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« Qu’est-ce donc que la liberté ?

Naître, c’est à la fois naître du monde et naître au


monde. Le monde est déjà constitué, mais aussi jamais complètement constitué. Sous
le premier rapport, nous sommes sollicités, sous le second ouverts à une infinité de
possibles. Mais cette analyse est encore abstraite, car nous existons sous les deux
rapports à la fois. Il n’y a donc jamais déterminisme et jamais choix absolu, jamais je ne
suis chose et jamais conscience nue. En particulier, même nos initiatives, même les
situations que nous avons choisies nous portent, une fois assumées, comme par une
grâce d’état. La généralité du rôle et de la situation vient au secours de la décision, et ,
dans cet échange entre la situation et celui qui l’assume, il est impossible de délimiter
la part de situation et la part de liberté. On torture un homme pour le faire parler. S’il
refuse de donner les noms et les adresses qu’on veut lui arracher, ce n’est pas par une
décision solitaire et sans appuis ; il se sentait encore avec ses camarades, et, encore
engagé dans la lutte commune, il était comme incapable de parler ; ou bien, depuis
des mois ou des années, il a affronté en pensée cette épreuve et misé toute sa vie sur
elle ; ou enfin, il veut prouver en la surmontant ce qu’il a toujours pensé et dit de la
liberté. Ces motifs n’annulent pas la liberté, ils font du moins qu’elle ne soit pas sans
étais* dans l’être. Ce n’est pas finalement une conscience nue qui résiste à la douleur,
mais le prisonnier avec ses camarades ou avec ceux qu’il aime et sous le regard de qui
il vit, ou enfin la conscience avec sa solitude orgueilleusement voulue, c’est-à-dire
encore un certain mode du Mitsein*.»

Maurice Merleau- Ponty

* étais : supports, soutiens ; Mit-sein : Etre avec autrui.

I. si situation, déterminisme, pas de liberté, « l’homme n’est pas un empire dans un empire »

II. « il n’y a de situation que par la liberté », position de Sartre qui dit que la situation n’est pas déterminante en soi,

elle dépend du projet, de l’interprétation que l’on en fait: la liberté est absolue

III. Il n’y a de liberté que par la situation selon Merleau-ponty!

Sur la question de la liberté, deux positions s’opposent. Celle qui soutient que nous sommes absolument libres car dotés d’un

libre arbitre selon Descartes, et même condamnés à l’être comme le soutient Sartre. Et à l’opposé, celle qui soutient que nous
ne sommes pas « un empire dans un empire », selon la formule de Spinoza, que nous sommes soumis à des déterminismes,

à des situations qui conditionnent et déterminent nos choix. Notre liberté n’est alors qu’une illusion. Pourtant, certains

parviennent à concilier liberté et nécessité, c’est le cas des stoïciens qui, bien que fatalistes, soutiennent qu’une liberté est

possible, qu’elle est dans l’acceptation et la compréhension de la nécessité et de notre situation. Bien maigre liberté, diront les

défenseurs d’une liberté absolue. Est-il alors vraiment possible de concilier véritablement liberté et déterminisme, situation ?

Pour Merleau-Ponty, dans l’extrait, objet de notre explication, cela est possible. C’est ce qu’il soutient en présentant la situation

comme une ressource pour la liberté, ce sur quoi elle peut s’appuyer pour être. Cette thèse est proposée (l5 à 9) après un

exposé des 2 autres à partir de l’analyse de ce qu’est naître (l1 à 3) et leur critique (l 3 à 5). Elle est ensuite illustrée par

l’exemple d’un torturé qui refuse de parler. On pourra s’interroger sur la pertinence de cette thèse du juste milieu, semble-t-il, et

se demander si la situation n’introduit pas en un sens une nécessité incompatible avec la contingence présupposée du choix et

de l’acte libres.

Lignes 1 à 3, pour introduire les 2 thèses classiques sur la liberté, MP explique leur origine. Elles s’appuient sur

une interprétation différente de la naissance, de la venue au monde de chacun d’entre nous et de notre rapport au

monde. La position déterministe s’appuie en effet sur le constat que nous naissons « du » monde. Donc le monde nous

précède et nous survivra. Dans ce cas, il y a un avant nous comme il y aura un après nous. Et cet avant dessine le cadre dans

lequel nous allons être. Nous arrivons donc dans un monde « déjà constitué » , c’est-à-dire avec ses valeurs, son ordre, ses

limites. Et nous en sommes aussi bien le fruit que les héritiers. Et donc on ne peut que faire avec. On n’a pas choisi de naître,

