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HISTOIRE ET VIOLENCE

CORPUS n°1 : « Images de la violence et de la guerre dans la littérature et dans les Arts »
Comment les écrivains dénoncent-ils le non-sens et l’absurdité de la violence guerrière ?

Sommaire

I) Comparaison de textes épiques


Homère, l’Iliade - la mort d’Hector
Laurent Gaudé, La Mort du Roi Tsongor, 2011 - le massacre

II) Etude transversale du corpus « La Grande Guerre »


Gaston Biron, Lettre d’un poilu, 1915
Erick Maria Remarque, A l’Ouest, rien de nouveau, 1928
Louis-Ferdinand Celine, Voyage au bout de la nuit, 1932
David Diop, Frère d’âme, 2018

III) Violence dans le cinéma de guerre américain


1. Extrait d’≪ Apocalypse Now ≫ de Francis Ford Coppola (1979)
2. Extrait de ≪ Tu ne tueras point ≫ de Mel Gibson (2016)
3. Extrait d’ ≪ Inglourious Basterds ≫ de Quentin Tarantino (2016)

Lectures cursives / Filmographie


La Chambre des Officiers M. Dugain / F Dupeyron
Un long dimanche de fiançailles S. Japrisot / JP Jeunet
Au revoir là-haut, P. Lemaître / A. Dupontel

Histoire des Arts


Otto Dix
Tardi

Poésie (Ouverture)
Eluard, La Victoire de Guernica

EVALUATION

Question d’Interprétation (sur l’un des 4 textes du corpus sur la Grande Guerre)
Par quels moyens littéraires l’auteur du texte choisi fait-il de la guerre une situation absurde ?

Question de Réflexion (utiliser l’ensemble du corpus et vos connaissances personnelles)


Comment les écrivains dénoncent-ils le non-sens et l’absurdité de la violence guerrière ?

GRAND ORAL
Présentation d’une lecture cursive
Le souffle épique du récit guerrier, d’Homère à Gaudé

Extrait du chant XXII de l’Iliade (vers le 8ème siècle avant JC) d’Homère
Le Grec Achille veut venger son ami Patrocle, que le Troyen Hector a tué. Dans ce passage, les deux hommes
s’affrontent…

II [Hector] dit, et, brandissant sa longue javeline, il la lance en avant. Et il atteint le Péléide au milieu de
son bouclier, sans faute. Mais la lance est rejetée bien loin de l'écu, et Hector s'irrite de voir qu'un trait rapide est
parti pour rien de sa main. Il reste là, humilié; il n'a plus de pique de frêne. Il appelle d'un grand cri Déiphobe au
bouclier blanc, il demande une longue lance : et Déiphobe n'est plus à ses côtés ! Hector en son cœur comprend, et
il dit :

« Hélas ! point de doute, les dieux m'appellent à la mort. Je croyais près de moi avoir le héros Déiphobe. Mais il est
resté dans Troie : Pallas Athéné m'a joué! A cette heure, elle n'est plus loin, elle est là, pour moi toute proche, la
cruelle mort. Nul moyen de lui échapper. C'était donc là depuis longtemps le bon plaisir de Zeus, ainsi que de son
fils, l'Archer, eux qui naguère me protégeaient si volontiers! Et voici maintenant le Destin qui me tient. Eh bien!
non, je n'entends pas mourir sans lutte ni sans gloire, ni sans quelque haut fait, dont le récit parvienne aux
hommes à venir. »

II dit, et il tire le glaive aigu suspendu à son flanc, le glaive grand et fort; puis, se ramassant, il prend son
élan, tel l'aigle de haut vol, qui s'en va vers la plaine, à travers les nues ténébreuses, pour ravir un tendre agneau ou
un lièvre qui se terre; tel s'élance Hector, agitant son glaive aigu. Achille aussi bondit; son cœur se remplit d'une
ardeur sauvage; il couvre sa poitrine de son bel écu ouvragé; sur son front oscille son casque étincelant à quatre
bossettes, où voltige la crinière d'or splendide, qu'Héphaestos a fait tomber en masse autour du cimier. Comme
l'étoile qui s'avance, entourée des autres étoiles, au plein cœur de la nuit, comme l'Étoile du soir, la plus belle qui ait
sa place au firmament, ainsi luit la pique acérée qu'Achille brandit dans sa droite, méditant la perte du divin Hector
et cherchant des yeux, sur sa belle chair, où elle offrira le moins de résistance. Tout le reste de son corps est protégé
par ses armes de bronze, les belles armes dont il a dépouillé le puissant Patrocle, après l'avoir tué. Un seul point se
laisse voir, celui où la clavicule sépare l'épaule du cou, de la gorge. C'est là que la vie se laisse détruire au plus vite,
c'est là que le divin Achille pousse sa javeline contre Hector en pleine ardeur. La pointe va tout droit à travers le
cou délicat. La lourde pique de bronze ne perce pas cependant la trachée : il peut ainsi répondre et dire quelques
mots. Et cependant qu'il s'écroule dans la poussière, le divin Achille triomphe :

