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lecture linéaire de la

tirade finale de Phèdre


Acte V , Scène 7

un exemple classique
de crise tragique,
individuelle et familiale
Dès sa première apparition
sur scène, Phèdre dit vouloir
mourir pour échapper à sa
passion dévorante et interdite
pour son beau-fils Hippolyte,
le fils de son mari Thésée, roi
d’Athènes
La rumeur de la mort de
Thésée libère Phèdre qui finit
par déclarer sa flamme au
chaste Hippolyte qui rejette
ce feu qui lui fait horreur.

Phèdre le supplie de lui


percer le cœur de son épée.
Oenone, sa vieille nourrice, qui a
peur pour elle, la convainc de
renoncer à son suicide et de la
laisser mentir à Thésée, qui loin d’
être mort, est de retour.

Oenone, en brandissant l'épée


d’Hippolyte comme preuve,
accuse ce dernier d'avoir tenté de
violer sa belle-mère. Phèdre ne
dément pas.

Thésée, furieux, maudit son fils en


appelant contre lui la colère de
Neptune et le bannit de la cité.
Phèdre, se sentant coupable
d'avoir souillé la vertu d'un
innocent, se retourne
contre Oenone et la chasse,
la poussant à se jeter dans
la mer.
Hippolyte dans sa fuite
meurt tué par un monstre
marin.

Thésée, dévasté par le


chagrin, annonce à son
épouse la mort du jeune
homme.
Phèdre se décide alors à tout lui
avouer.

Juste avant la tirade


Phèdre a avoué avec fermeté et
détermination sa culpabilité en
interrompant la lamentation de
Thésée.
Elle n’a plus le temps d’écouter
Thésée et sa douleur, ni sa colère
contre elle : il lui faut parler, vite.
La dernière tirade de Phèdre

Les moments me sont chers ; écoutez-moi, Thésée


C’est moi qui sur ce fils, chaste et respectueux,
Osai jeter un œil profane, incestueux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste :
La détestable Œnone a conduit tout le reste.
Elle a craint qu’Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur :
La perfide, abusant de ma faiblesse extrême,
S’est hâtée à vos yeux de l’accuser lui-même.
Elle s’en est punie, et fuyant mon courroux,
A cherché dans les flots un supplice trop doux.
Le fer aurait déjà tranché ma destinée ;
Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée :
J’ai voulu, devant vous exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage
Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ;
Et la mort à mes yeux dérobant la clarté,
Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté
Les moments me sont chers ; écoutez-moi, Thésée
C’est moi qui sur ce fils, chaste et respectueux,
Osai jeter un œil profane, incestueux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste :
La détestable Œnone a conduit tout le reste.
Elle a craint qu’Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur :
La perfide, abusant de ma faiblesse extrême,
S’est hâtée à vos yeux de l’accuser lui-même.
Elle s’en est punie, et fuyant mon courroux,
A cherché dans les flots un supplice trop doux.
Le fer aurait déjà tranché ma destinée ;
Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée :
J’ai voulu, devant vous exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage
Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ;
Et la mort à mes yeux dérobant la clarté,
Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté.
>> une parole de l’urgence, une tirade en alexandrins, une langue classique, les derniers mots
traversés d’images terrifiantes et pathétiques, entre l’ombre de la mort et la lumière de la vérité, de
l’aveu de la culpabilité, au récit qui rejette la culpabilité, jusqu’à l’agonie d’une héroïne tragique.

Une scène d’aveu tragique pour un dénouement classique :


En quoi la mort de Phèdre illustre-t-elle le tragique de la passion amoureuse ?

● 1er mvt : “Les moments me sont chers [...] un oeil profane, incestueux.”
L’aveu urgent d’un amour coupable
● 2e mvt : “Le ciel mit dans mon sein [...] un supplice trop doux.”
Phèdre, victime d’un destin subi

● 3e mvt : “Le fer aurait tranché [...] toute sa pureté.”


L’agonie d’une héroïne tragique
1er mouvement

L’aveu pressé d’un amour coupable, la réhabilitation d’un mort innocent

Les moments me sont chers, écoutez−moi, Thésée,


C'est moi qui sur ce fils chaste et respectueux
Osai jeter un oeil profane, incestueux.
Les moments me sont chers
Phèdre consciente de l’urgence de la situation : sa mort est proche, le temps qui lui reste pour s’expliquer est précieux

écoutez−moi, Thésée,
impératif présent souligne cette urgence, Ph sollicite avec détermination l’attention de son mari qu’elle interpelle. Avant d'expirer,
elle veut rétablir la vérité.

