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THÉORIE DE LA LITTÉRATURE

Jean Louis Dufays

2022-2023
DEPREZ CHARLOTTE
Université catholique de Louvain
Introduction

Enjeux

POURQUOI S’INTERESSER A LA LITTERATURE ?


Il faut s’intéresser à la littérature d’abord pour des raisons passionnelles . si la littérature n’est
que réflexions savantes, elle n’intéresse personne. La littérature est passionnante car elle
touche à la vie. Il y a trois types de passion à voir : la littérature est un moyen de s’évader, de
ne pas rester enfermer dans sa propre tête, elle démultiplie l’univers, c’est une idée d’évasion
autre que celle du refus de soi, c’est l’idée d’ouvrir ses horizons.
La deuxième est que la littérature permet également de mieux se centrer, se trouver, se
connaitre. Tout tourne autour de la question de la vie ; on peut le voir avec tous les textes
lyriques, si on aime lire ces textes c’est pour, en plus d’aller voir ailleurs, aller voir en nous-
mêmes, voir ce qui nous arrive et pourquoi ça nous arrive. Les œuvres littéraires sont des
exemples qui servent à nous construire.
Une autre est se perdre, un texte est tellement innovant et surprenant qu’on perd ses repères.
C’est le fait d’être devant l’expérience de l’altérité radicale et innovante : lire un texte écrit
dans une langue un peu compliqué, avec des absences de nom et de lieu comme les nouveaux
romans et le nouveau théâtre, ce sont des œuvres qui nous provoquent, qui nous amènent à
perdre nos repères. C’est une expérience passionnelle qui après un certain temps
d’expérience difficile peut permettre de tirer une satisfaction. Grâce à cela, la littérature
progresse avec la perte des repères. La littérature peut être une manière de vivre plus
intensément ; un résumé de ce qui a été dit avant est que la littérature donne plus d’épaisseur
à nos vies. Le monde est là, on peut le saisir, mais il faut savoir le prendre, avoir un engagement
pour que ce monde soit le nôtre. Approfondir le monde avec la littérature donne une valeur
supplémentaire ; il ne suffit pas de vivre, il faut approfondir la vie.
Mais c’est aussi pour des raisons rationnelles. Ici, il n’y a pas d’opposition entre la passion et
la raison qui vont ensemble. La littérature nous apprend des formes de langage, des
connaissances d’ordre langagier et d’autres niveaux de langage.
Il y a aussi des connaissances génériques et esthétiques : bien connaître les genres littéraires,
les différents types de textes qui ont des codes spécifiques qui méritent d’être maitrisé. Les
connaissances esthétiques sont-elles liées aux différents courants littéraires, connaître les
différents courants littéraires est intéressant.
Il y a également des savoir sur le monde : Barthes dit que la littérature contient trois forces
fondamentales : d’abord elle donne accès à des savoir multiples comme dans Robinson
Crusoé, c’est le mathésis. Il y a ensuite le mimésis qui est l’accès à d’autres représentations du

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monde : lire c’est passer par le regard d’autrui. Le troisième type de savoir est l’accès à un
traitement dense du langage et du sens, c’est la semiosis, la science des signes : la littérature
est le lieu où on traite le langage avec une épaisseur particulière. En disant ça, Barthes
complète une vision passionnelle, il dit que la littérature complexifie, libère, rend plus tolérant
et plus humain.
L’équilibre entre passion et raison a été théorisé par Picard dans La lecture comme jeu et
Compagnon dans La littérature pour quoi faire ? Ces auteurs disent qu’il y a deux faces à toute
lecture : passion et raison. Picard développe ça en partant de l’idée de la lecture comme jeu,
la lecture littéraire des textes est une lecture où le lecteur joue avec le texte et c’est pour cela
que le texte est si précieux. On a une expérience ludique essentielle, un besoin de jouer. C’est
plus précisément un double jeu comme Winnicott, un théoricien du jeu par excellence,
expliquait en distinguant le game et playing : ce ne sont pas des synonyme. Picard reprend sa
théorie et les deux disent que le game est le jeu réglé où le hasard intervient peu avec les
échecs, dame, scrabble, des jeux de stratégies. Picard dit que la littérature comprend une
dimension de game avec par exemple le roman policier où on retrouve un crime, des faux
coupables, des rebondissements… Ce sont des stéréotypes du genre qui reviennent : on se
demande au début de chaque livre comment l’auteur va jouer avec ces règles et comment il
va parvenir à nous surprendre. Dans tout texte littéraire il y a des règles. Le playing est pour
eux le jeu ouvert, des jeux de coopérations où l’on commence à jouer sans connaître la fin, où
le plaisir n’est pas de gagner mais de jouer. Picard dit que la littérature contient les deux : on
veut savoir comment le texte va faire et on continue d’être marqué par le texte, on continue
de réfléchir aux personnages. Le game est plus du côté de la raison et le playing la passion.
Il y a aussi une différence entre distanciation et participation. Être dans la distance est prêter
attention aux règles, faire une lecture plus analytique, plus scolaire, plus savante, utiliser des
connaissances esthétiques et historiques, mais la littérature est aussi une participation avec
une identification, une implication…
Picard a également opposé le lectant qui est le lecteur intellectuel et le lu qui n’est pas le texte,
mais le lecteur lui-même, il y a une phase du lecteur qui est lu et prit par le texte. Il y a aussi
le liseur, le lecteur physique avec l’odeur du livre, l’illustration, le prix, la taille, le lieu de
lecture : le contexte physique matériel. Compagnon dit autrement mais de façon très proche
la même chose que Picard.

POURQUOI ETUDIER LA THEORIE DE LA LITTERATURE ?


Sallenave, dans « nous on n’aime pas lire », est partie à la rencontre des classes du secondaire
et a beaucoup entendu que les gens n’aiment pas lire avec un doute de l’utilité de la lecture.
Sallenave reconnait qu’on a potentiellement trop bourré le crâne aux jeunes des
connaissances trop théoriques qui les ont éloignés de la littérature. Elle déclare alors : « on
n’a pas besoin pour aimer lire (…) de tout un embarras théorique qui accroit la distance avec
les livres au lieu d’en rapprocher ». Il ne faut pas se prendre la tête au point de ne plus avoir
accès au cœur même de la littérature, c’est un avertissement : la littérature est vitale, il faut

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donc que la manière dont on l’enseigne ne soit pas tellement savante et théorique au point
qu’elle éloigne de la littérature.
Et pourtant, la théorie de la littérature est précieuse. Les outils de la littérature servent
d’abord à situer l’œuvre, par rapport à des concepts communs et par rapport aux gens et aux
outils que chaque œuvre mobilise. C’est aussi pour enrichir nos outils et nos méthodes de
lecture, notamment en vue du mémoire. C’est également important pour mettre nos
habitudes et nos valeurs en question et en perspective, on peut les mettre à distance.
La théorie de la littérature va aussi nous permettre d’apprendre à mieux sentir et évaluer les
œuvres, apprendre à distinguer jugement de goût et jugement de valeur, à pouvoir se retirer
de ses goûts : notre devoir moral est de passer du jugement de goût (j’aime/j’aime pas) au
jugement de valeur qui est un jugement qui se base sur des connaissances, qui essaye de
mettre nos émotions à distance.

Méthodes

L’objectif est d’avoir une vue d’ensemble des notions du texte. Le support est Théorie de la
littérature de 2009, un livre qu’il ne faut pas étudier, le cours sert de matière. Il y a quatre
séance de TP qui servent à s’approprier de grands textes théoriques qu’il faut avoir lu au
préalable.
Examen : 30 question QCM sur le cours (10/20), 4 points sur la partie TP et 6 points sur un
travail personnel de recherche, un texte de 3/4 pages qui a pour objectif de développer une
question de théorie de votre choix en articulant différente source théorique avec comme
support la bibliographie du cours. Les consignes du travail sont disponibles sur le power point
du cours. Il y a quatre livre imposés : il faut en choisir un et le commencer, lire au moins 50
pages, on choisit le concept après la lecture. Attention ! On peut donner son avis, mais ce
n’est pas le but premier.

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Chapitre 1 : des théories du texte aux théories de la
lecture

1.1. Les théories du texte

On se demande depuis l’Antiquité qu’est-ce qu’un texte et qu’est-ce qui fait que c’est un texte,
qu’est-ce que la nature et l’origine du texte. C’est une question préalable à la question de la
valeur de la littérature : comment on va définir le sens, donner un sens au texte. Une question
qui dépasse le champ de la théorie littéraire, mais une question clé dont dépend toutes les
autres questions.

A. L’APPROCHE EXEGETIQUE
C’est une approche qui regarde au texte, essentiellement sacré, et qui présuppose que le texte
a un sens caché. Lorsque l’on fait de l’exégèse, on a une attitude finaliste, on recherche des
clés qui montreraient ce que Dieu a voulu dire dans le texte. Une attitude qui se développe
dès le XXe siècle où l’on cherche le secret de l’œuvre, le sens spirituel que l’auteur aurait voulu
mettre dans le texte : cette approche est développée par Spitzer, le père Guillaume ou
Faurisson. Spitzer pense qu’il y a un étymon spirituel, une racine spirituelle à l’œuvre et que
toute œuvre analysé avec une rigueur et une intuition révèlera l’intention spirituelle de
l’auteur. Le père Guillaume a adopté la même approche à des poèmes de Nerval et dit que
l’étymon spirituel de Nerval est Dieu, il montre à quel point cette notion, pas toujours
explicite, aide Nerval. Cette approche offre une lumière, une révélation, sur l’œuvre. Un autre
chercheur est Faurisson, c’est un négationniste, lecteur de Nerval très fin, qui a une vision très
finaliste et négationniste et qui a nié l’existence des chambres à gaz.
La théorie des quatre sens apparait dès le Moyen Âge. Le premier est le sens littéral ou
historique : l’histoire raconté. Par exemple, Moïse a libéré le peuple hébreu d’Égypte avec un
miracle pour que le peuple puisse traverser la mer rouge. Il y a ensuite le sens spirituel ou
allégorique. Il y a le sens typologique ou allégorique au sens strict ; par exemple le Nouveau
Testament est annoncé par l’Ancien, on ne les lit pas pour eux-mêmes, on les lit pour les
mettre en relation. Un autre exemple est la libération de la mer rouge vue comme
l’annonciation du sauveur Jésus qui vient libérer. Il y a le sens moral ou tropologique, on veut
voir le sens moral du texte, on veut voir ce que le texte dit sur le plan éthique. L’histoire des
hébreux montre que le bon droit finira par l’emporter sur les adversités et épreuves de la vie
si l’on fait confiance à Dieu. Pour finir, le sens anagogique avec l’évocation des fins dernières
de l’humanité. C’est une vision du monde et du sens de la vie, de la valeur humaniste et
spirituelle profonde du texte.

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B. L’APPROCHE PHILOLOGIQUE
Une bonne partie du Moyen Âge la pratiquait également. La philologie peut être prise au sens
étroit avec le souci d’établir ou de rétablir le texte dans son intégrité, ses variantes, sa date et
ses sources avec des textes manuscrits où l’on cherche a bien comprendre ce qui a été écrit,
un travail d’enquête technique. Elle peut également être prise au sens large avec une science
de la culture, soucieuse de relier les documents aux civilisations qui les ont portés. La
philologie désigne alors les langues et les lettres : avant on employait le termes philologie
romane pour les études de langues et lettres.

C. L’APPROCHE CONTEXTUELLE
Cette approche n’est pas incompatible avec l’approche philologique. C’est une approche qui
essaye de relier l’œuvre à son ou ses contextes d’énonciation, à voir les éléments historiques,
sociaux, idéaux qui peuvent permettre de comprendre le texte. C’est une approche qui
relativise le texte et qui s’est beaucoup développée au XIXe siècle. Dans cette vision-là, le texte
est toujours l’expression ou le reflet d’une réalité antérieure : le texte n’apparait pas comme
étant tout seul, mais comme étant le reflet, le porte-parole, l’expression de la société où il
s’est développé. De ce point de vue, on peut avoir une approche biographique où l’on regarde
le contexte de vie de l’auteur. On peut également avoir une approche psychologique où
j’essaye de connaitre la psychologie de l’auteur et en quoi sa vision du monde a pu influer.
Dans c’est deux conceptions il y a un lien sacro-saint vie-œuvre, il faut à tout prix relier l’œuvre
et l’auteur, longtemps une approche qui a prédominée. Il y a également l’approche historique
avec les valeurs de ces époques successives. Après 1950, il y a eu beaucoup d’analyse a
vocation sociologique, généralement marxisantes, où on essaye de montrer que les auteurs
portent des idéologies socialiste, conservatiste, émancipatrice.

D. L’APPROCHE IMMANENTE OU INTRATEXTUELLE


À l’inverse de l’approche contextuelle va se développer l’approche immanente et
intratextuelle qui met le texte et l’intérieur du texte au centre. Une conception selon laquelle
le sens ne se trouve qu’au centre du texte. Cette approche née chez les romantiques
allemands, chez des auteurs du 19e, qui sont des grandes convaincus de l’importance de
l’œuvre elle-même. Ensuite, autour de 1915, se développe l’idée que le texte est un système
de signes clos sur lui-même : il est autotélique et a sa finalité en lui-même. Ceux pratiquant
cette approche sont donc des structuralistes formalistes. Ils ne veulent pas adopter une vision
idéologique ou critique, ils veulent avoir une vision neutre sur le texte, ils veulent simplement
observer les jeux d’oppositions dans le texte, ce qui montre que les oppositions font sens. Ils
insistent aussi beaucoup sur les procédés textuels, ce qui relèvent de ce qu’ils appellent la
fonction poétique. Propp écrira par exemple Morphologie du conte où il va analyser les contes
merveilleux russes du point de vue de leur forme. De même, Todorov, grand traducteur de
structuralistes, va publier Théorie de la littérature regroupant beaucoup de théories littéraires
formalistes. Il publiera aussi Grammaire du Décaméron : dedans, il approche l’œuvre d’un

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point de vue purement formel et fait un classement linguistique au sens large du terme des
éléments du Décaméron.

E. L’APPROCHE INTERTEXTUELLE OU TRANSTEXTUELLE


Dans la même lancée, l’approche intertextuelle apparait : ici, les textes vont être mis en
relation les uns avec les autres. Cette conception apparait dans les années 20 avec Bakhtine,
auteur de Esthétique et théorie du roman, qui va développer l’idée que les textes sont des
structures ouvertes vers d’autres textes, vers d’autres savoirs et d’autres cultures, qu’il y a
une polyphonie. Il dit que le texte contient diverses cultures, qu’on part du texte pour aller
vers l’ailleurs. Selon lui, les textes sont des réseaux de relations et c’est cela qui fait la force
du roman. Cette idée selon laquelle l’intertextualité est la source du sens est aussi pratiquée
par Julia Kristeva, autrice de Sēmeiōtikē : recherches pour une sémanalyse. Elle va montrer
dans son ouvrage qu’un texte est toujours une productivité, un endroit, un lieu, un objet, qui
produit toujours du lien avec les autres textes.
Gérard Genette va faire une typologie des différentes sortes de transtextualité dans son
ouvrage Palimpsestes. Il utilise le terme transtextualité car il réserve l’intertextualité à une
chose plus précise, une des formes. Pour lui, l’intertextualité sera le tressage des citations et
des références, qu’elles soient explicites ou non. Il y a en deuxième forme la paratextualité
avec tout ce qui est autour du texte dans le livre : la couverture, le titre, les épigraphes, la
préface, la 4e de couverture… La troisième forme est la métatextualité, le texte qui vient parler
d’un autre texte : c’est la constellation des commentaires. Il y a aussi l’hypertextualité avec
l’hypertexte et l’hypotexte. L’hypotexte est le texte utilisé par un texte qui va s’amuser à le
parodier, à le transformer, à le triturer… Ce texte qui le transforme est l’hypertexte ; un
exemple serait Candide ou l’optimisme de Voltaire. Genette distingue six sortes de relations
hypertextuelle en distinguant les relations formelles que l’hypertexte a sur l’hypotexte avec
de l’imitation ou de la transformation. D’autre part, il y a le régime avec l’intention du sens
que l’hypertexte veut véhiculer sur l’hypotexte qui peut être ludique, satirique ou sérieux. Les
rencontres de régime et de relation donnent la parodie, le pastiche, le travestissement comme
le fait Voltaire, la charge où il faut observer si l’auteur cherche à s’amuser ou à se moquer, la
transposition où l’on adapte l’histoire de base dans un autre contexte, et la forgerie où l’on
essaye de poursuivre une histoire comme la suite de l’Iliade.

Il y a également l’architextualité : toute la relation qu’il y a entre un texte et l’ensemble des


connaissances sur les types de texte (narratifs, poétique…), mais aussi l’ensemble des genres
textuels avec la nouvelle, le conte, l’épopée et les sous-genre. Il finit avec la « transtextualité
généralisée » qui est la référence qu’un texte va faire à tous les discours sociaux autour de lui,
aux questions de société et aux langages des gens qui l’entoure : c’est la circulation des
discours autour du texte.

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F. L’APPROCHE « PLURIELLE »
S/Z est un roman de Roland Barthes dont le titre fait référence à Sarrasine de Balzac ; il a choisi
de nommer l’œuvre S/Z car Sarrasine peut aussi s’écrire avec un z faisant alors référence à
une femme musulmane du Moyen Âge. Le titre est alors signe de l’hésitation que le lecteur
peut avoir sur la sonorité, mais aussi sur l’identité sexuelle du personnel avec Sarrasine qui est
un homme et sarazine qui est une femme, la question de l’identité étant au centre de la
nouvelle de Balzac. Barthes va lui faire une lecture de cette nouvelle très courte de 30 pages
très minutieuse en choisissant cinq types de lecture différente, cinq codes de lecture qui
s’entremêlent dans la lecture réelle en passant constamment d’un code à l’autre.
Il commence avec le code des Actions, proaïrétique, la voix de l’Empire. Selon ce dernier, on
lit l’histoire en fonction de ce que font les personnages qui créent une logique, un intérêt dans
la lecture. Le deuxième code est le code herméneutique, l’énigme. Ici, il va chercher à
interpréter tout ce qui est secret et mystérieux dans le texte : c’est la voix de la Vérité, il faut
repérer les indices. Il y a ensuite les codes culturels ou de références, la voix de la Science. Ce
code de lecture s’emploie à chaque fois qu’un personnage fait une référence à un élément de
l’époque, une vision du monde, une pensée de l’humanité des personnages de l’époque, une
représentations des lieux mais aussi la doxa, l’opinion commune et les croyances partagées. Il
y a ensuite les Sèmes ou signifiés de connotations, la voix de la Personne : tout ce qui permet
de comprendre le personnage par son apparence, sa personnalité, ses comportements. Pour
finir, il y a le champ symbolique ou psychanalytique : les significations cachées du texte.
Barthes va donc venir découper le texte en lexie, des unités de lecture tout à fait arbitraire et
sur chaque lexie il s’arrête et va commenter en fonction de ces cinq codes.

1.2. Les théories de la lecture

A. L’EMERGENCE D ’UN NOUVEAU PARADIGME A LA FIN DES ANNEES 1970


Dès la fin des années 1970, la lecture devient absolument première avec Santerres-Sarkany
qui affirme « nous sommes rentrés dans l’ère de la souveraineté du lecteur », nous sommes
dans une période où la lecture a un pouvoir supérieur sur toutes les autres approches. Cette
idée arrivera d’abord avec des chercheurs allemands à l’école de Constance avec Jauss et Iser.
Les deux pensent qu’on est trop dans l’idée de texte, ils vont donc fonder l’esthétique de la
réception avec un article presque proclamatoire de Jauss : Pour une esthétique de la réception
en 1978. Il y affirme qu’on change de paradigme. Les deux hommes sont alors des éléments
fondateurs de ce mouvement.
En France, on retrouve Charles qui a produit Rhétorique de la lecture en 1977. Il montre que
la rhétorique porte sur le texte : c’est les choix du lecteur qui donne une signification au texte.
Aux États-Unis, il y a Riffaterre qui publie La production du texte en 1978 qui affirme que la
production du texte est faite par le lecteur. On peut aussi citer en Italie Eco qui est l’auteur
d’un grand essai, Lector in fabula, en 1979. Il dit que le lecteur prend une grande place dans
le texte et participe à la compréhension. On voit alors que tout le courant dominant littéraire
est basculé vers une approche qui donne plus d’importance à la lecture.

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B. DEUX POSTULATS (CF. MUKAROVSKY)
Mukarovsky va dans structure sign and function creusé une réflexion sur la lecture des textes
et affirmer que tant que le texte est non concrétisé, qu’il n’est pas lu par des lecteurs, il est un
produit inachevé. Le texte est alors un ensemble d’indéterminations, d’ouvertures de sens,
car on ne voit pas les choses de la même manière dû au fait que chaque regard qu’on pose sur
le réel est biaisé par nos histoire, notre personne et le texte est aussi touché par cela. Il pense
donc qu’il n’est pas pertinent de parler du texte sans parler de sa lecture.

C. DEUX OPTIONS THEORIQUES … ET DIDACTIQUES


À partir de là, il y a deux options différentes. La première option soutient l’idée que la lecture
est quand même commandée par le texte, qu’il influencerait fortement la lecture ; il y a un
programme de lecture inscrit dans le texte. On retrouve alors la théorie de la rhétorique de la
lecture de Charles avec l’exemple de Rabelais ou de Joyce, mais surtout la théorie du lecteur
implicite d’Iser. Selon lui, l’acte de lecture est un acte que je fais en tant que lecteur réel, mais
au départ de ce que le texte présuppose de ma part, la lecture est toujours influencée : il y a
toujours une image du lecteur implicite dans le texte. Une autre théorie est celle d’Eco : il y a
un lecteur modèle qui est l’image du lecteur que le texte présuppose et que le lecteur doit
essayer de suivre pour être un bon lecteur. D’autres encore comme Adorno ou Jouve vont
parler d’effets sociologiques ou psychiques produits par le texte, ils pensent que les lecteurs
sont influencés par les personnages. Cette première approche, tout en disant que le lecteur
est très important, garde un grand rapport au texte : le lecteur n’est pas autonome et
souverain, mais c’est tout de même bien du lecteur qu’on parle. On dit aussi qu’on travaille
sur les effets de lecture, Iser dira qu’il est un théoricien de l’effet.
Il y a une tout autre approche qui fait une centration sur le lecteur empirique qui se concentre
donc sur le lecteur réel. On va retrouver tous les théoriciens qui s’intéressent au psychique de
la lecture comme Picard avec le lectant et le liseur, mais aussi certains qui s’intéressent à la
sociologie de la lecture comme Escarpit, Bourdieu, Lafarge ou Leenhardt. Selon ces derniers,
notre milieu et notre situation sociale peuvent influencer considérablement la lecture, mais
aussi l’écriture. Leenhardt particulièrement développe cette idée dans son livre Lire la lecture
qu’il écrit avec Józsa. Ce dernier travaille les lectures que deux publics différents ont fait avec
un public français et un public hongrois afin d’analyser comment les deux publics lisaient.
D’autres vont faire de l’histoire des lectures réelles en regardant comment un même livre a
pu être lu de manière différentes selon les générations, une théorie développée par Jauss,
Chartier et Manguel. Dans Une histoire de la lecture, Manguel montre diverses
représentations de l’histoire des lectures réelles par illustration. On est ici dans la réception
de la lecture, la réception effective réelle. Jauss et Iser, bien qu’ils aient tous les deux fondés
l’idée de la théorie de la lecture, s’oppose donc. Iser est axé sur une lecture tout de même
influencée par le texte tandis que Jauss se concentre sur une réception.

