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sous leurs poupes, luttant dans un étroit espace sur le cadavre de Patroklos.

Le mythe solaire grec Ceci est fatal. Je me soucie peu de ta colère, quand même tu irais aux dernières
limites de la terre et de la mer, où sont couchés Iapétos et Kronos, loin des
vents et de la lumière de Hélios, fils de Hypériôn, dans l’enceinte du creux
Tartaros. Quand même tu irais là, je me soucie peu de ta colère, car rien n’est
plus impudent que toi.
Hypérion
Homère, Iliade, chant VIII, 480, trad. Leconte de Lisle.
[Homère, VIIIème siècle av. J.-C.]
I. Hypérion, fils d’Ouranos et père d’Hèlios.

Avant toutes choses fut Khaos 1, et puis Gaia2 au large sein, siège toujours Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu’il eut
solide de tous les Immortels qui habitent les sommets du neigeux Olympos renversé la citadelle sacrée de Troiè. Et il vit les cités de peuples nombreux,
et le Tartaros 3 sombre dans les profondeurs de la terre spacieuse, [120] et et il connut leur esprit ; et, dans son cœur, il endura beaucoup de maux, sur
puis Érôs 4, le plus beau d’entre les Dieux Immortels, qui rompt les forces, et la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva
qui de tous les Dieux et de tous les hommes dompte l’intelligence et la point, contre son désir ; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant
sagesse dans leur poitrine. mangé les bœufs de Hèlios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l’heure du
Et de Khaos naquirent Érébos 5 et la noire Nyx 6. Et, de Nyx, Aithèr7 et retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus.
Hèmérè 8 naquirent, car elle les conçut, s’étant unie d’amour à Érébos.
Et, d’abord, Gaia enfanta son égal en grandeur, l’Ouranos 9 étoilé, afin qu’il Homère, Odyssée, chant I, 8, trad. Leconte de Lisle.
la couvrit tout entière et qu’il fût une demeure sûre pour les Dieux heureux.
Et puis, elle enfante les hautes montagnes, fraîches retraites des divines 130
Nymphes 10 qui habitent les montagnes coupées de gorges, et puis la mer
stérile qui bout furieuse, Pontos ; mais pour cela, ne s’étant point unie II. Hypérion, Hèlios lui-même.
d’amour. Et puis, unie à Ouranos : elle enfante Okéanos aux tourbillons
profonds, et Koios, et Kréios, et Hypériôn 11, et Iapétos, et Théia12, et Rhéia, Et Automédôn et Alkimos lièrent les chevaux au joug avec de belles
et Thémis, et Mnèmosynè, et Phoibè couronnée d’or, et l’aimable Téthys. Et courroies ; ils leur mirent les freins dans la bouche, et ils roidirent les rênes
le dernier qu’elle enfante fut le subtil Kronos, le plus terrible de ses enfants, vers le siège du char. Et Automédôn y monta, saisissant d’une main habile le
qui prit en haine son père vigoureux. fouet brillant, et Achille y monta aussi, tout resplendissant sous ses armes,
comme le matinal Hypérion.
Hésiode, Théogonie, 110, trad. Leconte de Lisle.
[Hésiode, VIIIème siècle av. J.-C.] Homère, Iliade, chant XIX, 398, trad. Leconte de Lisle.
[Homère, VIIIème siècle av. J.-C.]
Et Théia enfante le grand Hèlios et la luisante Sélènè 13, et Éôs 14 qui apporte
la lumière à tous les hommes terrestres et aux Dieux immortels qui habitent Et Poséidon était allé chez les Éthiopiens qui habitent au loin et sont partagés
le large Ouranos. Et elle les enfanta, s’étant unie d’amour à Hypériôn. en deux peuples, dont l’un regarde du côté de Hypériôn, au couchant, et
l’autre au levant. Et le Dieu y était allé pour une hécatombe de taureaux et
Hésiode, Théogonie, 370, trad. Leconte de Lisle. d’agneaux. Et comme il se réjouissait, assis à ce repas, les autres Dieux étaient
réunis dans la demeure royale de Zeus Olympien. Et le Père des hommes et
des Dieux commença de leur parler, se rappelant dans son cœur
Et Zeus qui amasse les nuées lui 15 répondit : l’irréprochable Égisthe que l’illustre Oreste, le fils d’Agamemnon, avait tué.
