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DISSERTATION DE FRANÇAIS

Il est difficile de définir ce qu’est un livre. Il peut être tant un ouvrage écrit, assemblage de
feuilles, des pages imprimées et reliées en assez grand nombre, non-périodiques, qu’une œuvre
écrite, à lire, en prose ou en vers. Sartre écrit dans Qu’est-ce que la littérature ? « Ainsi le livre
n’est pas comme l’outil, un moyen en vue d’un fin quelconque. Il se propose comme fin à la liberté
du lecteur. ». Cette citation s’inscrit dans une argumentation, dont elle est la conclusion, cela est
marqué par « ainsi ». Le livre y est définit. Celui-ci, selon la définition de Sartre, s’opposerait à
l’outil par son utilité, ou absence d’utilité, puisque le livre n’est pas un moyen. S’il n’est pas un
moyen, il ne permet pas de réaliser « une fin quelconque ». Il n’est utile à aucune réalisation. Il ne
sert à rien. Cela n’est pas une évidence, car nous considérons les livres utiles à bien des égards. Si le
livre est l’opposé de l’outil et la fin l’opposé du moyen, comme l’outil est un moyen, le livre serait
une fin. Cependant, Sartre n’écrit jamais que le livre est une fin, un but qui constitue le terme de
quelque chose. Le livre n’est pas, il se propose. Il fait un mouvement. Il est actif et acteur. Le livre
aussi se propose, se pose en avant, devant la liberté du lecteur. Il y a donc un lecteur, quelqu’un qui
lit, et ce lecteur a une liberté, qui est en relation avec le livre. La liberté du lecteur peut être celle de
ne pas être contraint ni assujetti, d’agir et de penser par lui-même en refusant toute pression
extérieure, ou bien celle de choisir entre deux possibilités contraires, sans motif relatif au contenu
de l’acte à accomplir. Le lecteur est donc lui aussi actif et acteur par sa liberté, quelle qu’en soit la
définition. Le lecteur est celui qui fait l’action de lire, qui tient le livre comme objet. Le livre, lui, en
tant qu’acteur, se propose comme fin, cherche son accomplissement en se plaçant devant la liberté
du lecteur. Le livre a besoin du lecteur pour s’accomplir. Le lecteur pourrait donc être outil pour le
livre. Lecteur et livre sont en conflit. Ainsi, nous nous demanderons de quelle façon cette tension se
résout, au bénéfice des deux acteurs, l’un s’accomplissant, l’autre exerçant sa liberté. Pour ce faire,
il faudra tout d’abord examiner ladite tension : il semble évident que le lecteur peut se servir du
livre comme outil. Cependant, le livre se sert lui aussi du lecteur, ou plutôt objectifie la liberté de
celui-ci. Enfin, après leur lutte, livre et lecteur trouveront leur accord, l’accord de la lecture.

Sartre oppose le livre à l’outil, opposition raisonnée et qui prend tout son sens lorsque,
justement, les sens des deux mots et leurs implications sont étudiés.
Le livre est tout d’abord un objet, tout comme l’outil. Il est un assemblage de pages reliées,
donc un objet fabriqué, comme l’outil, mais la ressemblance s’arrête là. L’outil peut être défini
comme un objet fabriqué, utilisé manuellement, doté d’une forme et de propriétés physiques
adaptées à un procès de production déterminé et permettant de transformer l’objet de travail selon
un but fixé. Il est donc un instrument, un ustensile utile à la réalisation d’un but. Voilà qui est aussi
la définition de moyen. L’outil est donc, par définition, un synonyme de moyen. Il est aussi
intéressant de prêter attention à une définition plus populaire et familière du mot. Il peut désigner
une personne gauche, maladroite, intellectuellement limitée. L’outil est de façon évidente associé à
l’ouvrier qui l’utilise, de là pourrait donc venir cette appellation insultante. En cela l’outil s’oppose
diamétralement au livre, qui lui, renvoie à la l’étude, à l’intellect, puisque le livre est ce qui offre
une source de connaissance, de savoir. Le livre est lié à la littérature, et est une œuvre écrite, une
œuvre à lire. C’est dans la différence de classe de ceux qui possèdent l’outil et le livre que réside
leur plus grande opposition. Le livre, qui est lié à l’étude et au savoir, est, traditionnellement,
l’attribut d’une élite lectrice, et donc intellectuelle. Tandis que l’outil est celui des plus pauvres, des
ouvriers qui, dans l’imaginaire collectif, sait nullement lire. Ces distinctions radicales entre ouvrier
et bourgeois étaient trop présentes durant la première moitié du XIXème siècle, comme l’explique
Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ? lorsqu’il évoque le lecteur réel et le lecteur virtuel. À cette
époque, il n’y avait qu’un lecteur réel : le bourgeois. Le bourgeois écrivait des livres de bourgeois
pour le bourgeois et voilà tout. L’ouvrier ne lisait pas de livre, il lisait les journaux, lorsqu’il savait
lire. Le livre n’est pas outil, sinon quoi il aurait aussi été l’attribut de l’ouvrier.
