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SOMMAIRE

Titre

Mot de l’éditeur

Préface

Martin Luther King - « J’ai un rêve » - 28 août 1963

Joséphine Baker - Discours - 28 août 1963

Copyright
Mot de l’éditeur

En 1958, HarperCollins Publishers éditait le tout premier livre de Martin


Luther King : Stride Toward Freedom : The Montgomery Story. Plusieurs
autres titres suivront, dont l’ouvrage de référence Strength to Love, en
1963.
Plus de soixante ans après, en juin 2021, HarperCollins a acquis les
droits d’édition mondiaux des archives du pasteur et militant devenu l’un
des symboles de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Parmi ces
archives figurent certains écrits emblématiques de l’histoire américaine,
dont le discours « I Have A Dream », prononcé lors de la marche sur
Washington, le 28 août 1963.
Notre maison d’édition est fière de rééditer l’intégralité de ce texte
historique dans une nouvelle traduction de Santiago Artozqui et préfacé par
Amanda Gorman, jeune poétesse à travers laquelle s’est manifesté, lors de
sa performance pour l’investiture du président Joe Biden en janvier 2021,
l’héritage transmis par Martin Luther King.
Le discours est suivi de celui prononcé par Joséphine Baker, ce même
28 août 1963. Figure du féminisme, de l’antiracisme et de la Résistance en
France, elle est entrée au Panthéon le 30 novembre 2021.

Ces voix résonnent aujourd’hui avec la même urgence face au défi sans
cesse renouvelé de la lutte pour l’égalité et la justice.
Écoutons-les.
Préface

