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Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le
village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux
compagnies de S.S. et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs
mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l’épreuve.
Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place
centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite
de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l’effet d’une
bombe. Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter
l’alerte. J’avais reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de
surveillance et de gagner la campagne.
Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se
rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte,
ruisselant littéralement sur les S.S., les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé
pour mort. Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus
loin. Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma
direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un
sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne
devait se rompre.
J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice.
Texte 6 : La rencontre de Manon
J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus
tôt! j’aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais
quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes
arriver le coche d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent.
Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se
retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant
qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait pour
faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais
pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont
tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup
jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ;
mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur.
Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître
embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes
de connaissance. Elle me répondit ingénument, qu’elle y était envoyée par ses parents, pour
être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon
cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une
manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi:
c’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au
plaisir, qui s’était déjà déclaré, et qui a causé dans la suite tous ses malheurs et les miens.
« Ah! Manon, Manon, repris-je avec un soupir, il est bien tard de me donner des larmes,
lorsque vous avez causé ma mort. Vous affectez une tristesse que vous ne sauriez sentir. Le
plus grand de vos maux est sans doute ma présence, qui a toujours été importune à vos
plaisirs. Ouvrez les yeux, voyez qui je suis ; on ne verse pas des pleurs si tendres pour un
Elle baisait mes mains sans changer de posture. Inconstante Manon, repris-je encore,
fille ingrate et sans foi, où sont vos promesses et vos serments ? Amante mille fois volage et
cruelle, qu’as-tu fait de cet amour que tu me jurais encore aujourd’hui ? Juste Ciel, ajoutai-
je, est-ce ainsi qu’une infidèle se rit de vous, après vous avoir attesté si saintement ? C’est
donc le parjure qui est récompensé! Le désespoir et l’abandon sont pour la constance et la
fidélité.
Ces paroles furent accompagnées d’une réflexion si amère, que j’en laissai échapper
malgré moi quelques larmes. Manon s’en aperçut au changement de ma voix. Elle rompit
enfin le silence. Il faut bien que je sois coupable, me dit-elle tristement, puisque j’ai pu vous
causer tant de douleur et d’émotion; mais que le Ciel me punisse si j’ai cru l’être, ou si j’ai
eu la pensée de le devenir !
Ce discours me parut si dépourvu de sens et de bonne foi, que je ne pus me défendre d’un
vif mouvement de colère. Horrible dissimulation! m’écriai-je. Je vois mieux que jamais que
tu n’es qu’une coquine et une perfide. C’est à présent que je connais ton misérable caractère.
Adieu, lâche créature, continuai-je en me levant; j’aime mieux mourir mille fois que d’avoir
désormais le moindre commerce avec toi. Que le Ciel me punisse moi-même si je t’honore
jamais du moindre regard! Demeure avec ton nouvel amant, aime-le, déteste-moi, renonce à
Pardonnez si j’achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui
n’eut jamais d’exemple; toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais, quoique je le porte sans
cesse dans ma mémoire, mon âme semble reculer d’horreur chaque fois que j’entreprends de
l’exprimer.
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse
endormie, et je n’osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je
m’aperçus, dès le point du jour, en touchant ses mains, qu’elle les avait froides et tremblantes ; je
les approchai de mon sein pour les échauffer. Elle sentit ce mouvement, et, faisant un effort pour
saisir les miennes, elle me dit d’une voix faible qu’elle se croyait à sa dernière heure. Je ne pris
d’abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l’infortune, et je n’y répondis que par les
tendres consolations de l’amour. Mais ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le
serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes, me firent connaître
que la fin de ses malheurs approchait. N’exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments,
ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la perdis ; je reçus d’elle des marques
d’amour au moment même qu’elle expirait: c’est tout ce que j’ai la force de vous apprendre de ce
fatal et déplorable événement.
PARCOURS : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »
Stendhal, Le Rouge et le Noir
Texte 9 : Stendhal, Le Rouge et le Noir, première partie, chapitre 4 (1830)
Dans Le Rouge et le Noir, le lecteur suit le parcours de Julien Sorel, fils d’un menuisier : ayant eu une
instruction, à la différence de ses frères, il rêve de gloire, d’embrasser une carrière militaire ou
ecclésiastique, et ainsi sortir de son milieu social.
En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne
ne répondit. Il ne vit que ses fils aînés, espèce de géants qui, armés de lourdes haches,
équarrissaient les troncs de sapin, qu’ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre
exactement la marque noire tracée sur la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait
des copeaux énormes. Ils n’entendirent pas la voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le
hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la place qu’il aurait dû occuper, à côté de
la scie. Il l’aperçut à cinq ou six pieds plus haut, à cheval sur l’une des pièces de la toiture.
Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien n’était
plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu
propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture
lui était odieuse : il ne savait pas lire lui-même.
Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme
donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de
son père. Enfin, malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l’arbre soumis à l’action de la
scie, et de là sur la poutre transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le
ruisseau le livre que tenait Julien ; un second coup aussi violent, donné sur la tête, en forme
de calotte, lui fit perdre l’équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze pieds plus bas, au
milieu des leviers de la machine en action, qui l’eussent brisé, mais son père le retint de la
main gauche, comme il tombait :
– Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à
la scie ? Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure.
Julien, quoiqu’étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste
officiel, à côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique,
que pour la perte de son livre qu’il adorait.
Emma qui s’est installée à Yonville avec son mari Charles Bovary finit par avoir un amant, Rodolphe, un
châtelain volage. Au début de ce chapitre 12, Emma a proposé au jeune homme de s’enfuir. L’extrait évoque
ses rêves d’évasion, alors que son époux Charles la rejoint dans le lit.
Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’être endormie; et, tandis qu’il1 s’assoupissait à
ses côtés, elle se réveillait en d’autres rêves.
Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où
ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du
haut d’une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes,
des ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc, dont les
clochers aigus portaient des nids de cigogne. On marchait au pas, à cause des grandes dalles,
et il y avait par terre des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillées en
corset rouge. On entendait sonner des cloches, hennir les mulets, avec le murmure des
guitares et le bruit des fontaines, dont la vapeur s’envolant rafraîchissait des tas de fruits,
disposés en pyramide au pied des statues pâles, qui souriaient sous les jets d’eau. Et puis ils
arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des filets bruns séchaient au vent, le long
de la falaise et des cabanes. C’est là qu’ils s’arrêteraient pour vivre; ils habiteraient une
maison basse, à toit plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils
se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et
large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils
contempleraient. Cependant, sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien
de particulier ne surgissait; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et
cela se balançait à l’horizon, infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais l’enfant2
se mettait à tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne
s’endormait que le matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin3,
sur la place, ouvrait les auvents de la pharmacie.
1 Charles Bovary, son mari
2 Berthe, la fille d’Emma et Charles Bovary
3 Employé de la pharmacie
SUZANNE. - (...)
Parfois, tu nous envoyais des lettres,
parfois tu nous envoies des lettres,
ce ne sont pas des lettres, qu'est-ce que c'est ?
de petits mots, juste des petits mots, une ou deux phrases, rien, comment est-ce qu'on dit ?
elliptiques.
« Parfois, tu nous envoyais des lettres elliptiques. »
Je pensais, lorsque tu es parti
(ce que j'ai pensé lorsque tu es parti),
lorsque j'étais enfant et lorsque tu nous as faussé compagnie (là que ça commence),
Je pensais que ton métier, ce que tu faisais ou allais faire dans la vie,
ce que tu souhaitais faire dans la vie,
je pensais que ton métier était d'écrire (serait d'écrire)
ou que, de toute façon
- et nous éprouvons les uns et les autres, ici, tu le sais, tu ne peux pas ne pas le savoir, une certaine
forme d'admiration, c'est le terme exact, une certaine forme d'admiration pour toi à cause de ça -,
18
Antoine
Rien en toi n’est jamais atteint,
il fallait des années peut-être pour que je le sache,
mais rien en toi n’est jamais atteint,
tu n’as pas mal
-si tu avais mal, tu ne le dirais pas, j’ai appris cela à mon tour-
et tout ton malheur n’est qu’une façon de répondre,
une façon que tu as de répondre,
d’être là, devant les autres et de ne pas les laisser entrer.
c’est ta manière à toi, ton allure
le malheur sur le visage comme d’autres ont un air de crânerie satisfaite,
tu as choisi ça, et cela t’a servi et tu l’as conservé.
Et nous, nous nous sommes fait du mal à notre tour, chacun n'avait rien à se reprocher
et ce ne pouvait être que les autres qui te nuisaient et nous rendaient responsables tous ensemble,
moi, eux,
et peu à peu, c'était de ma faute, ce ne pouvait être que de ma faute.
On devait m'aimer trop puisque on ne t'aimait pas assez
et on voulut me reprendre alors ce qu'on ne me donnait pas,
et ne me donna plus rien,
et j'étais là, couvert de bonté sans intérêt à ne jamais devoir me plaindre,
à sourire, à jouer,
à être satisfait, comblé, tiens, le mot, comblé,
alors que toi, toujours, inexplicablement, tu suais le malheur
dont rien ni personne, malgré tous ces efforts, n'aurait su te distraire et te sauver.
