÈCLE.

TEXTE 1 : « Le Crapaud »

1. Un chant dans une nuit sans air…


– La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.

… Un chant ; comme un écho, tout vif


5. Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…

– Un crapaud ! – Pourquoi cette peur,


Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
10. Rossignol de la boue… – Horreur ! –

… Il chante. – Horreur !! – Horreur pourquoi ?


Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.
.....................
15. Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.

Ce soir, 20 Juillet.

Tristan Corbière - Les Amours jaunes


PARCOURS 1 : ALCHIMIE POÉTIQUE : LA BOUE ET L’OR
OBJET D’ÉTUDE : LA POÉSIE DU 19 ÈME AU 21 ÈME SIÈCLE.

TEXTE 2 : « J’aime l’araignée »

1. J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,


Parce qu'on les hait ;
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;

5. Parce qu'elles sont maudites, chétives,


Noirs êtres rampants ;
Parce qu'elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;

Parce qu'elles sont prises dans leur oeuvre ;


10. Ô sort ! fatals noeuds !
Parce que l'ortie est une couleuvre,
L'araignée un gueux;

Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,


Parce qu'on les fuit,
15. Parce qu'elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit...

Passants, faites grâce à la plante


obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
20. Oh ! plaignez le mal !

Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ;


Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie
De les écraser,

25. Pour peu qu'on leur jette un oeil moins superbe,


Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe
PARCOURS 1 : ALCHIMIE POÉTIQUE : LA
BOUE ET L’OR
OBJET D’ÉTUDE : LA POÉSIE DU 19 ÈME AU
21 ÈME SIÈCLE.

TEXTE 3 : « XXIX-Une charogne »

Murmurent : Amour !

1.Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,


Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

5.Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,


Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,


10.Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe


Comme une fleur s'épanouir.
15. La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,


D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
20. Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague


Ou s'élançait en pétillant
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

25. Et ce monde rendait une étrange musique,


Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,


30. Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète


Nous regardait d'un oeil fâché,
35. Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,


A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
40. Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,


Apres les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

45. Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine


Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
PARCOURS 1 : ALCHIMIE POÉTIQUE : LA
BOUE ET L’OR
OBJET D’ÉTUDE : LA POÉSIE DU 19 ÈME AU
21 ÈME SIÈCLE.

TEXTE 4 : « Les métamorphoses du vampire »

De mes amours décomposés !

Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire

1. La femme cependant, de sa bouche de fraise,


En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
5. « Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d’un lit l’antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
10. La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !
Je suis, mon cher savant, si docte aux Voluptés,
Lorsque j’étouffe un homme en mes bras redoutés,
Ou lorsque j’abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
15. Que sur ces matelas qui se pâment d’émoi,
Les anges impuissants se damneraient pour moi ! »

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,


Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus
20. Qu’une outre aux ancs gluants, toute pleine de pus !
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
25. Tremblaient confusément des débris de squelette,
Qui d’eux-mêmes rendaient le cri d’une girouette
Ou d’une enseigne, au bout d’une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d’hiver.

Les Épaves, Charles Baudelaire


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PARCOURS 1 : ALCHIMIE POÉTIQUE : LA
BOUE ET L’OR
OBJET D’ÉTUDE : LA POÉSIE DU 19 ÈME AU
21 ÈME SIÈCLE.

TEXTE 5 : « L’invitation au voyage »

1. Mon enfant, ma sœur,


Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
5. Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
10. Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.

15. Des meubles luisants,


Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares eurs
Mêlant leurs odeurs
20. Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
25. À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux


30. Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
35. – Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
40. Dans une chaude lumière.
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PARCOURS 2: La satire politique dans les

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.

Charles Baudelaire, Les eurs du mal (1857)


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Parcours 2 : « Écrire et combattre pour l’égalité »
Objet d'étude : "La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle"
Groupement de textes : plaider pour une
société plus juste.

TEXTE 6 : « Le discours de Polly Baker »

1 « Permettez-moi, Messieurs, de vous adresser quelques mots. Je suis une lle


malheureuse et pauvre, je n’ai pas le moyen de payer des avocats pour prendre ma
défense, et je ne vous retiendrai pas longtemps. Je ne me atte pas que dans la sentence
que vous allez prononcer vous vous écartiez de la loi ; ce que j’ose espérer, c’est que
5.vous daignerez implorer pour moi les bontés du gouvernement et obtenir qu’il me
dispense de l’amende. Voici la cinquième fois que je parais devant vous pour le même
sujet ; deux fois j’ai payé des amendes onéreuses, deux fois j’ai subi une punition publique
et honteuse parce que je n’ai pas été en état de payer. Cela peut être conforme à la loi, je
ne le conteste point ; mais il y a quelques fois des lois injustes, et on les abroge ; il y en a
10.aussi de trop sévères, et la puissance législatrice peut dispenser de leur exécution.
J’ose dire que celle qui me condamne est à la fois injuste en elle-même et trop sévère
envers moi. Je n’ai jamais offensé personne dans le lieu où je vis, et je dé e mes
ennemis, si j’en ai quelques uns, de pouvoir prouver que j’ai fait le moindre tort à un
homme, à une femme, à un enfant. Permettez-moi d’oublier un moment que la loi existe,
15.alors je ne conçois pas quel peut être mon crime ; j’ai mis cinq beaux enfants au
monde, au péril de ma vie, je les ai nourris de mon lait, je les ai soutenus de mon travail ;
et j’aurais fait davantage pour eux, si je n’avais pas payé des amendes qui m’en ont ôté
les moyens. Est-ce un crime d’augmenter les sujets de Sa Majesté dans une nouvelle
contrée qui manque d’habitants ? Je n’ai enlevé aucun mari à sa femme, ni débauché
20.aucun jeune homme ; jamais on ne m’a accusée de ces procédés coupables, et si
quelqu’un se plaint de moi, ce ne peut être que le ministre à qui je n’ai point payé de droits
de mariage. Mais est-ce ma faute ? »
J’en appelle à vous, Messieurs ; vous me supposez sûrement assez de bon sens
pour être persuadés que je préférerais l’honorable état de femme à la condition honteuse
25.dans laquelle j’ai vécu jusqu’à présent. J’ai toujours désiré, et je désire encore me
marier, et je ne crains point de dire que j’aurais la bonne conduite, l’industrie et l’économie
convenables à une femme, comme j’en ai la fécondité. Je dé e qui que ce soit de dire que
j’ai refusé de m’engager dans cet état.

