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mouvement dans un horizon uni sans empêchement, elle continuera le même mouvement,

La liberté peut passer pour nécessaire en quelque manière, quoique dans le fond cette
conséquence ne soit pas entièrement géométrique, n’étant que présomptive
pour ainsi dire, et fondée sur la sagesse de Dieu qui ne change pas son influence
sans quelque raison, qu’on présume ne se point trouver présentement; mais
 I. Les différentes acceptions du mot liberté cette proposition absolue, la balle que voici, est maintenant en mouvement dans ce plan,
 1) Les ambiguïtés du mot liberté n’est qu’une vérité contingente, et, en ce sens, la balle est un agent contingent
§ 8. PHILALÈTHE. Tant qu’un homme a la puissance de penser ou de ne pas non libre.
 Le mot de liberté enveloppe Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, Nouveaux essais, II, 21, §8-9, 1765.
penser, de mouvoir ou de ne pas mouvoir, conformément à la préférence ou plusieurs sens.
au choix de son propre esprit, jusque-là il est libre.  On doit distinguer « liberté de  Thèse : Il est évident que la volonté
THÉOPHILE. Le terme de liberté est fort ambigu : il y a liberté de droit et de droit » et « liberté de fait » : est absolument libre ; c’est si évident
fait. Suivant celle de droit, un esclave n’est point libre, et un sujet ne l’est pas  La liberté de droit est un effet de
 2) La liberté absolue que c’est là un de nos premiers
entièrement, mais un pauvre est aussi libre qu’un riche. / La liberté du fait la loi ; elle touche aux rapports des 39. Que la liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule principes (« notions communes »),
consiste ou dans la puissance de vouloir comme il faut, ou dans la puissance hommes entre eux ; elle prend expérience que nous en avons. vérités premières qui s’imposent à
de faire ce qu’on veut. C’est de la liberté de faire dont vous parlez, et elle a ses sens lorsqu’il y a privation de Au reste il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner l’esprit.
degrés et variétés. Généralement, celui qui a plus de moyens est plus libre de liberté ; c’est une liberté son consentement ou ne le pas donner quand bon lui semble, que cela peut  Argument : L’expérience du doute
faire ce qu’il veut ; mais on entend la liberté particulièrement de l’usage des purement formelle qui ne tient pas être compté pour une de nos plus communes notions2. / Nous en avons eu ci- hyperbolique est une expérience de la
choses qui ont coutume d’être en notre pouvoir, et surtout de l’usage libre de compte des conditions réelles de devant une preuve bien claire ; car, au même temps que nous doutions de tout, liberté absolue ; le doute, c’est le
notre corps. Ainsi, la prison et les maladies, qui nous empêchent de donner à son exercice. et que nous supposions même que celui qui nous a créés employait son pouvoir pouvoir de refuser d’acquiescer au
notre corps et à nos membres le mouvement que nous voulons, et que nous  Dans la liberté de fait, on à nous tromper en toutes façons, nous apercevions en nous une liberté si vraisemblable ; l’expérience de la
pouvons leur donner ordinairement, dérogent à notre liberté : c’est ainsi qu’un distingue la « puissance de grande, que nous pouvions nous empêcher de croire ce que nous ne pensée est très certaine, donc cette
prisonnier n’est point libre, et qu’un paralytique n’a pas l’usage libre de ses vouloir » et la « puissance de connaissions pas encore parfaitement bien. Or, ce que nous apercevions liberté est évidente.
membres. / La liberté de vouloir est encore prise en deux sens différents : l’un faire » : distinctement, et dont nous ne pouvions douter pendant une suspension si  Autrement dit : si je doute, je suis ;
est, quand on l’oppose à l’imperfection ou à l’usage de l’esprit, qui est une  La liberté de faire varie en générale, est aussi certain qu’aucune autre chose que nous puissions jamais mais, si je doute, je suis libre (car
coaction ou contrainte, mais interne, comme celle qui vient des passions ; fonction de nos moyens ; la connaître. douter, c’est pouvoir suspendre son
l’autre sens a lieu quand on oppose la liberté à la nécessité. Dans le premier prison et la maladie lui sont René DESCARTES, Les Principes de la Philosophie, I, 39, 1644. jugement à l’égard de ce qui sollicite
sens, les stoïciens disaient que le sage seul est libre ; et, en effet, on n’a point contraires. son adhésion) ; la découvre de son
l’esprit libre quand il est occupé d’une grande passion, car on ne peut point  La liberté de vouloir s’entend existence est découverte de sa
vouloir alors comme il faut, c’est-à-dire avec la délibération qui est requise. en deux sens : la volonté Art. 41. Quel est le pouvoir de l’âme au regard du corps. liberté.