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1.3. Le double jeu de la lecture

A. AU-DELA DES THEORIES DE L ’EFFET ET DE LA RECEPTION : UNE 3E VOIE


Mais, on peut aussi aller au-delà des théories de l’effet et de la réception et trouver une
troisième voix. On commence alors par parler des limites de la théories de l’effet avec un
lecteur réel qui ne peut pas se satisfaire de l’idée que tout est dans le texte : cette théorie
aurait un côté frustrant. Mais est-ce que la théorie de la réception qui dit que lire est un acte
purement subjectif n’est pas frustrante également ? Surtout que ce n’est pas le cas : lors de la
lecture, il y a des éléments partagés, des choses communicables entre les lecteurs, des sens
commun et une certaine influence du texte malgré tout. Il faut donc éviter de lier le texte au
lecteur modèle, mais sans retirer l’idée d’un élément modélisant ; une différence intéressante
serait de dire que le texte nous propose une référence de nous-même, mais sans nous
l’imposer. Par exemple, dans Bérénice de Racine on retrouve le vers « Dans l’Orient désert,
quel devient mon ennui », un vers avec une dépendance au contexte. Effectivement, de nos
jours l’Orient représente un idéal pour les occidentaux. Le désert ne représente pas non plus
une peur pour les occidentaux : c’est un lieu où on peut se ressourcer en faisant une marche
spirituelle. L’ennui, lui, représente un état d’âme qui montre une certaine disponibilité, il est
à l’origine d’un romantisme, c’est un élément intéressant. Ces trois thèmes évoquent donc un
certain plaisir et on peut, nous contemporains, lire le vers avec une notion positive dû à la
valeur de sens partagée que ces termes occupent dans nos esprits et qui sont stéréotypés.
Mais, à l’époque de Racine ça ne voulait pas du tout dire la même chose : l’Orient était
l’horreur absolue pour les occidentaux, le désert représentait la mort assurée et l’ennui était
synonyme de torture physique et mentale. Racine exprime alors ici une souffrance profonde,
un désespoir. Donc, dans la lecture il y a du collectif avec une compréhension commune en
fonction des époques et un rôle clé des effets communs programmés par les codes partagés,
à commencer par les genres et les stéréotypes.
La notion de stéréotype est une notion importante. C’est une combinaison avec, d’une part,
des d’éléments linguistiques, elocutio, avec des associations entre des sons et des mots, mais
aussi des expressions. D’autre part on retrouve des éléments thématico-narratifs, dispositio,
avec des possibilités d’action et de combinaison qui s’enchaîne en nous. Il y a aussi des
éléments idéologique, inventio, avec par exemple l’idée qu’un homme doit faire x ou y choses
pour sa bien-aimée : ce sont des visions du monde. Le stéréotype a six traits distinctifs : il est
fréquent, il est semi-figé comme le manteau blanc de la neige qui ne peut pas être remplacé
par le manteau gris de la neige. Il y a une absence d’origine précisément repérable, il y a une
longévité dans la mémoire collective avec en général un stéréotype qui dure plusieurs
générations, un automatisme de la plupart de ses usages. Il y a une ambivalence axiologique
quand le stéréotype peut être valorisé ou dévalorisé avec, par exemple, le féminisme qui vient
parfois critiquer la façon de représenter le comportement des hommes avec les femmes dans
les livres. Pour finir, le stéréotype a un caractère très abstrait et synthétique. On peut dire que
le stéréotype est la concrétisation d’un savoir durable, d’une connaissance durable.
Un exemple de stéréotype est L’Albatros de Baudelaire où l’on associe l’image de l’Albatros
qui est moqué et harcelé des hommes à l’image du poète qui va être isolé. Mais, les deux ont

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un espace où ils sont libres : le ciel, le ciel de leur création, de leur liberté, ils ont des ailes de
géant. Dans ce texte, on retrouve les stéréotypes originels qui perdurent comme le bouc
émissaire, mais d’autres qui peuvent nous échapper comme « les autres albatros ».
Effectivement, c’est un stéréotype de l’époque : beaucoup d’albatros avaient des descriptions
similaires, mais à nous contemporains cela nous échappe. Il y a les stéréotypes du discours sur
l’œuvre avec le manifeste du poète maudit, l’image que Baudelaire nous décrit est devenue
un stéréotype, en partie grâce à l’œuvre de Baudelaire. Pour finir, il y a les nouveaux
stéréotypes nés après coup avec l’oiseau martyr et le mythe écologique ; notre conscience
écologique actuelle est touchée par ce stéréotype. Ce sont des stéréotypes qui permettent et
suscitent une lecture largement commune de ce poème. On a parfois tendance à rejeter ces
images communes, car c’est quelque chose qui nous ramène à la communauté des autres et
qui peut nous donner l’impression d’avoir un manque de singularité de notre part, mais d’un
côté nous ne pourrions pas nous comprendre sans un partage de représentation et d’idées.

B. TEXTE ET LECTURE : DES DEFINITIONS DIALECTIQUES


On peut regarder la lecture selon deux manières très ciblée. La première approche dit qu’en
soi, hors contexte, chaque lecture est une construction personnelle qui dépend des
compétences et des motivations de chaque individu ; c’est un acte subjectif à chaque fois
inédit qui prend le texte comme un pur artefact. Mais, cette dimension serait insuffisante si
l’on disait que la lecture se réduit à cela. La lecture c’est aussi le fait de prendre le texte comme
un objet social situé dans un contexte socioculturel donné. Chaque lecture est alors une
reconnaissance partielle et une combinaison de stéréotypes et de codes collectifs. La lecture
est donc ici un acte social intersubjectif largement répétitif. Un acte critique de la lecture est
de se demander si nos stéréotypes actuels, ceux qu’on voit dans un texte, sont ceux de l’auteur
au moment de la rédaction du texte : effectivement, il faut être vigilant et critique avec notre
lecture avec nos codes personnels. Il faut savoir accepter qu’il y a deux approches dans la
lecture et savoir les combiner.

C. INTENTION DE L’AUTEUR / DU LECTEUR / « DU TEXTE » (CF. ECO 1992)


Umberto Eco dans Les Limites de l’interprétation va distinguer trois intentions, trois sources.
Il y a tout d’abord l’intention de l’auteur, intentio auctoris, qui concerne les sens visés
consciemment par l’auteur. Cette source est largement privilégiée dans les analyses pendant
des siècles et des siècles, mais ce n’est qu’une voix possible : il ne faut pas limiter le texte à
ça. La deuxième intention est celle du lecteur, intentio lectoris, les sens décodés par chaque
lecteur en fonction de ses envies, de ses pensées : on va pouvoir mettre des images
personnelles indépendantes sur le texte. Pour finir, il y a l’intention de l’œuvre, intentio operis,
selon laquelle, pour Eco, l’œuvre contient sa propre intention. Il y a une intentionnalité
immanente du texte et l’auteur est lui-même dépassé par sa création. Mais, l’on pourrait
parler plutôt en dernière intention d’un sens intersubjectif résultant du caractère social du
texte, c’est-à-dire son inscription dans des stéréotypes partagés : c’est le champ du sens
partagé.

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Charlotte Deprez - UCL
Chacune de ces trois zones de sens a son harmonie partielle avec les autres intentions. Ici, on
s’intéresse seulement au zone qui sont dans le champ de la lecture. Par exemple, pour le
champ de l’auteur, ce qui se trouve dans la tête de l’auteur et qui est privé à lui ne nous
intéresse pas. Par ailleurs, ce qui est propre au contexte de l’œuvre, mais que l’on ne perçoit
pas encore dû à notre culture actuelle ne nous intéresse pas encore. Ce qui nous intéresse est
le lecteur avec le premier champ. C’est ce qui est propre au lecteur et qui n’est pas partagé
avec d’autres lecteurs, c’est une subjectivité totale avec une lecture qui mobilise des souvenirs
et impressions personnelles. Le deuxième champ est ce qui est commun à certain lecteur,
s’ancrant dans le champ du sens partagé, mais qui ne fait pas partie du champ de l’auteur : ce
sont des stéréotypes que beaucoup de lecteur peuvent repérer, mais dont l’auteur n’avait pas
conscience. Par exemple, Œdipe Roi de Sophocle contient un stéréotype partagé des lecteurs,
mais dont l’auteur n’avait pas encore conscience. Le troisième champ est ce qui est commun
entre l’auteur et le lecteur, mais sans passer dans le stéréotype. Ici on parle d’échange entre
le lecteur et l’auteur, par message oral ou par écrit, mais cela peut aussi bien être lorsqu’on
est expert d’un écrivain et qu’on comprend ce que d’autres n’auraient pas compris. Pour finir,
le quatrième champ est celui du sens commun qui contient les stéréotypes de l’auteur, ce qu’il
a voulu dire et qui en plus est compris et reconnu par le lecteur : c’est le champ du partage.

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Charlotte Deprez - UCL
Chapitre 2 : la notion de littérature

Origines de la question

La question de la valeur de la littérature n’est pas nouvelle ; par exemple l’abbé Batteux au
XVIIIe siècle fait diverses anthologies qui regroupent les grands textes de grands auteurs de
l’époque. Ce manuel s’appelait Cours de belles lettres distribué par exercices, ici le terme
« belles lettres » n’englobait pas que les textes littéraires, mais aussi les sciences et les maths.
Cependant, Batteux rééditera son œuvre et, éprouvant un besoin de donner une spécificité
aux textes littéraires, appellera son ouvrage Eléments de littérature du cours de belles lettres.
Par après, Madame de Staël va, au début du XIXe siècle, écrire De la littérature où elle applique
l’idée qu’est nécessaire de tenir compte des institutions qui parlent des œuvres et de la
littérature lorsqu’on parle de littérature. À la même époque, des romantiques allemands vont
accorder à la littérature une valeur très importante en la plaçant comme idéal même de leur
travail ; la littérature devient un idéal en soi et selon ces romantiques, le travail des artistes et
des écrivains est d’atteindre la littérature avec un L majuscule, elle doit devenir un idéal absolu
de vie. Le lieu de la valeur des textes va créer débat avec certains qui pensent que la valeur
des textes se trouve à l’intérieur de ceux-ci donnant une approche interne et ceux qui pensent
qu’elle est à l’extérieur donnant une approche externe.

2.1. Les approches internes

A. L’APPROCHE FORMELLE (FORMALISTES RUSSES , JAKOBSON)


Certaines personnes pensent que l’effet de littérature est lié à certaines propriétés internes
du texte, notamment les formalistes russes. Jakobson et ses collègues vont estimer que la
littérarité, la valeur littéraire interne à l’œuvre, est fondée sur des spécificités linguistiques.
Plus précisément sur trois choses avec tout d’abord une défamiliarisation du langage avec une
mise en évidence du langage pour lui-même ; il n’est pas mis au service d’autre chose comme
la communication. Il y a ensuite un rapport étroit avec un réseau d’intertextualité, on vient
toujours lire un texte en lien avec les autres textes qui ont existés avant lui ; c’est alors car ce
jeu existe que les œuvres résonnent en permanence entre elles. Le troisième aspect est
l’intégration compositionnelle de tous les éléments du texte, l’idée que tous les mots, tous les
passages du texte et tous les espaces dans le poème jouent un rôle, le texte est une machine
artistique à prendre au sérieux. C’est une approche intéressante qui a longtemps dominé la
théorie littéraire au 20e siècle.
Cependant, cette approche sera mise en cause dès les années 70 avec trois reproches. Tout
d’abord, on reproche l’attention excessive accordée au langage par rapport au sens. L’on dira

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Charlotte Deprez - UCL
aussi que la fonction poétique, qui est une fonction de la communication qui porte une
attention au langage pour lui-même, existe effectivement dans les œuvres littéraires, mais
qu’elle existe partout comme dans les publicités qui vont reposer sur les jeux de mots et le
rythme des phrases. Ces deux premières critiques sont intéressantes car l’on dit qu’il n’y a pas
que l’attention au langage qui compte et qu’en plus elle n’est pas exclusive à la littérature. Le
troisième reproche sera l’attention insuffisante accordée au contexte et donc au discours. Ces
trois critiques montrent qu’on ne peut pas se contenter de cette approche et donne plus
d’importance à l’approche référentielle.

B. L’APPROCHE REFERENTIELLE (ARISTOTE, AUERBACH)


L’approche référentielle existe depuis très longtemps étant donné qu’elle était déjà
développée par Aristote dans Poétique, premier ouvrage d’analyse littéraire. Il y analysait les
tragédies et où il mettait en évidence le fait que la littérature est un type particulier de mimésis
en imitant la réalité : il y a un type particulier de représentations du réel qui donne une
puissance référentielle à certains textes. Aristote va parler de pouvoir cathartique, de la
purgation des passions, en disant que le texte nous pousse à mettre nos propres émotions
négatives à distance par la tragédie ; on pourrait donc mettre nos émotions en miroir grâce à
la littérature. Auerbach va reprendre cette idée d’Aristote dans Mimésis où il développe l’idée
que la littérature met en perspective ou en résonance le réel. Le contexte ne sert alors plus
qu’à tirer du sens, c’est le jeu avec le contexte qui donne de la valeur, de l’intérêt et de
l’émotion aux œuvres littéraires. Les œuvres apparaissent alors comme des miroirs pour les
expériences de la vie.

C. L’APPROCHE DIALOGIQUE (BAKHTINE)


Bakhtine n’est pas contre l’idée de lié la littérarité au texte, mais il met l’accent sur le fait de
faire attention au fait que la littérature, surtout le roman, est un discours dialogal. C’est cela
qui donne la valeur des romans avec une intertextualité au sens large, au sens de la
transtextualité. Il dit effectivement qu’il y a une dimension intertextuelle très importante,
mais il y a aussi une polyphonie avec un entrelacement des voix de divers personnages, la
littérature peut jouer avec ce renouvèlement de la langue. Pour lui, ces deux caractéristiques
de la littérature forment l’approche dialogique qui sera analysée plus tard par Todorov.

D. L’APPROCHE COMBINEE
Selon Barthes dans Leçon la littérature est une combinaison de trois « forces ». Sa première
force est le fait que par la mathésis, elle apporte des savoirs. Sa deuxième force se combine à
la première et donne la mimésis, une tentative utopique de représenter le réel. Sa dernière
force est la sémiosis qui permet de mettre en jeu des signes, des formes langagières, etc. En
se combinant, ces trois forces convergent vers une tentative de dire autrement le monde. Un
autre auteur qui suit l’approche combinée est Aron qui développe dans Littérature et
littérarité une synthèse de plusieurs approches avec l’idée que le texte a un pouvoir référentiel
par la mathésis et par la mimésis. Il vient aussi dire qu’il faut s’intéresser à l’intégralité de la
surface du texte, ajoutant à sa synthèse une approche formelle. Pour finir, il affirme que la
littérature est un jeu par lequel le texte mobilise l’affectivité : c’est la catharsis.

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Charlotte Deprez - UCL
2.2. Les approches externes

A. L’APPROCHE « LECTURALE »
L’approche lecturale fait partie des approches externes et estime que c’est le lecteur qui
décide de la valeur du texte par son projet, son regard et son évaluation : ici, la littérarité est
liée au projet du lecteur. Cette théorie vient de Marghescou qui la démontre en prenant un
fait divers irréel : « Sur la Nationale 7, une automobile roulant à du cent à l’heure s’est écrasée
contre une platane. Ses quatre occupants ont été tués ». Selon la définition, ce texte est non
littéraire, mais Marghescou se demande alors si on se base exclusivement ; selon lui, on
pourrait décider de lire le texte comme un poème. Il montre ici qu’il est possible de manipuler
n'importe quel texte pour lui faire dire quelque chose de différent. Dans ce cas, le sens ne
change pas énormément, mais les valeurs changeront. Marghescou va alors réaliser une
théorie nommée la littérarisation qu’il théorise selon trois traits majeurs. Il parle d’abord de
l’abolition de la fonction anecdotique ou référentielle en disant que selon la manière de lire
le texte qu’on choisit, on s’ouvre à une autre dimension du langage. Le deuxième trait majeur
est la manifestation archétypale du signe ; ici, l’on n’est plus dans l’idée que le texte porte un
sens, mais aussi dans celle que chaque mot a une, voire plusieurs, portée symbolique. Chaque
mot du texte obtient alors une portée symbolique. Pour reprendre l’exemple du fait divers, le
chiffre 7 est très symbolique, souvent utilisé pour des éléments qu’on ne peut pas diviser.
Ensuite, Nationale avec une majuscule représente une nation, la « Nationale 7 » est aussi le
titre d’une chanson. Le mot « automobile » se divise en auto et mobile qui fait d’elle un
personnage en soi, c’est une représentation du monde moderne technologique, « cent à
l’heure » reprend aussi un nombre symbolique qui représente la rapidité, la volonté de
conquête. « S’est écrasée » signifie une punition et « contre un platane » est une
représentation de la revanche de la nature contre ceux qui l’exploitent. Chaque mot devient
ici porteur de valeur essentielle humaine à laquelle on ne pensait pas à priori. Le troisième
traits majeurs est l’activation de la polysémie : on ne donne pas une unique valeur à un mot.
« Automobile » représente par exemple la vitesse, la culture, l’invention humaine… Chaque
mot vient rayonner de plusieurs sens, des sens potentiellement infinis. Marghescou dit donc
que l’on peut réaliser cela sur n’importe quel texte et que le texte n’impose rien de cela : c’est
chaque lecteur qui peut porter sa propre lecture.
D’autres auteurs de l’époque vont dire des choses similaires comme Michael Riffaterre en
1983 dans Sémiotique de la poésie où il oppose la lecture heuristique, la lecture anecdotique
et la lecture herméneutique, la lecture de Marghescou où le lecteur fait résonner des
interprétations multiples. Pour lui, la lecture devient intéressante quand elle passe de
l’heuristique à l’herméneutique. Il y a également le groupe μ en 1980, un groupe de
compatriotes liégeois qui a composé Rhétorique de la poésie où le groupe affirme qu’il y a
deux manière de lire la poésie. On retrouve soit une lecture linéaire assez uniforme avec un
sens relativement simple, soit une lecture tabulaire où le texte devient polysémique et où l’on
analyse les différents sens. Un autre auteur est Bertrand Gervais qui, en 1993, dans Théories
et pratique de la lecture littéraire, oppose la régie de la progression, le fait de lire un texte en
essayant de se laisser guider par la succession des mots et des phrases, à la régie de la

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Charlotte Deprez - UCL
compréhension, une lecture plus complète qui prend différentes significations dans sa
dimension symbolique et polysémique. Pour finir, Michel Picard dans La lecture comme jeu en
1986 affirme que la lecture littéraire est un jeu, une tension entre des valeurs opposées.

B. L’APPROCHE INSTITUTIONNELLE : LA LITTERATURE COMME CHAMP (BOURDIEU,


EAGLETON)
Mais, l’approche lecturale a comme limite le fait qu’elle est une lecture individuelle et face à
cela, une autre approche institutionnelle voit le jour : l’approche de Bourdieu et d’Eagleton.
L’approche institutionnelle considère que cette valeur des textes littéraires n’est pas lié qu’aux
choix des lectures, elle est aussi influencée par le champ institutionnel, les institutions
littéraires qui sont les écoles, les universités, les académies, les éditeurs… Dans ce champ
d’institution littéraire, certains donnent une valeur purement symbolique, culturelle, propre
à la littérature tandis que d’autres contribuent à sa valeur économique, créant une opposition
du point de vue institutionnel. La littérature se présente à l’origine comme un champ entre
autonomie et hétéronymie ; effectivement, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle la littérature est
dominée par le politique et le religieux avec par exemple Molière qui est très censuré. C’est à
partir du XIXe siècle seulement qu’il y a un début d’autonomie de la littérature avec une société
des gens de lettre qui affirme que les écrivains ont le droit à la propriété intellectuelle sur leurs
œuvres. Le code Napoléon va permettre une reconnaissance des droits d’auteurs ainsi qu’une
protection de ces droits. La littérature passe alors d’une hétéronymie en dépendant des autres
à l’autonomie en se donnant plus de pouvoir : la valeur des œuvres n’est plus uniquement
dictée par le pouvoir extérieur, mais aussi par les écrivains eux-mêmes.
C’est comme cela qu’apparaissent les instances de légitimation du champ littéraire
francophone aujourd’hui, avec malgré tout une domination parisienne, la France restant au
centre de la littérature francophone. Les grandes instances sont les éditeurs, les académies,
les prix, la critique, la presse, l’école mais aussi les groupes et les alliances entre les auteurs.
Chaque groupe, chaque instance, essaye de se distinguer des autres avec une opposition entre
reproduction et distinction avec un clivage entre les genres « dominants », ceux reconnus par
les institutions, et « dominés », ceux très lu par le grand public mais méprisés par les
spécialistes. C’est en observant cette opposition qu’on comprend la succession des
« courants » de l’histoire littéraire : les genres dominants se font à un moment critiqués et on
essaye de produire un nouveau genre en distinction qui finit par devenir lui-même un genre
dominant. C’est dû à cette opposition que souvent la paralittérature a été marginalisé, mais
c’est aussi grâce à ce jeu que maintenant la paralittérature n’est plus méprisée : la bande
dessinée et les mangas sont reconnus et légitimisés. On peut donc dire qu’on vit dans une
situation paradoxale postmoderne : les cartes sont brouillées, on ne peut plus dire qu’il y a
une dominance dans les genres, que le classique l’emporte sur le moderne… ; les codes sont
brouillés.

C. L’APPROCHE POLYSYSTEMIQUE (EVEN-ZOHAR, LAMBERT)


Dans l’approche polysystémique, on met l’accent sur le fait de ne pas faire attention qu’aux
institutions littéraires, on étend la notion aux institutions politiques, économiques,
philosophiques… et on demande de prêter une certaine attention à ces institutions aussi en

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Charlotte Deprez - UCL
élargissant la notion d’institution. Even-Zohar et Lambert disent alors que la littérature a un
rapport avec tout cela, avec notre vision de la politique et de l’économie notamment, mais
que ces domaines vont aussi venir influencer notre lecture. Ici, la littérature est vue comme
un ensemble hiérarchisé de systèmes qui s’interpénètrent et qui se combattent.

2.3. Regards croisés sur le phénomène littéraire

A. UN PHENOMENE INSTITUTIONNEL
La littérature ne peut pas ne pas être considérée comme un phénomène institutionnel : elle
est liée à tous ces pouvoirs professionnels tournant autour d’elle qui sont les éditeurs, l’école,
les critiques littéraires… Ces personnes sont payées pour se consacrer à la littérature et
possèdent un pouvoir inconsidérable sur la vision de la littérature. Il reste frustrant de limiter
la littérature à ce phénomène institutionnel ; il faut réfléchir aux différents niveaux de
littérarité et voir que la littérarité est aussi un certain rapport à l’écriture, à la lecture et un
phénomène graduel.

B. UN CERTAIN RAPPORT A L ’ECRITURE


Pour le rapport à l’écriture, on peut regarder les stéréotypes, une notion autrefois
incontournable, avec notre connaissance de ces derniers qui permet une compréhension du
texte. Si l’on est d’accord que les stéréotypes sont des éléments clés de la valeur du sens, l’on
peut dire que les stéréotypes servent aussi à la perception de la valeur littéraire :
effectivement, lorsqu’on regarde ce qui est écrit sur la valeur du texte, l’on voit que la valeur
de stéréotype est souvent reprise en notion butoir qui sert à définir ce qui n’est pas la
littérature : la bonne littérature serait celle qui refuse les stéréotypes. Roland Barthes dit par
exemple que le rôle de la littérature est d’être en opposition contre les stéréotypes qu’on
emploie à chaque instant. Cependant, il est important de faire attention en affirmant que la
littérature n’est composée que de ces ouvres. Effectivement, les livres Harlequin sont les livres
les plus rejetés et méprisés, mais ils sont aussi ce qui se lit le plus et si l’on élimine tout ce qui
contourne le stéréotype, on élimine tous ces romans créant un mépris à l’égard de la
littérature populaire.
Une vision plus nuancée serait alors de dire qu’il y a un premier niveau de littérarité, une
littérature qui remonte au stéréotype de manière volontaire et qui marche bien car les
stéréotypes sont source de valeur en plus d’être source de contre-valeur. C’est l’écriture du
1er degré avec des stéréotypes visibles à l’œil nu. On y retrouve une vision du monde où
l’amour surmonte tous les obstacles, des valeurs partagées par beaucoup de gens, un schéma
narratif et une succession de personnages qui suivent les stéréotypes avec un schéma qu’on
retrouve dans tous les livres du même genre, une écriture basée essentiellement sur des
dialogues très simples avec des descriptions rapides qui n’entrent pas trop dans les détails,
sans avoir de réelle description psychologique. En exemple de roman suivant l’écriture du
premier degré, on retrouve les romans Harlequin ou encore les romans de Barbara Cartland,
des romans où les personnages s’aiment éperdument. Ces romans respectent complètement
ce que le lecteur peut s’attendre à trouver et il est important de ne pas mépriser cela car cette

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Charlotte Deprez - UCL
manière d’écrire correspond parfaitement à la définition du classicisme de Boileau avec une
convention et une fidélité aux règles. Alors, la façon de construire les choses dans ces romans
correspond à l’esthétique classique, comme beaucoup des œuvres de la paralittérature qui
suivent en majorité des stéréotypes.
À côté de l’écriture du 1er degré, il y a celle du 2e degré qui, au contraire, va utiliser les
stéréotypes comme repoussoir de manière conforme à la vision de Barthes qui affirme que le
stéréotype est contraire à la vision de l’art. Cette conception fait de la littérature le lieu de la
distance critique, de l’ironie, elle fait aussi de l’art une vision critique et distance des
stéréotypes qui correspond à la modernité au sens large. Il est important lorsqu’on parle de
modernité de prendre des pincettes car il y a une première modernité à la Renaissance, mais
on emploie aussi ce terme depuis la fin du 19e siècle avec les grandes révolutions et la prise
de l’autonomie de la littérature. Mais, la modernité suppose toujours l’idée d’une distance
critique parodique où il y a une forme de recul par rapport aux mots de la tribu, aux
stéréotypes, la modernité étant en quelque sorte l’anti-stéréotype. L’on peut illustrer cela
avec l’auteur français représentant le plus l’ironie : Voltaire avec son œuvre Candide ou
l’Optimisme qui illustre ce regard critique sur les stéréotypes. La façon d’écrire dans Candide
est tout à fait différente de celle des livres Harlequin : on est ici dans une ironie constante à
l’égard d’une écriture antérieure. Le texte qui présente un monde parfait se sert de l’ironie
comme un appât avec le lecteur qui se rend bien compte que tout ce qui est écrit n’est pas
vrai : le baron n’est pas parfait, son château est bien uniquement car il a des portes et des
fenêtres, la baronne n’est considérable que par son poids, la jeune Cunégonde est haute en
couleur, fraiche, grasse et appétissante ; des adjectifs assez dépréciatifs. Pour parler du héros,
Candide, son simple nom le présente comme le naïf complet, il est comme le lecteur naïf du
texte qui lirait le texte au premier degré et qui serait victime des stéréotypes : le texte use de
l’ironie pour montrer que le narrateur est un narrateur non fiable. On voit bien que du point
de vue de l’inventio, aucun personnage n’est crédible et cet optimisme qui caractérise les
personnages n’est qu’un tissu de mensonge ; ce n’est qu’une attaque au philosophe Leibniz.
On est dans une époque qui dénonce les stéréotypes où les personnages ne font qu’évoluer
en pire avec les actions typiques du conte de fée qui sont totalement détournées.
Pour finir, il y a l’écriture du 3e degré : c’est lorsqu’on joue sur les deux tableaux à la fois avec
une certaine ambivalence, une oscillation comme dans Belle du Seigneur d’Albert Cohen. Ce
roman est une histoire d’amour publiée en 1968 entre Solal et Ariane dans laquelle le
narrateur va durant un chapitre prendre une certaine distance et s’adresser à ses personnages
et aux lecteurs. Au début de ce chapitre, le narrateur emploie une écriture du premier degré
avec beaucoup d’émotions en parlant de l’amour, faisant écho à ses propres amours, pour par
la suite prendre une distance, adoptant l’écriture du second degré, il se met à utiliser une
certaine ironie, il rappelle que les gens qui s’aiment vieillissent, que les beaux corps
deviennent des vieux corps. Il y a dans ce chapitre une oscillation avec à la fois toute l’émotion
de l’amour de Solal et Ariane, mais en même temps il y a constamment des moments de recul
critique et des réflexions sur la suite de l’amour, sur la vie humaine, mais qui n’empêche pas
de communier au lyrisme. Ce mouvement d’oscillation, d’ambivalence, d’après Eco dans
Apostille au nom de la Rose, est la postmodernité, une notion qu’on retrouve à toutes les
époques et qui reconnait que le passé et les stéréotypes peuvent être revisités avec ironie.

