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·voYAGE

A U B RÉ· S 1 L.
,-
Ouvrages nouv~aux chez .le meme Libraire.
HISTOIRE COIVlPLETE DES VOYAGES ET DÉCOU-
VERTES EN AFRIQUE , depuis les sii:cles les plus
reculés jusqu'à nos jours; accompagnée d'un Précis géogra-
phiquc sur ce continent et les Iles qui l'euvironnent; de
Notices sur l'état physique, moral et politiq_ue des diveriõ
peuples qui l'habitent, et d'un TablPau de soo Histoire
naturelle ; parle docteur LEYDEN et M. llUG H MURRA Y;
traduite de l'anglais et augmentée de toutes les découvt!Ttes
faites jusqu'à ce jour; par l\:I. A. C., S. du S., de F., 3 vol.
in-80, avec un atlas in-4°, composé de la carte générale de
l'Afrique et de ~ix autres cartes. Prix. 25-fr.
Nota. Le tome 4• et dernier est sous presse.
Le même Libraire fait traduire, de l'anglais l'Hrsroul!:
. DEs V OY AGES ET DÉcouVERTEs EN Asrn, etc.; cet ouvrage sera
enrichi de notes par ~- Langl~s , de la bibliotheque du roi;
3 vol. in-So, avec cartes ·et fig~res.

Ouvrages de M. de Lantier, chevalier de Saint· Louis.


VoYAGEs n' ANTENOR EN GRECE ET ~ N Asrn, avec des notions
sur l'Egypte; manuscrit trouvé à llerculanum; 5 vol. in-18,
quatorzieme édition, 5 figures, 1820. 6 f.
Nota. Sous presse, la quinzieme édition , 3 vol. in-8º ,
imprimée snr heau papier, ornée de tres-helles figures, d'aprês
les dessins de M. l:hasselat. 11 ne sera tiré qu'un três-petit
.nombre d'exemplaires sur papier vélin.
LEs VoYAGEURS EN SurssE, 3 vol. in-So avec portrait. Deuxiéme
édition, 1820. 18 f.
VoY.AGE EN EsP.AGNE , du chevalicr Saint·Gervais, of6cicr
français , ct les divers événemens de son voyage ; 2 forts
volumes in-8°, tigures; deuxiilme édition, 1820. 12 f.
CoNT.llS en vers et cn prose, 3 vol. in~ S 0 , :fig. 11 f.
Nota. Le tome 3• se vend séparément. 3 f.
CoRRESPOND.ANCE nESuzETTECÉsAll.INEn'A 1tLY, 2v.in-8° xof.
-la même, 3 vol. in-12. 7 f. 5o c.

IMPl\IMElUE DE COSSON, RUE GAUENCIERE, N° 5.


,T.,
VOYAGE ·1

AU BRÉSIL,
DANS LES ANNÉES I 8 15 , 1816 ET I 81 7 ,

PAR S. A. ·s. MAXIMILIEN,


PRINCE .DE WIED-NEUWI:ÉD;

TRADUIT DE L'ALLEMAND

PAR J. B. B. EYRIES.
euvnAGE ENRICHI n'uN SUPER BE ATLAS' COJ!IPOSÉ D ~ 41 PLAI\CHES
GRAVÉES EN TAILLE-DOUCE, ET DE TROIS CARTES.

TOME- PREMIER.

N.D.S.Petropolis

Pensionnat

PARIS,
ARTHUS BE~TRAND, LIBRAIRE,
RUE HA.UTEFEUILLE , Nº· 23.
18.21.
~S- 4i ~ ~- ~ s \

"-~

,·._
··;
-..t•

....
"
INTRO-DUCTION.

. DEs événemens ex.traordinaires , des


~uerres ·qui se renouvelaient ~a~s cesse,
ont, ·penda.ilt une lop.gue suite d'annét~s;
m.iis .des ebstades insurmontabies aux:
désírs :<il.es ho:mmes qui voulaient parcou-
rir les -p arties du m0riide loin:taines' pokr
agrandir ·le domai.ne .de l'hist©.ire nata-
Telle .e t de la gée>graptrie; l'Angleterre :a
moins .gênée par ces oilsta'.c les, a presqae'
-seule, daraut cetie péúode_, .c ontribué à ,
enriéhir oes-sciences. Patmi les nom:breux
J:>,ienfaits que le Fétahtissement de '.l a paix
dohhe 11reu d''espéré:r; <0n ·d oit ..compter
pour iles 'h ommes animé-s )de la passion de
faire ·d-es déeouvertes -dans le regne de la
liatU-re, >l'À-v antage_-de ·pou v0~r entvepren-
dr-e avec succe's des voyages imp0rtans' et
~0mm'ani<1uer les richesses qu'ils auront
J.
vj INTRODUCTION.
tróuvées à c~{i:x: de leurs compatriotes que .
leurpenchant-,.leurs affaires,lears liaisons
enchaínent au sol paternel. Puisse une
paix solide nous a~surer' pour de longu~s
années,. ces bienfaits inappréciables !
Les regards des naturalistes . ont pen-
dant long-temps été principalement fixés
sur le B ·r ésil, dont la situation heur~use
.p ermettait une riche récolte aux recher-
~hes, . mais qui .p récédemment êtait si
rigoureuseinei:lt f.ermé à quiconque vou-
lait le parcourir et l'examiner~
Quelques relations de ~oyageurs an..,.
ciens, les récits des navigateurs espagnols
et portugais , les ·re~sejgne:rhens plµs dé-
taillés fournis· par les jésuites , ehfin les
observations de Mcircgraf'et ·de Pison,
composaient tous les ouvrages que nous
possédions sur ce p~ys . découvett "depuis
-_trois siecles et .si intéressant . .Cependant
.I'état des choses qui rendait .s i Aiffieiles
les recherches sur le Brésil . a subi ~un
heureux changement. Des, ~êvén.emenil
INTRODUCTION. vij
trop connus pour qu'il soit besoin de
les rapporter . engagerent le monarque
à se transporter dans cette belle partie
de ses ét!lts., qu'il n'avait pas encore vue,
et ou ·ét_a it la prinçipale source de ses
richesses ; changement ·de résidence qui
devait avoir une influence extraordinaire
sur ce pays. En effet le systeme oppressif
desentraves mystérieuses fut aboli; la
confiance rernplaça l'inquiétude _, et les
voyageurs étrangers _o btinrent de péné-
:trer dans .ce c11an1p de décou ve_rtes. Les
intentions libérales d'un roi sage, .so:ute-
nues par un ministere éclairé, non-seu-
leníent accorderent l'entrée du pays aux
.é trangers, mais encouragerent au1ªsi leurs .
recherches _de la maniere la plus géné-
reuse. C'est ainsi queM. Mawe futgratifié
de la permissiol\ de vi~iter le,s mines de
.diamant,dontl'appr~~heÍn~me avait pré:
~édemment été interçlite .aux étrangers,
et parcourut .en. miné~alogiste un~ · par-
tie du go.uvernement ge ,Minas-Geraes~
viij INTB.ODUCTiON.
Depuis quelques vbyagéu:ris aHemands
OÍlt visité (;e'tte province. M. ·d'Es-chwége ~
lieuténant-colónel -dans le .corps ·réyal
·du génié à Villa~~ica, favorisé pai; un
séjour de plusieurs. années au..Brésil, a
déjà .do1?-né ·au public des mJmoire-S. inté-
ressans , 'et c'est ·àvec 'raison que- nous
devons àtteudrê des ·découvertes impor•
tantes d'un hoínme ·aussi profondêment
instruit. n a :riiesuré ta haute cha'foe de
tnontagÍres de ~ Miíias - 'Gera~e? , ~àessin:é
leurs profils, et-a ch~~·ché dans:Ses·voyages
minéralógiques les à.ifféréns rrodu-its <le
ces monts élevés, · o'U il ia entre ;nitres
découvert depuis peu des sóui'ces d'eau·
s~lfureuses. 11 àcéire'iHe les voyageu:rs
ét1;angers _:avec 'tin~· bonte-prévenàn'te; les
encourage de ses conseils et -les ai~e.
D'autres A1lemands ·, ·a~nimés â.u même
zele., ~ont allés au ·Brés'il., et -Suremeht Üs
ne mànquer~nt pa.s 'd-e 'fiches má{tériatix
pour leurs ohservations. · Reeo'nímandés
au roi 'pa'r . le comte de ~arca ·, ministre
11'C

protecteur qes scienees , on leur a accordé


la pern;tis~~on nol!-seul~ent ·de v:oyager
sans obstacles dans les différent~s capi-
t-aineries
. . de. la monarchie,
. mais on leur-
, , "
fi ,
a genereuse~~nt xe une som1ne an:-
nue.lle p~ur leur entretien; Qn leur a
dcmné qes passe-ports conç.u s en termes
flaueurs , -et des lettres de i:ecQlll:~fiµda-,
tion les plus pressan,tes pour les capi-
taines générauxdes différentes provinces.
Combien, par , ces m~sll-res écl{lirées et
libérde.s., le gouve:rne:rq.ent act\iel s'écarte
hm:w1;á,blemept de l'aneien $y~teme, ou
le voyageur, à son arrivée da~s le Brésil,
était soigneµseflle&t. en,tou~·é çl~ soldats
et surveilM t Au qom {!e més compa-
tFiotes et de toµs les voyageµrs européens,
que ce témoignçige solenri~l expr~qie le
sentiment de reçonnais&a~ce qol!t je me
sens pénétré pour le m0narque qui a
pris ces mesures libérales. Quelle satis-
faction i~exprimable pour le voyageu11
éloigné de ses. foyers de trouv<tr · un
X INTRODUGTION.
accueil si .rempli de bienv~illance et
d'éprouver un traitement. si amical ! il en
.. résulte aussi pour les sciences un avan-
tage incalculable , auquel participe tout
le monde civilisé et instruit.
Quiconque veut parcourir avec . uti-
lité les parties intérieures de ceite vaste
région doit. y destiner plusieurs années,
et diriger son plan d'apres cette détermi-
nation~ Par exemple, pour pénétrer jus-
qu'à Goyaz et Cuiaba, deux ans ne'
suffisent pas; et il faut cependant consa-
crer cet .intervalle de temps pour trâ-
/

verser le Brésil jusqu'aux frontieres du


Paragúay, jusqu'aux rives de l'Uruguay~
jusqu'aux confins les plus éloignés de
Mato-Grosso, ou une pyramide·de mar-
0

bre taillee à L isb_onne marque les limites


du roya-qme à l'embouehure du Jauru.
Le gouvernement de Minas - Geraes a
déjà étéi parcouru par . MM. Mawe et
d'Eschwége; et quoique le sujet ne soit_
pas épuisé, il est au moms connu en
INTRODU.CTION.
grand~ partie:- Par conséqúent, à mon
arrivé~ . ª~ Brésil, je trouvai qu'il valait
mieux·dit~iger mes courses vers les côtes
orientales du pays, qui sont encore entie-
rement inconnues, · ou qui plutôt n'ont
pas dtt tout été décrites. Plusieurs tribus
des hah.itans primitifs de cette c011ti;ée ·y
vivent encore .dans leur état naturel et. '
n'ont pas été troublées par les Euro-:
péens, qui . se répandent graduellement
partout~ La haute chaíne de montagnes
nues du moyen Brésil, des provinces de
Minas-Geraes, de .Goyaz et de Pernam-
bouc, est séparée de la côte orientale par
une large ceinture de for~ts primitives
qui s'éteJ;ld depuis Rio-de-Janeiro jus-
qu'aux environs de Bahia de .T odos-os-
Santos, c'est-à-dire sur une longueur de
11 degrés ·de latitude ou 198 legoas por-
tugaises ( 165 .milles géographiques), et
qui n'a pas ~té encore ,0ccupée par les
colons ·portugais . . On s'est jusqu'à. pré-
sent borné à ouvnr avec b eaucoup d e
~11 ;IíN.T RO:P,U-ÇTIQN.

peine_ú n petit nomhre de cheminsJe long


des fl.euves qui les tràversent~ C'est dans
ces forêts, ou les.habi4tns eriginaires du
pays, inquiétés part_o ut ailleurs, ont
continue a trouver une retra1te sure, que
- • f ' • A

l'on peut entore ohserver .ces hommes


~a;ns leur éta t primi tif. Commen t . une
telle région . n'aurait-elle pas attiré, par
préférerace, un v.oyàgeur qui n'avait..pas
le projct .de passer plusieurs ann:ées dans
cette portion de la zone torride.?
Le nom même des trihus indigenes
qui h·a bitent ces déserts e.st inconnu en
E-qrope, à l'éxcept.lon peut-être dti Por-
tugal. Les jésuites, et entre autres V as-
concellos .dans ses -noticias . curiosas do \

- Brazil, partageaient toutes . .Ies '. trihus


de sauvages, tant ceux. qui vivaíent le
Jong de _la côte m~ritime que céux qui
demeuraient dans ces forêts.antiques, en
deux classes, sav:oir: ceux des côtes, quí,
un peu civilisés par lés Portugais; surtout
pat les jésuites, .étaient appelés Indios
IN'TROBUCTION: xiij
Mansos, et·ceux des·forêts et des déserts
de rint~rieur=, . qui , encore barbares et
en pàrtié inconnus , ' étaient n.ommés
Tapzi:yas; ce sont ces derrüers qui,
s'étan_t mainten.us jusqu'à présen.t dans
l'état de nàture brut, níêritent d''étre
mieüx connus.· Les jésuites et plusiears
ancien.s Vôyageurs nous ont à la verité
donrié quelques notices sur ces c~ntons
couverts de forêts continues; -m ais elles
sont bi~n iqiparfaites, et m~lées de cir-
constances fabuleuses; d'ailleurs elles ne
donnent aúcuns détails sur l'histoire na-
turelle. Ainsi n'ous ·ne savion.s qu~ peu de
chose, et même -rien, sur les habitans
p~imitifs ~e ~e pays qui vivent encare
dans Fétat de nature, non plus que sur
ses productiorrs naturelles tant animées
qu'inanimées ;-eteepe:n dantque'de choses-
nouvelles et intéressantes dans ces pays,
surtout pour Jle botaniste et l'entomólo-
giste ! Mais quand on veut parcourir ces
régions, it faut ·s'êt-re rêsigné d'avance
xiv INTRODUCTION.
à supporferune infinité de désagrémens
et d'obstacles, , tels que le manque- de
vivres pour soi ·et les- gens de ·sa- suite~ et
de pâturage pour les b~tes de somme; les
difficultés pour transporter les objets
d'histoii-e naturelle; les pluies de longue
durée, i'humidité, et une infinité d'autres
inconvéniens. Mais la privation la plus
pênible est . celle de boU:nes cartes des .
pays que l'on parcourt; celle d'Arrows-
mith fourmille d'erreurs; i! y -. manque
des ri vieres considérables sur la côte orien-
tale, et au contraire .il en piace dans des
endroits ou il n'en existe aucune; ainsi
la meilleure carte du Brésil connue jus-
qu'à pr_é sent est à peu pres inutile pour
les voyageurs. Pour remédier à ce défaut,
l_e gouvernement a ordonné récemment
de faire un relevement exact des côtes,
afin d'indiquer avec précisiop. les dangers
qui pienacent les navigateurs; cette opé-
ration salutaire est déjà ·commencée' et
d'habiles officiers .de marine, M. Josti
INTRODUCTION .. XV

da Trinidad, capitaine lieutenant; et


M. A1itonio Sylveira de A-rajo ont relevé
les côtes depuis Macari, San- Mateo;
Viçoza et Caravellas jusqu'à Porto- ·
Seguro. '
J'ai aussi à remercier le gouverne-
ment portugais d,e ce que sa· façon de
penser éclairée et libér.ale m'a inis à·
~~1ne de présenter à mes compatriotes
ç\!tte relation d'un voyage Ie·-long de la
côt~ orientale ~epuis le 23me jusqu'au
15me degré de latitude inéridionale.
D eux Allemands , MM. :rreyreiss et
Sellow, qui ont le projet de parcourir le
Brésil · pendant plusieurs années, - o.nt
tróuvé un généreux appui dans le roi de
Portugal ~t de BrésiL 11 ne sera pas fàcile
~ un étranger de pénétrer :dans le pays
avec plus d'avantages que ces deux
voyagel.lrS, car ils en connaissent la
langue et les mceu_r s, et les éxcursions
qu'ils font depuis plusieurs années les y
ont convenablement préparés. J'ai fait
~
xvj INTRODUCTION.
a-wec eux une pa_rtie de mon vbyage-, et
M. Freyreiss m'a communiqué plusieurs·
notices intéréssantes dont je lui témoigne
hautement ma reconhaissance. ·
Je sens c01nbien il est téméraire de
présenter au public ces observations sur
mon voyage dans une parti e de l'Amé-
rique méridionale , apres la publica-
tion de celles de mon illustre_ compa-
triote M. · Al~xan<;lre de Humboldt; qui
parcourt avec un succ~ s~ brillant le
va'ste domaine des con~aissances hu-
maines; . mais la bonne volonté peut
suppléer à ,.la faiblesse des moyens, et
quoique je n'aie pas la prétention de
douner quelq~e chose de parfait, j'ose
cependant espérer que les amis de l'his-
toire naturelle et de la géographie trou-
veront dans mon livre plusieurs faits
assez importans pour contribuer a,ux
progres de ces sciences.
'I~ ABLE DÊS CHAPITilES

DU TOME PRE:MIER.

Pages.
CHAPITRE PR~MIER.
'I'raversée d'Arigleterre à Rio - de - Janeiro.
• J
CHAPITRE II.
Séjour · à Rio-de-.faneiro. - La ville et ses environs.
- Les ·I ndiens · de San-Lou1·enzo. -Préparatifs pour
un voyage dans l''intérieur. 29
CHÀ.PÍTRE ·111.
Voyage de Rio-He•Janeiro au cap Frio.-Praya-Gran.de.
- San-Gonsa:lvez. - t e· Guajin:tibo. -La Serra-de-
Inua. - Lac et Fregúesia-de-Marica. - Gunpii;ia.
Ponta-Negra. - Sagoareína. -Lagune de Ararouama.
-San-Pedro dos lndios. -Le cap Fdo. 52
CHA PITRE IV.
Voyage du cap Frio à Villa de San-Salvador dos Campos
dos Goaytacasés. - Campos Novos. - . Riv~ere et
Villa de San-J oao ~ ·- Rio. das Ostras. - Fazeud·a de
Tapebuçu. - Riviere et Villa de Macahé. - Paulista.
- Coral de Battuba. - Bana do Fw·ado. -Rio Bar-
ganza. - Abbaye de San-Bento. - Villa de San-
Salyador sur le Pa1·a1ba. 1 :h
Pag(s .
CHAPI'TRE ,V.
Séjou1· .à Villa de San-Sahador. - Villa ele San-
Salvaftor. - Excursion à San-Fidelis. -Les Indiens
Coroados.-· Les 'Pourys. 180

CHAPITRE VI.
Muribecca. -Hostilités eles Pourys. -Quartel das Bar-
reiras. - L'ltapemirim . ....:._ Villa.:.Nova de Benevente
sur l'Iritiba. - Goa1·aparim. ' 233
.- CHAPITRE VII.
Séjour à Espírito-Santo et voyage au Rio-Doçe. - Villa
Velha do - Espírito -Santo. - Cidade de Victoria.
-Bana de Juçu. _"'-Araçatiba. -Coroaba. :_ Villa
nova de Almeida·. - Quartel do Riacho .. - ~io-Doçe.
-Linhares. -Les Boutocou<lys , ennemis iuvétfrés
eles Po1:tugais.
CHAPITRE ·. VIII.
Voyage du Rio-Doçe à Caravellas, ou Rio d'Alcobaça,
et retour au Morro d'Araba sur le Mucuri. -Quartel
de J uparanan da Praya. - Riviere et barra de San-
Mateo. - Le M~curi. -'- Villa Viçoza. - C;uavellas.
- Ponte de Gentio sur l'.Alcobaça. ~ Séjour .e n cet
endroit. ·

FI.N DE LÀ TABLE DU TOME l'RE.MIER.


,,
VOYAGE

AU BRÉSlL~ 1"

CHAPITRE PREMIER~

Traversée d'Anglet~ rre à Rio - de - Janeiro,

L·EBrésil, vers lequel depuis .quelques . années


'

mi grand nombre de voyageurs <;mt dirigé leurs·


reganis, offrel'avantage d,'être séparé del'Europe
pár une. des mers les plus tranquilies. Quoique Ies
tempêfes soieni fréq1:lentes·sur l 'immense Océan ,
durant certains mois, surtout vers l~ temps des
équinoxes , ioutefois elle's s~:mt généralem~nt
moins dangereuses dans ·ces ·parag~s ·c;iue º1.ans
- ceux' qni avoisinent le cai> de Borme~Espérance,
le ca p Horn, etc. ·
Je quittai Londres le 15inai i815 ; ~ c'estJ'épo-
que à laquelle les ·tempêtes oí1t "drdinairement
-
' '
I., l

\
VOYAGE
perdu leur plus grande violence; et je me flat-
' tai en conséquence de l'espoir d'une traversée
t'ranquille et agréable. -Notre navire le Janus,
de trois cent vingt tonneaux; sortit de la Tamise
par un tres-beau temps; et nous eumes d'autant
plus confiance au proverbe des matelots anglais ' ·
evening red and morning grey, sign of a very
fine day ( soirée rouge et matinée grise, signes
d'un beau jour), que le soir du jour de notre
départ, le ciel était d'un rouge magnifique. Un
vent frais et favorable nous fit prompternent arri-
ver à l'embouchure de la. Tamise; mais dans la
nuit il changea, il fallut mouiller.
Les premiers i,ours d'une tr_aversée sont ordi-
nairement employes à s'arranger dans le navire
et à considérer les objets nouveaux dont on
est ent.ouré ; ils pass~ rent promptement. Le
second jour commençait à peine que tout nous
.donnait lieud'espérer un voyage heureux. Nous
faisions route en compagnie d'un grand nombre
de vaisseaux de toutes les grandeurs, qui, les
voiles gonflées, glissaient rapidement sur la sur-
face des eaux. Vers midi ces présages flatteurs
s' év nouirent, le vent devint contraire, ou fot
obligé de. louvoyer. On passa devant Marga te,
jolie petite ville, on donbla le cap North-
.. AU BJ.!.ÉSIL. 3
Foreland avec ses falaises blancl~es et escarpée·s,
on' entra dans ]a Manche, et le soir· oi;i mouilla
j:l.UX Dunes en face de Deal. QCette partie de

la côte d' Angleterre est entierertient ouverte;


aucune anse , aucune hautehr ne mettent le
navigateur à l'abri des tempêtes. Beaucoup de
navires étaient à l'ancre devant Deal; on y
voyait des bâtimens de la compagnie des Indes
et plusieurs vaisseaux de guerre. Le vent con-
traire nous retint plusieurs jours sur cette rade . . '
Le capitaine profita de ce temps pour prendre
une augmentation d~ provisions frakhes. A~
boul de quelques jours, le vent paraissait un peu
plus favorable, on leva l' ancre et l' on doubla: le
cap South - Foreland; mais le vent devint de
.nouveau si contraireet le temps si ~auvais, qu'il
fallut songer à reprendre l'ancien mouillage à
Deal. La furie du vent augmenta ; le nombre
des hommes de qri~t fut doublé pendant -la
nuit; .le ciel se couvrit de plus en plus, l'cjJ~ ne
distinguait plus le cap South-Foreland, dont
noús étions tout pres. Enfin Ia ten1pête éclata ,
dans toµte sa furie; on am.~·na les vergues pom"
donner moins de prise au vent. Ce niauvais
temps continua pendant qnelques jours, et n e
donnapas aux passagers qúi n'avaient pas encore
VOYAGE ,
navigué -qne idée avantageuse des agrémens de
la vie des m1lrinJ5. Une apres...;..midi que le veut
sembla un peu plus favorable, un vaisseau de
ligne donna le signal; toute la flotte leva l'ancre.
l\fais à l'approche de la nuit un nouvea.u danger
nous menaça_; les bâtimens naviguaient à si
peu de distance les uns des autres, et se rappro-
ch~ient tellement à chaque iostant , qu'il fal-
lait user des plus grandes précautions pour
l ne
pas s'aborder. Vers minuit un gros navire ar-
riva sur nous à pleines voiles, l'obscurité ne
permit de l'apercevoir que lorsqu'il vint à passer
pres de nous cn nous rasant. Le vent fra~chissait
constamment
Au point du jour la scene- avait singuliere-
ment changé. L'atmosphere dégagée de nuages
paraissait terne et comme voilée par des va-
peurs. Pendant tout le jour l~ tempête augmenta
sans cesse de violence. Notre na vire, entiere-
ment sur le côté, ne se soutepait contre le veu t
qu'avec un petit nombre de voiles; à dix heures
du matin nous étions devant le fanai de Dun-
geness. Tous les passagers étáient malades. Un
silence affreux régnait dans la chambre ;' il n'é-
tait interrompu que par le siffiement du vent
dans les cordages ., et par le bruit effrayant des

