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Les personnages romanesques de Manon Lescaut

Amérique du Nord, mai 2023


Dissertation

🕒 4 heures ⌨ 20 points

INTÉRÊT DU SUJET • D’un roman, on retient souvent ses personnages principaux, dont le profil
doit parvenir à captiver le lecteur ; qu’en est-il des personnages de Manon Lescaut ?

▶ Dans Manon Lescaut, est-ce parce que les personnages sont marginaux qu’ils sont
romanesques ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. Votre réflexion prendra
appui sur le roman de l’abbé Prévost au programme, sur le travail mené dans le cadre du
parcours associé à cette œuvre et sur votre culture personnelle.

LES CLÉS DU SUJET

Analyser le sujet

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Formuler la problématique

Dans quelle mesure la marginalité des personnages peut-elle être un vecteur du


romanesque ?

Construire le plan
Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. Des personnages
marginaux sources de romanesque; En quoi le roman nous confronte-t-il à des personnages
socialement et moralement décalés ?À quoi voit-on que Des Grieux se marginalise ?Montrez
que marginalité et aventures sont liées.; Ligne 2 : 2. Un amour romanesque et marginal; Qu’a
d’improbable et de décisif la relation qui se noue entre les deux héros ?À quels obstacles les
amants font-ils face ?Étudiez le caractère extrême de cette passion.; Ligne 3 : 3. Des
personnages qui questionnent nos existences; En quoi le roman met-il en garde contre les
passions ?Réfléchissez aux valeurs contrastées incarnées par les différents personnages.Le
roman ne semble-t-il pas aussi exalter la passion ?;

Introduction

[Accroche] Dès ses débuts, le roman abonde en personnages marginaux qui semblent être la
clé d’une histoire réussie ; Don Quichotte, le héros éponyme du roman de Miguel de Cervantès,
paru en 1605, en témoigne. [Explication du sujet] Le sujet présenté évoque ainsi le fort lien qui
unit marginalité et romanesque : dans Manon Lescaut, est-ce parce que les personnages sont
marginaux qu’ils sont romanesques ? [Problématique] Dans quelle mesure la marginalité des
personnages peut-elle être un vecteur du romanesque ? [Annonce du plan] Nous verrons que la
marginalité des personnages, alimentée par une passion tragique, constitue le ressort du
romanesque qui interroge l’individu sur ses choix et les valeurs de la société.

I. Des personnages marginaux sources de romanesque

1. Une galerie de personnages en marge

■ Les profils et les actions de certains personnages du roman leur confèrent une dimension
romanesque par leur décalage avec la société et la morale.

■ Ainsi, Manon Lescaut, jeune fille « de naissance commune », échappe au couvent et vend ses
charmes, finissant déportée avec des femmes de mauvaise vie ; Des Grieux est un jeune noble
qui fuit par amour la carrière ecclésiastique à laquelle il se destinait ; Lescaut, le frère de
Manon, peu fréquentable, est un voyou qui évolue dans le monde du jeu et de la triche.

■ L’immoralité gangrène aussi les classes privilégiées : des hommes riches et respectés
s’offrent les faveurs de Manon.

2. La marginalisation progressive du héros

■ Peu à peu, Des Grieux renonce à tout pour Manon : l’honneur, la vie confortable associée à son
rang et même ses principes moraux.
■ Ainsi, les amants mènent une vie en marge ; le manque de ressources et les goûts de luxe de
Manon les poussent à vivre d’expédients douteux. Des Grieux en vient à mentir, voler et se fait
complice d’escroqueries. Conscient de déchoir, il agit pourtant comme un « infâme
personnage », par amour.

3. Des aventures rocambolesques

■ En rupture de ban, les amants échappent à leur vie toute tracée ; leur fuite inaugurale signe le
début d’une « vie obscure et vagabonde », Des Grieux se retrouvant mêlé à des aventures
rocambolesques.

■ Les péripéties s’enchaînent à un rythme effréné : ainsi, la tentative d’escroquerie du vieux G.M.
entraîne l’incarcération de Des Grieux, qui s’évade en faisant couler le sang. Le couple devient
hors-la-loi, enchaînant brèves périodes d’accalmie et infortunes cuisantes. Dans L’Astragale
(1965), Albertine Sarrazin donne aussi à voir les aléas de la relation mouvementée entre Anne et
Julien, délinquants confrontés aux difficultés d’une vie précaire.

■ La conduite transgressive des amants déclenche des rebondissements incessants,


contribuant largement au plaisir narratif, jusqu’à la déportation en Amérique, signe que le
couple ne parvient pas à trouver sa place dans la société de l’époque.

À NOTER

Les lieux, dans Manon Lescaut, sont symptomatiques d’une certaine marginalisation sociale :
les frasques se soldent par une exclusion géographique. C’est paradoxalement dans le
Nouveau Monde que le couple renoue avec une forme de normalité sociale.

II. Un amour romanesque et marginal

1. Un amour non conventionnel et décisif

■ Prévost reprend le topos du coup de foudre : la passion qui meut Des Grieux, épris au premier
regard, contribue à rendre le personnage romanesque .