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Charlotte Deprez - UCL
Eco affirme lui-même être un postmoderne dans ce même ouvrage où il parle de son propre
roman Le nom de la rose dans lequel il met en scène une intrigue policière tout en faisant une
réflexion plus profonde. L’écriture du 3e degré a alors une puissance cognitive, affective et
théorique.

C. UN CERTAIN RAPPORT A LA LECTURE


Il y a selon beaucoup d’auteurs comme Pennac ou Marghescou une autonomie de la lecture
par rapport aux modes d’écriture. Pennac va dans Comme un roman parler des droits
imprescriptibles du lecteur avec le droit de ne pas lire, de sauter des pages, de ne pas finir un
livre, de relire, de lire n’importe quoi, le droit au bovarysme, de lire n’importe où, de gaspiller,
de lire à voix haute et de se taire. L’autonomie de lecture implique donc que, peu importe le
degré d’écriture du texte, c’est le lecteur qui choisit à quel degré il le lit : on peut lire Candide
au premier degré, même si c’est un malentendu. Alors, à côté des trois modes d’écriture, l’on
distingue trois modes de lecture. La première est la participation psychoaffective avec le
playing, le lu ou le lisant, une lecture « ordinaire », du grand public. À côté, il y a le
distanciation rationnelle, le game avec le lectant, c’est une lecture savante, une lecture
« lettrée ». Pour finir, Picard parle d’un va-et-vient dialectique, une lecture où l’on alterne
deux postures, un va-et-vient qui selon Picard mérite d’être appelé « lecture littéraire ».
Picard appelle à un régime de lecture en va-et-vient entre des valeurs opposées : quelqu’un
qui lit littérairement un texte alterne des appréciations du textes différentes et même
opposées l’une à l’autre. Il précise qu’il y a trois oppositions de valeurs fondamentales avec
l’opposition entre le vrai et le faux lorsqu’on met le texte tantôt comme étant une certaine
vérité sur le monde et tantôt comme de la pure fiction, de la pure fabrication : c’est un jeu
avec les représentations du monde. Il y a également une opposition entre conformité et
subversion avec la conformité, le fait de respecter les stéréotypes, et la subversion, le fait de
les mettre à distance, un jeu avec les conventions et les genres. Pour finir il y a l’alternance
entre le sens et les significations avec le sens qui est le fait de voir le sens global du texte et
les significations, le fait de prêter attention à la polysémie, aux symboles. Picard dit qu’être
d’un côté de l’évaluation n’empêche pas d’être à certains moments de l’autre côté : on peut
faire varier l’appréciation littéraire et l’inverser sur le même texte tout en fournissant une
appréciation littéraire. On peut également faire d’autres oppositions qui semblent
constitutives du fait littéraire entre le fond et la forme, l’éthique et la transgression, l’émotion
et l’impassibilité et la clarté et la complexité. Il est possible peu importe le type d’appréciation
mobilisée de créer une alternance. En tant que lecteur, on peut rendre notre lecture plus riche
avec un regard évaluatif plus diversifié ; les valeurs de la participation et de la distanciation
fondent les deux pôles d’un continuum. Picard voit donc la littérature comme un travail
dialectique, comme un jeu d’oppositions.

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Charlotte Deprez - UCL
2.4. La littérature, quel corpus et quelle lecture ?

A. LA PERSPECTIVE RESTREINTE OU SEGREGATIONNISTE


L’approche restreinte ou ségrégationniste a tendance à dire que la littérature est un label de
qualité qui contient et qui est réservé uniquement à certains textes, les grands textes du
patrimoine comme Socrate, Virgile, Dante, Molière, Hugo… Dans cette conception, le corpus
littéraire est un corpus fermé, sélectif et hiérarchisé dans lequel il est difficile d’entrer. Mais,
lorsqu’on a cette conception littéraire dominante on estime que la lecture littéraire est une
activité spécifique liée aux seuls textes littéraires jugés comme supérieur ; on ne peut pas
imaginer dans cette approche que la lecture littéraire s’applique à un manga ou à un fait
divers.

B. LA PERSPECTIVE ELARGIE OU INTEGRATIONNISTE


La perspective élargie ou intégrationniste voit la littérature comme un label neutre
potentiellement attribuable à tous les textes qui a une volonté d’être littéraire. Dans cette
perspective, le corpus littéraire est ouvert, large et non hiérarchisé et la lecture littéraire
signifie qu’on a une approche littéraire envers un texte quelconque, une perspective suivie
par Picard. Cette seconde approche peut être qualifiée comme dominée ; elle relativise la
limite entre capitaux symbolique et économique en affirmant que ce n’est pas car une œuvre
est appréciée du grand public qu’elle n’est pas littéraire.

C. UNE OPPOSITION A DIALECTISER


Il est indéniable qu’on assiste à une ouverture du corpus littéraire et à une émancipation du
lecteur à l’égard des valeurs imposées par les institutions. Cependant, il faut rester prudent et
réaliser la persistance à chaque époque d’un canon littéraire et le rôle clé de celui-ci avec une
valeur patrimoniale. Il y a certaines œuvres qui doivent rester des œuvres de référence car
elles ont permis de changer notre vision du monde, car elles ont eu un poids tels que les
œuvres d’Homère, de Shakespeare, Voltaire… La lecture littéraire est donc ici un regard
complexe sur le monde inspiré par la lecture avec un corpus littéraire qui est mouvant, mais
aussi partiellement stable.
En conclusion, la littérature n’est pas une chose indivisible et intangible ; c’est une fonction
mobile, mais c’est en même temps une notion positive et mobilisatrice, féconde, qui est
attirante. C’est un mythe qui convoque notre imaginaire, notre intelligence et qui nous
transforme avec sa force transformatrice.

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Chapitre 3 : la problématique des genres littéraires

3.1. Les principaux modèles théoriques

La notion de genre a fait couler beaucoup d’encre et permet en théorie littéraire de faire des
recherches entières. Il y a trois références majeures sur la question viennent de Gérard
Genette avec Introduction à l’architexte en 1986, repris dans le livre collectif Théorie des
genres. L’architexte est la structure est les règles d’un genre. Il y a également Figures II en
1969 et Figures III en 1972.

A. PLATON (ENV. 428 – 348 AV. J.-C.)


Tout commence avec Platon qui dans ses ouvrages n’était pas très favorable aux poètes. Il
estime qu’ils n’ont pas le droit d’exister dans la République, la nation idéale imaginée par
Platon. Il justifie cela en disant que les poètes sont des gens qui ne disent pas assez la vérité :
leur mode de représentation, la lexis, imite la réalité, elle est mimétique, mais sans raconter
la vraie vie. Pour lui, le philosophe doit parler de la vérité, doit toucher à la vérité de la vie ; il
affirme alors qu’il faut surveiller ceux qui entreprennent de raconter ces fables. Il pense aussi
que les écrivains doivent arrêter de donner leurs avis sur la vie étant donné que ces avis ne
sont pas vrais donc inutiles. De plus, Platon dit que le contenu des œuvres des poètes, le logos,
n’est pas assez édifiant avec un contenu qui n’est pas assez bon et qui n’est pas pertinent d’un
point de vue moral.
À partir de là apparait une première théorie des genres qui oppose trois modes. Selon Platon,
le premier mode est le mode narratif, le monologue, avec le dithyrambe, un texte monologué
par le narrateur qui raconte une diègèsis, c’est-à-dire le récit d’évènements passés, présents
ou futurs. C’est une littérature purement narrative, haplè diègèsis, qui dit une sorte de vérité
du point de vue du narrateur car il parle en son nom et ne cherche pas à tourner notre pensée
dans un autre sens. Il ne cherche pas à imiter et ne représente que ses pensées. Ensuite, il y a
le mimétique qui contient les dialogues : c’est ici qu’on introduit d’autres personnages. L’on
retrouve les genre du théâtre avec la tragédie et la comédie. Le récit se fait selon le mode
mimétique, dia mimèséôs, qu’on retrouve par exemple chez Homère qui s’exprime comme s’il
était Chrysès en s’efforçant à ne pas montrer qu’il est Homère. Pour finir, il y a l’épopée au
sens strict comme l’épopée homérique où se mélange le narratif et le mimétique avec des
moments où Homère s’adresse aux lecteurs et d’autres moments où les personnages sont mis
en scène. Alors, pour Platon, l’épopée est un genre mixte, à la fois narratif et mimétique, avec
une sorte de poésie et de fiction imitative. Les trois modes platoniciens sont alors le mode
narratif, avec le dithyrambe, le mixte avec l’épopée et le mimétique avec la tragédie et la
comédie. On voit que la poésie lyrique est hors de ce système générique malgré qu’il emploie

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Charlotte Deprez - UCL
le terme « poète » à plusieurs reprises. Une autre remarque à apporter est que lorsque Platon
écrit ses textes, ses dialogues platonicien, il vient lui-même faire un mélange de tous les styles
et des toutes les formes. Effectivement, il écrit des dialogues mimétiques entre Socrate et
d’autres personnages, il fait du narratif en prenant position et en même temps du mixte en
mélangeant les deux, sans pour autant faire de l’épopée : on peut alors dire, comme l’ont fait
Lacoue-Labarthe et Nietzsche, que Platon est l’inventeur du roman.

B. ARISTOTE (348-322 AV. J.-C.), LA POETIQUE


Par la suite, il y aura Aristote qui va plus loin en distinguant deux types d’objets imités avec les
actions nobles et les actions moins nobles : c’est ce qui vient chez lui faire la distinction entre
la tragédie et la comédie. Il vient aussi distinguer deux façon d’imiter différentes en disant
qu’il est possible de raconter avec un mode narratif ou de présenter les personnages en acte
avec le mode dramatique. En fonction de dans quel objet et mode l’on se situe, on est dans la
tragédie, l’épopée, la comédie ou la parodie, supprimant le dithyrambe.

Pour Aristote, il y a également deux sortes d’objets qu’on peut traiter dans un texte : les objets
supérieurs, parlant des dieux, des idéaux, de l’humanité, etc. Et les objets inférieur, les
histoires de la vie quotidienne, qui font la matière des comédies. Il y a donc une première
grande distinction entre le texte narratif et théâtral. Pour ce qui est de la poésie, l’ouvrage
d’Aristote se nommant Poétique, l’on pourrait penser qu’il englobe la poésie dedans et que la
poésie englobe la narration et le théâtre ; effectivement, les textes de l’époque sont régulés,
rythmés… Ce qui intéresse Aristote, c’est la tragédie ; il y consacre tout son essai sans vraiment
parler de la comédie. Même si on ne peut pas en être sûr, peut-être qu’Aristote aurait
consacré un essai à la poésie : cela est toute la théorie d’Eco dans Le nom de la rose.
Pour Aristote, la tragédie est l'imitation, la mimésis, d'une action de caractère élevée et
complète, d'une certaine étendue, dans un langage relevé d'assaisonnements d'une espèce
particulière suivant les diverses parties. Cette imitation qui est faite par des personnages en
action et non au moyen d'un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation, la
catharsis, propre à de pareilles émotions. Dans la tragédie, ce n’est pas seulement le côté
dialogue et littérature haute, il y a aussi un fort côté émotionnel : il n’y a que dans la tragédie
qu’il y a ce dégagement de pitié et de crainte qui font qu’en tant que lecture une purgation
s’effectue. Il faut faire attention à distinguer le tragique et la tragédie : le tragique est l’effet
produit tandis que la tragédie est le genre. Aristote dit que les mouvements absents en
tragédie ne sont pas important, que c’est son effet qui compte.
Pour ce qui est de l’appareil scénique, Aristote distingue déjà l’écriture du genre théâtrale et
la mise en scène : il affirme que la tragédie subsiste indépendamment de l’exécution théâtrale
et des acteurs. Aristote affirmera que les effets de terreur et de pitié peuvent être inhérents

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Charlotte Deprez - UCL
au jeu scénique, mais ces effets de catharsis sont présents dès le texte de la tragédie, même
si sûrement moins mis en avant. Chez Aristote, il y a alors déjà une interrogation sur le rôle du
lecteur. Il se demande d’abord si le texte se met lui-même en scène, théorie défendue par
Lacoue-Labarthe dans Scène. Alors, dans ce cas la lecture constaterait la mise en scène déjà
réalisée par le texte, mais un autre théoricien, Nancy, dans Journal des Phéniciennes, demande
si la lecture a besoin d’une opsis, d’une mise en scène, qu’elle soit intérieure, imaginative afin
de réaliser la catharsis : si oui, la lecture serait performative.

C. COMPARAISON ENTRE LES SYSTEMES DE PLATON ET D’ARISTOTE


Pour Platon, il y a un genre narratif pure, le dithyrambe, tandis qu’Aristote laisse tomber l’idée
du narratif dithyrambe. Il ne parle que du mixte épopée, qui est pour lui le narratif avec
l’épopée et la parodie, et du dramatique, la mimétique d’Aristote, qui contient la tragédie et
la comédie. On voit que déjà trois/quatre siècles avant Jésus Christ, on a des conflits dans les
genre, mais on voit quand même des manquements : Aristote tout comme Platon ignore la
non-imitation ; il n’y a pas de place pour la poésie lyrique, on ne considère par exemple
Sappho. Il y a aussi un système limité à la poésie avec les œuvres en prose qui sont laissées à
la rhétorique.

D. PERMANENCE DE LA THEORIE DES GENRES D ’ARISTOTE JUSQU’AU XVIIIE SIECLE


Jusqu’au XVIIIe siècle, il y a une permanence de la théorie des genres d’Aristote, il y a bien une
série d’auteur tels que Quintilien, Diomède, Proclus ou Boileau qui reprennent la théorie des
genres et qui vont intégrer la poésie lyrique au système issu d’Aristote, mais sans modifier ses
catégories. La poésie lyrique va être vue comme une manière d’énoncer des idées ou des
sentiments, réels ou fictifs. On en parle alors comme un genre représentatif avec une idée
d’imitation. Cela témoigne que les théoriciens gardent pendant plusieurs siècles une idée de
hiérarchie des genres avec les genres haut, la tragédie et l’épopée, et les genres bas, la parodie
et la comédie, avec un mépris des théoriciens envers ce qui n’est pas les « grands genres ».
C’est intéressant de voir le poids de certains penseurs de l’Antiquité qui pèse si longtemps sur
les théories littéraires.
Mais, au XVIIIe siècle, on cherche à faire intégrer les petits genres comme la poésie lyrique à
la typologie des genres et à les élever à la dignité poétique. Pour cela, certains vont proposer
d’élargir l’idée de la mimésis en affirmant que la poésie lyrique imite les sentiments : c’est un
choix de l’abbé Batteux. Une autre solution sera de rompre avec le dogme de la mimésis et de
proclamer qu’une poésie non représentative est de valeur égale à la poésie représentative :
le choix des Romantiques allemands.

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Charlotte Deprez - UCL
E. L’ABBE CHARLES BATTEUX (1713-1780) : L’EXTENSION DE LA MIMESIS
Batteux, c’est l’extension de la mimésis. Il est aussi l’auteur français qui fait apparaitre le mot
littérature pour la première fois dans un titre. Pour l’extension de la mimésis, il va affirmer
que toute poésie humaine est imitation car seul Dieu est capable de produire une poésie sans
imitation. Il reprend un argument de Platon mais sans rejeter la poésie ; il dit simplement qu’il
n’y a que Dieu qui peut écrire sans imiter. Cette conception existait déjà avant Batteux, mais
il est le premier à l’avoir écrit. Il dit qu’il peut y avoir un sentiment authentique au départ d’un
poème, mais qu’on ne peut pas faire un développement entier autour. En conséquence, la
poésie fait de la fiction. À partir de là, l’on peut dire que le tableau des genres va s’étendre en
comprenant trois types de présentation : il y a le cas où la poésie lyrique imite les sentiments
avec le poète qui est le principal énonciateur. I imite les sentiments et si l’énonciation est
alternée, on se trouve dans l’épique, mais si l’énonciation est réservée aux personnages, on
est dans le dramatique.

F. LES THEORICIENS DU ROMANTISME ALLEMAND OU LA RUPTURE DE LA MIMESIS


Winckelmann (1717-1768) dira « L’unique moyen pour nous de devenir grands et, si possible,
inimitables, c’est d’imiter les Anciens ». Il faut donc imiter ce qu’on fait les grecs, mais aussi la
face cachée des grands textes grecs. L’Allemagne veut relever la face nocturne et mystique de
la Grèce : même si Winckelmann parle d’imitation, on se trouve ici dans le neuf ; en imitant ce
qui n’a jamais été imité, l’on créé du neuf. En clair, il y a un abandon du concept de mimésis
et on se situe maintenant dans un schéma plus dialectique des genres : on retrouve une
perspective diachronique avec une évolution. On abandonne l’idée de regarder si le poète
écrit ou si c’est un personnage qui réalise l’action. En conséquence, la typologie de Batteux
est abandonné par les Romantiques allemands. Ici, on se demande ce que l’auteur cherche à
dire dans son œuvre de profond sur l’humanité et l’âme humaine.
Un premier théoricien sera Friedrich Schlegel (1772-1829) qui affirme qu’il existe une forme
épique, lyrique et dramatique, mais sans l’esprit des anciens genres poétiques qui ont porté
ces noms. Il affirmera plutôt qu’il y a une différence déterminée et éternelle : en tant que
forme, l’épique l’emporte manifestement, elle est subjective-objective en mettant à distance
une série d’évènement tout en ayant un « je » racontant l’histoire. La forme lyrique, elle, est
uniquement subjective et la forme dramatique est seulement objective, il n’y a pas de
narrateur mais uniquement une succession de personnages objectivés. C’est donc la notion
de subjectivité et d’objectivité qui sert à Friedrich Schlegel à hiérarchiser les genres. Il affirme
donc que l’épique est le genre le plus élevé, la forme lyrique étant deuxième car la subjectivité
est importante pour les romantiques, tandis que le dramatique est le dernier genre.
Un autre théoricien, frère de Friedrich, August Wilhelm Schlegel (1767-1845) va réaffirmer
que la division platonicienne des genres n’est plus valide : il dit qu’il n’y a aucun vrai principe

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Charlotte Deprez - UCL
poétique dans cette division. Dans sa théorie, l’épique, le lyrique et le dramatique vont être la
thèse, l’antithèse et la synthèse avec une densité légère, une singularité énergétique et une
totalité harmonique. Il dira que l’épique est l’objectivité pure dans l’esprit humain avec un
auteur qui ne raconte pas ses propres évènements : c’est le troisième genre. Le lyrisme, lui,
est la subjectivité pure et est donc le deuxième genre et le dramatique est l’interprétation des
deux et en conséquence, selon lui, le genre le plus élevé.
Schelling (1775-1854) va dans Philosophie de l’art reprendre les mêmes catégories que les
deux frères, mais avec un avis différent. Il dit que le lyrisme est la formation de l’infini dans le
fini : c’est un genre particulier. Pour l’épique, l’épos, il dit qu’on est face à une présentation,
une subsomption, du fini dans l’infini avec un universel. Pour finir, il dit que le drame est la
synthèse de l’universel et du particulier. Il classe donc le lyrique en genre le plus bas, l’épique
en deuxième place et le dramatique en genre le plus élevé. Pour Schelling, c’est selon ces
formes fondamentales qu’il faut construire l’art tout entier avec l’unité idéale qui comprend
en elle à son tour les trois formes de la poésie lyrique, dramatique et épique.
Hegel va également penser la poésie dans Esthétique en affirmant que la poésie épique c’est
une poésie importante, une action totale, mais ce n’est pas quelque chose de relaté par le
chanteur en son propre. Elle va donc être mise à distance et pour Hegel, bien que la poésie
épique soit bonne, c’est encore du côté dramatique que se situe la pensée supérieur, la
conception majeure de la littérature avec la poésie lyrique qui se situe au milieu. Les
arguments d’Hegel sont que la poésie dramatique est à la fois objective et subjective,
extérieure et intérieure et activité et expression. À côté, les poésies épique et lyrique ne
mélangent pas les deux termes et que la poésie épique est trop objective faisant d’elle le genre
le plus bas.

Victor Hugo, lui, retourne à Schelling en mettant le drame comme genre le plus intéressant
car le drame contient l’expression des temps modernes. Ensuite, il y a l’épique qui est
l’expression des temps antiques ; selon lui, lorsqu’il écrit, il reproduit le travail des anciens. En
dernière place, on retrouve le lyrisme qui est l’expression des temps primitifs. Il ne méprise
cependant pas le lyrisme, simplement pour lui c’est la première expression de la littérature.

G. LA NAISSANCE DE LA « LITTERATURE » ET LA PLACE DU POEME ET DU ROMAN DANS LE


ROMANTISME ALLEMAND

En même temps que se développent ces réflexions, les romantiques allemands développent
une idée parallèle en affirmant que le Poème doit être le genre le plus important : c’est le
début de la « guerre des genres » qui va de pair avec le développement de l’idée d’un absolu

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Charlotte Deprez - UCL
littéraire qui serait lié à un genre donné, en l’occurrence le Poème. Le Poème avec un P
majuscule ne contient pas que la poésie lyrique, c’est un métagenre qui mérite d’être mit au
premier plan.
Friedrich Schlegel dit que tous les poèmes sont dans un tout organique et ne sont
correctement perçus que comme un unique poème qui ressort de tous les livres. Alors, tous
les livres de la littérature accomplie doivent être un unique livre et c’est dans un tel livre
éternellement en devenir que se révélera l’évangile de l’humanité et de la culture. La
littérature est donc ici prise au sérieux : elle devient la religion de l’humanité et de l’art.
Schlegel dit que la poésie romantique est une poésie universelle progressive qui n’est pas là
uniquement pour réunir tous les genres séparés de la poésie et pour faire toucher poésie,
philosophie et rhétorique. Elle doit aussi tantôt mêler et tantôt fondre ensemble poésie et
prose, génialité et critique, poésie d’art et poésie naturelle, rendre la poésie vivante et sociale,
mais aussi à l’inverse la société et la vie poétique : la vie doit être pleine de poésie. Pour
Schlegel, l’essence propre de la poétique est d’être un genre toujours en devenir qui ne peut
jamais s’accomplir. Aucune théorie ne peut l’épuiser et seule une critique divinatoire pourrait
se risquer à caractériser son idéal. Elle seule est infinie et elle reconnait donc comme première
loi que l’arbitraire du poète ne souffre d’aucune loi qui le domine, le genre poétique
romantique est le seul qui soit plus qu’un genre car, en certains sens toute poésie est ou doit
être romantique.
Mais, dans un autre texte, Schlegel exalte à l’inverse le roman en disant qu’il est un livre
romantique : le livre fait d’abord penser à une œuvre, à un tout autonome. De plus, comparé
au théâtre, le roman n’est pas destiné à être regardé mais est destiné à être lu, le théâtre n’est
pas romantique et est donc n’est un roman que dans certaines limites. Le roman est alors vu
comme un autre absolu littéraire en étant un art du mélange et de l’arbitraire de l’écrivain.
C’est la forme littéraire la plus ouverte, libre et puissante qu’il ne soit. Chez Schlegel, la poésie
est donc le genre le plus haut, mais le roman voit une montée en puissance et est vu comme
un livre romantique. Le roman reste du point de vue historique proche du drame ; ce n’est pas
non plus un sous-genre épique mais plutôt un art du mélange comportant du récit, du lyrique
et d’autres formes, mais aussi de l’humour. Cette vision du roman qui prend le dessus sur
l’épopée est la conception qui culminera dans la théorie du roman de Bakhtine.