« Hector, tu croyais peut-être, quand tu dépouillais Patrocle, qu'il ne t'en coûterait rien; tu n'avais cure de
moi : j'étais si loin! Pauvre sot!... Mais, à l'écart, près des nefs creuses, un défenseur — bien plus brave — était
resté en arrière : moi, moi qui viens de te rompre les genoux, et les chiens, les oiseaux te mettront en pièces
outrageusement, tandis qu'à lui les Achéens rendront les honneurs funèbres. »
Extrait de La Mort du roi Tsongor (2002), de Laurent Gaudé
La Mort du roi Tsongor raconte le combat, dans la ville imaginaire de Massaba, entre deux armées, celle de
Kouame d’un côté et celle de Sango Kerim de l’autre, pour une femme, Samilia.

A Massaba, le combat dura toute la journée. Dix heures de lutte sans interruption. Dix heures de coups
donnés et de vies perdues. Kouame et Sango Kerim, chacun de leur côté, pensaient remporter une victoire
rapide. Enfoncer les premières lignes, mettre en fuite les ennemis et les poursuivre jusqu'à ce qu'ils se rendent.
Mais devant la force de l'adversaire, au fil des heures, ils avaient dû s'installer dans la bataille. Alterner les
lignes de front pour que les guerriers puissent se reposer un temps, extraire les blessés de la mêlée et repartir
ensuite, la bave aux lèvres et les muscles éreintés par l'effort. Et même alors, aucune victoire ne se dessinait.
Les deux armées continuaient à se faire face. Comme deux béliers qui s'affrontent, trop fatigués pour charger
mais trop vaillants pour céder le moindre arpent de terre.

Lorsque enfin le soleil se coucha et que le combat cessa, chacune des deux armées était à l'endroit
même où elle avait commencé la lutte. Personne n'avait avancé ni reculé. Les morts s'étaient entassés,
simplement, sous les murailles de Massaba. Un champ immense de corps indistincts dans lequel se mêlaient
les couleurs des étoffes et les armes brisées. Tolorus, le vieux compagnon de Kouame, était mort. Il avait
toujours chargé avec rage, piétinant ses ennemis, faisant frémir, par ses cris, ceux qui l'affrontaient, avançant
sans cesse avec fureur dans la forêt de pics que lui opposaient les crânes rouges de Karavanath', avançant
comme un démon, semant partout la panique et l'effroi. Jusqu'à ce que, dans la mêlée, Rassamilagh l'aperçoive
et pique-les flancs de son chameau. La charge de l'animal était brutale. Il piétina plusieurs corps sur son
passage et lorsque enfin il arriva sur Tolorus, d'un geste sec, Rassamilagh abattit son glaive et le décapita. Sa
tête étonnée alla rouler aux pieds des siens et pleura, un instant, sur cette vie qui lui était enlevée.

Karavanath', de son côté, voulait à tout prix planter sa lance dans les flancs de Kouame. Il marchait
droit sur lui, excitant les siens au combat, leur parlant de la gloire qu'ils connaîtraient s'ils tuaient le roi des
terres du sel. Mais ce n'est pas Kouame que Karavanath' rencontra. Sur son chemin était Arkalas, le chef des
chiennes de guerre. Il eut à peine le temps de distinguer son ennemi. Tout juste entendit-il un cliquetis de
bijoux et des hurlements de jubilation qui fondaient sur lui. Puis il sentit un corps lui sauter dessus, le
renverser et planter dans sa gorge ses dents. C'est ainsi qu'Arkalas prit la vie de Karavanath'. Il lui trancha la
veine jugulaire et la mort s'abattit sur ses yeux. Son corps fit encore quelques hoquets. Et il eut le temps
d'entendre la voix de celui qui le tuait lui murmurer : "Je suis belle et je te tue."