J
·, ./
1'
AU BRÉSIL.
vagues et leur choc con~re lena vire. ·Le capitaine
fit de vains efforts peur poursuivre sa route ,
'1

il fãUut céder et retourner • •


au moúillage. Eu
rebroussant chemin le vent nous favori~ait; no~s
. _parconrumes eil peu de temps et avec un petit
. nombre de voiles le même espace que · nous
avions employé la ni1it entiere à traverser. Un
brick qui faisait i:outeavec nous était continuel-
· 1em~nt c~uvert par les lamcs ; notre navire étant
plus élevé sur l'ean nous préservait en partie de
,cet inconvénient. Nous arrivions sur la côte de
Deal avec tant de vitesse que pour éviter d'y être
jetés on la~ssa tomber l'ancre à la hâte , ce quine
·~' effectúa pas sans peine , car le câhle filait avec
une si grande rapidité, que la force du frottement
faillit à enflammer 1e. bois; il s'en él~vait déjà l~ne
vapeur; 011 prévint l'accidenÍ par des torrensd'eau,
·et rious échappâmes au danger. Heureusement
notre navire; qui était en général tres-bon et
tres-solide, avait des câbles neufs et d' excel-
lens-agres. Le grand 11ombfe
( -
de, hâtimens que
nouf? trou vâmes au mouillàge nous ê'onsola en
quelque sorte de .J; perté de ternps que nol:is
avions éprouvée. Tons les grands navires avaient
amené leurs mâts de liúne et de perroquet, ainsi
que leurs vergues,_pour être moins qxposés à ta
6 VOYAGE
fur~ur de la tempête; les vaisseaux de guerre
étaient mouillés sur deux ancres.
. Nous avions échappé au danger le plus immi-
DeDt; mais toujour~ renfermés dans le navire,
que les lames ballotai~.p.t encore d'une Il1G\Diere
/
terrible , Dous menions une triste vie ; . aussi
Dous nffus sentimes doublement heureux lors-
qu' enfin l'agitation violente des VG\gues s'apaisa.,
et que nous pu.mes faire route vers not!'e des-
tination. Nous passâuies devant Dungeness,
nou~ vimes les deu~ .rochers de B~achyhc~d,
proniontoire du Sussex, s.i tué entre Hasti:Qgs et
Shor~hé\m, et devant lequel une escadre franÇaise
battit en :\.690 les flottes combin~es d'Angle-
terre et de Hollande; nous aperçfrmes à ruidi
la ville de Brighthelmst9.p.e, par abréviation
, Brigh~on , si renommée J:_>OUJ..' ses _bains de rner,
et nous Dous trouvâmes eD vue de l'ile de Wiglit.
La rner é tait tranquille , l~ lune_ éclaii;ait J'ho-
rizon; l,a gai~é ava;.t reparµ .à bprd ; les violoDs
des matelOts se firent de D01,ive~u entençlre; les
jeunes gens danserep.t, et oub~ierent l'inqqié-
tude qui les av::\i.t tourmentés ..
Le 20 mai dans b matinée nous quiÚânies
la poiDtede SaiDte-CatherinedaJ,1sl'ilede Wight
bient~t Dous fümes dev.antla pointe de Portland
'j
·' ; )

AU BRltSIL; 7
dans k Dorsetshire,. d'Ou se tire :lia belle pierre à
bâtir. que l'Õn emploie à Lon!fres. :Mais dà1is
· la n~it a· s'éleva encare une tempête si rude
~u'il fallut louvoyer po1)r n'~-tre pas j eté ·éontre
Ies rochers·; u~e de noS' voiles fut déchirée pai· -
le -vent. L~ lendemain la grosse mer et le
vent peu fav'orable-nous forcerent de relâcher à
Torhay',_r~de s-Qre et vaste-, eníourée de·hautes
falaises, etfermée au nora par·la pointe de Poi·t-
Iand, au sud par le cap ' St3rt-Point•; le s0ir
nous do~blâ:mes ce prc;>meH;toir;e, ·qui consiste
en hauts :irochers _deritelés ; au-dessns s' étend,
de mêéne que tout le long de 'la eôte du Devon-
shire, qne be1le pla.ine ve.r.doy:a nte, dont l'uni-
fqrmité est i91terron~p1;1e par la coÚ]eur- jaune des
fleurs de l'a-j,o nc (ulex eu-r.opqJus), arbrisseau
tres-commun des deux côtés de Ia Manche. On
vc;,iJait à }A su1;face de 1a nier des.rochers contre
lesq-uels les vagl.lles v:enaien·t se brise~ , · tablean
qu'~Jnhellissait la lumiere donce d"u, soleil. cou:.. ·
chant. Ceee~dant Eotre vaisseau~ eontinuait'tm-· -
pideuiel!lt,s.a rou.te. Des lc le111demain màtin rrous
apetç-U.mes. aiu loin le. fopt Peaclennis, pres de-
Falmolit.th,.et nous qu~ttâmes- fa )lanche an ca>p
Léza.-rd· ql;Íi se distingu'e par ses' deux pha-
:res blancs. Les côtes du Cornoúailles ~-t d·u
8 VOYAGE
I .
Devonshire n'ont pas la couleur blanche de cell.es.
de North et S01ith Foreland; elles offrent une
teinte rougeâtre.
Enfin nous nous trouvons dans l'im.m.ense
'
Océan; la terre avait entierem.entdisparu de nos
yeux, et le .cap Landsend, la pointe la plus m.éri ~
dionale de l'Angleterre, se dérohe à nos regards
le 22 mai à, midi. De ce moment cess~ toute
distraction causée p~r la diversité des objets dont
on est entouré ; le ciel et la rrie1: sont les seuls que
l'on aperc;oive; on che1:che à s'oc~uper en écri-
vant; heureux qui a fait une ample provision
de bons livres !
. 11 ne nous arriva rien de remarquable jusqu'à
Madere, que nous aperçumes le dixieme jour
de notre navigation. On eut beau jeter des lignes
et ·d'autres instrumens de pêche , on ne prit
que. des grondins ( trigla gurnardus) , pois-
son tres-bon à rnanger. Des troupes de rnar-
souins nous accompagnaient souvent de loin,
surtout quand la mer était un peu agitée; on fit
feu sur eux, on 'n 'en tua aucun. L 'oiseau de
tempête était aussi de nos fideles compagnons;
les Portugais le nômment alma de mestre. Les
ma rins, qui regardent com me l'indice d' une tem-
pête prochaine l'arrivéed'une troupe nombreuse
"
AU BRÉSIL. 9
de ces oiseaux autou_r. d'un naviré' , nele voient
pas avec plaísir.
Un cutter de la marine ~oyale d'Angleterre
DOUS annouça que son pays av~it déclaré . Ia
guerre à la France · aussitôt on fit l'appel de nos
matelots; cependant on n'en prit aucui1 pour le
service de l'ét~t. Cette nouvelle .nous causa de
v;ves inquiétudes~ surtout lorsqu'en pa,ssant de-
vant la côte d'Espagne nous v1mes un bâtimeilt
se diriger vers le nôtre; mais nos alarmes furent
hieritôt dissjpées ~ c'était un navire anglais; il
se chargea de nos Iettr~s pour l'Eurnpe.
Le i e r juin, vers midi, une terre haute et des
monta.ghes se moú.trerent. confusément dans le
lointain;
' . c'était Madere. A six h eures du soir,
nous étions devant · Ponta-Parga, ·sa pointe
occidentale, que nous doublâmes avec bon vent;
Ia .mer était converte d' oiseaux de ·tempête ; de
mouettes, et d'auÚes oiseaux aquatiques. L'aspéct
de Madere est i~posant ·de tous côtés : c~tte He
s'offrait à nos regards comme un immense rocher
dont 1es flancs se perdaient dans les nuages; ses
côtes escaq~ées ei :p.oires sont coupées pàr ·des
ravines et des gorges profondes; partout cepen-
. dant la vigne étale ·ses .pampres verdoyans' entre
lesquels s'tHevent les inaisons blanches d~s habi -

--·---1._.. . . ."...
12 ' VOYAGE
cisssent, saisissent Ia proie, etsànt couverts d' une
infinité He suçoit's. La vésicule n.e parah sujette
à aucun ·changement; je n'ai pu y découvrir.
l'orifice d'aucun vaisseau. A la mort de l'anim:al
elle ne s'affaisse pas, et même plongée dans
l'esprit de vin elle conserve sa forme. Sa faculté de
se mouvoi~· est faible; elle se contracte en forme
de croissant; elle courbe aussi ses deux extré-
. m~tés, en haut et en bas : par ces rnouvemens
elle se releve lorsqu'une vague l'a renversée. On
peüt toucher la vessie sans éprouver une sensa-
tion douloureuse; mais Ies tentacules occasion-
nent une démangeaison violente. Les Portugais
nomment ce singulier n"1ollusque agoa viva ou
caravela; les Anglais portitguese man of war,
les Français galere. Plus pres de l'équateur, le
nombre de ces mollusques diminua; au contraire
celui de la medusa pelagica augmenta. Des
oiseaux de mer voltigeaient quelc1uefois autoúr
de nous. Notre capitaine en second prit à . la
niain, apres un-grain, une hirondelle de mer qui
de fatigue étoit venue se reposer à bord ; nous
·v tmes aussi des frégates qui avaient été empor-
tées de dessus les rochers voisins.
Pendant que nous avions traversé- Ja partie
septenirionale de la zone tofride , le temps avait
AU BRÉSIL.
ét~ gGnéralement beau; mais ensuite la chaleur
qui1 augmentait co~1tinucllement nous était sou-
vent tres-incommode dafls le vaisseau. Des
nuage~ sombres , inÇlices de pluie et d'or~ge,
s'éJevaient quelquefois isolément sur l'horizon;
ils s' étendaient et arrivaient avec rapidité, appor-

tant une bourrasque violente et une forte ondée
de pluie, qui dans un instant inondait le navire;
mais ordinàirement le soleil brillait de nouveau
une demi-heure apres. Lorsque l'eau commença
à se gâter, ces ondées forent reçues avec plaisir.
Les navigateurs imprudens qui, à l'approche
d'un semblable météore, ne serrent pas leurs
voiles supérieures, ont souvent beaucoup à souf- ·
/
frir de ces raffales subites? et quelqu<;lfois en sont
victimes. Notre capitaine nou ~ raconta qu'un
accident de ce genre était arrivé peu de temps
auparavant à un navire qui avait péri. Le nôtre
eut une voile déchirée; comme on prenait tou-
jours les précautions requises , il n'éprouva
pàs d'autre dommage. - ,
Le 22 juin le Janus passa Ia ligne. I:es cé--
rémonies .usitées en pareille occasion .:ne furent
pas . oubliées. Au sud de l'équateur le temps fut
plus Inauvaís. Des grains de peu de durée, ac-
compagnés.de raffales violentes, étaientfréquens; .
YOYAGE
la mer était assez souvent agitée. Les oiseaux
de tenipête, les marsouins, les cachalots, et de
plus gros cétacées, se'tnontraien t communément.
Nous avions coupé l'équaieur parles 28 º·, 25
de longitude à l'occident de Greenwich parce
qn'étant auparavant dans des parages plrn~ rap-
•prochés des côtes d' Afrique, ou
nous avions
essuyé beaucoup de pluie et d' ouragaris, nous
avi~ns , pour Dous en éloigner , gouverné à
l' ouest; ce qui Dous porta dans les courans, qui
nous firent avancer vers la côte d' Amérique.
Le 27 juin, pendant que nous déjeuniohs; cm .
nous annonça que ]'on voyait 1a terre. Tout le
mo_nde courut sur le pont pour contempler la
côte du Br_ésil, qui s' élevait du sein de l'Océan.
Bieniôt parurent, sur-la snrface de la mer, deux
especes de goémons et de nombrenx indices de
te.rre; enfin nous rencontrâmes un radeau de
pêcheur qui portait trois hommes; on nomme
ces radeauxjangadas; ils sont faits de cinq à six
pieces d'un bois léger que l'o~ appelle au Brésil
pao de jangada. Koster en a donné 1a figtJre
dans son voyage au BrésiJ ( I ). Ces jangád,a s na-
viguent assez súrement en, mer; on s'en sert

( 1) Page 5. Traduction française , tome t , page 4.

/
AU BRÉSIL.
pour la pêche ou pour le transport de différens
objets le long de 'la côte; ils vont tres-vite, au ,
moyen ·d'une grande voile latine ~ attachée à
un ~ât court. Nous aririons volontiers, ~pres une
]on~ traversée, profi.té de l'occasion de Dous
procurer du poisson frais, mais· ce n'était pas la
peine, poursatisfaire ée désir,de courir apres les
pêcheurs. Nous fimes route vers la côte; nous
nous en étions assez rapprochés à midi pbur re·
connahre que e'étaient les environs de Go!ana ou
Pai·a'iba-do-Norte, dans la capitainerie de Per-
namhouc. Si pres de la terre , la force du vent
aurait pti pendant la nuit Dous faíre courir des
. dangers : heuteusernent nous purnes à temps
virer de bord, et retourner au large. 11 tomba
pendant la nuit des torrens de pluie accompa-
gnée d'un gros temps , qui nous obligea de
louvoyer pendant plusieurs jours, presque sans
changer de place. Le vent souffiait aveé furie ;
le navire roulait avec violence. La pluie ne
discontinuait pas : nous ·n'étions guere en
sureté dans nos lits. Nos matelots souffraient
le plus de l'humidité; le danger qui nous me-
naçait les obligeait d'être jour et nuit sur le
p ont; le rhum suffisait à peine à soutenir. leur
courage et leur bonne volonté. L'aspect de la
' .
VOYAGE ·
1ner , dans les nuils sombres , orageuses , plu-
vieu~es , était effrayant; les yagues bruyantes ve-
naient en s'élevant frapper le navire; J'immense
surface de l'eau semblait être en feu; des mil-
liers de points lumineux , ·des bandes et p1ême
de larges tra1nées de lumieres J?rillaient de tous
côtés , cbangeant. de forme et de place à chaque
instant. Cette lumiere resseni.blait entierement
à celle que donne le bois pourri lorsq~'il cst
mouillé ; c'est un phénomene que l'on voit
fréquemment dans les forêts. Durant ces nuits
sombres et orageuses , on met son espérance
dans le jour qui suivra; mais souvent le jour
paraissait sans que notre position dev!nt meil-
leure. II était aussi nébuleux , aussi sombre que
la nuit qui 'l'avait précédé; les marins ne pou-
vaient cacher leurs craintes; i]s appréhendaient
une tempête plus violente. Chague fois qu' elle
semblait s'annoncer, on faisait les préparatifs
nécessaires pour résister à sa violence, prépa-
ra_tifs qui causent des inquiétudes et des alar-
n1es extrêmes <JUX passagers. Nous avions com-
mis une grande faute de nous tant approcher de
la côte dans Ie voisinage de Pernambouc, parce
que du.r ant l'hiver de .la zone torride, les orage~
et les tempêtes regnent dans ces parages. Le
AU BRÉSIL. 17
cilpitaine dirigea sa route, autant que le vent le
luí perniit, pour gagner Ja hau.te mer , mais
il fut constamment obligé 'de louvoyer, et par
conséquent n'avança pas beaucciup. Enfin, huit
jours apres avoir aperçu la terre. pour ' la pre-
miere fois, le vent devint un peu~ meilleur et
nous 1aissa la liherté de preridre une routé
plus directe. Qn m.e surait quelqu,efois la force
des courans ' précaution nécessaire . quand cm
navigue si pres de_Ia côte. De grands. oiseaux de
mer, des goélands ou des petrels nous·entoQraient
sans que no~s pussions en tirer un seul ; . les
physalies nageaient. autour de nous, les poissons
volans fendaient l'air en avant du na vire, ' et de
gros céiacées lançaient l' eau par leurs évents.
·Le 8 juillet à ~idi noris vimes d~ nouveau la
côte du Brésil ·d ans le voisinage de la·Bahia-de- •
todos-os-Santos. Elle se montrait scius l'aspect de .
montagnesde.belJes formes, a'u-dessus desquelles :' . ,
reposaient d'épais nuages. On voyait la plnie
tomber sur la·côte-, et en mer nous éprouvions
constammen.t- des alterna tives de .gros ten~ps ,
de phüe, et de v.ent contr!lire. flomme tous _
}es SOÍl'S le vent soufilait de terre , DOUS . DOUS .
. :rapErochi0ns de Ja côte p~ndant Í~ ~jour, _et
pendant la nuit nous ,regagnions le larg~ :
2.


VOYAGE
de cette maniere nous ne . perdions gueres la
ferre de vue.
Le I o, le temps fut beau et le vent favorable~
N ous ayions passé les écueils dangereux nom -
més A bro.llws (ouvre les yeux: adra os olhos);
ainsi nous pumes faire route directement pour
le cap Frio. Par les 22 º ~5 ' de latitude sud
j'observai une seconde espece de physalie, qui
est beaucoup plus petite que l'autre, et n'a pas
du tout de teinte rouge ( 1 ). Ces mollusques se
n;10ntraient en grand nombre. La chaleur àmidi
dans ces parages devenait chaqne jour plus ac-
cablante ~ une seule tasse de thé causait une
transpiration abondaDte. En revanche la tempé-
rature des nuits, pend~nt lesquelles la lune pril-
lait et ·1es étoiles resplendisaient·d'un éf?lat sin-
gulier, était tres-agréable. Les indices de l'ap-
proche de la terre augmentaient à chaque ins-
tan.t : on rencontrai~ des goémons, des plantes,
du bois, toutes sortes d'<>hjets semblables;
enfin le i 4 à midi nous revimes la côte et nous
reconnúmes distinctement devant noui le cap
Frio, ·en avant duque! git un llot rocaíJleux. La

(1) C'est sans doute celle que 1\1. Bosc a représentée dans
la planche 19 de son Histoire N aturelle d~s rers.


(

AU BRÉSIL. 19
JOie se · manifesta vivement de toutes parts;
nous tenions la mer depuis soixante-dix jours,
et nous n'avions pk1s qu'une · bien courte tra-:-
versée jusqu'à Rio--de-.Janeiro.
~ans la matinée? le Junus doubla le cap
Frio avec un vent frais et favor le ;· le i 5 nous
v.lmes de pres la · côte méridionale du Brésil,
car ce cap la sépare de Ja côte orientale. Le vent
agitait fortement la mer, qui, de même que sm·
les côtes d'Europe, avait pris la teinte de _vert
clair qu'elle a pres de terre. La vue des moh-
tagnes du Brésil, remarquables par la beauté et
la variété de leurs formes , par la ver<lure de
leurs superbes forêts éclairée~ dans ce moment
de la maniere la· plus diversifiée, par leur éten-
due sans interruption le long de la côte ,' nous
causait un plaisir, un ravissement extraordi- ·
naire : nous nous .figurions dans notre imagi:..
natÍOn les scenes nouvelJes que DOUS aJlious
contempler' et nous attendions ~vec empresse-
ment l'instant de déha·rqner. Les montagnes
primitives vers lesquelles nous faisions voile
ont les formes les plus variées : el1es sont
souvent coniques ou · pyramidales; les nuages
couvraient 1eurs cimes, et une. nuée·ou vapeur
légere leur donnait une teinte ~louce t res-
!20 VOYA'GE
agréable. A midi, par un vent três-faible, Ie
· thermomêtre à l'ombre se soutenah à i9" de
Réaumur; bientôt il descendit à 17° par un
c).llme qui dura jusqu'au soir : un peu plus tard,
le vent s'éleva avec assez ·de force, le navire
marcha avec )idité ., et le lendemain matin
nous étions devant l'entrée ·de la baie de Rio-
de-Jaueiro.
Le calme qui survint de nouve~u ·nous fit
rester en place, pendant que l'agitation .de la
meF nous secouait rudement. Nous étions prês
de ~· ouverture qui mene à l~ ville royale de
Rio-de-Janeiro; une multitude de petites iles,
dont quelques-unes frappent . par leurs formes
bizarres, s'y éleve:i:it au-dessus de la surface de
l'eau, et s'unissant à la masse des rnontagnes
dans le lointain, présentent une perspective
três-pittoresque.
Le vent s'étant élevé três-doucemeut vers
onze heures, le bâtiment avançait à peine d'une
maniêre visible, quoiqu,'il eut toutes ses voiles
dehors. Nous primes le parti de profiter de cette
inactivité pour visiter les Hots les plus proches
de nous, et -faire ainsi connaissanêe avec le sol
du Brésil. Le capitaine fit mettre un canot de~
hors, et prit avec lui quelques matelots; Úois

:
- \

AU BRÉSIL.
passage1?S ,. du nombre desqµels j'étais., l'accom-·
pagnerent. Nous allions de l'avant, sans:remar-
qt; er que l'eauentrait avec rapidité dans le.cano~;.
com~e il était. reste suspendu à l'arriere ·du
navire, Ia chaleur du soleíl en avait. déjoint
les coutures .. Apres avoir pendant une demi-
heure travaillé péniblement à vainci~e la houle ;
nous nous v1mes contráints de. v.ider l'eau qui
remplissait le canot; mais nous manq.u ions âes,
instrumens nécessaires ., il fallut nous. servir de
nos souliers. La hauteur des lam~s nous avait
dérobé la vue·du. navire ;·enfin, apres avoir vidé
deux.. fois le canot , nous arrivélmt!s heurcmse-
ment à l' Ilha raza, l'lle plate , ainsi nommée
pour la distinguer de l'Ilha rotunda, qui--est
hauté. Mais en approchant de cette He déserte , ·
nous reconnumes l'impossibilité d'y descendre ~
De tous côtés s'élevaient des rochers aigus, sm~
lesquels e multitude de mollusque~ éten-
. daient un véritable rés.e au. La mer brisait av~c
tant de··fracas et. de furie sur ce récif, que, tem-
plis de crainte, il fallut nous coritenter d''ad:_
mirer de Ioin les beaux arbustes touffus q_ui
couvrent Ià ·surface de l'lle , et d' écouter le
ramage des oiseaux qui se faisait entendre
au-dessus de ·nos têtes .. L'aspect de cette ile dn
22 VOYA'GE
tropique était entierement noi,weau, et tres-in-
téressant p0ur nous. Snr les pointes des rochers
se tenaient, par couples, une multitude de
rnouettes à dos noir, qui ·ressemblent en tout
aú larzts 1narinus des mers d'Europe. Nous leur
tirâmes plusieurs coups de fusil sans . en tuer
une seule' .car 'au premier elles s'étaient toutes
envolées, . et nous entouraient en nous assour-
dissant de lem·s cris. Apres âvoi:r resté environ
' d e cette i'J e, nous songeames a
une h eure prC's A \

i·etourner à, notre bâtiment que nous n'aperce-


vions plus: Notre position dev'e nait critique,
car il regne dans cette entrée eles courans qui ·
détournent insensiblement les vaisseaux de lem··
route, et les jettent à la côte. On ena vu plu-
sieurs exemples (1 ). Nos matelots furent obli-
gés de travailler vigoureusement contre la force

(1) Les courans de l'enfrée de la baie de Rio sont souvent


dangereux pour Jes bàtimens quand il stuvient du calme.
Un événement remarqnabJe de ce genre avait eu Ileu peu de
temps avant mon anivée. Un navire américain entra et fut
bientôt suivi d'un conaire al_lglais . L'Américain hésita
long-temps à ressoi:tir, enfi.t1 il s'y décida; l' Anglais v<>ulut
appareiller aussitôt pour le prendre. D'apres les reglemens
du port de Rio, tl est accordé uu délai de trois heures à UD
. AU BRÉSIL.
de la mer ·, sans savq~r de quel côt.é 's e trouvait
le Janµ,s. Nous ' les aiélions de tout notre pou-
voir, nous vidâmes encore deu~ fois Ie canot
avec nos souli:ers; enfin nous mimes le bonheur
d'apercevoir au-dessus des lames 1a pointe, des-
mâts de nofre navire. Apres bien des peines et
des fatigues nous y arrivâmes : on y était i:nquia . 1

de nous. '
N ous ne. faisions que peu de route à cause
de. la faiblesse du vent, toutefois nous jetâmes
l'ancre le soir dans le goulet de l'entrée de la
baie. Cette entráe est imposante et tres-pitto""'."'
resque. De çhaque côté s'élevent des rochers
âpres et gigantesques , sembl~bles à ceux de ·la
Sui~se, et terminés pàr des cimes ,arrondies ou
en pointe , qui la plupa-r t ont un nom particu-
lier; deux pointes réunies portent celui de Daos

.
na vire avant qu'un bâtim.eut ennemi puisse le ~uivre. L'An~
. ·. '

glais fut 'd_o nc obligé d'attendre trois ]mures, alors il ~it


.

toutes voiles dehors, et poursuivit l' Américain. Mais à peine .