H. MAURICE BLANCHOT : LA NEGATION DES GENRES AU NOM DE LA LITTERATURE


Blanchot a été un personnage important de la pensée littéraire avec une pensée ancrée dans
le romantisme allemand. Il affirme que seul importe le livre, tel qu'il est, loin des genres, en
dehors des rubriques, prose, poésie, roman, témoignage, sous lesquelles il refuse de se ranger
et auxquelles il dénie le pouvoir de lui fixer sa place et de déterminer sa forme. Un livre
n'appartient plus à un genre ; tout livre relève de la seule littérature, comme si celle-ci
détenait par avance, dans leur généralité, les secrets et les formules qui permettent seules de
donner à ce qui s'écrit réalité de livre. Tout se passerait donc comme si, les genres s'étant
dissipés, la littérature s'affirmait seule, brillait seule dans la clarté mystérieuse qu'elle propage
et que chaque création littéraire lui renvoie en la multipliant — comme s'il y avait donc une «
essence » de la littérature. Le mouvement de dilution des genres s’est donc accentué. Pour
lui, ce qui dépasse les genres est la notion de littérature et de livre. Cela veut dire qu’on est

25
Charlotte Deprez - UCL
dans l’idée d’une instabilité foncière de la littérature réinventée par chaque livre qui, par sa
propre force, peut faire évoluer la littérature. Dans Le livre à venir, Blanchot dit que l’essence
de la littérature est d’échapper à toute détermination essentielle : elle est toujours à retrouver
ou à réinventer et il n’est même jamais sûr que le mot littérature ou le mot art répond à rien
de réel, rien de possible ou rien d’important. Il continue en disant que qui affirme la littérature
en elle-même n’affirme rien ; qui la cherche ne cherche que ce qui se dérobe et qui la trouve
ne trouve que ce qui est en deçà ou au-delà de la littérature.

I. MIKHAÏL BAKHTINE : LE ROMAN ET LES GENRES


Bakhtine va dans une idée similaire, mais il y a chez lui plus que chez Blanchot l’idée que le
roman est le genre majeur du 20e siècle et des siècles à venir. Dans Esthétique et théorie du
roman et dans La poétique de Dostoïevski, il développe de la manière la plus étendue possible
sa théorie. Son hypothèse est que le roman est le seul genre en devenir, il est organisé pour
la lecture silencieuse, l’étudier revient à étudier une langue vivante et il s’est affirmé contre
les genres traditionnels. Pour Bakhtine, les grands genres sont nobles par leur forme et leur
sujet, il dit que la forme vient styliser le roman avec le vers, le langage noble, les formes fixes.
Le sujet, lui, met une double distance avec des grands personnages, des grands sentiments et
en plus de cela un temps éloigné avec un passé absolu. C’est pour cela que les grands genres
selon Bakhtine, c’est de l’histoire : ces genres sont trop stéréotypés et éloignés de nous, de
plus la notion de genre implique la fixité. Au contraire, le roman n’est pas un genre parmi les
autres, il ne peut pas être codifié et il ne participe pas à l’harmonie des genres, mais a une
existence officieuse, il n’appartient pas à la grande littérature traditionnelle et il avait été
refoulé avec les grandes poétiques du passé qui ignoraient le roman malgré que les premiers
grands romans soient présents dès le Moyen Âge.
Bakhtine veut faire cesser ce refoulement du roman il va alors d’abord rappeler que le roman
a une naissance avec une apparition à un moment donné où les grandes civilisations
« fermées » se décomposent. Il prend son origine dans des textes populaires relatifs à une
« actualité de bas niveau » avec comme objet le rire de soi-même, de son époque, de ses
contemporains comme Rabelais le fait dans Gargantua ou Cervantès dans Don Quichotte. On
va aussi avoir un tour d’esprit très différent avec de la contestation, de la moquerie et du rire ;
il y a une abolition de la distance épique et on fait irrespectueusement le tour de l’objet. Des
grands exemples sont Ulysses de Joyce où Léopold Bloom est un nouvel Ulysse et sa femme
Molly une nouvelle Pénélope. Les deux personnages vivent des épisodes très terre à terre du
correspondent à un épisode de l’Odyssée ; il montre ici toute la rupture entre le roman et
l’épopée. Dans l’art contemporain, on remarque le cinéma s’inspire beaucoup du roman
comme Tarentino dans Pulp Fiction où l’on s’approprie la liberté complète du roman.
Un autre exemple qui montre que le roman va toucher désormais la réalité de la vie elle-même
est que maintenant, lorsqu’on veut écrire une biographie, le roman s’en mêle. Cela commence
avec Laurence Sterne qui écrit Vie et opinions de Tristram Shandy, ouvrage majeur de la fin du
19e. Dans ce roman, on assiste à un déplacement du centre temporel qui permet à l’auteur,
sous tous les masques et les faux visages qu’il avait développé, de tout faire avec un auteur
qui se déplace dans tous les univers, qui parle de tout. Ce personnage de Tristram Shandy va
se permettre des digressions permanentes : il affirme qu’il va raconter sa vie mais il raconte

26
Charlotte Deprez - UCL
en réalité tout ce qui s’est passé avant sa naissance et dans les premiers jours après sa
naissance avec en plus des innovations formelles qu’aujourd’hui seul le roman se permet. Par
exemple, à un moment donné, Shandy parle de la mort d’un ami de la famille, Toby, pour
ensuite affirmer qu’il ne peut pas en parler car cela est trop triste, laissant place à une page
entièrement noire dans le roman pour marquer le deuil. Il y a encore des tas d’autobiographie
sérieuse qui continue de s’écrire, mais l’autobiographie devient envahie par le roman avec les
codes romanesques constamment présents.
Pour Joyce, le roman est un anti-genre qui a pour but de tout dire, de toute parodier et où il
peut utiliser toutes les langues. Par exemple, dans Finnegans Wake, il mélange des langues, il
invente des mots, il joue avec les sonorités. Ici, le roman est un anti-genre et tout lui est
permis. La fonction poétique du langage est tout aussi essentielle que l’histoire racontée ; le
roman vient tout englober.
Bakhtine affirmer : « Le roman, étant le seul genre en devenir, reflète plus profondément, plus
substantiellement, plus sensiblement et plus vite, l'évolution de la réalité elle-même : seul
celui qui évolue peut comprendre une évolution. […] Il a anticipé, il anticipe encore, l'évolution
future de toute la littérature », le roman a une fonction universelle. Pour développer cette
idée de Bakhtine, on peut voir que les romans intègrent très rapidement les nouveaux savoirs.
Par exemple, la psychanalyse est très présente dans la littérature comme dans La maison de
rendez-vous d’Alain Robbe-Grillet où la même histoire est racontée à de multiple reprises avec
des points de vue différents. L’auteur montre ici qu’il faut plusieurs récits et histoires pour
montrer une réalité et son caractère insaisissable. Dans La belle captive, toujours de Grillet, le
roman devient l’expression de la liberté intérieure de lui-même en se construisant autour d’un
rêve à partir d’un tableau de Magritte avec beaucoup d’associations libres, de déplacements,
de fantasmes…
Bakhtine dit qu’il y a une véritable guerre entre les genres et que les genres ne vont pas avoir
le choix soit de mourir, soit de se romantiser comme le fait l’autobiographie. Bakhtine affirme
que le roman parodie les autres genres et, en présence du roman devenu genre dominant, les
langages conventionnels des genres strictement canonique commencent à avoir une
résonance nouvelle. Celle-ci est différente de celle qu’ils avaient au temps où le roman ne
faisait pas partie de la grande littérature. Il y a alors une romanisation et un roman moteur de
la littérature avec un plurilinguisme, un dialogisme, du rire, de l’humour, de l’ironie et l’auto-
parodie comme dans Le chat Murr d’Hoffmann. Kundera, disciple de Bakhtine, dira que le virus
du roman affecte toute la littérature. Dans son essai Jacques et son maitre, il montre qu’il y a
une réelle réflexion sur le roman qui englobe tous les genres. Bakhtine ajoute que le roman a
anticipé et anticipe encore l’évolution future de toute la littérature dont il est devenu le maitre
en contribuant au renouveau de tous les genres.
Bakhtine s’est aussi intéressé à la guerre entre l’épopée et le roman avec un passé épique
national dans le « passé absolu » qui s’oppose au temps du roman qui est accessible. Il dit que
représenter un évènement au même niveau temporel et axiologique que soi-même et ses
contemporains implique de faire une révolution radicale et de passer du monde épique au
monde romanesque. Il confronte aussi la source : dans l’épique, c’est la légende nationale et
dans le roman, c’est une expérience individuelle et une livre invention qui en est la

27
Charlotte Deprez - UCL
conséquence. Selon lui, la légende nationale, trait constitutif du genre épique, exclue toute
possibilité d’une autre opinion en imposant une profonde vénération pour l’objet de la
représentation. L’épopée est une légende anonyme irrécusable devant laquelle on se met à
genoux, alors que dans le roman c’est le contraire : effectivement, Joyce fera par exemple
d’Ulysse un cocu. La troisième opposition est le monde épique qui est coupé par la distance
épique absolue du temps contre le roman qui invite à l’indentification, à l’évaluation et aux
jugements sur les personnages. Le monde de l’épopée est totalement achevé, on ne peut pas
le réinterpréter et c’est ce qui détermine la distance épique absolue, le monde épique est hors
de la portée humaine, alors que par exemple dans le roman de Joyce on parle du Bloomsday,
une chose qui existe : on est du côté du terre à terre.
Pour conclure la théorie de Bakhtine, l’on peut dire que le roman parodie ses propres variétés,
son propre contenu, il est la « conscience » des temps modernes en étant lié au monde
présent et inachevé et il porte en lui l’avenir de la littérature. Cependant, il est remarquable
que le roman ne permette la stabilisation d’aucune de ses variantes. Au travers de toute son
histoire se déroule systématiquement une parodisation ou un travestissement des principales
variétés du genre, c’est-à-dire que rien n’est stable dans le roman, il est toujours réécrit et
transformé, mais nous restons dans l’ère du roman, dans la culture du roman. Pour Bakhtine,
le roman est le genre par excellence de notre rapport au devenir du monde, il est lié au monde
présent, inachevé et en devenir, il est dans une position d’évolution et d’absorption
permanence. Bakhtine dit qu’il y a évidemment des catégories à l’intérieur des romans avec
le roman policier, sentimental, etc. Mais l’idée est que le roman absorbe, le roman parodie
ses propres règles : il n’y a pas de stabilisation sérieuse.

3.2. Vers une définition raisonnée du genre littéraire

A. DIFFICULTES DE LA NOTION DE GENRE


Bien sûr, les genres sont tout de même relatifs et pas complètement stabilisable, il y a une
diversité des principes de classements possibles et donc une relativité historique des genres.
Ce qu’on appelait la grande poésie à l’époque classique n’a plus de réel rapport avec notre
poésie actuelle. Il est vrai que la notion de genre a été utilisée de manière normative, mais
qu’aujourd’hui cela n’est plus possible. Maintenant, ce n’est plus tellement l’idée d’œuvre qui
compte mais l’idée de texte ouvert à tous les sens avec un genre qui n’importe pas.
Effectivement, un même texte peut être lu comme philosophe, narratif, poétique… Par
exemple, si on prend les textes de Christian Baudin et qu’on lit ses recueils de textes courts on
peut dire que ce sont des récits, mais ils sont aussi truffés de poésie, mais aussi de références
philosophiques et ponctués d’un commentaire constant sur la littérature. Il y a dans un même
texte cette condensation de plusieurs genres ; il y a donc un déplacement de l’œuvre vers le
texte, puis du texte vers la lecture. Chaque lecteur a donc la liberté de convoquer différents
genres pour un même texte. Il est alors important de faire attention à la notion de genre qui
peut sembler désuète. Le genre est une notion solidaire à celle de stéréotype dans un horizon
indépassable de la lecture et de l’écriture selon Schaeffer et l’on ne peut ni lire ni écrire sans

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Charlotte Deprez - UCL
stéréotypes ; donc même si la notion de genre est devenue plus relative, elle n’en est pas
moins incontournable.

B. UNE DEFINITION OPERATOIRE (CF. CANVAT 1996)


Le genre est une classe de texte construite historiquement et institutionnellement, en écriture
et en lecture, sur la base de critères qui peuvent être communicationnels. Dans un genre, on
peut avoir un ancrage institutionnel comme le roman de gare définit par sa diffusion très large,
une situation de communication comme la lettre ou encore un matériel de présentation
comme le journal intime qui est sur un support particulier. Mais on peut aussi avoir une
intention ou un mode d’énonciation comme la parodie, le roman comique ou le roman
réaliste : tout cela contribue à définir un genre, souvent par combinaison. Il y a également des
critères textuels avec la forme comme le poème ou le texte dramatique, la structure
séquentielle avec le récit qui n’est pas construit de la même manière qu’une recette de cuisine
et le contenu thématique, très décisif pour définir les genres, comme le roman policier, le
fantastique, la science-fiction ou encore la littérature sentimentale. Tout cela contribue à
définir un genre ; il faut à la fois tenir compte de ces éléments et à la fois voir à quel point le
roman est complexe. C’est Karl Canvat qui avait stabilisé cette définition du genre.

C. UNE TYPOLOGIE ELEMENTAIRE


Il existe diverses étiquettes, non universelles, comme l’étiquette de types et prototypes
d’Adam où existent le texte narratif, descriptif, argumentatif, explicatif et dialogal. Adam a
parfois hésité sur cette typologie et a à un moment ajouté le texte poétique, mais il est trop
compliqué de définir un prototype de la poésie. Genette, lui, distingue trois grands modes qui
sont ceux qui résultent de toute l’histoire des genres ; le mode du récit, de la poésie et du
théâtre. Les genres proprement dit sont distingués en deux avec les genres du récit (mythe,
légende, conte, roman, nouvelle…) et ceux du théâtre (tragédie, comédie, drame…). Il existe
aussi l’étiquette de mondes du récit qui nous permettent de dire qu’à l’intérieur des modes
narratifs, il y a des univers thématiques différents. Les mondes sont alors dans le cas du conte,
un genre narratif, le conte fantastique, merveilleux, policier… On peut avoir trois genres
différents avec le même monde comme le roman et le conte policier. Le même type de
contenu thématique peut s’exprimer par des genres différents : on montre mieux la variété
de combinaisons possibles en gardant l’étiquette de genres et de mondes. Pour finir, il existe
les sous-genres : par exemple le roman policier comprend le roman d’énigme criminelle, le
roman noir…

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Charlotte Deprez - UCL
Chapitre 4 : Le texte poétique

4.1. Poésie et société

A. UNE PRESENCE EN CREUX


La poésie a une présence en creux, peu visible, dans les lecture, elle n’est pas le genre le plus
lu ni le plus pratiqué, ni le plus publié. Dans l’institution scolaire, la situation est plus mitigée
avec une place toujours présente dans les programmes, mais auparavant dans le paysage
scolaire la poésie était encore plus présente avec la 5e qui était l’année de poésie. La situation
n’a pas toujours été comme cela ; au début du 20e siècle la poésie était le genre où s’exprimait
la sensibilité et le rapport sur la vie, il y avait une multitude de grands poètes.

B. DES ELEMENTS D ’EXPLICATION


Cela peut s’expliquer par l’évolution de la poésie en un genre exigeant provoqué par
Mallarmé, pour lui la poésie était un travail d’amateur éclairé. Selon lui, la poésie est la
récompense d’un effort de lecture, c’était un travail d’élite, une production d’une certaine
forme d’élite. C’est ainsi que les textes de Mallarmé sont très difficiles à lire avec une syntaxe
désaccordée, des mots de vocabulaires étranges, etc. On peut donc dire que Mallarmé en
mettant tellement d’exigeantes dans la poésie en a fait une discipline réservée à certaines
personnes. La poésie au sens publié, au sens le plus strictement littéraire du terme, a connu
avec Mallarmé un moment de radicalisation durant « l’exquise crise » perdant le contact avec
le public. Mais, cela n’est pas tout, il y a également un changement de sensibilité culturelle :
l’on est dans un monde avec un intérêt croissant pour les idées et les récits « clairs » en
opposition à la sensualité et à l’énigme de la poésie ; dans le discours contemporains, ces
valeurs ne sont plus prédominantes. De plus, il y a un changement sur le contenu également
avec une priorité accordée aux urgences pragmatiques, primum viverse, sans pouvoir se
concentrer uniquement au divertissement, la poésie peut alors sembler plus « gratuite ».
Cette pensée vient déjà de Sartre qui estime que la priorité pour les écrivains et les lecteurs
est l’engagement dans les conflits idéologiques. Cette vision idéologique critique de la poésie
n’est donc pas propre au 21e siècle, elle est déjà présente depuis Sartre et plusieurs
philosophes. Pour finir, l’on peut dire que la poésie souffre d’un enseignement parfois
inadéquat avec une vision dogmatique et autoritaire sur le travail de la poésie, écœurant
parfois les élèves sur ce genre.

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Charlotte Deprez - UCL
4.2. Qu’est-ce que la poésie ?

A. LES THEORIES DE LA POESIE


Jean Cohen, auteur de Structure du langage poétique, a beaucoup insisté sur le fait que la
poésie est la langage de l’écart par rapport au langage ordinaire : c’est la défamiliarisation du
langage. Jakobson, auteur de Essais de linguistique générale, a lui développé la fonction
poétique en premier venant renforcer l’effet de défamiliarisation dont parle Cohen. Adam
rejoint Jakobson pour dire que ce qui définit la poésie est un traitement du langage qui est
défamiliarisé, en rupture avec un langage ordinaire. La poésie serait l’ailleurs du langage,
attentive à sa propre forme qui attire l’attention à son écriture pour elle-même. Dans les
années quatre-vingt, Collot reprend les thématiques précédentes, mais ajoute qu’il y a aussi
une émotion essentielle et pas simplement une attention au langage. Il dit qu’en poésie, il y a
une volonté de travailler l’émotion : elle est dans une recherche de ce qui est visible, de ce qui
est racontable. La poésie est peut-être tout à la fois, l’ensemble des rapports particuliers aux
langages et aux émotions.

B. LES CONCEPTIONS DE LA POESIE


Durant l’Antiquité, la poésie était un don des muses ou des dieux, mais c’était aussi un art très
règlementé avec les textes grecs et latins étaient très codifiés. Il y avait effectivement un
nombre de syllabe à respecter, une certaine manière de faire les rimes et le poète était donc
à la fois un grand artiste, mais aussi un artiste inspiré par le mystère divin. Platon disait : « Le
poète est l’homme qu’habite un dieu », il pensait que le poète devait se rapprocher de Dieu,
même s’il n’accordait pas d’importance au poète dans sa société idéale, soupçonnant le poète
d’essayer d’imiter ce que faisaient les dieux.
À la renaissance, la vision de la poésie est encore très similaire à celle de l’Antiquité. Pierre de
Ronsard (1524-1585) estimait que sa poésie volait dans le ciel prête à devenir une nouvelle
étoile, il estimait également qu’il fallait retourner près de Jésus Christ et de Dieu. Il estimait
que la poésie servait à exprimer l’esprit immortel et sacré qui habite chaque individu, sa plume
porteuse de sens et de valeur servira alors d’inspiration spirituelle aux générations à venir.
Un siècle plus tard, en plein classicisme français, Nicolas Boileau écrit l’Art poétique reprenant
un texte parlant de la conception antique de la poésie. Il le commente et affirme qu’il faut
maintenant se baser sur la raison, la clarté, et qu’il faut prendre du temps pour faire la poésie :
il ne fait plus de référence au divin, mais il insiste bien sur les règles et la codification de la
poésie. Cette vision est en accord avec la vision classique de l’époque, un classicisme qui
domine et qui estime que la grande règle est l’harmonie : les choses doivent être ordonnées
et claires.
L’époque romantique va, elle, beaucoup insister sur des valeurs nouvelles telles que le moi, le
« je » et sa sensibilité. La poésie devient le genre romantique par excellence avec une grande
expression du moi ; selon Musset, l’émotion individuelle devient première. La douleur devient
aussi dans la poésie la matière première ; les poètes doivent exprimer la profondeur de la
douleur. Musset dira « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Mais, le poète

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Charlotte Deprez - UCL
reste inspiré par Dieu, Victor Hugo en est convaincu : « Peuples ! Écoutez le poète ! Écoutez le
rêveur sacré ! ». À l’époque des romantiques, la poésie était aussi une révolution à la vision
de la poésie de Boileau. Les poètes sont alors rejetés par l’Académie et par les institutions,
montrant que les romantiques ne se sont pas imposés du jour au lendemain.
Dans la deuxième moitié du 19e, c’est la conception parnassienne avec les parnassiens qui ont
pour beaucoup fait partie des romantiques avant de basculer dans une vision de l’Art pour
l’Art comme l’affirme Théophile Gautier. On est alors dans une conception de la poésie où l’on
retourne à une vision classique, il y a un travail poétique et c’est ce travail et cette rigueur de
l’artisanat du poète qui doivent être premier plan par rapport à un travail plus flou sur les
émotions. Une autre caractéristique de la conception parnassienne est l’impassibilité : Charles
Leconte de Lisle, tête de file du parnasse, parle de Dieu mais en disant que ce Dieu est là pour
être beau, pour se confondre avec la nature, il faut le contempler et avoir une ouverture à la
beauté. Ce n’est plus l’émotion mais l’esthétique qui domine : la poésie doit se connecter à la
beauté du monde.
Beaucoup de parnassien vont ensuite chuter dans le symbolisme et revendiquer le fait de dire
l’indicible. Rimbaud dit « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné
dérèglement de tous les sens… Le poète est vraiment un voleur de feu ». Il dit que la vérité
n’est pas là, il faut la révéler par un travail poétique. Le poète va creuser avec les mots au-delà
du monde, au-delà du visible. Cela n’est pas à mille lieues de la vision mystique de la poésie
antique : il y a une idée de l’invisible, mais ici ce n’est pas Dieu qui parle au poète mais le poète
qui va arracher la vérité. La vision est maintenant prométhéenne avec un poète qui va
chercher lui-même une nouvelle forme de sacralité. Cela veut dire que dans cette vision-là,
les règles sont de moins en moins importantes avec un abandon progressif des règles chez
Baudelaire, Rimbaud, Verlaine ou encore Mallarmé. Ce dernier affirme que le poète ne doit
plus chercher à transmettre un message codifié, il doit laisser les mots s’exprimer comme il le
fait dans Un coup de dé jamais n’abolira le hasard.
Dans la conception surréaliste, on se concentre sur l’inconscient. À ce moment, les travaux de
Freud se répandent et ce que retiennent les surréalistes est l’idée que tout l’art doit se
connecter à l’inconscient. L’important pour exprimer cet inconscient, cette face cachée de
l’humain, est l’emploi des images, des véritables outils pour accéder à la connaissance de soi
et au mystère de l’être. Il y a une volonté de mieux comprendre et explorer les soubassements
de l’individu ; Aragon parle de « l’emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image ». Il y a
une association libre, on ne retrouve plus de règle pour le choix des mots et beaucoup vont
par exemple procédés au collage. On écrit sous la dictée de la pensée.
L’Oulipo, l’ouvroir de littérature potentielle, fait de la poésie une exploration de toute les
règles et jeux que le langage autorise. Il y a un retour à l’idée de règle, sauf qu’ici il n’y a pas
de règle strictes mais des règles à s’imposer en permanence que le poète décide et respecte.
Par exemple, une règle oulipienne sera exploitée dans La disparition, un livre entier rédigé
sans la lettre « e ». Le poète cherche à créer des règles nouvelles, de nouveaux espaces de
créations comme La Cimaise et la Fraction, une réécriture de La Cigale et la Fourmi où on
utilise la règle « S + 7 » où ils prenaient pour chaque substantif le septième mot suivant dans
le dictionnaire.

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Charlotte Deprez - UCL
Il existe également d’autres conceptions comme Ponge et son « parti-pris des choses » qui
compose un texte sur une huitre en trois paragraphes correspondant à une logique
typographique. Le parti pris des choses est alors un recueil de poème où chaque poème décrit
un objet. Ici, on ne se trouve plus du tout dans la poésie en vers, mais en prose servant à
montrer la réalité.
Il y a alors une opposition : dans un premier temps il y a la règlementation classique avec une
primauté de la raison, une nécessité de la carté, un respect des règles de la langue, le choix
d’un lexique noble, une souveraineté du mètre et une recherche d’harmonisation du vers.
C’est une conception qui a dominé pendant toute la période classique, jusqu’au romantisme
où l’on entre dans les expériences de la modernité. Dans un second temps on retrouve les
recherches de la modernité, dominantes depuis 200 ans, selon une logique de la
représentation qui s’oppose à un travail de la forme, une univocité syntaxique qui s’oppose à
un primat de la polysémie, une intégrité du mot qui s’oppose au primat du rythme et des sons
et une intégrité de la signification qui s’oppose à la déconstruction du sens. L’on voit ici que
les expériences de la modernité ne peuvent pas être réduites à une seule volonté, il y a
toujours des oppositions dans ces expériences.