A tous ces corps de braves que la vie avait quittés s'ajoutaient, en un amas putride, les cadavres de
chevaux et les innombrables chiens de guerre qui s'étaient entre-déchirés et gisaient, les pattes en l'air, raidis
dans la mort. Lorsque le combat cessa et que les deux armées remontèrent dans les collines, défaites, épuisées,
trempées de sang et de sueur, on eût dit qu'elles avaient accouché, dans la plaine, d'une troisième armée. Une
armée immobile. Allongée face contre terre. L'armée des morts qui était née après dix heures de contractions
sanglantes. L'armée de tous ceux qui resteraient à jamais dans la poussière de la plaine, au pied de Massaba.
La Grande Guerre

Lettre d’un poilu

Gaston Biron avait vingt-neuf ans en 1914. Pendant plus de deux ans de guerre, Gaston, qui ne cessait
d’écrire à sa mère Joséphine, avait attendu en vain une permission qui ne venait pas. Et puis le grand
jour vint, malheureusement chargé d’une épouvantable déception : à l’arrière, il arrivait que le spectacle
de ces poilus arrachés à leurs tranchées dérange… Gaston était le fils d’une famille de sept enfants.
Ses sœurs Berthe, Hélène, Blanche, Marguerite, Madeleine et Marie apprirent sa disparition à la fin de
l’été : blessé le 8 septembre 1916, il mourut de ses blessures le 11 septembre 1916 à l’hôpital de
Chartres.

Samedi 25 mars 1916 (après Verdun)

Ma chère mère,

[…] Par quel miracle suis-je sorti de cet enfer, je me demande encore bien des fois s’il est vrai que je suis
encore vivant ; pense donc, nous sommes montés mille deux cents et nous sommes redescendus trois
cents ; pourquoi suis-je de ces trois cents qui ont eu de la chance de s’en tirer, je n’en sais rien, pourtant
j’aurais dû être tué cent fois, et à chaque minute, pendant ces huit longs jours, j’ai cru ma dernière heure
arrivée. Nous étions tous montés là-haut après avoir fait le sacrifice de notre vie, car nous ne pensions pas
qu’il fût possible de se tirer d’une pareille fournaise. Oui, ma chère mère, nous avons beaucoup souffert et
personne ne pourra jamais savoir par quelles transes et quelles souffrances horribles nous avons passé. A
la souffrance morale de croire à chaque instant la mort nous surprendre viennent s’ajouter les souffrances
physiques de longues nuits sans dormir : huit jours sans boire et presque sans manger, huit jours à vivre
au milieu d’un charnier humain, couchant au milieu des cadavres, marchant sur nos camarades tombés la
veille ; ah ! j’ai bien pensé à vous tous durant ces heures terribles, et ce fut ma plus grande souffrance que
l’idée de ne jamais vous revoir. Nous avons tous bien vieilli ma chère mère, et pour beaucoup, les
cheveux grisonnants seront la marque éternelle des souffrances endurées ; et je suis de ceux-là. Plus de
rires, plus de gaieté au bataillon, nous portons dans notre cœur le deuil de tous nos camarades tombés à
Verdun du 5 au 12 mars. Est-ce un bonheur pour moi d’en être réchappé ? Je l’ignore mais si je dois
tomber plus tard, il eut été préférable que je reste là-bas. Tu as raison de prier pour moi, nous avons tous
besoin que quelqu’un prie pour nous, et moi-même bien souvent quand les obus tombaient autour de moi,
je murmurais les prières que j’ai apprises quand j’étais tout petit, et tu peux croire que jamais prières ne
furent dites avec plus de ferveur. […]

Ton fils qui te chérit et t’embrasse un million de fois.

Gaston

⮚ Quel témoignage de la guerre apporte l’auteur de cette lettre ?