C’est ainsi que Dieu seul est parfaitement libre, et que les esprits créés ne le éclairée et le franc arbitre : Mais la volonté est tellement libre de sa nature, qu’elle ne peut jamais être
sont qu’à mesure qu’ils sont au-dessus des passions ; et cette liberté regarde  La liberté de vouloir se fonde contrainte / ; et des deux sortes de pensées que j’ai distinguées en l’âme, dont
proprement notre entendement. Mais la liberté de l’esprit, opposée à la sur la délibération ; elle est les unes sont ses actions, à savoir, ses volontés, les autres ses passions, en  Conséquence : si la volonté est
nécessité, regarde la volonté nue et en tant qu’elle est distinguée de indépendante des passions prenant ce mot en sa plus générale signification, qui comprend toutes sortes « absolument » libre, les actions de
l’entendement. C’est ce qu’on appelle le franc arbitre, et consiste en ce qu’on (contrainte interne) ; c’est le de perceptions, les premières sont absolument en son pouvoir et ne peuvent l’âme (volontés) ne peuvent jamais
veut que les plus fortes raisons ou impressions que l’entendement présente à fait de vouloir comme il faut ; qu’indirectement être changées par le corps, comme au contraire les dernières être contraintes par les passions
la volonté n’empêchent point l’acte de la volonté d’être contingent, et ne lui en ce sens, elle n’est pas dépendent absolument des actions qui les produisent, et elles ne peuvent (perceptions) qui proviennent du
donnent point une nécessité absolue et pour ainsi dire métaphysique ; et c’est distinguée de l’entendement. qu’indirectement être changées par l’âme, excepté lorsqu’elle est elle-même corps.
dans ce sens que j’ai coutume de dire que l’entendement peut déterminer la  Le franc arbitre se distingue leur cause. / Et toute l’action de l’âme consiste en ce que, par cela seul qu’elle
volonté, suivant la prévalence des perceptions et raisons d’une manière qui, de l’entendement ; celui-ci ne veut quelque chose, elle fait que la petite glande à qui elle est étroitement jointe
lors même qu’elle est certaine et infaillible, incline sans nécessiter. l’incline pas nécessairement. se meut en la façon qui est requise pour produire l’effet qui se rapporte à cette
§ 9. PHILALÈTHE. Il est bon aussi de considérer que personne ne s’est volonté.
encore avisé de prendre pour un agent libre une balle, soit qu’elle soit en René DESCARTES, Les Passions de l’âme, I, 41, 1649.
mouvement après avoir été poussée par une raquette, ou qu’elle soit en repos.  Deux sens de l’indifférence :
C’est parce que nous ne concevons pas qu’une balle pense, ni qu’elle ait aucune  La liberté d’indifférence (« plus bas
volition qui lui fasse préférer le mouvement au repos.  Il faut opposer le libre et le Pour ce qui est du libre arbitre, je suis complètement d’accord avec ce qu’en a degré de la liberté ») : absence de
THÉOPHILE. Si libre était ce qui agit sans empêchement, la balle étant une nécessaire : l’idée de liberté écrit le Révérend Père3. Et, pour exposer plus complètement mon opinion, je détermination : la volonté n’est pas
fois en mouvement dans un horizon uni serait un agent libre, mais Aristote a enveloppe la spontanéité (action voudrais noter à ce sujet que l’indifférence me semble signifier proprement déterminée par la perception du vrai
déjà bien remarqué que pour appeler les actions libres nous demandons non sans empêchement) et la pensée ; l’état dans lequel est la volonté lorsqu’elle n’est pas poussée d’un côté plutôt ou du bien.
seulement qu’elles soient spontanées, mais encore qu’elles soient délibérées1. en ce sens une balle en mouvement que de l’autre par la perception du vrai ou du bien ; et c’est en ce sens que je - C’est le fait pour la volonté d’être
PHILALÈTHE. C’est pourquoi nous regardons le mouvement ou le repos des n’est point un agent libre ; le l’ai prise lorsque j’ai écrit que le plus bas degré de la liberté est celui où nous indifférente, état de la volonté qui
balles sous l’idée d’une chose nécessaire. nécessaire, c’est ce qui possède nous déterminons aux choses pour lesquelles nous sommes indifférents. / n’est pas déterminée par les
THÉOPHILE. L’appellation de nécessaire demande autant de circonspection mouvement/repos sans Mais peut-être que d’autres entendent par indifférence une faculté positive de perceptions (du bien, du vrai) à
que celle de libre. Cette vérité conditionnelle, savoir : supposé que la balle soit en pensée/volition. incliner dans un sens ou dans l’autre.