Le 20 janvier 2021, pendant la répétition de mon intervention à l’investiture


présidentielle de Joe Biden, j’ai posé les yeux sur un National Mall
pratiquement désert. Depuis le podium installé sur les marches du Capitole,
j’admirais le grand éclat blanc du Washington Monument, le soleil de ce
début d’après-midi qui se reflétait dans le bassin du Lincoln Memorial et,
au loin, l’imposante structure de marbre du Lincoln Memorial lui-même. Le
spectacle de ces formidables silhouettes a donné à mon cœur, qui battait
dangereusement la chamade, un pan d’histoire concrète auquel se
raccrocher. La poitrine serrée, je me suis forcée à prendre une profonde
inspiration et, l’œil sur les statues, j’ai laissé le premier vers de mon poème
La Colline que nous gravissons franchir mes lèvres. Pulsation après
pulsation, j’ai mis un mot derrière l’autre : « Monsieur le Président,
Madame la Vice-Présidente, Américains et peuples du monde. »
J’attendais que les énormes enceintes de la cérémonie renvoient l’écho
de mes mots avant de continuer à déclamer mon texte, afin d’être certaine
de ne pas interférer avec ma propre voix. Cela m’a également permis
d’embrasser intimement la résonance d’un moment historique bien
antérieur.
Ce moment a eu lieu le 28 août 1963, lorsque Martin Luther King a
prononcé sa désormais célèbre harangue « J’ai un rêve » depuis les marches
du Lincoln Memorial. Bien que le Dr King et moi-même nous soyons
exprimés à des époques et en des lieux différents, nous regardions
essentiellement le même panorama : notre pays et ses monuments.
Avec le temps, le discours du Dr King est devenu un monument à part
entière, bien qu’il ait été bâti avec des phrases et non avec de la pierre. Il a
non seulement touché les 250 000 femmes et hommes qui ont participé à la
marche sur Washington, mais aussi les innombrables personnes qui ont
trouvé une force pérenne dans cet appel expressif en faveur de la liberté et
des droits civiques. Plusieurs attributs confèrent à cette harangue toute sa
puissance, y compris, mais en aucune façon exclusivement, trois éléments
fondamentaux : la vision, le talent oratoire et la langue. C’est-à-dire son
propos, la façon dont il a été transmis et celle dont il a été écrit.
Tout d’abord, le Dr King a présenté une reviviscence unique du rêve
américain qui transcende la race, la classe, le genre et d’autres différences
intersectionnelles. Il a imaginé un solide terrain d’entente, mais également
fourni une description précise de la conscience et de la condition
américaines.
La deuxième force du discours tient à l’extraordinaire prestation de
Martin Luther King. Dans les jours de janvier qui ont précédé ma
déclamation de La Colline que nous gravissons, j’ai écouté en boucle des
enregistrements de l’allocution du pasteur, en essayant de m’inspirer de son
style électrisant et persuasif. Lui et moi avons tous deux été influencés par
l’Église noire dans notre approche de l’art oratoire. En tant que jeune fille
noire ayant passé de nombreux dimanches à l’église noire de mon quartier,
j’ai été fascinée toute ma vie par cette institution ancestrale qui, à travers les
âges, a donné naissance à des prophètes, des poètes et des artisans du
changement noirs, des personnes comme Harriet Tubman et Frederick
Douglass. De ce point de vue, le Dr King est un exemple extraordinaire et
non une exception isolée.
Je dirais en outre que le discours du Dr King perdure en raison non
seulement de sa prose vigoureuse, mais aussi de sa poésie stupéfiante.
Comme le plus sage des rhapsodes, l’ambitieux pasteur maniait avec
aisance le lyrisme, le langage figuratif, la rime, le rythme et les procédés
rhétoriques. Sa brillante maîtrise de la langue lui a permis de rédiger l’un
des textes américains les plus porteurs de sens – et les plus poétiques – de
l’histoire.
Malgré tout, précisément parce que « J’ai un rêve » demeure
aujourd’hui encore un texte si apprécié, certains affirment qu’il est
galvaudé, voire qu’il serait devenu un cliché. Il est vrai que ce discours
n’est qu’un des innombrables moyens par lesquels le Dr King s’est
prononcé en faveur de la justice. Néanmoins, l’étendue de son œuvre ne
doit pas nous empêcher de nous repencher sur les effets indélébiles de « J’ai
un rêve ». Le fait de se réengager méticuleusement et avec curiosité dans un
tel texte n’en diminue ni la portée ni la pérennité ; au contraire, il y gagne
en profondeur. Plus nous embrassons l’ampleur du rêve que Martin Luther
King a formulé, plus nous embrassons l’ampleur de notre avenir commun.
En d’autres termes, même ce qui est reconnu doit être re-connu, encore et
encore, si l’on veut en préserver le sens.
Il m’aurait été impossible d’écrire La Colline que nous gravissons sans
considérer « J’ai un rêve » comme l’un des nombreux ancêtres littéraires de
mon poème. Au contraire, cela m’a rappelé que, même si je me trouvais à
l’écart des autres sur le podium inaugural, j’étais loin d’être seule. Je
m’inscrivais dans une longue lignée de personnages publics qui puisent une
inspiration inaltérable dans l’activisme de Martin Luther King. Nous
revisitons « J’ai un rêve » non pas pour devenir le Dr King, mais pour
contempler, soutenir et mettre en avant toute l’œuvre de sa vie. Il était un
météore unique dont personne ne peut copier la trajectoire. En revanche,
nous pouvons poursuivre sa mission. Là réside le pouvoir éternel et chaque
jour plus grand du rêve du Dr King. Il véhicule un espoir qui nous met au
défi, nous engage et nous accueille tous autant que nous sommes.
Quand j’ai terminé de déclamer La Colline que nous gravissons, j’ai
entendu le mugissement des haut-parleurs qui renvoyaient lentement mais
sûrement le son de ma voix dans l’air froid de l’hiver. C’était comme si
l’histoire elle-même me répondait, me remémorant tous les autres géants,
tous les autres King sur les épaules desquels j’ai la chance de me tenir.
Réciter mon poème était peut-être une performance solo, mais ma voix
venait s’ajouter au chœur de tous ceux qui continuent à rappeler la vision
immortelle de Martin Luther King. J’ai souri, convaincue, comme je le suis
toujours, que l’écho de son œuvre retentira à jamais haut et fort. Un jour, ce
ne sera plus seulement un écho mais un fait – plus seulement un rêve qui
résonne avec force mais un rêve enfin réalisé.
Amanda Gorman
Los Angeles, Californie
2022
MARTIN LUTHER KING