Denis Diderot, Supplément au Voyage de Bougainville, 1772


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Parcours 2 : « Écrire et combattre pour l’égalité »
Objet d'étude : "La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle"
Groupement de textes : plaider pour une société plus juste.

TEXTE 7 : « Ô femmes approchez ! »

1.Ô femmes ! approchez et venez m'entendre. Que votre curiosité, dirigée une fois sur des
objets utiles, contemple les avantages que vous avait donnés la nature et que la société
vous a ravis. Venez apprendre comment, nées compagnes de l'homme, vous êtes devenues
son esclave ; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à
5.le regarder comme votre état naturel ; comment enfin, dégradées de plus en plus par une
longue habitude de l'esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants mais commodes
aux vertus plus pénibles d'un être libre et respectable. Si ce tableau fidèlement tracé vous
laisse de sang-froid, si vous pouvez le considérer sans émotion, retournez à vos
occupations futiles. Le mal est sans remède, les vices se sont changés en mœurs. Mais si
10.au récit de vos malheurs et de vos pertes, vous rougissez de honte et de colère, si des
larmes d'indignation s'échappent de vos yeux, si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos
avantages, de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laissez plus abuser par de
trompeuses promesses, n'attendez point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils
n'ont ni la volonté, ni la puissance de les finir, et comment pourraient-ils vouloir former
15.des femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? apprenez qu'on ne sort de
l'esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ? C'est à vous
seules à le dire puisqu'elle dépend de votre courage. Est-elle vraisemblable ? Je me tais sur
cette question ; mais jusqu'à ce qu'elle soit arrivée, et tant que les hommes régleront votre
sort, je serai autorisé à dire, et il me sera facile de prouver qu'il n'est aucun moyen de
20.perfectionner l'éducation des femmes.
Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation ; dans toute société, les femmes sont
esclaves ; donc la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si les principes de ce
syllogisme sont prouvés, on ne pourra nier la conséquence. Or, que partout où il y a
esclavage il ne puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle de la définition de ce mot ;
25.c'est le propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage est de
les étouffer ; c'est le propre de l'éducation de diriger les facultés développées vers l'utilité
sociale, le propre de l'esclavage est de rendre l'esclave ennemi de la société. Si ces principes
certains pouvaient laisser quelques doutes, il suffit pour les lever de les appliquer à la
liberté. On ne niera pas apparemment qu'elle ne soit une des facultés de la femme et il
30implique que la liberté puisse se développer dans l'esclavage ; il n'implique pas moins
qu'elle puisse se diriger vers l'utilité sociale puisque la liberté d'un esclave serait
nécessairement une atteinte portée au pacte social fondé sur l'esclavage. Inutilement
voudrait-on recourir à des distinctions ou des divisions. On ne peut sortir de ce principe
général que sans liberté point de moralité et sans moralité point d'éducation.

Pierre Choderlos de Laclos, Des femmes et de leur education


PARCOURS 2 : ÉCRIRE ET
COMBATTRE POUR L’ÉGALITÉ
OBJET D’ÉTUDE : LA
LITTÉRATURE D’IDÉES DU XVI
ème AU XVIII ème SIÈCLE

PARCOURS 2 : ÉCRIRE ET COMBATTRE POUR L’ÉGALITÉ


OBJET D’ÉTUDE : LA LITTÉRATURE D’IDÉES DU XVI ème AU
XVIII ème SIÈCLE

Texte 8 : « Préambule de la déclaration des droits de la femme et


de la citoyenne. »

1.Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées
en Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la
femme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements,
(elles) ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels,
5.inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration constamment présente à
tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin
que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à
chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés,
afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et
10.incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et
au bonheur de tous.
En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances
maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les
Droits suivants de la femme et de la citoyenne.

Olympe de Gouges
Texte 9 : « Déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne, articles 1 à 6 »

Article 1. La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les


distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits


naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la
liberté, la propriété, la sûreté et surtout la résistance à l’oppression.

