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AGADIR

29 Février 1 9 6 0

Histoire et leçons d'une catastrophe


COMPOSÉ EN BODONI, CORPS DIX, PAR ACHARD ET FILS,
ET TIRÉ SUR LES PRESSES DE G. CHOLET, MARSEILLE,
SUR PAPIER OFFSET MI-LISSÉ AFNOR V I I , 90 GRAMMES.
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE MILLE EXEMPLAIRES,
NUMÉROTÉS DE 1 A 1.000, CONSTITUANT L'ÉDITION
ORIGINALE.

EXEMPLAIRE

COPYRIGHT 1967 - BY WILLY C. CAPPE ÉDITEUR - MARSEILLE


TOUS DROITS DE TRADUCTION ET D'ADAPTATION RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS.
LA PRÉSENTATION ET LA MISE EN PAGE SONT DE L'AUTEUR.

LES DESSINS A LA PLUME SONT DE FRANCE PERSEVAL.

LES PHOTOGRAPHIES SONT DE JEAN MANUEL ET LANDRY GAUTIER,


LÉON KAOULI, ALBERT BOTTI, DE LA MARINE NATIONALE ET X...
TOUS DROITS RÉSERVÉS.
PRÉFACE

Lorsque, dans la nuit du 29 février au 1 mars 1960,


un séisme détruisit une grande partie de la ville d'Aga-
dir, en entraînant la mort de plusieurs milliers d'habitants,
l'auteur de ce livre s'y trouvait. Témoin de scènes et
de situations dramatiques, d'actes de dévouement et
d'élans de solidarité magnifiques, il a entrepris la rédac-
tion de l'histoire de cette catastrophe en se basant sur
des textes officiels, des comptes rendus dignes de foi,
en ne citant que des faits contrôlés ; il a voulu se tenir
constamment dans une stricte objectivité et, sans aucun
doute, il a atteint le but qu'il s'était fixé.
En ville, le séisme détruisit la majorité des habita-
tions, sous les décombres desquelles ont été enfouis
des morts, des blessés et des vivants, dont une grande
partie des autorités civiles, de la gendarmerie, de la
police et de l'armée royale.
Par contre, sur la base aéronautique navale fran-
çaise, située à six kilomètres du centre d'Agadir, malgré
de graves dégâts la plupart des immeubles ont résisté,
en particulier les casernements du personnel.
Quelques minutes après le drame les marins et
soldats français, indemnes, disposant de matériels
intacts, ont pu se précipiter à l'aide des sinistrés. Ainsi,
pendant de longues heures, ils furent à peu près seuls,
par la force des choses, en mesure de porter secours
à la population ; et ce secours, ils le fournirent avec une
volonté, une résistance admirables et une foi extraor-
dinaire dans la réussite des travaux herculéens qu'ils
entreprenaient pour retirer des ruines les vivants et les
blessés.
Une autre circonstance allait permettre à la Marine
française de développer encore son action. L'escadre
de la Méditerranée était en mer, effectuant des exercices
au large des côtes marocaines. Aussitôt que le gouver-
nement français fut informé, par la Marine, de l'impor-
tance de la catastrophe, il donna l'ordre à l'amiral,
commandant l'escadre, de se diriger vers Agadir et
d'apporter aux sinistrés toute l'aide possible. Et ce fut
un secours d'une valeur considérable qui arriva, par
mer, dès le lendemain : médecins et infirmiers pour les
soins aux blessés ; marins pour la recherche des victi-
mes dans les ruines ; porte-avions et escorteurs pour
des transports de matériel et de personnel de Casablanca
à Agadir ; vivres pour la nourriture des rescapés.
Par la suite, les opérations de sauvetage se déve-
loppèrent encore. Aux moyens que le gouvernement
marocain rassembla le 1 mars et renforça au cours
des jours suivants s'ajoutèrent ceux que plusieurs pays
étrangers envoyèrent sur place, en particulier des avions
de transport, du personnel et du matériel sanitaires,
des engins de travaux publics. L'ampleur de la catas-
trophe suscita un immense et réconfortant élan de
solidarité.
Je suis certain que le très beau livre de W. Cappe
sera lu avec un grand intérêt et beaucoup d'émotion,
en particulier par tous ceux qui ont vécu de drame, et
qui seront reconnaissants à l'auteur de leur avoir donné
l'occasion d'un retour dans le passé.