Et lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quittés, lorsque tu nous abandonnas,
je ne sais plus quel mot définitif tu nous jetas à la tête,
je dus encore être le responsable,
être silencieux et admettre la fatalité, et te plaindre aussi,
m'inquiéter de toi à distance
et ne plus jamais oser dire un mot contre toi, ne plus jamais même oser penser un mot contre toi,
rester là, comme un benêt, à t'attendre.
Moi, je suis la personne la plus heureuse de la terre,
et il ne m'arrive jamais rien,
et m'arrive-t-il quelque chose que je ne peux me plaindre, puisque, « à l'ordinaire »,
il ne m'arrive jamais rien.
Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, deuxième partie scène 3 Les Solitaires intempestifs
Mario : Quoi ! ce babillard qui vient de sortir ne t’a pas un peu dégoûtée de lui ?
Silvia, avec feu. : Que vos discours sont désobligeants ! m’a dégoûtée de lui ! dégoûtée ! J’essuie
des expressions bien étranges ; je n’entends plus que des choses inouïes, qu’un langage
inconcevable ; j’ai l’air embarrassé, il y a quelque chose ; et puis c’est le galant Bourguignon qui
m’a dégoûtée. C’est tout ce qui vous plaira, mais je n’y entends rien.
Mario : Pour le coup, c’est toi qui es étrange. À qui en as-tu donc ? D’où vient que tu es si fort
sur le qui-vive ? Dans quelle idée nous soupçonnes-tu ?
Silvia : Courage, mon frère ! Par quelle fatalité aujourd’hui ne pouvez-vous me dire un mot qui
ne me choque ? Quel soupçon voulez-vous qui me vienne ? Avez-vous des visions ?
Monsieur Orgon : Il est vrai que tu es si agitée que je ne te reconnais point non plus. Ce sont
apparemment ces mouvements-là qui sont cause que Lisette nous a parlé comme elle a fait. Elle
accusait ce valet de ne t’avoir pas entretenue à l’avantage de son maître, et, « madame, nous a-t-
elle dit, l’a défendu contre moi avec tant de colère que j’en suis encore toute surprise » et c’est sur
ce mot de surprise que nous l’avons querellée, mais ces gens-là ne savent pas la conséquence d’un
mot.
Silvia : L’impertinente ! y a-t-il rien de plus haïssable que cette fille-là ? J’avoue que je me suis
fâchée par un esprit de justice pour ce garçon.
Gennaro : Vous êtes ma tante. Vous êtes la sœur de mon père. Qu’avez-vous fait de ma mère, Madame
Lucrèce Borgia ? ?
Dona Lucrezia : Attends, attends ! Mon dieu, je ne puis tout dire. Et puis, si je te disais tout, je ne ferais
peut-être que redoubler ton horreur et ton mépris pour moi ! écoute-moi encore un instant. Oh ! Que je
voudrais bien que tu me reçusses repentante à tes pieds ! Tu me feras grâce de la vie, n’est-ce pas ? Eh bien,
veux-tu que je prenne le voile ? Veux-tu que je m’enferme dans un cloître, dis ? Voyons, si l’on te disait :
cette malheureuse femme s’est fait raser la tête, elle couche dans la cendre, elle creuse sa fosse de ses mains,
elle prie Dieu nuit et jour, non pour elle, qui en aurait besoin cependant, mais pour toi, qui peux t’en passer ;
elle fait tout cela, cette femme, pour que tu abaisses un jour sur sa tête un regard de miséricorde, pour que tu
laisses tomber une larme sur toutes les plaies vives de son cœur et de son âme, pour que tu ne lui dises plus
comme tu viens de le faire avec cette voix plus sévère que celle du jugement dernier : vous êtes Lucrèce
Borgia ! Si l’on te disait cela, Gennaro, est-ce que tu aurais le cœur de la repousser ! Oh ! Grâce ! Ne me tue
pas, mon Gennaro ! Vivons tous les deux, toi pour me pardonner, moi, pour me repentir ! Aie quelque
compassion de moi ! !
Enfin cela ne sert à rien de traiter sans miséricorde une pauvre misérable femme qui ne demande qu’un peu
de pitié ! - un peu de pitié ! Grâce de la vie ! !
- et puis, vois-tu bien, mon Gennaro, je te le dis pour toi, ce serait vraiment lâche ce que tu ferais là, ce serait
un crime affreux, un assassinat ! Un homme tuer une femme ! Un homme qui est le plus fort ! Oh ! Tu ne
voudras pas ! Tu ne voudras pas ! !