— Certes, au retour d’Éôs, tu pourras voir, vénérable Hèrè aux yeux de bœuf,
le tout-puissant Kroniôn mieux détruire encore l’armée innombrable des Homère, Odyssée, chant I, 24, trad. Leconte de Lisle.
Argiens ; car le brave Hektôr ne cessera point de combattre, que le rapide
Pèléiôn ne se soit levé auprès des nefs, le jour où les Akhaiens combattront

1 10
Ouverture béante, gouffre, abîme, espace immense et ténébreux qui existait avant l’origine des choses. νύμφη, propr. celle qui est recouverte ou voilée ; nymphe, divinité des eaux, des bois, des montagnes, etc.
2
La terre. La Terre, divinité. 11
Hypérion, Titan, fils d’Ouranos et père d’Hèlios.
3
Le Tartare, séjour souterrain au fond des Enfers, où Zeus précipite ceux qui l’ont offensé. 12
Théia (Θεία / Theía), Théa (Θέα / Théa, « divine »), Éthra (Αἴθρα / Aíthra, « brûlante, fougueuse ») ou Euryphaessa (Εὐρυφάεσσα /
4
L’amour. L’Amour, divinité. Eurypháessa, « toute nourricière ») ou encore Basilée (Βασίλεια / Basíleia, « royale »), mère d’Hèlios.
5
Érèbe. 1. obscurité, ténèbres, en parl. des enfers, qqf. en parl. du fond de la mer ; 2. l’Érèbe, fils du Chaos. 13
La lune. La Lune, divinité.
6
La nuit. La Nuit, divinité. 14
L’aurore. L’Aurore, divinité.
7
Région supérieure de l’air, éther, p. opp. à ἀήρ. Le fils d’Érèbe et de la Nuit. 15
Zeus répond à Héra.
8
Le jour. Le Jour, divinité.
9
Le ciel. Le Ciel, fils d’Érébos et de Gæa, père des Titans.
© Henri-Charles Alleaume. Janvier 2022.
Eschyle, Les Sept contre Thèbes, 859, trad. M. Pierron.
Hélios [Eschyle, ≈ 525 av. J.-C. - 456 av. J.-C.]
À Hèlios 16.

Phœbos
Commence, Muse, enfant de Zeus, Calliope , à chanter de nouveau un
17

hymne à Hèlios, étincelant, qu’enfanta Euryphaessa 18 aux yeux de bœuf


pour le fils de Gaia et d’Ouranos étoilé. Telle fut sa22 prière, et Apollon [Φοῖϐος Ἀπόλλων] l’entendit. Le cœur
Hypériôn épousa, en effet, sa sœur, l’illustre Euryphaessa, qui lui donna de enflammé de colère, il descend des sommets de l’Olympe portant sur son
beaux enfants, Éôs aux bras roses, et Sélènè aux beaux cheveux, et dos l’arc et le carquois : dans sa course, les flèches retentissent sur ses
l’infatigable Hèlios, semblable aux Dieux immortels, qui, traîné par ses épaules. Il s’avance, semblable à la nuit, s’arrête non loin des navires, et
chevaux, éclaire les hommes mortels et les Dieux immortels. lance un de ses traits : l’arc d’argent rend un son éclatant et terrible. Apollon
Terrible, il regarde de ses yeux, sous un casque d’or, et de clairs rayons atteint d’abord les mules et les chiens agiles ; mais bientôt, tournant le dard
jaillissent de lui-même, et, sur ses tempes, les joues brillantes du casque mortel contre les hommes, il les frappe eux-mêmes ; et sans cesse les
enferment sa belle face éclatante. Autour de son beau corps des vêtements bûchers dévorent les cadavres.
légers resplendissent au souffle des vents, et des étalons sont soumis au
joug ; et, là où il arrête, le soir, son char au joug d’or et ses chevaux, il les Homère, Iliade, chant I, 43.
envoie de l’Ouranos dans l’Okéanos.

Hymnes homériques, XXX, trad. Leconte de Lisle.