M.G.V.
Cher Monsieur,

Vous avez bien voulu, en me faisant part de votre intention


de publier prochainement un ouvrage sur ce qui s'est passé
à Agadir le 29 février 1960, me demander quelques lignes à
titre de préliminaire. Je ne puis parler de votre livre, n'en ayant
pas eu le texte entre les mains, mais je pense que tous ceux
qui ont vécu ces heures tragiques seront, comme je le suis
moi-même, sensibles à votre propos.

Pour ma part, je voudrais inscrire en tête de la place que


vous avez bien voulu me réserver un hommage profondément
attristé à la mémoire de ceux qui ont perdu la vie dans cette
catastrophe et dont l'absence pèse et pèsera toujours au cœur
de leurs proches.

Le second témoignage que je voudrais porter ici est celui de


la reconnaissance envers tous les sauveteurs, dont le généreux
dévouement s'est exercé jour et nuit dans des conditions
toujours difficiles et souvent périlleuses. On ne sera pas surpris
si je fais, à ce sujet, une mention particulière de l'action de
nos marins et de la sollicitude dont ils ont entouré les morts
comme les vivants.

Ma pensée va enfin vers ceux qui ont survécu, frappés dans


leur chair ou dans leurs affections les plus tendres, privés de
leurs ressources et de leur toit, et qui sont unis aujourd'hui
dans le souvenir comme ils le furent dans l'épreuve.

René JEUDY,
ancien Consul général de France
à Agadir.
Ce livre a été rédigé en partie grâce aux
indications et aux documents fournis par le
capitaine de vaisseau Thorette, qui a apporté
lui-même les corrections et précisions nécessaires
afin de donner une relation aussi exacte que
possible des événements, en particulier de ceux
où la Base Aéronavale était directement
impliquée.

Edité grâce à l'aide de nombreux rescapés, amis et anciens


d'Agadir. Qu'ils en soient tous remerciés.
Le souk de Talbordj en 1 9 5 0 ➧
I

DE LA LEGENDE A L'HISTOIRE
Dans le nord-ouest de l'Afrique, au sud d'un pays appelé
autrefois Berbérie, se trouve une baie très vaste limitée au nord
par le cap Ghir, au sud par le cap Juby.
Entre ces deux points, en ligne droite, près de trois cents
kilomètres.
Proche du cap Ghir, à la partie la plus profonde de cette
baie et bien abritée des lames puissantes de l'Atlantique, se
trouve une rade. Une plage de sable fin s'étalant sur plusieurs
kilomètres la borde.
Depuis des temps immémoriaux, les navigateurs devaient
repérer ce point exceptionnellement hospitalier d'une côte
sauvage et désertique qui était, et demeure encore de nos jours,
le dernier mouillage sûr avant Port-Etienne.
Dans les escarpements rocheux de la côte, tout près du cap
Ghir, sur le sol de nombreuses grottes, on trouve encore des
multitudes de pierres aux formes curieuses qui attestent que
l'homme a occupé ces régions à l'époque de la pierre taillée.
Comme partout, ce qui fut peut-être de l'histoire devint
légende.
Et une légende encore vivace en pays berbère raconte qu'un
géant colossal nommé Atlas régnait alors sur ce pays et sur
d'autres géants, qui en constituaient alors la population. Mais
à cette époque, cette partie de la terre d'Afrique était encore
réunie à l'Europe. Elle s'étendait aussi bien loin vers l'ouest où
l'Océan l'a remplacée depuis.
Atlas et les géants avaient engagé une guerre contre le dieu
« Joupiter » qui n'était qu'un faux dieu. Ses armées écrasèrent
les géants et les précipitèrent dans la mer ; quant à Atlas, il
fut condamné à supporter le ciel sur ses épaules.
Atlas était le gardien farouche d'un merveilleux jardin où
poussaient des pommes d'or et que ses filles, les Hespérides,
entretenaient. Et un Grec nommé Erkoulé, dit la légende
marocaine, vint tenter de les lui ravir, et, grâce à Gorgone,
changera le géant en pierre.
Certes, il ne s'agit là que d'une simple transposition d'un
chapitre de la mythologie grecque, qu'il est néanmoins curieux
de retrouver ici.
Mais, dit la légende, un jour viendra où le géant cessera
d'être une montagne et reprendra sa forme primitive et alors
« que l'on tremble car sa vengeance s'exercera sur toute la race
des hommes ».