C. COMMENT LIRE LA POESIE


Marine de Rimbaud illustre beaucoup d’expériences contemporaines ou modernes de la
poésie. C’est un poème qui peut se comparer à celui de Verlaine, le compagnon de Rimbaud
durant une bonne partie de sa vie. On peut dire en regardant ce poème de façon superficielle
qu’il est structuré de manière classique avec une compréhension de ce qui est écrit : il y a un
orage qui se déclare, avec un ouragan, le tonnerre. Il est alors intéressant de situer le texte de
Rimbaud par rapport à une histoire. Alors la première étape de la lecture de la poésie sera de
situer le poème dans un contexte, un cadre, une visée ; la simple comparaison avec Verlaine
montre que Rimbaud est dans une époque où on écrit sur la nature et où on se dérive des
règles, où on explore les principes du langage. Quand il décrit quelque chose, ce n’est pas
seulement pour décrire de manière indifférente et impassible, mais pour essayer de révéler
un mystère. Lire ce texte, non pas simplement comme un texte qu’on lit sur un coin de table,
mais pour essayer de comprendre la visée de l’époque peut permettre de se connecter avec
cette intention. Alors on doit se demander quelle était la volonté, la visée de l’époque, sans
limiter le texte à l’intention de l’auteur. Il faut ensuite percevoir en observant la composante
rythmique, la composante phonique avec des sonorités qui se croisent, on peut être attentif
à ces sonorités et repérés un certain nombre de chose. Il y a aussi la composante lexicale avec
des champs lexicaux sur la terre et la mer, sur l’argent, l’acier, la composante syntaxique avec
une première et une deuxième grande phrase sur le plan syntaxique. Pour finir, il y a la
composante sémantique ; il ne faut pas se limiter à un sens unique, on peut chercher à dire ce
que le texte explique, mais il n’y a pas autres choses qu’une description d’éléments et un
mélange de ces éléments, refusant d’enfermer le monde dans des catégories préétablies. Les
deux éléments, la terre et la mer, finissent par se mélanger et donnent une sorte de magma,
ils se mélangent dans des grands mouvements de lumières. La poésie fait par ses mots, sa
musique, son langage, la même chose que fait la peinture.

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Mais des questions restent ouvertes même si on a lu le texte : est-ce c’est vrai, est-ce une
allégorie, est-ce qu’on essaye de nous dire quelque chose sur le monde ? Comme nous savons
que ce texte a été écrit par un certain Rimbaud à un certain moment, on peut se demander
nous en tant que lecteur pourquoi il a écrit cela, qu’a-t-il voulu délivrer quelque chose avec sa
plume… Toutes ces questions sont pertinentes. Le poème par sa densité et par son caractère
énigmatique et elliptique suscite au carré, décuple les questions d’interprétations du lecteur.
S’il y a bien un enjeu de la poésie, c’est ne pas nous donner la réponse mais d’ouvrir les
questions, les poèmes doivent donner l’envie d’en savoir plus. Pour interpréter, on peut
regarder la biographie, la vie de Rimbaud qui a peut-être eu besoin d’exploser son cadre
familial et serré. On peut aussi par l’Histoire, en regardant les troubles du monde, mais aussi
une Histoire littéraire avec Rimbaud qui fait écho à une nouvelle vision de l’Art ; il sait qu’avec
le vers libre il apporte une nouvelle vision de la poésie, il est dans un moment de l’Histoire de
la littérature où il essaye des nouvelles façon d’écrire. À cet égard, la comparaison entre le
texte de Rimbaud et de Verlaine est révélateur avec un Verlaine déjà très innovateur pour son
époque, mais chez Rimbaud on est un pas plus loin dans la saisie singulière du regard de
l’homme sur le monde et dans une écriture qui s’explore. L’interprétation peut aussi se faire
dans un travail d’intertextualité avec un clin d’œil à Verlaine. Toutes les questions et les
ressources convoquées sont les bienvenues, y compris celle de notre subjectivité.
La notion de littérature convoque des valeurs différentes et les faits dialoguer. Du point de
vue des valeurs, notre regard évaluatif sur ce texte peut s’intéresser à trois ou quatre critères :
le critère esthétique, est-ce que le texte possède une certaine beauté ? On peut aussi se dire
ce texte m’intéresse car il s’intéresse à une nouvelle vérité, c’est la vérité du texte, sa valeur
référentielle :est-ce que du point de vue de la mimésis le texte nous présente un certain
regard sur le monde ? Il y a également la valeur éthique, se demander si le texte parle du
« bien », si le texte nous édifie ; dans le cadre de ce texte de Rimbaud on peut dire que ce
texte essaye de nous lier à la nature. On se trouve ici dans trois types d’évaluations différentes
avec la beauté, la vérité et l’éthique. Une fois qu’on a ces trois critères, déjà théorisés par
Platon, on peut ajouter le critère cognitif : est-ce que j’aime ce texte et est-ce que je le
comprends ? Ce critère cognitif est intéressant à signaler, bien qu’il soit moins littéraire que
les autres. Il faut cependant toujours distinguer le jugement spontané de goût subjectif
« j’aime / je n’aime pas », fondé sur mes plaisirs et répulsions spontanés fondus sur nos
habitus. Mais, si on essaye d’être plus intellectuel, on réalise que le jugement de goût ne suffit
pas et on essaye de passer au jugement de valeur, la prise de recul. Le jugement de valeur se
base sur le rationnel : c’est le passage à une lecture plus argumentée, critique, informée…
C’est au départ de cette connaissance un peu distante, un peu critique, que nous pouvons
poser un jugement de valeur plus étayé, plus argumenté et peut-être plus intéressant et
pertinent.
Mais, la poésie est aussi un regard drôle et parodique : c’est imaginer de mettre en scène le
monde contemporain avec la vie médiatique, les relations… On peut alors également parler
de Jacques Brel ou de slameur comme Grand Corps Malade. Ce n’est pas juste de l’écriture et
de la lecture, mais aussi une expérience de vie.

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Chapitre 5 : Le texte dramatique

5.1. Introduction

Le théâtre, c’est trois choses, trois niveaux, avec tout d’abord la fable qui est l’histoire, ce qu’il
se passe entre les personnages. La deuxième dimension est le travail de mise en scène. Pour
finir, il y a le texte avec l’agacement des répliques, les didascalies… La relation entre la
personne écrivant le texte et la personne lisant le texte, sachant qu’on peut lire le théâtre sans
qu’il ne soit représenté. Il est donc important de distinguer fabula, spectacle théâtral et texte
de théâtre. Le texte théâtral a aussi des spécificités : c’est un genre narratif avec les actions
qui ont un rôle clé, trait déjà souligné par Aristote. Une autre spécificité est que le théâtre est
un texte troué. Certes, tous les textes sont ponctués de trous, mais en plus au théâtre il y a
des trous vraiment fait pour être comblé par le metteur en scène, par les acteurs. Il y a un
certain nombre de choix à combler notamment par les spectateurs, mais aussi par les
metteurs en scène. Il y a une tension dramaturgique tendue vers le geste, c’est un texte qui
demande un geste ; même quand on lit du théâtre chez soi on se le représente dans sa texte,
il y a toujours un geste minimum dans le texte théâtral. C’est par définition une tension vers
le réel, vers le geste, avec une dimension collective et humaine dans le rapport au théâtre.
Engelberts rajoute des spécificités du spectacle théâtral avec la présence physique de l’être
humain qui joue et qui donc incarne quelqu’un qu’il n’est pas, une suite d’évènements, le plus
souvent fictifs, et un public qui regarde et qui est donc présent dans le même lieu que celui
qui joue. Il y a une dimension très particulière car le spectateur a un lien avec ceux qui
interprètent le texte.
Le théâtre a des origines sacrées très marquées par le contenu même des textes à l’époque.
Cette dimension sacrée reste en partie dans les textes contemporains avec le cœur souvent
présent. Cette dernière va connaitre une évolution progressive avec au Moyen Âge avec le
texte de théâtre, surtout axé sur les Saints, qui aura tellement de succès qu’il sera sorti de
l’Église pour accueillir plus de monde. C’est d’abord sur les parvis que ça s’est joué avant la
fondation des théâtres plus liés à l’église. Il y a eu une autonomisation croissante du texte par
rapport au spectacle avec un écrivain et un metteur en scène qui se donnent plus de liberté
et qui se séparent d’une certaine dépendance du metteur en scène envers l’écrivain, mais
aussi du théâtre profane face au théâtre religieux qui est encore présent. Il y a un statut
fluctuant de l’illusion et du vraisemblable au fil des âges : il y a une centaine d’années, il fallait
beaucoup plus de codes respectés. Le théâtre est un mode littéraire qui évolue, il est en
mutation continuelle depuis 200 ans, c’est un genre insaisissable. Le théâtre fait donc l’objectif
de nombreuse théorisation, souvent tardive et militante, avec Brecht, Dort, Barthes,
Ubersfeld, Pavis, Abirached, Larthomas, Vinaver, Ryngaert, Biet et Triau.

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5.2. Les catégories traditionnelles du théâtre

A. L’ACTION
L’action durant l’époque de l’origine, de l’Antiquité à l’époque classique, devait être unique et
cohérente. Dans le texte classique, tout était action et remplis d’évènements : par exemple
dans Le Cid de Corneille, quand Rodrigue n’est pas en scène, il reste en dehors de la scène en
train de combattre. La scène n’est pas le lieu unique du théâtre ; il y a une densité d’action qui
suppose un hors-texte. La mimésis est essentielle étant donné que c’est un texte narratif, mais
la construction ordonne des éléments qui sembleraient chaotiques dans le monde réel. Le
propre du texte de théâtre est de mettre en scène une mimésis : il faut créer du sens et de
l’harmonie où il n’y en a plus et c’est justement la construction théâtre qui va créer cette
cohérence. Pour cela, le théâtre va recourir à des artifices et aux conditions matérielles de la
représentation : on utilise le jeu théâtral, le décors, les costumes… Une série d’éléments qui
vont créer cet effet de cohérence. Si on regarde comment le théâtre a évolué, on peut
observer deux catégories. Vinaver parle de « pièce-machine » avec une système répété de
cause à effet avec l’exemple du vaudeville avec tout qui est prévu du début à la fin, des pièces
huilés avec des personnages ayant des conséquences qui vont engendrer la fin de la pièce dès
le début… À côté de ça se trouve les « pièce-paysage » avec une juxtaposition d’éléments
discontinus avec comme exemple type En attendant Godot de Beckett : des personnages
portant des noms improbables attendent Godot, sans savoir qui il est, même si nous lecteurs
ont comprend que Godot est une sorte de Dieu. Ces personnages parlent, ils comblent
l’attente, il n’y a pas de mécanique comme c’est le cas dans les pièces vaudevilles. Corvin, lui,
présente une distinction entre deux usages de la parole avec la parole-action où on trouve
une cohérence ferme par rapport à la progression de l’action et la parole-situation avec une
cohérence lâche par rapport à la progression de l’action. Il ne faut pas entrer dans la caricature
et dire qu’une pièce tombe dans une vision, il peut y avoir des mélanges, mais ce sont des
termes intéressants.

B. LA FABLE
Pavis définit la fable comme la « Mise en place chronologique et logique des évènements qui
constituent l’armature de l’histoire représentée ». Mais ce n’est pas car on peut définir une
fable comme une suite logique d’évènements que dans la pièce tout est chronologique : on
peut avoir des flashback, des gens de temporalité… Il faut distinguer la chronologie du texte
et la chronologie de la fable. La fable théâtrale se distinguerait au roman par des moyens plus
réduits : il y a une discontinuité entre les scènes, avec plus de trous et de blanc, avec une
obligation d’une cohérence plus grande avec des personnages qui se donnent des
informations entre eux. On est alors tous faire un travail de construction cohérent en
observant la pièce. Toute pièce est fragmentée d’une fable plus vaste que le
lecteur/spectateur est amené à reconstruire. Cela veut dire que la fable n'est jamais
totalement objective car elle dépend de l’interprétation que suscite la discontinuité de sa
composition. Le théâtre ne peut relater ce qui échappe à l’action, sauf via trois procédés. Le
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premier est le chœur ou le choréphore, souvent chanté. Ensuite, l’exposition qui est le début
du texte, la première scène qui est capitale dans le début de tout texte car c’est dans cette
scène d’exposition qu’on met en scène les personnages principaux, qu’on les présente. Pour
finir, la didascalie qui est le commentaire de l’auteur entre les répliques. Il est clair que toute
l’histoire du théâtre est un affaiblissement progressif de l’histoire : nombre de production
tente vers la pièce paysage, le confit ou la quête subsistent, mais désormais ils sont souvent
liés aux tourments intérieurs qui animent les personnages.

C. LE PERSONNAGE
Plus que dans les autres genres, le personnage au théâtre illustre les deux origines du mot
« personnage ». Il y a persona, des masques au moyen duquel l’acteur antique faisait résonner
sa voix pour se faire entendre et qui affichaient une expression en lien avec son rôle. C’est
intéressant de voir que découle des masques la personne et le personnage avec une
distinction entre les deux termes : une personne peut être plusieurs personnages. En d’autres
termes, le personnage contient une dimension de personnage jouée liée au persona. En
anglais, on utilise le terme character qui signifie qu’on a une sillon gravé dans une surface
solide, dans la durée : le théâtre fait défiler quelque personnage type. On peut dire qu’il y a
deux dimensions, persona lié au jeu du personnage et le corps gravé le character, en
permanence en jeu dans le théâtre.

D. LE TEMPS ET L’ESPACE
La scène est là où tout est joué avec deux espaces en jeu en permanence avec l’espace de la
fiction, le palais, le cabaret… Mais également l’espace effectif scénique ; ce sont des
amphithéâtres dans l’Antiquité, puis des théâtres élisabéthains avant d’aller vers les théâtres
contemporain. Le temps peut aussi se dédoubler avec le temps de la fiction, qui peut s’étendre
sur 25 ans, et le temps de la représentation effective rythmé par la découpe en scènes et en
tableaux avec souvent un entracte qui vient rythmer la pièce qui est découpée en scènes et
en tableaux. Le temps et l’espace sont analysables comme dans un autre récit, mais il ne faut
pas oublier qu’il y a une tension entre l’écrit et la représentation.

E. LE LANGAGE
Il y a une tension forte entre l’écrit et l’oral car le texte est écrit mais est fait pour être dit :c’est
un écrit paradoxal. D’autre part, c’est un écrit qui doit mimer la réalité, donc le jeu théâtral
doit mimer la réalité sans être trop inscrit dans le langage de la vie quotidienne. Les
expressions ne doivent pas trop apparaitre : il ne faut pas trop développer les stéréotypes
d’une époque. On est dans un langage souvent entre deux rythmes, ni totalement oral, ni
totalement écrit. L’oral n’est pas trop classé, trop inscrits dans un langage particuliers. De plus,
les personnages sont en train de parler entre eux et sont donc comme surpris car nous
sommes en train de les écouteur : ils doivent se comprendre entre eux et se faire comprendre
par le public. Rykner ajoute aussi que le silence est très important dans le théâtre avec une
dimension jouée importante, tout comme les didascalies.

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5.3. Les catégories proprement dramaturgiques

Aujourd’hui les personnages, le temps et l’action sont déconstruits : il y a une nécessité


d’affiner l’étude. Il y a donc un nouveau principe avec le texte dramatique qui se distingue
d’abord par sa destination scénique, sa tension dramatique. Les répliques sont composées
pour être prononcées et entendues, elles supposent des gestes et des actions visuelles et
sonores. La lecture du texte de théâtre serait un comblement de tout.

A. LA DRAMATURGIE
La dramaturgie est la dynamique de tension vers la représentation, c’est cette tension vers la
scène qui est prédominante dans l’analyse du théâtre. Ryngaert dira « Au théâtre, dire, c’est
faire ». Brecht parlait lui du gestus qui était selon lui l’essence du théâtre, l’entrelacs des
gestes et paroles qui donnent sens aux rapports humains. Ce gestus était déjà présent dans la
pantomime, une représentation sans paroles. Donc, la méthode d’analyse basée sur la
dramaturgie va se concentrer sur la typologie de catégories et de figures permettant d’étudier
le texte comme un tout selon Vinaver.

B. MIMESIS ET CATHARSIS , UNE LONGUE HISTOIRE


Il y a une double représentation au théâtre. Il y a d’un côté une représentation du réel ou de
la mimésis où une histoire est racontée, un réel qui peut être une fiction mais qui est une
certaine réalité et d’un autre côté le spectacle, l’incarnation du texte par des comédiens et
par un lieu dans un temps donné. Aristote le disait déjà et soulignait que le spectacle était une
œuvre à part entière fondée en grande partie sur le texte. Le spectacle représente donc une
fiction et la grande idée d’Aristote c’est la notion de catharsis, les émotions que va ressentir
le public et qui auront une influence dans sa vie, une influence sur ses perceptions même de
l’existence. Grotowski pense que les grandes œuvres dramatiques recèlent d’autant d’effets
cathartiques pour le spectateur que pour le comédien. Il n’est pas seulement quelqu’un qui
reste à distance de son rôle ; il incarne son texte. On ajoute alors à la dimension
spectacle/spectateur la dimension pièce/acteur. Grotowski parle de « texte-bistouri » avec un
texte théâtral qui permet à l’acteur et au spectateur de s’ouvrir à la foi à soi-même et à l’autre.
Pour Aristote, la tragédie est forcément le lieu d’un conflit non résolu, ce dernier qui est lié à
des éléments d’ordre émotionnel. Toute personne est animée d’une part par l’ethos, par
l’action déterminée, l’émotion, et par la dianoia, la dimension plus rationnelle de la vie,
l’action guidée par la raison, la vie en société. On peut parler de l’ethos et de la dianoia comme
de la notion lu et lectant. Tout être humain est animé par ces deux pulsions fondamentales
et, au théâtre, la tragédie joue là-dessus. Effectivement, le héros souffre d’un hamartia : le
défaut de son éthos et d’une fierté excessive, c’est l’ubris qui l’amène à agir contre la doxa, le
lieu commun, et la polis, la civilité où chacun se respecte. Ici, le héros est trop dans la volonté
de conquérir l’amour ou le pouvoir. La catharsis arrive à cet endroit-là, ce phénomène
psychologique amène le public à se rendre compte du caractère invivable de l’hamartia en la
soumettant au jugement du « prince de réalité » de Freud ; le spectateur ne veut pas être
comme le personnage. On voit à quel point cette notion-là n’est pas valable que pour le

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théâtre antique : il y a un lien à faire avec la psychanalyse avec la catharsis qui est universelle
et qui est la manifestation élémentaire des pulsions qui régissent le comportement humain.
Le classicisme français est fondateur d’une certaine vision du théâtre français classique : c’est
une valeur modélisante et de référence dans notre rapport au théâtre. Il y a eu un moment
dans l’histoire du théâtre avec une forte volonté de codification intéressante à analyser.
Bernard Dort analyse par exemple le lien entre la salle et la scène à partir de sa fonction
politique. Il dit « L’action de l’œuvre, sa fable, est la vérité même de ses spectateurs. Et la
scène délivre littéralement la salle du souci de son histoire. D’où la catharsis ». La catharsis est
une dimension politique car la scène libère le spectateur de ses tensions individuelles, mais
aussi des tensions politiques. Le théâtre, pour ceux qui y assistent, permet de mettre à
distance les émotions collectives que les personnages incarnent à certains égards permettant
de se libérer d’une frustration. Le théâtre français selon Dort « reflète l’accord social,
politique, qui fonde cette communauté ». Ce n’est pas un théâtre qui appelle à la révolution :
le théâtre classique français, malgré la violence qu’il peut refléter, donne un pouvoir politique
et social à des personnages qui n’en n’ont pas dans la vie réelle, permettant à ceux victimes
des conflits de ne pas en sortir frustrés.
Roland Barthes, lui, dit tout autre chose en instant plus sur l’idée que le théâtre français
classique est plutôt psychologique. Pour lui, la « fonction politique » ne domine pas le théâtre
français classique avant le XVIIIe siècle. C’est d’abord un théâtre psychologique car, étant sans
chœur, il y a une dimension collective amoindrie. C’était le chœur qui concentrait le jugement
populaire et qui provoquait l’ordre causal intelligible car il vient expliquer au public comment
se réapproprier la situation. Mais dans le théâtre classique, il n’y a tout d’abord pas de
dimension sociologique conflictuelle forte puisque la plupart des spectateurs sont des
bourgeois et aristocrates donc les gens pouvant faire la révolution ne sont pas vraiment
présents dans le théâtre classique. Il faut donc plutôt s’intéresser aux relations psychologiques
entre les personnages, regarder ce que l’auteur veut montrer sur les relations humaines. Il y
a donc deux lectures différentes avec une lecture plus politique chez Dort et psychologique
chez Barthes.
Le théâtre classique français est très stylisé, il a eu la théorie des trois unités : de temps, de
lieu et d’action. Il est constitué de sujet mythiques ou nobles, de personnages liés à l’Antiquité
et à l’Histoire, du moins dans la tragédie ; dans la comédie on voit des petites gentes. Les
costumes sont toujours d’époque, on ne peut pas s’habiller n’importe comment, tout le
théâtre est versifié, etc. Cela est mêlé au soucis de la démonstration psychologique et
politique par le biais de la catharsis et à la volonté de mettre en place des personnages
exemplaire qui vont loin, qui ont une condition exemplaire, faisant de ces personnages des
modèles nous permettant de vivre une catharsis.
Le rapport au réel dans le théâtre classique français sera jusqu’au 18 e siècle lié à l’objectif,
selon Deutsch, de maintenir un espace où l’hostilité, le conflit, pouvaient se représenter sans
s’effectuer. Le théâtre français reste assez édulcoré à cet égard : pour donner un exemple,
lorsqu’Hyppolyte meurt, sa mort est racontée mais elle n’est pas montrée. De même, quand
Rodrigue se bat contre les morts, le combat n’est pas montré ; la violence n’est pas effectuée
sur scène ; on représente le conflit, mais on ne va pas jusqu’à l’effectuer et le mettre en scène

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Charlotte Deprez - UCL
dans sa dimension physique. La catharsis est médiatisée mais pas exprimée, mais cette
dimension va évoluer. Dans l’Antiquité, le but est surtout d’asseoir un pouvoir civil, au Moyen
Âge, c’est d’asseoir le pouvoir de l’Église par la crainte du diable et au XVIIe siècle, c’est
d’asseoir le pouvoir monarchique absolu. La doxa ambiante, le système de lieu commun qui
doit servir de parapet à l’expression de l’hamartia et de la catharsis change selon les époque.
Est-ce que la classicisme est donc un théâtre normatif qui garde l’ordre social ? Oui et non car
les classicismes européens jouent certes sur la norme, mais aussi sur l’écart. Quand on lit le
théâtre classique, on voit des personnages qui s’écartent du règlement, des auteurs qui
s’écartent des règles. C’est ce que Barthes a montré notamment chez Racine qui possède une
grande modernité. Le théâtre classique a donc l’air d’être normatif, mais il s’offre des libertés.
Il ne faut pas oublier que la dimension des codes classiques a été théorisée en partie après
l’époque : c’est après coup qu’on s’est rendu compte que les auteurs étaient un peu commun
dans leur manière de respecter les usages, phénomène démontrer par Biet et Triau. En
d’autres termes, on peut dire que la fortune de Molière, Corneille et Racine est due davantage
à l’intemporalité de leur écriture et de leur dramaturgie qu’à un respect de règles de
composition : c’est du théâtre classique, mais du théâtre avant tout.
Tout cela a évolué : au XVIIIe siècle, le classicisme laisse place à un théâtre plus émotionnel
théorisé par Diderot dans Paradoxe sur le comédien qui dit que pour être un parfait comédien,
il faut être le plus neutre possible par rapport à ses émotions. Il y aura ensuite une mutation
dans la conception de la vraisemblance en passant d’un jeu abstrait à un jeu centré sur les
émotions naturelles et quotidiennes, même si ces émotions doivent être jouées plutôt que
vécues par le comédien selon Diderot. Elles deviennent essentielle et matière première du
théâtre. À l’époque des romantismes, cela se marque encore plus : dans le théâtre d’Hugo, les
pulsions émotionnelles des personnages sont centrales. Il y a ensuite une transition vers
l’esthétique réaliste qui prévaudra pendant deux siècle avec la notion de drame bourgeois
d’abord chez Diderot en décrivant les réalités de la vie quotidienne. Victor Hugo, lui, insistait
sur le fait que le théâtre devrait restitué la couleur locale. Le théâtre devait exprimer les
langages, les réalités sociales et historiques des époques et contextes dont il parlait. Le théâtre
devient plus réaliste en parlant des différentes réalités de classes sociales et des situations
géographiques.

C. L’APOLLINIEN ET LE DIONYSIAQUE
En 1872, Nietzsche vient distinguer deux visions de la mimésis en théorisant l’apollinien qui
est pour lui la mise en forme rationnelle du réel par la composition, c’est l’écriture claire d’une
histoire dont on peut déterminer un message alors que le dionysiaque est l’acceptation du
chaos qui régit l’univers au point d’en transposer la substance dynamique dans le spectacle.
Nietzsche affirme donc qu’il y a dans la mimésis deux tendances possibles : une tendance
apollinienne qui s’inspire de l’esprit d’Apollon avec un théâtre ordonné, rationnel, avec une
forme de démonstration morale qui peut être faite et à côté de ça le dionysiaque. Nietzsche
dit que le dionysiaque est moins rationnel, plus dans la pulsion, provenant de Dionysos et de
Bacchus : c’est l’acceptation du chaos qui régit l’univers. Les théories dramatiques qui vont
suivre Nietzsche vont explorer ces deux axes.