« J’AI UN RÊVE »
28 août 1963
Je suis heureux
de participer aujourd’hui
avec vous à cet événement
qui s’inscrira dans l’histoire
comme la plus grande manifestation
en faveur de la liberté
que notre nation
ait jamais connue.
Il y a un siècle,
un grand Américain
dans l’ombre symbolique
duquel nous nous tenons
aujourd’hui a signé
la proclamation
d’émancipation.
Tel un phare,
ce décret capital a fait briller
une lumière d’espoir
pour les millions d’esclaves noirs
qui se consumaient
dans les flammes
d’une humiliante injustice.
Il est venu
comme une aube joyeuse
mettre fin à la longue nuit
de leur captivité.
Mais cent ans après,
le Noir n’est toujours pas libre.
Cent ans après,
la vie du Noir est toujours
tristement estropiée par les menottes
de la ségrégation et les chaînes
de la discrimination.
Cent ans après,
le Noir vit sur un îlot
de pauvreté esseulé
dans un vaste océan
de prospérité matérielle.
Cent ans après,
le Noir languit toujours
dans les recoins de la société
américaine et se retrouve en exil
dans son propre pays.
C’est pourquoi
nous sommes venus ici
aujourd’hui dénoncer
cette condition scandaleuse.
En un sens,
nous sommes venus
à la capitale de notre nation
pour encaisser un chèque.
Quand les architectes
de notre république ont écrit
les mots magnifiques
de la Constitution
et de la Déclaration d’indépendance,
ils ont signé un billet à ordre
dont chaque Américain
allait hériter.
Ce chèque était une promesse
que tous les hommes,
oui, les hommes noirs
tout autant que les hommes blancs,
se verraient garantir leurs droits
inaliénables à la vie, à la liberté
et à la recherche du bonheur.
Il est aujourd’hui évident
que l’Amérique est en défaut
de paiement sur ce billet à ordre,
du moins en ce qui concerne
ses citoyens de couleur.
Au lieu d’honorer
cette dette sacrée,
l’Amérique a remis
au Noir un chèque en bois,
un chèque qui est revenu
avec la mention « sans provision ».
Mais nous refusons de croire
que la banque de la justice
est en faillite.
Nous refusons de croire
qu’il n’y a pas de quoi honorer
ce chèque dans les grands coffres
pleins d’opportunités de cette nation.
Alors nous sommes
venus l’encaisser,
encaisser ce chèque qui,
sur présentation, nous fournira
les richesses de la liberté
et la sécurité
de la justice.
Nous sommes aussi venus
en ce lieu sacré pour rappeler
à l’Amérique l’urgence absolue
du moment.
Il n’est plus temps
de s’offrir le luxe de tiédir
ou de prendre des demi-mesures
sédatives.
L’heure est venue de tenir
ces promesses de démocratie.
L’heure est venue d’émerger
de la vallée sombre et désolée
de la ségrégation pour s’engager
sur le chemin ensoleillé
de la justice raciale.
L’heure est venue de tirer
notre nation des sables mouvants
de l’injustice raciale pour la hisser
sur le roc solide de la fraternité.
L’heure est venue de faire
de la justice une réalité
pour tous les enfants du Seigneur.
Il serait fatal à la nation
d’ignorer l’urgence du moment.
Cet été étouffant
du mécontentement légitime
du Noir ne passera qu’avec
l’avènement d’un vivifiant automne
de liberté et d’égalité.
1963 n’est pas une fin
mais un commencement.
Et ceux qui espèrent que le Noir
avait besoin de relâcher la pression
et qu’il est à présent satisfait
vont vivre un réveil brutal
si la nation retourne à ses affaires
comme si de rien n’était.
Il n’y aura ni repos ni tranquillité
en Amérique jusqu’à ce que
le Noir se voie accorder
ses droits civiques.
Les vents de la révolte
