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L’énoncé « 

La liberté est-elle compatible avec la nécessité ? » interroge la possibilité ou non


de coexistence entre la liberté, état dans lequel l’homme agit selon sa propre volonté, sans
déterminations externes, et la nécessité, concept se rapportant à l’idée selon laquelle les choses se
déroulent d’une unique façon : la façon dont les choses doivent se passer. Rien ne peut-être autre
que la manière dont les choses sont et se déroulent. La nécessité se trouve dans la Nature, elle est
totale et supérieure. Le concept de nécessité peut être rapporté à celui du destin ou du fatalisme : le
futur est en quelque sorte déjà écrit et je ne peux rien faire pour le changer. La nécessité peut aussi
être synonyme de la vérité, du bien car atteindre la vérité et faire le bien sont des choses nécessaires
pour l’homme. La liberté apparaît premièrement comme un tout indivisible, un état qui est ou qui
n’est pas, il ne semble pas avoir de position intermédiaire à cet état car la liberté est par principe
totale. Néanmoins nous savons que la liberté est plus complexe comme le montre l’adage populaire
suivant : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. » Nous comprenons alors
que la liberté n’est pas une chose individuelle mais commune à l’ensemble du genre humain et que
cette liberté peut être une liberté relative, se dissociant de cette image de liberté totale et absolue.
De plus elle peut-être fragmentée en sous-libertés comme la liberté de penser ou la liberté
d’expression. J’exprime ma liberté quand je peux faire un autre choix que celui que je fais, la liberté
est alors contingente. Dès lors, la question de la compatibilité entre la liberté et la nécessité pose
problème : si la liberté est contingente, elle ne peut être compatible avec la nécessité : en effet, ai-je
réellement la possibilité d’exprimer ma liberté dans un choix si ce choix est nécessaire, s’il est celui
qui doit être fait ? Ce que nous appelons liberté est-elle alors réellement liberté si mes actions sont
totalement ou même partiellement déterminées ? Dès lors, ou bien je suis libre malgré les effets de
la nécessité car ma volonté me permet de dépasser mes déterminations, ou bien je ne peux être libre
dans un monde nécessaire car ma liberté n’y est qu’une illusion. Dans une première partie nous
verrons que la liberté de l’homme semble dépasser les effets de la nécessité grâce à son libre-arbitre
et à sa capacité à s’ auto-déterminer, puis dans une seconde partie nous verrons que penser que nous
sommes libres malgré la nécessité est une illusion. Enfin, nous verrons dans une dernière partie que
la liberté n’est pas compatible avec la nécessité car l’illusion est la nécessité et non la liberté, que
l’homme est nécessairement libre.

Pour questionner la relation de compatibilité entre la liberté et la nécessité, il faut d’abord


s’intéresser à la liberté de l’homme.
L’homme est naturellement libre malgré la nécessité. Voici la thèse que défend Leibniz dans
les Nouveaux Essais sur l’entendement humain. En effet, selon Leibniz, l’homme possède la liberté
de l’esprit, similaire au libre arbitre, qui lui permet de prendre du recul et d’avoir la faculté de juger,
c’est à dire de réfléchir sur les choix qu’il a à prendre. Cette capacité permet à l’être humain de ne
pas faire le choix que la nécessité lui aurait fait choisir si il n’avait pas cette capacité ; l’homme peut
alors choisir librement même si il a toutes les raisons, imposées par la nécessité, de faire un choix
plutôt qu’un autre. Le libre-arbitre de l’homme dépasse les raisons imposées à l’homme par la
nécessité. Ce qui fait la force du libre-arbitre de l’homme c’est sa volonté ; qui rend ses choix
contingents et donc résistants à la nécessité. Pour illustrer cette image, nous pouvons prendre
l’exemple suivant : il est nécessaire pour l’homme de se nourrir. Or, certains hommes font des
grèves de la faim motivées par leur volonté, s’opposant à la nécessité qui les pousse à se nourrir. Je
suis donc libre malgré la nécessité quand je commet des actes de volonté pure.
Néanmoins cela ne suffit pas à être libre malgré la nécessité ; comment être sûr que je sois
libre si je suis uniquement conscient que je fais des choix qui semblent s’opposer à la nécessité ? Je
ne saurais alors pas quels choix que je fais échappent à la nécessité. Il faut alors être conscient des
causes qui me déterminent, pour atteindre la liberté par-delà l’entendement pour que j’échappe à la
nécessité, car sinon je ne peux être sûr d’y échapper à chaque fois comme je ne connais pas les
causes qui me déterminent. C’est la thèse qu’avance Descartes dans la Lettre au Père Mesland, du 9
février 1645 : la liberté de l’indifférence à deux niveaux : le premier est la volonté sans
l’entendement, dans l’ignorance des causes qui me déterminent, qui revient à choisir uniquement
sans avoir de raisons derrière notre choix. Ce niveau peut être associé au libre-arbitre de Leibniz. Le
deuxième niveau est celui qui nous permet d’être libre malgré la nécessité, c’est la volonté par-delà
l’entendement, le volonté en connaissance des causes qui me déterminent. Cette volonté chez
Descartes se rapporte à l’âme qui abrite la volonté (qui est infinie pour Descartes) et la faculté de
choisir et de déterminer son choix d’après plusieurs motifs. L’être humain peut alors être libre
malgré la nécessité grâce au second niveau de la liberté d’indifférence car il est alors conscient des
causes qui déterminent ses choix grâce à ma volonté qui se détermine d’elle-même.