était-il arrivé dans le voisinage ae l'Ilha rotunda' qu'il sur-
vint un calme plat; le courant poussa violemment le corsa ire
contre les iochers; le bâtiment échoua et périt avec tout,l'é-
quipage, tandis q ne l'Américatn était depuis long-temps au
large.
V0YAGE
Irmaos ( les deux freres); uiier autre a reçti
des Anglais celui de Parrot Beak (bec de per- _
roquet ). Plus loi1~ on .voit le Corcovado , que
gravissent lesr habitans de_ Rio pour j ouir ·dn
sup~rbe conp d~reil des . environs. Qàand nous
\ eumes mouillé à peu. ·pres 'à un mifle ·anglais
\ du fort, . nos regards se pqrterent ·sur la nature
\grande.et..nouvelle qui nous entçmrait. Les mon-
tagn.es à c.i me .dentelée sont en partie convertes
de forêts d'uú. vert sombre , du sein desquelles
s'élancei~t fierement les cocotiers à la tige svelte.
I Le matin et le soir les . nuages .s'abaissaient ·sur
ces énonnes montágnes primitives, et voilaient
leur .sommet ; · la mer venait battre leuP pied
en écumant; . et produisait un bruit. que nous
entendions de tons côtés pendant toute la nnit . .
r A · la .lueur dn soleil couchant' DOUS aperce-
vions à la surface de la mer des troupes de pois-
sons de . couleurs brillantes, et dont Ie :rouge
vif produisait un coup d'reil singulier. Les goé-
mons et'les mollusques que nous pêchio'ns nous
occuperent jusqu'aux. approchés de la nuit;
alors la ros~e, extrêmement ' abondant.e dans
cette zone, nous ~h~ssa de ·dessus I~ pont du .
vaisseau. Nons allions nous abandonner au re- ·
1
pos, lorsqu'un coup de canon tiré au Ioin .n ous
/

AU BRÉSIL.
rappela sur le p ont. Dans Je fônd de la baie,
précisément à l'endroit oú la quantité de grands
navires. nous avait fait supposer qu'était situé
Ri<:> - -de - Janeiro~ · un coup d'reil vraiment
magnifique nous surprit au miJiep. de . Ã~ nuit ;
c'était celui d'un beáu feu d'artifice.
·Nous á.ttendions le lendem~in · av~c un re-
doublement d'impaiience; des le point ·du jo~r,
on leva l'ancre, et, à la faveur ~'!ln . vent mo-:-
déré, o~ s'avança vers le port. La joie animait
tout le ·monde, on était .réuni sur le e ont. Un
canot· arrivé de terre et conduit par huit ln-
diens nous amena deux pilotes qui .dirigerent
le Janus · à son mouillage devant la ville. Ces
mátelots nous appcirÍerent de fort belles oranges
qui nous semhlerent d'autant meilleures que '
depuis soixante-douze jours que nous ·étions en
mer, nous n'avions pas gouté un fruit frais.
Nous voguions d'un côté à l'autre de·f'entrée
resserrée, et nous nous approchions de .Ja ville;
les montagnes diminuaientde hauteur sur ehaque
rive, nous apercevions de jolies maisorÍ ~ ·avec
des toits rouges, au milieu des ravines ombra-
gées par des arbres touffus , et dominées par Ies
cocotiers ; des bâtimens naviguaient en t ous
sens sur la rade. Nous laissâmes derriere nous
VOYAGE
' plusieurs nes ' . entre autres céllé sur laquelle
Villegagnon b âtit Ie fort Coligni_, et qui porte
encore son nom. De ce point on aperçoit une
grande partie de la baie. de Rio qui est enton-
rée de hautes m.ontagnes , parmi lesqueUes la
Serra dos Orgàos ( Ia mon tagne des orgues) se .
distingue par ses pies, semblables à ceux des
Alpes de Suisse. Beaucoup . de jolies lles sont
éparses dans ce port, le plus beau et le plus stff
du Nouveau-J\1ond~, et dont l'entrée est défen-
due de chaque côté par de fortes batteries·. On
est en ce lieu vis-à-vis de la ville de Rio-de-Ja-
neiro, bâtie snr plusieurs collines au bo1°d de 14}
rner. EU~ présente une belle perspective avec
ses églises et ses couvens situés sur les hauteurs.
Le fond du tableau derriere la ,ville est formé
par des montagnes de forme conique, arron-
dies au sommet et couvertes de forêts : elles em-
bellissent ,infiniment le' paysage j, dont le devant
est animé par une multitude de na vires de toutes
les nation~. C'est là que regnent l'activité et la
vie; des canots, des chaloupes y sont sans cesse
en mouvement; les petits navires des ports
voisins remplissent les intervalles entre les grands
vaisseaux. des nations de l'Europe .
.A peme. nous eúmes laissé tomber l'ancre,
AU BRÉS1L.
quenous fumes entourés de bateaux; l'un por-
tait des soldats qui eouvrirent aussitôt le pont
du na vire. Les employés de l' àlfandega ou de
la doüane
\
s'établirent à bord,· '
la commission
de santé arriva aussi; 'il vint des officiers qui exa-
minerent nos passeports; enfin le bâtiment fut
rempli d'une quantité d'Anglais qui demande- ~
rent eles nouvelles de leur pays. La derniere
soirée que nous passâmes à bord, apres unem-
prisonnement de soixante-douze jours, se passa
rapidement; il faisait un beau clair de lune ~ Ie
temps étoit d'une chaleur douce et agréable :
nous restâmes .à causer sur Ie pont jusque bien
avant dans la nuit; cependant nous ne pouvions
nous cacher les uns aux autres une certaine
impatience de voir arriver le lendemain. Notre
imagination s'occupait vivement de l'avenir. Au -
milieu de ce's pensées mes yeux se porterent sur
I

les mâts du navire qui nous avait amcnés heu-


reusement de régions éloignées ; échappé à des
dangers nombreux, il étoit mouillé tranquille-
ment dans le port : je le considérai avec un vif
intérêt. Le voyag~ur qui a, pendant quelques
mois , fait sa demeure sur. l'Océan, dans une de
ces grandes machines mobiles, éprouve envers
elle un mouvement de reconnaissance quand il
'
VOYAGE
est sur le point de la quitter; il di t m1 adieu cor-
dial ~u matelot gl'Ossier, mais franc, qui lui a si
· long-temps prêté son secours, et lui souhaite _
poúr l'avenir une heureuse chance dans se~
voy~ges sur l'élément mobile et trompeur au-
quel il a consacré son existence.

.)
- AU BRÉSIL.

CHAPl'I RE II. 1

Séjouf à Rfo..:. cle-Janeiro. -;- i;.a· ville et ses environs. - 'Les


Incliens de San-Lourenzo. -Préparatifs pour un voyage dans
. l'intérieur .

. L E lieu ou est bãti Rio-de-Janeiro , ou -


San Sebastiam de En.e ré , portait chez les
sauvages habitans primiiifs de ces contrées
le nom de G'ttnabara. Cette viJle, qui dans la
derniere . moitié du dix- septieme siede · ne
comptait.que !2500 .ha~itans avec une garnison
de 600 hommes (1), s'est élevée aujourd'hui
au rang des · premieres cités du nouveau
·monde. Coni.me ~il existe beaucoup de descrip-
tio~s de cette capitale, ce serait · e:r).tre~· dans des
répétitions inutiles que de vouloir e'n entrepren-
dre une détaillée.
.
M. Barrow en a donné' une
idée assez exacte ( 2); mais depuis qu'il a écrit,

(1) Voyez History ofBrazit by Southey; tome 2, p. 667.


(2) Voyage à la Cochincltine, etc., tome 1, .P· 9~ à 150
de la traduction française, q ui .contient eles additions irn por-
tan t~s de l\I. Malte-Bruu aux observaticins de l'éci'ivain
anglais (E).
3o VOYAGE
l'ensemble des choses a bien changé. Pres de
vingt Inille Européens venus de Portugal avec le
roi se sont établis dans cette ville, il en est
résulté la conséqueiice naturelle qne les usages
du Brésil ont été modifiés par ceux d'Europe.
Des améliora.tions de tous Ies genres ont. été en-
treprises dans la capitale, Elle a beaucoup perdu
,de son caractere d'orig~nalité: aujourd'hui elle
· est devenue .plüs ressemblante aux cités euro-
péennes. Cependant les étrangers qui arrivent
~ont frappés du tres-grand nombre de negres et
de m,ulâtres qu'ils rencon~rent dans les· rues au
milieu de la foule dont elles sont remplies; car
la population de Rio-de-Janeiro compte plus
ele negres et de. gens de couleur que de blancs.
Plusieurs nationssont rassemblées. en ce lieu
parle commerce, et de leurréunion sont sortis dé
i nouveaux et nombreux mélanges. La. classe qui
/ ale pas sur le.s autres dans to~te l'é.tendue du
/ Brésil est celle . desPortugais d 'Europe (Portu-
/ guezes ou Filhos do reino).; viennent ensuite
J les Brésiliens ou Portugais créoles, d'origine
j plus 0u moins pure (Brasileºiros); les mulâ-
[. tres , provenant du mélang'e de blancs et de
. \ ne'g res ( mulatos) ,·, les mamelus ou métis
\ sortant de blancs et d'lndiens ('!zamaluccos).;
1
AU BRÉSIL. 31
~es negres d'Afrique (negros ou maleccos) ._;
Íes negres créoles, nés au Brésil (c-reolos) ; les
aribocos, nés d'un negre et d'un Indien; les
Indiens purs, ou habitans primitifs du Brésil
(Indios); on appelle caboc.los ceux qui sont
civilisés ; et gentios, tapuyes ou bugres ceux:
qui vivent encore dans leur état natarel.
I
Toutes ces variétés de couleurs frappent dans
Rio-de:-Janeiro, les tapu'yes n'y paraissent qu'i-
solément comi:ne des objets curieux. De~ qu'on
met le pied dans les rues cm voit ce singulier(
mélange d'hommes diversem.ent occupés, et au-
pres d'eux une réunion de toutes les nations de
l'Europe . .Les Anglais, les Esi;agnols, les Ita-
liens, sont ici tres-nombre~x; il y arrive actuel-
lement une quantité de Français; on y rencontre ·
heaucoup moins d' Allemands, de Hollandais ,
de Suédois, de D~nois, de Russes. Les negres à
moitiénus fonttousles gros ouvrag~s; c'estcette
classe ntile d'homme& qui transportent toutes
.les.marchandises du port à la viJle; ils se réunis-
sent à cet effe~ dix à douze, et avec dé fortes
barres de ~ois, empottent Jes fardeaux les plu&
pesans' maintenant l'ensemble _d ans ~eurs mou-
vemens par des chants ou plutôt des cris; car
on ne se sert pas de charrettes pour ce travail. ,.

'
.> ) ,
.
VOYAGE
D'un autre côté on voit des carrosses et d'autres
voit11res, tra1nées par des mulets , .rouler dans
les, rues en général mal pavées, mais garnies
de trottoirs; la plupart se eroisent à angles
droits;· les inaisons n'ont ordinairement qu'un
rez-de-chaussée, ou un étage. ~U-dessus; cepen-
dant il y en a de fort grandes .dans quelques
parties de la ville, surtou~ dans le voisinage du
port, dans la ruapireita, t:;l prês du palais du roi,
qui n'est pas magnifique, mais qui est tres-bien ,
situé, et d'ou l'on jouit d'une belle vue sur la
mer .. Les principaux édific~s- sorít les églises.,
·clont l'intérieur est assez gén_é ralement orné avec
rnagnificenée; les f~tes reli~euses, les proces-
sions et autres cérémonies semblables sont fré-
quentes; une c9utume-siriguliere dans to,u tes ces
_solemnités est de tirer dans les rues, devant 1es
portes des églises, des feux d'artifice avec gra,nd
·bruit et grand fracas. · .. .
... Rio possede une salle d'opéra assez ·grande;
on ·y jou.e des opéras italie:qs; les danseurs sont
français. L'aquéduc est un ouvrage im1wrtant ; -
Ja promenade à la colline de laquelle il1se rend
à la ville, est tres-agréable; on y jouit de la vue
du port et' de cel!e de la ville, qui s'étend dans
une ravin~ d'oi.1 s'élevent des cocotiers du Bré-
AU ERÉSlL. 33
sil (cocos bzttyracea). Du côté ,d e terre~ Rich;st
entouré de marais. couverts de mangliei·s (Rhi-
zophora). Ce, voisinage ,1et en géHéral sa sítua-
tion, ne doivent pas être favorables à la santé
des habitans.
· L'_E uropéen transplanté pour la premiere fois
'<lans .cette cont.rée équatoriale, est ravi de la
beauté des p1:od~ctions de la nature, et ·sur.t out
d~ l'abondance et de la richesse de la végétation.
Les plus beau:x:: arbres croissent dans tous -les
jardins : on y voit le ma1íguier colossal , qui .
.donne un ombrage. é pais et _un fr~lit excellent,
le cocotier à la tige haute et svelte, le bananie1:
en groupes serrés, le papayer, I'~.rythrina ·aux
fleurs d'un rouge de corail, et un grand norn.bre
d'autres, répandus dans tous les jardins quitou-
chent à la ville. ·Ces superbes végétaux re1Íd~nt
les promenades extrêmemeut a_gréables; l~s bo-
cage~ qu'ils forment offrent à l'admiratio,n des
étrangers des oiseaux et·<les papillons qu'il n'd
pas encore ·vus, parmi lesquels je ne citerai que
les colibris au plumage doré, comm~· les plus
connus.. Les _promenades sur.les bords defa mer
n_'ont pas rnoins de charmes, par la vue des
vaisse::Íúx qui arrivent des régions du _monde les
plus éloignée·s. Je nedois pas oublier non plus le
I. 5

·r -.
34 VOYAGE
Passeio publico, grande place pl~htée d'allées
d'arbres, et tcrminée par une terrassc'.
Jusqu'à ·présent la na ture a ii>Ius fait que
l'homme pour le Brésil :•toutefois depuisrarrivéc
du roi on a beaucoup eflectué pour l'avantage
du pays.·Üri doit mettre de ce nombre plusieurs
ordonnances, rendues- en faveur .du cornmerce,
qui est tres-Çtctif, ·et dans lequel, cependant, au
détriment . des sujets, l' Angleterre a .u ne trop
grande prépondérance; €ar les navires. portu-
gai.s paient des droits plus forts. que ceux de la
Grande-Bretagne. Toutefois .la circulâtion de
capitaux considérables a béaucoup· enrichi la
capitale; le séjour de la . cour ne contr-ibue ·pa.s
peu à cette prospérité : elle nourrit un grand
nombre de personnes, et les envoy~s des ·c om·s
d'Europe ainsí qne les étr~_nger,s attirés par di- ·
vers motifs en ce pays, ont extrêmement ré-
pandu. le goilt du luxe par:ini les différentes
cl~sses d'habitan~. La . mi se, les modes, y res-
semblent entierement à celles des capitales d'Eu-
rope. On y tt'ouve déjà une si grandé quantité
d'artistes et d'artisans de tous les pays et dans
tous les genres, que dans pen d'années on y
rnanquera . de peu de ces choses qui tien~ent à
l'agrécpent de la vie. On_y jou~t d'ailleurs d'une
AU BRESIL. 35
.abondance de frnits et d'autres productions de
la nature que l'on doit à la beauté du climat; et
que l'homme ne sait apprécier et mettre à pro-
·fit que lo1:squ7il les obtient par le travai], la
çulture ,. et lorsqu'il parvient à les perfection-
ner. Les o ranges, Jes inangues, 1les figues , les
raisins, les goyaves, les ananas, ~cquierent ici un_e
qualité p~rfaite; on. y a plusieurs variétés de
bananes, notamment celle de San=--Tome, et la
banana da terra , que l' on regarde com me plus
saine encore : toutes deux sont tres-nourris-
santes et ·tres-savoureuses. Parini les fruits qui
se verident dans les rues, on remarque le coco,
., dont Ie lait est si rafra!chissant; le fruit du ja-
quier à feui lles enlieres ( artocarpus integri-
folia ) , dont le g.oút est dl uIJ# clouceur désa-
g-1•éable; · les melons d' eau ( melancias) _; les
amandes du q1ia·t elé ( lec,ythis ollaria); celles
du pin du Brésil (-araucaria ). On clit que la
caH.ne à sucre cro1-b nat.m.~·elleme!_lt dans le pay's,
notamment · aux envirpns de la capitale. Les
ma•r chés ne sont pas moi11s bien foutuis de pois-
sons de différente espece, des formes les pfos
singulieres et des couleurs les pl~1s belles ; en-
fin, la _volaille et le gibier de H:mtes sortes vien-
1:i.ent ajouter à l'abcmdan~e. On. a ' ici une T;;ice
36 ·VOYAGE
de poules à bec et à pieds jaunes, qui, dit-mi,
vient d' Afrique.
.
L a garn1son , .qu1. est tres-non1
\ b .r euse , re-
,
pand aussi beaucoup d'argent dans la ville. La
différence entre les soldatsyenus·d'Europe apres
avoir servi eu Espagne ·sous W ellington, ·e t
ceux -qui ne sont pas sortis du Brésil , frappe
au premier coup d'reil. Les premier.s ont une
tournure tout-à-fait militaire; les autres sont
amollis par la chaleur du climat : l'exer:cice
fini, ils font rapporter leurs armes chez eux
pàr des negres.
: On ne peut pas attendre un tableau- complet
de cette capitale et de ses habitans , de la part
d ' un voyageur qu1. n ' y .a 'r..ia1t•
. qu' un court se- ,

jour. De comhiw:i de jugemens précipités et


faux· ne s'expose-:-t-on pas à·se rendre coupable,
quand .on veut ainsi prouoncer à la h~te, sans
s' être n1is à même de muri~ ses i<lées par de
lougues observations. On risque 3:ussi de rendre
sa véracité suspecte. Laissons donc -Je soin de
peindre cette capitale aux Européens qui l'ont
considérée plus à loisi1·, et qui' sans doute; ne
feront pas trop long-temps attendre le fruit de
leurs observations .
.J'arrivai à Rio pendant l'hiver .de la zone tor-
AU BRÉSIL.
ride ,; la tenipérature·ressemblait à celle de ~los
rnois les ·plus chauds de l'été. Je m'att.endais à
voir tomber de la pluie ·durant. cet hiver des
tropiques-, .mais,. à ma- gFande joie,. 'f étais dans
l'erreur, il ne plut pas : ce · qui prouve le. peu
de fondement de l'opinion vulgaire, que dans la
saison froide de la zone torride en Amérique·,
i1 pleuf constamment. · Mes le~tres de recom-,
mandation m.e procurerent un accueil plein de
bienveillance dans plusieurs- maisons. J e dois
citer a vec une·reconnaissa-nc'e profonde M. W es-
tin , ~onsul de Suede , M. Langsdorff, consut
de Russie; M. Chamberlain, chargé d'affaires
d' Angleterre, et M. Svertskoff, chargé ,d 'af-
faires de Russie. Ces messieurs ' s?efforcerent à
l'envi de me r.endre mon séjour agréable, et mon
compatriote· M .. Feldner, ingénieur-majoí·, me
c0mbla de marques de bonté. ll me·fi.t faire plu-
sieurs parties· de campagae tres-ga'.ies, qui · ~e
donnerent occasion _de <'.onna1tre ·les beaux. en-
virons de ~io. La plus inté1·essante pour .moi ~
fut celle que nous Hmes au· village de San-Lou-
renzo, le seui des environs de la capitale ou il -
se trouve :encore des habitans. primitifs du pays,
jadis si nombreux dans ces cantons. Pour-
mieux examiner ces homines , nous quittâ.mes

''·
VOYAGE
)a ville sous la co11duite du capitaine Perreira ,.
qui connait 'tres-bien l'es environs. · On s'ém-
ba'rqua pour traver~~r une partie de 1'.1 haie. Un
tres-beau temps nous favorisait; chaque in-
stant m' offrait le coup d' reil ravissant de tableau'x
nouveaux pour 1noi qui se renouvelaient sans
cesse, et dorit le charme s'accroissait par la
diversité et la vivacité des teintes de hiuiiere
qui animaient les jolis bosquets r~pandus fo
long du rivage. .
On débarqua à peu de distance de San-Lou-
renzo, et l'ou se mit à gravir des coHines d'une
élévatioq médiocre par un s.e ntier 'qu'ombra'-
. geaient des haies touffues de végétaux élégans;
. Ies lantana' avec leurs fleurs de couleu~ de feu'
, rouge f~ncé ou rose; · les héliconia, et d'atitres
arbustes d'un aspect égaleníent gracieux , for-
ment ici des taillis épais. Au sommet de la col-
_line, les ·n1aismis des lndiens sont éparses au
milieu des bosquets d'!=>rangers, de bananiers,
·e t d'autFe&arbres cl1Jrgés de fruits exquis. C'est
ici qu'un peintre de paysages aurait l'oceasion
de perfectionner sdn pinceau, par la vue de la
riche végétation des tropiques et de tableaux
champêtres d'une nature sublirne. L~s habitans
étaient occupés dans leurs huttes à fabriquer de
AU :BR-ÉSIL. 39·
Ia ·poterie avec une argile d'un gris foncé , qui
r~ugit quim<l elle· a passé au- feu : ils ét~ient
assis à terr~ Ils.fon:i de,grands vaisseaux avec
leurs mains seules, sans employer la roue _,
I
et unissent la surface· .au moyen d' une petite
coquille qu'ils humectent avec la bouche. Les
hommes travaillent au. service du roi sur les
vaisseaux. Le visag~ de la plupart de·ces Indiens·
· portait ~ncore les íraits distinctifs de lenr race;
d'autres, au contraire, semblaient offrir une ori-
gine déià 'mélangée._ Les caracteres: distinctifs
de la race brésilienhe_, que .j'observai da~s ·ce .
lieu pour la premiere fois' et que rai ensuitc .
con.stamment retrouvés, sont une taill~ moyen,-
ne , souver,i.t médiocre; le corps bien· pr<?por-
tionné, ramassé et musculeux. chez les hommes i
1a peau rougeâtre ou d'un brun jaunc%tre _, les.
cheveux durs _, longs , . épais, li~es~ d'un noir
foncé; fa face large _, assez osseuse ; les yeux
souvent obliques , .et, cependant le visage,.,bien
fait; les traits forts, lés Ievres géné-ralement
épaisses; les mains et les pieds petits et d'une
forme délicate; la barbe géq éralement peu four-
, nié et dure.
Le peti~ nombre d'lndiens qui demeurent en
-ce lieu est Je reste de l'ancienne et nombreuse
VOY.AGE
population de ce canton : ce ·n'était pourtant
pas , à prnprement parler , dans . te lieu qu'ifa
vivaient. Dans l'origine, Rio et les environs
étaien t habités par . la tribu belliqueuse des Ta-
n10yos. Ceux-ci, chass.és en partie par les Tou-
• pinimbas·, nomrnés Toupinambas parles ·Por-
tugais, se réunirent ensuite avec · ces Indiens
centre les. derniers _, ·et firent conjointement al,
liance avec les Français ; mais ces ·Européens
ayant été expulsés en i·567 par les Portugais,
les indigenes qui avaien t pris leur parti furent
en partie exlenniüés, en partie repoussés dans
l<:;s forêls.:. S'il faut en crnire une tradition peu
vraisemhlable, ces Toupinambas furent forcés
de recuier à travers les forêts jusque s1~r les
bord~ du fleuve des Amazonés, o-ti ·ils se sont
établis: Toutefois, il est··certain que l'on trouve
m1 reste de cet!f:e t.ribu ·oans- une pe.t ite He située
au confluent de ce grand fleuve .et du Madeira,
et o-li l'on voit la hourgade de Toupi.nambara,
qui a ensuite donné· naissaQce à celle de To-
payos : on peut juger par là de l'extension im-
mense de cette peupla<le (1 ). Le Français Jean

(1) Suiv:mt le P. d'Acunha, cité par la Condamine,


pag . 140 de son VoJ'ªlfe de la rfr·iàre des Amaz ones; les tri-·
AU BR,É SIL.
de Lery et ~' Allernand Hans Staden, nous ont
donn~ clans leurs relat~ons intéressantes un ta-
.bleau extrêmement fidele de l' état, des mreurs
et, des usages des Toupinambas f elles sont d'au-
tant plus instructives, qu 'elles peignent en même
temps toutes les tribus des lndien~ civilisés qui
vivent le long des côtes, et que les Portugais
nomrnent Indios. mC!-nsos, Indiens apprivoisés.
M. Southey, dans son History of_Brazil, liyre
rempli de bons renseignerilens, et :M. Beau-
champ, dans son Histoire du Brésil, ouvrage •. '

romanesque, ont n1is ces sources à contril?u- • t

tion. Vasco~cellos·, dans ses Noticias curiosas


ela Brasil (1), divise ,en deux classes toutes les
tribus indigenes du Brésil oriental, les civili- .