continueront d’ébranler
les fondations de notre nation
jusqu’au jour radieux
où la justice poindra.
Mais il est une chose
que je dois dire à mon peuple,
qui se tient sur le seuil chaleureux
du palais de la justice :
au cours du processus
pour gagner la place
qui nous revient de droit,
ne nous rendons pas coupables
d’actes répréhensibles.
Ne cherchons pas
à étancher notre soif de liberté
en buvant à la coupe
de l’amertume et de la haine.
Nous devrons toujours
mener notre combat
dans les sphères supérieures
de la dignité et la discipline.
Ne laissons pas nos revendications
créatrices dégénérer
en violence physique.
Nous devrons,
encore et encore,
nous élever à des hauteurs
majestueuses en répondant
à la force physique
par notre force d’âme.
Le militantisme
nouveau et merveilleux
qui a saisi la communauté noire
ne doit pas nous mener
à nous méfier de tous les Blancs,
car beaucoup de nos frères blancs,
comme leur présence ici
aujourd’hui le démontre,
en sont venus à comprendre
que leur destin est lié
à notre destin, ils en sont venus
à comprendre que leur liberté
est inextricablement liée
à notre liberté.
Nous ne pouvons
marcher seuls.
Et tandis que nous marchons,
nous devons faire vœu
de toujours aller de l’avant.
Nous ne pouvons pas revenir
en arrière.
Certains demandent
aux partisans des droits civiques :
« Quand serez-vous satisfaits ? »
Nous ne pourrons jamais
être satisfaits tant que le Noir
sera victime de l’horreur
indicible des brutalités policières.
Nous ne pourrons jamais
être satisfaits tant que,
le corps lourd de fatigue
après un voyage,
nous n’aurons pas le droit
de réserver une chambre
dans un motel d’autoroute
ou dans l’hôtel d’une ville.
Nous ne pouvons pas être
satisfaits tant que la liberté
de mouvement du Noir
lui permet juste de déménager
d’un petit ghetto
à un autre plus grand.
Nous ne pourrons jamais
être satisfaits tant que nos enfants
seront spoliés de leur identité
et dépossédés de leur dignité
par des panneaux proclamant
« réservé aux Blancs ».
Nous ne pouvons pas être
satisfaits tant qu’un Noir
du Mississippi ne peut pas voter
et qu’un Noir à New York pense
qu’il n’a aucune raison de voter.
Non, non, nous ne sommes
pas satisfaits et nous ne serons
pas satisfaits tant que la justice
ne déferlera pas comme une vague
et le droit comme un puissant torrent.
J’ai bien conscience
que certains parmi vous
sont venus ici après avoir traversé
de grandes épreuves
et connu bien des tribulations.
Certains parmi vous
sortent à peine d’une cellule
de prison exiguë.
Certains parmi vous
viennent d’endroits
où leur quête de liberté
leur a valu d’être meurtris
par les tempêtes de la persécution
et secoués par les rafales
de la brutalité policière.
Vous êtes des anciens combattants
de la souffrance créatrice.
Continuez à travailler,
avec la foi qu’une souffrance
imméritée est rédemptrice.
Retournez dans le Mississippi,
retournez en Alabama,
retournez en Caroline du Sud,
retournez en Géorgie,
retournez en Louisiane,
retournez dans les taudis
et les ghettos de nos villes du Nord,
en sachant que,
d’une manière ou d’une autre,
cette situation peut changer
et changera.
Ne nous prélassons pas
dans la vallée du désespoir.
Je vous le dis maintenant,
mes amis, alors même
que nous affrontons les difficultés
présentes et à venir,
j’ai un rêve.
Un rêve profondément enraciné
dans le rêve américain.
J’ai le rêve qu’un jour
cette nation se montre à la hauteur
et endosse la véritable signification