ni de naître de tels parents, ni de naître homme, membre de telle ou telle société, à tel moment de l’histoire. C’est ce que

soulignait Sartre avec l’idée de condition. On ne choisit pas notre condition humaine, ni notre condition sociale et culturelle. ET

cette condition nous pose des limites a priori et des nécessités que Sartre reconnaissait : être au travail, être mortel, être au

milieu des autres…. Et si Sartre remettait en question leur caractère limitant pour la liberté, les déterministes s’appuient sur

elles pour souligner que nous sommes face à des limites et des causes déterminantes. Mon milieu de naissance détermine

l’éducation que je vais recevoir, les valeurs qui vont être les miennes, de même je reçois de mes parents, une hérédité, un

caractère, dira Schopenhauer, qui déterminera mes choix et actes futurs. L’avant conditionne l’après, nous ne sortons pas de

nulle part. La position inverse, celle qui défend que nous sommes absolument libre, souligne, elle, que nous naissons aussi

« au » monde. C’est-à-dire que nous sommes en effet jetés dans un monde qui nous précède et ne dépend pas de nous, mais

c’est nous qui nous ferons et qui ferons aussi ce monde. Même si le monde est déjà là, il n’est « jamais totalement constitué »,

nous ajouterons notre pierre à l’édifice, il est le résultat des choix des hommes et du notre aussi. De plus, nous restons libres

d’interpréter la situation comme nous le souhaitons. Ce monde n’exclut pas la liberté et même une liberté totale. Avec notre

venue, de nouvelles possibilités apparaissent et nous sommes face à une infinité de possibles. C’est la position de Sartre et de

Descartes. Des conditions, des causes, ne sont pas encore des raisons d’agir, c’est nous par notre volonté qui nous

déterminerons à faire tel ou tel choix et on peut penser que l’homme étant doté d’un libre-arbitre, il reste libre d’accepter ou de

nier cette condition. Si ces deux théories opposées peuvent se justifier théoriquement, qu’en est-il concrètement ?

MP souligne que ces conceptions sont trop « abstraites » et c’est cette abstraction qui fait qu’on les oppose. Dans ces lignes

3 à 5, MP quitte le point de vue théorique de « l’être » de l’homme, de la définition de sa naissance, pour s’interroger sur son

existence concrète. « Nous existons sous les 2 rapports à la fois », affirme-t-il en introduisant les notions de « chose » et de

« conscience nue ». Il veut souligner par là que l’homme mène une double existence, sur les pas de Hegel. Nous

avons en tant que corps une existence « en soi », c’est-à-dire que nous sommes là dans la matière, enfoncé dans l’être. Et

en ce sens, nous sommes en effet du et dans le monde. D’où l’idée que nous sommes partie du monde, au même titre que les

choses. Mais en tant qu’être doué de conscience, nous avons aussi une existence « pour soi ». C’est-à-dire qu’à la différence

des choses soumises au déterminisme, nous avons, nous, la capacité de savoir que nous sommes là et par là de nous

détacher de ce qui est, de nous élever au dessus. Nous ne sommes pas une partie de la nature comme les autres, pas une

chose comme les autres. Ceux qui défendent une liberté absolue, c’est-à-dire sans limites ni relation à quoique ce soit,
soutiennent que par la conscience nous pouvons sortir du monde, nous en extraire et par là échapper à ses contraintes

et déterminations. Mais pour MP, ces deux théories oublient que nous existons comme corps ET conscience. Même si on

peut n’être pensé pour les uns que comme corps sans conscience et pour les autres que comme une conscience

nue, désincarnée, sans corps, surplombant le monde, nous existons comme corps et conscience. Et la

reconnaissance de cette dualité concrète permet à MP de proposer alors une 3ème position et donc d’exposer sa thèse, qui

s’appuie donc sur l’examen de l’existence réelle, « ontique » de l’homme non sur une analyse purement théorique, ontologique.

MP analyse non pas l’être (ontologique) mais l’être-là ( ontique), l’étant (l’être en train d’être) de l’être.