Nous avons donc vu que l’être humain peut être libre malgré l’existence de la nécessité car il
agit contre la nécessité en faisant des actes guidés par sa volonté pure qui rend ses choix
contingents. Néanmoins, ne serais-je pas sous l’influence de la nécessité rien que par le fait de faire
face aux choix auxquels je fais face ? Ma liberté serait alors une illusion car je n’ai pas conscience
d’à quel point je suis déterminé : je suis nécessairement soumis aux choix auxquels je fais face et je
suis contraint à agir de cette manière.

Penser que je suis libre malgré la nécessité est une illusion.


Ma liberté n’est qu’une illusion car j’ignore les causes qui me déterminent, j’ignore que je suis
totalement déterminé, voici la thèse que défend Spinoza dans la Lettre à Schuller. Le libre-arbitre,
la capacité de ne pas être déterminé par des causes extérieures, le pouvoir de choisir sans être
contraint par autre chose que moi, est illusoire. En effet, il ne suffit pas de dire que quelqu’un n’est
pas contraint pour qu’il ait un réel libre-arbitre lui permettant de s’extraire du déterminisme.
Pour Spinoza, le libre-arbitre est une totale illusion, il y a toujours des causes déterminant mes
actions : lorsque je souhaite me venger j’agis sous la passion de la vengeance alors que je crois être
libre de cette action, il en va de même avec un enfant voulant boire du lait : il est nécessaire qu’il en
consomme pour son bon développement alors il choisit d’en consommer. Les hommes agissent sous
impulsions ils ne sont par conséquent absolument pas libres.
Néanmoins, Spinoza ne dit pas exactement qu’aucune liberté n’est possible ; la liberté
absolue n’existe pas certes, mais il est possible d’être plus libre qu’un homme s’en remettant au
libre-arbitre. La liberté vient de la connaissance des causes qui me déterminent, de la
compréhension du monde, elle me rend libre car le monde est nécessaire (comme la nécessité se
trouve dans la Nature) En effet, il existe pour Spinoza une seule entité libre : Dieu. Pour Spinoza,
Dieu est toute chose, il est omniprésent. Si Dieu est toute chose, il est aussi nécessité. Dès lors, si
Dieu est nécessité, il est libre car il est conscient de toutes les causes, il est omniscient. Par
conséquent, si je veux être plus libre je dois prendre conscience du fonctionnement de la Nature et
des causes qui me déterminent, pour m’élever le plus près possible du niveau de Dieu. Une liberté
absolue est néanmoins impossible car je suis incapable d’être conscient de toutes les causes me
déterminant mais je peux tout de même m’élever à un certain degré de liberté.

L’être humain n’est pas libre comme il pense l’être, il est soumis à des causes dont il ignore
l’existence, son libre-arbitre est une illusion. Le seul moyen pour que la liberté ait une place parmi
la nécessité est alors d’apprendre à connaître le monde et ses causes déterminantes pour s’approcher
de l’omniscience, de Dieu (la Nature), qui a créé l’être humain. L’homme existerait donc comme un
objet créé par une entité supérieure, étant la source des causes le déterminant, son essence, ce qu’il
est au fond de lui, précéderait son existence. Néanmoins, que serait-il de la liberté si la nécessité
n’existait pas, si l’homme n’était pas une création d’une entité supérieure mais juste une chose en-
soi ?