À NOTER
Selon É. Souriau (Vocabulaire d’esthétique, 1990), le romanesque émane de trois éléments
principaux : le primat de l’affectif (sentiments nobles, intenses) ; des événements denses ; le
jeu sur les extrêmes (le sublime et l’infâme, par exemple).

■ Le couple ne répond pas à la vision traditionnelle de la société de l’époque : les amants sont de
conditions opposées (un fils de bonne famille, une jeune fille sans ressources), ils vivent en
dehors du cadre du mariage religieux. Cet amour fait écho à celui que se vouent Tristan et Iseut,
passionnément épris après avoir absorbé par erreur un philtre magique.

2. Un amour contrarié

■ Non conforme aux codes de la société, la relation amoureuse est mise à mal par de nombreux
opposants.

■ La propension de Manon à l’infidélité (M. de B., le vieux G.M., le fils de G.M.) fait rebondir
l’intrigue, en éveillant les soupçons de Des Grieux, voire en le séparant de celle qu’il aime.

■ Leur relation est hypothéquée par des instances de pouvoir et d’autorité. Le père de Des
Grieux, défenseur du code aristocratique, fait enlever son fils dans l’espoir de le ramener à la
raison. Tiberge, l’ami vertueux, condamne vertement cette passion subversive. Pour autant, Des
Grieux en fait le pivot de sa nouvelle existence : « elle me tient lieu de gloire, de bonheur et de
fortune. »

■ De même, Béroul raconte la traque de Tristan et Iseut par des barons jaloux qui cherchent à
révéler au grand jour leur relation interdite.

3. Une passion extrême

■ Des Grieux confesse en 1715 au marquis de Renoncour qu’il serait prêt à « aller au bout du
monde » pour suivre celle qu’il aime. L’intensité des sentiments en jeu rattache bien les
personnages à l’univers romanesque.

■ Le récit rétrospectif à la première personne révèle les multiples cas de conscience de Des
Grieux mûri, réfléchissant à son parcours. Déchiré entre les valeurs de son milieu et son amour
pour Manon, il montre comment il a tout sacrifié pour sa passion dévastatrice.

■ Des Grieux perd Manon dans des circonstances tragiques, au moment même où le couple
cherchait à rentrer dans le rang en se mariant : la passion semble in fine injustement punie.

III. Des personnages qui questionnent nos existences


Enfin, les personnages sont captivants et émouvants parce que leur destin marginal et funeste
donne à penser.

1. Un destin tragique

■ Dans « L’avis de l’auteur », Prévost annonce un récit à la fois divertissant et instructif. Des
Grieux se dit victime d’un « amour fatal » qui lui fait « violer tous les devoirs ». Les aventures du
jeune homme pourraient être interprétées comme la démonstration de la nécessité de fuir des
passions destructrices.

■ À de multiples reprises, Des Grieux exprime une perte de contrôle. Il constate, perplexe, son
propre avilissement pour une femme dont le comportement aura causé sa perte. Prévost
mettrait alors en garde contre l’amour.

2. Des héros qui interrogent nos mœurs et notre liberté

■ L’auteur propose ainsi un débat éthique sur la manière de mener sa vie. Certains, comme
Tiberge ou le père de Des Grieux, sont d’ardents (mais froids ?) défenseurs de la vertu et de
l’honneur, condamnant vigoureusement « le poison des plaisirs ».

■ À l’opposé, certains protagonistes deviennent des agents du mal, comme Lescaut. Manon
présente un système de valeurs singulier, distinguant la fidélité de corps et celle du cœur. Des
Grieux, quant à lui, reste tiraillé, mais tient tête à son père et choisit de s’abandonner à ses
sentiments.

3. L’amour : une nouvelle valeur ?

■ Prévost écrit à une époque marquée par de nouvelles aspirations au bonheur individuel. Le
roman, paru en 1731, semble esquisser une morale fondée sur le cœur et la liberté des
sentiments.

■ Des Grieux, malgré ses frasques, déclare que sa vie avec Manon était pleine d’« innocence ».
L’amour semble alors devenir une valeur en soi, d’autant qu’il permet au héros d’accomplir des
« prodiges ».

■ Touchants, les amants cherchent une place dans une société très codifiée et rigide. Le
lecteur s’attache à ces personnages qui défient les lois. Face à la vertu froide, la passion,
sublime, peut paraître exaltante. L’amour grandit les personnages.

Conclusion

[Synthèse] Ainsi ce roman donne-t-il au lecteur le plaisir de suivre les aventures trépidantes de
jeunes amoureux que rien n’arrête dans leur course au bonheur, mais dont la passion est sans
cesse contrariée. Transgressifs, les personnages outrepassent les barrières sociales et morales
et donnent à réfléchir sur les codes qui régissent nos sociétés. [Ouverture] Prévost s’impose
comme un précurseur du romantisme qui, au siècle suivant, prise les personnages passionnés,
marginaux, assoiffés d’absolu.

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