Cette thèse exposée aux lignes 5 à 9 consiste à montrer que si on considère que la conscience est la capacité de s’élever

au dessus de ce qui est, étonnamment, ce qui est favorise cette élévation. Les déterministes voit la situation, les conditions

comme quelque chose qui nous coupe les ailes, pourrait-on dire. On est condamné à subir ce qui est, on est plongé dans la

réalité, ses limites et ses contraintes. Les défenseurs d’une liberté absolue soutiennent eux, qu’on peut abolir cette situation en

la surplombant et par la repartir à zéro en quelque sorte. Mais MP souligne, lui, que sans la situation, sans les conditions, nous

ne pourrions la surplomber. C’est elle qui nous donne le ressort pour le faire. Elle « vient au secours de la décision ». Sartre

disait « il n’y a de liberté qu’en situation ». Mais il ajoutait « il n’y a de situation que par la liberté », autrement dit, la

conscience aurait le pouvoir de néantiser ce qui est ou au contraire de donner un poids, une existence à ce qui sans elle n’en

aurait pas. Dans les deux cas, la situation ne joue aucun rôle, n’a aucune force positive ou négative. Elle n’est qu’un cadre pour

la liberté, une occasion de l’exercer. Pour MP, « il n’y a » aussi « de liberté qu’en situation », mais il ajouterait au

contraire de Sartre qu’ « il n’y a de liberté que par la situation ». C’est-à-dire que la liberté ne peut être sans être portée,

soutenue par la situation. C’est la situation qui lui donne cette force de s’élever au-dessus. Elle a l’effet d’une « grâce ». Etre

touché par la grâce, c’est en effet être porté par quelque chose qui nous dépasse et même surpasse, car c’est Dieu qui nous

vient en aide. La grâce, c’est l’idée que Dieu intervient soit pour élever une créature à l’état surnaturel( grâce naturelle), soit

pour concourir à lui faire pratiquer le bien et éviter le péché ( grâce actuelle). La situation joue pour MP le même rôle : elle

nous permet de nous élever au dessus d’elle ou plutôt au dessus de la suivante. Nos choix passés nous permettent

d’avoir le choix et de faire nos choix au présent. On peut penser ici à l’engagement. C’est parce qu’on s’est engagé dans le

passé, qu’on est capable de ne pas céder à une tentation présente et de choisir, soit de poursuivre ce qui a été choisi, soit d’y

renoncer. Descartes dirait que même sans cela, nous avons le choix, de par notre libre-arbitre. Mais l’engagement donne sans

aucun doute un argument supplémentaire pour ne pas céder. Mais alors nous sommes prisonniers ? diront les défenseurs de

la liberté comme les déterministes trouvant là un argument supplémentaire pour souligner que l’avant détermine l’après. Pour

MP, nous ne sommes pas prisonniers, car nous restons libres, ou si nous sommes prisonniers ce n’est que de nous même,

de nos propres choix, assumés et que nous assumons d’avoir assumé ou que nous assumons à nouveau. Mais sans cet

engagement que mettre face à la séduction du moment. Une conscience nue sans passé pourrait-elle vraiment avoir le choix

face au corps tenté. Comme le dit MP, « la généralité du rôle » peut aussi venir au secours de la décision. C’est parce que

nous avons un rôle à tenir que nous pouvons faire des choix que sans lui nous n’aurions pas le courage de faire, ou qui ne

s’offrirait pas véritablement à nous. Une chose est d’avoir en théorie le choix, et une autre est de l’avoir de fait. Ce qui amène

MP a ne plus opposer conditions, situations à la liberté mais aussi à reconnaître qu’il est alors difficile de faire la part entre les

deux, ligne 9. Ce qui confirme donc son point de désaccord avec Sartre, pas de situation sans liberté, mais de liberté

non plus sans situation, nous sommes corps et conscience.

C’est que va confirmer l’exemple qui clôt le texte introduisant dans la situation, les autres. MP envisage ici le contexte

d’un choix aussi difficile que celui du torturé : il se tait et souffre jusqu’à la mort ou il parle et s’épargne souffrance et mort. La

décision de se taire, de garder le silence est en soi celle de la liberté. Quoiqu’en disent les stoïciens, la liberté nous apparaît

plus clairement dans la résistance que dans la soumission à une contrainte, à un autre extérieur. La liberté, c’est le pouvoir de

dire non, de nier ce qui est dans un projet pour Sartre ( pouvoir de néantisation) , de nier le donné naturel pour le transformer ou

de se nier soi-même pour montrer en l’autre que nous ne sommes pas que des choses existant en soi pour Hegel, de nier ce
qui nous vient immédiatement à l’esprit, l’opinion, la sensation pour Alain et tous ceux qui défendent la liberté de pensée. Bref,

le dire non est le signe de la liberté, surtout quand il s’agit de le dire à un tortionnaire. Ici le torturé qui se tait se

pose bien comme une conscience détachée de son corps soumis lui aux pires souffrances. Là encore symbole de la

liberté humaine. Mais ce que souligne MP, c’est que ce choix exige la « grâce » de la situation pour être fait et tenu

tout au long de la séance de torture, jusqu’à la mort. Pour cela, il va imaginer les raisons qui pourraient être celles

du torturé silencieux et va montrer que ces raisons sont issues de situations passées ou de choix passés. Aussi le

choix actuel n’est pas ex nihilo, le fruit d’une pure spontanéité de la volonté comme dirait Descartes, suspendue

dans le vide. Il est rendu possible, malgré les souffrance, par un contexte, un avant, une condition qui le rende

possible. MP envisage plus précisément 3 raisons différentes à ce choix qui ont pour point commun la présence des autres.

