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Sujet de dissertation n°1: Les Cahiers de Douai représentent-ils une révolution

poétique?

Introduction : [Présentation du sujet] Malgré la modestie de leur appellation, les Cahiers de


Douai marquent une date importante dans l'histoire de la poésie.
Ils rompent en effet avec toute une tradition poétique et ouvrent la voie à la poésie moderne.
[Problématique] Si les poèmes des Cahiers de Douai traduisent une évidente émancipation,
peut-on cependant parler de révolution poétique à propos de ce recueil? [Annonce du plan]
Après avoir analysé lors d'une première étape les audaces poétiques de Rimbaud, nous
verrons que celles-ci restent toutefois limitées. C'est en définitive à une «révolution» en
germe, non encore complètement accomplie, que le recueil fait songer.

(1) Dans les Cahiers de Douai, Rimbaud parvient à une véritable émancipation poétique et
bouleverse les règles traditionnelles de l'écriture poétique. Loin de se conformer à un
classicisme et un strict respect de la versification, l'adolescent fugueur décide de jouer avec
les codes existants. II s'agit pour le jeune homme à la fois de questionner l'héritage poétique et
d'affirmer une révolte contre l'ordre existant. Cette émancipation poétique se déploie selon
trois directions : elle bouleverse la langue, se libère des contraintes rythmiques et dévoile une
nouvelle poésie placée sous le signe d'une sensualité inédite.
L'émancipation poétique rimbaldienne affirme tout d'abord l'entrée dans la langue poétique
d'un lexique jusque-là mis à l'écart. Pour Rimbaud, à la suite de Baudelaire qu'il admire tant
tout est matière à poésie. On peut dépeindre ainsi une halte dans une auberge (« La Maline »)
ou encore un concert dans un kiosque à musique («A la musique »). Mais, au-delà du
prosaïsme des sujets que Baudelaire avait mis au goût du jour avec la section «Tableaux
parisiens» des Fleurs du mal, la révolution poétique de Rimbaud consiste à user d'une langue
qui n'a jamais voix au chapitre en poésie, qu'on entend jamais habituellement.
Ainsi le lexique qu'il emploie n'a-t-il que peu à voir avec la noblesse et l'excellence
langagière. Le registre familier est fréquemment employé comme dans «À la musique » (les
fantassins sont des «pioupious», V. 23). On trouve également des mots crus, voire grossiers:
le «Forgeron» lance un méprisant «Merde à ces chiens-là!» aux soldats. Enfin, Rimbaud
multiplie, dans certains poèmes, les onomatopées et interjections pour se moquer du sérieux
du langage poétique. Si la poésie a pour but de changer la vie, elle doit d'abord elle-même
changer le langage.
Rimbaud se libère également des fortes contraintes rythmiques structurant la prosodie. Il
pousse ainsi encore plus loin la révolution poétique initiée par Victor Hugo qui voulait, on
s'en souvient, « mettre un bonnet rouge à l'alexandrin». Cet alexandrin, mètre par excellence
du classicisme poétique, Rimbaud le déconstruit en usant de trois outils prosodiques
principaux, qu'il n'invente pas mais dont il systématise, volontairement à outrance, l'usage :
l'enjambement (par exemple dans « Le Dormeur du Val»), le rejet (dans « Le Mal», au dernier
tercet) et enfin le contre-rejet (dans «Ma Bohême »). Dernier aspect de cette émancipation
poétique, Rimbaud entend n'éviter aucun sujet dans sa poésie, il y célèbre notamment de
manière novatrice une sensualité heureuse, qui passe par une redécouverte de la puissance de
la nature. Citons ici «Roman» qui dévoile une expérience amoureuse, source de sensations
inédites pour le jeune homme: «On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans». Ou encore
«Sensation» qui exprime le plaisir irremplaçable que procure la nature. Cette sensualité
s'oppose à la froideur de la ville, symbole par excellence de la bêtise bourgeoise.
Transition : Les Cahiers de Douai ne sauraient pour autant être assimilés à un manifeste
poétique. Si les poèmes comportent de nombreuses innovations, leurs audaces n'en demeurent
pas moins mesurées.