de son credo : « Nous tenons
ces vérités pour évidentes
par elles-mêmes : tous les hommes
sont créés égaux… »
J’ai le rêve qu’un jour,
sur les collines rouges de Géorgie,
les fils des anciens esclaves
et les fils des anciens propriétaires
d’esclaves soient en mesure
de s’asseoir ensemble
à la table de la fraternité.
J’ai le rêve qu’un jour
même le Mississippi,
un État consumé
par le brasier de l’injustice,
consumé par le brasier
de l’oppression,
devienne une oasis
de liberté et de justice.
J’ai le rêve que mes quatre enfants
en bas âge vivent un jour
dans une nation qui ne les jugera pas
sur la couleur de leur peau
mais sur la nature de leur caractère.
Aujourd’hui, j’ai un rêve.
J’ai le rêve qu’un jour l’Alabama,
avec ses racistes brutaux,
avec un gouverneur
dont les lèvres suintent de mots
comme « interposition »
et « révocation »,
soit un endroit
où les petits garçons noirs
et les petites filles noires
pourront donner la main
aux petits garçons blancs
et aux petites filles blanches
comme des frères et sœurs.
Aujourd’hui, j’ai un rêve.
J’ai le rêve qu’un jour
toutes les vallées soient comblées,
toutes les collines
et toutes les montagnes
soient nivelées,
les reliefs soient transformés
en plaines, et les chemins semés
d’ornières, égalisés,
alors la gloire du Seigneur
sera révélée, et tous les êtres de chair
la verront en même temps.
Tel est notre espoir.
Telle est la foi
avec laquelle je retourne
dans le Sud.
Avec une telle foi,
nous serons capables
de tailler un bloc d’espoir
dans cette montagne de désespoir.
Avec une telle foi,
nous pourrons transformer
le brouhaha dissonant
de notre nation en une magnifique
symphonie fraternelle.
Avec une telle foi,
nous pourrons travailler ensemble,
prier ensemble,
lutter ensemble,
aller en prison ensemble,
défendre la liberté ensemble,
en sachant qu’un jour
nous serons libres.
Ce jour-là, ce jour-là,
tous les enfants de Dieu
seront en mesure de chanter
ces paroles qui auront
un sens nouveau :
« Mon pays, c’est toi,
ô douce terre de liberté,
c’est toi que je chante.
Terre où sont morts mes pères,
terre de pèlerins fiers,
qu’à chaque flanc de montagne
résonne la liberté ! »
Et si l’Amérique
doit être une grande nation,
ceci doit devenir une réalité.
Alors, que la liberté résonne
du haut des prodigieuses collines
du New Hampshire.
Que la liberté résonne
depuis les puissantes montagnes
de l’État de New York.
Que la liberté résonne
sur les hauteurs des monts Allegheny,
en Pennsylvanie.
Que la liberté résonne
sur les sommets enneigés
des Rocheuses, dans le Colorado.
Que la liberté résonne
depuis les pentes vallonnées
de la Californie.
Mais cela ne suffit pas :
Que la liberté résonne
sur Stone Mountain, en Géorgie.
Que la liberté résonne
sur Lookout Mountain,
dans le Tennessee.
Que la liberté résonne
sur chaque colline
et sur chaque monticule
du Mississippi.
Que sur chaque flanc de montagne,
la liberté résonne.
Et quand cela se produira,
quand nous permettrons
à la liberté de résonner,
quand nous la laisserons résonner
dans chaque village
et dans chaque hameau,
dans chaque État
et dans chaque ville,
nous ferons advenir plus vite le jour
où tous les enfants du Seigneur,
les Noirs et les Blancs,
les juifs et les gentils,
les protestants et les catholiques,
pourront se donner la main
et entonner ce vieux
negro spiritual :
« Enfin libres ! Enfin libres !
Merci, Dieu tout-puissant,
nous sommes enfin libres ! »
JOSÉPHINE BAKER