C’était la guerre des tranchées, Tardi, 1993

Un long dimanche de fiançailles (2004) JP Jeunet


https://www.youtube.com/watch?v=Bf70OPKUyYU
adapté du roman de Sébastien Japrisot (1991)

Au revoir là-haut (2017) A. Dupontel


https://www.youtube.com/watch?v=HHmt2OxRCYA
adapté du roman de Pierre Lemaître (2015)

La chambre des officiers (2001) F. Dupeyron


https://www.youtube.com/watch?v=MFL5mLiaZtg
adapté du roman de Marc Dugain (1998)

Annexe :
http://classes.bnf.fr/heros/arret/03_3.htm
https://www.herodote.net/Les_visages_defigures_de_la_Grande_Guerre-synthese-1938.php
http://www.reseau-canope.fr/pour-memoire/larmistice-du-11-novembre-1918/1918-une-europe-meurtrie/les-gueule
s-cassees.html
Otto Dix, La guerre, 1929-1932

Erich Maria REMARQUE - A l’Ouest, rien de nouveau, 1929


Le narrateur, Paul Baümer, engagé volontaire dans l'armée allemande, décrit les combats sur le front
ouest de l'Allemagne, pendant la Première Guerre mondiale.

Nos visages sont pleins de croûtes : notre pensée est anéantie; nous sommes mortellement las. Lorsque
l'attaque arrive, il faut en frapper plus d'un à coups de poing pour qu’il se réveille et suive. Les yeux sont
enflammés, les mains déchirées, les genoux saignent. les coudes sont rompus.

Sont-ce des semaines, des mois ou des années qui passent ainsi? De simples journées. Nous voyons le
temps disparaître, à côté de nous, sur les visages décolorés des mourants: nos cuillères versent des
aliments dans notre 10 corps, nous courons, nous lançons des grenades, nous tirons des coups de feu, nous
tuons, nous nous étendons n'importe où, nous sommes exténués et abrutis et une seule chose nous soutient
: c'est qu'il y en a encore de plus exténués, de plus abrutis, de plus désemparés, qui, les yeux grands
ouverts, nous regardent comme des dieux, nous qui, parfois, pouvons échapper à la mort. [...]

Nous voyons des gens, à qui le crâne a été enlevé, continuer de vivre; nous voyons courir des soldats dont
les deux pieds ont été fauchés; sur leurs moignons éclatés, ils se traînent en trébuchant jusqu'au prochain
trou d'obus ; un soldat de première classe rampe sur ses mains pendant deux kilomètres en traînant
derrière lui ses genoux brisés; un autre se rend au poste de secours, tandis que ses entrailles coulent
par-dessus ses mains qui les retiennent; nous voyons des gens sans bouche, sans mâchoire inférieure, sans
figure; nous rencontrons quelqu'un qui, pendant deux heures, tient serrée avec les dents l’artère de son
bras, pour ne point perdre tout son sang; le soleil se lève, la nuit arrive, les obus sifflent, la vie s'arrête.
Cependant, le petit morceau de terre déchirée où nous sommes a été conservé, malgré des forces
supérieures et seules quelques centaines de mètres ont été sacrifiées. Mais pour chaque mètre, il y a un
mort.
Louis-Ferdinand CÉLINE - Voyage au bout de la nuit, 1932
Céline s’inspire de sa propre expérience de la Première Guerre Mondiale, à laquelle il a participé en tant que médecin. Dans
ce roman, il met en scène Ferdinand Bardamu, un homme ordinaire qui découvre la violence guerrière.
Décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique.
On est puceau de l'Horreur comme on l'est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette
horreur en quittant la place Clichy (1) ? Qui aurait pu prévoir, avant d'entrer vraiment dans la guerre, tout
ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes? A présent, j'étais pris dans cette fuite en
masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait des profondeurs et c'était arrivé.
Le colonel ne bronchait toujours pas, je le regardais recevoir, sur le talus, des petites lettres du général
qu'il déchirait ensuite menu (2), les ayant lues sans hâte, entre les balles.
Dans aucune d'elles, il n'y avait donc l'ordre d'arrêter net cette abomination ? On ne lui disait donc pas
d'en haut qu'il y avait méprise ? Abominable erreur ? Maldonne (3) ? Qu'on s'était trompé ? Que c'était
des manœuvres pour rire qu'on avait voulu faire, et pas des assassinats !
Mais non ! « Continuez, colonel, vous êtes dans la bonne voie ! » Voilà sans doute ce que lui
écrivait le général des Entrayes, de la division, notre chef à tous, dont il recevait une enveloppe chaque
cinq minutes, par un agent de liaison, que la peur rendait chaque fois un peu plus vert et foireux. J'en
aurais fait mon frère peureux de ce garçon-là ! Mais on n'avait pas le temps de fraterniser non plus.
Donc pas d'erreur ? Ce qu'on faisait à se tirer dessus, comme ça, sans même se voir, n'était pas défendu !
Cela faisait partie des choses qu'on peut faire sans mériter une bonne engueulade. C'était même reconnu,
encouragé sans doute par les gens sérieux, comme le tirage au sort (4), les fiançailles, la chasse à courre !
… Rien à dire. Je venais de découvrir d'un coup la guerre tout entière. J'étais dépucelé. Faut être à peu
près seul devant elle comme je l'étais à ce moment-là pour bien la voir la vache, en face et de profil. On
venait d'allumer la guerre entre nous et ceux d'en face, et à présent ça brûlait ! Comme le courant entre les
deux charbons, dans la lampe à arc (5). Et il n'était pas près de s'éteindre le charbon ! On y passerait tous,
le colonel comme les autres, tout mariole (6) qu'il semblerait être, et sa carne (7) ne ferait pas plus de rôti
que la mienne quand le courant d'en face lui passerait entre les deux épaules.
Il y a bien des façons d'être condamné à mort. Ah ! Combien n'aurais-je pas donné à ce moment-là pour
être en prison au lieu d'être ici, moi crétin ! Pour avoir, par exemple, quand c'était si facile, prévoyant,
volé quelque chose, quelque part, quand il en était temps encore. On ne pense à rien ! De la prison, on en
sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c'est des mots.
Si seulement j'avais encore eu le temps, mais je ne l'avais plus ! Il n'y avait plus rien à voler !
(1) la Place Clichy : place parisienne, dans un quartier populaire.
(2) menu : emploi adverbial : en petits morceaux.
(3) maldonne : terme utilisé dans les jeux de cartes pour désigner une erreur de distribution (mauvaise donne)
(4) le tirage au sort : méthode utilisée pour la conscription : on tirait au sort pour savoir si on allait à la guerre ou pas.
(5) la lampe à arc : lampe qui s’allume par la mise en contact de deux électrodes où se forme un arc électrique.
(6) mariole : argot : fanfaron, fier.
(7) une carne : argot : viande coriace.