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Charlotte Deprez - UCL
Il y a tout d’abord la filiation dionysiaque chez Artaud qu’il explique dans Le théâtre et son
double. Artaud est un grand auteur dramatique qui s’appropriait de manière constante dans
sa vie les principes du théâtre dionysiaque. Il met en place un théâtre de la cruauté, tout ce
qui est difficilement dicible ; pour cela, il s’inspire d’une vision orientale. Le théâtre pour lui
est un instrument de mise en espace du réel dans sa violence et ses contradictions. Il va
montrer sur scène des choses crues, de la violence : on se bat sur scène. C’est donc une
mimésis violente liée à une catharsis violente qui vise à ébranler le spectateur en profondeur :
on ne sort pas indemne du théâtre d’Artaud. Le dramaturge est un peu au théâtre ce que
Mallarmé est à la poésie avec une vision très radicale qui sort de l’ordinaire. Grotowski, lui,
explique dans Vers un théâtre pauvre qu’il prolonge la veine dionysiaque dans les expériences
du Teatr Laboratorium de Wroclaw. Dans son théâtre, il essaye de faire une articulation des
processus mimétique et cathartique tant dans la réception que dans la mise en scène et
l’interprétation. Cela se fait par le corps : c’est un théâtre basé sur l’art du corps et sa mise en
tension. C’est ce qu’il appelle un théâtre pauvre, un théâtre qui ne cherche pas à aller vers
l’intelligence mais qui cherche à aller vers le physique. À cet écart, son théâtre rencontre ce
qu’il appelle l’essence de l’être humain dans une visée pour lui presque mythique : le théâtre
sert à renouer avec les racines physiques, presque animales, de l’être humain.
Certains dramaturges vont explorer la veine apollinienne comme Brecht, un auteur de théâtre
remarquable. Il essaye de voir le théâtre comme une lecture particulière du réel qui traite de
réalités historiques et qui sert à susciter l’esprit critique. Il se base sur la distanciation et la
participation du spectateur. Il s’agit de faire entrer le spectateur dans la dynamique de
l’histoire, mais il s’agit en même temps de provoquer une distanciation critique qui fait se dire
au spectateur qu’il doit s’engager. Il y a donc un soucis de réalisme très grand et en même
temps un soucis très politique et militant. Boal, lui, a écrit Théâtre de l’opprimé et accorde
comme Brecht une valeur politique au théâtre, mais avec une valeur peut être encore plus
sociale. Pour lui, la répartition du texte proposée est un schéma variable ; le type et le degré
des variantes est une décision politique. Cela veut dire que le texte n’est qu’un texte et c’est
au metteur en scène de faire des choix politiques sur ce texte. Il y a un travail fondamental
proposé au metteur en scène et aux interprètes. Il y a une mimésis du monde et de ces
problèmes et donc une catharsis qui permet une révolte contre l’oppression idéologique. Chez
les deux, le théâtre est un moyen de stigmatiser les errances de l’humanité.
Il y a alors une distinction entre la veine dionysiaque et apollinienne qu’on peut opposer. Les
auteurs apolliniens proposent un ordre du monde et une solution, ils ne laissent pas le lecteur
devant une énigme ; c’est souvent un théâtre orienté moralement. Le théâtre dionysiaque,
lui, présente la violence, mais c’est tout ; il n’a pas la volonté d’imposer des pistes de solution.
Cependant, les deux veines sont complémentaires et pérennes, on peut voir au théâtre les
deux tendances. Pour Nietzsche, c’est au théâtre que ces tendances sont spectaculaires et
s’illustrent le mieux. On peut rapprocher certaines tendances du théâtre classique au théâtre
apollinien avec une certaine dimension politique, sans pousser à la révolte, que donnait Dort
au théâtre classique. Alors que du côté de Artaud et Grotowski, on voit une ressemblance avec
ce que disait Barthes avec les fonctions psychologiques du théâtre. Étant donné qu’une pièce
peut être lue dans les deux sens, dans la veine dionysiaque comme apollinienne, on peut les
considérer comme les deux faces d’une seule pièce.

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Charlotte Deprez - UCL
D. DIALOGUE, MONOLOGUE, APARTE
Dans le théâtre, on retrouve des dialogues, monologues et apartés qui possèdent divers
enjeux. Il faut se rendre compte que le discours au théâtre ne se passe qu’à travers des
interactions entre les personnages dans un dialogue fictif. Il y a rarement une voix-off et
lorsqu’il y en a une, elle devient un personnage à part entière aussi, mais ce n’est pas vraiment
le principe du théâtre. Ce dialogue est fictif, mais en même temps il imite les règles de la
conversation pour être crédible : il faut que le sujet soit respectueux de la thématique abordé,
pertinent de la thématique dans laquelle on vit. Il faut qu’il soit respectueux du temps de
parole des autres, il faut tenir compte du destinataire, éviter les digressions… Il faut respecter
la face de l’autre, respecter l’autre. Ces règles sont là comme des codes implicites comme dans
la vie réelle, mais le texte de théâtre n’est pas spontané. Il va donc falloir que le dialogue entre
les interlocuteurs utilisent des artifices pour donner des informations aux spectateurs avec
une double énonciation qui se fait aux autres personnages et au public. Le monologue, lui, est
particulièrement artificiel, on ne fait pas de long monologue dans la vie réelle. Il n’existe que
car il y a des spectateurs, dont évidemment la personne faisant un monologue se parle à elle-
même, mais il y a surtout le fait que le spectateur doit découvrir les tréfonds de lui-même :
c’est la pensée mise à nue. Mais, le monologue n’est pas d’une vraisemblance étourdissante,
il ne faut pas trop en abusé. Pour finir, il y a l’aparté qui sert à confier quelque chose au
spectateur durant un dialogue avec un autre personnage. On joue alors le rôle de spectateur
mais aussi de confident. L’aparté sert aussi au début de la scène à expliquer la fable, les
sentiments d’un personnage…

E. LE DRAMATIS PERSONAE
Le dramatis personae est la liste des personnages présents au début du texte, la liste des
acteurs, y compris des figurants. Il donne le nom des personnages de la pièce, mais aussi de
temps en temps les éléments de base de leur identité avec des éléments de présentation tels
que leur fonction, leur âge, leurs relations ainsi que parfois les costumes, le cadre général de
l’action, voire les directives de jeu, de mise en scène ou de décor. Le dramatis personae est
très fréquent depuis la fin du Moyen Âge et demeure dans le théâtre contemporain, mais
certains le suppriment ou l’utilisent dans un but intéressé.

F. LES DIDASCALIES
Les didascalies sont les commentaires en italique que fait l’auteur de la pièce entre les
répliques, c’est les commentaires en voix off. Ce sont des consignes données aux acteurs ou à
la personne qui lit la pièce. Ces didascalies sont peu présentes jusqu’au XIXe siècle. Mais, à
partir du XIXe siècle, elles deviennent exigeantes tout d’abord chez Hugo puis dans le théâtre
réaliste. Au XXe siècle, on a un affaiblissement des normes, des règles, et maints auteurs
délaissent la didascalie ou servent à l’auteur d’exprimer son point de vue, devenant plus
significatives. La modernité, elle, brouille les pistes en proposant des didascalies injouables
tant elles ont de détails ; elles sont fantasmatiques, souvent destinées à la seule lecture. Il y a
aussi des cas extrêmes avec des textes uniquement composés de didascalies comme Actes
sans paroles de Beckett ou Concert à la carte de Franz Xaver Kroetz. Donc, le texte de théâtre
n’est pas fait que pour être joué et vu, il est aussi fait pour être lu.

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G. LA LECTURE DU TEXTE DE THEATRE
La lecture du texte a toujours été possible : Biet et Triau expliquent bien que même si sa
construction tend vers la scène, le texte de théâtre peut faire l’objet d’une lecture silencieuse
comme tout texte. En même temps, le lecteur du texte théâtrale doit connaitre les spécificités
graphiques du texte : les didascalies, le dramatis personae… Mais, si on connait les
conventions et qu’on lit le texte, on peut faire du « théâtre mental » où la tension est
maximale par rapport à ce qu’exigent un récit ou un poème.

H. LES RUPTURES DU THEATRE AU XXE SIECLE


Au XXe siècle, la mise en scène se libère de plus en plus de la volonté des auteurs. Il continue
à exister un théâtre réaliste, mais on peut dire que le cinéma s’approprie un peu le réalisme.
Au théâtre, on a plus d’expérimentations, mais c’est au cinéma qu’on a le plus d’expérience
qui essayent d’imiter le réel. Au théâtre, il y a un affaiblissement de la fable et des autres
catégories traditionnelles : on a des pièces où il ne se passe rien comme En attendant Godot,
on perd l’histoire traditionnelle. Sarrazac, lui, dit que le texte dramatique assume son
caractère instable hybride, il devient un rhapsode. Il devient aussi fragmentaire et lieu de
diverses expérimentations. C’est un théâtre plus expérimental jusqu’à ce que Lehmann
appelle cela le théâtre post-dramatique : c’est le théâtre qui prend toutes les expériences
contemporaines qui vont par exemple se séparer du texte, qui n’ont pas de texte préalable
écrit… C’est l’ensemble de ces formes nouvelles. Un exemple est les happenings du Living
Theatre, des spectacles mêlant plusieurs genres artistiques avec un mélange de chant, danse,
comédie… On ne sait jamais ce qu’il va se passer, c’est un moment où tout est possible.
Pourtant, même dans ces textes non écrits, il y a un texte sous-jacent avec un scénario pensé
à un moment donné ; ce n’est pas car il est improvisé qu’il n’existe pas.
En conclusion, le théâtre n’est pas seulement du texte mais un texte tendu vers la
représentation. Il y a dans le théâtre des invariants : des fabulas, des personnages, un lieu
particulier… Il y a aussi des conventions comme le poids de la vraisemblance, une
vraisemblance qui peut évoluer selon les époques et les contextes. Les stéréotypes sont très
importants dans le texte, mais ils nécessitent toujours une acceptation de la vraisemblance. Il
y a une dimension du politique, du sacré… Mais aussi une dimension subjective et personnelle
du théâtre. Le théâtre est de la participation et de la distanciation, du collectif et du
personnel…

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Chapitre 6 : Le texte narratif

6.1. Introduction

A. UNIVERSALITE ET SINGULARITE DU RECIT


Le récit est à la fois universel et singulier. C’est un type de texte constitutif de l’humanité qui
intéresse toutes les disciplines et tout le monde, avec une discipline qui est la narratologie, la
science des récits, qui s’est fortement développée depuis vingt ans. Les récits sont d’une
diversités d’extrêmes avec une extension très large du mot « récit » : ça peut être très court
ou un enchevêtrement de récit. Cependant, il y a un trait commun du récit : le récit est une
représentation des actions, il est nécessaire d’avoir des actions, produites par un agent motivé
par une raison d’agir, peu importe qu’il soit réel ou pas.

B. LES DEUX FACES DU RECIT : ENONCE/ENONCIATION, FICTION/REALITE


Un récit comporte toujours deux faces : un énoncé ou une énonciation qui peut parler d’une
fiction ou d’une réalité. On a tout d’abord la matière racontée, l’énoncé, l’univers
« fictionnel », le produit fini et clos : le texte. C’est une histoire, imaginaire ou complètement
réelle donc il ne faut pas réduire l’histoire à la fiction, avec des personnes « fictives » appelées
personnages, on peut aussi utiliser le terme héros. Dans un énoncé, il y a aussi la personne qui
raconte et qui n’est pas forcément l’auteur : c’est le narrateur. Ce dernier peut être explicite
ou implicite, interne ou externe… Le fait que le narrateur et l’auteur ne sont pas la même
personne met en avant l’importance de comprendre que même si un narrateur parle de chose
horrible, l’auteur ne les cautionne pas nécessairement : il faut toujours faire une distinction
entre le « je » réel et le « je » du récit. Dans un récit, on a aussi un personnage à qui l’on
s’adresse, le texte peut s’adresser à un lecteur fictionnel construit par le texte : c’est le
narrataire. Celui-ci est explicite si le narrateur s’adresse explicitement à lui et implicite si une
question est simplement posée au lecteur.
À côté de cela, il y a le monde « réel », le monde de l’énonciation où l’écrivain tient la plume
et raconte l’histoire ; l’écrivain fait un acte de communication hors texte. Son monde à lui est
celui de la réalité et du référent, il est réel et s’adresse à des personnes réelles. On parle bien
de l’énonciation comme auteur, écrivain, réalisant une différence avec le narrateur : c’est une
personne réelle. L’énonciataire est lui le récepteur, le lecteur, réel ou potentiel.
Un cas où les deux univers peuvent se confondre est celui de l’autobiographie. Quand ce qui
est raconté dans l’univers fictionnel est très proche de la réalité, la séparation tend à
s’estomper mais reste méthodologiquement nécessaire : il y a toujours une forme
d’interprétation.
Comme on le voit sur ce schéma, il y a un énonciateur hors cadre qui est dans son temps et
son lieu réel. Cet énonciateur s’adresse à un énonciataire hors du cadre aussi. Dans la relation
entre l’énonciateur et l’énonciataire, il y a l’histoire racontée, l’énoncée, avec le narrateur du

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texte, le « je ». Ce « je » s’adresse à un « tu », le narrataire qui
reçoit le récit et qui n’est pas toujours nommé. De plus, il y a les
personnages du récit, le « il ». Il faut aussi faire attention à la
temporalité avec le « je » et le « tu » qui sont dans un temps qui
n’a de sens que pour celui qui parle ; le « je » emploie des temps
du discours direct. Alors le narrateur est un énonciateur fictif de
l’énoncé qui est son récit. Entre énonciateur et narrateur, il peut y
avoir une différence minime ou une différence importante.
Dans un récit, il y a toujours l’histoire racontée, la diégèse, la fiction. Il y a la dimension du
narrateur, la narration, le récit proprement dit. Pour finir, il y a la mise en texte, la dimension
linguistique et langagière. Ce sont l’inventio, la dispositio et l’elocutio. Pour prendre un
exemple, on peut citer Les aventures de Gérard Lambert de Renaud. Dans cette chanson, la
diégèse est composée de deux histoires avec Gérard Lambert qui n’arrive pas à réparer sa
moto en premier lieu et ensuite un individu qui vient l’embêter. La narration est composé du
« je » de l’histoire qui est un chanteur fictif : ce n’est pas vraiment Renaud, ça pourrait être un
copain de Gérard Lambert. D’autre part, il y a deux narrataires avec Gérard Lambert et nous
aussi, auditeurs, à qui la chanson pose des questions telles que « moi je la trouve chouette,
pas vous ? ». Cette chanson doit être lue à plusieurs niveaux en faisant la distinction entre
narrateur et énonciateur. Pour la mise en texte, la chanson est écrite en vers avec des rimes
qui sont parfois des rimes, parfois des assonances.

6.2. La diégèse (ou « fiction »)

A. L’INTRIGUE ET LES ACTIONS


Il est important de distinguer la mise en intrigue et la tension narrative. Jean-Michel Adam est
celui qui travaille le plus sur cette distinction. Pour lui, la mise en intrigue est ce qu’il se passe
à chaque fois qu’il y a un problème, une crise, dans le récit, dès qu’une chose nécessite une
quête. Quand il y a un nœud, il y aura sûrement un dénouement donc la mise en intrigue est
déterminée par le couple nœud/dénouement. À côté de ça, la tension dramatique ou
narrative représente toutes les marques de « suspens », lorsqu’on se demande ce qu’il va se
passer, des moments où l’on créé un arrêt.
Baroni a également travaillé la tension narrative et la
définit en disant que pour le récepteur, ce qui l’intéresse
ce n’est pas tellement l’intrigue mais bien la tension
narrative. Il dit qu’il y a quatre types de tensions narrative.
Il y a tout d’abord la curiosité : une anticipation mêlée
d’incertitude sur un diagnostic, une incertitude sur les
motivations d’un personnage. Ensuite, il y a le suspense qui est une anticipation mêlée
d’incertitude qui se fonde cette fois sur un pronostic, on se demande ce qui va venir. Le
suspens peut être par contradiction. Le rappel est l’anticipation liée à l’attente du retour
d’évènements connus : relire en sachant ce qui va se passer mais en espérant toujours un

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Charlotte Deprez - UCL
changement. Pour finir, la surprise est lorsqu’on ne s’attendait pas à un évènement, c’est
l’infirmation d’une anticipation.
Pour revenir à la mise en intrigue, Propp a travaillé sur l’analyse de la quête dans Morphologie
du conte en analysant tout ce qui est constitutif de ce qu’il appelle le conte merveilleux
traditionnels russes. Il a regardé plusieurs contes et essayé de sortir des éléments toujours
similaires. Il essaye de trouver un scénario qui revient, bien sûr avec des variantes, en
distinguant 31 actions communes à tous les contes : ce sont les fonctions narratives de Propp.
Ces fonctions narratives sont selon lui les unités narratives minimales. La pertinence de son
travail est qu’il a bien compris qu’il y a des éléments similaires dans tous les récits avec
énormément de travaux qui ont suivi dans cette voix-là. Cependant, avec ces fonctions, on
limite le texte à cela, de plus certaines actions types sont peut-être de trop. Alors, Bremond,
Greimas et Larivaille vont chercher un schéma plus abstrait et simple.
Greimas et Larivaille ont aboutis à un schéma quinaire composé dans cet ordre : une situation
initiale, un élément déclencheur, une évolution psychologique avec des actions, un
dénouement et pour finir une situation finale. Ce schéma va évoluer en état initial, une force
perturbatrice comme une guerre ou une perte, ensuite la dynamique ou l’action suivie d’une
résolution et d’un état final. Greimas et Larivaille disent alors que tout récit est une
transformation d’un état en un autre.
Il est intéressant d’ajouter à ce schéma la notion de séquences narratives. Bremond veut
étudier comment des séquences narratives se mettent dans un récit en sachant que la
séquence est un schéma quinaire composé d’une unité de temps, de lieu et d’action. Selon
lui, la séquence narrative est toujours la passage d’une virtualité à un achèvement ou un
inachèvement. En d’autres termes, pour reprendre l’exemple de la chanson de Renaud, la
virtualité est le moment où Gérard Lambert a une panne de moto. Il fait tout pour réparer
cette dernière, passant donc à l’acte, mais il n’y parvient pas et arrive sur un inachèvement.
Cependant, une autre virtualité arrive avec la personne qui vient l’ennuyer, il passe à nouveau
à l’acte et, en le tuant, il y a un achèvement. Les séquences narratives sont donc une manière
d’analyser finement un récit.
Baroni précise que dans une intrigue, il n’y a pas
un nombre de problèmes infinis : il affirme qu’il y
a trois grands types d’histoire possibles avec la
catastrophe, le conflit et l’action planifiée. Les
histoires se développent ensuite selon la
virtualité, le passage à l’acte ou non et le résultat.

Dans Madame Hayat d’Ahmet Altan, le personnage principal est un étudiant en littérature et
entend son prof dire « La littérature, en vérité, se nourrit de ces cinq grandes passions
humaines dont l’unique et commune source est le désir de possession ». Il y a au départ de
tout récit l’idée du pouvoir, l’envie de posséder quelque chose : l’amour, le corps de
quelqu’un… Il y a cette volonté de pouvoir, d’emprise, présente dans tout récit. Et c’est vrai

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Charlotte Deprez - UCL
que tout récit repose sur une quête, une conquête, avec l’envie d’une emprise, d’un pouvoir
ou d’une possession. Alors, cette hypothèse mérite d’être creusée.
Les séquences narratives peuvent avoir différentes formes de relations. Les relations entre
deux séquences peuvent être logique avec une séquence qui entraine une autre. Par exemple,
une première étape consiste à franchir un ravin, il y a un passage à l’acte avec un système
particuliers, puis une satisfaction. Dans la deuxième étape pour libérer la princesse, il se bat
contre un dragon : on voit comment la même quête peut donner naissance à plusieurs
séquences différentes. Les relations peuvent être simplement temporelles en n’ayant rien à
voir ensemble mais elles se succèdent. La troisième relation est la relation hiérarchique avec
une macro-séquence qui domine une série de micro-séquence, qui est souvent assez proche
de la relation logique avec la quête principale et les quêtes secondaires. Roland Barthes
distinguait dans les séquences deux types d’actions avec les actions qu’il qualifie de cardinales,
noyaux ou les fonctions secondaires, catalyses : il y a toujours une cohérence dans le sens avec
le terme fonction tiré de Propp, une logique structurelle dans le récit. La fonction cardinales
est essentielle, nécessaire au basculement de l’intrigue permettant de passer du nœud au
dénouement. Par exemple, un dénouement à lieu quand James Bond parvient enfin après un
combat à battre le méchant. Les fonctions secondaires, elles, jouent un rôle clé dans la tension
narrative ou dramatique ; elles ne vont pas faire changer le cours de l’histoire mais vont avoir
un impact sur le lecteur. Par exemple, James Bond est dans une situation délicate et va réussir
à doucement attraper une arme : c’est un micro-moment de suspens qui ne fait pas basculer
l’intrigue mais qui vient alimenter la tension narrative. Cependant, à la première lecture on ne
peut pas dire si c’est le noyau ou une fonction secondaires car une action qui peut paraitre
secondaire peut devenir centrale après.

B. LES PERSONNAGES
On peut analyser les personnages au départ du schéma narratif ; Greimas fera le schéma
actanciel. Il dit que dans tout récit défini comme une quête, les personnages peuvent être
classé dans six grandes classés, les actants, des catégories logiques de personnages, structurés
en trois axes. Il y a l’axe du vouloir ou du désir avec le sujet et son désir : l’objet, c’est par
exemple la princesse. L’axe du pouvoir c’est la relation qui va se tourner autour du héros soit
pour l’aider à réaliser son projet soit pour contrecarrer son projet : il y a les adjuvants qui aide
le sujet et l’opposant qui se confronte à lui. Il ne faut pas tomber dans la carricature car
l’opposant peut devenir adjuvant ou l’adjuvant devenir opposant. Par exemple, dans tintin au
Tibet on pense que le yéti est l’opposant alors qu’il a sauvé Chan et est un adjuvant. Pour finir,
il y a l’axe du pouvoir ou de la communication avec le destinateur qui donne la quête au sujet,
comme le père de la princesse, et le destinataire qui reçoit l’objet de la quête et qui peut être
destinateur, sujet… La quête, elle, est le centre du schéma actanciel, le nœud de l’intrigue.

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Il faut distinguer les actants des rôles thématiques, des personnages définit par leur identité
professionnelle comme la princesse, le prêtre… Bremond dit lui qu’on peut distinguer les rôles
principaux selon une analyse psychologique avec le patient, qui se fait trainer dans le texte
comme Candide, l’agent, qui agit en permanence comme James Bond et l’influenceur, qui peut
être positif ou négatif. Cela ne s’oppose pas à l’idée de schéma actanciel : c’est une autre
manière de le lire.
Hamon, lui, distingue et hiérarchise les personnages selon six paramètres. Le premier critère
est la qualification différentielle en regardant si les personnages ont des qualifications
nombreuses, si certains en ont moins que d’autre, avec un héros et un mauvais souvent très
caractérisés. Il y a également la distribution référentielle : on regarde si les personnages
interviennent souvent. L’autonomie différentielle permet de voir si les personnages sont
autonomes ou pas, s’ils interviennent dans un réseau. Par exemple, Tintin est toujours entouré
et aidé. La fonctionnalité différentielle se base sur le degré de réussite des personnages, si les
personnages parviennent à réussir à tous les coups ou s’ils ne réussissent jamais. La pré-
désignation conventionnelle se base sur la façon de désigner les personnages avec des
surnoms particuliers mettant en avant une particularité ou juste par le nom et le prénom. Il y
a aussi des personnages qui ne sont jamais nommé, cherchant à garder une énigme, mais
également une sorte d’universalité. Par exemple, il est rare qu’on appelle Superman par son
vrai nom. Pour finir, il y a les commentaires explicites : on regarde s’il y a des commentaires
explicites sur les personnages, si on les évalue. Le narrateur peut même pousser le lecteur à
prendre position sur le personnage.
Une autre distinction est de distinguer le personnage du point de vue du regard posé sur lui :
il y a des personnages qui agissent, mais dont on ne sait pas ce qu’ils pensent. Il y a les
personnages focalisateurs, ceux dont on connait la sensibilité, les personnages où on a une
projection de leur esprit. Pour finir, il y a le narrateur : quand le personnage est à la fois acteur
et narrateur.
Vincent Jouve travaille lui sur les effets-personnages : il analyse les personnages du point de
vue de l’effet qu’ils provoquent sur le lecteur. Il reprend la théorie de Picard avec le lu, lectant
et liseur. Il laisse tomber le liseur en disant qu’il n’a pas d’influence sur le récit, alors que le lu
est la phase plus émotionnelle du lecteur et le lectant sa phase plus savante ; des phases que
le texte peut faire passer. Ayant donc redéfinit la trilogie de Picard, il considère qu’il y a trois
dimensions sur lecteur que le personnage peut activer. Pour lui, le lisant c’est quand quelque
chose dans le récit suscite des effets émotionnels dont on a conscience en lisant. C’est
l’instance émotionnelle du lecteur. Ici, le personnage peut être lu comme quelqu’un qui a l’air
vrai, qui ressemble à une personne de la réalité, comme James Bond, même si on sait que
c’est une fiction. Le personnel c’est lorsqu’on regarde le personnage à distance, comme
faisant partie du schéma actanciel : on voit James Bond non plus comme un personnage
sympathique mais comme sujet, on se situe dans le lectant. Quand le personnage permet de
support aux désirs fantasmatiques, une belle jeune femme dans un récit par exemple, on ne
maitrise pas ce qui arrive, on est dans le fantasme et le personnage devient un prétexte à vivre
des sentiments, se situant dans le lu. On voit bien que ces trois manières d’analyser les
relations du lecteur avec les personnages du roman peuvent être transférer à la vie réelle.

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Jouve définit aussi quatre savoirs des personnages : le savoir-faire, le savoir dire, le savoir
vivre, un personnage respectueux et élégant, et le savoir jouir, des personnages qui savent
profiter de la vie. Pour finir, on peut les classer selon leur libido, les désirs qui les animes. Il y
a la sentiendi, la sensibilité, la sciendi, l’envie de savoir et d’apprendre, et la libido dominandi,
l’envie de dominer, de posséder.