· bus des Toupinambas et eles antres Indiens des côies. qui ont
dé l'affinité a,vec eux, s'étendaient da'n s tout le Brésil; c'est
e.e que prouy. ,nt les noms · tirés de leur langue, ue l'on
trouve sur touté Ia côte cirien,tale, Ie long du fleuve des Ama- "'
zones, et même dans le Paraguay, <;>u Azara Ieür applique
la dénom ination de Guaranys. ( /Toyage dans l' Amérique
méridionale, tom. II, pag. f•2.)
Les mots de la langue guarany que ·cite ce voyageur, of-
frent i)lusieurs différences avec la lingoa geral , _mais en rriême
temps plusieurs points de ressemblance , de sorte que ces
deux peuples, paraÍssent avoir entre eux b.eaucoup d'affiuité.
( i) Noticias antecedentes, curiosas , e necessarias, du.s
42 VOYAGE
sées ou apprivoisées, Indios mansos, (et les hor-
des sàuvages, Tapuyas. Les premiers, lorsque
les Européens découvrirent ce pays , n'habi-:- ·
taient que les côtes maritir,nes ; ils étaient par-
tagés en tribus nombreuses , qui ne différaient
pas beaucoup entre eUes par la langue, les mreurs
.et les usages. Toutes nourrissai~nt leurs pri-:
sonniers -de guerre, ·les tuaient ~n jour de fête,
avec le tacapé ou ive.ra pemmé, massue Qrnée
de plumes, et ensuite les mangeaient. On ·cite
parmi ces tribus les Tamoyos, les ToupinaÍu-
has, les Toupinaquins, les Tobayaras; les Tou-
pis, les Toupigoaes, les Toumimin~s, les Amo'ig-
pyras , les Araboyares, les _ Rasiguaras, les
Potygoares, les Carisos, etc. Com me leur langue
~ e parlait tout le long de la côte, on la nommait
lingoa geral ':m matriz. Les jésuites, et entre
autres José de Anchiéta ., nous en ont donné
une ~rnmaire tres.:.complete (1). Q ttPique tous
ces i'ndiens soient au]ourd'hui civilisés et parlent .
portugais, ils compreírnent cependant quelques
mots de cette langue, et plusieurs vieillards .Ja

cousas do Brasil. Cet ouv rage se trouve dans sa Chronica


da companhia de J csu do E stado de Brasil ; etc •
.. ( 1) Arte da Lingoa brasilica. Lisboa ~ etc.
AU BRÉSIL. 45
possedent assez completemen,t , mais chaque
jour elle se perd davantage.
C'est de cette langue que viennent tous les
noms d'animaux, de plantes , de rivieres, que
l'on voit dans les relations de voyages au Brésil.
Comme elle était parlée _depuis Saint ·- Paul
jusqu'à Para, on ytrouve tous lesnon1s, notam-
n1ei1t ceux des animaux, dont les auteurs ont
fait usa'ge, surtout Marcgraf dans son His-
toire naturelle du Brésil. Toutefois l'adoption
de ces dén0minations provinciales dans les ou-
vrages S)'S~ématiques_ a causé assez souvent des _
erreurs fâcheuses; car, quoique ces noms soient .
en 'général compris dans une va,ste étendue le
long de la côte; il s'y rencont[e cependant de
grandes modifications, co:r:rim~ on le v~rra- dans
la suite de mon récit. V oici ~ quelques exemples
de mots et de noms de cette langue : Jauarété
( Felis onca); Tamandua ( Myrmecophaga) ;
P~cari ( Sus) ; Ta piirété ( Tapirus am#.icanus);
Cuia (t) (Gourde); Tapyya (Peuple barbare
ou ennemi): on en a fait ensuite Tapouyas, Pa-.

(1) Les cuias sont des portions de l'écorce d'une ,certaine
esp~ce de gourde .q ui, lorsqu'elle est vidée et ·uettoyée,
fournit des assietles et des écuelles tres-légeres pour manger
e t pour boire. Si la gourde crensée est entiere et a Ia forme
VOYAGE
n<icoum ( Corbeille allongée); Tinga ( Blanc ).;
Miri (Petit); Ua~su ou (Grand). Les Portugais
ont adopté et conservé les noms ·indieJ:?-S des
végétaux comestibles du _pays, et des mets que
' l'on en prépare. Par exemple ils mangent le Min-
gant des ancieimes ~r.ibus. ,
Les noms d'animaux cités par Azara .dàns
son Histoire naturelle duParaguay, prouvent
que cette langue était , extrêmemeut étendue
dans le Brésil et dans les pays voisins; ils ·sont
tirés d e la 1at1-gue des. Guarapys, et en partie les
rnêmes que ceux de la lingoa geral.
·La premiere .classe d'Indiens, d'apres la di-
vision de V asçoncellos , ayant _c hangé entiere-
ment de n{aniere de vivre, a nécessairement
1
per.du son caract~re original. II en est i,lUtrement .
de la seconde, les Tapouyas : ceux-ci sont en-
core dans leur état primitif. Habitant l'intérieur
des grandes forêts qui bordent lés côtes , ce
séjour d it·obait ces sauvages aux regards et à
l'iufluence des Européens qui arrivaient dans
leur pays; . il& vivaient plus surement et plus

d'uue bouteill'e , ou la nomme cabaça. Cet usage el;'l le mo.t


de cuia d éri vent, ainsi qu'on l'a dit plus haut, de la. lingoa
geral: l'un et l'autre ont ét~ adoptés au Brésil.
AU BRÉSIL. 45
tranquillement que lêurs,frere~ qui demeuraie:n t
p:ces de la mer' avec 1esquels' de même qu'ã-
vec. les Europée·ns, ils étaient constamment en
guerre. Ils sont pariagés en plusieurs tribus' et
ce qui est tres-remarquable, toutes ces petites
hordes · p~rlent des langues absolm:nent ·diffé-
rentes.' Une seule tribu de Tapouyas , tribu
tres-farouche-, les Ouetaca~ ( i) , ou Goaytaca-
ses, comme les ,nomment les Portugais , habi-
tait sur la côte orientale parmi les peuplades
de la lingoa geral, mais elle parlait ·un idionie
absolument · différent ·Ju leur > vivait ·e n étát
d'hostilité continuelle avec élles, et en était re-
doutée de même que des Européens. Enfin les
jésuites, qui s'enteI1daien't si bien à chiliser _ces
bordes sauvage.s, parvin·rent, par la patience , ,_
la douceur et la persévérance, à dórnptei· aussi
le caractere intraitable_de cette tribu: ·
Quand Mendo de Sa fonda San:-Sebasttãm
(Rio-de-Janeiro), en i567, il établi~ le "villag'e
de San-Lourenzo pour les lndiens qúi s'étaient
distingués par ·leur bravoure dans les combats
contre les FranÇais et leurs allíés _les -Toupi-
nambas, et aváient contribué à les ehass.e r; il

(1) Lery, pag. 5o.


VOYAGE
les- plaça sous la direction de Martim Afonzo.'
~s jésuites y ont ensuite introduit des Goay-
tacasés nouvellemeilt convertis, pour peupler
de nouveau ce lieu. Ainsi, les Indiens qui l'ha-
bitent aujourd~hui descendent de cette tribu.
Retournons aux demeures pal\ibles de San-
.• Lourenzo~ ·u n treillage fait avec des perches,
etdont les intervalles sont remplis d'ar.gile, forme
· les murs des huttes, doni:. lc toit est cou:vert de
feuilles de cocotiers. Les meuhles son~ três..:.
simples. Des nattes de roseaux ( esteiras ) , po-
sées sur des n1orccaux de hois' tienn~nt la place
de lits ; quelquefois on voit des hamacs ( rddé)
faits avec des cordes de coton entrelacées' qui
autrefois étaient en usage chez ces peuples. Ces
deux ma;iieres de se coucher ont aussi été adop-
/ tées dans tout le Brésil par les Portugais .de Ja
classeinfév.ieure. Les talha, grands vase'S deter!e
,oid'eau se conservefra:lche, se frou:vent chez ces
Indiens coi:nme dans tout .le pays; ils ·snnt faits
d'une argile à travers laqnelle l'eau fiILre lente-
iTu;~nt, de sorte qu'elle s'évapore à la snrface ín-
térietlre du vase, et se rafra1ehit dans l'intéri.eur.
Une écale de coco, pourvue d'un manche en
bois, sert à. puiser l'eau dans le vase. Quelques
pots de terre pour la cuisi~ ( panellas ) , des
AU BRÉSIL.
. (
\

cuias ou des gourdes, dont on se sert comme


d'assiettes, .différentes bagatelles poú.r l'habil-
lement ou la parure, quelquefois le f usil ou l'arc
et les fleches p our la chasse, composent le reste"
de l'ameublement..
Ces lndiens viventenpartiedu maniocé man-
dioca ) et du mais ·, ( milho ) , qtt'ils cultivent.
Je .ne décrírai pas la préparation de ces deux
substances alimentaires , parce que Kost~r et
Mawe. (1) ont donné à ce sujet des détails suf-

(1) Trçwels inBrazil. -London ., 1816, r vol. in-4° avec


figures.
/Toyages da'Jzs la pa...rtie septentrionaÚ du Brésit , de-
puis 1809jusqu'en 1815 ·, .crnnprenant les.p1twinces de Per-
nambuco ~ Fenzamóouc) , Seara, Parai'óa, Jlf'aragnan ;
par Henri Koster , . traduit de l'auglais par ~L J.a y. - Paris..
Delaunay, i818; 2 vol. in-8° avec figares.
·TraPe/,s in the intérior of Brazil, particulm;ty in the
gold ap,d diamond dist! ·icts -of the country . .,.Londori,_1812 ,
i vol. in--*º avec . figµres.
JToyages dans l'intérieur du Brésil, partículiéreínent dans
les di"stricts de l'or et du diamant, faits en r809 et 1810;
par Jean Mawe; craduits de l'anglais. par J. B. B. Eyries .
- Paris; Gide filll, 18.1 6; 2 vol. in-8° avec fi.gures.
Ces ·deux: ouvrages se tr-0uvent aussi chez Arthus Ber-
traJicl, rue Hautefeuille , nº 2S.

48 VOYAGE
fisans ( l ). ln.dépendammeut de ces deux. végé-
taux, qui font proprement la base:de.Ia. nour-
riture de tous les peuples du Brési~, on cultive,
dans Jes pimenteiras qui entourent les maisons,
diverses plantes
.
qui' servent à 1'assaisonnement
.
des mets : ce sont différentes sortes de piment,
entre a.utres la malaguéta, dont l~: frui t est:rouge
et allongé' et le pimenta di ch_e iro' qui est rond
et de couleur rouge ou jaune. On y voit aussi
·aes touffes de ricin (. baga ) (2) , ;mx. fe~lilles .
anguleuses, et des graines duque! on exprime
de J'huile pour les besoins du ménage. lVI,.Sel-
low, notre botaniste , trouva pres des habita-
tions .des lndiens une espêce de lepidium sau-
vage, dont le gout ressemb~e à celui d-q cresson
alénois d'Europe : les lndiens disent . que c'est
un remede assuré contre les maux de poitrine.
Pendant que M. Sellow moissonnait dans son
champ, j'achetaí des Incl~ens de jolis ·oiseaux
qu'ils teHaient dans des cages de .bois; eutre·
autres le tangara violet et orange ( tanagra via-

1
(1) Kóster, l>ag. 369 (tom. II, ·pag. 265 de la traducttion ).
- M; we, }Jag. 7 5 ( tom. 1, pag. 124 de la . Traduction ).

(2) Nommé cairapatà à Peruambouc, suivant Koster,


pag. 576 ( toin. II, pag. 287 ).
AU BRÉSIL.
· lacea ) ; il.ommé .-gatturama.- daus ãette part1e
d~ :BrésiI. " ,
- ' 1
Apres ce court, ·mais intéressant séjour à San-.
Lourenzo , nous allâmes déharq?er pres dé la .
maison de campagne de M. Chamberlain, située
dan~. une ·petite anse entourée de rochers. - Elle
est :a~ milieu de bosquets ch<)rmans d'oran-·
gers ·et_de_cacaoyers ,- dortt le ftuit croit ímmé-
diaternent sur le tronc ; des manguiers qui
surpassent, en hauteur -nos plus ·grands éhênes
ombragent une source fraiche q1:li sort d'une
gorge étroite, et ·en font un lieu .de repos deli-
cieux. Sur les bords de ce ruisseau; nous admi-
rions la diversité de formes des fruits sauvages :
pàrrni ce.s capsules ; _ces gousses, ces_noix , · Ie
fruit du fromager ( ceiba ) , qui a · la grosseúr
et·la figure des calebasses, es_t le plus cornmun.
C'est .sur cet arbre, dont le tronc est-tres-épi..:.
neux -et Je b1~a~~hage touffu, qu~vit, selon l'ob- ·
servation de M. - ~ellow, ·le brill~nt ·charanson ·
impérial ( curculio· imperialis) 1 un des plus
beaux insecte& du Brésil ~ et dont la, méta~o~-:­
phose remarquable ,.s era fideleruent décrite , ·par
ce voyageu~ _instruit. Su~ les montagnes voi-
sines s' élevent, pres de.la côte, . des murailles.
de rochers ' extrêmement hautes , couvertes
I. 4f
5o VOYAGE
J d'immenses cactus et d' agave f mtida; à leurs.
pieds croissent des buissons dont . la couJeur
sombre offr.e les effets- les plus pittoresques. En
revenant à Rio, nous avons aussi visité l' arma-
çao das baleüas , ou le magasin de la pêche
de la baleine. Ces cétacés sont tres-nombr'eux
Je long de la côte du. Brésil , . mais actuelle-
m.eiit on .les poursuit avec trop d'ardeur. Ja-
dis, comme ·on le voit par la relation de Lery,
ils ve~aient jusque dans la baie de Rio-de-
Janei~o (1)., ·. :
Quelque agréable qu' eut été pour moi -qn
plus long séj'our dans la capiiale, il n'entrait
cependant pas dans mon plan de m'y arrêter
trop . long-temps , puisque e' est ·dans les cam-
pagnes _et les forêts , et non pas dans les villes ,
que 1a n áture déploie ses richesses. Grâces à
l'appui du gouvernement, dont . les intention~
libérales se m\Ilifestent par la conduite bien-
veillante de M .. le com.te de Barca , ministre
qui encourage tou,t ce , qui est bon et utile, je
fus à même de pousser avec activité les· prépa-
ratifs de mon voyage. ·J'obtins un passeport et
des lettres de r ecommandation adressées aux,

(1) Voyage. ,. . , pag. 42,

. - ......

••

AD · BRÉSIL. 51
1

capitaines-g~néraux des pi;ovinces, et conçues


. en termes si flatt<mrs pour. moi , que je doute
qu'on en ait . donné de pareilles .a ux voyageurs
qui m'ont précédé. Les autorités étaient invi-
tées à nous porter aide et protection en toute
occasion, à fair_e parvenir nos _c ollections à Rio,
et à nous procurer, quand nous le denJande-
rions , des soldáts , des gµides , des portem·s,
des bêtes de somnie. Deux jeunes Allemands,
MM. Sellow et Freyreiss, qui connaissaient les
mreurs et la la~1gue du pays, rn'avalent pr.o mis
de m'accompagner dans mon voyage le long de
la côte orientale, jusqu'à Caravellas, et de m'ai-
der dans h1es recherches. Nous avions séize
mulets , portant chacun deu,x coffres_ en bois
couverts.d'une peau crue de breuf, ,q ui les met-
t_a ient·à l'abri de la .pluie et de l'humidité. Nous
avion.s pris à.notre service {!ix hommes, les uns
pour soigner les m.ulets , les autres comm.e
chasseurs; tous armés, et suffi:samment pour-
vus de munitions etde tous les objets nécessaires
pour recueillir les productions de ]a nature ,
objets dont ravais inutilement apporté d'Europe -
une partie ; nous nous mimes en route.
, :VO.YAGE

CHAPITRE III.

Voyage de Rio-de-Janeiro au cap Fiio.-Praya-Grande,-Saa-


G~;11Salvez. -: Le Guajintibo. - La Se~·ra-de-lnua. - Lac et
Freguesia-de-Maúca. -Gurapina. - Ponta-Negra . .- _Sa-
goarema. - Lagune de Aratama. - San Pedro dos. Indios.
- ~e cap Frio. ·

~- ÁPRES ,avoir fait .à . Saint-Chri~tophe, pet.i t


village dans.le voisinage : de Rio, les préparatifs
nécessaires pour notre .. départ.:, nous . embar-
quâmes nos mulets dans un grand bateau , , ce
qui ne fut pas une o.pérat~on facile ; car, indé-
pendamment de l'entêtement de ces animaux,
qui est connµ, nous avions à vaincre les oLsta:..
eles que·nous présentaií le peu de facilités que
i'!Jº trouve ici pour . faire entrer les . bêtes de
somqie dans les bateaux : il fall~t fi1~ir par ten-
ter de les._ y faire sauter, ce qui. réussit. Ayant
quitté·-Saint-Christoph~ le 4 'aout., je traversai
la baie, et je débarquai à'. niinuit au vill~ge . de
Praya-Grànde ... Tout le monde y é_tait plongé
dans un profond somineil. Des negi:es dormaiént
en plein air, cóu'chés sur le sable , autour d'u~
.. AU BRÊSIL. 53
feu qm ne répandait qu'une faible chaleur ;...
leurs corps n'étaient couverls que d'une toil~
de cotoff mince ,- quine pouvait pas beaucoup
· les mettre à !'abri ·de la rosée tres-abondante.
A- force <le frapper , un aubergiste enveloppé·
~ans son pianteau et les yeux à m~itié ouve~ts
nous ou vrit sa porte. II fallut passer toute' lá
journée dans ce lieu,' pince que . notre tropa,
nom que l'oh donne à un certain nombre- d-é
bêtes de sorhme réunies, :µe put, à cause du
peu de profondeur de l'eau, être débal_'quée'qu'à,
midi. II fut encor~ néce~sair~ d'avoir r~cours
aux, coups, pour forcer ces animaux Âl sauter
hors du bateal:i. Deux conducteurs expérimen-
tés (tropeiros ,) Mariano et Félipe, _tóus deux,
natifs de San....Paulo, dont -Ies habitans s0nt re-
nommés pour l~ur hahileté à manier les inu-
lets , DOUS rendirent d~ grands ser~Íces dan,s
cette · occasion. · /

Le 6," je quittai Praya-Grande, accompagné


de plusieurs de mes amis qui voulaient être té-
moins de mQn départ. J'espérais párcourir une
distance considérable , màis j e reconnus bien-
tôt qú'il est 'plus emba1~rassarit et phis pénible
de voyager av~c des mulets chargés ~ ·q ue ?e
faire transporter commc·en Europe son bag.a ge.
VOY4GE
sur une voiture. L'incommodité était d'autant
plús grande pournous·, que ~e.s ~nimaux, aché-
1;,és à la hâte, ne· connaissaient pa& encore leür
sell.e et leur charge. lei une courroie gênait ;
là. ; · les cofli:es étaient mal arrangés. A peine
étions-nous en route; q9'à notr-e grand chagrin
1
et au divertissement inexprimable de -tous les
spectateurs , la p~upart des rnulets, én faisant
les cabrioles les plus singulieres, essaye1~ent de
se débarrasse.r de le1;.1r fardeau. Dans ces .voya-
ges' on laisse marcher en liherté à la file les
hêtes rle somme ' qui s'hapituent _hientôt les
unes aux autres ; les nôtres se mirent à courir
de tous côtés dans les bois , et plusieurs réus-
sirent à jeler leurs charges à ter.re. Nous filmes
ohligés de courir à c;heval de .c ôté et d'autre , ·
pour chercher nos coffres et nos paquets, et de
les garder jusqu'à l'arr~vée de rios tropeiros qui
lés repiacerent sur les mulets. Ceüe ·perte de
temps nous empêcha d'avancer heaucoup.
Apres deux heures de marche, ·nous atteil.
gnhnes une jolie·prairie 'unie, ·entÓurée de buis-
sons de mimoses aux feuilles finement pennees.
Quoiqu'il. y eút des. m!lisons dans les environs,
nous flmes halte en ce Iieu, pour '._ nous . ac~
coutumer à coucher en plein air. ·Afin ·ae pré..:..
d

AP BRÉSIL. 55
server notre bagage de l'humidité la n.u it , ·de
on le . pla.ç a en demi - cercle ' et l' on éteudit
dans l'intérjcur des peRt1x de breuf, qui· nous
servaient d~ lit. Au, ·milieu de l'enceinte oi1
alluma un grand feu. D' épaisses couvertun~s .
de laine nous défendirent de la forte .rosée de
ce climat : nos porte-manteaux nous tenaient
lieu d'oreillers. Notre souper frugal, ·qui con-
sistai:t en riz et en viande, fut bientôt prêt; nous
po~tions avec nous des plats , des cuillers et
tons les autres uste:risiles nécess~ires. Les étoiles
brillaient de cet édat remarquabl~ qu'elles ont
entre les tropiques : notre repas en plein air
fµt assaisÔnné par la ga1té. Les planteurs voi..i.
sins , qui passaient pres de nous ei~ se retirant
chez eux·, íaisaient ieurs commentaires sur éette
sÍnguliere troupe de ·bohémiens (1). Comme
nous pouvion~ être volés dans ces cant'ons ha-
hités ' nous noqs etions partagé~ en : plusieurs
trqupes pour fai1•e tour à tour la garde pendant
la nuit. l\'les chiens de e11asse allemands me fu-
0

. '
rent tres-utiles en cette Ócc~sioó; car au' mo~ndre
'
'1

. ~ l ', j

' r1_)})n .<li~ ,q1:i. ii y


1
a · ~U Brés~l des bohémiens ou zingaris:
Ko~ter eu parle, 'pag. 599·( tom. II., pag. 3ii7), mais je n'en
a·i {>as 'vu. Koster les nomme ciganos.
56 VOYAGE
bruit qu'ils entendaient ; ils coriraient tout de
suite eu aboyant du côté d'ou il venait. La nmt_
était superbe. Souvent nous porti~ns avec plai-
sir nos regards vers le magnifique spectacle qtie
le ciel nous offrait : le cabouré, petit hibou_de
cQuleur brune ferrugineuse, faisait entendre
sa voix du m_ilieu des buissons; des insectes lui-
sans brillaient dans les fiaques d'eau qui nous -
. entouraient, et les grenorrilles coassaient dou-
cement. La matinée, claire et sereine-, me pró-
cúra pour la p~emiere fois un~ partie de chasse
que je ne connaissais encore que -par le tableau
intéressant que Vaillant ena fait -dans. la relation
de son Yoyage en Afr~que. Nos ~oµvertures et
notre bagage étaien_t_ pénétrés par la rosée ,
co~me ils l'auraient été par la p1uie, mais le so-
leil, dont la chaleur deVint . bientôt brUlant.e ,
J1e t~rda pas à tout sécher. Le déje-lmer fini, cha-
cun prit son fusil , et l' on se mit à.parcourir· les
environs_. Tous les buissons d'a1entour étaient .
animés par une multitude d'oiseaux qui, à -leur
réveil , noÍ.1s divertissaient agréablement par
leur chant. Si l' on . avançait d'un côté poü.r en-
tendre un gazouillementsingulier, on était attiré
ailleurs par la heauté du plumage d'un a..:itre
oiseau. Je tuai .<lans les br~us.sailles d'un ~arais
AU BRÉSIL.
vo1sm une .jolie poule d'eau; plusi~urs especes
de tai;ig.!lra dont le plumage était également fort
heau, et un petit colibri charmant.-La chaleur
du soleil, qui commençait à être trop forte, me
força à revenir au camp. Chaque chasseur IQon-
tra les trésors qu'il rapportait : M. Frey~eiss .
app~rtait, entre autres beaux oiseaux, Ie necta-
rinia cyanea ( 1), remarquá.ble par. s31 magni-
fique couleur hleue.
- . ·
Ensuite on chargea Ia tropa. Les mulets n' é-
tant pas ençore bien accoutumés à porter' .il y
eut des paquets jetés à bas; cependant tout alla
graduellement mieux. Nous marchions au mi-
lieu de montagnes ou nous admirions la beauté
de la végétation. Des plantation's ·de ma~ioc, d~
canne ·à sucre ,- d'-orangers, qui forment de pe-
tits bo~s autôur des habitations, se succedent
alternativenient aveç des marais peu étendus.
Des touffes épaisses de bananiers, des papayers
et des cocotiers élancés, ornent les maisons i~~­
lées. De belles fleurs de couleurs va~iées parent
les arbustes "les plus hun'ibles, entre autres· l'é-
.
rythrina' avec ses longs rameaux de fleurs d'un