1
Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 3.
2 3
« communes notions » : « primas et maxime communes notiones ». On retrouve la formule de « notions communes » (koinai ennoia) Allusion à un autre de ses correspondants, le père Pétau.
(axiomes) dans les Élements d’Euclide (300 av. J.-C.) ; par ex. : « Les grandeurs égales à une même grandeur sont égales entre elles. »
(axiome 1) ; « Le tout est plus grand que la partie » (axiome 9).
se déterminer pour l’un ou l’autre de deux contraires, c’est-à-dire pour  Le pouvoir de s’opposer : libre
poursuivre ou pour fuir, pour affirmer ou pour nier. Cette faculté positive, je arbitre absolu, y compris de
n’ai pas nié qu’elle fût dans la volonté. Bien plus, j’estime qu’elle y est, non s’affranchir du bien et du vrai THÉOPHILE. Il me semble qu’à proprement parler, quoique les volitions5 Thèse :
seulement dans ces actes où telle n’est pas poussée par des raisons évidentes (pouvoir délibéré du pire). soient contingentes6, la nécessité ne doit pas être opposée à la volition, mais à la  Il y a de la connexion dans les
d’un côté plutôt que de l’autre, mais aussi dans tous les autres ; à ce point que, - C’est la faculté positive de se contingence, comme j’ai déjà remarqué au § 9, et que la nécessité ne doit pas être mouvements comme dans les pensées,
lorsqu’une raison très évidente nous porte d’un côté, bien que, moralement déterminer pour l’un des confondue avec la détermination ; car il n’y a pas moins de connexion ou de même si nous n’apercevons pas toutes
parlant, nous ne puissions guère aller à l’opposé, absolument parlant, contraires (poursuivre / fuir, détermination dans les pensées, que dans les mouvements (...). / Et si nous ne les déterminations qui agissent sur les
néanmoins, nous le pourrions. En effet, il nous est toujours possible de nous affirmer / nier) ; faculté réelle de la remarquons pas toujours la raison qui nous détermine ou par laquelle nous corps et nos pensées
retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d’admettre une vérité volonté ; pouvoir de refuser un nous déterminons, c’est que nous sommes aussi peu capables de nous  Argument :
évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre bien clairement connu ou une apercevoir de tout le jeu de notre esprit et de ses pensées, le plus souvent  L’axiome fondamentale, c’est que rien
libre-arbitre. vérité évidente : « puissance imperceptibles et confuses, que nous le sommes de démêler toutes les n’arrive sans raison : il y a toujours une
René DESCARTES, Lettre au P. Mesland, 9 février 1643. positive que nous avons de suivre machines que la nature fait jouer dans le corps. Ainsi, si par la nécessité on raison déterminante : rien n’échappe à
le pire, tout en voyant le meilleur ». entendait la détermination certaine de l’homme, qu’une parfaite connaissance la connexion et à la détermination (il en
de toutes les circonstances de ce qui se passe au dedans et au dehors de va ainsi des mouvements comme des
 3) La liberté déterminée l’homme pourrait faire prévoir à un esprit parfait, il est sûr que les pensées pensées).
Thèse : étant aussi déterminées que les mouvements qu’elles représentent, tout acte
La véritable liberté est-ce la liberté d’équilibre ?  OR, il faut différencier la
 L’idée commune de liberté, c’est libre serait nécessaire. Mais il faut distinguer le nécessaire du contingent détermination nécessaire (le
l’idée de liberté d’équilibre ; c’est-à- quoique déterminé ; et non seulement les vérités contingentes ne sont point
§ 15. PHILALÈTHE. La liberté est la puissance qu’un homme a de faire ou de géométrique et le métaphysique) et la
dire la liberté de s’affranchir de nécessaires, mais encore leurs liaisons ne sont pas toujours d’une nécessité
ne pas faire quelque action conformément à ce qu’il veut. détermination contingente (le
l’entendement, liberté de refuser le absolue ; car il faut avouer qu’il y a de la différence dans la manière de
THÉOPHILE. Si les hommes n’entendaient que cela par la liberté lorsqu’ils choix raisonnable.
physique et le moral).
demandent si la volonté ou l’arbitre4 est libre, leur question serait véritablement déterminer entre les conséquences qui ont lieu en matière nécessaire et celles  Il y a de la nécessité dans la volition,
 Idée jugée impossible, absurde, qui ont lieu en matière contingente. Les conséquences géométriques et
absurde. Mais on verra tantôt ce qu’ils demandent et même je l’ai déjà touché. impraticable, déchéance de
quoique les volitions soient
Il est vrai, mais par un autre principe, qu’ils ne laissent pas de demander ici (au métaphysiques nécessitent, mais les conséquences physiques et morales contingentes.