DISCOURS
28 août 1963
Mes amis, ma famille… vous savez que j’ai eu une longue vie et que j’ai
parcouru un bon bout de chemin. Et il faut que vous sachiez que ce que j’ai
fait, je l’ai d’abord fait pour moi-même. Plus tard, lorsque certaines choses
ont commencé à m’arriver, je me suis demandé si elles vous arrivaient
aussi, puis j’ai su que c’était le cas. Et j’ai su que, comme moi, vous n’aviez
aucun moyen de vous défendre.
Comme je m’entêtais à faire les choses que je faisais et à dire les choses
que je disais, on a commencé à me taper dessus. Non pas avec un bâton –
même si cela aussi je l’ai vu, vous savez – mais à coups de stylos, à coups
d’articles. Et cela, mes amis, c’est bien pire.
Quand j’étais enfant et qu’on m’a chassée de chez moi en mettant le feu
à ma maison, j’ai eu peur et je me suis enfuie. J’ai fini par m’enfuir très loin
dans un endroit qui s’appelle la France. Beaucoup d’entre vous y sont allés,
et beaucoup n’y ont jamais mis les pieds. Mais je dois vous dire, mesdames
et messieurs, que dans ce pays-là je n’ai jamais eu peur. C’était un endroit
féerique.
Et je n’ai pas besoin de vous raconter les choses merveilleuses qui m’y
sont arrivées. J’ai bien conscience que vous, les enfants, vous ne savez pas
qui est Joséphine Baker. Mais demandez à mamie et papi, et ils vous le
diront. Vous savez bien ce qu’ils diront : « C’était une diablesse. » Et vous
savez quoi… ils auront raison. Je l’ai également été. J’ai été une diablesse
dans d’autres pays, et j’ai aussi été une petite diablesse aux États-Unis.
Mais je dois vous dire qu’à Paris, quand j’étais jeune, des choses
étranges me sont arrivées. Des choses que je n’avais jamais vécues
auparavant. Quand j’ai quitté Saint-Louis, il y a fort longtemps, le
contrôleur m’a dirigée vers la voiture de queue. Et vous savez tous ce que
cela signifie.
Mais quand je me suis enfuie, oui, quand je me suis enfuie dans un autre
pays, je n’ai plus eu à le faire. Je pouvais entrer dans n’importe quel
restaurant, boire de l’eau où je le désirais, je n’avais pas à aller dans des
toilettes assignées aux personnes de couleur. Il faut que je vous dise : c’était
agréable, je m’y suis habituée, et ça m’a plu, je n’avais plus peur que
quelqu’un me crie dessus et me lance : « Va te mettre au fond, négresse. »
J’ai rarement utilisé ce mot, vous savez ? Mais vous savez aussi qu’on me
l’a souvent jeté à la figure.
Alors là-bas, très loin d’ici, j’étais heureuse, et comme j’étais heureuse,
j’ai connu le succès, vous le savez aussi.
Puis, après une longue période, je suis revenue en Amérique pour jouer
dans un grand spectacle de M. Ziegfeld, et vous vous doutez bien que
Joséphine était heureuse. Vous le savez. Parce que je voulais raconter mon
histoire à tout le monde au pays. Je voulais que tout le monde sache que
j’avais réussi, et vous savez aussi que c’est bien naturel.
Mais sur le grand et beau navire qui m’a ramenée ici, j’ai vécu une
mauvaise expérience. Une très grande star devait s’asseoir à ma table pour
dîner et, au dernier moment, j’ai découvert qu’elle refusait de manger avec
une femme de couleur. Je peux vous dire que ça m’a mis un sacré coup.
Je ne prendrai pas la peine de mentionner son nom, parce que ce n’est
pas important et que de toute façon elle est morte à présent.
Quand je suis arrivée à New York, j’ai encore pris des coups – quand on
ne me laissait pas entrer dans les bons hôtels ou manger dans certains
restaurants parce que j’étais une personne de couleur. Puis je suis allée à
Atlanta, et là c’était l’horreur. Alors je me suis dit : « Mon Dieu, je suis
Joséphine Baker, et s’ils me traitent ainsi en Amérique, comment traitent-ils
les autres ? »
Mes amis, vous savez que je ne vous mens pas quand je vous dis que je
suis entrée dans des palais de rois et de reines et dans des maisons de chefs
d’État. Et bien plus encore. Mais je ne pouvais pas entrer dans un hôtel en
Amérique et commander un café. Cela m’a mise en colère. Et quand je suis
en colère, vous savez que j’ouvre ma grande bouche. Alors attention, car
quand Joséphine Baker l’ouvre, on l’entend dans le monde entier.
J’ai ouvert la bouche, vous savez, et j’ai crié, mais quand j’ai exigé mon
dû et ce à quoi j’avais droit ils n’ont toujours pas voulu me l’accorder.
Dès lors, ils ont pensé qu’ils pouvaient me salir, et la meilleure façon de
le faire était de me traiter de communiste. Vous savez, là encore, ce que cela
signifiait. Ces mots étaient redoutés à l’époque, et je tiens aussi à vous dire
que j’ai été harcelée par les agences gouvernementales américaines, bien
qu’il n’y ait jamais eu le moindre début de preuve que j’étais communiste.
Mais ils étaient furieux. Ils étaient furieux parce que je disais la vérité. Et la
vérité, c’était simplement que je voulais une tasse de café. Je voulais la
boire là où j’en avais envie et j’avais de quoi la payer, alors pourquoi me la
refusait-on ?
Mes amis, mes frères et sœurs, c’est ce qui s’est passé. Et comme j’ai
crié assez fort ils ont légèrement entrouvert la porte, et nous avons tous
commencé à pouvoir nous glisser dans l’entrebâillement. Pas seulement les
gens de couleur, mais également les autres, les autres minorités, les
Asiatiques, les Mexicains et les Indiens, tant ceux des États-Unis que ceux
qui viennent d’Inde.
Je ne me tiens pas devant vous tous pour m’attribuer le mérite de ce qui
arrive aujourd’hui. Je ne saurais le faire. Mais je veux m’attribuer le mérite
de vous indiquer comment m’imiter, et quand vous crierez, mes amis, je
sais que vous serez entendus. Et vous le serez maintenant.