C. L’ESPACE
Pour analyser l’espace, on peut relever et comparer. Pour ça, on regarde le nombre et la
diversité des lieux, la manière dont ils font système et sens entre eux avec des espaces
confinés et rassurant et l’espace ouvert de tous les possibles par exemple. On peut aussi
observer leur valeur par rapport au statut des personnages : par exemple chez Balzac on a des
personnages qui ne bougent pas, qui restent dans un même lieu influençant sur le personnage.
Pour finir, il y a le lieu avec des actions, dialogues et descriptions. Plus un lieu est fermé, plus
on a des relations intenses, plus un lieu est ouvert, plus l’action et les mouvements
spectaculaires sont favorisés.
Les lieux peuvent avoir diverses fonctions. Ils peuvent ancrer le récit dans le réel, avoir une
dimension universelle. Par exemple, la prison peut être symbolique de l’intimité et de la quête
de soi-même, mais aussi créer un univers imaginaire plus ou moins réaliste comme chez
Tolkien ou dans Dune. Par exemple, chez Balzac on décrit Madame Vauquer en disant « toute
sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne ».

D. LE TEMPS
Pour analyser le temps, il faut se demander si le temps dans le récit est un ancrage réel ou
non, regarder si les indications temporelles précises sont conformes au calendrier. C’est rare
qu’on retrouve beaucoup d’informations de datation dans les récits, mais on peut en
retrouver par exemple dans des journaux intimes dans l’histoire. On peut dans certain cas
retracer le calendrier d’un roman : regarder quand il commence, quand tel chapitre se
déroule… On voit combien de temps l’histoire dure du début à la fin. Il y a aussi les espèces de
temporalité avec beaucoup de chose qui se passent au présent depuis Camus et L’étranger,
mais aussi le passé, le futur, le temps brouillé, l’uchronie, c’est-à-dire le temps du « il était une
fois ». Les fonctions possibles du temps se définissent par la diversité des effets : le temps
apparait comme long ou bref, comme limité ou non, comme structuré par des oppositions
passé/présent ou non, comme dans Titanic où Rose est maintenant plus âgée et se rappelle
de son histoire sur le bateau à 17 ans, et comme collectif ou centré sur une famille ou un
individu.

6.3. La narration

A. LES POSTURES DU NARRATEUR


Un narrateur peut simplement raconter l’histoire en se laissant dévoiler, mais peut aussi
montrer l’histoire sans se montrer lui-même. Le mode du raconté est celui dans lequel le
narrateur ne dissimule pas sa présence. On retrouve ceci dans L’ombre du vent. Cela s’oppose

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Charlotte Deprez - UCL
au mode du montrer avec une histoire qui se raconte par elle-même avec un narrateur
invisible. Quand on est dans le montrer, on parle de scène : on est comme sur une scène, on
a une domination du montrer. Quand c’est le raconter qui domine, on parle plutôt de
sommaire. Les paroles des personnages sont un élément important pour voir la place du
narrateur. Pour rapporter ces dernières, le narrateur peut adopter un style direct où on passe
du raconté au montré, un style indirect où le narrateur intègre le discours du personnage dans
son propre discours ; on résume les paroles d’un personnage dans le propos du narrateur. Le
cas intermédiaire est le style indirect-libre avec un narrateur qui garde la parole, mais avec un
résumé exact de ce qu’a dit le personnage qui s’intègre dans le style indirect. On enlève les
marques d’enchâssement autonomisant le discours du personnage, mais les temps ne sont
pas les temps du présent et on reste dans le discours indirect ; Flaubert était un expert de ce
style.
Le narrateur va aussi choisir les perspectives en se tournant vers une perspective objective
sans traces du narrateur ou bien une perspective subjective avec une focalisation sur un
personnage ou le narrateur. Par exemple, dans L’amour de Duras, l’amour est exprimé de
façon peu classique avec une grande distance ; il n’y a pas de marque d’émotions, le texte est
extrêmement descriptif. En parallèle, dans Le père Goriot, le narrateur joue à raconter que
l’histoire est vraie et joue avec émotion.
Il existe cinq fonctions du narrateurs. On retrouve tout d’abord la fonction communicative, où
le narrateur explique ce qu’il fait en dévoilant ses cartes au narrataire, qui s’illustre par
exemple dans Tristram Shandy. Il y a ensuite la fonction métanarrative, similaire à la
communicative mais avec des commentaires sur la structure de l’histoire, présente dans Le
Père Goriot. Dans ce roman, on retrouve une troisième fonction, la testimoniale ou
modalisante, cette fonction se retrouve quand le narrateur témoigne et donne ses émotions.
Il y a également la fonction explicative dans Moby Dick où le narrateur nous donne des
explications sur ce qu’il se passe. Pour finir, on retrouve la fonction généralisante ou
idéologique présente dans Illusions perdues ; ici le narrateur nous donne sa perception
générale.
Le narrateur peut être absent de l’histoire et donc hétérodiégétique ou présent et donc
homodiégétique. Si le narrateur est hétérodiégétique, il n’y a pas de marque de sa parole, il
ne parle pas au lecteur. S’il est homodiégétique, on voit un « je » omniprésent, mais le
narrateur homodiégétique ne s’illustre pas forcément par un « je ».
Il y a encore deux distinctions à faire avec une distinction de niveaux, hors de ou dans l’histoire.
On a alors le narrateur extradiégétique où le narrateur n’est pas du tout dans l’histoire,
comme dans Le vieil homme et la mer, où le narrateur est externe. Ou alors le narrateur est
intradiégétique, comme dans À la recherche du temps perdu, où le narrateur est interne : il
est dans l’histoire. Mais est-ce que le narrateur présent dans l’histoire agit ou est-ce qu’il est
simplement quelqu’un qui raconte ? Être dans l’histoire ne fait pas forcément du narrateur un
personnage : il peut être voix off ou personnage. Par exemple, dans La peste de Camus, il n’y
a pas un seul « je », laissant penser à de l’extradiégétique, sauf que dans la deuxième partie
du roman, un personnage se révèle être narrateur et donc intradiégétique. Alors, dans la

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Charlotte Deprez - UCL
première partie de la peste le narrateur est hétérodiégétique et dans la seconde
homodiégétique.
Il y a donc trois cas de figure avec un narrateur qui peut être extradiégétique ou
intradiégétique, ce narrateur intradiégétique pouvant être hétérodiégétique ou
homodiégétique.
Benveniste dit qu’en fonction du type de narrateur qu’on a, on aura un style de parole
différent. Si le narrateur est homodiégétique, il y a une prédominance du discours, de la
déictiques, des marques des 1re et 2e personnes, un emploi du présent et du passé composé.
Si le narrateur est hétérodiégétique, il y a une prédominance du récit avec des marques de la
3e personne et un emploi dominant du passé simple et de l’imparfait.
En plus de savoir qui raconte, il faut savoir qui perçoit, sur qui la focalisation se fait. Quand on
analyse la focalisation, on parle aussi de la perspective. Ces termes veulent dire la même chose
avec une distinction entre trois perspective. Il y a la vision par derrière, ou focalisation zéro,
comme le narrateur balzacien dans Le père Goriot où le narrateur se donne tous les pouvoirs.
C’est un « je » qui parle, un narrateur qui est focalisateur. Il y a la vision avec, ou focalisation
interne, on voit l’histoire avec un personnage tout comme le narrateur, c’est l’exemple de Lac
d’Echenoz. Pour finir, il y a la vision du dehors, la focalisation externe qui ne passe par aucune
conscience repérable comme dans L’amour de Duras.
Il faut également distinguer plusieurs instances narratives, l’articulation entre une forme de
narrateur, hétérodiégétique ou homodiégétique, et une perspective. On a en premier cas de
figure la narration hétérodiégétique passant par le narrateur. Par exemple, dans Notre Dame
de Paris, Victor Hugo est repérable puisqu’il dit « je », mais ce n’est pas un personnage, il
n’intervient pas en tant que narrateur, il prend une distance historique dans deux chapitres.
Il y a ensuite la narration hétérodiégétique passant par un ou plusieurs personnages. Dans le
même roman, on passe dans les pensées d’un des personnages, Quasimodo. C’est la narration
d’Hugo, mais les pensées d’un des personnages qui est focalisateur. Il y a la narration
hétérodiégétique neutre où on ne connait pas les sensations. Il y a également la narration
homodiégétique passant par la narrateur comme dans A la recherche du temps perdu. Pour
finir, il existe aussi la narration homodiégétique passant par un ou plusieurs personnages
comme dans Les lauriers sont coupés de Dujardin. Il est évidemment impossible d’avoir une
narration hétérodiégétique passant par plusieurs personnages.
Il existe également différents niveaux narratifs avec deux phénomènes intéressants. Il y a tout
d’abord les récits emboités, le procédé classique du récit enchâssé dans un autre récit. Un
exemple très connu est celui des Mille et une nuits, mais aussi de nombreux contes de
Maupassant. Ce procédé tout à fait classique peut parfois donner lieu à une variante assez
particulière : un roman peut commencer avec les paroles d’un narrateur qui affirme qu’il n’a
pas écrit cette histoire, c’est un manuscrit trouvé. Ici, l’auteur ne se dévoile pas, donnant un
côté assez mystérieux au texte et une protection à l’auteur. Un cas célèbre autre que Candide
est Le nom de la rose où Eco affirme dans un long chapitre que cette histoire n’est qu’un récit
trouvé, nous racontant tout le circuit que le manuscrit a fait. Cela créé un effet de parodie et
de suspens en accordant une importance à ce manuscrit. Lucien Dällenbach s’est lui consacré

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Charlotte Deprez - UCL
aux jeux de mise en abyme : cela se produit lorsque dans un récit on voit une scène où un
micro-récit se met en place, mais ce micro-récit reflète l’ensemble du grand récit. Un exemple
connu est Dans le labyrinthe de Robbe-Grillet ou alors Abymes de Mangin et Griffo. L’autre
niveau narratif est la métalepse : les glissements entre le plan de la diégèse et le plan de la
narration. Le narrateur ne se confond pas en principe avec ce qu’il raconte, même s’il peut
être un personnage. Dans la métalepse, le narrateur se présente comme distant, mais va par
moment se plonger dans l’histoire. Un exemple célèbre est un roman de Roubaud :
L’enlèvement d'Hortense. On se retrouve dans ce roman dans la fonction métanarrative et
communicative, mais en plus le narrateur fait croire qu’il est assis un peu plus loin que les
personnages dans le bar.

B. LE TEMPS DE LA NARRATION
Il existe quatre cas de figure possible dans le temps narratif. La narration peut être ultérieure
en racontant après les faits avec une narration au passé, le cas le plus courant. Elle peut être
antérieure en racontant l’histoire avant les faits, un cas assez rare mais qu’on retrouve dans
par exemple Dans ma maison. Un troisième cas est celui de la narration simultanée avec un
narrateur qui se projette dans la conscience du personnage, c’est l’illusion du récit sur le vif
avec un récit qui se raconte à la première personne et au présent. Cette narration simultanée
est présente fréquemment dans le journal intime, dans les autres genres, elle est moins
naturelle. Pour finir, il y a la narration intercalée où on raconte de l’avant, du pendant et de
l’après, l’exemple type est celui du journal intime. Il y a des effets liés aux variations avec des
passages brusques de l’ultérieur au simultané.
Il y a dans un récit un rythme, une vitesse. Pour calculer ce dernier, on prend la temporalité
de la fiction, l’histoire racontée, et à côté de ça le temps de la narration qu’on calcule en
regardant le nombre de page, le nombre de signe, la quantité verbale utilisée. Si le temps de
la fiction est au-dessus de celui de la narration, il y a quatre cas de figure possible. Il y a le
temps de l’ellipse avec un temps de la fiction important et un temps de la narration vide car
on ne raconte pas ce qu’il se passe. Un deuxième cas est le sommaire, extrêmement courant,
lorsqu’il y a un certain temps évoqué raconté en quelques lignes, quelques paragraphes : on
lit vite ce roman par rapport à sa durée. Le troisième cas de figure est la scène, lorsqu’on a des
dialogues. À ce moment-là, il y a une quasi-correspondance entre le temps de la fiction et le
temps de la narration. Le dernier cas de figure est quand quelque chose ne dure pas longtemps
dans le temps de la fiction, mais que le narrateur s’étend avec des descriptions et intervention
du narrateur. Quand on fait des sommaires et ellipses, on veut faire avancer l’histoire plus vite
ou bien créer du mystère ou du suspens, les descriptions peuvent également faire monter un
certain suspens : on voit l’importance d’analyser le rythme d’un roman.
Un troisième problème temporel est la fréquence qui se divise en trois grandes possibilités.
La première est le mode singulatif : à chaque fait, sa narration, il se passe un évènement et on
le raconte. Mais, il y a aussi le mode répétitif : il y a une narration multiple d’un même fait.
Par exemple, dans un récit policier, le même fait est raconté plusieurs fois selon les témoins.
Un autre exemple est Le bruit et la fureur de Faulkner qui met en scène chaque évènement
du livre par des narrateurs différents. Le troisième mode est le mode itératif avec plusieurs
faits différents racontés en une fois : c’est la narration unique d’un ensemble de faits. Par

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Charlotte Deprez - UCL
exemple, si un personnage fait la même chose tous les jours, on ne va pas le répéter chaque
jour. Cette composante sert à voir les variantes et à comprendre pourquoi on nous répète des
choses par exemple.
La quatrième composante est l’ordre. Il y a tout d’abord l’ordre chronologico-logique où tout
est raconté dans l’ordre, mais il est rare qu’un roman soit entièrement raconté selon cet ordre.
Il y a souvent des formes de ruptures, des anachronies. Ces dernières peuvent être des
anticipation, des prolepses, où un personnage anticipe ce qu’il va se passer. Il y a également
la rétrospection, l’analepse ou le flash-back : il y a un retour en arrière. Ces anachronies
peuvent être variables dans un récit et ne sont pas forcément objectives : par exemple, le
personnage n’est peut-être pas objectif sur son flash-back. La portée ou la distance de
l’anachronie peut être plus ou moins éloignée, tout comme l’amplitude avec un flash-back qui
peut être un souvenir précis, une idée particulière, mais qui peut aussi être toute une histoire
racontée. Les anachronies servent à expliquer l’histoire des personnages, des évènements,
mais aussi à créer le suspens.

6.4. La mise en texte

A. LE JEU DES TEMPS


Les temps verbaux vont dans un récit servir dans la mise en relief. Globalement, l’imparfait en
français sert de temps d’arrière-plan tandis que le passé simple est le temps de l’avant-plan.
Tout peut également se faire au présent avec un effet de direct, d’actualité, de tension plus
fort, alors qu’une histoire écrite à l’imparfait ou au passé simple met le texte plus à distance.
Le passé composé n’est pas beaucoup utilisé dans les récits, sauf dans les récits contemporains
comme L’étranger de Camus. On peut étudier les usages particuliers du temps comme les
usages du futur qui servent parfois à prédire des évènements, montrant que le temps créé
des ruptures mais aussi des accentuations.

B. LA PROGRESSION THEMATIQUE
La progression thématique c’est l’articulation entre le thème et le rhème. Le thème est le sujet
abordé, de quoi je parle, et le rhème, ou le propos, est l’information nouvelle. Dans toutes
phrases qu’on prononce, il y a des éléments déjà connu et des éléments nouveaux. Il y a trois
types de progression thématique avec le thème constant : c’est lorsqu’un même thème
domine tous les énoncés. Il y a également les thèmes dérivés lorsque le thème engendre une
série de sous-thèmes comme la présentation des personnages au début de Candide de
Voltaire. Le troisième cas de figure est le thème linéaire, quand il y a un décrochage dans
chaque phrase : chaque rhème est le thème de l’énoncé suivant. Un exemple de thème
linéaire est L’amant de Duras.

C. DESIGNATION DES PERSONNAGES ET COREFERENCE


La manière de présenter les personnages dans un texte à une importance, surtout la façon
dont on les désigne en choisissant d’utiliser des noms, prénoms, noms complets, un statut, un
pronom… Ces désignateurs évoluent dans l’histoire ; par exemple dans Germinal on parle d’un

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Charlotte Deprez - UCL
personnage en l’appelant « un homme », puis « l’homme », ensuite il se présente comme
s’appelant « l’entier » et pour finir, on l’appelle « Etienne ». Il y a une héroïsation du
personnage, on le rend plus personnel avec une intimité plus grande entre le lecteur et lui.
Avec cette évolution, on renforce l’identification des personnages. Il arrive aussi qu’on nous
désigne tout de suite le nom d’un personnage. Il est aussi intéressant de voir l’ordre de ces
désignations : on peut avoir un ordre anaphorique avec un renvoie au déjà nommé comme
Etienne. Mais on peut aussi avoir un ordre cataphorique qui crée l’attente, voire l’énigme, de
la nomination, comme quand on emploi « l’homme ».
Les désignateurs peuvent faire l’objet de brouillages, on emploi des faux inconnu ou faux
nouveaux personnages alors qu’on les connait très bien, comme M. Madeleine dans Les
misérables qui est Jean Valjean. Parfois, un même nom est donné à des personnages différents
comme le nom Quentin dans Le bruit et la fureur. On peut aussi avoir une déstabilisation de
l’identité des personnages quand on nomme les personnages uniquement par un pronom ou
un initiale comme K. dans Le château de Kafka. Dans certains romans, on ne retrouve que des
« ils » et des « elles » et c’est au lecteur de comprendre qui est qui.

D. CHOIX RHETORIQUES ET STYLISTIQUES


Il y a dans les récits beaucoup de figures de style et de figures rhétoriques. On les utilise
surtout pour parler de la poésie et de la poétique, mais elle vaut aussi pour les romans. On a
tendance à de nos jours penser qu’il y a moins de stylistique, attirant moins d’écrivain de
prose. Il est donc intéressant d’analyser les cas où il y a des figures de style dans un roman.
Par exemple, le zeugma est une figure de style où on associe un élément concret et un élément
abstrait. Dans un roman de Delteil, Sur le fleuve amour, on retrouve l’usage d’un zeugma dans
un but ludique, mais aussi pour montrer l’habilité narrative de l’auteur. Il est aussi intéressant
de distinguer les tendances à la métaphore et à la métonymie : la métaphore sert à remplacer
une chose par une autre tandis que la métonymie est le fait de remplacer une chose par un
élément qui lui est contigu. Selon Jakobson, le fait de remplacer un élément par un autre qui
lui ressemble, la métaphore, est un élément typique de la poésie tandis que la métonymie est
typique de la prose.

E. CHAMPS LEXICAUX ET CHAMPS SEMANTIQUE


Le champ sémantique est l’ensemble de sens qu’un terme prend dans un énoncé : c’est
lorsqu’un mot prend plusieurs sens dans un texte. Par exemple, le mot « lumière » prend
divers sens dans les récits, c’est un mot avec une amplitude sémantique. Un champ lexical ou
thématique est, lui, l’ensemble des mots relatifs à une notion, un objet, une personne. Par
exemple, le champ lexical entourant l’école sera composé de mots comme prof, élève, classe…
Ce qui distinguera un champ lexical au sens strict du terme d’un champ sémantique sera que
dans le champ lexical, la racine sera la même. Le lexical est alors une spécialisation du
thématique. Ce sont des outils clés pour analyser des récits et des textes en général.

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Charlotte Deprez - UCL
6.5. Les genres narratifs

Pour classer les différents genres, il existe trois typologies. On va tout d’abord regarder la
forme avec les récits épistolaires, les journaux, les enquêtes ou bien si le récit est écrit à la
première ou troisième personne. Une deuxième manière de classer les genre est la
thématique : on divise les récits réalistes, policiers, historiques, fantastiques, biographiques…
Ce classement se réalise dans les mondes du récit. Pour finir, on peut regarder à la fois
l’univers raconté et la manière dont cela est raconté, mixant le formel et le thématique. Ici on
distingue le mythe, l’épopée, le conte, le roman et la nouvelle : ce sont les genres narratifs.

A. AU COMMENCEMENT ETAIT LE MYTHE


Le genre le plus ancien est le mythe, présent dans toutes les civilisations. Un grand chercheur
du mythe est Eliade qui considère que le mythe est un récit sacré des origines, porteur de
vérité et fondateur des rites. Alors, le mythe est forcément lié au religion en présentant des
personnages liés au divin. Puisque les récits mythiques tournent autour du divin, ils parlent de
vérité au sens de vérité éternelle, de l’ordre de l’anthropologie. Le mythe par ailleurs est un
récit considéré comme tellement important qu’il sera repris, réapproprié : il est sujet à des
rites. Dumézil, un autre chercheur, précise que le mythe est un récit propre aux sociétés peu
organisées, des sociétés avec peu d’écrit. Le mythe c’est évidemment étendu au-delà du
religieux : il y a eu un développement de mythes littéraires comme Tristan et Iseult. On
retrouve une mythologisation de personnages, d’objets et de faits du monde réel : on sacralise
certains éléments. Quoi qu’il en soit, la matière mythique est le fondement de nombreux récits
et une source majeure de la fascination liée à la littérature. Quand des grands écrivains
utilisent des mythes, il y a une matière à la littérature, mais en plus la littérature crée de
nouveaux mythes à partir de cela.

B. L’EPOPEE
L’épopée, c’est l’histoire de récits fabuleux d’un héros militaire. Il y a des actions militaires et
viriles : on retrouve peu d’épopée féminine. Dumézil met en avant l’idée que l’épopée est un
genre propre aux sociétés organisées avec un ordre, une armée présente pour tenir les autres.
L’épopée sert alors à cautionner une société, souvent très inégalitaire. Alors, l’épopée par
rapport au mythe met en évidence une sécularisation du récit avec une forme de concret
comparé aux dieux. On retrouve néanmoins des héros épique qui sont des êtres d’exception,
à mi-chemin des dieux du mythe et des personnages ordinaire du roman. Même à leur mort,
ces personnages restent épique comme Roland dans La chanson de Roland qui est récupéré
par l’ange Gabriel. Il existe des tas d’épopées, pas uniquement les anciennes : on retrouve des
épopées contemporaines très présentes dans la fantasy ou la science-fiction. L’on peut alors
citer Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux. Ces épopées n’existent pas que dans la littérature,
on retrouve par exemple les chroniques sportives lors de la coupe du monde. L’épopée a
divers traits constitutifs à analyser. Il y a tout d’abord la diégèse avec souvent des personnages
et épisodes types, des combats très nombreux, tout comme les interventions divines. La
narration du point de vue du narrateur dans un récit épique est généralement externe, mais
le narrateur est omniscient et il a une façon de parler orale avec un temps très étiré : l’épopée

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est faite pour être dite. Pour finir, du point de vue de la mise en texte, il y a beaucoup de
répétitions pour être sûr que tout est compris ; il y a des périphrases, des parataxe avec une
écriture composée de phrases relativement courtes, beaucoup d’hyperboles et de clichés.

C. LE CONTE
Il existe plusieurs types de contes, pour être précis, trois types de contes. On retrouve le conte
populaire très familier contenant des marques de l’oral et un vocabulaire simple, on le raconte
généralement à la veillé. La plupart des contes sont à l’origine un conte populaire avec des
marques propres à la culture avant d’évoluer. Il y a également un conte littérarisé : c’est
lorsque des contes sont mis dans la bouche des personnages. Par exemple, dans Contes et
nouvelles de Maupassant, on retrouve ce principe. Alors que le conte populaire est souvent
merveilleux, le conte littérarisé est plutôt de l’ordre du réalisme. Pour finir, on a le conte
littéraire ou la nouvelle : bien que l’histoire soit mise dans la bouche de personnage, on ne
retrouve plus de marque d’oralité, on a généralement une histoire assez courte avec l’idée
d’une morale. Il y a également des contes merveilleux littérarisés : c’est les contes populaires
écrits en belles proses ou en beau vers où on peut ajouter un message plus adulte comme
dans Le Petit chaperon Rouge de Perrault.
Le conte est caractérisé par son oralité : il est soit raconté pour le populaire ou présenté
comme raconté pour le littérarisé. Le conte a une structure récurrente, ce n’est-pas pour rien
que Propp étudie une structure propre aux contes populaires russes. Il y a également une
dimension morale qui est vraiment visible dans le conte comparé aux autres genres. Le conte
a également deux fonctions : il peut être psychologique avec un assouvissement imaginaire
des désirs refoulés avec la belle au bois dormant qui se réveille par exemple. La satisfaction
peut être sociale également : le conte est fait pour être raconté à un groupe renforçant la
cohésion de groupe et une émancipation individuelle. Le conte met généralement en place
des personnages ordinaires. L’idée du conte est alors que, même si on n’est pas quelqu’un de
connu, par son courage et son intelligence, on peut être le héros.
Il n’y a pas que Propp qui a travaillé sur le conte : on peut également citer Alan Dundes en
premier lieu. Dundes travaille sur le corpus nord-américain et simplifie la typologie de Propp :
les 31 « fonctions » se réduisent à trois séquences obligatoires. Il y a tout d’abord l’interdiction
et la transgression, ensuite l’assignation d’une tâche et son accomplissement et pour finir la
manœuvre de tromperie et la victime trompée. Alors ce que dit en quelque sorte Dundes est
qu’il faut prendre plus au sérieux les micro-séquences. Une autre typologie est celle de Denise
Paulme qui s’est essentiellement intéressés aux contes africains . Pour elle, la structure a cinq
structures types. Il y a tout d’abord le conte ascendant où le personnage évolue vers
l’amélioration comme Le Petit Poucet où le personnage sauve ses frères et ses sœurs et aide
ses parents. Il y a le conte descendant, l’inverse, où l’histoire se termine mal comme Le Petit
Chaperon Rouge de Perrault où les personnages meurent. Un entre-deux est le conte cyclique
avec une fin qui fait un retour au point de départ comme dans Le Petit Chaperon Rouge de
Grimm où la grand-mère et la petite fille sont sauvées. Une autre structure est le conte en
sablier avec un personnage qui améliore son sort tandis qu’un autre voit le sien régresser. Un
exemple se trouve dans le Conte du Grall avec les quêtes de Perceval, où le personnage
progresse, et les quêtes de Galaad, où le personnage régresse. Pour finir, il y a le conte en

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Charlotte Deprez - UCL
miroir où deux personnages opposés évoluent de manière opposée, mais leurs parcours
s’entrecroisent au lieu de se succéder. L’exemple type est Tamino et Papageno dans La flûte
enchantée où l’histoire de Tamino qui vit son parcours afin de se marier est mise en parallèle
à celle de Papageno qui évolue dans un univers tout autre. D’un côté, on a un personnage type
du mythe, Tamino, et un personnage type du conte populaire, Papageno. On voit bien ici que
les deux histoires ne s’opposent pas, elles sont juste sur des plans différents.