Article 3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la


Nation, qui n’est que la réunion de la Femme et de l’Homme : ces droits sont
la liberté, la propriété, la sûreté et surtout la résistance à l’oppression.

Article 4. La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à


autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la
tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être
reformées par les lois de la nature et de la raison.

Article 5 : Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions


nuisibles à la société : tout ce qui n’ est pas défendu par ces lois, sages et
divines, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles
n’ordonnent pas.

Article 6 : La Loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les


Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs
représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les
Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être
également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon
leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de
leurs talents.
PARCOURS 2 : ÉCRIRE ET
COMBATTRE POUR L’ÉGALITÉ
OBJET D’ÉTUDE : LA
LITTÉRATURE D’IDÉES DU XVI
ème AU XVIII ème SIÈCLE

Texte 10 : « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne,


Postambule »

1.Femme, réveille-toi; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers; reconnais
tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme,
de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la
sottise et de l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir
5.aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne.
O femmes! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles? Quels sont les avantages que
vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé.
Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre
empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l'homme ; la
10.réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature. Qu'auriez-
vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du législateur des noces de Cana?
Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale longtemps
accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de saison, ne vous répètent :
« Femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? — Tout », auriez-vous à répondre.
15.S'ils s'obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction
avec leurs principes, opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions
de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute
l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs
rampant à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Etre suprême. Quelles
20.que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ;
vous n'avez qu'à le vouloir.
Passons maintenant à l'effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; et
puisqu'il est question, en ce moment, d'une éducation nationale, voyons si nos sages
Législateurs penseront sainement sur l'éducation des femmes.
25.Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été
leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à
toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le
poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le
gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l'administration
30.nocturne des femmes ; le cabinet n'avait point de secret pour leur indiscrétion:
ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat, enfin tout ce qui
caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à
l'ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable
et méprisé.
35.Dans cette sorte d'antithèse, que de remarques n'ai-je point à offrir ! Je n'ai qu'un
moment pour les faire, mais ce moment fixera l'attention de la postérité la plus reculée.
Sous l'ancien régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait-on pas
apercevoir l'amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme
n'avait besoin que d'être belle ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle
40.voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n'en profitait pas, elle avait un caractère bizarre,
ou une philosophie peu commune qui la portait aux mépris des richesses ; alors elle n'était
plus considérée que comme une mauvaise tête. La plus indécente se faisait respecter avec
de l'or, le commerce des femmes était une espèce d'industrie reçue dans la première classe,
qui, désormais, n'aura plus de crédit. S'il en avait encore, la révolution serait perdue, et
45.sous de nouveaux rapports, nous serions toujours corrompus. Cependant la raison
peut-elle se dissimuler que tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme que
l'homme achète comme l'esclave sur les côtes d'Afrique ? La différence est grande, on le
sait. L'esclave commande au maître ; mais si le maître lui donne la liberté sans
récompense, et à un âge où l'esclave a perdu tous ses charmes, que devient cette
50.infortunée? Le jouet du mépris; les portes mêmes de la bienfaisance lui sont fermées ; «
Elle est pauvre et vieille, dit-on, pourquoi n'a-t-elle pas su faire fortune ? » D'autres
exemples encore plus touchants s'offrent à la raison. Une jeune personne sans expérience,
séduite par un homme qu'elle aime, abandonnera ses parents pour le suivre ; l'ingrat la
laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui, plus son inconstance sera
55.inhumaine ; si elle a des enfants, il l'abandonnera de même. S'il est riche, il se croira
dispensé de partager sa fortune avec ses nobles victimes. Si quelque engagement le lie à ses
devoirs, il en violera la puissance en espérant tout des lois. S'il est marié, tout autre
engagement perd ses droits.
Parcours 3 : Œuvre intégrale : Balzac, La Peau de chagrin
Objet d’étude : Le roman et le récit, du Moyen âge au XXI ème
siècle