Après la légende, vient l'Histoire.


Il est possible que le Carthaginois Hannon, au cours du vaste
périple qu'il fit sur les côtes d'Afrique au V siècle av. J.-C., ait
jeté l'ancre dans la rade qui se creuse au fond de cette baie.
Mais ce n'est qu'au XVI siècle de notre ère que l'Histoire
prend forme.
En 1505, un capitaine portugais, Juan Lopez de Segura,
cherchant un point d'eau sur cette côte hostile, en trouve un
au fond de cette rade. Une source y coule. Le mot portugais
« fonte », qui veut dire fontaine, restera à jamais attaché à ce
point qui s'appelle encore Founti. Les Portugais s'installent.
Et ils créent là, de toute pièce, un comptoir, qu'ils appellent
« Santa-Cruz du cap de Ghé », en français « Sainte-Croix du
cap Ghir ».
Mais les Portugais ne se contentent pas de prendre de l'eau.
Ils explorent l'arrière-pays. Dans la vallée d'un fleuve, le Souss,
qui aboutit à cette baie, il découvrent de riches cultures.
Les Portugais imposent leur loi aux Berbères avec une
violence inouïe. Mais aux massacres des conquistadors les
Berbères répondent par d'autres violences et chassent les
envahisseurs.
Le dernier coup fut porté aux abords de la fontaine où les
Berbères avaient construit une forteresse : en berbère Agadir-
Ighir, la forteresse de la crête.
Les Portugais partis, les luttes intestines reprirent.
A la fin du XVI siècle, El Mahdi, en chef avisé, préside à la
prospérité de la vallée du Souss en y introduisant la culture de
la canne à sucre.
Le sucre de Souss servira au sultan El Mansour qui
l'échangera contre du marbre de Carrare, pour construire ses
palais de Marrakech. Ce sucre est très recherché en Europe
et la reine Elisabeth I d'Angleterre n'en veut point d'autre
à sa table.
Sainte-Croix perdit sa prospérité à la fin du XVIII siècle, et
reprit son nom berbère d'Agadir.
Revenons brièvement à la légende.
Dans son Critias, Platon raconte que l'Atlantide était le
royaume de Neptune qui, de ses amours avec une mortelle,
engendra Atlas. Il eut un frère jumeau qui reçut pour son
compte l'extrémité de l'île du côté des colonnes d'Hercule,
région appelée Gadirique.
Il y a là quelque chose d'étrange, car les habitants d'Agadir
s'appellent justement « Gadiris ».
Le Sud Marocain est, à la fin du XIX siècle, dans un état
d'anarchie indescriptible. Un explorateur passe à Agadir en
1896. Il est déguisé en Israélite car sous un costume européen
il serait voué à une mort certaine. Il s'appelle Charles
de Foucauld. Sur son carnet, il note : « Misérable bourgade de
quelques cabanes de pêcheurs. » De fait, c'est à cela qu'est
réduite alors l'ancienne Santa Cruz.
Au début de notre siècle, la France et l'Angleterre ont des
vues sur le Maroc, ainsi que l'Allemagne et l'Espagne. Chacune
de ces nations voudrait s'intéresser à ce pays, et comme par
un étrange sortilège, ce sera dans le Sud et encore autour de
ce point d'eau de Founti que se jouera la partie, entre
Français et Allemands.
En 1911, quelques Français occupent la vieille Kasbah,
lorsque, le 1 juillet, ils voient un croiseur allemand, le
Panther, mouiller dans la rade. Une vive hostilité se manifeste
de part et d'autre et bientôt les chancelleries se mettent de
la partie. Très vite, cela devient une affaire d'Etat. Berlin et
Paris échangent des notes : l'armée française est en état
d'alerte. On faillit alors avoir la guerre pour Agadir ! On l'eut
quatre ans plus tard pour une autre raison.
Tout devait s'arranger autour d'une table et, en 1912, à
Algésiras, la France obtenait le protectorat sur le Maroc.
Avec le général Lyautey, nommé résident général de France,
le Maroc allait changer de visage ; Agadir aussi.
Le 14 juin 1913, les troupes françaises occupent la Kasbah
sur laquelle flotte maintenant le drapeau tricolore, à côté de
l'emblème chérifien.
Les quelques Français qui se trouvaient là face aux