l’humanité. inclinent sans nécessiter ; le physique même ayant quelque chose de moral et
moins plusieurs) l’absurde et l’impossible, en voulant une liberté d’équilibre  La « liberté de vouloir contre toutes
absolument imaginaire et impraticable, et qui même ne leur servirait pas, s’il de volontaire par rapport à Dieu, puisque les lois du mouvement n’ont point
les impressions qui peuvent venir de d’autre nécessité que celle du meilleur. Or Dieu choisit librement, quoiqu’il soit
était possible qu’ils la pussent avoir, c’est-à-dire qu’ils aient la liberté de vouloir l’entendement » est absurde.
contre toutes les impressions qui peuvent venir de l’entendement, ce qui déterminé à choisir le mieux ; et comme les corps mêmes ne choisissent point
 Au contraire la véritable liberté est (Dieu ayant choisi pour eux), l’usage a voulu qu’on les appelât des agents
détruirait la véritable liberté avec la raison et nous abaisserait au-dessous des accord de la volonté et de
bêtes. nécessaires : à quoi je ne m’oppose pas, pourvu qu’on ne confonde point le
l’entendement. nécessaire et le déterminé, et que l’on n’aille pas s’imaginer que les êtres libres
Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, Nouveaux essais, II, 21, §15, 1765.
agissent d’une manière indéterminée, erreur qui a prévalu dans certains esprits
 Question : La liberté est-elle dans et qui détruit les plus importantes vérités, même cet axiome fondamental : que
§ 25. PHILALÈTHE. Puis donc qu’il est évident que l’homme n’est pas en la liberté de vouloir ce qui lui plaît rien n’arrive sans raison, sans lequel ni l’existence de Dieu ni d’autres grandes
liberté de vouloir vouloir ou non, la première chose qu’on demande après cela c’est entre deux partis contradictoires ? vérités ne sauraient être bien démontrées.
si l’homme est en liberté de vouloir lequel des deux il lui plaît ; le mouvement, par exemple,  Argument : La liberté
ou le repos ? Mais cette question est si visiblement absurde en elle-même, qu’elle d’indépendance revient à l’idée que Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, Nouveaux essais, II, 21, §13, 1765.
peut suffire à convaincre quiconque y fera réflexion, que la liberté ne concerne la liberté consiste, pour la volonté, à
dans aucun cas la volonté. Car demander si un homme est en liberté de vouloir vouloir vouloir ; volonté sans
lequel il lui plaît, du mouvement ou du repos, de parler ou de se taire, c’est détermination ; vouloir sans objet, 45. (...) Il y a toujours une raison prévalente qui porte la volonté à son choix,  La volonté ne fait pas exception à
demander si un homme peut vouloir ce qu’il veut, ou se plaire à ce à quoi il se qui porterait sur elle-même ; on ne et il suffit pour conserver sa liberté, que cette raison incline, sans nécessiter. cette règle générale que « rien n’arrive
plaît, question qui, à mon avis, n’a pas besoin de réponse. voit pas alors ce qui pourrait (...) Jamais la volonté n’est portée à agir, que par la représentation du bien, qui sans raison » : il y a toujours une
THÉOPHILE. Il est vrai, avec tout cela, que les hommes se font une difficulté déterminer cette volonté ; un vouloir prévaut aux représentations contraires. On en convient même à l’égard de raison au choix de la volonté.
ici qui mérite d’être résolue. Ils disent qu’après avoir tout connu et tout vouloir serait un non-vouloir ; il y a Dieu, des bons anges et des âmes bienheureuses ; et l’on reconnaît qu’elles n’en  Mais, le principe de raison n’annule
considéré, il est encore dans leur pouvoir de vouloir, non pas seulement ce qui un paradoxe à s’affranchir des sont pas moins libres. Dieu ne manque pas de choisir le meilleur, mais il n’est pas la liberté.
plaît le plus, mais encore tout le contraire, seulement pour montrer leur liberté. lumières de l’entendement point contraint de le faire, et même il n’y a point de nécessité dans l’objet du  La raison déterminante de la volonté
Mais il faut considérer qu’encore que ce caprice ou entêtement, ou du moins lorsqu’on bénéficie de toutes ses choix de Dieu, car une autre suite des choses est également possible. C’est pour incline sans nécessiter.