Question d’interprétation littéraire : Par quels moyens littéraires Céline fait-il de la guerre une
situation absurde dans cet extrait ?
David DIOP, Frère d’âme, 2018

Pendant la Première Guerre Mondiale, Alfa Ndiaye, un tirailleur sénégalais se battant pour la France,
assiste à l’agonie et la mort de son ami d’enfance, Mademba Diop, qu’il n’a pas le courage d’achever. Ce
deuil et sa propre lâcheté le rendent barbare. Il commence donc à adopter un rituel macabre : défier la
mort pour couper la main de tous les ennemis tués, ce qui finit par inquiéter tous ses compagnons de
guerre.

Quand le capitaine s'apprêtait à siffler la sortie du ventre de la terre pour qu'on se jette comme des
sauvages, fous temporaires, sous les petites graines de fer ennemies qui se foutent de nos hurlements, plus
personne ne voulait se placer à côté de moi. Plus personne n'osait me coudoyer dans le fracas de la guerre
au sortir des entrailles chaudes de la terre. Plus personne n'a supporté de tomber sous les balles d'en face
près de moi. Par la vérité de Dieu, je suis resté seul dans la guerre.

C’est ainsi que les mains ennemies après la quatrième m'ont valu la solitude. La solitude au milieu des
sourires, des clins d'œil, des encouragements de mes camarades soldats noirs ou blancs. Par la vérité de
Dieu, ils ne souhaitaient pas s'attirer le mauvais œil du soldat sorcier, la poisse du copain de la mort.[…]

C'est pourquoi, depuis quelques mains, quand le capitaine Armand sifflait l'attaque, ils se plaçaient à dix
grands pas de part et d'autre de moi. Certains, juste avant de sortir en hurlant des entrailles chaudes de la
terre, évitaient même de me voir, de poser leurs yeux sur moi, de m'effleurer du regard, comme si me
regarder c'était toucher avec les yeux, le visage, les bras, les mains, le dos, les oreilles, les jambes de la
mort. Comme si me regarder c'était déjà mourir.