C'est moi qui [...] / osai jeter


Aveu avec la tournure emphatique " c'est moi qui "qui semble la désigner comme seule coupable : sujet moi mis en relief, le rejet du
verbe sur le vers suivant accentue l'horreur d’un crime annoncé comme inconcevable avec l’emploi du verbe “oser”

sur ce fils chaste et respectueux


anteposition du complément d’objet second du verbe permet de désigner la victime du crime en la confrontant à son bourreau :
Hippolyte hypervalorisé avec 2 adjectifs mélioratifs qui le présentent comme innocent > chaste : qui est resté pur, éloigné de toute
pensée sensuelle / respectueux : qui a traité la femme de son père avec la considération/distance qu’il lui devait

un oeil profane, incestueux.


parallélisme et antithèse des 2 vers et des compléments du verbe : le regard porté par Ph. sur H. contraste absolument avec la
désignation précédente. L’oeil, par métonymie, = Ph., est qualifié de profane : l’adjectif rappelle ici qu'elle n'a pas respecté les liens
sacrés de la famille, qu’elle a donc offensé les Dieux. Son crime est un sacrilège. Ce que l’adjectif incestueux souligne. Ce n'est plus
seulement une amoureuse qui se donne la mort pour échapper à sa passion : c'est une femme criminelle qui mérite de mourir pour
le mal qu'elle a fait.
2e mouvement
Le récit des faits : Phèdre se présente comme la victime d’un destin subi

Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste ;


La détestable Oenone a conduit tout le reste.
Elle a craint qu'Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur.
La perfide, abusant de ma faiblesse extrême,
S'est hâtée à vos yeux de l'accuser lui−même.
Elle s'en est punie, et fuyant mon courroux,
A cherché dans les flots un supplice trop doux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste
Elle entame le récit de l'enchaînement des faits qui ont mené à la mort d'un innocent
1e métonymie : “le ciel”, les Dieux sont à l’origine de son amour dévorant et fatal
“une flamme funeste” métaphore du feu destructeur pour désigner la passion, force
incontrôlée qui consume Phèdre - pour désigner aussi le Soleil?
2e métonymie “dans mon sein” Ph. objet > manière de rejeter sa culpabilité.
Ph. se présente comme victime de Dieux cruels qui s'acharnent à punir son sang pour une
faute commise par un ancêtre : son grand-père le Soleil a rendu publiques les amours de
Mars et Vénus.

Ensuite, réquisitoire contre Oenone, présentée comme l’autre coupable

La détestable Oenone a conduit tout le reste.

«détestable» avant « perfide » au v.1630 : vocabulaire dépréciatif.


Accusée d'avoir "conduit " la trahison et même d'avoir abusé de la situation car Phèdre se
trouvait dans une "faiblesse extrême "
Elle a craint qu'Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur.
Rappel des circonstances qui ont mené à la tragédie : l'aveu de l'amour de Phèdre (“instruit de ma fureur”) s'est
déroulé alors qu'elle croyait son époux mort. Mais le retour de Thésée a modifié la situation. Face au danger de voir
le jeune homme révéler à son père les avances de Phèdre (“un feu qui lui faisait horreur”) pendant son absence, la
nourrice a eu l'idée d'accuser Hippolyte (“S'est hâtée à vos yeux de l'accuser lui−même”)
Phèdre se présente comme victime de l’extrême fidélité de sa servante Oenone : en position d’objetpassif comme si
elle subissait la volonté de la servante : “abusant de ma faiblesse” tandis qu’Oenone=sujet de ts les verbes d’action “a
conduit, craint, s’est hâtée”
Phèdre donne sa version de la mort d’Oenone car Thésée voulait la faire chercher :
Elle s'en est punie, et fuyant mon courroux,
A cherché dans les flots un supplice trop doux.