cette raison qui les empêche de suivre les autres raisons, entre dans la balance connaissances ; liberté du caprice, cela même que le choix est libre et indépendant de la nécessité, parce qu’il se  La raison déterminante de la volonté
et leur fait plaire ce qui ne leur plairait pas sans cela, le choix est toujours
ou de l’entêtement ; absurdité. fait entre plusieurs possibles, et que la volonté n’est déterminée que par la est la représentation du bien qui
 Autrement dit : « choix est bonté prévalente de l’objet. Ce n’est donc pas un défaut par rapport à Dieu et
déterminé par la perception. On ne veut donc pas ce qu’on voudrait, mais ce prévaut contre les représentations
qui plaît, quoique la volonté puisse contribuer indirectement et comme de loin
toujours déterminé par la aux saints : et au contraire ce serait un grand défaut, ou plutôt une absurdité contraires.
à faire que quelque chose plaise ou ne plaise pas, comme j’ai déjà remarqué ;
perception » : le choix indéterminé, manifeste, s’il en était autrement, même dans les hommes ici-bas, et s’ils étaient  Il en va de même pour Dieu et les
et les hommes ne démêlant guère toutes ces considérations distinctes, il n’est
sans perception est inconcevable. capables d’agir sans aucune raison inclinante. anges.
 Conséquence : La liberté ne peut
point étonnant qu’on s’embrouille tant l’esprit sur cette matière, qui a
beaucoup de replis cachés.
consister dans la volonté. Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, Théodicée, I, §45, 1710.
G. W. LEIBNIZ, Nouveaux essais, II, 21, §25, 1765.

4 5
PHILOS., vx. « Volonté au sens le plus général du mot (...). Liberté morale, en tant que bonne volonté. » (LAL. 1968). Libre arbitre ou, Volition. Acte de volonté, manifestation de la volonté.
6
vx, franc arbitre. Pouvoir de choisir ou de ne pas choisir un acte, de choisir entre le bien et le mal ; p. ext., absence de contrainte. (TLF) Contingent. Susceptible d’être ou de ne pas être, de se produire ou de ne pas se produire.
extérieurs, ou comme existant à la fois dans l’espace et dans le temps, c’est-à-
La liberté dire à cette vraie liberté, qui seule est pratique a priori, et sans laquelle il n’y a
pas de loi morale, pas d’imputation morale possible. 9. Aussi peut-on appeler
mécanisme de la nature toute nécessité d’événements arrivant dans le temps
suivant la loi physique de la causalité, sans entendre par là que toutes les choses
soumises à ce mécanisme doivent être réellement des machines matérielles. 10.
 II. Les contradictions de la liberté On ne regarde ici que la nécessité de la liaison des événements dans une série
La contradiction de la liberté et du déterminisme de temps telle qu’elle se développe suivant la loi de la nature, soit qu’on appelle
le sujet, dans lequel a lieu ce développement automaton materiale, lorsque la
machine est mue par la matière, ou, avec Leibnitz, automaton spiritual, lorsqu’elle
1. Quand je dis d’un homme, qui commet un vol, que cette action est, suivant  Exemple : Un homme est mue par des représentations ; et, si la liberté de notre volonté n’était pas
la loi physique de la causalité, une conséquence nécessaire des causes commet un vol. autre chose (que cette liberté psychologique et relative, qui n’a rien de
déterminantes du temps qui a précédé, cela ne veut-il pas dire qu’il était  Question : Tout est soumis à transcendantal, c’est-à-dire d’absolu), elle ne vaudrait guère mieux que celle
impossible que cette action n’eût pas lieu ? 2. Comment donc, en jugeant la causalité, or la loi morale d’un tourne-broche, qui une fois monté, exécute de lui-même ses mouvements.
d’après la loi morale, puis-je apporter ici un changement, et supposer que affirme que le voleur était libre
l’action aurait pu ne pas être faite, parce que la loi dit qu’elle aurait dû ne pas de ne pas voler, sans quoi il ne Emmanuel KANT, Critique de la Raison pratique, Examen critique de
l’être ? 3. En d’autres termes, comment peut-on considérer un homme comme peut être jugé. Comment peut- l’analytique de la raison pure pratique, trad. J. Barni, 1788.