Allemands en 1911 s'établissent plus solidement. Mais la guerre
éclate.
En 1920, le Sud Marocain est encore zone d'insécurité : de
nombreuses tribus sont hostiles à la France.
Et au milieu des troupes françaises qui achèvent la
pacification du Sud, un aumônier militaire, l'abbé Souris, qui,
depuis sa prime jeunesse n'a cessé de servir et porte à la tête
un souvenir profond que lui a laissé, pendant la Grande Guerre,
un énorme éclat d'obus, fait, lui, par sa bonhomie et sa
charité, la conquête des cœurs.
Après la pacification, c'est l'époque de l'aéropostale ; ses
avions font escale à Agadir, sur le terrain d'atterrissage de la
base aérienne militaire qui a été installée, avant de se lancer
au-dessus des régions insoumises et hostiles, pour gagner
cap Juby. En 1925, le pilote Reine, obligé de se poser au sud
d'Agadir, y est fait prisonnier par les rebelles ; Mermoz aussi,
l'année suivante.
Saint-Exupéry, pilote de l'aéropostale, se posera souvent à
Agadir. En 1926, alors qu'il était chef d'escale à cap Juby, il
racheta aux dissidents un esclave noir, M'Bark, et l'évacua,
caché dans un avion, vers Agadir. L'affranchi y passa une
soirée merveilleuse, inoubliable, avant de regagner sa ville
natale : Marrakech.
Au cours des années 1923 à 1927, l'Administration du
Protectorat entreprend la construction du quartier des Travaux
publics et amorce les assises d'une future grande jetée.
En 1927, la zone d'insécurité est « entrouverte » ainsi que
l'activité économique d'Agadir. Des Européens viennent s'y
établir, anciens militaires bien souvent, pleins de courage et
d'ambition. Commerçants, cafetiers, transporteurs s'installent
sur le bord de mer, dans des baraques, et leur campement
ressemble étrangement au Far-West américain.
Dans la nuit du 10 au 11 septembre de cette même année,
dans un taxi venant de Marrakech, passait un jeune explorateur
qui, déguisé en femme berbère, partait à la découverte d'une
ville mystérieuse du Rio del Oro, Smara : c'était Michel
Vieuchange. Epuisé par la dysenterie, il revenait à Agadir
pour y mourir dans les bras du seul médecin qui s'y trouvait
alors, le docteur Gauthier, le 30 novembre. Les notes qu'il
rapportait sur ses carnets, comme celles de Charles de Foucauld,
donnaient de précieuses indications topographiques et de
multiples renseignements scientifiques relatifs aux régions
explorées. Michel Vieuchange fut enterré au pied des remparts
de la Kasbah. Il fut un des premiers à dormir dans ce champ
de repos qui existait encore récemment.
Autour de la vieille Fontaine des Portugais, la bourgade de
pêcheurs s'est agrandie. Un entrepreneur de transports qui a
débuté modestement en 1927 se révèle un capitaine d'industrie;
il se nomme Fernand Barutel, et avec un restaurateur, Paul
Gautier, Evesque, Pradel, et quelques autres pionniers, ils
seront les artisans de ce qui sera bientôt une ville.
Près de la plage, dans une construction de bois, s'installe
un café-restaurant-dancing, où les colons viennent se distraire.
Il s'appelle « La Sirène » ; plus tard, il s'appellera « Le
Casino » mais restera toujours dans la même baraque dont le
destin sera extraordinaire.
Sur un des plateaux qui dominent la rade, quelques
immeubles commencent à s'élever. Les baraques du campement
primitif disparaissent du bord de mer où les premiers commer-
çants s'étaient installés. Ils émigrent sur le plateau. Un petit
hôtel d'une dizaine de chambres y est construit, l'hôtel Gautier.
C'est dans une de ces chambres que le général Franco, venant
du Rio del Oro, séjournera avant de lancer son attaque contre
l'Espagne républicaine 1
Dans l'arrière-pays, le long de cette vallée de l'oued Souss,
plaine sablonneuse et fertile de 500.000 hectares, quelques
colons s'établissent et, recréant des cultures abandonnées depuis
des siècles, installent un nouveau jardin des Hespérides dont