"elle s'en est punie" : mort ici choix assumé lié au remords de la nourrice
Phèdre évoque sa colère "fuyant mon courroux" dissimulant sa complicité (elle n'a rien fait pour dissuader Oenone
au contraire, acte II, scène 4, " fais ce que tu voudras, je m'abandonne à toi/ dans le trouble où je suis, je ne peux rien
pour moi" En gardant le silence , Phèdre a une part de responsabilité.
Euphémisme qui désigne le suicide par noyade d’Oe “elle a cherché dans les flots” est balayé par la périphrase avec
oxymore « supplice trop doux », qui souligne ………….
3e mouvement
l’agonie d’une héroïne tragique qui ne trouve d’issue que dans la mort

Le fer aurait déjà tranché ma destinée ;


Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée :
J’ai voulu, devant vous exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage
Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ;
Et la mort à mes yeux dérobant la clarté,
Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté.
Le fer aurait déjà tranché ma destinée ;

évocation de la 1e tentative de suicide : qd elle a demandé à Hippolyte de la tuer de son épée (voir le symbole, double) >
métonymie traditionnelle du fer = arme blanche + métaphore filée avec trancher le fil du destin = tuer //Racine≠Sénèque
-Phèdre s’y donne la mort avec une épée

Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée :

Refus d'une mort prématurée car volonté de rétablir l’innocence d’Hippolyte


Hippolyte = incarnation de la vertu que sa mort aurait condamné à rester accusée à tort

J’ai voulu, devant vous exposant mes remords,

> réhabilitation de l’honneur bafoué, de la dignité / repentir “remords” est prononcé

Par un chemin plus lent descendre chez les morts.


la précision « chemin plus lent » : peut être interprétée de deux manières :
on peut, en effet, comprendre qu'elle a agi pour retarder sa propre mort > elle justifie le délai qu'elle s'accorde pour
prendre le temps de s’expliquer face à Thésée.
mais cela montre également une forme de souffrance plus longue = forme de sacrifice
métaphore traditionnelle de la descente aux Enfers = mort (mais aussi voyage de Thésée)
J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison…

Choix du Poison = amour empoisonné ?


+ bienséance : pas de sang pour inhabituelle mort sur scène.
difficulté à dire, à réaliser qu’elle s’est condamnée ?
image du poison qui se diffuse en les enflammant dans ses "brûlantes veines"
ou bien son sang est-il déjà enflammé par la passion?

Un poison que Médée apporta dans Athènes.

nouvelle figure de femme passionnée et meurtrière : la magicienne Médée,


belle-mère de Thésée et experte en baumes et poisons. Elle aussi victime de la
passion pour son premier époux, le héros de la Toison d’or Jason qui la répudie
pour épouser une princesse. La trahison conduit Médée à tuer sa rivale et le père
de cette dernière avant d'immoler ses propres enfants.

Filiation des 2 femmes : dimension monstrueuse et tragique - cf famille de


Phèdre > demi-frère minotaure tué par Thésée, monstre fruit des amours de sa
mère Pasiphaé avec un taureau + Ariane qui trahit père et frère en aidant Thésée
Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu (... Déjà 2 vers plus loin)
Mise en scène de l’agonie du personnage qui précise l'écoulement du poison dans son corps
"j’ai pris, j’ai fait couler » : dimension pathétique soulignée par parallélisme : discours moins assuré, voire maladroit :
répétitions de l’adverbe « déjà » : la parole semble se dérégler.

Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu


Conséquences physiques des effets du poison qui marque l'approche de la mort

Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage


Sa vue se trouble également > obscurité métaphorique de la mort + rideau qui va tomber avec la fin du spectacle
//même image de l’ombre de la mort imminente :“à mes yeux dérobant la clarté”

et le ciel et l’époux que ma présence outrage


Rappel de la faute dans double dimension : religieuse - dieux offensés par la faute de son ancêtre le Soleil / conjugale -
époux humilié par la trahison d’un amour incestueux, par le crime odieux dont elle a laissé accuser un innocent.

Et la mort à mes yeux dérobant la clarté,


Mort apparaît comme un soulagement : fin de la souffrance, de la brûlure incessante, de l’aveuglement causés par la
passion amoureuse > clarté du jour qui révèle l’énormité de la faute

Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté.


Phèdre meurt en chrétienne : “outrage”, “souillaient”, “pureté” = chp lex du repentir, de la réparation de la faute
Ombre de la mort s’oppose avec lumière de la vérité retrouvée = “pureté” - dernier mot de Phèdre
Retour de la lumière peut être interprété comme le signe d’une rédemption de Ph. dans la mort.

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