Gennaro, ébranlé : Madame…
Dona Lucrezia. Oh ! Je le vois bien, j’ai ma grâce. Cela se lit dans tes yeux. Oh ! Laisse-moi pleurer à tes
pieds !
Une voix au-dehors : Gennaro ! !
Gennaro : Qui m’appelle ? ?
La Voix : Mon frère Gennaro ! !
Gennaro. C’est Maffio !
La Voix. Gennaro ! Je meurs ! Venge-moi !
Gennaro, relevant le couteau. C’est dit. Je n’écoute plus rien. Vous l’entendez, madame, il faut mourir !
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en
Assemblée nationale.
Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes
des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une
déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette
déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse
leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des
hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en
soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des
principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes
mœurs, et au bonheur de tous.
Article 1 : La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions
sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
Article 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de la Femme et de l’Homme. Ces droits sont : la liberté, la propriété, la
sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.
Article 3 : Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, qui
n’est que la réunion de la femme et de l’homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer
d’autorité qui n’en émane expressément.
Article 4 : La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi
l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que
l’homme lui oppose : ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la
raison.
Article 5 : Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la
société ; tout ce qui n’est pas défendu par ces lois, sages et divines, ne peut être empêché,
et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.
Article 6 : La loi doit être l’expression de la volonté générale : toutes les Citoyennes et
Citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ;
elle doit être la même pour tous ; toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à
ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics,
selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs
talents.
Texte 18 : Le postambule de la Déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne
reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de
sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux
tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes !
femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis
dans la Révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de
corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous
fondée sur les sages décrets de la nature ; qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ?
le bon mot du législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos législateurs français,
correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus
de saison, ne vous répètent : femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-
vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en
contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines
l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs
rampant à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que
soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez
qu’à le vouloir.
Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)
moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la
jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là,
mon ami, dans l’état horrible où je te vois ? - J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux
négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? - Oui,
monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux
fois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous
coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans
les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère
me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : « Mon cher enfant, bénis nos
fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l’honneur d’être esclave de nos
seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. «Hélas ! je ne sais pas si
j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont
mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous
les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ;
mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous
m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible.
- Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra
qu’à la fin je renonce à ton optimisme. - Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. - Hélas ! dit
Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal » ; et il versait des larmes en
Le narrateur, « Cyrano », voyage dans les États et Empires du Soleil. Il y rencontre une société d'oiseaux
très bien organisée. Une pie vient de lui expliquer pourquoi elle aime bien les hommes : ils l'ont élevée et
nourrie.
Le gouvernement du bonheur.
Elle achevait ceci, quand nous fûmes interrompus par l'arrivée d'un aigle qui se vint asseoir entre les
rameaux d'un arbre assez proche du mien. Je voulus me lever pour me mettre à genoux devant lui, croyant
que ce fût le roi, si ma pie de sa patte ne m'eût contenu en mon assiette. « Pensiez-vous donc, me dit-elle,
que ce grand aigle fut notre souverain ? C'est une imagination de vous autres hommes, qui à cause que vous
laissez commander aux plus grands, aux plus forts et aux plus cruels de vos compagnons, avez sottement
cru, jugeant de toutes choses par vous, que l'aigle nous devait commander.
« Mais notre politique est bien autre ; car nous ne choisissons pour notre roi que le plus faible, le plus doux,
et le plus pacifique ; encore le changeons nous tous les six mois, et nous le prenons faible, afin que le
moindre à qui il aurait fait quelque tort, se pût venger de lui. Nous le choisissons doux, afin qu'il ne haïsse ni
ne se fasse haïr de personne, et nous voulons qu'il soit d'une humeur pacifique, pour éviter la guerre, le canal
de toutes les injustices. .
« Chaque semaine, il tient les États, où tout le monde est reçu à se plaindre de lui. S'il se rencontre seulement
trois oiseaux mal satisfaits de son gouvernement, il en est dépossédé, et l'on procède à une nouvelle élection.
.
« Pendant la journée que durent les États, notre roi est monté au sommet d'un grand if sur le bord d'un étang,
les pieds et les ailes liés. Tous les oiseaux l'un après l'autre passent par-devant lui ; et si quelqu'un d'eux le
sait coupable du dernier supplice, il le peut jeter à l'eau. Mais il faut que sur-le-champ il justifie la raison
qu'il en a eue, autrement il est condamné à la mort triste. »