Mais vous, les jeunes, il y a une chose que vous devez faire, et je sais
que vous avez entendu cette histoire des milliers de fois de la bouche de
votre mère et de votre père, comme moi de celle de ma maman. Je n’ai pas
suivi ses conseils. Mais je suis arrivée au même résultat autrement. Vous
devez vous éduquer. Vous devez aller à l’école et apprendre à vous protéger.
Mais vous devez apprendre à vous protéger avec un stylo, pas avec un fusil.
Alors vous pourrez leur répondre. Et mes amis, je peux vous affirmer – sans
vouloir sombrer dans le cliché – que le stylo est vraiment plus puissant que
l’épée.
À présent, mes amis, je ne suis plus une jeune femme. Ma vie est
derrière moi. Le feu qui brûle en moi se réduit à des braises. Mais avant
qu’il s’éteigne je veux que vous utilisiez ces braises pour allumer le feu en
vous. Afin que vous puissiez continuer, afin que vous puissiez faire ces
choses que j’ai faites. Alors, quand ma flamme se sera éteinte et que j’irai là
où nous irons tous un jour, je pourrai être heureuse.
Vous savez que j’ai toujours emprunté le chemin le plus difficile. Je n’ai
jamais choisi la voie de la facilité, mais en vieillissant, comme je savais que
j’en avais le pouvoir et la force, je me suis engagée sur ce chemin rocailleux
et j’ai essayé de l’aplanir un peu. Je voulais le rendre moins pénible pour
vous. Je souhaite que vous ayez les opportunités que j’ai eues, mais je ne
veux pas que vous ayez à fuir pour en bénéficier. Quant à vous, parents, s’il
est trop tard pour vous, pensez à vos enfants. Faites en sorte qu’ils soient en
sécurité ici, afin qu’ils n’aient pas besoin de fuir, car je veux que vous et
vos enfants obteniez ce que j’ai eu.
Mesdames et messieurs, mes amis, ma famille, on vient de me remettre
un petit mot, comme on dit. C’est une invitation à rendre visite au président
des États-Unis dans sa maison, la Maison-Blanche.
Je suis très honorée. Mais je dois vous dire que ce n’est pas une femme
de couleur – ou une femme noire, comme vous dites ici en Amérique – qui
s’y rendra. C’est simplement une femme. C’est Joséphine Baker.
C’est un grand honneur pour moi. Et je veux que vous ayez aussi un
jour, vous les enfants qui m’écoutez, ce même honneur. Et nous savons que
ce jour n’est pas dans un futur indéterminé. Nous savons que ce jour, c’est
maintenant.
Je vous remercie, que Dieu vous bénisse. Et qu’Il continue à vous bénir
longtemps après que j’aurai disparu.
Le discours de Martin Luther King est imprimé avec l’autorisation des ayants droits de Martin Luther King, c/o Writers House,
New York, NY.
© Dr. Martin Luther King Jr., 1963. © Coretta Scott King, 1991.
Pour la préface : © Amanda Gorman, 2022.
Pour le discours de Joséphine Baker : © Joséphine Baker, 2022.
I Have A Dream, © The Estate of Martin Luther King Jr., 2022.

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Martin Luther King.
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Adaptation graphique : Sébastienne Ocampo.
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