Le livre n’est pas un moyen, il n’est pas « en vue d’une fin », il n’a pas de fin, de but. Le
livre ne serait donc utile en rien. Cette pensée nous apparaît comme erronée. L’évidence, notre
expérience même, montre que le livre peut aussi être utilisé et "outilisé". Le livre est souvent une
source de savoir, et le lecteur s’en sert pour apprendre de façon autonome, comme il peut offrir, en
pédagogie, un abrégé de connaissances, généralement à la limite d’une discipline et d’une classe
d’âge. Les élèves ont lu nombre de livres pour extraire de leur contenu des connaissances, des
informations nécessaires à l’étude. Le livre est le presse-agrume dans sa forme et le citron dans son
contenu. Le livre en tant qu’objet matériel est d’une forme pratique à l’utilisation manuelle, tout
comme l’outil qu’est le presse-agrume. Le contenu du livre, ce qu’on appelle l’œuvre, a la même
fonction que le fruit à presser, bien que son origine soit indéniablement différente, le fruit venant de
l’arbre et l’œuvre de l’auteur, homme différent du lecteur. Le lecteur se servira de l’outil qu’est le
livre pour presser le contenu dans le but de recueillir des information, du jus d’œuvre. Ce jus
d’œuvre ne lui sera pas non plus inutile, puisqu’il va s’en servir pour concocter une jolie
dissertation, ou tout autre travail demandant le pressage d’une œuvre. De cette façon, le livre, tant
dans sa forme que dans son contenu, est un outil dont peut se saisir et se servir le lecteur. Aussi, s’il
ne sert pas à apprendre, il est outil de la religion. Le nom de la Bible vient très directement du grec
"biblion", qui signifie "livre". Le Livre est un outil dont les hommes se servent pour connaître et
faire connaître les préceptes de leur religion, pour les apprendre et les enseigner. Enfin, le livre peut
aussi servir de divertissement pour le lecteur qui, par exemple, cherche l’aventure dans une fiction
romanesque.
Cependant, il faut de demander si ces utilisations différentes du livre sont toutes nécessaires
et indispensables. Dans le cas du livre servant à divertir, il est évident que sa lecture n’est pas
indispensable, puisqu’il s’agit là de répondre à besoin non naturel, à un désir, celui de sortir
momentanément du monde et d’aller à la rencontre de celui de l’œuvre. Lire pour se divertir n’est
pas vital au lecteur, et il a à sa disposition une infinité d’objets de divertissement. Pourtant, le
lecteur choisit le livre. Il choisit de lire plutôt qu’une autre activité. Concernant ensuite le livre
religieux, sa lecture n’est pas non plus nécessaire. Si la connaissance des préceptes religieux a
longtemps été considérée indispensable, la lecture du livre en lui même n’était accessible qu’à une
petite minorité. Ainsi, la possession et la lecture du livre religieux n’était, et n’est, pas vital au
lecteur non plus, puisque ceux qui ne lisaient pas ne s’en portaient pas plus mal, et les règles qu’il
leur fallait connaître leurs étaient transmises par d’autres hommes. Quand au livre dont on tire des
connaissance, il est plus difficile d’expliquer son inutilité. Ce qui différencie le livre de l’outil, ce
sont les conséquences de notre choix entre faire et ne pas faire. Nous avons le choix d’utiliser ou
non un certain outil, tout comme nous avons le choix de lire ou non un livre. Cependant, en
n’utilisant pas l’outil, nous sommes handicapés. Il nous manque un élément pour réaliser ce à quoi
sert l’outil, soit transformer un objet de travail. Il est très difficile de planter un clou dans une
planche sans marteau. Alors que rien ne change, qu’on lise le livre ou non. Il reste une objection :
nous devons bien lire des livres pour étudier. Certes, mais la lecture de ces livres est-elle réellement
nécessaire ? Ne peut-on pas étudier autrement qu’en lisant lesdits livres ? Il existe maintes façons
différentes pour acquérir des connaissances. Ainsi, tandis que nous ne sommes pas libres d’utiliser
l’outil ou non, puisque nous devons en faire usage pour vivre décemment, le lecteur est libre de lire
le livre ou non.