Texte 11 : « La découverte de la peau », Balzac , La Peau de


chagrin
1— Retournez-vous, dit le marchand en saisissant tout à coup la lampe pour en diriger la lumière sur le mur
qui faisait face au portrait, et regardez cette Peau de chagrin, ajouta-t-il.
Le jeune homme se leva brusquement et témoigna quelque surprise en apercevant au dessus du siège où il
s’était assis un morceau de chagrin accroché sur le mur, et dont la dimension n’excédait pas celle d’une
5.peau de renard ; mais, par un phénomène inexplicable au premier abord, cette peau projetait au sein de la
profonde obscurité qui régnait dans le magasin des rayons si lumineux que vous eussiez dit une petite
comète. Le jeune incrédule s’approcha de ce prétendu talisman qui devait le préserver du malheur, et s’en
moqua par une phrase mentale. Cependant, animé par une curiosité bien légitime, il se pencha pour la
regarder alternativement sous toutes les faces, et découvrit bientôt une cause naturelle à cette singulière
10.lucidité : les grains noirs du chagrin étaient si soigneusement polis et si bien brunis, les rayures
capricieuses en étaient si propres et si nettes que, pareilles à des facettes de grenat, les aspérités de ce cuir
oriental formaient autant de petits foyers qui ré échissaient vivement la lumière. Il démontra
mathématiquement la raison de ce phénomène au vieillard, qui, pour toute réponse, sourit avec malice. Ce
sourire de supériorité t croire au jeune savant qu’il était dupe en ce moment de quelque charlatanisme. Il ne
15.voulut pas emporter une énigme de plus dans la tombe, et retourna promptement la peau comme un
enfant pressé de connaître les secrets de son jouet nouveau.
— Ah ! ah ! s’écria-t-il, voici l’emprunte du sceau que les Orientaux nomment le cachet de Salomon.
— Vous le connaissez donc ? demanda le marchand, dont les narines laissèrent passer deux ou trois
bouffées d’air qui peignirent plus d’idées que n’en pouvaient exprimer les plus énergiques paroles.
20.— Existe-t-il au monde un homme assez simple pour croire à cette chimère ? s’écria le jeune homme,
piqué d’entendre ce rire muet et plein d’amères dérisions. Ne savez-vous pas, ajouta-t-il, que les
superstitions de l’Orient ont consacré la forme mystique et les caractères mensongers de cette emblème qui
représente une puissance fabuleuse ? Je ne crois pas devoir être plus taxé de niaiserie dans cette
circonstance que si je parlais des Sphinx ou des Griffons, dont l’existence est en quelque sorte
25.scienti quement admise.
— Puisque vous êtes un orientaliste, reprit le vieillard, peut-être lirez-vous cette sentence.
Il apporta la lampe près du talisman que le jeune homme tenait à l’envers, et lui t apercevoir des caractères
incrustés dans le tissu cellulaire de cette peau merveilleuse, comme s’ils eussent été produits par l’animal
auquel elle avait jadis appartenu.
30.— J’avoue, s’écria l’inconnu, que je ne devine guère le procédé dont on se sera servi pour graver si
profondément ces lettres sur la peau d’un onagre.
Et, se retournant avec vivacité vers les tables chargées de curiosités, ses yeux parurent y chercher quelque
chose.
35.— Que voulez-vous, demanda le vieillard.
— Un instrument pour trancher le chagrin, a n de voir si les lettres y sont empreintes ou incrustées.
Le vieillard présenta son stylet à l’inconnu, qui le prit et tenta d’entamer la peau à l’endroit où les paroles se
trouvaient écrites ; mais, quand il eut enlevé une légère couche de cuir, les lettres y reparurent si nettes et
tellement conformes à celles qui étaient imprimées sur la surface, que, pendant un moment, il crut n’en avoir
40.rien ôté.
— L’industrie du Levant a des secrets qui lui sont réellement particuliers, dit-il en regardant la sentence
orientale avec une sorte d’inquiétude :
— Oui, répondit le vieillard, il vaut mieux s’en prendre aux hommes qu’à Dieu !
Les paroles mystérieuses étaient disposées de manière suivante :
45.Ce qui voulait dire en français :
SI TU ME POSSÈDES, TU POSSÈDERAS TOUT.
MAIS TA VIE M’APPARTIENDRA, DIEU L’A VOULU AINSI.
DÉSIRE, ET TES DÉSIRS SERONT ACCOMPLIS.
MAIS RÈGLE TES SOUHAITS SUR TA VIE.
50.ELLE EST LÀ. À CHAQUE VOULOIR JE DÉCROÎTRAI COMME TES JOURS.ME VEUX-TU ? PRENDS. DIEU T’EXAUCERA. SOIT
!Parcours 3 : Œuvre intégrale : Stendhal, Le Rouge et le Noir, roman d’apprentissage ou roman de l’échec ?
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Objet d’étude : Le roman et le récit, du Moyen âge au XXI
ème siècle

Texte 12 : «Foedora et Raphaël : l’impossible union »,


Balzac , La Peau de chagrin

1.Je revins à pied du faubourg Saint- Honoré, où Fœdora demeure.


Entre son hôtel et la rue des Cordiers il y a presque tout Paris, le chemin me parut
court, et cependant il faisait froid. Entreprendre la conquête de Fœdora dans l’hiver,
un rude hiver, quand je n’avais pas trente francs en ma possession, quand la
distance qui 5.nous séparait était si grande ! Un jeune homme pauvre peut seul
savoir ce qu’une passion coûte en voitures, en gants, en habits, linge, etc. Si
l’amour reste un peu trop de temps platonique, il devient ruineux. Vraiment, il y a
des Lauzun de l’École de droit auxquels il est impossible d’approcher d’une passion
logée à un premier étage.
10.Et comment pouvais-je lutter, moi, faible, grêle, mis simplement, pâle et hâve
comme un artiste en convalescence d’un ouvrage, avec des jeunes gens bien
frisés, jolis, pimpants, cravatés à désespérer toute la Croatie, riches, armés de
tilburys et vêtus d’impertinence ?
— Bah ! Fœdora ou la mort ! criai-je au détour d’un pont. Fœdora, c’est la fortune !
15.Le beau boudoir gothique et le salon à la Louis XIV passèrent devant mes
yeux ; je revis la comtesse avec sa robe blanche, ses grandes manches
gracieuses, et sa séduisante démarche, et son corsage tentateur. Quand j’arrivais
dans ma mansarde nue, froide, aussi mal peignée que sont les perruques d’un
naturaliste, j’étais encore environné par les images du luxe de Fœdora. Ce
20.contraste était un mauvais conseiller, les crimes doivent naître ainsi. Je maudis
alors, en frissonnant de rage, ma décente et honnête misère, ma mansarde
féconde où tant de pensées avaient surgi. Je demandais compte à Dieu, au diable,
à l’état social, à mon père, à l’univers entier, de ma destinée, de mon malheur ; je
me couchais tout affamé, grommelant de risibles imprécations, mais bien résolu de
25.séduire Fœdora. Ce coeur de femme était un dernier billet de loterie chargé de
ma fortune. Je te ferai grâce de mes premières visites chez Fœdora, pour arriver
promptement au drame.
Objet d’étude : Le roman et le récit, du Moyen âge au XXI ème
siècle