. t •

(1) Le guit-guit.
58 VOYAGE
rorige éclatant, une espece de bignonia' avec de
grandes fleurs d'un jaune tendre , à laquelle
M. Sellow donna le nortl spécifique de coriacea.
Du rnilieu de ces buissons s'élevaient .des cac-
tus , des agave f cetida, et des touffes d'un ro-
seau en éventail. Le long des chemins éroit le
balisier aux fleurs d'un rouge briUaut , qui a
quelquefois dix à douze pieds de ' haut; mais le
buginvilléea. brasiliensis , arbre· un peu épi-_
1 neux , touffu, et remarquable par le bel aspect

des nombreuses bractées d'un rose tendre qui


couv;·ent ses fleurs, est de . tous ces végétaux
celui qui charme te plus les yeux d'un étranger.
Les habitans des environs, en vestes courtes
faites d'étoffes légeres, de grands ' chapeaux
rcÍnds' et plats sur la tête, couraient à cheval de
côté et,d'autre; et nous - regardai~nt avec '. sar-.
prise . . Les chcva~lX du Brésil sont otdinaire-:-
inent tre.s -bons .et vifs , de taiUe moyenne ' et
même plutôt petits, comme tous ceux de racé es-
, pagriole; ils ont géné.ralément une belle· croup~
hien unie ; et b j.aá1be jolie.· Les . selles sont à
l'àntique, massive~, . pesantes, garnies de bour-
relets, rev~tues d~ velours, et souvent hr_o dées
avec délicatesse; on y attache une paire d'é-
triers lourds , à la vieill~ mode , en bronze ou
AU BRÉSIL. 59
en fer, qui sont trav:;tillés ~ jour: on en voit ce-
pendan t qui ont_la forme de pelites boltes ou
de souliers en bois, et qui enveloppent le pied.
Les Portugais vc;mt en général beaucoup à che-
val; l'on rencontre parmi eux d'excellens cava-
liers. Ils aiment à aller l'amble , et attachent
de~ morceaux de bois aux pieds de leurs che-
vaux pour les accoutumer à cette allure. Nous
avons ti:aversé _le villagé · d~ San-Gonzalvez,
qui a une petite église. L'apres· midi , nous
sommes arrivés sur les bords du Guajintibo ,
et nous. avons établi notre camp pres d'un_e
venda isolée (1).
Le Guajintibo est une petite riviere qui ser-
pente dans un enfoncement à pentes douces et
sablonneuses, à travers des bois to~ffu.s. Les
prairies promettaient de bons pâturages à nos
mulets, et les forêts étaient remplies d' oisea-lu :
voilà pourquoi nous . àvions clfoisi -cet endroit
_pour y camper. Le lendemain, au point du jour,
-les chasseurs. se séparerent; je courus au bord
de la riviere , q1ii était ·onibrage~ par de tres-

(1) On appelle venda les maisons situées sur les grauds


chemins , ou même dans ies villages, ou l' ou vend di verses
clenrées, surtout des vivres et des bois~ons.
60 ·voYAGE
./

grands mimoses' familie d'arbres tres-comm'u ns


dans, 1es forêts du Brésil comme 'dai1s toutes-
. celles des régions équatoriales. Bientôt j'àperçus
les .. plus jolis oiseaux : le tije ( tariagra br.ttsi-
lia ) et le coucou rouge hrun à longue queue
( cuculus cayanus), ainsi que d'autres. beHes
especes, étalaient leurs couleurs rouges arden~es
sous l'ombre épaisse qui couvraitda riviere. Je
ne tardai pas à tuer un certain nombre:·de ces
,- habitans de l'air, et j'eus occasion de connaltre·
les incommodités de Ia chasse de ce pays : tous-
les huissons ; notamment ceux de mimoses ,
sont ·g arnis de petites épines et d'aiguillons·, et
les plantes griÍnpantes ou lianes ( cipos) sont si
étroiterilent entre1acées ensemble et atito~r des
arbres, qüe l'o,n ne peut pénétrer dans ces so-
litudes qu'au· moyen d'une · large et fone serpe
1 -
(facào ). Des bottes.épaisses .ou 'des souliers de·
chasse . ne · semi 'pas moins indispe~sables que·
cette arme. La ·petite espece de m?u~tiques · est
tres-incommode ·pour Jes · chasseurs, à ·l'onibre ·
sur les~ bords·du ruisseaú. On . les appelle m'a-
roui ou murui ( marouim )~ Cet insecte, quoique
extrêmement petit, occasionne par sa piqüre
. '
une-dén1angeaison tres-vive. D~s Anglais m'ont
assuré que c'est le ·même qui porte_dans' leurs.-
AU BRÉSIL;
Antilles le nom de sandfly (1)., :Mais la nou-
"veauté des ohjets qui nous .entouraient, et sur-
tout la beauté.des oiseaux, nous dédommagerent.
· amplem,en,t de la g~ne que ces insectes nous
causerent. Nous avons . aussi trouvé de . helles
plantes, entre autres, à l'ombre des arhres, .une
sauge à fleurs rouges éclatantes, ·que M. 'sellow
nomma salvia splendens, -et une ' Çarmantine
justicia à .fleurs roses. ·.
Comme , malgré la grande chaleur, l'humi-
dité p1,oduite par la rosée était ~ncore tres-
for·t e à l'ombre des -h_uissons touffus , je gagnai
une prairie découverte et. plus seche' parsemée
de touffes de différens arbustes, surtout de lan-
tana él d' asclepias c.urassavica aux · fl~urs
orangées. Une multitude de ~olibris voltigeaieht .
à l'entour, en suçant cqmme les aheilles les
fleurs de ces végét~ux. En revenant, ·j'ahattis
plusieurs de ces jolis oiseaux, par ex.emple l'oi-
seau -, mouch~ à gorge bleue et au bec d'un ronge
de corail ( trochilus saphirinus ) , qui est tres-
commun dans cet enqroit; · j'obser:vai aussi le

(1) Oldendorp. Histoire de la mission des freres évan-


géliques au:r: íles Carai"hes. - :Barby, 1777, ~ vol. in-8" '
'{ en allemaud), ~om • I,, pag·. p3.
VOYÀGE
' char1nant oiseau- mou~he hupecol , avec , sou
aigrette d'un rouge de rouille ( tra,chilus or;,a-
tus ). Nous ne vimes de quadrupede nouv{(au,
dans cette ch1;1sse, qu'un petit tapiti ( lepus bre..
silianus), qui fut tué par Francisco, jeune In-
dien coropo attaché à M. Freyress. Cette espec?
de lievre est répandue dans toute l' Amérique
1i1éridionale ; elle ressemble à nos lapins sau-
vages: sa chair est de bon goüt. Ce Francisco
était notre plus habile chasseur , il tirait avec .
une adresse égale Ie ·rusil et l'arc; il possédait
de plus pne dextérité merveilleuse pour péné-
trer dans Ies buissons les plus épineux et 1es
plus impraticables. :on le récompensait en ·lui
don:6ant le c?rps des oiseaux dépouillés ; il les
faisait rôtir à tune petite broche de bois , et les
mangeait de bon appétit.
En quittant les bords du Guajintibo , nous
sommes entrés dans une forêt épaisse' entr~-
1nêlée de touffes de rhexia hauts de dix à douze
pieds, de tres-grands arbres et de savanes : ce
cantou bas était entouré de tous côtés de mon-
tagnes bleuâtres, couvertes de forêts antiques
et de cocotiers. On voyait voler et sautiller ~ans
ces p<1turages , ·au milieu des bestiaux , des
troupes d' anis ( crotophaga ani), et des ben-
AU ~RÉSIL. 63 •
t.av,i ( lanius pitangua ) , qui doiventJeur norn
à. ce mot, qu'ils répetent sans cesse, ainsi que
celui de tictivi. Dans Íe voisinage .d'une fa.z en-
<
da ( 1), M. Sellow trouva une nou~C)lle espece
de balisierà :fleursjaunes. Unpeu .p1usloin, nous
sommes arrivés à un endroit environné de col-
li~es
1
boisées, et couvert de touffes
-
d'arbrisseaux
qui ombrageaient des mares limpides ~ une
foule d'oiseaux animaient cet endroit. Le mo-
teux, au plumage d'un roux clair et à la c1ueue
pointue (2), construisait son nid au n,1 ilieu eles
roseaux. Plus !oin, nous f-l1mes ravis de ·l'as-
pect d'une antique forêt. Des mimoses, des cou-
lequins ( cecropia), des cocos, et d'autres ar•
bres à la tige blanche et s;velte, qui s' élançaient
vers le ciel, éiaie.O:t entrelacés d'une si grande
quantité de lianes, que l'ensemble semblait for.,;;
mer un tissu impénétrable. Autour de la cirne
sombre des grands arbres brillaient de l'éclat
de la flamme les touffes de :fleurs,du Bignonia
bellas, plante grimpante, nom.mée ainsi par
M. Sellow en honneur de la marquise de Bel-

(1) Les P ,o rtugais nomment a.insi uu ~ien rural entouré


de bâtimens d'exploitation .et de ·plautations.
(2) L'i,n ondé. Azara, Voyages, tom. III, pag. 46lil ..
..
VOYAGE
las, qui a décou_v erl;\ ce· beau végétal ; cil'auti.:._es
1

fleurs non mpius .bdles accompagnaient cell~-là;


aµ-dessous voltigeaient urie multitude de c.o li-
bris et de papi11ons. Cette forêt n' offraic cepen-
dant qu'une faible image des antiques solitud~s
que j'aie vues plus tard dans la Serra-de-Inua.
Nous avons rencontré · des espace~ ou l'on
avait brúlé les arhres ·pour cultiver le terrain,
· ou, comme 011 dit ici, pour établir un ·roçado
ou un roça. Lés troncs in~menses, à demi-bnl.~
. lés, . étaient debouts com.me· les colonnes d'un _
portiqü.e, et encore ·entremêlés de cordons des-
séchés de plantes grimpantes. Tout à coup ·nos
oreilles fürent frappées du bruit insupportable
que font, en roulant, -les charrettes dont on se
sert dans les fazendas. L'industrie est encore si
arriérée dans ce pays~ que ces voitures n'ont pas
de rques . comme celles d'Europe : Jes roues
consistent en deux lourds et massifs d~sques de
ho~s, percés de derix petites ouvertures par les-'
quelles passe l'essieu ; , Le frottement violent
qu'elles produisent. en tournant autour de cet
axe occasionne un hruit extrêmement désa-
gréa.ble, et qui s'entend·au loin. -On serait tenté
de croire que cette singuliere .musique est de-
venue pour Jes plarnt.e urs une espece.de he~Qin,
AU BRÉSIL. 65.
tant la force de l'habitude est gr'.inde. En Por-
tugal même, c~tte voiture détestable est enco_re
.f:!ll tisage. Les ho:rufs qui tra1naient les charrettes
dont nqus avions ente1idl! l'approche, . étaient
de stature ·c olossale et d'une tres-belle rp.ce : ils-
ont les corncs ires-longues et tres-fortes. Un
negre' un long bât.on ~ la main' l~s conduisait.
Nous approçhions de la chaine de mont~gnes
nommée la .Serra - de - Inua. Cette solitude
surpassa toutes les idées que mon imagination
s'était faites des scenes- de la nature les . plus
grandes, les plus ravissantes. Nous sommes en-
trés dans Ull terr.ain bas OU J' eau coulait en
abondance sur un sol rocailleux, .ou bien for-
mait des mares tranquilles ~ Un peu plus loin
s'élevait une forêt :d'une beauté· sans pa~eille.
Les palmiers . et tous les niagnifiques végétaux
arbores~en~ d _ e ce beaµ pays étaient si entre-
lacés de plantes griinpante-?, que l' on ne pou-
vait pénétrer- à travers l'épaisseur de ce_mur de
verdure. Partout, même ~ur les,tiges les plús min-
ces, croissent une quantité de plantes grasses:
/ de~ vanilles, des cactus, des. bromelias, etc., la
ph1part ornés de fleurs ,si rernarquables , que
quiconque les voit pour la premiere foisne peut
reyenir de son enchantement. Je me contenterai
J. 5

..
66 VOYAGE ·
de citer une espece de bromelia dont' le calice ·
1

est d'un rouge de corail, avec la poin~e des fo-


lioles d'un beau b'l'eu violet, etl'héliconia, plante
musacée qui ressemble à la strelitzia, avec des
spathes d'un rouge foncé et des fleurs b~anches.
Sous ces ombrages épais ·, pres de ces sources
fraic·h es,, le voyageur échauffé ressent un froid
subit. Cette température piquante nous plaisait
à Dous ·autres habitans dli ~ord; elle aj out'ait au
ravissement daDs lequel Dous plongeait la subli-
diiié des ta bleaux que Dous préseDtait sans cesse
Ja nature dans ce désert affreux. A tout instant
chacun de nous trouvait quelque chose de ,
nouveau qui fixait son a ltention; . il l' aDnonçait
par des cris de joie à ses compagnons. Les
rochers mêmes sont ici couverts de plantes gras-
ses et de cryptogames, ·dont les formes. varient
à l'infini. On ·voit .entre autres de magnifiques
fougeres, qui, semblables à des guírlandes de
plumes, sont suspendues aux arbres de la ma-
niere la plus pittoresque. Un champignon d'un
rouge foncé orne les troncs desséchés; un li- ·
· chen d'un rouge de carn1ir;i. couvre de ses helles ·
taches rondes l'écorce des arbres vigoureux {1).

(1) l\1. I\lawe a apporté ce beau lichen en Angleterre, ol\


AU BRÉSIL.
Les arbres des forêts gigantesques du Brésil sónt .
si hauts, que nos fusils ne portaient pas jusqu'à
. leurs cimes ; · a,ussi nous arriva-t-il plus d ' une
fois de tirer sur de tres - beatlX oiseaux que
nous ne pumes pas ramasser. En revanche nous
pouvions cueillir de superbes fleµrs de plantes
grasses; mais , par malheur, il fallait bientôt
les jeter, parce qu'elles se flétrissent aisément
et ne se conservent pas du tout clans Ies her-
biers. Quelle ample récolte mi Redouté eut
faite ici pour enrichir un m agnifique recuei!
de plantes rares ! L'abondapce et la force de
la végétation de l' Amérique rnéridionale est
une conséquence de la grande humidité répan-
due partout daus ces forêts. L' Amérique a sous
ce rapport un .avantage immense sur les autres
régio1is équatoriales. M. de Humbold en a déjà
fait la remarque_: « Le peu de largeu11 de ce
)) continent, .découpé de mille manieres, dit ce
l) savant voyageur, sa prol~n gation vers 1es

)) pôles glacés ; l'Océau, d,ont la surface -e st ba-


)) Jayée pé;lr 1es vents a lº'
J ises, lap
' l at1ssement
'' de

l'on a déjà fait des expédences pour tirer parti d e sa sub-


stance colorante. Voya,g-e de Mawe , pag. 271 , tom. II,
pag. 132.
VOYAGE
)) la côte orientale, des cour.ans d'eau tres-froide
)) qui se portent depuis le détroit de Magellan
)) j usqu?au Pérou , de nombreuses cha1nes de
)» moiltagnes remplie~ de sources , et dont le!i
)) sommets, couverts de neige, s' élevent bien
)> au.:.dessus de la région des nuages'. ; l'abon-

)) dance d.es fleuves itnmenses, qui, apres des


)) détours multipliés , vont toujours chercher
)) les cÓtes les plus lointaines; ~es déserts non
» sablonneux , et par conséquent moins suscep-
)) tiblcs de s'imprégner . de chaleur; des for~ts
>) impénétrables qui couvrent les _plairies de
>> l' équateur remplies de ri vieres , et qui, dans
)) les parties du pays les plus éloignées de
» l'Océan et ·des !11ontagnes , donnent · nais-
» sance à des masses énormes d'eau qu'elles ·ont
)) aspirées, ou qui se formenf par l'acte de la
~> végétation : toutes ces cau.ses produisent ,
>> dans les parties basses de l'Amérique, un
» climat qui contraste singulierement par sa
r '

)) fra1cheur et son humidité avec celui de


)) l'A~rique. C'est à elles seules qu'il faut attri_.:
)) buer. cette végétation si forte, si abondante,
l> si riche en sues , et ce feuillage si épais , qui

\
AU BRÉSIL. 69
)) forrpent les · caracteres particuliers du nou-
» ·veau continent (1). )) - ,
Quand nous eumes atteint les hauteurs de Ia
Serra-de-lnua, nous aperçumes des perroquets
voler par couples au-dessus de la forêt, en pous-
sant de grands cris : e' é.tait _le. perroquet à front
rouge, nommé caniutanga: dans ce cantou , et
chaua dans d'autres, à cause de son cri ( 2 ). Dans
la suite il a souvent servi à nos repas. Nous
sommes ensuite arrivés dans un pays agréable
- 0 _,
et uni, et nous avons passé la nuit à la Fazenda-
de..'...lnuá. Le propriétaire était un capitaine qui
ne fut pas peu surpris de notre visite. II élevait '
dans s:_i ferroe beaucoup de bétaií et de volaille.
Ses breufs . étaient d' une beauté et d'uqe gros-
seur étonnantes, et ses cochons tres ·gras; on
en Çt ic'i une race petite , noire, à dos abaissé , à
boutoir allongé , à oreilles pendantes. La basse-

(1) Alexancler von Humboldt; Ansichten der Natar,


pag. 14, .Tableau.'Tl de la Nature, traduits de l'allemand
par J. 13. B. Eyries. - Paris, 1808, 2 vol. in-12 (tom. I,
' page !li!).
· (2) Perroquet du fre"'ne, de le Vaillant.
?º VOYAGE
cour renfermait encore des poules , des din-
dons, des pintades, dont quelques-unes à plu-
mes blánches, des oies' d'Europe, des ,canards
musques , qui quelquefois s'çuvolent, puis
reviennent. On sait que cette espece est indi-
g~ne du Brésil.
La Serra-de-lnuà est ~1n bras d.e la grande
chaine de montagnes qui courent parallelem'e nt
à la côt.e; il s'en détache pour se .dirigcr vers la
.mer. Ce chain01:i est couver.t de forêts antiques
oi.1 croissent différens aTbres utiles, et oú le
chasseur trouve un riche butin. Nous avons
passé un jour dans cet endroit, uniquement à
chasser. Nous eumes une quantité de jolis oi-
seaux , mais M. Freyreisset tira inutilcment sur le
rnarikina (simia rosalid,L.),petit singe à pelage
roux doré. On l'appelle ici sahui rouge ( sahui
vermelho). II vit dans les forêts les plus épaisses,
·e tne se trouve que çlans le voisinage de Rio-de-
Ja:neiro et du cap Frio; du moins je ne J.'ai pas
rencontré i>lus au. nord. Le's perroquets sont r
extrêmement nombr~ux dans ces n1ontagnes
boisees, surtout quelques especes à queue lon-
gue et cunéiforme, que 1' ón appe1Ie ici mara-
cana, et qui comprennent entre autres lapsit-
tanus macavuanna , et le P. guianensis ;,º ils

)
AU J3RÉS1L.
fondent par troupes, sur les ch<)mÍ>s de ma'is _
voisins des bois.
En quitt;mt lnua nous 1sommes entrés dans ,, -
une forêt d'arbres gigante.sques entortillés de
liancs, oi.1 des objets que nous ·n\wions pas en-
core vus se sont présentés à nos regards. Nous
avons .d'abord aperçu à' terJ·e la grande arai-
gnée yelue, aranha oaranguojeira ( araneçi
_avicularia, L,.), dont Ia morsure occasionn-e ,
dit.,.on , une enflure douloureuse. Ainsi -que
M. Langsdorfl'a dit, elle vit priucipalement dans
la terre. ·Indépendamment de , ce singulier in-
• I

secte, je trouvai ;une qna.Qtité de gros ét larges


crapauds; ils n'étaient cependant - p~s si nom-
breu)r. que da,n sla Serra, dont nous so~·tions, et
o\~, aux · approcbes de Ia soirée, la terre était
âbsolument couverte de ce.s hideux reptiles ,
parmi lesquels j'ohsevvai une espece quí proba-
blement n'a . pas encore ,élé dé.c rite. , le bufo
himaculatus , · reconnaissable à de~x grandc;!s
plaques de c,ouleur foncée sur le dos. Du haut
.des' troncs des mimosas ·pendaieot des tiges de
tillandsia d'une lõngueur prodigieuse. A la
clarté du soleil on distinguait, à la pointe d'une
pLmte desséchée, le procnias nudicollis, oiseau
d'nne blancheur de lait ; et connu par sa voi~

,.
72 VOYAGE
retentissanl e , q1ii ressemble parfaitement · an
bruit d'un marteau sur une enchune, ou áu son
d'une cloche félée. Cet oiseau, qui appartient
au genre nommé procnias par Illiger, porte
tóut Ie long de la côte- orienlale le nom d' ara-
ponga; il resseml: Ie beaqcoup par son plumage
au cotinga ·guirapanga ( a1npelis carunçula-
t:a, L. ) , mais il en differe par des caoocteres ·
essentiels ; sa górge nue et verte--, Ie manque de
· caroncule charnue sur le front, l'en distinguent
suffisanuüent.
:(_,a forêt om.bragée _d ans l~quelle nous voya-
giçms était e:xtrêmement agréa:ble à parcourir ; ·
des troupes· de p~rroquets volaie:n't de côté 'et
d'autre en criant; on remarquait parmi -les plus
uombreux la jolie petite perruche à queu.e cunéi-
forme, que l'on nonune ici tíriba. Je tuai un
écureuil ( sciurus · ce~tuans ) , le seul de· cette ·
espece· que j'aie rencontré dans mon voyage : il
se distingue par son pelage mêlé de gris bru-
11âtre et de jaune. Des trains de bêtes de somme
pass_erent pres de nous; Ieurs conducteurs n'é.:..
taient pas peu surpris eles coups de fusil qu'ils ,
entenda"ient tirer de chaque côté de la r:oute,
par 1i os chasseurs répandus · dans toutes Ies di-
rections.
AU BRÊSIL.
· A.pres avoir traversé des plá1ttations, des fo-
rêts brülées 1, des plaines rriarécageuses, et des'
prairies entóúrées de montagnes ·rocailleuses ,
eouvertes de bois et tres-pittoresques, 'nous
sommes arrivés dans des prairies oii. les aigrettes-
blanches, le vanneau d'Amérique ( vanellus
cayennensis), les jacanas, nommés ici piasocca,
et les pluviers, se promenaient pa17troupes. Les
bestiaux paissaient dans ces pâturages, le loriot
violet (oriolzts violaceus) courait de tous côtés.
·Nos ·mulets de selle étaient déjà: .si b_ien dressés, -
que je pus tirer sur ces oiseaux sans descendre.
' Je tuai plusieurs loriots .d'un coup. L'ani ( cro-
_tophaga ani, L. )n'était pas moiús e0mmun que
ce loriot brillant, dans les haies d'es fazendas
et dans les ,prairies, à peu pres comme les étour.:.
n~aux, dan~ plusieurs pays d'Europe; ils étaient"
en =outre si peu farouches, que j"e pouvais m.'éri.
approcher de tres-pres sur ma rnonture.
Le soir, nous sommes entrés dans le village
de Marica, sur le lac dú. même nom. Cette pa.. '. .
roisse, ( Freguesia) renferme à peu pres hpit
cents :imes. Les habitans d'une maison un peti
écartée, à_laquelle nous fintes halte, ·ferm,erent
soignel)sement · leur porte. Tous les vo1sms ·se
i·assemblerent aussitôt ·. pour nous i•egarder ;

...
.i
VOYAGE
mais à pein e eumes-nou,s commencé à dépouil-
ler et à préparer les animaux que nous avions
tu és dans la journée ·' que jeunes et vieux .se
mirent à secouer fa tête et à rire tout haut de ·
la -folie des, étrangers. Nos fu~'i!ls à .deux coups,
o!)j_e ts absolument nopveaux pour eux, -les in-
téressaicnt beaucoup plns que nos personnes.-Le
Iac ~ariea , s-ur les hords duquel nous nous
.som1nes arretes un 1our pour connaitre ses en-
• º /\ ' • . A

. vi1:ons sahlo:imeux, a six. heures de marche de


cir~ui.t; ses rives sont basses et marécageuses.; il 1
est tres-pois.sonneux, On y prit en ma. présence
une grande quantité de silures ·d'une p~tite es-
pece: ce .g enre paralt être riche en especes dans
les eam~ intérieures de la côte orientale du Bré-
sil. Je trouvai, sur les bords de c·e lac, quefques
moules qui étaient toutes d'une espece tres-
con~ue, et ·dans les marais voisins, une bé-
casse dont je parlerai plus amplement ailleurs.
On rvoyait sur ' les bords du ~ac une mouette
qui ressemhfait beaucoup à la mouette rieuse:
elle avait la tête d'un gris cendré ~- le bec et les
piedp roug~s; u1~e belle espece d'hirondelle de
rner; un pluvier, etc; Les ouroubous_pfonaient
en l'air au-dessus des buissons et d es ma·r ais. Je
e
.,tuai pdur la premiere fois un acabiray vultur
.,

..
AU URÉSIL.
·•
aura, L.), q~e, jusqu'à présent, Azara seul
a di.stingué ~vec exactitude ( I ). Au premier
coup d'ceil, il ressemble beaucoup à l'ouroubou
à tête grise, mais en l'observant av:ec atteption, (

même lorsqu'il vole tres-háut ·' o~ s'aperçoit


qu)il en differe. Ces vautours sont un bienfj).it
de la natul·e dans fos pays chàuds, car ils net-
toient la terre de tolis les débris d'animaux qui
rempli:raient l'a~mosphere d'émanations fétides.
Leur odorat est si .fin !J que dans un champ ou
l'on n'en apereevait aucun, pas même dans le
lointain, on 1es voit arriver en ilroupes aüssitôt
qu'.un animal est rn.ort; ·e' est pourquoi on :ne
]eur fait jamais la chasse, et ils sont ég;;tlement
nom.breux dans les cantons ouverts e~ dans ]es
;forêts.
Les terres voisines du Jac étani marécageuses
et sablonneuses, ne paraissent pas tres-fertiles.