Le livre n’est donc pas un outil. Même si le lecteur semble pouvoir utiliser le livre comme
un outil de travail, il s’avère que le livre n’est en rien indispensable au lecteur, puisque ce dernier
est totalement libre face au livre de le lire ou de ne pas le lire.
Il est vrai que la lecture d’un livre pas un lecteur n’est pas nécessaire à la vie de celui-ci.
Cependant, elle est nécessaire à l’existence du livre. Le livre qui n’est pas lu par un lecteur n’existe
pas. Son existence est ignorée. Seul l’auteur sait que ce prétendu livre, ou livre en puissance, est là
et est écrit. Mais l’auteur ne peut pas lire son propre livre, il ne peut pas le créer par sa surprise et
ses émotions, puisqu’il ne voit que trop les mots qu’il a assemblé pour former des phrases, pour
former des paragraphes, puis des chapitres, puis le livre. Il ne voit que trop ses ratures et ne connaît
que trop le squelette de sa création pour se faire impressionner. De la même façon que le Docteur
Frankenstein a besoin d’un élément extérieur, un éclair, pour faire se mouvoir sa créature, pour lui
donner vie, pour la finir, l’auteur a besoin de cet élément extérieur qu’est le lecteur pour que son
livre se réalise. Le livre a donc besoin du lecteur pour se réaliser pleinement. Il est nécessaire pour
le livre en tant qu’œuvre que le lecteur exerce sa liberté dans le bon sens, c’est-à-dire qu’il choisisse
de lire le livre plutôt que de ne pas le lire. Pourtant, un livre est un simple objet. Un objet n’a pas de
besoin, et est encore moins capable d’inciter quelqu’un à faire quelque chose, dira-t-on. Il faut bien
garder à l’esprit que c’est le livre en tant qu’œuvre qui a ce besoin d’être lu, car les livre ne sont
même plus toujours des feuilles de papier reliées, et ils peuvent être lus sous différentes formes,
comme numériquement. Cet assemblage de mots, et non de pages, est peut-être plus mouvante qu’il
n’y paraît.
En effet, le livre a bel et bien besoin que le lecteur fasse le choix de le lire pour exister et
s’accomplir en tant qu’œuvre, alors le livre s’active. Il ne reste pas passif en attendant d’être lu. Le
livre se présente face au lecteur, il se place au devant de lui. Sartre écrit que le livre « se propose »,
dans la citation de Qu’est-ce que la littérature ? qui est le sujet de cette dissertation. Proposer est un
verbe d’action ayant pour signification étymologique "placer devant les yeux". Le livre se
positionne donc lui-même devant les yeux du lecteur. Mieux encore, le livre se propose « à la liberté
du lecteur ». Le lecteur a bien une liberté, celle de choisir souverainement entre les deux possibilités
contraires que sont lire et ne pas lire, sans avoir de motif relatif à cette action. Le livre se propose
donc face à cette liberté, et il a pour but de se faire lire par le lecteur. Le livre tente donc d’inciter le
lecteur à le lire. Mais alors, le lecteur ne peut plus être réellement libre. Le lecteur est soumis à la
contrainte externe du livre, il subit la pression du livre qui lui impose un choix. Si le choix lui est
imposé, alors le lecteur n’est plus libre, même dans ce choix de lire ou ne pas lire, puisque le motif
du choix sera de l’influence de la présence du livre. Le lecteur devient accablé par le livre, attiré et
tiré, atterré, acculé par ce livre puissant et en puissance qui tend à s’accomplir.