Texte 13 : « L’agonie de Raphaël », Balzac , La Peau de


chagrin

1.Raphaël tira de dessous son chevet le lambeau de la Peau de chagrin,


fragile et petit comme la feuille d’une pervenche, et le lui montrant : Pauline,
belle image de ma belle vie, disons-nous adieu, dit-il.
– Adieu ? répéta-t-elle d’un air surpris.
5.– Oui. Ceci est un talisman qui accomplit mes désirs, et représente ma vie. Vois ce qu’il
m’en reste. Si tu me regardes encore, je vais mourir...
La jeune lle crut Valentin devenu fou, elle prit le talisman, et alla chercher la lampe.
Éclairée par la lueur vacillante qui se projetait également sur Raphaël et sur le talisman,
elle examina très attentivement et le visage de son amant et la dernière parcelle de la
10.Peau magique. En la voyant belle de terreur et d’amour, il ne fut plus maître de sa
pensée : les souvenirs des scènes caressantes et des joies délirantes de sa passion
triomphèrent dans son âme depuis longtemps endormie, et s’y réveillèrent comme un
foyer mal éteint.
15.– Pauline, viens ! Pauline !
Un cri terrible sortit du gosier de la jeune lle, ses yeux se dilatèrent, ses sourcils
violemment tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec horreur, elle lisait dans les yeux
de Raphaël un de ces désirs furieux, jadis sa gloire à elle ; et à mesure que grandissait ce
désir, la Peau en se contractant, lui chatouillait la main. Sans ré échir, elle s’enfuit dans le
20.salon voisin dont elle ferma la porte.
– Pauline ! Pauline ! cria le moribond en courant après elle, je t’aime, je t’adore, je te
veux ! Je te maudis, si tu ne m’ouvres ! Je veux mourir à toi !
Par une force singulière, dernier éclat de vie, il jeta la porte à terre, et vit sa maîtresse à
demi nue se roulant sur un canapé. Pauline avait tenté vainement de se déchirer le sein,
25.et pour se donner une prompte mort, elle cherchait à s’étrangler avec son châle. – Si je
meurs ; il vivra, disait-elle en tâchant vainement de serrer le nœud. Ses cheveux étaient
épars, ses épaules nues, ses vêtements en désordre, et dans cette lutte avec la mort, les
yeux en pleurs, le visage en ammé, se tordant sous un horrible désespoir, elle présentait
à Raphaël, ivre d’amour, mille beautés qui augmentèrent son délire ; il se jeta sur elle avec
30.la légèreté d’un oiseau de proie, brisa le châle, et voulut la prendre dans ses bras.
Le moribond chercha des paroles pour exprimer le désir qui dévorait toutes ses forces ;
mais il ne trouva que les sons étranglés du râle dans sa poitrine, dont chaque respiration
creusée plus avant, semblait partir de ses entrailles. En n, ne pouvant bientôt plus former
de sons, il mordit Pauline au sein. Jonathas se présenta tout épouvanté des cris qu’il
35.entendait, et tenta d’arracher à la jeune lle le cadavre sur lequel elle s’était accroupie
dans un coin.
– Que demandez-vous ? dit-elle. Il est à moi, je l’ai tué, ne l’avais-je pas prédit ?
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Texte 14 : «La découverte de la main »,
Maupassant, La Main d’écorché

1.« Vous n'y êtes point, je viens de P... en Normandie, où j'ai été passer huit
jours et d'où je rapporte un grand criminel de mes amis que je vous
demande la permission de vous présenter." A ces mots, il tira de sa poche
une main d'écorché ; cette main était affreuse, noire, sèche, très longue et
5.comme crispée, les muscles, d'une force extraordinaire, étaient retenus à
l'intérieur et à l'extérieur par une lanière de peau parcheminée, les ongles
jaunes, étroits, étaient restés au bout des doigts ; tout cela sentait le scélérat
d'une lieue. "Figurez-vous, dit mon ami, qu'on vendait l'autre jour les
défroques d'un vieux sorcier bien connu dans toute la contrée ; il allait au
10.sabbat tous les samedis sur un manche à balai, pratiquait la magie
blanche et noire, donnait aux vaches du lait bleu et leur faisait porter la
queue comme celle du compagnon de saint Antoine. Toujours est-il que ce
vieux gredin avait une grande affection pour cette main, qui, disait-il, était
celle d'un célèbre criminel supplicié en 1736, pour avoir jeté, la tête la
15.première, dans un puits sa femme légitime, ce quoi faisant je trouve
qu'il n'avait pas tort, puis pendu au clocher de l'église le curé qui l'avait
marié. Après ce double exploit, il était allé courir le monde et dans sa
carrière aussi courte que bien remplie, il avait détroussé douze voyageurs,
enfumé une vingtaine de moines dans leur couvent et fait un sérail d'un
20.monastère de religieuses. - Mais que vas-tu faire de cette horreur ? nous
écriâmes-nous. - Eh parbleu, j'en ferai mon bouton de sonnette pour
effrayer mes créanciers.
Parcours 4 : Œuvre intégrale : Molière, Le Malade imaginaire,
Objet d’étude : Spectacle et comédie

Texte 15 : Acte 1, scène 6, in Molière, Le Malade


imaginaire

SCÈNE VI

BÉLINE, ANGÉLIQUE, TOINETTE, ARGAN.