(1) Les nieilleures figures de. ces deux vautours, quoi-


qu'elles offr~nt quelques inexactiludes, se trouvent dans
l' Histoire nuturelle des Oiseaux de l' A mérique .septen-
trionale , par Vieillol. ( Tom. 1 , pi. 2 -et 2 bis). Celle-ci
est la plus <;orrecle, quoique Ia couleur de la tête ne soit pas
fidelement rendue. Le vultur uruba de l'auleui: 'n'a pas, dn
moins au Brésil, la tête et le cou i'ouges : ces deúx parties
sont gris cendré.
r
VOYAGE
Tous les endroits secs sonf des pelouses dont
l'~erhe est courte et oi.1 le bétail pâture, ou hien
des montagnes convertes de forêts et de ro-
chers. II m'a sembJé _que, dans ce lieu, l'on -,,
élevait béaucoup de chevaux, mais ils sont mau-
vais, et en général de' peu de -valeur.· Nous
avons aüssi vu des chevrf:'._s : il y ·· en avait dans
le -village de Marica, qui avaient le poil tres-
co'il.I't , .brillant , .d'un rouge do ré, et mélangé
de taches noires. A peu de distance du lac, on
arrive' par une route sablonneuse et à travers
des buissons, à. Villa-de-Santa-Maria-de-Ma-
ricà, chef-liet.1 de la Freguesia. C'est m~e petite
ville qui consiste en maisons ~ un seul étage:,
bâties\ le Jong de rues régulieres, mais :rion pa-
vées. Les fenêtres. ne sont fermées , comme(
dans tout le Brésil:, que par des volets de bois.
Dans . le voisinage de cette petite ville on voit
des plantations de manioc , · de haricots et de
n:ia'is, quelques cafeyers, et beaucoup de cannes
~ sucre qui s'élevent tres-haut dans les ter-
rains fertiles, m,ais qui, dans les tefres sablon-
neuses, ne s'élevent pas à plus··de six palmes.
De jolis buissons' qui changeaient à chaq.u e
instant je! aient de la variété sur notre r.oute ;.
les bign0nias avec leurs belles fleurs s'enlor~
AU BRÉSIL.
tillaient ayitour ·d es bois; des frnits d'une. forme
. singuliere frappaient nos rega_rds. Le h_otaniste
remarque dans ces- contrées que les plantes de
la famille des légurnineuses sont les plus nom-
hreuses au Brésil. Malgré la quantité de fazendas
qui se trouvent dans cette partie, le pàys est
pourtant désert; il forme une vallée large, ren-
fer~ée entre des montagnes haut.es et pitto-
resques , êt qui est parsemée de monticules
sur lesquels croissen t de tres-beaux arbres en-
tourés de buissons; on observe sur les branches
de ieurs .cimes d~ grosse!i masses d'un brun
noirâtre : ce sÓnt les nids d'un petit ter:mlte
jaune :qommé cupi. ou cupim. Les fourmis ·et
. les auttes insectes semblabl.es. ·sont extrême-
ment nuisibles aux plantations. du Brésil. Ces
animaux ~ généralement tres-voraces, se t~ou, '
vent partout en si grand nombre, et offrent
tant d'especes diverses, qu'ils fourniraient seuls
·à un entomologiste une matiere suffisante p~ur
un ouvrage considérable . . Ils different de gran-
deur: une des especes les plus grosses a presque
un pouce de longueur , et le corp~ .d'une
épaisseur disproportionnée ; · on . ]a mange gr.il-
. lée d~ns plusieurs provinces, par e~emple ;dans
gelle de Minas-Geraes; o"!-1 Qn la nomme Tatta·
VOYAGE
Tous les endroits secs sont des pelou.ses dont
l'~erbe est courte et ou le bétail pâture, ou hien
des montagnes couvertcs de forêts et de ro-
chers. II rn'a semblé que, dans ce lieu , l'on -;
élevait béaucoup de chevaux, mais ils sont mau-
vais, et en général de' peu de -valeur. Nous
avons m.i.ssi vu des chevres : il y en avait dans
le village de Marica , qui avaient le poil tres-
cO-urt ; brillant , d'un rouge do ré, et mélangé
de taches noires. A peu de distance du lac, on
arrive; par une route sablonneuse et à travers
des baissons, à Villa-de~Santa-Maria-de-Ma­
rica-, chef-lieu de la Freguesia. C'est u~e petite
ville qui consiste en maisons à un seul étage-,
bâties le Jong de rues régulieres, mais n"on pa-
vées. Les fenêtres ne sont fermées , cornme
' (
dans tout le Brésil, que par des volets de bois.
Dans le voisinage de cette petite ville on voit
des plantations de manioc ,. de haricots et de
H;ia1s, quelques cafeyers, et beaucoup de cannes
à. sucre qui s'élevent tres- haui dans les ter-
rains fertiles, m,ais qui, dans Ies terres sablon-
neuses, ne s'élevent pas à plus de six pal~es.
De jolis buissons qui changeaient à chaq_u e
instant je!aient de la variété sur notre route ;.
les bign0nias avec leurs belles fleurs s'enlor~
.AU BRÉSIL.
tillaient ayitour des bois; des fruits d'une forme
. singuliere frappaient nos rega_rds. Le b_otaniste
remarque dans ces contrées que les plantes de
la famille d es légumineuses sont les plus nom-
hreuses au Brésil. Malgré la quantité de fazendas
qui se trouvent dans cette partie, le pays est
pourtant désert; il forme une vallée large, ren-
ferIT?-ée entre des montagnes hautes et pitto-
resques , et qui est parsern~e de monticules
sur lesquels croissen t de tres-beaux arbres en-
tourés de buissons ;· on observe sur Ies branches
de Íeurs .cimes d~ grosse!> ma~ses d 'un brun
noir:1tre : ce sont les nids d'un petit lei:mlte
jaune :Q.Ommé cupi. ou cupim. Les fourmis et
les autt es insectes semblables 'Sont extrê me-
ment nuisibJes aux plantations du Brésil. Ces
animaux ; généralement tres-voraces, se trou.
vent partout en si grand nombre, et offrent
tant d'€speGes <liverses, qu'ils fourniraient seuls
·à un entomologiste une mati~re suffisante p~:mr
un ouvrage considérable . . Ils different de gran-
deur : un"e des especes les plus grosses a presque
un pouce de longueur , et le corp1> d'une
épaisseur disproportionnée ; · on ·.la mange g1:il-
. lée dans plusieurs provinces, par exemple ; dans
Qelle de Minas-Geraes ; oi1 on la .nomme Ta"Q,a·
VOYAGE
chara. Une autre espece tres-petite et de cou-
leur rouge est extrêrnenient incomn10de et
nialfaisante. Ces fourmis font aussi beaucoup de
tort aux collections d'histoire naturelle ; elles
- nous dévorerent en peu de temps une quantité
d'inséctes_, surtout de papillons. Souvent elles
pénetrent ~n troupes nqmbreuses dans les mai-
sons, . oi.1 elles dévastent rapidel'.nent 1toutes les
provisions, notamment les choses sucrées. L'on
\ n'a d'aut.r e 'm oyen deles en écarter, qµe d'iso-
ler les pieds de la table qui les portent en les
plaçant dans des vases pleins d' eau , ou de les
enduire de goudron; mais ces insectes surmon-
tent fréquemment ce genre d'obstacles. Quel-
ques especes construisent'en terre, surdes parois
d' une chambre, de longues galeries couvertes
avec de nombreux embranche1nens qui leur'
servent à monter et à descendre. Dans Jes che-
mins au milieu des forêts, on ape_rçoit de6 trou-
pes de grosses ' fourmis qui porte~t à le'l~rs
retraites des morceaux de•feuilles vertes.
Une forêt dans Jaquelle nou~ entràmes nous
offrit de nouveau des scenes intéres'santes. Le
toucan ( ramphastos dicolorus, .f,t.), au bec co-
lossal et à la gorge de cou]eur orange, qui forme
un .si beau contraste avec son plumage . noir:,
AU BRÉSIL. 79
excita pour la premiere fois l'impatience de nos
chasseurs; mais leurs coups ne furent pas heh-
reux, 'car ces oiseaux se tenaient si haut sur Ia
cime des arbres, qu'il fut impossihle de les at-
teindre. Bientôt nous marchâmes sur un fond '
de tourbe noir~tre, puis· de nouveau sur de
l'argíle rouge. La forêt <levenoit de plus en p1us
belle et majestueuse; elle formoit une solitude
somlJre , d ' une verd ure 1101ratre
. .. ,
, .composee
d'arhres superbes, tous v.igoureux, et offrant
des feuilles des contours les plus vari~s. L'Euro-
péen qui atrive des régions ·septentrionales n'a.
aucune idée de ces forêts; leur aspect le frappe
d'étonnement. 11 est impossible d'en donner une
déscriptio.n qui réponde aux impressions que
leur vue produit. · Le cocotier nommé ai"ri assú
dans la Lingoa geral et brejeuba dans la pro-
vince' de Minas, est comroun dans cette forêt; il
croit à la hauteur de trente pieds; les sauvages en
font des ares. Son tronc est hrun foncé, et cou-
vert, de longs piquans tres-setrés, qui sont dis-
posés en anneat:ix horizontaux. Ses fouilles sont
longues et élégamment pinnées, comme da.ns
toutes les especes de cocotiers. Du.point oú elles
sortent nait le pedoncule pendant , qui. porte
des fl~tu~ jaunâtr.es; . a-uxquelles suc€edent d es
80 VOYAGE ,
noix d'un br_un noirâtre et luisant, tres-dl!lres ,;
·et de la grosseur d'un reuf de pigeon. On trouve
aussi dans toutes ces forêts l'airi mirim ( 1),
autre palmier épineux quine s'éleve jamais bien
haut. Ces deux especes ne sont pas encore ci-
tées dans les systemes de bota nique; cependant
~rruda en parle (2.). Autour de tous les troncs
d'arhres .s'entortillent des plantes grimpantes à
tige ligneuse ou tendre, telles que des ,cactus, ,
des agavés, des épidendrums, qui parent de leurs
fleQrs, diversement et richement colorées, les
rameaux . entrelacés. Partout oi.1 un , t ronc offre
un trou 9u une fente, on en voit . sortir . de
grosses· tou:ffes d'arum., de caladium, de dra-
contium. et d'autres plantes semblables, à g1:andes
feuilles succulentes, cor~iformes ou sagittées et
d'un vert foncé, de sorte qu'il semble que plu-
sieurs plantes cn>issent les unes au-dessus de~
autres, ou les unes à travers ·les autres. Parmi
celles que je viens de citer on-distinguaÚ le plus .
fréqÚemment le dracontium_pertusum , avec ses
feuilles percées de la maniere, la plus singuliere,

. ( 1). Dans ce mot portugais et dans ·une infinité d'autres,


l'm finale ne se fait pas sentir.
(11) Voyez l'appendiCe au Voyage de Ko_s ter .
. '

/
AU BRÉSlL.
un maranta à belles fleurs bleues attira aussl'
l'atten,t ion de nos ·botanistes. ·
Notrn jeune Indien Francisco nous donna -
aujour~'hui une scene singuliere. Quelqu'un de
Ia. compagnie crut voir un oiseau perché sur un
grand .arbre desséché et tira dessus :_ alors il ·.
s'ap~rçut , g~e ce qu'il avait pris pour- .un oiseau .
n'é.tait q11'u~e; ~xc~oíssance de -la hra~1che. Fran- .
cisco, doué '. ço~me tous ses c~mpatriotes d'une
vue l?.er9a~te, . avait ~u p~·ern~er coup d'reil re-
connu la z:i1ép~i~e ~ ~~:iais.il ;atte11;dit trar;iquiU~rnen-t
que l'auti:-e .eut ti~~· son ~oup de fl!sil, et alors il
partit. d'~n : .é«?lat ~le<!'ire ~i im:modéré, qu'il
resta un ce~ta~p teq1ps sans pouvo~r se~i'erpettre.
Les sens _des In.d iens sont si perfec~ionnés par
l'exetcice; . qu~ ~ne b,évu,e sembJ.a ble à celle . q~i ,
vena_i.t .d~avoir l~eu ~em: parait ex.trêm~m_en~ ri..::,
dicul~ ~t .P~~o.y:ibI.~. Francisco ~o~s .d ivertissait
souvent; il av;:iit de la douceu~ et de la fidélité,
mais ~u?s} ~~a~cou. f _çl'ttinom·, ; pro,.rre f!!.tc1 ·e . va-
nité; il f prétendait tou1·.otus ' Jl.voir
j 't , I' t <f':f
!~ )
tué le't, plus
I J 1 j

gran,d n~.n~~re .d~oi_seaux; c;t· les. pl;us be~?x . . On


ne pouvait pas le guérir ~e ·?,ertain~es singµIa~ités
propres. aux~ lndiens. n n'allait jap:iais à la chasse ; .·
1
à jeun co_mn?,e: les aut:res; il ·n e p~r.tait pás qu'il
n' eut déj éu.p~,. qúand n1ême ce rep~s se serait,
I. 6
'
• ·voYAGE
fait attendre tres-long-temps, et il aurait su
tres - mauvais gré à son maitre, si celui- ci
avait voulu le forcer à faire comme les autres
cbasseurs.
Nous avions le-dessein , d'arriver aujourd'hui
à Ponta - Negra' mais nous DOUS - égar:1mes
ah' milieu des chemins qui se croisaient dàns
l'épaisseur de la for~t. Cependant ·nous _a ttei-
gnimes. Gurapina, grande· fazenda dont le pro-
priétai~é, M. l'Alferes·da Cunha-Vieira, nous
re'çut de la maniere la plus hospitaliere. Cette
fazenda contient uhe sucrer~e. Koster et plu-
sieuri autres voyageurs· ont éfécrit suflisamment
cette espece d'usine et en: orít dohné des figures;
je me bornerai donc à dire que la canne est placée
entre trois rouleau:X de bois posés verticale11:1ent
et munis de dents qui s'e:rlgí·enE:mt les uries·dans
les :rntres;· elle repadit · dé l'autre côté áplatie
corrinié urre pai'lie ; le jtis expri~né •toh1he .dtm~ .
une auge de bois p'l'a c'ée au-désso~s. Les rôulealix
sémt mis en mouvefuerit' ~h n1oyeh. 'd 'uk long
levier·, par des· brehfs' d'és muléts·' óu de~ che-
vaux. Apres qu:'on a fait ho'ui:llir le jus· darrs des
chaudieres, qu'il est purgé et qu'il s'est crisfal-
lisé' il est mis d'an's des·fornies--s emblahlés à celles
c1ue l'on emploie· dáns lés rafliriérie·s d'Europe,
AU BRÉSjL. 83
le reste des procédés pour le rafiner est trop
connu pour en parler.
M. da Cunha-Vieira nous a as~uré qu'avec
vingt n ~gres il fabrique am1uellement si"* .eents
arobes de sucre., chacune de lrente-deqx 1ivres,
par conséquent cent quatre-vingt-douze quin-
taux. S'il cmployçiit un, plns grap4 ~wmbre d'ou-
vríers , il pourrait préparer ~ieuf cents à mille
quiutaux. On a d'abord cultivé dans· ce ~anton
la camie de Cayer~n~, mais ctqand on ~ connu
celle de Ta!ti, on lui a donné . la préfêrepce,
parce qu'elle est beau,c oup plus propuctive._·
Notre hôte bienv.e illant nous avait fa~t entrer
dans UH grand hangar, 01.1 toute not,re trh upe et
notre bagage ftlreut à couv'ert, ~to.à nou~ pui,_nes . .,
commodément ~llumer plqsieurs feux et fajre
notre cuisine. II nous, renditde fréquent~s yisiies
avec-les ::iutres habitans de-Ia fazeuda -, ~1: - Jle put,
ainsi qu'eux, s'empêcher de nou!:' té.moi_g~i!;!r son
,
etonnememt de uos oQ.cupatiori.
. s re_].ª·H.Y ~$ fl.' l'li~s-
.
tai re nat.uuelle. La -plu~e ay~µt ÇOJ IU1-iegcé à
totnber .avec force, not,u~ ·flrnes. up J,q ng _$éj9)1r
dans ce Iieu,etlorsque le tempss'édair~_it, les\
montagnes hoisées qw ~n v-i.ron)'l_aient .Ja vallée
plantée de .c annes à suc.re, noq~ offrir~nt une
chasse al,>ondante. U:n je,une ,Por\Ugé:!i~ qm . se

. '
V OY AGE
n ommait F rancisco, d e m ême q ue ,n otre jeune ·
l n d ien, se m it à n otre service· comme ch asseur ,
et m ont1~a d es t alens ra res p our ce m éüer. 11
était m i nce et l este , endurci à la fatigúe , ti rait
t r es-b ien, et joignait à c es q ualités un b on ca- .
r actere. d onnaissant le p ays et les an irn.aux q ur
s'y trouv~ient, il n ous fournit . u ne . q uantité
d 'objets ihtér.ess·a ns, e ntre autres u n m arikina
( simia ro~alia· , L . ) q ue nous n'avions p as:en-
c ore p u n ous procur.er . L 'araponga ( p rocnias
n udicolliJ ), d ont j'ai p arl é plus h aut , était
ext rên1en1ent c omnúu1 d ans toutes c es monta- .
gnes b oiÜ es; sa v oix sonore l'annonçait p artout . .
F r an:cisço f ut le prernier q ui tua ce b el ·oiseau
p o u r n d tre collection. L es b ons ch asseur s brési-
liens sÓnt d oués d'un h aut d egré d'ad resse p our
. aller à ·la découverte d ans les grandes fo rêts; .
leur corps endurci et l'hab i.tude d e m arch er
t du jo urs pie d s n us leur r en d cette hesogne
e xtrao rdinai,remen t facile·. L eur vêtement con~
siste en ·une che mis.e: l éger e e t d es p antalons d e
t oile ' de, coton ;·-ils -p o.1h ent souvent su r I' épaule ·
u n e veste de drap , p om; la mettre q uand il·p leut
o u quand la fra1çh eur d e la nuit se fait sentir ;.
· ils se c ouvr ent la tête d'un ch ap eau de feutr~ ou
d e paiUe. L eur poire à p oud re et leur gibecierc
AU BRÉSIL. 35
sont suspendues à une' co~rroie de cui,r ..passée
en b andouliere; la- b atterie d e leur l ong fusil
est o rdinairement p~éservée d e l'huniidité par
u ne p eau d 'ariimal.
L a température d e G urapina était 'tres-va-
n
r iablé. fit si froid ·p endant q uelques j_ours ,
q ue Ie t hermometre, à midi, t omba jusqu'à 13°
de R éaumur : d ans l'intervalle ; Dous e-limes u n
temp5' assez chaud et agréable. J e m 'enfonçais
fr équemment ·d an.s cette solitude montue.u se ,
charmé d u p rofond r epos et d u silence q ui y r é-
gnaient, el q ui n'étaient interrompus q ue pa.r
les cris de q uelques t roupes d e p erroquets : j'y
aurais p assé des journées entiere&. C'é~ait d ans
d es dispositions <l 'esprit semblables q ue Dous
. p assions le temp s dans les environs d e G urapina,
t r.es-dispos et t res-gais , et d'autant plus contens
q ue n ous avions
. .
d es vivres frais en abondance.
Ceux que le voyageur b r ésilien a la p ossibilité
d e p orter avec l ui sont la farine d e m anioc, q ue
souve~t on n omme simplement f arinha ; d es
h aricots noirs ( feijào) , d u m ais (milho) , de
l~ viande salée seche (carne seca ou ·ao ser-
tam) ( 1). A u li eu d e cette viande seche, n ous
(1 ) A P ernambouc, on la nomme carne .de seara. V oyage
de K oster, p ag. 1 25 et i 5o, tom. I , p ag. 2 10. ·

/
86 VOYAGE
nous procunons à la ·fazenda de honne viande
fraiche; en outre, le ·propriétaire nous appro-
visionuait d'une grande 'quantité d 'oranges ex-
·e
cellentes, d'eau-de-vie de sucre agoa ardente
de ca1.z na), de riz, .de sucre, de farinha, de · ·
mais, de coton, ·e t il poussa fo désintéressernent
au point de ·refuser tóute espece ' de paiement
pour lant d'objets. Sr. géuérosité nous obligea
de partir de ·ce Jieu plutôt que nous ne l'avions
projeté, car cc-l canton, indépendarnment de
beàucoup d'autres avantages' nous offraii des
·jouissances aussi nornbreuses qu'agréables, et
une méltiere abondante à notre curíosité. Nous
pdmés donc congé de notre hôte; et nous nous
mimes eP. route pour Ponta-Negra.
. )etaient
L es e l iennns ' . , a' untel
souvent <..:l e1onces
'"
-point' que nos . hêtes de somcne couraient le
risque de s'y enfoncer avec leurs charges. Nóus
~tra,versâm es à cheval des broussailles touffues,
conJposéesde bantes grarninées de la consistance
de~ r oseaüx' de ha1isie1~s; de rhexias et de pal-
m iers nains. Sur quelques hai1teurs nous vi-
mes eles nP,gres qui, pour défricher le terrain ,
arrachaient les petits buissons avec un fer en
forme de faux attaché à une longue pe1·che. En
passant ,Jevant quelque& fazendas, nous admi-
AU BRÉSIL.
râmes les haies épaisses d'orangers 'lui les en-
. .
vironpaient. Nos gibecieres et nos poches bien
remplies d'oiseaux et . ~e pÍus~eurs sortes de
graines mi'ires, nous arrivân:i~s. en~p .à ~a Lagoa-
da-Ponta-Negra. ,Çette h>lie lagune nourrit t
sur
ses iives marécageus~s .P<?!lyertes der J'.Oseaux
des troupes nombreuses 4~ jac:m~s et de hé~ ·
rons hlancs dont ~os chaf!~Çurs . tuerent quel-
qu_e s-uns. Le plum~ge de ces ois~aux conserve
toujours µne _propreté écla,~nte , . même dans
les ~ndroits les plus bo~rbeux, grâce à l~urs
longs pieds. A peu de distance ~ous ,atteigpim~s
une vendá isolée ou les voyageurs O?t cou-
tume, dans .l a grande' chaleur, de. se i:~fi:aichir
avec de la . limonade, 9:i-1 ~. ce qui \:al}t n~,ie,ux. ,
avec du. punch f!·oid. No.u s appdmes_en -~e lieu
qne. la. pouvelle de notre venue .prochai~e _nous
avait ; préc.~dés , et nous flmes . J.a . dés1:tgréable
e~péri~nce _qt;ie .. l'~ôte avait d'a:vance .spéculé
st;tr . notre bo.urs~. Sur une .hauteur , pres de
cette :r;naison, nol.~s fumes st;trpris d,u ~oup d'~.il
magnifique de la _n-Í.er, ~e la ·~agun.e. ~t. d_u~ p~ys
voisin de Rio.- de-Janeiro c1ui s'étei;id:\it der-
ricre DOUS. En avancant
~ ,, ensuite au .' .milieu
':
de
halliers épais, DOUS trouvâmes Uil oiseau IlOU-
veau pour n_o us ·, le gi;a1~d ani ( crotophq,ga