1 Fait relaté à l'auteur par Paul Gautier lui-même.


les p o m m e s d ' o r (les oranges) seront bientôt une réalité
commerciale.
L a g u e r r e s u r v i e n t e n a o û t 1 9 3 9 et A g a d i r n e c h a n g e r a p l u s
guère jusqu'en 1946.
T o u t p r è s d e l ' e m b o u c h u r e de l ' o u e d Souss, l ' a r m é e d e l ' A i r
et la M a r i n e i n s t a l l e n t u n a é r o d r o m e m i l i t a i r e et u n e base
aéronavale.
L a b a i e est p a r t i c u l i è r e m e n t p o i s s o n n e u s e ; f e r m é e a u n o r d
p a r le c a p G h i r , a u s u d p a r le cap J u b y , elle est aussi c o m m e
b a r r i c a d é e d u l a r g e p a r le c o u r a n t c h a u d des C a n a r i e s .
Les a t e l i e r s de f o r m e a r t i s a n a l e q u i , a v a n t la g u e r r e , se
c o n t e n t a i e n t de saler les s a r d i n e s , se t r a n s f o r m e n t r a p i d e m e n t
e n u s i n e s de conserve. P e n d a n t la g u e r r e , le m o n d e a y a n t
été l i t t é r a l e m e n t v i d é de ses stocks, d ' é n o r m e s besoins se f o n t
s e n t i r . T r è s vite, des i n d u s t r i e l s d e F r a n c e v i e n n e n t à A g a d i r
c o n s t r u i r e de n o u v e l l e s u s i n e s . E n 1 9 4 8 , il y e n a u n e q u i n z a i n e
d é j à . E n 1 9 4 9 , p r è s de t r e n t e . C ' e s t u n v é r i t a b l e r u s h ;
A g a d i r d e v i e n t u n des p r e m i e r s p o r t s s a r d i n i e r s d u m o n d e .
E n 1 9 5 0 , il y a s o i x a n t e - c i n q u s i n e s de c o n s e r v e et u n e
c e n t a i n e de b a t e a u x r a m è n e n t c h a q u e j o u r de la saison ( q u i
va d ' a v r i l à n o v e m b r e ) des p ê c h e s v a r i a n t de 2 0 0 à 5 0 0 t o n n e s ,
avec des p o i n t e s de p r è s de 1 . 0 0 0 t o n n e s !
D e 1 9 5 0 à 1 9 5 2 u n b a s s i n d e c o m m e r c e a été a m é n a g é p a r
u n e e n t r e p r i s e h o l l a n d a i s e . A g a d i r est m a i n t e n a n t le d e u x i è m e
port sardinier d u monde. La pêche atteint 60.000 tonnes par an,
q u e les u s i n e s de c o n s e r v e t r a n s f o r m e n t e n 60 m i l l i o n s de boîtes.
U n e ville n o u v e l l e , d ' u n m o d e r n i s m e t r è s a v a n c é p o u r
l ' é p o q u e et t r a c é e e n f o r m e de f e r à c h e v a l s ' a p p u y a n t s u r le
f r o n t de m e r , selon les p l a n s d ' u n j e u n e u r b a n i s t e , M i c h e l
E c o c h a r d , voit le j o u r .
L a p r o d u c t i o n d ' a g r u m e s et de p r i m e u r s a t t e i n t 2 0 . 0 0 0 t o n n e s
p a r a n . O n c u l t i v e a u s s i des fleurs, q u i s o n t exportées e n
Europe.
D a n s cette e u p h o r i e d u « r u s h » des a n n é e s 50, u n e
p o p u l a t i o n é t r a n g e assoit u n b o n h e u r à la fois t r a n q u i l l e et
t o u r m e n t é . P o p u l a t i o n é t r a n g e , c a r c o n s t i t u é e d ' u n e forte
m a j o r i t é a u t o c h t o n e ( M u s u l m a n s et I s r a é l i t e s ) m a i s d o n t
l ' é l é m e n t e u r o p é e n est f o r m é d e F r a n ç a i s v e n u s de t o u t e s les
p r o v i n c e s de la m é t r o p o l e , d ' u n e c o l o n i e de r é f u g i é s p o l i t i q u e s