En ce sens, le livre tient le lecteur par le cou et le menace pour qu’il fasse le bon choix, celui
qui lui convient, celui qui lui sert. Le livre assujetti le lecteur dans le but de satisfaire son besoin de
s’accomplir, et le lecteur devient esclave du livre. Le livre, accomplir une action, celle d’exister, a
besoin de la lecture du lecteur. Si le livre n’a pas cette lecture, il ne peut pas réaliser cette action, de
la même façon que nous ne pouvons réaliser l’action d’enfoncer un clou dans une planche sans
marteau. Le parallèle est fait, le lecteur deviendrait donc un outil pour le livre, qui a pour but de
s’accomplir lui-même. Le lecteur ne serait qu’un moyen que doit utiliser le livre pour parvenir à sa
fin. Il ne serait qu’une marionnette dont le livre et ses personnages se servent pour vivre et revivre.
Ainsi, Sartre écrit « on prête son corps aux morts pour qu’ils puissent revivre ». Le lecteur prête son
corps, qui est utilisé et usé. Cependant, le lecteur ne se scandalise pas, il prête son corps volontiers,
et réitère même l’acte souvent sans qu’on le lui demande. Si lire était si pénible et contraint que le
livre se proposant le laisse paraître, le lecteur éviterait le livre bien plus qu’il ne le fréquente en
réalité. Le conflit opposant livre et lecteur est peut-être moins violent et même plus agréable, et les
deux lutteurs s’accommodent certainement bien de leur relation.

Finalement, malgré le risque de conflit planant sur le lecteur et le livre, chacun cherchant à
faire de l’autre un simple outil, il semble que les deux, au lieu d’être ennemis, sont amis et
compagnons.
Tout d’abord, le lecteur se relève à la hauteur du livre. Le livre ne peut pas assujettir le
lecteur car celui-ci a une liberté, et la liberté implique l’action. Le lecteur est, au même titre que le
livre, un acteur. Sa liberté est liée au livre, elle est en relation avec le livre, puisqu’elle est celle
d’être en état de choisir de lire ou non le livre. Mais sans livre, ce choix n’a pas lieu d’être. La
liberté du lecteur dépend du livre, et l’appellation même de lecteur dépend du livre. Sans livre, il
n’y a pas de lecteur. Il y a seulement un homme qui ne lit pas de livres. Livre et lecteur dépendent
donc l’un de l’autre pour être tous les deux appelés tel qu’ils le sont. C’est une relation de
dépendance mutuelle, qui est bénéfique tant pour l’un que pour l’autre. Le livre, en se proposant,
n’asservit pas le lecteur, bien au contraire. Le livre ne s’impose pas au lecteur, il se propose
seulement, courtoisement. Le livre offre de ses services au lecteur, car telle est la définition de "se
proposer". Il offre au lecteur la possibilité d’exercer sa liberté de lecteur et, généreusement, le
lecteur se donne pour que le livre s’accomplisse et arrive à sa fin. Livre et lecteur font donc, par
l’acte de lecture un échange qui satisfait les deux.
Le livre, d’abord, ne fait pas que se proposer simplement. Il se propose « comme fin ». Soit,
à la manière d’une fin. Le livre se propose d’être une fin, car il ne l’est pas encore, tout en ayant la
volonté de le devenir. C’est pourquoi le livre est une fin en puissance. Le livre attend de se réaliser.
