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Dissertation sur Gargantua : éléments de corrigé

 L’universitaire G. Defaux affirme, à propos de Rabelais : « Rien au fond n’est plus déroutant et insaisissable que la pensée d’un homme qui
refuse de se prendre au sérieux – d’un homme qui refuse de faire la moindre différence entre le rire et le sérieux. » Dans quelle mesure cette
interprétation correspond-elle à votre propre lecture de Gargantua ? 
ANALYSE DU SUJET  S’il est un des grands penseurs de l’Humanisme au XVIème siècle, François Rabelais, auteur de Gargantua, n’en
présente pas moins son ouvrage comme essentiellement comique, un livre dans lequel on trouverait peu de chose « sinon en cas de rire ». C’est
surtout cet aspect que semble relever G. Defaux lorsqu’il voit en Rabelais un homme qui « refuse de se prendre au sérieux », et plus encore, un
auteur qui refuserait de distinguer le rire du sérieux. Bien souvent dans Gargantua, l’écriture associe si étroitement le comique aux éléments
didactiques qu’il est parfois difficile d’appréhender clairement les opinions défendues par Rabelais. Mais peut-on pour autant considérer qu’il y a
un refus systématique du sérieux dans le récit ? Que les idées humanistes ne trouvent jamais de formulation directe ? En réalité, nous sommes
face à un récit si complexe qu’on peut se demander si l’auteur cherche toujours à brouiller les pistes en mêlant indistinctement le rire et le
sérieux. I – Si le propre de l’œuvre rabelaisienne est bien souvent d’associer indistinctement rire et  sérieux… 
II – la pensée humaniste de l’auteur émerge parfois de manière claire et univoque dans Gargantua 
  I – Rabelais insaisissable : une ambivalence presque constante, entre rire et sérieux
1 – Le choix de l’ambivalence : un refus du dogmatisme  Dans Gargantua, Rabelais refuse souvent d’énoncer ou de relayer des vérités toutes
faites, qui constitueraient des préjugés, donc des « faux-savoirs », des dogmes faussement sérieux. 
a/Dès le Prologue de l’œuvre, Socrate est présenté comme modèle de penseur à suivre ; ce philosophe grec, considéré comme le plus grand des
penseurs de l’Antiquité, est connu pour sa méthode de réflexion non-dogmatique (la « maïeutique ») : il n’énonce jamais la vérité, il la cache et
la fait chercher (« toujours dissimulant son divin savoir »). N’avoir jamais l’air sérieux fait partie d’une méthode philosophique.
b/A plusieurs reprises dans Gargantua, Rabelais tourne également en ridicule la pensée simpliste populaire, celle qui s’incarne dans les
proverbes, ces vérités toutes faites. Il détourne des proverbes en les déformant ou en crée de nouveaux, faisant ressortir l’aspect grotesque : « un
homme de bien croit toujours ce qu’on lui dit » ou « Lever matin n’est pas bonheur / Boire matin est bien meilleur ». La position ironique du
narrateur rend floue la frontière entre le sérieux et la plaisanterie. 
c/Ceux qui sont traditionnellement les détenteurs du savoir et des idées « sérieuses », les Sorbonnistes, sont présentés par Rabelais comme de
faux-savants, détenteurs d’un faux-savoir. Les scolastiques cachent leur ignorance derrière le texte biblique, le latin et la rhétorique. La harangue
grotesque de Maître Janotus pour récupérer les cloches de Notre-Dame est une parfaite démonstration du fait que le sérieux pur et rigide est un
mauvais savoir, une « ruine de l’âme ». Paradoxalement, se prendre trop au sérieux, c’est risquer de ruiner le sérieux. 
2 – Une ambivalence qui veut pousser le lecteur à la réflexion et à la pensée complexe  
- Le but premier du livre de Rabelais est clairement annoncé dès le Prologue : il s’agit d’inviter le lecteur à penser de manière complexe, à
appréhender le comique et le sérieux dans un même mouvement de pensée : le livre est implicitement comparé à une boîte (« silène ») amusante,
couverte de dessins grotesques mais qui contient, à l’intérieur, des matières très précieuses susceptibles de soigner. Dans ce qui s’apparente à un
guide de lecture, le narrateur nous invite à ouvrir la boîte, c'est-à-dire à lire son livre comique pour avoir ensuite accès aux idées profondes et
philosophiques qu’il contient. 
- Cette ambivalence se retrouve également dans certains des personnages-phares du récit, notamment dans celui de Frère Jean des Entommeures.
