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Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

Parcours associé : Alchimie poétique : la boue et l’or

Texte 14 : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen et Idéal », II, « L’Albatros »

L’Albatros

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage


Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,


Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !


Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées


Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
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Texte 15 : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Tableaux parisiens », VIII, « A une passante »

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.


Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.


Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit! – Fugitive beauté


Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être !


Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !
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Texte 16 : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen et Idéal », XXII, « Parfum exotique »

Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,


Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne


Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,


Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,


Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
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Texte 17 : Arthur Rimbaud, Les Cahiers de Douai, « Ma Bohème » (Fantaisie), 1870

Ma Bohème
(Fantaisie.)

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;


Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.


– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
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Texte 18 : Tristan Corbière, Les Amours jaunes, « Le Crapaud », 1873

Le Crapaud

Un chant dans une nuit sans air…


– La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.

… Un chant ; comme un écho, tout vif


Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…

– Un crapaud ! – Pourquoi cette peur,


Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… – Horreur ! –

… Il chante. – Horreur !! – Horreur pourquoi ?


Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.
.....................
Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.

(Ce soir, 20 Juillet.)

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