Phaéton
Et le sage Odysseus, lui répondant, parla ainsi :
— Bien que tu sois brave, ô Akhilleus semblable à un Dieu, ne pousse point Un des prêtres les plus âgés [de la ville de Sais, en Égypte] lui dit : Ô Solon,
vers Ilios, contre les Troiens, les fils des Akhaiens qui n’ont point mangé ; Solon, vous autres Grecs vous serez toujours enfants ; il n’y a pas de
car la mêlée sera longue, dès que les phalanges des guerriers se seront vieillards parmi vous. — Et pourquoi cela ? répondit Solon. — Vous êtes
heurtées, et qu’un Dieu leur aura inspiré à tous la vigueur. Ordonne que les tous, dit le prêtre, jeunes d’intelligence ; vous ne possédez aucune vieille
Akhaiens se nourrissent de pain et de vin dans les nefs rapides. Cela seul tradition ni aucune science vénérable par son antiquité. En 22c voici la
donne la force et le courage. Un guerrier ne peut, sans manger, combattre raison. / Le genre humain a subi et subira plusieurs destructions, les plus
tout un jour, jusqu’à la chute de Hélios. Quelle que soit son ardeur, ses grandes par le feu et l’eau, et les moindres par mille autres causes. Ce qu’on
membres sont lourds, la soif et la faim le tourmentent, et ses genoux sont raconte chez vous de Phaéton, fils du Soleil, qui, voulant conduire le char
rompus. Mais celui qui a bu et mangé combat tout un jour contre l’ennemi, de son père et ne pouvant le maintenir dans la route ordinaire, embrasa la
plein de courage, et ses membres ne sont las que lorsque tous se retirent de terre et périt lui-même frappé de la foudre, a toute l’apparence d’une fable
la mêlée. Renvoie l’armée et ordonne-lui de préparer le repas. ; ce qu’il y a 22d de vrai, c’est que dans les mouvements des astres autour
de la terre, il peut, à de longs intervalles de temps, arriver des catastrophes
Homère, Iliade, chant XIX, trad. Leconte de Lisle. où tout ce qui se trouve sur la terre est détruit par le feu.

Platon, Timée.
(On apporte les cadavres d’Étéocle et de Polynice.)
Mais19 ce n’est plus un récit ; ces maux lamentables, les voilà, ils sont sous
nos yeux ; le rapport était fidèle. Double objet de douleur ! double victime 1. Le palais du soleil s’élève sur de hautes colonnes, tout resplendissant d’or
d’un mutuel homicide ! double malheur qui comble tant de malheurs ! Que et de pierreries qui jettent l’éclat de la flamme : l’ivoire poli en couronne le
dirai-je ? un seul mot encore : l’infortune, au foyer de cette famille, succéda faîte, et l’argent rayonne sur les doubles battants de sa porte lumineuse (...)
sans cesse à l’infortune. — Mais le vent des lamentations s’élève, ô mes 2. Dès que le fils de Clymène a gravi le sentier qui mène à ce palais, et qu’il
amies ! Que les deux mains frappent la tête ; cadencé comme le battement a pénétré dans la demeure de celui qu’il n’ose plus appeler son père, il dirige
des rames, que le bruit propitiatoire se fasse entendre ; bruit qui fait voguer ses pas vers lui ; mais, ne pouvant soutenir l’éclat qui l’environne, il s’arrête,
sur l’Achéron 20 la barque des gémissements, théoride 21 aux noires voiles, et et le contemple de loin. 3. Voilé d’un manteau de pourpre, Phébus était
qui la pousse vers l’invisible terre où ne pénétrèrent jamais ni Apollon ni le
jour ; vers cette terre où tous les mortels trouvent leur place.

16 19
Ἥλιος, Hèlios, le Soleil, fils d’Hypériôn et de Théia ou d’Euryphaessa, dieu de la lumière, confondu, depuis Eschyle, avec Le Chœur, seul.
20
Phœbus (Φοῖϐος). – φοῖϐος, clair, brillant, en parl. de flamme. Phœbos (Phœbus) litt. « le brillant », surn. d’Apollon joint à Ἀπόλλων. Fleuve des Enfers.
21
17
Kalliopè (Calliope) la Muse de la poésie épique. On appelait θεωρίς le navire qui conduisait à Délos les théories, ou députations publiques des Athéniens. Eschyle applique
18
Euryphaessa, mère d’Hèlios. poétiquement ce nom à la barque des enfers.
22
La prière de Chrysès.