La première est qu’il se sent « encore avec ces camarades, encore engagé dans la lutte commune ». En effet, ce sentiment

que les autres sont à ses côtés peuvent aider le torturé à trouver le courage de ne rien livrer. Il ne veut pas les trahir et se trahir.

Ce ressort peut en effet être psychologiquement efficace. La seconde est qu’il s’y était préparé. Cette situation avait déjà avait

été envisagée et résolue. Il résisterait sans quoi sa vie serait reniée. Il s’était en somme construit sur ce choix, cette manière de

voir le prix de la liberté.La troisième est sa position, celle qu’il a « toujours » revendiquée face à la liberté.

Dès lors, ces 3 raisons d’agir se résume à une seule : la fidélité, la fidélité aux autres ou à soi-même ( ses choix passés et

valeurs). Donc ici le passé vient bien au secours du présent, car s’il était sans lui face au présent, il serait tout à sa douleur et

n’aurait pas de choix, pas le choix. Ce que veut donc montrer MP c’est que le passé et donc la situation passé sert donc

d’ « étais » à son choix. Sans ce passé, il ne serait rien face au présent, certes, il serait une conscience nue mais incapable de

choisir ou dont les choix ne seraient que des vœux pieux en quelque sorte. Je veux résister, mais je n’ai pas la force de le faire,

pas les raisons de le faire si je n’ai pas ses motifs issus des situations passées. Et c’est cela qui fait que je peux ne pas être

qu’un corps, mais une conscience détachée de ce corps et de ses souffrances, c’est parce la conscience n’est pas nue,

qu’elle peut se poser comme conscience au –dessus du corps, du monde et des contraintes. C’est avec le monde qu’elle se

détache du monde. Ce qui permet à MP d’ajouter qu’ « une conscience nue », ce serait une conscience sans monde,

sans passé, sans condition mais aussi sans les autres.

Les autres jouent ici un rôle essentiels mais sous différentes modalités. Dans la première raison, ils sont là, à côté du

torturé. C’est avec eux qu’il résiste. Dans le second cas, il est devant eux, qui regardent la cohérence de sa vie. Et dans le

troisième, c’est contre eux qu’il veut se prouver que seul il peut. Dans les 3 cas, le je se pense par rapport aux autres. On

pourrait ici penser que justement cette présence des autres conditionnent le choix : on ne veut pas trahir, on ne veut pas être

mal jugé, on ne veut pas tomber la face, ce qui serait sur-déterminant dès lors. A-t-on vraiment le choix s’il faut affronter les

autres et leur jugement, si on se juge par rapport à eux. Une fois encore, il est difficile de faire la part de la situation et de liberté,

la part des autres et de soi. Mais sans eux, sans le rapport à eux, sans ce que MP appelle le « mitsein », l’être ensemble, aura-

t-on des choix et le choix ?

Dans ce texte , MP parvient donc à sortir de l’opposition déterminisme sans liberté et liberté sans déterminisme, en soulignant

justement que la situation n’agit pas à la manière d’une cause produisant un effet, mais comme un motif permettant de se

donner des raisons de faire tel ou tel choix. C’est cette distinction entre cause et motif qui permet sa thèse. Une thèse qui vient

nuancer la position radicale de Sartre et d’une liberté absolue, c’est-à-dire sans relation avec la situation qui n’est qu’une

occasion de l’exercer. La position de MP souligne aussi que considérer l’homme dans son existence concrète, ce n’est pas

être condamné à penser la situation donnée comme un déterminisme, nous épargnant tout choix et toute responsabilité. Il

montre que la situation peut aussi être pensée comme une ressource pour la liberté, à la manière des lois de la nature sur

laquelle peut s’appuyer la colombe de Kant pour voler à sa guise et ne pas tomber.

NB: les lignes indiquées ne correspondent pas nécessairement. A vous de rechercher le découpage proposé!
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