L'être humain cherche toujours des responsabilités absurdes aux faits. C'est comme ça. C’est plus simple.
Je l'ai compris, à présent que je peux penser ce que je veux. Mes camarades de combat, Blancs et Noirs,
ont besoin de croire que ce n'est pas la guerre qui risque de les tuer, mais le mauvais œil. Ils ont besoin de
croire que ce n'est pas une des milliers de balles tirées par les ennemis d'en face qui les tuera par hasard.
Ils n'aiment pas le hasard. Le hasard est trop absurde. Ils veulent un responsable, ils préfèrent penser que
la balle ennemie qui les atteindra est dirigée, guidée par quelqu'un de méchant, de mauvais, de
malintentionné. Ils croient que ce méchant, ce mauvais, ce malintentionné, c'est moi. Par la vérité de
Dieu, ils pensent mal et très peu. Ils pensent que si je suis vivant après toutes ces attaques, si aucune balle
ne m'a touché, c’est parce que je suis un soldat sorcier. Ils pensent à mal aussi. Ils disent que beaucoup de
copains de guerre sont morts à cause de moi, pour avoir reçu des balles qui m'étaient destinées.

C’est pour ça que certains me souriaient hypocritement. C'est pour ça que d'autres détournaient le regard
dès que j'apparaissais, que d'autres fermaient les yeux pour que leur regard ne me touche pas, ne
m’effleure pas. Je suis devenu tabou comme un totem.
Question de RÉFLEXION

Comment les écrivains dénoncent-ils le non-sens et l’absurdité de la violence guerrière ?

I- Dans ce corpus romanesque, la violence guerrière apparaît ….

1/ … déshumanisante

2/… chaotique

3/… irréelle / lointaine / abstraite

4/… absurde / illogique / sans signification

II- Les choix romanesques mettent en relief cette absurdité et cette irréalité grâce …

1. À la plongée dans l’esprit d’un personnage confronté à la violence, qui traduit sa subjectivité et son
regard individuel, ce qui permet l’identification du lecteur

2. Au statut différent des personnages face à la violence guerrière qui permet au lecteur de se projeter
dans différents rôles :

3. A l’expression des émotions de ces personnages :

> Ce qui surprend, c’est l’absence de colère et de révolte : la violence guerrière de masse est trop
inhumaine, trop innommable pour être saisie à l’échelle individuelle.
Paul Eluard, « La victoire de Guernica », Cours naturel, 1938

I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs
II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d'exemple
IV
La mort cœur renversé
V
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l'eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
VI
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l'aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s'accablaient de politesses
VII
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
VIII
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
IX
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent
X
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
XI
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
XII
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
XIII
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l'espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir
XIV
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.
I Une vie heureuse :

1- Quelle atmosphère se dégage des parties I, II et III ? Quelles consonnes renforcent


cette impression ?
2- Que décrit le poète ?
3- Quelles remarques peut-on faire sur le vers « Voici le vide qui vous fixe » ? Quel rôle
joue ce vers dans le poème ?

II Un ennemi invisible :

1- Quel est le sujet dans les parties V, VI, VII ?


2- Quel est le temps verbal dominant dans la partie VI ? Pourquoi ?
3- Quelle est l'attitude de ces personnages ?
4- Comment peut-on expliquer le changement de temps verbal dans la partie VII ?

III L'obsession de la mort :

1- Quelles sont les victimes désignées dans ce texte ? De quelle manière l'auteur les met-il
en avant ?
2- Quelle opposition de couleurs peut-on relever implicitement dans les parties VIII et X ?
Quel peut en être le sens ?
3- Comment fonctionnent les parties XII et XIII ? Quel est le but recherché ?
4- Dans les parties XIII et XIV, quel est le pronom personnel utilisé ? Pourquoi ?
Prolongement : Violence dans le cinéma de guerre

Quelles images de la violence le cinéma de guerre propose-t-il ?

Choisissez l'UN des trois extraits proposés et commentez les procédés cinématographiques utilisés pour

répondre

► Extrait n°1 : « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola (1979)

La chevauchée des Walkyries

https://www.youtube.com/watch?v=nZ_zNUmr8fM

► Extrait n°2 : « Tu ne tueras point » de Mel Gibson (2016) (Hacksaw Ridge)

La scène d’ouverture du film

https://www.youtube.com/watch?v=cBexNXAVH8E&feature

► Extrait n°3 : « Inglourious Basterds » de Quentin Tarantino (2016)

Le massacre du cinéma

https://www.youtube.com/watch?v=UKxuhnDeRls&feature=youtu.be

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