© Henri-Charles Alleaume. Janvier 2022.
assis sur un trône étincelant du feu des émeraudes. Il était entouré des jours, jusqu’au char immortel, présent de Vulcain. 12. L’essieu et le timon étaient
des mois, des années, des siècles, et des heures séparées par des intervalles d’or ; un cercle d’or formait la courbe des roues, sillonnées, d’espace en
égaux. On voyait, debout à ses côtés, le jeune printemps, couronné de fleurs espace, par des rayons d’argent semés sur le timon ; des chrysolithes et des
nouvelles, l’été nu, tenant des gerbes dans sa main, l’automne, encore tout pierreries, disposées avec art, réfléchissaient l’éclatante lumière du soleil. 13.
souillé des raisins qu’il a foulés, et le glacial hiver, aux cheveux blanchis et Tandis que l’audacieux Phaéton admire dans tous ses détails ce merveilleux
hérissés. Assis au milieu de cette cour, le Soleil, de cet œil qui voit tout dans ouvrage, la vigilante aurore ouvre les portes resplendissantes du radieux
le monde, a vu Phaéton immobile d’étonnement et de crainte à l’aspect de Orient ; elle sort de son palais de roses, les étoiles fuient, et se rassemblent en
tant de merveilles. foule autour de Lucifer, qui se retire le dernier du céleste séjour. Dès que le
4. « Quel motif t’amène en ces lieux, dit-il, et qu’y viens-tu chercher, ô mon soleil voit l’univers rougir aux feux naissants de l’aurore, et la lune s’éclipser
sang ! ô Phaéton, toi que je ne saurais renier pour mon fils ? » Il répond : « Ô jusqu’aux extrémités de son disque, 14. il commande aux heures rapides
flambeau qui dispense la lumière à l’immense univers, ô Phébus, ô mon père, d’atteler ses coursiers. Les déesses se hâtent d’exécuter ses ordres ; détachés,
si vous me permettez l’usage de ce nom, si Clymène ne couvre pas sa faute par leurs mains, de leur crèche céleste, les coursiers arrivent vomissant la
d’un voile mensonger, vous, l’auteur de mes jours, donnez-moi quelque gage flamme et saturés des sucs de l’ambroisie, et ils reçoivent le frein retentissant.
éclatant qui me déclare votre fils, et délivrez mon esprit du doute qui l’agite ». Apollon répand sur le front de son fils quelques gouttes d’une essence divine,
5. Il dit : et le Soleil, détachant les rayons éblouissants qui couronnent sa tête, le rend impénétrable aux traits rapides de la flamme, et couronne sa tête de
commanda à Phaéton de s’approcher, et, le serrant dans ses bras : « Non, tu rayons ; présage de son deuil, des soupirs redoublés s’échappent de son âme
ne dois pas être désavoué par moi, s’écrie-t-il ; Clymène a dit vrai en te inquiète ; 15. il s’écrie : « Si du moins tu daignes obéir aux derniers conseils
révélant ta naissance, et, pour lever tous tes doutes, demande à ton gré un de ton père, ô mon fils, fais plus souvent usage des rênes que de l’aiguillon.
gage de ma tendresse ; tu le recevras aussitôt. Qu’il soit témoin de ma D’eux-mêmes, mes coursiers précipitent leur course ; la difficulté est de
promesse, ce fleuve par lequel les dieux ont coutume de jurer, et que mes modérer leurs efforts. (...) 16. Mais tandis que je parle, la nuit humide, aux
yeux n’ont jamais vu ». 6. À peine il achevait ces mots, que Phaéton demande bornes de sa course, a touché les bords de l’Hespérie : je ne puis tarder plus
le char de son père et le droit de guider, un seul jour, les rênes de ses chevaux longtemps : l’univers attend ma présence : le flambeau de l’aurore a dissipé
ailés. 7. Le soleil regretta son serment, et secouant trois fois sa tête radieuse : les ténèbres. Prends les rênes en main, ou plutôt, si ton cœur sait changer, use
« Ton vœu, dit-il, a rendu mon serment téméraire ; Ah ! puissé-je ne pas de mes conseils plutôt que de mon char. Tu le peux ; tu n’as point encore
l’accomplir ! Ce refus, je l’avoue, est le seul que je voudrais te faire, ô mon quitté l’asile assuré que t’offre ce palais ; ta main téméraire ne guide pas encore
fils ! mais les conseils me sont encore permis : Tes désirs ne sont pas sans ce char, objet de tes désirs insensés ; à l’abri du péril, laisse-moi dispenser la
danger. Elle est grande, ô Phaéton, la tache où tu aspires ; elle ne sied ni à tes lumière au monde, et contente-toi d’en jouir ».