ARGAN.— Ah! ma femme, approchez.


BÉLINE.— Qu'avez-vous, mon pauvre mari?
ARGAN.— Venez-vous-en ici à mon secours.
BÉLINE.— Qu'est-ce que c'est donc qu'il y a, mon petit ls?
ARGAN.— Mamie.
BÉLINE.— Mon ami.
ARGAN.— On vient de me mettre en colère.
BÉLINE.— Hélas! pauvre petit mari. Comment donc mon ami?
ARGAN.— Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais.
BÉLINE.— Ne vous passionnez donc point.
ARGAN.— Elle m'a fait enrager, mamie.
BÉLINE.— Doucement, mon ls.
ARGAN.— Elle a contrecarré une heure durant les choses que je veux faire.
BÉLINE.— Là, là, tout doux.
ARGAN.— Et a eu l'effronterie de me dire que je ne suis point malade.
BÉLINE.— C'est une impertinente.
ARGAN.— Vous savez, mon cœur, ce qui en est.
BÉLINE.— Oui, mon cœur, elle a tort.
ARGAN.— Mamour, cette coquine-là me fera mourir.
BÉLINE.— Eh là, eh là.
ARGAN.— Elle est cause de toute la bile que je fais.
BÉLINE.— Ne vous fâchez point tant.
ARGAN.— Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser.
BÉLINE.— Mon Dieu, mon ls, il n'y a point de serviteurs, et de servantes qui n'aient leurs défauts. On est
contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualités, à cause des bonnes. Celle-ci est adroite, soigneuse,
diligente, et surtout dèle; et vous savez qu'il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l'on
prend. Holà, Toinette.
TOINETTE.— Madame.
BÉLINE.— Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon mari en colère?
TOINETTE, d'un ton doucereux.— Moi, Madame, hélas! Je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne
songe qu'à complaire à Monsieur en toutes choses.
ARGAN.— Ah! la traîtresse.
TOINETTE.— Il nous a dit qu'il voulait donner sa lle en mariage au ls de Monsieur Diafoirus ; je lui ai
répondu que je trouvais le parti avantageux pour elle; mais que je croyais qu'il ferait mieux de la mettre dans
un couvent.
BÉLINE.— Il n'y a pas grand mal à cela, et je trouve qu'elle a raison.
ARGAN.— Ah! mamour, vous la croyez; c'est une scélérate. Elle m'a dit cent insolences.
BÉLINE.— Hé bien je vous crois, mon ami. Là, remettez-vous. Écoutez, Toinette, si vous fâchez jamais mon
mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son manteau fourré, et des oreillers, que je l'accommode dans
sa chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre bonnet jusque sur vos oreilles; il n'y a rien qui
enrhume tant, que de prendre l'air par les oreilles.
ARGAN.— Ah! mamie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi.
BÉLINE, accommodant les oreillers qu'elle met autour d'Argan.— Levez-vous que je mette ceci sous vous.
Mettons celui-ci pour vous appuyer, et celui-là de l'autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet
autre-là pour soutenir votre tête.
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TOINETTE, lui mettant rudement un oreiller sur la tête, et puis fuyant.— Et celui-ci pour vous garder du
serein.
ARGAN se lève en colère, et jette tous les oreillers à Toinette.— Ah! coquine, tu veux
m'étouffer.
BÉLINE.— Eh là, eh là. Qu'est-ce que c'est donc?
ARGAN, tout essouf é, se jette dans sa chaise.— Ah, ah, ah! je n'en puis plus.
BÉLINE.— Pourquoi vous emporter ainsi? Elle a cru faire bien.
ARGAN.— Vous ne connaissez pas, mamour, la malice de la pendarde. Ah! elle m'a mis tout hors de moi; et
il faudra plus de huit médecines, et de douze lavements, pour réparer tout ceci.
BÉLINE.— Là, là, mon petit ami, apaisez-vous un peu.
ARGAN.— Mamie, vous êtes toute ma consolation.
BÉLINE.— Pauvre petit ls.
ARGAN.— Pour tâcher de reconnaître l'amour que vous me portez, je veux, mon cœur, comme je vous ai
dit, faire mon testament.
BÉLINE.— Ah! mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie, je ne saurais souffrir cette pensée; et le seul
mot de testament me fait tressaillir de douleur.
ARGAN.— Je vous avais dit de parler pour cela à votre notaire.
BÉLINE.— Le voilà là-dedans, que j'ai amené avec moi.
ARGAN.— Faites-le donc entrer, mamour.
BÉLINE.— Hélas! mon ami, quand on aime bien un mari, on n'est guère en état de songer à tout cela.
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Parcours 4 : Œuvre intégrale : Molière, Le Malade imaginaire,
Objet d’étude : Spectacle et comédie

Texte 16 : Acte III, scène 12, in Molière, Le Malade


imaginaire

Scène 12 - BELINE, TOINETTE, ARGAN, BERALDE

TOINETTE
Ah! mon Dieu! Ah! malheur! Quel étrange accident!