Il s’offre au lecteur pour être lu, moment où il s’accomplira et trouvera sa fin. Il est légitime de se
questionner quand à la façon dont la lecture finit le livre et l’achève. Le livre, l’œuvre de l’écrivain,
est tout d’abord une suite de mots. Pourtant, cette suite de mots n’est pas dénuée de sens aux yeux
du lecteur. C’est parce que celui-ci projette dans ces assemblages de lettres des idées qui lui sont
connues, ainsi que des émotions. Prenons un exemple. Dans Les Trois Mousquetaires, d’Alexandre
Dumas, il est écrit « Ma lettre de recommandation ! s’écriait d’Artagnan, ma lettre de
recommandation, sangdieu ! Ou je vous embroche tous comme des ortolans ! ». Cette citation n’est
placée dans aucun contexte, le personnage de d’Artagnan pourrait tout à fait ne pas être connu par le
lecteur, celui-ci comprendrait bien que c’est un personnage, et que c’est un personnage qui semble
être colérique et à fort tempérament. Les points d’exclamations, qui sont pourtant de simples signes
de ponctuation, sont liées par le lecteur à une grande agitation, des paroles sonores, voire des cris.
La citation qui n’est à l’origine pas plus que des mots, des virgules et des points, a été mise en vie
par le lecteur et son expérience de la lecture.
Ledit lecteur, quand à lui, face au livre gagne la possibilité d’exercer sa liberté en choisissant
de lire ou de ne pas lire. Cependant, c’est là une liberté moindre lorsqu’on considère tout le pouvoir
qui lui est offert à l’ouverture du livre. En lisant le livre, le lecteur a un pouvoir immense de
création, une liberté qu’il ne trouvera que dans la lecture. Sartre, dans Qu’est-ce que la littérature ?,
écrit que « le lecteur invente tout dans un perpétuel dépassement de la chose écrite ». En effet, le
lecteur s’implique avec plaisir au processus de création du livre. La chose écrite est le résultat de la
création de l’écrivain. C’est cette chose encore inachevée que le lecteur prend en main et manipule.
Il lit les mots alignés écrits et il leur donne du sens et même de la vie. Le lecteur donne vie aux
mots, et imagine l’écrit comme quelque chose de mouvant, ce qui rend cet écrit effectivement
vivant. Il a la liberté de compréhension et d’imagination du livre de telle sorte que le lecteur peut
tirer les conclusions qui lui plaisent d’une lecture, et peut imaginer tout ce qui lui plaît le plus dans
des personnages comme dans une argumentation. Il a tout le pouvoir de faire la sourde oreille – ou
plutôt de faire l’œil aveugle, mais cette expression n’est pas une expression toute faite – face aux
mots ou aux idées lues qui ne lui sont pas agréables, de la même façon qu’il peut prouver qu’un
texte est en accord avec ses propos en l’analysant dans le sens qui lui convient le mieux.

Sartre écrivait dans Qu’est-ce que la littérature ? « Ainsi le livre n’est pas comme l’outil, un
moyen en vue d’un fin quelconque. Il se propose comme fin à la liberté du lecteur. », et cette
citation questionnait la façon dont la tension entre le livre et le lecteur se résout, au bénéfice des
deux acteurs, l’un s’accomplissant, l’autre exerçant sa liberté. Finalement, il s’avère que le livre et
le lecteur parviennent à s’accorder, en faisant le pacte de la lecture, chacun assurant à l’autre de
travailler pour son bénéfice. Le lecteur, généreusement, donne vie au livre, aux choses écrites, et le
finit, et le livre laisse au lecteur la liberté non plus de choisir entre deux possibilités opposées, mais
d’achever la création de l’œuvre comme il le souhaite. Le lecteur devient créateur du livre, qui
n’était jusqu’alors qu’un assemblage de mots, puisqu’il lui donne vie. C’est lui qui voit le livre
grandir en son sein puis terminer sa construction avant de naître. Ce n’est donc plus l’auteur qui
accouche de son œuvre, mais bien le lecteur qui est mère du livre, et qui le chérit, et qui l’élève au
rang d’œuvre littéraire. Le livre est bien plus chéri par le lecteur que par l’auteur, qui en voit tous
les défauts de conception, et qui ne peut s’émerveiller de son évolution. Le livre gagne bien plus à
fréquenter le lecteur qu’à fréquenter l’auteur. Seulement, si le lecteur construit bien plus le livre que
l’auteur, et si le livre s’accorde mieux avec le lecteur qu’avec l’auteur, ce dernier semble être d’une
importance bien moindre alors qu’il est tout de même à l’origine de la « chose écrite ».

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