forces, ni à ta jeunesse. Tes destinées sont d’un mortel et tes vœux sont d’un 17. Mais le fougueux jeune homme s’élance sur le char rapide ; il s’y place, et,
dieu. Que dis-je ? les dieux mêmes n’oseraient porter si haut leur ambition ; joyeux de toucher les rênes confiées à ses mains, il rend grâce à son père, qui
tu l’ignores, toi qui ne crains pas d’y prétendre ! Aucun d’eux, quelque lui cède à regret. Cependant les agiles coursiers du Soleil, Pyroëis, Eoüs,
confiance qu’il ait en lui-même, ne peut, excepté moi, s’asseoir sur le char qui Æthon et Phlégon, remplissent l’air du bruit de leurs hennissements et du feu
répand la flamme. Le maître de l’Olympe lui-même, Jupiter, dont la main de leur haleine, et frappent du pied les barrières. À peine Téthys, ignorant la
terrible lance les foudres dévorantes, ne saurait le conduire ; et qui avons- destinée de son petit-fils, a-t-elle, en les levant, ouvert à leur ardeur l’immense
nous de plus grand que Jupiter ? 8. À l’entrée de la carrière, la route est carrière du monde, qu’ils prennent leur essor ; agités dans les airs, leurs pieds
escarpée ; à peine, le matin, mes coursiers, rafraîchis par le repos, peuvent-ils fendent les nuages qui s’opposent à leur passage, et, secondés par leurs ailes,
la gravir ; au milieu du ciel, sa hauteur est immense ; vues de ce point, la mer ils devancent les vents partis des mêmes lieux. 18. Mais le char était léger, les
et la terre me font souvent trembler moi-même ; l’effroi fait palpiter mon coursiers ne pouvaient le reconnaître ; le joug n’avait plus son poids ordinaire.
cœur et glace mon courage. À son déclin, c’est une pente rapide ; elle Tel qu’un vaisseau, dont le lest est trop faible, vacille et devient, à cause de sa
demande un guide expérimenté. En ce moment, Thétis elle-même, qui trop grande légèreté, le jouet mobile des flots, tel, privé de son poids
m’offre un asile dans ses ondes, craint toujours que je n’y sois précipité. Ce accoutumé, le char bondit au haut des airs ; à ses profondes secousses on eût
n’est pas tout : une éternelle révolution agite le ciel ; elle entraîne les astres et dit un char vide. 19. Les coursiers l’ont à peine senti que, précipitant leur
les fait tourner avec une extrême vitesse. Je gravis en sens contraire, et course, ils abandonnent la route tracée, et ne courent plus dans le même ordre
résistant à la force qui dompte l’univers, je surmonte dans ma course le qu’auparavant. Phaéton s’épouvante : de quel côté tourner les rênes confiées
mouvement rapide qui l’emporte. Suppose que mon char t’est confié, que à ses mains ? quel chemin suivre ? il ne sait ; et quand il le saurait, pourrait-il
faire alors ? Pourras-tu lutter contre le tourbillon des pôles et vaincre la vitesse commander aux coursiers ? 20. Alors, pour la première fois, les étoiles glacées
de l’axe des cieux ? Tu te flattes peut-être de rencontrer en ton chemin des des Trions s’échauffèrent aux rayons du soleil, et vainement elles cherchèrent
bois sacrés, des villes célestes, des temples enrichis d’offrandes ; 9. la route à se plonger dans l’Océan, qui leur était fermé. Voisin du pôle glacial, le
est semée d’embûches et remplie de monstres effrayants. (...) 10. Ô mon fils, serpent, jusqu’alors engourdi par le froid et jamais redoutable, s’échauffe et
crains d’obtenir de ton père un funeste présent, et puisqu’il en est temps puise dans la chaleur une rage nouvelle. Et toi aussi, dans le trouble qui
encore, rétracte des vœux imprudents. (...) Si je te refuse une seule grâce, c’est t’agitait, tu pris, dit-on, la fuite, ô Bouvier, malgré ta lenteur ordinaire et le
qu’à vrai dire elle est moins un honneur qu’un châtiment : oui, c’est un soin de ton chariot. 21. Du haut des airs, l’infortuné Phaéton a vu la terre
châtiment, Phaéton, et non un bienfait que tu me demandes. (...) » disparaître dans un profond éloignement ; il pâlit, ses genoux tremblent d’une
11. Tels furent ses derniers avis : mais, rebelle à sa voix, Phaéton persiste dans terreur nouvelle, et ses yeux, au sein même de tant de clartés, se couvrent de
sa résolution, et brûle du désir de monter sur le char de son père ; autant qu’il ténèbres. Oh ! qu’il voudrait n’avoir jamais touché les guides du char de son
peut, du moins, Apollon résiste et diffère ; mais il fallut enfin le conduire père ! Qu’il regrette de connaître son origine et d’avoir triomphé par ses
© Henri-Charles Alleaume. Janvier 2022.