L’homme n’est pas le fruit d’une entité supérieure, il n’est pas un objet créé pour accomplir
un destin. Il n’est pas déterminé et n’a pas de tâches nécessaires à part celles liées à sa survie
comme manger boire et dormir. L’être humain n’a alors pas son essence précédant son existence :
son existence précède son essence, c’est à dire qu’il se détermine lui-même par ses choix. Voici la
thèse que défend Jean-Paul Sartre dans L’Existentialisme est un Humanisme. L’homme ne connaît
pas de déterminismes à part ceux qu’ils se construit par ses choix, son projet. Son existence précède
son essence. Pour illustrer cette idée, Sartre utilise l’exemple du coupe papier : pour créer un coupe-
papier, l’artisan doit avoir, avant de créer son objet, une image mentale de cet objet pour qu’il
réponde aux caractéristiques nécessaires à l’accomplissement de sa tâche qui est de couper du
papier. Le coupe-papier est créé pour couper du papier et uniquement pour cela, son essence
précède son existence. Pour Sartre, l’homme n’est pas le fruit d’une création supérieure et n’a alors
pas d’essence précédant son existence, c’est à lui de se donner une essence avec son projet. Le
projet de l’homme est ce qui fait de lui ce qu’il est car l’homme se définit au travers de ses actions.
Par conséquent, la seule nécessité influençant l’homme est celle qu’il s’impose à lui-même. En
effet, si je choisis de m’engager dans l’armée et que je perds l’usage de mes membres à cause d’un
accident, c’est uniquement mon choix de m’engager qui à causé cet accident. La liberté de l’homme
est dès lors absolue car il se détermine lui-même, sa liberté est tellement absolue que l’homme n’est
pas libre d’être libre, sa liberté est la seule nécessité existante. Chaque choix est alors contingent et
la nécessité telle que l’entend Spinoza est une illusion.
Certes, l’homme connaît des déterminismes mais penser qu’ils sont responsables de tout ses
choix et que l’homme lui-même n’est responsable de rien revient à faire preuve de mauvaise foi, de
se donner des excuses pour justifier nos actions. Or l’homme est responsable de tous ses choix car il
est conscient qu’il se construit au travers de ses choix. En ce sens, la liberté est compatible avec la
nécessité car je suis la nécessité, mes actions déterminent mes futures actions au fur et à mesure que
je choisis, je restreins mon champ d’action. L’homme est alors à la naissance dans la liberté la plus
totale et aucune nécessité ne le détermine.

La nécessité et les déterminismes sont alors des illusions que l’homme ressent alors qu’il est
totalement libre dans toutes ses actions. L’être humain se détermine lui-même sa liberté est alors
nécessaire.

Nous avons vu, au travers de ce développement, tout d’abord que la liberté semblait pouvoir
être compatible avec la nécessité grâce au libre-arbitre qui nous permet de choisir sans raison
déterminée par la nécessité. Néanmoins, ce n’était pas suffisant pour être libre malgré la nécessité,
pour cela il faut prendre conscience des causes nous déterminant pour être réellement libre. Mais
comment savoir si je suis conscient de toutes les causes qui me déterminent ? En effet, il existe un
nombre quasiment infini de causes me déterminant, qui me restent inconnues et je ne suis alors pas
libre si je ne les connaît pas. Si je veux espérer avoir un peu de liberté il faut que je prenne
conscience du fonctionnement du monde pour me rapprocher de l’omniscience divine et alors de la
liberté. Cette thèse sous-entendait que l’homme est une création d’une entité supérieure, or si il en
était autrement, l’homme ne serait pas déterminé par la nécessité imposée par le divin. C’est ce qui
nous a amené à notre dernière partie montrant que l’homme étant un être dont l’existence précède
l’essence et qu’il est par conséquent entièrement libre.
À la question « la liberté est-elle compatible à la nécessité ? » nous répondons donc que la liberté
est presque inexistante si il y a une nécessité déterminant l’être humain et que sa compatibilité avec
la nécessité est très réduite. Le seul moyen pour que la liberté soit compatible avec la nécessité est
d’être sa propre nécessité, que l’être humain soit le seul à causer ses actes. La liberté est alors
compatible avec la nécessité car l’homme est son propre déterminisme, sa liberté est alors
nécessaire.

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