(2) Dans ce recueil, contrairement à ceux qui suivront, Rimbaud ne fait pas toujours preuve
d'une radicalité absolue. Ses audaces restent mesurées. Il faudra attendre Une saison en enfer
puis Illuminations pour voir s'affirmer une liberté formelle totale. L'émancipation poétique de
Rimbaud peut ainsi être triplement nuancée.
La première nuance à apporter concerne sa liberté avec les règles de versification. Si, à
l'évidence, l'adolescent aime jouer avec les enjambements pour mieux déstructurer et faire
voler en éclats l'alexandrin, toujours est-il qu'il ne renonce pas à l'alexandrin même. Ce vers
classique de douze syllabes demeure la référence majeure de Rimbaud : il l'utilise encore
majoritairement et ne cherche pas, comme Verlaine le fait au même moment, à le rendre
boiteux en privilégiant des vers impairs, notamment de onze syllabes. De la même manière,
Rimbaud ne propose aucune forme poétique novatrice : au contraire, il s'inscrit dans la grande
tradition française du sonnet pétrarquiste ravivée peu avant lui par Charles Baudelaire.
Par ailleurs, les Cahiers de Douai se présentent comme une œuvre de jeunesse et, à ce titre,
témoignent de l'influence des lectures qui enthousiasment le jeune poète. Parmi elles, celles
de Victor Hugo : le poète romantique de La Légende des siècles hante ainsi un poème comme
« Soleil et chair». Dans ce long texte, Rimbaud trouve le même souffle épique dont son aîné
usait pour évoquer les mythes des époques primitives.
Relevons enfin le caractère scolaire et attendu de certains jeux textuels.
Songeons ici aux influences très classiques, témoins de lectures d'écolier d'alors, de la «
Ballade des pendus» du poète médiéval François Villon que Rimbaud parodie dans «Bal des
pendus». Une semblable parodie marque le poème « Le Châtiment de Tartufe» qui reprend la
célèbre figure du dévot hypocrite de la comédie de Molière. Nous pouvons même parler ici
d'intertextualité classique.
Transition: Bien réelle, cette « révolution » amorcée dans les Cahiers de Douai, est plus
annoncée qu'accomplie.

(3)
Finalement les Cahiers de Douai portent la promesse d'une révolution poétique en cours
d'accomplissement. Rimbaud n'est encore qu'un adolescent de dix-sept ans, très influencé par
ses lectures personnelles et marqué par sa formation scolaire classique. Il n'en est qu'au début
de son cheminement poétique.
Peu de temps après les Cahiers de Douai, dès mai 1871, Rimbaud adresse à ses amis Georges
Izambard et Paul Demeny deux lettres dites du « voyant » où il évoque l'exercice poétique
comme «un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens». Ce renouveau de la
sensibilité s'amorcait déjà dans les Cahiers de Douai, notamment dans «Ma Bohème» où les
cinq sens sont aussi bien convoqués que perturbés dans leur saisie du monde.
Une saison en enfer (1873), mais surtout les Illuminations, un recueil de poèmes en prose
composé en 1874 et paru en 1886, achèvent cette révolution poétique annoncée dans les
lettres du «voyant ». Rimbaud y révèle un langage poétique totalement nouveau, des «visions
hallucinées» où chaque mot dévoile des évocations étranges pour «changer la vie». Le poème
«Aube» des Illuminations en offre un témoignage saisissant : un monde nouveau, insolite,
imaginaire et féerique naît, sans logique ni réalisme.
Ainsi, dès les Cahiers de Douai, Rimbaud impose une nouvelle conception de la poésie et
achève sa mutation avec les Illuminations. Il modifie la conception de la poésie qui avait
largement cours à son époque. Loin d'être un art fondé sur l'agrément, celle-ci réclame, pour
le poète, un engagement total de sa part, elle devient une expérience de soi, un acte qui libère
le «je» enfoui au fond de l'être et qui transforme la vie.
Cette conception très exigeante de la poésie a créé un point de rupture dans l'histoire poétique
et a profondément influencé les poètes modernes tels que Guillaume Apollinaire ou Blaise
Cendrars. Ce dernier a particulièrement marché dans les pas de Rimbaud. Fugueur dès dix-
sept ans comme son prédécesseur, « bourlingueur» comme il le dit lui-même, ses aventures le
mène de la Perse à la Mandchourie. Son œuvre La Prose du Transsibérien et de la petite
Jehanne de France, parue en 1913, offre à l'image de celle de Rimbaud une poésie libre, riche
en sensations et en surprises où Cendrars juxtapose les images, les impressions et les
souvenirs.

Conclusion: Les Cahiers de Douai bouleversent les pratiques poétiques dominantes à


l'époque de leur composition. Âgé d'à peine dix-sept ans, Rimbaud n'en est encore qu'au début
de son itinéraire. Mais il pressent déjà ce que doit être la poésie moderne: un rapport
personnel au monde qui se traduit dans un langage nouveau. En définitive, peu d'œuvres de
«jeunesse»

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