prières ! Il aimerait bien mieux être appelé fils de Mérops. 22. Il est emporté cruel destin. Il monte au faîte des célestes demeures : c’est de là qu’il se plaît
comme un vaisseau battu par le souffle furieux de Borée, et dont le pilote, à répandre au loin les nuages sur la terre ; c’est de là qu’il fait gronder le
vaincu par la tempête, abandonne le gouvernail aux dieux et le salut aux tonnerre, que sa main même brandit et lance ses foudres ; mais alors plus de
prières. Que fera-t-il ? Derrière lui, un grand espace des cieux déjà franchi ; nuages dont il puisse envelopper la terre, plus de torrents à répandre du haut
devant lui, un espace plus grand encore. Sa pensée les mesure l’un et l’autre : des cieux. Il tonne, et balançant son tonnerre à la hauteur de son front, il
tantôt il porte ses regards vers ce couchant que le destin ne lui permet pas foudroie l’imprudent Phaéton, lui ravit du même coup et le souffle et le char,
d’atteindre ; tantôt il les reporte vers l’Orient. Quel parti prendre ? il l’ignore, et dans ses feux vengeurs il éteint ceux qui décorent l’univers. 30. Les
et reste immobile d’effroi ; il n’abandonne pas les rênes, et sa main ne peut coursiers s’épouvantent, ils bondissent en sens contraire, dérobent leur tête
les retenir ; il ne sait plus les noms des coursiers. Répandus çà et là dans les au joug, et laissent à l’abandon les rênes brisées. Là tombe le frein ; là, l’essieu
diverses régions du ciel, mille prodiges, mille monstres affreux frappent sa arraché du timon ; ici, les rayons des roues fracassées ; plus loin les débris
vue épouvantée. épars du char qui vole en éclats. Phaéton, dont le feu dévore la blonde
23. Il est un lieu où le scorpion replie ses bras en deux arcs, et, développant chevelure, roule en se précipitant, et laisse dans les airs un long sillon de
la courbure de ses pieds et de sa queue, en couvre l’espace de deux signes. lumière, semblable à une étoile qui, dans un temps serein, tombe, ou du moins
Phaéton voit le monstre, suant un noir venin, le menacer du dard recourbé paraît tomber du haut des cieux. Loin de sa patrie, dans l’hémisphère opposé,
dont sa queue est armée. À cet aspect, son âme se trouble, et sa main, glacée le vaste Éridan le reçoit dans ses ondes et lave son visage fumant.
par l’effroi, laisse échapper les rênes ; sitôt que les coursiers les ont senties 31. Les naïades de l’Hespérie recueillent dans un tombeau son corps où fume
flotter sur leurs flancs, ils se donnent carrière. 24. Libres du frein, ils encore la triple foudre qui l’a frappé, et gravent ces vers sur la pierre : « Ici gît
s’élancent, à travers les airs, dans des régions inconnues, et volent où les Phaéton, conducteur du char de son père ; s’il ne put le gouverner, il tomba
emporte leur fougue désordonnée ; ils bondissent jusqu’aux astres suspendus du moins victime d’une noble audace ». Son père, plongé dans la douleur,
à la céleste voûte, et entraînent le char à travers les abîmes. Tantôt ils montent couvrit son front d’un voile de deuil ; s’il faut en croire la renommée, un jour
au plus haut des cieux, tantôt, roulant de précipice en précipice, ils tombent s’écoula sans soleil et sans autre clarté que les lueurs de l’incendie ; et ce
dans les régions plus voisines de la terre. La Lune s’étonne de voir les désastre eut alors son utilité.
chevaux de son frère descendre, dans leur course, au-dessous des siens. 25.
