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2. La libération peut prendre différentes formes : une libération personnelle (le fait de s’émanciper de
sa famille, par exemple), une libération politique (renverser un régime), mais aussi, bien sûr, le fait de
prendre de la distance avec certaines règles ou certains modèles, notamment en poésie.
3. La mère de Rimbaud fait peser sur lui un état de dépendance concrète. Au-delà de leur relation
directe, elle inscrit son fils dans un ensemble de règles morales dont le jeune homme se sent
prisonnier. Dans un siècle de censure littéraire, avec un régime en place qui ne supporte pas la
critique, la structure politique peut être vécue comme contraignante par un auteur de poèmes
licencieux – même s’ils ne sont pas voués à la publication.
Par ailleurs, et bien qu’il s’agisse là d’une dépendance consentie, Rimbaud, en écrivant, respecte et
imite les cadres littéraires posés par ses aînés.
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4. Rimbaud imite à la fois les thèmes et les formes des poètes qui dominent le monde littéraire de
son époque : la nature, l’amour, la mort, l’histoire politique ; le tout en vers réguliers, sonnets ou
laisses d’alexandrins.
On sent néanmoins des gestes transgressifs à certains endroits : la dégradation hideuse de Vénus, ou
l’usage intensif des enjambements qui heurtent la lecture du vers.
5. Comme l’analyse du parcours le montre, il est malaisé de s’affranchir de toute norme ; même si l’on
proposait une création entièrement originale, on pourrait dire que l’on s’est donné à soi-même des
normes nouvelles.
6. Plusieurs problématiques sont pertinentes, tant qu’elles font cas de la tension entre liberté et
respect des normes. Nous proposons la formulation suivante : « En affirmant les désirs de liberté et
d’émancipation du jeune Rimbaud, les Cahiers de Douai ne nous donnent-ils pas à voir tout ce qui le
lie encore à des figures d’autorité ? »
8. « Le Forgeron » est dédié à la liberté politique, « Les effarés »à une émancipation sociale et « Ma
bohème » à une liberté personnelle et poétique. D’autres associations sont possibles.
9. Quatre poèmes sont consacrés à la nature. Nous pouvons relever : « Sensation », « Roman », « Le
dormeur du val » et « Ma bohème ». Cette nature est toujours un cadre chaleureux et accueillant. De
plus, cette nature est source de bonheur et de libération : dans « Sensation », il s’agit d’aller comme
un bohémien ; dans « Roman », les « tilleuls verts de la promenade » sont témoins des premiers
émois et des premières ivresses du poète ; dans « Ma bohème », la nature est source de libération et
de création à la fois. Et dans « Le dormeur du val », bien que la révélation de la mort du soldat colore
finalement ce poème, la nature est décrite comme un cadre accueillant et chaleureux qui le berce et
le protège, à l’image de la nature qui tout à la fois plaint et entoure Ophélie.
Cette nature est en tout cas un endroit où le poète se sent en sécurité, et où il peut fuir, être libre et
créer.
10. Les poèmes amoureux de Rimbaud alternent entre l’amour adolescent, innocent et enthousiaste,
et l’amour plus grivois. On relève une expression lyrique de l’amour adolescent dans « Première
soirée », « Les reparties de Nina » et « Rêvé pour l’hiver », où le poète évoque des moments volés de
découverte amoureuse.
Les autres poèmes, « Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir »,« La maline » et « À la musique »,
relèvent d’un amour d’adolescent qui découvre la sexualité et qui fait preuve d’autodérision : la
tavernière au « Cabaret-Vert » le regarde avec des yeux vifs et lui révèle sa vaste poitrine ; dans « La
maline », la serveuse lui fait des avances, puis, dans « À la musique », les femmes se moquent de lui.
Cette seconde représentation amoureuse est celle du jeune homme qui se retrouve dans les
brasseries et les bars et qui découvre la sensualité par le biais des femmes qui y servent ou qui s’y
trouvent. On est alors assez loin de ses représentations d’amoureux adolescent qui reprennent
finalement des clichés comme l’image du « petit wagon rose » dans « Rêvé pour l’hiver ».