Frère Jean est de fait un personnage totalement excessif, un ivrogne grotesque, passant son temps à se battre et à jurer MAIS il est
symboliquement l’incarnation de ceux qui défendent la vraie foi, ceux qui sont capables de s’engager au service de la religion, à l’opposé de tous
les moines de l’Abbaye de Seuilly qui restent totalement passifs face à l’attaque de leur monastère. 
- Enfin, ce goût pour l’ambivalence, pour l’ambiguïté, pour la multiplicité des significations se retrouvent de manière emblématique à la fin du
récit, dans « L’Enigme en forme de prophétie ». Ce texte obscur est interprété de deux manières radicalement opposées : alors que Gargantua y
voit le symbole des troubles religieux à venir, Frère Jean ramène l’interprétation au comique en voyant dans ce texte la simple description d’une
partie de jeu de paume. En définitive, les deux s’interprétations ne s’opposent pas, aucune n’est plus pertinente que l’autre, elles coexistent et se
complètent. Conformément à ce qu’écrit G. Defaux, aucune distinction n’est faite entre la lecture comique et la lecture sérieuse, et cela clôt le
récit de manière assez déroutante pour le lecteur. 
3- Un reflet de l’ambivalence humaine 
- Dans l’Avis au lecteur, Rabelais prend soin de présenter la condition humaine comme double, marquée par la joie et la tristesse, comme le
souligne l’antithèse entre le « ris » et les
« larmes » qui court tout au long du poème. Prise en considération du « deuil », de tout ce qui mine sérieusement l’être humain : le rire est alors
présenté comme un médicament capable de soigner.  
- L’être humain est également double dans la mesure où il possède une dimension « basse » et une dimension « haute », souvent associées par la
tradition chrétienne à l’opposition entre le corps et l’esprit. A l’esprit est traditionnellement associé ce qui est élevé et sérieux, au corps, ce qui
est bas et trivial. Mais, en bon Humaniste, Rabelais refuse de dissocier le corps de l’esprit (« un esprit sain dans un corps sain ») et met souvent
l’accent sur la réalité physique de l’être humain, sur ses fonctions corporelles primaires, comme boire, manger et autres besoins naturels. Outre
les nombreux éléments scatologiques qui jalonnent le récit (l’invention du « merveilleux torche-cul »), la métaphore du vin est là pour rappeler
que cette boisson enivrante, source de comique, est également l’image de vraie foi religieuse et de la connaissance. Le « service du vin » et le «
service divin » se confondent donc de manière indistincte. 
TR : cependant, Gargantua est un récit, il nous retrace le parcours d’un être humain, son évolution ; parcours au fil duquel la pensée humaniste
de l’auteur apparaît de plus en plus clairement. 
II – L’émergence progressive de la pensée humaniste 
1 – Le savoir diffus 
- Souvent, dans Gargantua, les éléments sérieux, comme les connaissances scientifiques, historiques, littéraires ou médicales, se trouvent mêlées
à la prose facétieuse ; c’est au lecteur de les collecter, de les « grapiller » au fil de la lecture : 
a/Lors de l’épisode de la naissance de Gargantua, on retrouve des connaissances médicales (« là où la veine cave se partage en deux ») et des
éléments de mythologie grecque. 
b/Nombreuses mentions d’ouvrages de l’Antiquité gréco-latine (Pline, Platon…) 
c/Esprit encyclopédique de certains passages qui listent des titres, des noms ou des informations (comme le ch « Des Jeux de Gargantua »). 
2 – L’évolution du personnage de Gargantua 
- Deux éducations bien distinctes : d’abord l’éducation de type scolastique par des Sophistes (préceptes grossiers et grotesques), puis l’éducation
humaniste par Ponocrates, reposant sur des principes sérieux et efficaces, énoncés sans équivoque. 
- Changement d’état d’esprit de Gargantua après la guerre picrocholine : avant, il urine sur les Parisiens pour témoigner son mépris (dimension
comique), après la victoire, il prononce un « discours aux vaincus » plein de mesure et de sagesse.
3 – L’Abbaye de Thélème : une utopie
- Le récit se clôt sur la construction de l’Abbaye de Thélème (chapitre 52-57) : on a là l’épiphanie de la pensée humaniste de Rabelais. Les
principes d’une société parfaite selon les Humanistes sont énoncés clairement et sans ambiguïté ; l’esprit comique s’efface pour laisser place à
une réflexion sérieuse : la liberté est la clé de la vertu (la seule règle de cette abbaye est « fais ce que voudras »).

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