étant dans le même point du temps, et relativement à la même action, libre à on être, relativement à une
la fois et soumis à une nécessité physique inévitable ? 4. Cherchera-t-on à même action, à la fois libre et
éluder cette difficulté, en ramenant le mode des causes qui déterminent notre soumis à la nécessité ?
causalité, suivant la loi de la nature, à un concept comparatif de la liberté (d’après  Thèse : THÈSE
lequel on appelle quelquefois libre un effet dont la cause déterminante réside L’axiome fondamentale qui La causalité d’après les lois de la nature n’est pas la seule dont nous puissions
intérieurement dans l’être agissant, comme quand on parle du libre mouvement  Thèse :
affirme que rien n’arrive sans dériver tous les phénomènes du monde ; il est nécessaire d’admettre encore L’explication des phénomènes
d’un corps lancé dans l’espace, parce que ce corps, dans son trajet, n’est poussé raison (mécanisme de la une causalité par liberté pour l’explication de ces phénomènes.
par aucune force extérieure, ou comme on appelle libre le mouvement d’une du monde exige, outre la
nature) nous oblige à renoncer causalité naturelle, la causalité
montre, parce qu’elle pousse elle-même ses aiguilles, et que celles-ci, par à la liberté de la volonté, PREUVE par la liberté.
conséquent, ne sont pas mues par une force extérieure ; de même, quoique les fondement de la loi morale et Si l’on suppose qu’il n’y a de causalité que suivant des lois physiques, alors tout
actions de l’homme soient nécessitées par leurs causes déterminantes, qui de l’imputation morale. ce qui arrive suppose un état antérieur auquel il succède inévitablement suivant  Argument :
précèdent dans le temps, nous les appelons libres, parce que ces causes sont  Argument : une règle. Mais cet état antérieur doit lui-même être quelque chose qui soit  Si l’on admet que tout est
des représentations intérieures, produites par notre propre activité, ou des  Admettons que l’homme est arrivé (devenu dans le temps, puisqu’il n’était pas auparavant), parce que s’il soumis à la causalité naturelle,
désirs excités par ces représentations suivant les circonstances, et que, par libre dans la mesure où nous avait toujours été, sa conséquence aussi n’aurait pas un jour commencé d’être, tout phénomène procède d’un
conséquent, les actions qu’elles déterminent sont produites selon notre propre sommes déterminés dans notre mais aurait toujours été. Par conséquent la causalité de la cause, par laquelle état antérieur, qui lui-même
désir). 5. Mais c’est là un misérable subterfuge dont quelques esprits ont encore action par des représentations quelque chose arrive, est elle-même quelque chose d’arrivé, qui suppose à son suppose un autre état
la faiblesse de se contenter, et c’est se payer de mots que de croire qu’on a intérieures qui procèdent de tour, suivant la loi de la nature, un état précédent et sa causalité ; mais cet état antérieur, et ainsi de suite.
résolu ainsi ce difficile problème, sur lequel tant de siècles ont travaillé en vain, notre propre activité désirante, en suppose de même un autre antérieur, et ainsi de suite.  Dès lors, tout état antérieur
et dont, par conséquent, il n’est guère probable que la solution soit si aisée à et non d’une détermination Si donc tout arrive suivant les seules lois de la nature, il y a donc toujours n’est jamais que subalterne, et
trouver. 6. En effet, quand on parle de cette liberté, qui doit servir de extérieure. seulement quelque chose de subalterne7, mais jamais un premier à un phénomène donné ne
fondement à toutes les lois morales et à l’imputation morale, la question n’est  Cependant, ces principes commencement, et par conséquent, en général, aucune intégralité de la série, correspond aucune intégralité
pas de savoir si des principes, qui détermineraient nécessairement la causalité déterminants, qu’ils soient du côté des causes, provenant les unes des autres. Or cependant, c’est une loi des causes.
suivant une loi de la nature, résident dans le sujet ou hors de lui, et, dans le intérieurs ou extérieurs, n’en de la nature, que, sans une cause suffisante déterminée a priori, rien n’arrive.  En conséquence, il faut
premier cas, si ces principes viennent de l’instinct ou sont conçus par la raison. demeurent pas moins des Par conséquent la proposition qui énonce que toute causalité n’est possible que admettre un principe sans
7. Si ces représentations déterminantes ont, comme l’avouent ces mêmes causes déterminantes ; cet d’après des lois physiques, se contredit elle-même dans sa généralité sans limite. cause précédente duquel
hommes, la cause de leur existence dans le temps et dans l’état antérieur, celui- enchaînement psychologique Cette causalité ne peut donc être admise comme unique. découle une série d’états, et
ci à son tour dans un état précédent, et ainsi de suite, ces déterminations ont est de la nécessité physique. Il faut donc admettre une causalité par laquelle quelque chose arrive, sans une donc une liberté absolue.
