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COMPLAINTE DE L'OUBLI DES MORTS

Mesdames et Messieurs,
Vous dont la mère est morte,
C'est le bon fossoyeux
Qui gratte à votre porte.

Les morts
C'est sous terre;
Ça n'en sort
Guère.

Vous fumez dans vos bocks,


Vous soldez quelque idylle,
La bas chante le cog,
Pauvres morts hors des villes!

Grand-papa se penchait,
La, le doigt sur la tempe,
Sœur faisait du crochet,
Mère montait la lampe.

Les morts
C'est discret,
Ça dort
Trop au frais.

Vous avez bien diné,


Comment va cette affaire?
Ahl les petits mort-nés
Ne se dorlotent guère!

Notez, d'un trait égal,


Au livre de la caisse,
Entre deux frais de bal :
Entretien tombe et messe.
C'est gai,
Cette vie;
Hein, ma mie,
Ô gué?

Mesdames et Messieurs,
Vous dont la sœur est morte,
Ouvrez au fossoyeux
Qui claque à votre porte;
Si vous n'avez pitié,
Il viendra (sans rancune)
Vous tirer par les pieds,
Une nuit de grand'lune!

Importun
Vent qui ragel
Les défunts?
Ça voyage...
Fantaisie

Il est un air pour qui je donnerais


Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,


De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,


Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,


Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... - et dont je me souviens !

Gérard de Nerval
XLIX
ODE

Un corbeau devant moi croasse,


Une ombre offusque* mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l'endroit où je passe;
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal,
J'entends craqueter le tonnerre,
Un esprit se présente à moi,
J'ois Charon qui m'appelle à soi,
10 Je vois le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte en sa source,


Un bœuf gravit sur un clocher,
Le sang coule de ce rocher,
Un aspic s accouple d'une ourse,
15 Sur le haut d'une vieille tour
Un serpent déchire un vautour,
Le feu brûle dedans la glace,
Le soleil est devenu noir
Je vois la lune qui va choir,
Cet arbre est sorti de sa place.
MARIZIBILLI

Dans la Haute-Rue à Cologne


Elle allait et venait le soir
Offerte à tous en tout mignonne
Puis buvait lasse des trottoirs s
Très tard dans les brasseries borgnes

Elle se mettait sur la paille


Pour un maquereau roux et rose
C'était un juif il sentait l'ail
Et l'avait venant de Formose
Tirée d'un bordel de Changaï

Je connais gens de toutes sortes


Ils n'égalent pas leurs destins
Indécis comme feuilles mortes
Leurs yeux sont des feux mal éteints
1s Leurs cœurs bougent comme leurs portes
Les roses de Saâdi

J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;


Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n'ont pu les contenir.

Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées


Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.


Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée.
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.

Marceline Desbordes-Valmore

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