BELINE
Qu'est-ce, Toinette?

TOINETTE
Ah! madame!

BELINE
Qu'y a-t-il?

TOINETTE
Votre mari est mort!

BELINE
Mon mari est mort?

TOINETTE
Hélas! oui; le pauvre défunt est trépassé.

BELINE
Assurément?

TOINETTE
Assurément; personne ne sait encore cet accident-là, et je me suis trouvée ici toute
seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette
chaise.

BELINE
Le ciel en soit loué! Me voilà délivrée d'un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de
t'affliger de cette mort!

TOINETTE
Je pensais, madame, qu'il fallût pleurer.

BELINE
Va, va, cela n'en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne? et de quoi
servait-il sur la terre? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant,
sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant,
crachant toujours; sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse
les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.
TOINETTE
Voilà une belle oraison funèbre!

BELINE
Il faut, Toinette, que tu m'aides à exécuter mon dessein; et tu peux croire qu'en me
servant ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur, personne n'est encore
averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu'à ce que
j'aie fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l'argent, dont je me veux saisir; et il
n'est pas juste que j'aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens,
Toinette; prenons auparavant toutes ses clefs.

ARGAN, se levant brusquement.


Doucement!

BELINE, surprise et épouvantée.


Ahi!

ARGAN
Oui, madame ma femme, c'est ainsi que vous m'aimez!

TOINETTE
Ah! ah! le défunt n'est pas mort!

ARGAN, à Béline, qui sort.


Je suis bien aise de voir votre amitié et d'avoir entendu le beau panégyrique que vous
avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur qui me rendra sage à l'avenir, et qui
m'empêchera de faire bien des choses.

BERALDE, sortant de l'endroit où il s'était caché.


Eh bien, mon frère, vous le voyez.

TOINETTE
Par ma foi, je n'aurais jamais cru cela. Mais j'entends votre fille. Remettez-vous
comme vous étiez, et voyons de quelle manière elle recevra votre mort. C'est une
chose qu'il n'est pas mauvais d'éprouver; et, puisque vous êtes en train, vous
connaîtrez par là les sentiments que votre famille a pour vous.
Parcours 4 : Œuvre intégrale : Molière, Le Malade imaginaire,
Objet d’étude : Spectacle et comédie

Texte 17 : Acte III, scène 14, in Molière, Le Malade


imaginaire

TOINETTE.— Monsieur, serez-vous insensible à tant


d'amour?
ARGAN.— Qu'il se fasse médecin, je consens au
mariage. Oui, faites-vous médecin, je vous donne ma
lle.
CLÉANTE.— Très volontiers, Monsieur, s'il ne tient
qu'à cela pour être votre gendre, je me ferai médecin,
apothicaire même, si vous voulez. Ce n'est pas une
affaire que cela, et je ferais bien d'autres choses pour obtenir la belle
Angélique.
BÉRALDE.— Mais, mon frère, il me vient une pensée. Faites-vous médecin
vous-même. La commodité sera encore plus grande, d'avoir en vous tout ce
qu'il vous faut.
TOINETTE.— Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt; et il
n'y a point de maladie si osée, que de se jouer à la personne d'un médecin.
ARGAN.— Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi. Est-ce que
je suis en âge d'étudier?
BÉRALDE.— Bon, étudier. Vous êtes assez savant; et il y en a beaucoup
parmi eux, qui ne sont pas plus habiles que vous.
ARGAN.— Mais il faut savoir bien parler latin, connaître les maladies, et les
remèdes qu'il y faut faire.
BÉRALDE.— En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez
tout cela, et vous serez après plus habile que vous ne voudrez.
ARGAN.— Quoi? l'on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là?
BÉRALDE.— Oui. L'on n'a qu'à parler; avec une robe, et un bonnet, tout
galimatias devient savant, et toute sottise devient raison.
TOINETTE.— Tenez, Monsieur, quand il n'y aurait que votre barbe, c'est déjà
beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié d'un médecin.
CLÉANTE.— En tout cas, je suis prêt à tout.
BÉRALDE.— Voulez-vous que l'affaire se fasse tout à l'heure?
ARGAN.— Comment tout à l'heure?
BÉRALDE.— Oui, et dans votre maison.
ARGAN.— Dans ma maison?
BÉRALDE.— Oui. Je connais une Faculté de mes amies, qui viendra tout à
l'heure en faire la cérémonie dans votre salle. Cela ne vous coûtera rien.
ARGAN.— Mais, moi que dire, que répondre?
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BÉRALDE.— On vous instruira en deux mots, et l'on vous donnera par écrit
ce que vous devez dire. Allez-vous-en vous mettre en habit décent, je vais les
envoyer quérir.
ARGAN.— Allons, voyons cela.
CLÉANTE.— Que voulez-vous dire, et qu'entendez-vous avec cette Faculté
de vos amies...?
TOINETTE.— Quel est donc votre dessein?
BÉRALDE.— De nous divertir un peu ce soir. Les comédiens ont fait un petit
intermède de la réception d'un médecin, avec des danses et de la musique;
je veux que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon frère y
fasse le premier personnage.
ANGÉLIQUE.— Mais, mon oncle, il me semble que vous vous jouez un peu
beaucoup de mon père.
BÉRALDE.— Mais, ma nièce, ce n'est pas tant le jouer, que s'accommoder à
ses fantaisies. Tout ceci n'est qu'entre nous. Nous y pouvons aussi prendre
chacun un personnage, et nous donner ainsi la comédie les uns aux autres.
Le carnaval autorise cela. Allons vite préparer toutes choses.
CLÉANTE, à Angélique.— Y consentez-vous?
ANGÉLIQUE.— Oui, puisque mon oncle nous conduit.
Récapitulatif des œuvres et des textes