11. Quatre poèmes sont consacrés à une dénonciation politique : « Le mal », « Rages de Césars », «
Le Forgeron » et « Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize…». Le poète au XIXe siècle
est un homme engagé : nous n’avons qu’à évoquer des figures comme Hugo (député et ministre) ou
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Lamartine (candidat à la présidence de la IIe République), qui précèdent Rimbaud. Dénoncer le
gouvernement en place est une manière de s’inscrire dans les mouvements de contestation qui
agitent la France du XIXe siècle et dans une volonté historique d’émancipation.
12. Onze poèmes sur vingt-deux ont la forme du sonnet. Cela fait la moitié du recueil : on pourrait
dire alors que le poète a d’une part la volonté de respecter cette forme poétique stricte et d’autre
part l’intention de s’en libérer en faisant des poèmes dont la forme est plus libre.
13. Cinq poèmes abordent des thématiques mythiques ou traditionnelles : d’une part, des
thématiques littéraires (« Ophélie »,« Bal des pendus », « Le châtiment de Tartufe »), d’autre part des
thématiques mythiques (« Soleil et chair », « Vénus anadyomène »). En tant que poète, il est assez
traditionnel de faire allusion à d’autres œuvres et d’autres références du panthéon littéraire. Les
allusions mythologiques en font partie, d’autant plus que le XIXe siècle redécouvre certains motifs
mythologiques antiques et se les approprie.
14. Non, Rimbaud ne s’est pas affranchi de l’alexandrin, mais il pratique certaines entorses à la règle
en effectuant des rejets (voir « Le dormeur du val »).
15. Rimbaud est un cas particulier car son succès est pour beaucoup dû à Verlaine et a surtout été
posthume. Verlaine a fait de Rimbaud un mythe en le mettant dans la catégorie des« Poètes maudits
» et en faisant éditer les Illuminations, recueil ayant provoqué beaucoup de scandale en raison de sa
forme atypique.
Il se démarque ainsi du reste de sa génération, mais les thématiques des Cahiers inscrivent Rimbaud
dans une lignée de poètes du XIXe siècle qui évoquent la nature, l’amour et la politique.
16. Certains poèmes comme « Le châtiment de Tartufe » ou« Le buffet » sont originaux et ne se
rattachent pas directement à une veine littéraire traditionnelle. Plus largement, certains thèmes
comme le vagabondage (« Ma bohème »), l’adolescence(« Roman ») ou la peinture de la petite
bourgeoisie (« À la musique ») sont des thèmes mineurs qui, s’ils ont des précurseurs,
n’appartiennent pas à la grande tradition littéraire.
17. Bien que s’inscrivant, pour certains de ses poèmes, dans la tradition littéraire, Rimbaud introduit
des contrepoints qui, d’une certaine manière, le libèrent de cette filiation : ainsi, « Vénus
anadyomène » est un pied-de-nez au genre du blason. Dans « Ophélie », le poète se met en scène
dans la partie III et introduit ainsi une distance dans la convocation de cette figure tragique.
18. « Ma bohème » met directement en scène un poète qui marche sans connaître sa destination, et
qui considère explicitement cette errance comme partie prenante de son acte poétique :ainsi,
Rimbaud se représente lui-même en train de se chercher. On peut penser, plus indirectement, au «
Buffet » : quel peut être le sens de ce poème, sinon un exercice de style – une façon d’essayer sa
plume ?
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20. D’une certaine manière, en concentrant le goût pour la nature, une soif d’absolu, la volonté de
sortir des sentiers battus, une forme de jeunesse assumée (qui se traduit par exemple parle « Oh ! là
là ! », v. 4) et, malgré tout cela, un effort de rigueur littéraire (en adoptant la forme de l’alexandrin),
on peut dire que, d’une certaine manière, « Ma bohème » concentre en lui l’essentiel des lignes de
force des Cahiers de Douai. Il manquerait, pour être exhaustif, une charge politique plus explicite
(mais le parti pris de se livrer à la vie de bohème peut être compris comme une déclaration politique
en soi) et une part érotique : ici, c’est une jeunesse pure et seulement gonflée d’idéal que Rimbaud
nous donne à voir.
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