Les nuages embrasés s’exhalent en fumée ; le feu dévore les points les plus Ovide, Métamorphoses, II.
élevés de la terre ; elle se fend, s’entr’ouvre et se dessèche en perdant les sucs [Ovide, 43 av. J.-C. – 17 ou 18 ap. J.-C.]
qui la nourrissent. On voit jaunir les pâturages, les arbres brûlent avec leur
feuillage, et les moissons arides fournissent l’aliment de leur ruine à la flamme
qui les détruit. Mais ce sont là les moins horribles maux. De grandes villes
s’écroulent avec leurs murailles ; des peuples et des pays entiers sont changés
par l’incendie en un monceau de cendres ; les forêts se consument avec les Les Héliades
montagnes qu’elles couvrent. Tout brûle, (...).
26. Phaéton voit l’univers entier en proie à l’incendie ; il n’en peut plus
longtemps soutenir la violence. Il ne respire plus qu’une vapeur brûlante Histoire de Phaéton et de ses sœurs ; origine fabuleuse de l’ambre
semblable à l’air qui sort d’une fournaise profonde ; il sent déjà son char jaune.
s’échauffer et blanchir au contact de la flamme. Déjà les cendres et les
étincelles qui volent jusqu’à lui le suffoquent et l’oppressent ; une fumée Le vaisseau 23, toujours emporté par le vent, se trouva bientôt au milieu du
ardente l’enveloppe de toutes parts. Où va-t-il ? où est-il ? Au milieu de fleuve Éridan, près de l’endroit où Phaéton, frappé de la foudre, fut précipité
l’épais brouillard qui l’entoure, il ne peut le découvrir, et se laisse emporter du char du Soleil au fond d’un marais d’où s’exhale encore une fumée épaisse
au gré de ses fougueux coursiers. (...) et au-dessus duquel les oiseaux ne peuvent voler impunément. Tout autour
27. Cependant la terre, au milieu de la mer qui l’environne, et des fontaines les filles du Soleil, changées en peupliers, pleurent la mort de leur frère, et les
dont les eaux, partout décroissantes, s’étaient cachées dans ses entrailles larmes qu’elles répandent sont des gouttes d’ambre qui, séchées d’abord sur
impénétrables, comme dans le sein d’une mère, soulève jusqu’au cou sa tête le sable par les rayons du soleil, sont ensuite reportées dans le cours du fleuve
autrefois si féconde, et maintenant aride ; elle couvre son front de sa main, par les flots que les vents poussent vers le rivage. Les Celtes au contraire
elle ébranle le monde d’une vaste secousse, et, s’affaissant elle-même d’un racontent que les larmes dont l’ambre est formé, sont celles que répandit
degré au-dessous de sa place ordinaire, 28. elle exhale ces plaintes d’une voix Apollon, lorsque irrité de la mort de son fils Esculape, que la Nymphe Coronis
altérée : « Si telle est ta volonté, si j’ai mérité mon malheur, pourquoi ta mit au monde dans la ville de Lacérie, sur les bords de l’Amyrus, et forcé par
foudre dort-elle, souverain maître des dieux ? Si je dois périr par les feux, que les menaces de son père de quitter l’Olympe, il se relira dans le pays des
ce soit du moins par les tiens ; je me consolerai de ma ruine, si tu en es Hyperboréens.
l’auteur. (...) ». Elle dit, et ne pouvant supporter plus longtemps la chaleur, ni
poursuivre sa plainte, elle retire sa tête dans son sein, et la cache au fond des Apollonius de Rhodes, Argonautiques, chant IV.
antres les plus voisins de l’empire des mânes. [Apollonius de Rhodes, ≈ 295 av. J.-C.-215 av. J.-C.]
29. Cependant l’arbitre suprême prend à témoin les dieux et le maître du
char lui-même, que, s’il ne prévient ce désastre, tout va succomber au plus

23
Argô, Ἀργώ, (litt. le rapide) vaisseau des Argonautes, groupe de héros en quête de la Toison d’or.
© Henri-Charles Alleaume. Janvier 2022.

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