Épreuve orale anticipée de français-Session 2023

Voie générale

Établissement : Lycée Saint-Paul IV

NOM et Prénom du candidat :

Date de naissance :

Classe : 1 ère A

Situation particulière du candidat :

Points du programme de grammaire qui n’ont pu être étudiés précisément : les


subordonnées compléments circonstanciels de condition, concession, de comparaison, de
but, de cause et de conséquence.

PREMIÈRE PARTIE : EXPOSÉ

La poésie du XIXème siècle au XXI ème siècle

Parcours associé : Alchimie poétique : la boue et l’or


Groupement de textes :
Texte 1 : « Le Crapaud » de Tristan Corbière
Texte 2 : « J’aime l’araignée » de Victor Hugo

Oeuvre intégrale :
Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire
Texte 3 : « Une charogne »
Texte 4 : « Les métamorphoses du vampire »
Texte 5 : « L’invitation au voyage »

Lecture cursive : Alcools de Guillaume Apollinaire

La littérature d’idées du XVIè siècle au XVIIIè siècle

Parcours associé : Ecrire et combattre pour l’égalité


Groupement de textes :
Texte 6 : « Le discours de Polly Baker », in Supplément au voyage de Bougainville de
Diderot
Texte 7 : « Ô femmes, approchez », in L’éducation des femmes, de Laclos
Lecture cursive : Gargantua de Rabelais

Oeuvre intégrale :
Déclaration universelle des droits de la femme et de la citoyenne, de Olympe de Gouges
Texte 8 : « Le préambule »
Texte 9 : « Déclaration, articles 1 à 6 »
Texte 10 : « Le postambule »

Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIè siècle

Oeuvre intégrale :
La Peau de chagrin, de Balzac
Texte 11 : « La découverte de la peau »
Texte 12 : « Fœdora et Raphaël : l’impossible union »
Texte 13 : « L’agonie de Raphaël »

Parcours associé : « Le personnage de roman, esthétique et valeurs »

Texte 14 : « La découverte de la main », in La Main d’écorché » de Maupassant

Lecture cursive : Stupeur et Tremblements, d’Amélie Nothomb

Le théâtre, du XVII ème siècle au XXIè siècle

Oeuvre intégrale :
Le Malade imaginaire de Molière
Texte 15 : scène 6, de l’acte I, de « Ah ! Ma femme, approchez », jusqu’à : « on n’est guère
en état de songer à tout cela »
Texte 16 : scène 12, acte III
Texte 17 : scène 14, de l’acte III

Lecture cursive : Juste la fin du monde de Jean Luc Lagarce

DEUXIÈME PARTIE : PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE CHOISIE PAR LE


CANDIDAT ET ENTRETIEN

Oeuvre choisie par le candidat :

Descriptif arrêté à la date du 8 juin 2022


Madame CAPRON Marie :

Le Chef d’établissement :
Œuvres intégrales choisies par les élèves de 1 ère A : Madame Capron
Lycée Saint-Paul 4, arrêté au 31 mai 2023
Nom Oeuvre intégrale choisie pour l’exposé
Ajaguin Soleyen Laurena La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Alexis Louis La Peau de chagrin
Augustine Adélie La Peau de chagrin
Auzate Samia La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Baillif Raphaël La Peau de chagrin
Benhini-Grossi Mathys La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Canovas Léa La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Cerveaux Naïna La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Chari Maxense La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Cognet Perrine La Peau de chagrin
Coumarassamy Radjiv La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Cuvelier Alexandre La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Dautricourt Tom La Peau de chagrin
De Cornière Étienne La Peau de chagrin
Depouilly Clémentine La Peau de chagrin
Edy Rafael Les Fleurs du Mal
Eymard Zoé La Peau de chagrin
Feuillet Elise La Peau de chagrin
Fontaine Maxime La Peau de chagrin
Inchauspe Maïa La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Nom Oeuvre intégrale choisie pour l’exposé
Lemesle Eva La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Leperlier Matteo La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Natio Noa La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Pavan Lina La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Periabe Renée-Anne Les Fleurs du Mal
Rivière Nathan Les Fleurs du Mal
Turpin Memphis La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne
Win-Lime Raphaël La Déclaration des droits de la femme et de
la citoyenne

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