D. LE ROMAN
Le roman a différents critères, mais assez limités. Effectivement, le roman est un récit, mais il
existe plein de roman où la part de récit est réduite. C’est un texte littéraire, mais il existe
aussi des romans dit « de gare » qui pour énormément de lecteurs ne font pas partie de la
littérature. C’est un texte de fiction, mais certains romans sont entièrement vrais ; on peut
alors se demander quel est le départ entre la fiction et la réalité avec l’idée que la notion de
fiction doit être généralisé : raconter certains évènements de notre journée, c’est
fictionnaliser. C’est un texte en prose, mais à l’origine, c’était en vers comme Tristan et Iseult,
le conte du Graal… C’est un texte d’une certaine longueur, mais certains romans font 100
pages : ils sont alors dans une intersection entre le roman et la nouvelle. Pour finir, un roman
fait normalement recourt à des techniques hétérogènes, mais certains récits ont des
descriptions, des dialogues ou des analyses dominants dans le récit, mais aussi parfois absents.
Les hypothèses sur l’origine du roman sont variées. Dumézil dit que le roman médiéval
apparait comme réaction contre l’épopée dans le sens où dans le roman on entre dans
l’intime, l’individuel. Dans La chanson de Roland, on se bat pour un peuple, mais dans Tristan
et Iseult, c’est une histoire entre deux personnes plus individuelles. Le roman devient aussi
plus profane en se tournant vers des questions plus sociales. Bakhtine, lui, insistait beaucoup
sur Rabelais qui incarne selon lui l’ouverture à l’altérité et aux usages populaires : pour lui, il
est le premier grand romancier. Ici, le roman devient le lieu de l’altérité, le lieu de l’exploration
des autres : c’est une polyphonie. Une autre hypothèse est l’anglo-saxonne : avec les auteurs
romanciers en Angleterre au 18e, tels que Defoe, le roman est ouvert à l’univers du réel et du
réalisme. Pour finir Kundera insiste beaucoup sur l’idée que c’est Cervantès qui a un rôle
important : Don Quichotte est le premier personnage de roman selon Kundera car il arrive
dans un monde où il ne reconnait pas les objets et les personnages le poussant à utiliser son
imagination et réalisant une quête de sens. Il est donc difficile de dire qu’un roman est à
l’origine de la production romanesque : il existe différents points de vue.
Kundera définit le roman d’aujourd’hui en disant que c’est une « grande forme de la prose où
l’auteur, à travers des ego expérimentaux, c’est-à-dire les personnages, examine jusqu’au
bout quelques grands thèmes de l’existence ». Bakhtine, lui, dit que le roman est un
laboratoire et un anti-genre, c’est le genre roi des temps modernes et « l’avenir de la
littérature » car il absorbe tous les autres genres, prenant une importance inconsidérable.

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6.6. Les mondes du récit

A. LE RECIT REALISTE
Le monde du réalisme est un des monde les plus importants en termes de quantité. Le
réalisme est un terme qui possède deux sens : c’est un courant littéraire et historique du XIXe
siècle fondé par Balzac, Flaubert… Un courant encore dominant aujourd’hui : par exemple le
prix Goncourt récompense encore des romans réalistes. Mais, une autre définition est que
tout récit comporte une dimension réaliste, c’est-à-dire qu’il essaye d’user un ensemble de
procédés qui cherche à produire l’illusion de la réalité. Il ne faut pas penser que les procédés
de l’illusion référentielle ne sont utilisés que dans les textes qualifiés de réaliste.
Hamon dans « Un discours contraint » parle du « cahier des charges » du projet réaliste. Il dit
que tout d’abord il y a una naturalisation, ou justification, de la narration. Il affirme que dans
le récit hétérodiégétique, il y a une justification de l’origine où on dit que le récit est reçu par
un personnage digne de foi, l’auteur fait croire qu’il ne l’a pas inventé. Mais, le narrateur peut
se tourner vers une autre naturalisation en se présentant comme absent dans le texte : il y a
une occultation de la narration. Dans ce cas, on a l’impression que l’histoire se raconte d’elle-
même. Mais, si on a un récit homodiégétique, Hamon dit que le réalisme se fait en étant lié à
la vérité d’une vision, la sincérité apparente du point de vue fait la justification.
Ensuite, il y a l’inscription dans l’espace-temps avec des indications spatio-temporelles
communes au hors texte comme dans Germinal où on parle de Marchienne, du charbon, des
mines… L’inscription dans l’Histoire peut être renforcée via des personnages ou faits existants
comme en mentionnant Napoléon, une guerre… On renvoie aussi au passé des personnages
ou à des scènes qui relèvent du récit de vie.
Le troisième procédé est la motivation de l’univers diégétique avec une exclusion de
l’extraordinaire, des incohérences et contradictions. Il y a aussi des motivations
psychologiques, des actions et des personnages, mais également une redondance des traits
des personnages. On retrouve une motivation des noms en donnant des noms crédibles aux
personnages en fonction de la réalité dans laquelle ils sont. Il y a une récurrence des scènes
et des personnages qui naturalisent la diégèse. Il y a la présence de détails sans utilité narrative
influençant l’effet de réel de Barthes. Pour finir, il y a une limitation du rôle du héros avec une
diversification des personnages.
Pour finir, il y a la surdétermination réaliste, le souci didactique, avec des renvois à l’image
comme un arbre généalogique, un plan… Le vocabulaire technique aide également, on emploi
des éléments reliés à une réalité précise. Par exemple, parler d’un jardin de botanique avec
un langage technique donne un effet luxuriant. Il y a aussi les personnages garants du sérieux,
qui maitrisent ce dont ils parlent. Pour finir, il y a le paratexte assimilant le récit à un discours
de savoir, un souci de totalité : par exemple, Zola en parlant de chronique d’une famille
complète retire une certaine idée de fiction. On voit que Zola est un grand nom du réalisme.

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B. LES RECITS POLICIERS
Il existe plusieurs sortes de récits policiers. Il y a d’abord les récits d’énigme « ludiques » avec
un meurtre qui donne une enquête où le lecteur se projette en essayant de lui-même trouver
le coupable. Les auteurs les plus célèbres sont Edgard Alan Poe, Conan Doyle, Agatha Christie
et Gaston Lerroux. Il y a les récits d’investigation et de mœurs où on s’intéresse surtout à la
dimension psychologique et relationnelle entre les personnages avec en grand auteur
Simenon, P.D. James et Fred Vargas. Il y a aussi le roman noir où le personnage principal est
très peu reluisant avec un enquêteur dégoutant, ou bien un personnage principal qui est le
criminel. On retrouve ici Boris Vian, Hammett et Chandler. Mais encore le roman à suspense
ou thriller avec toujours un crime et un enquêteur, seulement ici la dimension du thriller
dépasse l’énigme, c’est toute la tension de ce qui pourrait arriver aux personnages. On
retrouve ici Highsmith, Clark, Coben et Musso. Pour finir, il y a les romans d’investigation
« métaphoriques » qu’on définit rarement comme des romans policiers. Cependant, il y a
toujours un crime avec une dimension d’enquête, mais ce n’est qu’un prétexte pour l’auteur
d’explorer les sentiments humains comme la culpabilité. Ici, on retrouve Dostoïevski,
Bernanos et Greene. Il est important de savoir qu’il est possible de mélanger différentes
variantes comme dans la série Millénium de Stieg Larsson.
Le roman policier pourrait, selon Marc Lits être définit au départ du titre du premier texte
policier : Double assassinat dans la rue morgue d’Edgar Alan Poe. On peut reprendre le
premier terme « double » : effectivement il y a toujours une dimension double avec l’enquête
au présent et une exhumation du crime passé. Le deuxième terme, « assassinat », montre la
thématique récurrente du meurtre avec l’assassinat qui a toujours eu lieu ou qui est une
menace. Le troisième terme, « dans la rue », illustre une dimension sociologique avec le fait
que l’assassinat s’illustre dans un certain contexte, souvent urbain. Pour finir, le quatrième
terme, « morgue », illustre une dimension symbolique, celle de la mort et de la peur.
Jacques Dubois dit que le polar est un genre emblématique de la modernité : c’est dans le
roman policier qu’on trouve les techniques de la vie contemporaine réinvesties. Une autre
réflexion est faite par Pierre Bayard sur le caractère paradoxal des romans d’énigme
criminelle. Il travaille sur Le meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie où, à la fin du roman,
le narrateur avoue être le criminel et explique le crime. À partir de cette fin, Bayard affirme
que cette structure, qui est a priori fermée par la révélation, n’est pas obligée d’être suivie :
le lecteur peut poursuivre l’enquête, on peut dire le narrateur veut protéger quelqu’un par
exemple.

C. LES RECITS DE L ’ETRANGE


Pour le roman de l’étrange, il existe trois genres distincts : le merveilleux, le fantastique et la
science-fiction. On peut aussi parler parfois de la fantasy. Tout d’abord, on retrouve le
merveilleux où l’histoire s’illustre dans un monde passé, irréel avec une uchronie. Cependant
le récit reste homogène : nous ne sommes pas surpris de lire certaines choses si on sait que
c’est un récit merveilleux. Ensuite, le fantastique qui se déroule dans un monde présent où un
personnage est confronté à un ou plusieurs phénomène, créant une oscillation. Todorov dit
que le fantastique est le lieu du doute : on ne sait jamais vraiment si ce que vit le personnage

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est réel ou s’il s’imagine tout ce qui lui arrive. La science-fiction se déroule dans le demain,
c’est le monde futur qui se fonde sur l’évolution possible de la science. Pour finir, le fantasy
est un quatrième genre aux frontières du merveilleux, du fantastique et parfois de la science-
fiction : c’est l’illustration d’un mélange.
Le récit de science-fiction a longtemps été très mal réputé, mais il est en fait protéiforme. On
a tout d’abord le space opera, une version moderne de l’épopée comme Star Wars, mais
également la hard-science où on fait une spéculation sur l’évolution de la science comme
« que se passerait-il si les ordinateurs prenaient le pouvoir ? ». Il y a également la politic fiction
qui suit la hard-science, mais plus dans le domaine politique comme dans 1984. Pour finir, il y
a la speculative fiction qui de nouveau reprend le principe de la hard-science, mais cette fois
dans le domaine social ou culturel comme dans la série Black Mirror. Du point de vue de la
science-fiction, il y a une thématique spécifique avec une variation sur des thèmes connus
comme les extra-terrestres ou les robots. Ces thématiques débouchent sur des thèmes latents
avec l’évolution de la planète, la question de l’identité humaine, de l’Autre… Pour finir, le récit
de science-fiction a une rhétorique de l’étrangeté en réalisant des transgressions langagières,
des créations verbales…

D. LES RECITS DE VIE


Les récits de vie sont un genre un peu particuliers en étant d’une part dans le monde de la
fiction et de l’autre des textes dans une fusion quasi-affirmée, une quasi-fusion entre le
monde de l’énonciation et le monde de l’énoncée et la diégèse, le monde de l’histoire. Le récit
de vie est alors à la fois dans la réalité et dans la littérature. Dès l’Antiquité on retrouve des
récits autobiographiques avec l’histoire de César, de Suétone, de Plutarque… Pour ce qui est
de l’autobiographie, son origine est plus discutable : on a au 4e siècle les confessions de Saint-
Augustin à la première personne, mais il ne fait cela que pour préconiser des valeurs et un
parcours, ce n’est pas encore un récit de vie de l’intimité. Pour beaucoup de spécialistes,
l’autobiographie serait née au XVIIIe siècle avec Les confessions de Rousseau : il désire retracer
sa vie sans dissimuler quoi que ce soit. Il reconnait sa réalité sans ambiguïté et sans chercher
à porter un masque, reconnaissant même l’abandon de ses enfants. On entre ici dans un vrai
récit du « je » dans sa totalité. Au Moyen Âge, il y avait tout de même le récit d’Abélard qui a
également raconté sa vie et ses malheurs d’une façon assez moderne, mais on ne sait pas
vraiment si ce récit s’inscrit dans les codes de la biographie. Aujourd’hui, il se publie encore
énormément d’autobiographie sur des personnalités publiques ; il y a un attrait du public pour
les récits de vie, un attrait pour la vérité.
C’est un genre qui s’est extrêmement diversifié sous des formes multiples : il y
l’autobiographie classique, où l’auteur prend la plume, mais on retrouve aussi le journal
intime. Il y a également les lettres où on parle de soi, la poésie personnelle où on dévoile son
« je ». Un cas un peu particuliers est celui du récit de vie en vers : Louis Aragon a écrit Le roman
inachevé, un roman entièrement en vers qui est un récit de vie, ainsi que Queneau dans Chêne
et Chien. Il existe aussi le roman autobiographique, une des formes les plus connues où l’on
retrouve par exemple A la recherche du temps perdu. Il y a également l’autofiction : la
radicalisation du roman autobiographique avec toute une ambiguïté : on raconte la vie de
l’auteur mais avec une série d’élément qui montre que tout n’est pas vrai.

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La biographie est un récit chronique qui ne contient pas que des fragments de vie, c’est un
récit linéaire, qui vise à la complétude et s’astreint à l’exactitude et au sérieux. La biographie
se veut être un texte scientifique où on s’est renseigné sur la personne dont on parle, c’est
une sous-catégorie de la discipline historique, le travail du biographe est le même travail que
celui d’un historien. Dans l’autobiographie, on ne parle que de sa propre matière avec un
auteur qui a une liberté plus grande ; l’auteur reprend les souvenirs qu’il veut présenter.
Philippe Lejeune définit l’autobiographie comme un « récit rétrospectif en prose qu’une
personne réelle fait de sa propre existence lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en
particulier sur l’histoire de sa personnalité ». Cette définition permet de distinguer
l’autobiographie de la mémoire : dans la mémoire, l’auteur parle de sa vie mais dans une
dimension collective, sans parler de l’intime et en mettant sa propre histoire au second plan.
Dans l’autobiographie définie par Lejeune, on retrouve le pacte autobiographie : l’identité
prétendue entre l’auteur, le narrateur et le personnage qui sont la même personne. Dans
l’autofiction, certains de ces signes sont mis à mal avec un auteur qui est égal au narrateur,
mais l’auteur qui n’est pas égal aux personnages par exemple. L’autobiographie est un genre
subjectif, ouvertement à la première personne. Les biographies et autobiographies sont des
récits à thèse : raconter un récit de vie, c’est toujours essayer de développer une thèse,
raconter le parcours de quelqu’un avec une volonté de donner un exemple de parcours de vie
qui devrait inspirer les lecteurs. On ne raconte pas tout dans un récit de vie, on sélectionne
selon des stéréotypes avec des genres codés écrits selon des conventions. On retrouve le récit
de l’enfance avec un enfant généralement malheureux, objet d’une injustice, il y a ensuite
l’adolescence avec les premiers amours, les premières aventures et l’éveil de la vocation : le
moment où la personne se sent appelée, parfois par une sorte de mentor, à ce qu’il doit faire.
Il y a le schéma de la personne obscure qui avec l’éveil et l’appel d’un mentor va devenir
célèbre.
On écrit des récits de vie selon tout d’abord des désirs d’écritures : on veut se justifier comme
Rousseau, se trouver en cherchant à voir qui on est et pour se souvenir, comme l’expérience
de la madeleine que Proust met en scène dans A la recherche du temps perdu. Il y a ensuite
les désirs de lecture : on lit des autobiographie afin de se projeter, de vivre des expériences à
travers un personnage. C’est aussi vivre par procuration avec une sorte de catharsis. Scarpetta
affirme que ce qu’on aime dans les récits de vie, ce sont les plaisirs « impurs » : le picorage, le
voyeurisme. On peut lire des petits morceaux sans devoir tout lire, de plus quand on lit
quelque chose qu’on sait vrai, il y a une forme de voyeurisme. Au fond, ce qui est puissant
dans les récits de vie, c’est le mythe de la vérité, du concret.

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Chapitre 7 : de l’analyse des textes à l’analyse de leurs
lectures

7.1. Les étapes de la construction du sens

A. L’ORIENTATION PREALABLE
Lorsqu’on commence à lire, on lit pour une raison particulière ; il y a une finalisation de la
lecture qui peut être professionnelle, personnelle… Cette finalisation peut influencer la
lecture : si on lit par obligation, on ne se livrera peut être pas corps et âme au texte, elle nous
influence alors vers un type de lecture.
Avant de commencer à lire un livre, on a aussi des connaissances préalables par les référents :
par exemple si on prend Le pont Mirabeau d’Apollinaire, on sait que c’est un pont à Paris. Mais
aussi par l’Histoire, par la biographie, par le co-texte, ce qu’on a lu d’autre de l’auteur, par les
intertextes où on relie les thématiques d’un texte à d’autres textes, par le type ou le genre
textuel.

B. LA COMPREHENSION LOCALE
Le lecture peut être tabulaire si on analyse les thèmes : on parle ici du temps qui passe, des
amours qui passent et de l’eau qui s’écoule. Mais elle peut aussi être linéaire si on essaye de
comprendre phrase après phrase. Cependant, dans le cadre du texte Le pont Mirabeau, il n’y
a pas de ponctuation donc on doit essayer de déterminer quelles sont les phrases.
Comprendre une phrase, c’est la reconnaitre via un topic, un stéréotype, un schéma
hypothétique provisoire : on associe une hypothèse à une unité sémantique plus ou moins
importante sur la base d’éléments déjà présents, ici la syntaxe et le sens. Un topic est un
schéma de lecture qui ne cesse de bouger durant la lecture avant d’arriver au topic final, le
macrotopic.

C. LA COMPREHENSION GLOBALE
Le macrotopic est l’hypothèse de sens global qui cherche à comprendre la globalité du texte :
plein de questions se posent durant la lecture du poème d’Apollinaire, lié au manque de
ponctuation notamment. Dans ce poème, l’hypothèse est qu’il y a une tension généralisé
entre l’écoulement et la volonté d’une stabilité. Cependant, dans ce poème, comme dans
beaucoup de texte, il y a des indéterminations avec des blancs, des contradictions, des
excédents. Face à ces indéterminations, le lecteur peut faire un clichage, se fixer sur un
macrotopic et un colmatage des blancs, c’est l’acte de lecture esthétique selon Iser : ici la
lecture suscite une créativité. D’autre comme Stierle insiste sur la lecture suspensive, il faut
laisser une suspension du sens : il y a des indéterminations dans le texte qui méritent d’être
maintenues, des parties du texte avec des sens multiples et ce n’est pas grave si on ne sait pas

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exactement ce que le texte veut dire. Stierle estime que la lecture est d’autant plus littéraire
si elle reste ouverte.

D. LES CONSTRUCTIONS DU SECOND DEGRE


Une fois que le texte est compris, on peut aller plus loin. Par exemple, dans le récit policier,
on pense généralement à un criminel, mais à la fin on apprend que ce n’était pas lui et le
personnage principal nous révèle le vrai criminel. Ici, on substitue un macrotopic par un autre :
c’est la nouvelle compréhension, l’abandon d’un sens au profit d’un autre. On a aussi
l’interprétation proprement dite avec l’intégration du sens « compris » dans un schéma
explicatif externe ; on enrichit son hypothèse par une interprétation biographique, historique,
sociologique…

7.2. Les modes de lecture

En plus de mon interprétation, je lis ce texte avec une certaine modalité. Je peux lire le texte
avec une certaine affectivité, réalisant une lecture participative. Il y a deux formes d’affectivité
avec d’une part le lu, l’expérience fantasmatique inconsciente via le texte, les peurs et désirs
liés à la petite enfance. D’autre part, on retrouve le lisant, l’expérience émotionnelle
conscience, l’illusion référentielle, la projection et l’identification.
On peut également lire le texte avec une certaine distanciation, comme un exemple, un texte
avec une série de code et d’étapes : c’est une lecture savante et rationnelle. On se rattache ici
au lectant.
Cependant, on peut alterner une lecture participative avec une lecture plus savante : on a un
mode de lecture ordinaire, mais avec des accents variables.

7.3. L’évaluation (ou appréciation) du texte

Lorsqu’on lit un texte, on se fait une idée sur sa valeur. On va d’abord faire une sélection des
registres axiologiques avec sept types de valeurs envisageables. Pour chacun de ces critères,
je peux choisir de les concrétiser selon une évaluation plus classique, dominée, ou bien selon
une vision plus moderne ou postmoderne. On peut osciller entre l’un ou l’autre, estimer que
le texte est unifié d’un point de vue classique, mais qu’il est aussi subversif. Alors, on voit ici
que l’évaluation qu’on fait d’un texte n’est pas enfermée, elle est double et on peut chercher
dans toutes les catégories ce qui fait vivre le texte.

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7.4. Une illustration : lecture d’un « conte » de Villiers de l’Isle-Adam

A. L’EXPLICATION TRADITIONNELLE
L’explication traditionnelle est le fait d’avoir un interprète, souvent un professeur, qui
explique d’emblée le texte après-coup en le considérant comme déjà lu et en convoquant des
éclairages savants. Cette explication traditionnelle consiste à se donner beaucoup de pouvoir :
l’enseignement prend le rôle du lecteur modèle déjà très savant avec un texte déjà quadrillé
et compris. Mais, cette explication traditionnelle a des enjeux et limites. Elle a certe une
exactitude, une « scientificité » et une conformité aux usages académiques, mais cette
« lecture modèle » éloigne du cheminement de la lecture effective.

B. UN RECIT REALISTE
En lisant « À s’y méprendre » de Villiers de l’Isle-Adam dans Contes cruels, on essaye d’activer
la « fonction référentielle » ou « mimétique » qui favorise l’identification du lecteur en
référant le texte : on regarde les connaissances du monde qu’on peut mettre dans le texte.
On fait attention aux objets de la vie réelle, mais on regarde aussi aux techniques du récit
réaliste avec l’inscription dans l’espace-temps, les éléments qui ressemblent à une réalité
observable… Ce conte, au départ, se rapproche bien de ce qu’on connait, il a une conformité
et une vraisemblance ; notre premier macrotopic nous dit que nous sommes dans un récit
réaliste. Mais, dans ce contexte, les anomalies créent un effet de surprise, apparaissent
comme une infraction aux lois de la vraisemblance. Dans cette lecture qui peut sembler au
départ réaliste, certains éléments peuvent être « narcotisés », il y a une forme de mal-être qui
peut servir de levier pour un recadrage générique.

C. UN RECIT FANTASTIQUE ?
Dans la suite du texte, le personnage principal se retrouve en réalité dans une morgue remplie
de personne s’étant suicidée et veut partir pour aller à son rendez-vous dans ce café. Jusqu’à
ce stade du récit, l’aspect réaliste persiste, même si des éléments sont narcotisés. Cependant,
arrivé au café pour faire ses affaires, tout est comme dans la morgue, c’est exactement la
même description : il est comme retourné à la morgue. Ici, le fantastique devient l’hypothèse,
il y a un basculement dans l’espace-temps, on entre dans le stéréotype du fantastique.

D. UN RECIT SYMBOLIQUE
Cependant, les deux scènes ne sont pas totalement identiques : à la morgue, il affirme qu’ils
ont assassinés leur « corps », alors que dans le café ils ont assassinés leurs « âmes ». Dans ce
texte, on dit alors que les gens qui font du business assassinent leurs âmes. On voit qu’il y a
un nouveau basculement : le personnage n’a pas basculé dans l’espace-temps, il n’est pas
dans un récit fantastique avec une anomalie ou dans un récit réaliste. Mais, on est bien dans
un récit symbolique avec une allégorie morale : les hommes d’affaires sacrifient leurs âmes.

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E. LE SENS EN SUSPENS
Cependant, il y a des blancs et des insistances qui échappent au sens moral qu’on a trouvé : la
citation de Baudelaire vient du poème les aveugles, mais le texte parle énormément de la
vision et du regard : le narrateur veut trouver des regards pleins d’espoirs, mais il se retrouve
face à un spectacle décevant avec des regards vides.

F. TOUT DANS LES YEUX


Il y a un message sur le regard qui est posé dans ce récit : ce texte est l’histoire d’un regard,
celui d’un artiste qui cherche en vain des spectacles vivifiants et d’autres regards vivants. Ici,
le message est que ce qui créé le sens, ce serait moins les scènes vues que le coup d’œil qui
est posés sur elles : le sens viendrait de notre regard et de nos lectures.

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