e s p a g n o l s et p o r t u g a i s , d ' a n c i e n s soldats et sous-officiers de l a
L é g i o n é t r a n g è r e , A l l e m a n d s , H o n g r o i s , R o u m a i n s , de R u s s e s
« b l a n c s » et de q u e l q u e s Belges et I t a l i e n s . O n c o m p t a i t aussi
quelques ressortissants britanniques.
L'aumônier militaire des années 20, qui est devenu
M Souris, est demeuré dans cette ville à laquelle il est, lui
aussi, très attaché.
Les pionniers des temps héroïques de la pacification ont fait
fortune : tout et tous prospèrent.
L'Annuaire d'Agadir dénombre, en 1952, près de mille
commerces et industries diverses pour une population de dix
mille Européens et d'environ trente mille Marocains.
Hôtels, restaurants, magasins de toutes sortes et industries
diverses prolifèrent. Agadir est maintenant une ville, avec ses
joies et ses peines. Depuis longtemps déjà, la Kasbah n'est plus
qu'un souvenir des temps héroïques. Au-delà du petit village
de Yachech, derrière la ville, s'ouvre le nouveau cimetière.
Un vent de prospérité a soufflé sur la région. Une « société »
mondaine s'est créée.
Sous l'impulsion d'hommes actifs et entreprenants, aidés et
soutenus par les commerçants, un syndicat d'initiative et un
comité des fêtes décident d'organiser d'importantes manifes-
tations destinées à attirer le touriste.
Une « saison » de festivités voit proliférer les bals, les
dîners en tenue de soirée ; les « clubs » mondains réunissent
les éléments d'une bourgeoisie nouvelle. Mais pourtant
l'ensemble de la population européenne est constitué de
gagne-petit qui ont bien du mal à asseoir leur situation ou
même à la maintenir.
Dès 1950, un circuit de vitesse automobile est organisé.
Près de cent clubs, amicales et sociétés diverses manifestent
leur activité. Des boulistes aux artistes peintres, des nageurs aux
tennismen, tous vivent intensément comme on sait vivre dans
ce qui fut « la Colonie », et les autorités civiles françaises et
marocaines leur apportent toujours leur appui bienveillant.
Le climat idéal dont jouit la ville attire déjà de nombreux
touristes. Au cours d'une année, la température moyenne
évolue durant le jour entre 18° et 27° C, avec de rares pointes
à 40° ou plus provoquées par le vent du désert et se
produisant généralement au début du printemps, au milieu de
l'été et en automne, alors qu'à l'intérieur, à quelques kilomètres
à peine, entre juin et septembre elle atteint 45° à l'ombre.
Fréquemment, en été, un léger brouillard, avançant et reculant
sur la ville au gré de la marée, forme un écran contre l'ardeur
du soleil. En hiver, au contraire, le ciel est presque continuel-
lement bleu et le soleil réchauffe la ville. Il pleut rarement :
quelques jours en décembre, quelques jours en janvier, un peu
en février ou mars et c'est tout. Au total, à peine 250 mm de
pluie dans une année normale, soit moins qu'au Sahara !
En outre, l'atmosphère d'Agadir a été reconnue officiellement
comme étant la plus riche du monde en ozone.
C'est pourquoi, en novembre 1954, le Congrès international
des agences de voyages réunit à Agadir les représentants de tous
les pays du monde.
Et le syndicat d'initiative lance alors son slogan : « Eté
comme hiver, on se baigne à Agadir. »

Le 2 mars 1956, la France rend au Maroc son indépendance.