beau être intérieures, elles ont beau avoir une causalité psychologique et non  Par conséquent, on doit autre cause précédente qui la détermine suivant des lois nécessaires, c’est-à-
mécanique, c’est-à-dire produire des actions par des représentations et non par renoncer à la liberté comme dire une spontanéité absolue des causes, qui constitue une série de phénomènes,
des mouvements corporels, elles n’en sont pas moins des causes déterminantes de indépendance par rapport à et se déroule d’elle-même suivant des lois physiques, par conséquent une liberté
la causalité d’un être dont l’existence est déterminable dans le temps, et, par l’enchaînement empirique des transcendantale, sans laquelle, dans le cours même de la nature, la série
conséquent, elles n’en sont pas moins soumises aux conditions nécessitantes phénomènes. successive des phénomènes n’est jamais complète du côté des causes.
du temps écoulé, lesquelles, au moment où le sujet doit agir, ne sont plus en son
pouvoir. 8. Qu’on appelle cela une liberté psychologique (si l’on veut par ce mot
désigner l’enchaînement purement intérieur des représentations de l’âme), ANTITHÈSE
toujours est-il que c’est de la nécessite physique, et que, par conséquent, il faut Il n’y a pas de liberté, mais tout dans le monde arrive simplement en vertu de
renoncer à celle liberté transcendentale, qu’on doit concevoir comme lois de la nature.
l’indépendance de la volonté par rapport à tout élément empirique et, par
conséquent, à la nature en général, considérée, soit comme objet du sens PREUVE
intime, ou comme existant seulement dans le temps, soit comme objet des sens

7
Subalterne. Qui appartient à un rang inférieur. Synon. secondaire.
Supposé qu’il y ait une liberté, dans le sens transcendantal, comme une espèce étudiée d’une façon moins approfondie, et ainsi de suite pour le reste. De
particulière de causalité, suivant laquelle les événements du monde pourraient  Antithèse : même nous délibérons davantage sur les arts que sur les sciences, car nous  Thèse :
avoir lieu, c’est-à-dire une faculté de commencer absolument un état, par Tout arrive suivant les seules sommes à leur sujet dans une plus grande incertitude. La délibération a lieu L’homme est principe de ses
conséquent aussi une série de conséquences de cet état : alors non seulement lois de la nature. dans les choses qui, tout en se produisant avec fréquence demeurent actions.
une série commencera absolument en vertu de cette spontanéité, mais encore incertaines dans leur aboutissement, ainsi que là où l’issue est indéterminée. Et  Argument :
la détermination de cette spontanéité même à produire la série, c’est-à-dire la  Argument : nous nous faisons assister d’autres personnes pour délibérer sur les questions  La délibération prépare la
causalité ; tellement que rien ne précède, en vertu de quoi cette action qui arrive Si l’on suppose une liberté importantes, nous défiant de notre propre insuffisance à discerner ce qu’il faut prise de décision. De quoi
soit déterminée suivant des lois constantes. Mais tout commencement d’action comme faculté de faire. délibérons-nous ?
suppose un état de la cause non encore agissante ; et un commencement commencement absolu d’un Nous délibérons non pas sur les fins elles-mêmes, mais sur les moyens  Nous délibérons des choses
dynamiquement premier de l’action suppose un état qui n’a aucun rapport de état, et donc d’une série d’atteindre les fins. Un médecin ne se demande pas s’il doit guérir son malade, qui dépendent de nous, sur le
causalité avec le passé de la même cause, c’est-à-dire qui n’en résulte d’aucune d’états, il y opposition de la ni un orateur s’il entraînera la persuasion, ni un politique s’il établira de bonnes réalisable, l’incertain (domaine
manière. La liberté transcendantale est donc opposée à la loi de la causalité, et liberté avec la loi de la causalité, lois, et dans les autres domaines on ne délibère jamais non plus sur la fin à des arts).
l’union des états successifs des causes efficientes, suivant laquelle aucune unité car le commencement se fait atteindre.  La délibération porte sur les
expérimentale n’est possible, et qui par conséquent ne se trouve dans aucune sans antécédent. Mais, une fois qu’on a posé la fin, on examine comment et par quels moyens moyens permettant d’atteindre
expérience, n’est donc qu’un vain être de raison. elle se réalisera ; et s’il apparaît qu’elle peut être produite par plusieurs moyens, la fin qu’on s’est donnée.