/
88 · VOYAGE
majdr, L. ), qui étaitfort commun. Son plumage
est Doir, à reflets .verdâtres et violet~. Nous en-
tendions le hruit de I.a m~r , et hientôt Dous
grav1mes de.s du.nes d'oú DÜUS· vhnes Ies vagues
hlanchi~santes d'écume hriser contre les mon-
tagnes de la côtc=: couvertes de foréts. Au delà
des monticules de sahle blanc qui -hordeDt Ia
plage ( praya) croissent des buissons touffus
composés de toutes sortes d'arbre-s~que les vents
de mer et les tempê'tes tiennent tres-ba~, et qui,
par cónséquent, ne s'élevent graduellement qu'à
mesure qü.'ils s'éloignent du · rivage.
Dans ces _halliers hauts de viligt à trente pieds,
au milieu · desquels. Dous poursuivions notre
route le long de 1a mer, croissaient de grnnds
cactus: les bromélias, pa.rés souvent de fleurs ma-
gnifiques, y sont tres-Doml~reu~. De petits lé-
zards couraient sur les feuilles seches au-'dessous
des arbres, tandis que le grand ani ei- le tijé
( tanagra · brasília) au plumage rouge de sang ,
animaient ces broussailles. Ce bel oiseau est
tres-commun dãns le Brésil, surtout sur les côtes _
de la mer et sur les hords des rivieres.
Vers Ie soir, nous nous trouvân1es entre la
côte de la mer et un grand marais couvert de
roseaux dans lequel des troupes d'oiseaux se

AU BRÉSIL.
reposçiient. Les tijés y~étaient surtout nomhreux;
1a grive à ventre roux ( turdus rufiventris du
musée de Berlin), que l'o'n n_omme ici sabiah,
se tenait sur le sommet ~es buissons ' et faisaít
entendre sa voix agréahle et flutée. Au ·crépus-
cule, les engoulevens vinrent v~leP autour de
nos chevaux, de mên1e qu'un g~and papillon
couleur bleu d'ardoise ( papilio Idonienaeus,
Fab.), dont nous aurions pu prendre~ plusieurs,
si, dans ce moment, le filet qui nous était né-
cessaire ne nous avait pas manqué. Je trbuvai
une chauve-souris morte suspendue à une bran-
che, elle avait surement expi·ré dans cette po-
sition : elle appartenait au genre phyllostoma , /

et ressemblait heaucoup à la . chauve- souris


premiere óu obscure et .rayée d' Azara .C1); j e
ne l'ai pas retrouvée durant tout le reste de mon
voyage. A yant voulu examiner la 1leur d'un
petit palmier, nous trouvâm.es fixé aux hranches
le nid de ' l'oiseau -mouche à tête bleue ( tro-
chilus pileatus) (2), qui ,ressem~!e heaucoup

(1) Essai sur l' Histoire natüre~le des ·quadrupedes de la


proYince du Paraguay, tom. II, pag 269 .
(2) Longueur : 4 po~1ces 8 ligues (mesure de Frauce) ,
.. VOYAGE
au sqphir-emeraude., de Buffon ( trochilus .bi:_
color ). Ce nid ét:'lit aussi proprement rev.~tu
de mousse que ]e so.nt ceux des chardonnerets
et de-. plusieurs autres petits oisealix éÍ'Europe.
On trouve dans tous les nids d'oiseaux-mouches
deux ceufs blancs ele forme allongée, qui, chez
• quelques .especes ,- soQt , extraord~nairement pe-
tits. A la nuit tombante, nous avanç4mes _ent1:e
quelques l~ gunes al}pres clesquelles brillaie~1t des
insectes .luisaQs; eles grenouilles faisaient en-
,tend~·e Jeur voix·.foibJe. Eofin, ~ pres une longue
journée de marche' nous arrivâmes. à -qn.e ven.da
située sur la lagu:ne de SagQaréma,, oi1 nous
trouvâmes nqs gens . et nos hêtes de somme, quí
étaient. venus plus vite par . un , autre chemin.
Nous n 'atte ndions que le, mo,r.nent de voir pen-
dre la marmite , mais ce ~ieu . é~ajt . e_n tierement
dépourvu de provisioJ.is. ~<?US envoyâ,m es nos
gens en cherch,ei;-; leur absence dura si long-
temps que nous . commen çl;l.mes à "craindre
qu'ils ne ~ e fussent enfuis; il fallut en expédier
d'autres à oheval apres eux_. Ils revinrent tous

corps d ' un ve rt écl a t ant ; le sommet d e l a tête , la queue tron-


q u ée , l es plu1nes de l'aile d ' un bleu foucé, l e dos blauc, l e
bec droit . ;

I
AU BRÉSIL.
ensemble, ne nous rapportant que quelques sacs
de petits poisso'ns frais. Cependant la nuit était
passée, et notre sou per fot réellement un dé-
jeuner.
La Jagune de Sagoaréma communique avec
Ia mer : elle a six legoas de long et trois quarts
de ,legoas de large. Son eau est salée, et quoi-
qu' en certains endroits il s' en exhale une odeur
désàgFéable , elle est tres - poissonneuse. Des
pêcheurs habitent de petites cabanes de terre ·
éparses sur ses bords; chacune a un fossé qui
lui .sert de citerne pour }!eau de pluie. Ces pê-
cheurs , comme tpus les Brésiliens, sont lége-
rement vêtus ; ils portent de gran&~ chapeaux
de paille, de Iarges pantalons , _ et. des chemises
tres-minces, ont le cou ~écouvert, et marchent
pieds nus : tous ont à la ceinture un stilet aigu,
monté en laitou ou en .argent. _L'usage de por-
ter cette arJDe est, au reste, . général chez les
Portugais, usage for~ dangereux_, c:ir il donne
lieu ·à beaucoup .d'assassin~ts, surtout par mi les
hommes grossiers comme le sont les pêcheurs
de-Sagoaréma. Ils tiennent en commun la venda
située sur les bords du lac, et en partagent le
,produit : il est par consé,q uent supedlu d~ re-
marquer ·qu~ ·1es ·voyageurs y sont plus chere-
VOY~GE

ment que partout· ailleurs. A · peu prés à une


lieue d'ici se trouve la paroisse ou fregué-
. sia de Sag0arén~a, grip1d village ou- ph1tôt pe-
tite ville. Com.me nous· étions obligés de tr-a,_
ver.s er -la. lagune avec . notre tropa' nous nous
logeâmes dans une maison vide, et nous em-
·plóyâmes ·]e temps à examiner les environs. · '
Pres de la freguésia s' éleve, le long·du bord
d é la mer , une colline sur Iaquelle· sont sith és
'l'église, le cirnetiere e·t un télégrap~e. Nous gra-
v1mes cette hauteur au ·cqucherdu soleil. Quelle
·perspective grande · et majestueuse ! Devant
nous l'immensitér . de la . mer,
.
dont les ·vagues
venaient se briser colltre le pied de la colline ;
à droite se montraient dans le Íointain les mon-
tagnes .de Rio;'· plus pres de nous la côt_e , dé-
coupée par des bàies innombrables, et plus pr(>_s
-.. - e,1core, Ponta-Négra : derriere ·n o'us de hautes
montagnes boisées ~ devant elles un terrain plris
bas, de même couvert'de bois; et 'la '.Jagune; à
nos pieds. la freguésia de 'Sagoaréma, et à gau-
che la côte baignée par la mer ~ Ce vaste ta-
bleau, éclairé par les derniers rayons du•soleil
couchant, puis enveloppé par le-brouillard du
crépuscule, réveilla dans notre espr.it le, sóuve-
-nir de notre patrie dont nous étions éloignés.

,. .
AU -BI\ÉSID-. 93
Nous gar,dions l_e silenc.e ; .nous sentions yive-
nient à. combien d~ privations un voyageur doit
s'att~ridre lorsque poussé par un désir ir-résis-
til?Je d?augmenter &.e s connais:sances, ihe trouve
seul' dan·s ,un monde étranger. Notre reil s'ef- ~
força va,i_n emen( de percer le voile ~n1.ystéríeux
de. l'avenir , ..i:l n'aperc.evait avec inquiétude que '
les peines qui not1s restaient encore à ·surinon-
ter, ,a \'an t , que ; nous pussions espérer de par-
co~rir. de .ilpuveau l;i plai~e liquide de l'Oc.é an
·PC!~r reto:Urner dan's ;nos foyers: ,La nuit ·mit fin
à,, i:lp~ .réf)e·x ions. .
_ N.~ms .. reviomes à Sagoaréma, qui est princi-
palement peuplé de~pêcheurs; :que1que~-uns ont
au:ss~ . des plàn;ta~iG:rÍs ;,. On. y. récoltait autrefois
beaucoup de. .COC<henille, mais ce.tte.. culture à
ces~é . .Le roi ~ payait la livre 6400 . reis ou un
denii-.dQb.lê. ~ ·51 fr~ncs). -Les planteurs ont eux- .
u~êm~s ... détrtJit c.e tte branche ·avantageuse. de
conm1~r,çe ~i iJ~ .rpêlàie,n:t' .d e fa farinba à la co-
chenillel, et: la falsi~aie.~t tellement, ,q1;1e éette .
marchandise j>e..Fdit · toute sa valeur .··Le le~de- .
main, qui était un dimanche, mes compagnons
de voy~g~ ~~tendirent .la messe à l' église d~
S~goa1~~~a·
J' t... . ..
: . 'c::'ep\:füdailt jé fis traverser la l~gune, ,
\
u ·.' . . . ~

à ,I)otre trop~ .; .Ie .b;ig,a ge fu,t embarqt1é sur de.s .


VOYAGE
pirogues, et les b~tes . de somme passerent ~ gué
l'eau ·peu profonde. En qJ1ittant ce canton ,
rrous entrâmes dans des forêts remplies dcs plus
helles flears. Un des p1-incipaux ornemens de ·
ce pays consiste dans le;lagunes, qui s'étendent ·
depuis JVlari:ca jusqu'au cap Frio. Leurs bords
sont fréquentés par une mu1titude d'oiseaux
aq11atiques, surtout des hirondelles de mer, des
mouettes., des hérons, etc. : en . peu de temps '
"
nous en tuaines , une gran d e quanute.
. ' ·I', or-i.u-
. ·
thologiste remarque. au premier ,c oúp d'reil que
la plupart des oiseaux aquatiques ou <les marais
que l'on rencontre dans ce pays, ont leurs ana-
logues en Europe : ainsi nous vime~ une espece
de mouette, le larus marinus ,~ qui ressemble
beaucoup à }a mouette rieuse , }e sterna ~'flS­
pÍa, le sterna hirundo ; et Úne troisieníe qui
se rapproche infiniment du sterna minutei. Les
diffé~ences entre ces oise~ux , dans 1es .' deux
contin,ens d'Europe et d'A.mérique, ~ npus paru-
rent insigniQantes. La plus petite hir-0nde1le de
m~r .( 1) était tres-commune sur· les dunes du

(1) J'ai nommé cet .oiseau sterna ,arge!flea. On. peut aisé-
ment •le confondre avec' notre síernç, minutà~ mai's il ell
u.ne
di:ffer~: il est plus gros ; çar il a . néuf pouces. ligne de
AB BR.ÉSlL. 95
hord de la mer : eUes voltigeºai~rrt .de. côté et
d'autre comme ies hirondelles de riv~ge, et leur
blanchem· éclatante était rehaussée par le fond
noin1tre du ciel qui p.r ésageait une tempête.
Derriere fos dunes se prolongeafr une· ligne de
marais, et, dans l'íntervalle-; le sol sablonneux
était ·c ouvert de huissoüs toúffu!'> de pàlmiers
nains qui ne s' élevaient pas 'à pfos de troi·s pieds·.
Ce végétal est dép~~urvi1 de tige; il a les feuiUes
pin,n ées·, roulées" tin d'edarf~ ou. courbées ·en de-
hors, ei ses pédoncules, de ~ê·me que ceüx de .
la 1ria·s sette ( typlia) ' sont portés 's•m• une
hampe droit:e , et col.iverts de petits fruits de ]a
grosseur des nóisettes, qui s'ont rangés comme
-les gráin~ du mai'.s, et ónt à' Ieur l:a·c ine une chair
d'un jaune; rougéâtre , douce et bonne à n1ah-
ger. Cette ' plante porte ici le Iiom de cocos de
guriri ou: de p :z"Ssando. · ~
. . . 1
Ayant <lécidé de passer la nuit à la fazei1da
de Pitanga qui se présentaít de·v:úit 'nous juchée
comme un vieux ch:11eau sur ·une m~ntagne, et

'!

long; il a Íe bec ~t les pieds jaunes, la poiri'le du liec est


noire ; le front et .tó11tes lés parlies inférieu:re!! du wrps
sont blancheºs , )e sominet de la tête et )e cou noin' le dos'
les ailes et la queue d'uu beau gris arge1ité :·
,-

6 VOYAGE
eclairée par la lune, nous nous hâtâmes d'y-ªr-
river. 'La porte s'ouvrit à nos co_ups redoub.Iés,
et le feytor ou économe eut la complai~ance d,e .
nous faire entrer dans . un vaste ' P~tim~nt ou
l'on.prépare Ia farine de m~nioc. Ayant trouvé
ce g1te tr~s-commod~ pour nos gens et notre
bagage, nous ..Y restâmes plusieurs jours ptmr
parcourir le pays voi~in. .
( Cette fabrique de farinha était une .des plu~ . /
completes que l' on pÍtt voir . .V oici comme on
. prépare la farinha : onraéle d'abord ~es' racines
du manioc pour les dépouiller · de Ieuri écorc~,
ensuite 01~ les soun:iet à l'action d'une grande ~
/ ro.'9e qui les réduit en_une esp~ce de bouillie ;
on_met e.e:tte pât~ dans une longue et larg1-'! po::--,~
che faite de roseaux ou de morceaux d'écorce
1 • ~ t '

fre~sés, que l'on susp~nd parle, haut à .un pie_u.,


et <JUe l'on . tir~ parle bas: la poche e11; .s'éte11...,
dan(se rétrécit et exprime le ~me qui se .trouve
dar,.s la pâte (1}; puis on porte' celle-êi _dans' de
• • • • • • ~ t f t ~ ' 1

(1)- Gilii. Saggio di storia americana ( tom. II, p. 3o4 ,


pl. 5. ) - .
Mawe, pl. 74( tom. II, p. 12s ~t_i24.) ., r , 1 ,: • ,, 1
. Koster " pl: 569 ( tom. II , pag.. 20 5. ) · , ·
La poche à presser le mauioc pórte cÍans les c_o lonies fran,.
çaises le nom de co_u leupre. - . !. . ' · -.' d 1 - .

j l
AIJ BRÉSlL. 97
grandes chaudier.e~ 9,e c~ivre ~u d'argile cuite ,
enchâssées· dans des D1.(\ssifs de maÇonn.e rie·: la .
chaleP.r lui enleve · son humidité, et pendant.
cette opération on ia remue .constamnient avec.
une Jongue perche garnie à son exttêri.ii!é d'ime
pe.tite planche, afin qu'elle ne brtl.le pas ~ ·C eite
p<ite desséchée est ce que l'dn ~ppelle au J3i;ésil le1
mandioca ( ~j. Nous nous serv~més des chat~­
dieres . à mandioca pour faire sécher nos objets
d'histoire natrirelle quand le temps devirit hu-
~i.de; mais' quoique l'ori passât la nuit à sur-
yeiller l' opération ' qu~lques animaui rares fu-
rent brulés.
. Le temps ét~ii froid, un vent violent soufilait
le long de la, côt~. A mi.d i le thermometre é- s'
levait à 13º. Les environs de Pitanga, remplis de
ni~rais, . de pâturages, çle buissons et de forêts ~.

Labat, ]l{f!uveau µoyage .a u:r:·_íies de°i'Amériq~e ' ·tom. 2 ,


p. 101 , _ édition de 1 7 ~ 2. '
Du Tertre , H istoire gfin.~ rale dés Antilles, tom. II ,
pag. 11 i et pl. p. 419.
Nicolson, E~sai sur l'histoi n: naturelle de Saint-Do-
m ingue, pag. 2ti 9 (E).
(1) Kcister, dit L. C., qne la farin e préparée porte -Ienom
defarinllq, do pao ( fariue de. bois). C' est la càssav.e descolo-·
nies fra·n çaises (E).
I. 7

/
1 -
98 VOY:AGE
nous fqurnireilt plusieurs ani111.aux intéress~ns.
Nos ehasseurs nous a pp~rterent pour la premiere
fois le jacupemba(penelope marail,L.)(1),oiseau
tres-bon à rnanger, et des toucans verts, aracaris
ouarassaris(ramphastosaracari, L.), belpiseau
dont le cri href articule deux . syllahes. Pitanga
· était autrefois _un couvent, .c'es~ ce que l'on re-
connalt facilement à son ég1ise. Sa ·vue est for~
belle et _tres-éte:1,1due. Un télégraphe corres-
pondait- · a..vec .celui de Sagoaréma que nous
apercevions dans le loin.Íain. V ers midi notre
tropa fut ,chargé~. · L'éco'nop1e de la fazenda eut
la complaissaúce de pons nccompagoer à che-
val pour nous montrer le chernin, ce qui nous
fut d'un grand secours; a,vec nos n1ulets indo- .
ciles i10us eussions sans d.o ute perdu une p~rtie
de notre hagage pendant l'obscurité de l~ nuit
qui nous surprit, et dans les mauvais chemins
remplis d'eau' ; car ces animaux ne pouvaient
avancer . avec ieur charge dans les . sentiers
étroits des forêts, se h.e ur,aient contre les arbres,
s'effarouchai_e nt et jetaient' leµr far:de41u, puis
s'enfuyaient. Nous percllmesbeaucoup dé temps

( 1) Y acou , da ns le N ou"1eau dictiollnaire d' histoiÍ'e na/u-


relle.
AU BRÉSIL. 99
à les attraper et à les recharger.- _II fallut mar-
cher avec pi us de prudence et abattre les ar- .
bres qui gênaient notre march.~. Enfia nous
att~ignirnes çles praíries découvef'tes ·, remplies
de grands niarais, de halliers et de larges fla-
ques d'eau que nous fi\mes ,,0bligés de traverser
à gué, circonstance désagréable pour nos pié-
tons, surtout pour les Europé.e us·, qui chassaient
dans les buissÓns , et qui n'étaient pªs accou-
tumés à ces voyages à pied' à travers des .t et- ·
rains noyés. Toutes ces contrariétés fu~ent
cause qtie nous n'arrivâmes qúe . tard d.ans la
nuit à la fazenda de Tiririca , oi.1 nous avions
envoyé 'à l'avance un homme à· chev:1l pour ·de-
mander à.y loger. Le capitaine Mor, proprié-
taire de cette fazenda, nous indiqua d'abord
sori' moulin à sucre pour y passer la nuit; mais ·
qnand· nous )ui eúmes m~ntré notre. p~rtaria
(passepºort du ministre), ~l nolis C()mhla de p.o-
litesses et nqus 'irivita _à entrer dans sa mais~a ;
nous ne · pumes profiter de son honriêteté ;
parce que n0us voulions rester auprés de nos
ge.ns.
Tirica es;t .une·grande 'plantation, située dans
une position · agr:éable . a u. pied d'une coUine
vércloyaii:te , sur laq:ueU~ est placée la ma1son
too vov.AciE
du propriéíair~e , entourée, de vingt cases pour
ses domestiques et ses ~egres. Les champs de
cannes environnent la fazémda; au-delà' l'es
hauteurs •sont couvertes de forêts épaisses;
1

pres' du m<mlin à sucre' une prairi~ remplie


de ma~ais et de tlaques d'eau était animée pau
des oiseaux que l'ori pouvait aisément tuer des _
fenêtres du hâtinient. Le lendemain , apres
a voir déjeun~ avec notre hôté ' nous nous
partageâmes en plusieÜ.rs troupes dans les fo-
rêts. Accorii.pagné de M. Setlow, jé traversai
les-chaillps de ca.nnes' et d'autres petites fazen.-
. das entourées de jolis 'hocages d'orangers, puis
je m' enfoncai dans l'épaisseur des fOrêis qui ,
pei1dant mon séjour au ·Brésil , m'o~t toujours·
procuré les plU:s douces jouissances. Des troncs
de grands arbres morts, placés sur la lisiere de
ces bois épais' ·pbrtaient· encore des traces du
feu que l'ón avait employé pour défricher ce
cantou. La for.ê t étáit' un . désert sou~bre oii
,.., CrO'Í.SSaÍeBt d;;tns toute leur vigaeur des arbres-
gigantesques · ~ des m~mosa, . des jacaranda ·,
des bignonia, des fromagers, le pao Brazil ou
bois de Brésil ( caesafpinia brasiliensis), et
une _infiuité . d'aut~es chárgés . d'une quantité
de cactu~ ' de hromeli~ ; d'epidendrum' de ..
A:U BRÉSIL. •
grenadilles, .d e hauhinia , de ·banisteria et de
semblables plantes parasites ou grimpantes;
cel~es-ci ont leurs racines en , terre, montent
en . se~pentant .autour des .a rhres; et apres ;
~ '
~tre parvenues jusqu'à leurs cimes Ies plus
élevé~s, y .déploient leurs fleurs. On ne peut
les examiner 1 qu'en abattant les arbres; mais
souvent la dureté du bois brise le fer des
meilleures ha~hes. Ces plantes grimpant~s por-.
tées par le vent d':u ü arbre à l'autre, les uni~­
sent quelquefois de la maniere la plus extra-
ordinaire. On distingue entr'autres un bau-
hinia dont les tiges sarmenteuses et ligneuses
croissent. en arc·s qui alternent, et dont la cou~·­
.hüre est si réguliere qu'on les croirait creusés
par l'art; le côté . convexe est armé d' une
épine courte et õbtuse. Cette plante singuliere,
que l'on pourrait prendre aisément pour un
ouvrage des hommes, s'éleve jusqu'au sommet
des ·arbres les plus hauts; · sa feuille est petite
et bilobée; je n'ai pas vU. sa Heur, quoique ce
soit une plante tres-commune;. D'autres especes
de végétaux s~rmenteux se font remarquer pa~
une odeur tres-forte, tantôt suave , · tantôt
désagréable. Le cipo cravo a à peu pres, l'o-
deur du clou de;: girofle; un autre au contraire

/1
r..

102. 'VOYAGE
que Ja Condamine ( 1) a vue à ]a riv1ere des ·
Amaz9nes, sentl'ail. PJusieurs de ces plantes bi-
zarres jetent de longs filà1mens qui pen©.ent jus-
qu'.à terre, oú ils prennent racine et s'élevent
de nonveau, Ínontent et descendent alternati-
vement , , et forment ainsi des réseaüx épais_et
solides qui interceptent le chemin des voya-
geurs; on est obligé de les couper avec la serpe
po~r pouvoir avancér; ces filarnéns . ligneux
qui, lorsque le ventou toute autre cause les
met en inouvement' vienüent frapper la têt~
des voyageurs , sont fort ordirfaires dans toutes
les forêts du Brésil et de la zone torrid-e-. La;
"" végétati~m. est en _général si abonda~te _dans
' "* cette zone, que cha<'p1e grand arbre est ·une
image d'un petit monde , une espece de jardin
botanique reinpli de ·plantes so.u vent difficiles
à ohtenir' et la plupart inconnués.
Nous avous tué dans cette forêt beaucoup de
heaux oiseaux. Le souroucoua ou couroucou à
ventre jaunê ( trogon ;z_1iridis)y était tres-con~mun;
partout on entend retentir sa voix qui est u,1
sifilement répété dept~is lc ton le plus haut jus-
qu'au plus bas; nous apprimes bientôt tt .}'imi-

(1 ) /Toyage Í\ la rivicre des Amazone~, p. 77.


AU BRÉ~IL. 103

te~; et nous pümes ais~ment le piper:. On le


voit s'avancer d'un vol ·rap~de, niais doux, et
se placer su~ une branche peu éloignée, ou on
peut le tirer sans b~aucoup de peine. Les den-
drocalaptés d~lliger, qui en compagnie du
beau .pie jaune rayé de noir (picus.flavescens), ,
du ·pic charpentier à huppe et cou rouges d'A-
zara, et ~u pie ouantou (picus lineatus); frap-
, . pent sans ce·sse de leur bec le .tronc des arbres,
ne so:nt pas moitjs communs, ainsi que le petit
perroquet à queue cunéiforn")e, que l'on nomme
i9i tiribas ( I); nous en ·avons souvent !;ué de
. grandes quantités. Le soir j'obtins le pavô (pie '
à gorge ensanglantée d' Azard), bel oiseau
noir, de la grosseur. d' une corneille, dont la
gorge est du rouge le plus vif.