Les intérêts français se voient confiés à une ambassade qui
a délégué ses pouvoirs à des consuls généraux.
Du remous provoqué dans les rangs des Européens, Agadir
subira, comme les autres villes, le contrecoup. Et pour comble
de ses malheurs, une invasion de sauterelles d'une ampleur
jamais atteinte réduira à néant, ou presque, les récoltes du
Souss, en novembre 1956.
Pour lutter contre le fléau, un important centre de défense
antiacridienne est installé aux abords de la ville, où sont
entreposées des centaines de tonnes de D.D.T. et H.C.H. que
les avions pulvérisent sur les cultures.
Cet énorme dépôt d'insecticide servira bientôt à tout autre
chose que ce pourquoi il avait été prévu.
Après une période de crise, le commerce et l'industrie
reprennent vigueur.
La luminosité du site et le voisinage immédiat des paysages
exotiques les plus variés y attirent les cinéastes, qui viennent
fréquemment y tourner des superproductions.
On se souvient de l'affaire du Panther, ce croiseur allemand
qui vint jeter l'ancre dans la rade le 1 juillet 1911.
A la suite d'un différend entre le gouvernement marocain et
celui de Madrid, le 7 décembre 1957, à 11 heures du matin, on
vit avec stupeur une flotte de guerre espagnole s'approcher
jusqu'à quelques encablures de la passe du port d'Agadir,
braquant ses tourelles sur la ville, cependant que les unités de
débarquement, en tenue de combat, s'apprêtaient, bien visibles,
à une action agressive.
Après quelques manœuvres d'intimidation qui provoquèrent
en ville des mouvements de légitime inquiétude, la flotte
espagnole se retirait !
Une nouvelle fois, un « coup d'Agadir » avait failli mettre
le feu aux poudres !
Tout s'arrangeant par la suite, Agadir continuait à vivre,
heureuse.

De Rabat où il règne sur un peuple qui le chérit,


S.M. Mohammed V voit d'un œil favorable le développement
d'Agadir. Aussi Sa Majesté décide-t-elle, en mai 1959, d'entre-
prendre un voyage dans sa lointaine province. Ce sera pour
Agadir une semaine merveilleuse, toute de couleur et de
lumière, au bruit des sabots des chevaux de la célèbre garde
noire.

La campagne de publicité touristique lancée quelques années


auparavant avec le Congrès mondial des agences de voyages a
porté ses fruits et, d'octobre à mars, des avions spéciaux amè-
nent chaque semaine leur plein de touristes allemands,
nordiques et britanniques.
Des paquebots y font bientôt des escales touristiques :
l'Arcadia (britannique), le Vittoria (italien) et l' Agammemnon
qui dut sa célébrité à la « Croisière des Rois », font dans le
port des visites régulières. Le luxueux Christina, de l'armateur
grec Onassis, y jette l'ancre un beau matin de 1959, sir
Winston et lady Churchill sont à bord.

Les Gadiris aiment passionnément leur ville ; elle est


attachante ; elle a un « je-ne-sais-quoi » qui retient.
Et pourtant tous y ont connu des heures difficiles, mais
qu'importe ! Le climat, la douceur de vivre, qui n'exclut pas
le travail acharné d'ailleurs, et l'ambiance sympathique qui
règne entre les diverses populations, les divers milieux sociaux
sont la cause de cet attachement.
Un peu partout dans le monde, on commence à parler
d'Agadir, et ceux qui y vivent voudraient qu'on en parle
encore plus.
Ils voudraient que le nom d'Agadir soit sur toutes les
lèvres.
Qu'ils se rassurent : il y sera !

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