Il n’y a donc que la nature dans laquelle nous devions chercher l’enchaînement on cherche lequel entraînera la réalisation la plus facile et la meilleure. Si au
et l’ordre des événements du monde. La liberté (l’indépendance), à l’égard des contraire la fin ne s’accomplit que par un seul moyen, on considère comment
lois de la nature, est à la vérité un affranchissement de la contrainte, mais aussi un par ce moyen elle sera réalisée, et ce moyen à son tour par quel moyen il peut
affranchissement du fil conducteur de toutes les règles. Car on ne peut pas dire l’être lui-même, jusqu’à ce qu’on arrive à la cause immédiate laquelle, dans
qu’au lieu des lois de la nature, des lois de la liberté pénètrent dans la causalité l’ordre de la découverte, est dernière. (...)
du cours du monde, parce que si cette causalité était déterminées suivant des L’objet de nos recherches c’est tantôt l’instrument lui-même, tantôt son
lois, elle ne serait pas liberté ; au contraire, elle ne serait autre chose que la utilisation. Il en est de même dans les autres domaines : c’est tantôt
nature. Par conséquent la liberté et la nature transcendantales se distinguent l’instrument, tantôt la façon de s’en servir, autrement dit par quel moyen.
comme la légalité et la licence. La première, à la vérité, fatigue l’entendement Il apparaît ainsi, comme nous l’avons dit, que l’homme est principe de ses
par la difficulté de rechercher de plus en plus haut l’origine des événements actions et que la délibération porte sur les choses qui sont réalisables par l’agent
dans la série des causes, parce que la causalité est toujours conditionnée en lui-même ; et nos actions tendent à d’autres fins qu’elles-mêmes. En effet, la
eux ; mais elle promet en retour une unité d’expérience universelle et légale. fin ne saurait être un objet de délibération, mais seulement les moyens en vue
Au contraire, l’illusion de la liberté promet, à la vérité, le repos à l’entendement de la fin. Mais il faut exclure aussi les choses particulières par exemple si ceci
qui scrute dans la chaine des causes, puisqu’elle le conduit à une causalité est du pain, 1113a ou si ce pain a été cuit comme il faut, car ce sont là matières
inconditionnée ou absolue, qui commence à agir d’elle-même ; mais comme à sensation. − Et si on devait toujours délibérer, on irait à l’infini.
cette cause est aveugle, elle rompt le fil conducteur des règles, suivant lequel L’objet de la délibération et l’objet du choix sont identiques, sous cette réserve
seulement une expérience universellement liée dans toutes ses parties est que lorsqu’une chose est choisie elle a déjà été déterminée puisque c’est la
possible. chose jugée préférable à la suite de la délibération qui est choisie. En effet,
chacun cesse de rechercher comment il agira quand il a ramené à lui-même le
Emmanuel KANT, Critique de la Raison pure, Dialectique transcendantale, principe de son acte, et à la partie directrice de lui-même car c’est cette partie
Troisième antinomie, trad. C.-J. Tissot, 1781. qui choisit. Ce que nous disons là s’éclaire encore à la lumière des antiques
constitutions qu’Homère nous a dépeintes les rois annonçaient à leur peuple
le parti qu’ils avaient adopté.
 III. Preuve de la liberté L’objet du choix étant, parmi les choses en notre pouvoir, un objet de désir
sur lequel on a délibéré, le choix sera un désir délibératif des choses qui
dépendent de nous car une fois que nous avons décidé à la suite d’une
Est-ce qu’on délibère8 sur toutes choses autrement dit est-ce que toute chose délibération, nous désirons alors conformément à notre délibération.
est objet de délibération, ou bien y a-t-il certaines choses dont il n’y a pas
délibération ? (...) Mais nous délibérons sur les choses qui dépendent de nous ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, III, V, 334-330, trad. J. Tricot.
et que nous pouvons réaliser, et ces choses-là sont, en fait, tout ce qui reste,
car on met communément au rang des causes, nature, nécessité et fortune, et
on y ajoute l’intellect et toute action dépendant de l’homme. Et chaque classe
d’hommes délibère sur les choses qu’ils peuvent réaliser par eux-mêmes.
Dans le domaine des sciences, celles qui sont précises et 1112b pleinement
constituées ne laissent pas place à la délibération : par exemple, en ce qui
concerne les lettres de l’alphabet (car nous n’avons aucune incertitude sur la
façon de les écrire). Par contre, tout ce qui arrive par nous et dont le résultat
n’est pas toujours le même, voilà ce qui fait l’objet de nos délibérations : par
exemple, les questions de médecine ou d’affaires d’argent. Et nous délibérons
davantage sur la navigation que sur la gymnastique, vu que la navigation a été

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Délibérer. Examiner, peser tous les éléments d'une question avec d'autres personnes, ou éventuellement en soi-même, avant de
prendre une décision, pour arriver à une conclusion.

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