(1) Le perroquet connu sur la plus grande partie de la


côte orientale, sous le nom de tiriba , me paralt être une
·espece non décrite. Jel'ai uo~mépsittacus cruentatus. Il est
de la grosseur d'une gri ve, sa queue est en forme de coiu
allongé; V a hmt pouces onze ligues de long; le plumage
vert., le so~met et le derriere de Ia tête gris-brun, le dos
et le dessous du bec vert ; l'espace entre l'reil et l'oreille
i:o!lge grisâtre ; une tache orange derriere l'oreille sur le
côté dµ cou ; le devant du cou blen céleste; une taclut
rouge de sang sur le ventre et le croupion ( psitacus ery-
tllrdga.ster ~ ·du muséum de Berliu ).
/

. ·voYAGE
M. Sellow ne découvrit pas beaucoup ·de nê-u.-
velÍes plantes , mais il trouva -en abondance. ·la .
belle alstroemeria lig..tu, L. ), fleur agréablement
ray.é e de rouge et de blanc. ll ' rencontra aussi
un serpent assez commµn , mais . qu1 rn1t · orne-
l ·c. ~ 1'

ment de ce gen~e; il est connu dàns. ce pays


sous le nom de cobra coral ou coraes, cepen--:
dan·t il ne faut pas le confondre .avec Ie. coraes
déc~it dan~ l~s ouvrage~ de M. de' Lacepede,
de Daudin et d'autres auteurs. Celui qüe nous
avons pris i~i mérite avec raison le nom de
' ~e1~pent corail. L~ ro~ge le plus éclatant .alterne
s1ir·son corps lis&.e ,, avec des anneaux noirs
et d'un blanc verdâtre; de sorte que ce reptile ,.
· ~ussi innocent qu'il est joli, peut ~tre comparé
~ un cordon de corail bariolé. Je l'ai souven.t
mis dans l'esprit de' vin' et je n'ai ja~nais
. réussi à, lui conserver sa · magnifique : couleur
écarlate. Le nom de coluber f ulvzus, qu!il ·
porte dans le systeme de Ia nature de Linné ,
lui-a sans doute été donné d'apres des individus
qui avaient per<lu leurs couleurs dan~ l'esprit
de vin .
. · Le soir notre bôte nous invita à souper. Con-
formément àda coutume du Brésil, les fem~es
ne parurent pas, mais les fontes des portes et -
AU BRÉSIL. ) '
105

des volet& d.e s fenêtres ' leui: fournirent les


moyens de regarder les ~franges convives qui
étaient à tables. Nous ' funies servis p~r des
negres et des négresses esclaves. Mawe et Kos-
~er àyant dof!:né d'amples .détails sur cet usage ..
d'e~ ·Brésillens' et sur-.Plusieurs autres , . je ne m'y
arrêterai
. .
pas• Péndant le repas. nous cherchâmes
' .
-
à fai:re tomber la conversation sur ce qui con-
cernait l' état et les productions du pays; mais--
notre hôte, d'ailleurs tres-complaisant ::1 eut l'aír
de ne vouloir ou de n L,pouvoir nous donner
aucun renseignem.ent sur· ces objets~
Le lendemain é~ait un dimanche; J'on alia
de bonne .heure à la messe; apres l'office nous
parHmes. II faisait tres-chatid ;. nous nous ra-
fraichlmes en cl1emin avec du punch froid et
des oranges que .d ans plusieurs endroits on
obtient pour rien . On peut níême, quand ·on
. est .extrêm~ment échau:tfé ::1 manger de ce beau
fruit en quantité sans cfaindre de nuire ·à sa
santé; cependant on dit qne le soir il ·fait du
m~L On doit être- beaucoup plus prudent _dans f
Pusage des cocos et des autres fruits dorlt le '
sue est réfrigérant. .
La distance de Tiririca â Parati 11'étant que
·de trois lieues ::1. nous arrivâm~s .bi~ntôt à: .cette

'
106 VOYAGE
fazenda à travers des rriarais et des s~bles cou-
ve1~ts de bois. Elle est située au rnilieu d'une
prairie. , Notre hôte de la veille nous avait
fait espérer que nous y serions reçus amicale-
ment : c'était autrefois . un couvent; l'église
est grande; tout aupres sont les bâtimens d'ex:..
ploitatioµ. Nous y avons vu, pour la premiere
fois, une malaclie qrii; dans le Brésil méridio-
'
naI , est tres-conímune ,
parm1. I es negres, e ' est
.un gonflement eles pieds ·qui se recouvre.n t
d'une peau dure comme dans . Fêléphantiasis.
Nous demandâmes au maitre de la fazenda
à passer la nuit chez lui; bien différent eles
planteurs brésiliens qué nous n'avions corinus
jusqu'alors que · sous nn côté avantageux , il
nous indiqua ·t;n;ie méchaNte écurie ou ~range
dont le toit nous m~ttait à cou vert de la pluie ,'
mais dont .Ies côtés ouverts nous exposaient
à tou~e l'inclémence du tem.p s. A n.otre arrivée,
Ie p1:opriétaire s'éloigna et -n ous prouva ainsi
qu'on lui avait fait trop d'honneur à _Tiririca
en le qualifiant d'homme hospitalier .. L'ayant
fait prier de nous vendre du riz pour nous, et
du .m ais pour nos i{mlets, il refusa , sous pré--
texte qu'il n'avait ricn., et dit que si l'on vou-
~ 1
lait nous donner de l'eau, il nb s'y opposerait

/
AU BRÉSIL. 107

pas. II fallut envoyer des gens à c·h eval dans


le voisináge pour acheter des provisions dàns
d'autres fazéndas. ·Le Iendemain matin ,,. apres
avoir fait partir de honne heure notre t.r.opa,
nous allâmes à Ia maison du cãpitaine, auq~el
ou annonça que nous désirions prendre congé
de lui. 11 · par.ut; nous Ie remercic1mes tres-
poliment de sa bonté et de ses prévenances,
en ajoutant que nous instruirions le prince
régenf de la maniere dop. on s'était conformé
à Parati aux recommandations bienveillantes
du gou.vernement ·~ notre fa"'.eur; cet h()mme
eut d'ahord l'air/ étonné, puis il s'écr~a, en .'.
écumant de rage : « Et que me fait le prince
régent ! ))
Nous átteign1me~ bientôt des marais en-
tourés d,e hautes broussailles, et sur les hords
desquels le quer-quer (1) ou vanneau du Brésil
(vanellus cayennensis) était tres-commun. · On
a nommé ce bel oiseau quer-quer, parce qu'à
l'aspect d'un homme ou d'un ohjet . étrange,
il articule, d'une voix perçante et désagréable ,

-
( 1) l\'Iawe parle de cel oiseau, p. 80 ( tom: I , p. 156 ).
Je tuai ~ dit-il, de beaux. v:anneaux qui avaient à chaque
a ile uu 'éperon rouge: ces oiseaux font,beaucoup de bruit.
I Q8 VOYAGE
le cri 9uer, quer,, quer, qui effraie et fait enfuir
tous les autres 'Oiseaux. On' le repcontre dans
toutes les prairies ' les pâturages et les maré-:-
cages du Brésil. La grande hirondelle à collier
blanchâtre est pe même com.mune en ce lieu (:r:).
La chale~r devenait de pius en plus accablan-
te; on D.e sentait pas le ·moindre soufle d 'air; le
.s able sec et profond dans lequel les rayóns du.
soleil se réfléchissaient, augmentait l'ardeur
- hrülante de l'atmoitphere.
Nos chasseurs tuerent pans une · belle. forêt
que nous ~raversions une jolie espece de ma-
racana (psittacus gu'ianensis, L. ) qui v·o lait
en troupes innombrables. Au· sortir de cette
forêt nous arrivâmes à un endroit oi.i un grand
nombre d 'l n diens de San-J!i>edro étaient occu-
pés à réparer-le chemin. Cette réunion d'hom.-

- (1) Cette hirondelle que j'ai'nommée hirundo co'uaris est


nou~ el.le, 'elle est de la grosseur du martinet noir d 'Europe .
· Son plumage est d'un noir brunâ~re avec des r eflets verts ;
le cou est entouré d'un anneau blanchâtre. Les tiges des
pennes de la queue se terminent eu pointes aigues longues
· . d"µhe l igne. Le tarse est nu, les doigts tres-forts·, rappro-
chés, pourvus d'ongles ar.qués, aigus, tres-propres à sou-
t ep.ir I'oiseau sur les rochers; je l'ai d 'abord trouvé sur ceux
de .R io-de-Janeiro. ,

AU BRÉSlL.
~es d'une teinte cuivrée était pour Dous un
spectacle Douvaau et · interessa:ilt.
:Apres avoir franchi quelques collines' DOUS
aperçümes tou~ à coup la. grande lagune ·de
Araruama qui ~, six legoas de long sur bi1e
largeur considérahle; elle co~nmniqu~ avec la
nier à une legoa_et _q~mie au nord dri capr Frio.
Qn dit que. l'on récolte .du sei ·en quelques en-
droits de . ~es hords ; elle e~t -tres-poisson-
neuse ( 1 ). Des forêts et des niaisons entouraient
le rivage opp,osé; sur une petite hauteur dàns
le foirttain s'él~vait l'église du village de San
Pedro .. Ayant fait le t~ur d'u~e . partie de la la-
gune', nous flmes halte à la venda du villag~;
bientôt arri.verent nos é'bass~urs fatigués de Í~
' -' .
chaleur et de la longueur de la course à pied;
ils. avaient tué en chemin plu's ieurs anin~a-t;i::t
curieux.
San Pedro dos lndios est un village d'fodieris,
(Aldéa), qtie les jésuites ont form~ en réunissant
d 'abord des lndiens Goayatacas (2)~ 'L'églisé-est

(1) Cet~e lagune porte aussile nom de Lagoa d é ITaruama


ou Aru~ma .
,u.;
, '
(2) Le Corografia brasilica (tom. p. 45), racimte
a insi lã naissance de ce village d' Indiens; il foi établi quand
• (
I 10 VOYAG:E:
grande; le vilfoge ··a plusieurs. rues, mais les
rnaisons ne sont que des huttes en terre; toules,
ainsi que celles qui sont isolées dans ce canton,
SOI?t habitées par des lndiens qui ont un capi-
taine JWor . ou commandant de leur • hation:
rieh :rie le distingue que son titre. A l' exception
des ecclJsiastiques , on ne tróuve que peu de
P01~tugais. dans ée lieu. Les Indiens que j'y vis
·ont la plupart ·1a physionomie purc de leur
race, telle que je l'ai décrite plus haut ; mais elle
est encore plus ~aractérisée qu'à San- Lou-·
renzo. Ils ont adopté l'habillement et le ·_lan-
gage des Portugais d~ la classe inférieure'
et ne savent plus qu;impa.rfaitem.ent leur ancien
idiome. Ils ont fa vanité de vouloir ê tre Po1·-
tugais, .e t regardant a'Vec dédain leurs freres
qui continuent à vivre sauvages dans les forêts,
ils leur <lonne:ritle nom de Caboelos ou Tapou-
yas. Leuvs _fem~es s~ivent Ia ni ode des Por-
·tugaises, et réunissent en urie touffe' au-dessus
de la tête leur chevelure d'un noir foncé.

Salvador Correa de Sa, les trois freres Gonsalo, J\Ianuel et


Duartb Correas, ·le capita_i ne- Miguef-Ayres-M:tl<lo~ado et
p lus.i eurs au.t r es expulserent, en avril 16!.29, les Indiens Goay;.
tacasés, d ' un .g r'a nd territojre qu'on le'ttr avait concédé an
:inois d 'aout ,1553.
AU BRÊSIL. I 11

Les hamacs de / la famille son.t suspendus


dans les coins des huttes; ces Indiens fabriquent
des poteries d'argile grise; Les hommes son.t
gé?éralement bons chasseprs . et tireurs ·ti;es-
adroits au fusil. Les enfans s'exercent cFabord
à tirer
-
avec des ares
'
de 'bois d'a1ri notnmé bo-
)

d .o c, qui o'n t deux cordes tenues à moins ·d'un


pouce de distance l'une de l'autre ·par deux
petits hâtops terminés en fourche , dans clia-
cune desquelles ils font passer l''e xtrémité des
cordes. V ers le milieu de leur longueur , elle~
sont réunies par un petit filêt formé de ficelles;
il sert à y placer des balles d'argile ou de pe-
tit~s pierres rondes ( pelotta) : on hande l' are .
en . tirant en ái~riere avec l'jndex de la main
droite le cordon et la ball~, puis on les lâche .
subitement , et la balle, est láncée cm avant.
M. Langsdorf a déjà parlé, dans la relation de
son voyage , de cette espece d'arcs q.u'i.I vit à
Sainte-Catherine ;· il est en usage tout le long de
cette côte; et ·sur le Rio-Doce , les hommes
faits s'en servent quand i.ls n'ont pas d'armes
à Teu , pour. tirer sm· les houtocoudys ; i.ls l'.e m- ·
ploient avec beaucoup d'adresse, et tuent un
petit oise-au à une distance c.ons~dérahle, même
des papillons po~és sm· des fleurs , c"on~me
VOYAGE
M. Langsdorfle raconte. Azará ; dans le voy~ge
de l'Amérique méridionale, dit qu'au Paraguay
on tire plusieurs balles à la fois avec cet are ( l ).
Koster, dans son V oyage de la capitain~rie
de Per~ambouc , ~ peint les lndi~ns dem'i ci-
vilisés de Séara d'une maÍ:iiere ass~~ exacté;
·quoiqúe sous un jour un peu trop défavorable;
cependant il est pos.sib~e qu'ils ne soient par:...
venus qu'à un moindre degré de civilisatiori que
oeux 4e San-Pédro. Au reste, . je dois obser-
vei~ ~ cetté occasion. qu'une partie d~ peri d~
progres des Indiens dans la civili~ation, et sou-.
vent de leur mauvai~ caractere, doit être attri.:.
buée áu traiteme~t déraisonnable et à l'op-
pression qu'ils ont aD;trefois endÚrés de -la p.;,r.t
. des Européens; souvent ceux-ci les reconnais.:...
saient à pe~n.e pctq.r des h~mmes , et' ame. nom~
de Caboclos ou de T;:ipouy-as qu'ils .leur do!J-
naient, joignaient l'idée d'êtres uniquementé~éés
pour être maltraités et tyra~nisés. Ce que dit
Koster de leur caractere en géneral est vrai .:. ou
observe en eux un penchant excessif à l'ind.o-
' .. .
, lence ; ils aiment les boissons for:tes.; travail-
lent aveé r~pugn,ance; sont sujets à mánquer de

( 1) 'l;'ome II, page 67 .


AU BRÉSIL. ll3
parole'· et ron Ii'a encore rencontré chez".eux.
qu'un bien_petit nombre d'hom1'nes _distingués.
Cependarit íls ne manquent pas d~intelligence ;
ils saisissent avec facilité tout ce qu'on leur ·:;ip-
prend, ils sont fins et dissimulés. L~ trair Ie
plus frappant de ·1eur carac~ere est un orgueil
indomptable, et une prédilection décidée pour
leurs forêts.' Beauco~ip sont encore attachés à
l~urs ancienn~s superstitions, et les prêtres se
plaignent que ce sont de mauvais chrétiens.
La carriere sacerdotale . leu;. est ·ouverte , et;
cependant il est fres-ra~e qu'ils s'y c~nsa­
crent. 11 y avait dans le Minas-Geraes un prêtre
indien qui appartenait à une des triJ?us les plus
grossieres ; il était généralement estitpé' et
vivait depuis plusieurs · années ·dans sa cure :
;t <]ut à coup ii di~parut, il avait lais~é tous ses
hahils: Bientôt on apprit qu'il était retourp.é -
chez ses freres au milieu des forêts, et qu'il
avait pris ·plusieurs femri1es. Cet homme avait
pourta'nt . P,ª~.i, pénétré de . la doctrine qu'il
avait prêchée pendant plusieurs années. Quelle
diflerer1ce entre ces Indiens et les n~gres qui
vivent au Brésil ; on trouve chez ce~x-ci beau~
co.u p de dispositions et de persévérance :poul'
s'instruire dans les arts et 'dans les sciences :
I. 8
114 VOYAGE
ils ont mêrµe produit des personnages dis-
tingués ( l ).
Les lndiens ont-ils suffisamment à manger',
on ne les décide pas aisément à travailler, ils
passent le t~mps à danser et à boire. C'est des
Portugais qu'ils ont appris les danses aujourd'hui
en usage chez eux ; la baducca est celle .qu'ils
préferent. Les~ danseurs, accompagnés du son
de la guitare, et placés l'nn vis-à-vis de l'aulre,
prennent toutes sortes de. postures indécentes ,
font da quer leurs doigts et leurs langues (2),
ensuite ils se régalent de caouy (5). Aujour-
d'hui cctte boisson se prépare uniquemeh.t avec

(1) Voyez à ce sujet l'ouvrage de Blumeubach ", intitulé:


B~ytráge z ur Natwgesc!dchte, tom : _I, pag: 94. ll vient à
l'appui de ce que je dis sur les facultés intellectuelles des
negres, et de l'attrait írr,é sistible que le sol paternel et l a
m anÍere de, VÍVre exercent S l'l [ les peup}es sauvages.
(2) Eschwege, Journal Pon Brasilien, tom . I, pag. i)g .
(5) Simon de Vasconcellos d6crit toutes ~es esp eces. de
caouy. préparées jadis par les. Indiens côtiers ; ils ve.r saient
ce tte boisson dans des tal~1 a s qu'ils nommaient igaçabas.
Quelq ues-uns en comptaien t trente-deux sortes : ils en fai-
saient avec de l'acaya et d e l'aypi, qu 'i.l s·nommaient caüy
caraçu et caüy machachera; avec le pacoba, pacouy ; avec
le ma!s, abaliuy ; avec l'ananas, uan:avy: · il est fort et
enivre aisément ; avec des patate~, jetiüy ; . avec du' geni-
'-

AU BRÉSIL. 115
de la racinJ! de rnanio«i!, du mais eí des patates:
la racine est raçlée , coupée en petits mor-
ceaux.., bouillie, puis mâchée : on la retire de
la bouche avec les doi.g.ts, on la met dans u11
vase que l'on remplit d'eau,. et ou Ia laisse fer-
~enter (i}. 11 envésulte une boi~son enivrante,
aigrelette et :nourrissa-nte, d0nt le gout appro-
che heaacoup de c:eh1i du petit-lait. Ou le boit
oi::di:nairement chaud. La. man.iere de vivre des
Iudiens de Sàn~Pedro · ressemble encore à celle
des ancien:~· lndiens côtiers. Les ;Portugais ont
ac;lopté plusiem~s .d e leurs usages; 'entr~ ·autr.es

paba, du beju ou du me.nioc, tepiocüy; avec d'u miel sau-


v-age ou-d11 suere, ga-rapa•; avec ~-e Facajou , etc. :· ils pré-
fé11aient. ce dernier. • ( Noticias, curiosas do Brazil, pag. 86 ,
e t 87 . ).
De Lery parle aussi du caony. 11 ajoute que les sauvages
le uommen.t ca-ouin.. " Qu'il me soit permis de <Íire, s'é~
)> • cl'Íe-t-il , - àrri~ rré Al~.i.nans . , F.tamans, LansCf.Uenets ,
» Sui11~es--.. et tous CÍJl.Ü: (aites Ga~;h,ous~ et. P-r:ofession de ho.ire , ,
n pax: Aeçà ;, car .,tput, ~insi q _ u e vous-mêmes, ap.res avoir
)) entendu corrtm~ no_s' Â.n~~~iquains s'en acquitteut, co~­
)) fesserez que· vous n'y enlendez rien a·u pri:s: d'eux, ~ussi:
» faut.-il que v;ous •1e,n11 cédiez' en cet end-roit. ))' ( Voyage,
pag. 130-152 . ) (E.)
(1) Cene prép-:rraticnrravveUe-ceH-e·de l'ava ou kava d-amt
les iles- du grand Océan .. (_Voy. Ies VoY:ages de Cook.) (E.)
IJ6 VOYAGE .
1a préparation de Ja fa~ine de manioc. Les sau-
vages en avaient autrefois une espece fort cuite
et ~ure, qu'ils portaiel'J.t dans leurs .guerres,
parc_e qu' eHe se conservait mieux ~ ' et une
autre moins cuite et plus tendre : la premiere
nommée ouy- entan , ·1a seconde ouy - pou ,
<< laquelle, dit de Lery, est d'au.t ant meilleure ·
l) qt':ie la 'premi~1~ , que, quand elle est frakhe ,
ll ~ous diriez en Ja mettant en la bouéhe et en·
)) la mangeant q"!-le c'e~t du mollet de pain planÇ
)) tout chaud : l'une et l~autre en cuisant chan-
l) gent aussi ce premier golit, que j'ai· dit en

)) un plus plaisant et plus sou~f (1). n


Ces Indiens civilisés connaissent ~ncore le
mot oz~ : de tout temps ils ont.' préparé lem·
iningant , ·en jetant Ia" fari~e de ruanioc dans. du
bouillon qui s'y incorpore, et donne une bouillie·
tre~-nourrissante. Les Portugais ont .aussi en;-:-
prunté ce mets des sauvages -: quanq ceux-,ci
mangeaient, ils avaie! 1t aupres ·d'eux de petits
tas de farine de manioc seche ' e~ ; la prenant
avec les quatre doigts, ils la jet~iént dans leur
houche avec tan t de dextérité, qu~·ih~e s'en per-

-.
{ 1) De Lery, pag. 1 !J 4 .
'\

AU BRÉSIL. 117

dait pas !1"!1- brin : cet usage se retrouve encore


chez leurs descendans ·, de même que chez. les
planteurs portugais (1 ). Les anciens Toupinam-
bas connaissaient, sôus le nom d' aypi, une ex- _ -
cellente espece de racine de m~nioc, qu'ils fai-
saient rôtir dans Ies cendres, et ens_uite· bouillir
dan~ l'eau (2}: Ces mêmes opérations ont lieu
chez leurs descendans. · ·
Quoique ces Indiens fassent profession de la
r-elig~on ·chrétienne, un grand nombre ne ·va à
l'église que pour l'apparence, et même que .t res-
rarement ;. · en revanche il~ sont tres-supersti-
tiçux, et ont, une ~nfinité de préjugés. Kostet
a m.ême trouvé les maraccas (3) dans une mai-
son i~dienne de Pernambouc ( 4)., ce qui ·fait
voir que quelques-uns tiennent . encore · à cet
usage de leurs peres. A mesure que ce ·peuple
se civilisera, son caractere original , ainsi que
les derniers restes de ~es mreurs et de ses usages,
disparaltront·de plus en plus ; de sorte ,q a.e sur

1 •
(1) De Lery·; pag. 1 ~5.
1 (2) Jbid.' p~g. 127.
(3) Pl. 514 (tom. II; pag. 181 ).
( 4) Haús Staden les noinme tamaracas, eh. XXXII ;- ee
sont lles especes· de féliches.

• 1
118 "'\"OV:AGE
le ~ieH même oi1 la nature avait 6.xé sa .demeure,
en n'en aperctw1'a plus de v;estiges, et son sou-
veni'l· ne se conservera q,ue. dahs les relations
de Jean de Lery et de Hans Staden (}-)· , ·
•N ousnous entretinmes le soir avec les ha~i..J.
1

taBs . assis devant leurs por~es peur jouir de -Ia


frakheur . Le c:ipitaine •mor, lndre.n .1gé et 'nn,
ne put, non plus qu~ les habita-os :a.e San-Pe-
dro, ·naus cacher -=qu'ils ·n ous ·soupçe>H:naient
cl.'être des espions a·ngla:fs ; la v u e .de notré
povtaria ne -suffit .pas mêm·e ponr les tr.an-
qu~Uis.er com·p letement. Les Ânglais sol'lt dé-
testés au '.B.résil; on Tégarde comme appar-
·t enans à ·cette ·nation tons · les· étrangers chez
. lesqméls des cheveux blonds ·et ú.úe ·peau hlan-
che ,Índiquent qu' ill s sont originaires du nord.
Le pays des environs promettal'lt trné
matiere abo'ndan t e à nos reche11cfües , nous

.
(1) Histoire d' un tJoragefait en la !erre du Brésil, au-
t'remerit dite anta(·c tiq ue, par J ea~ d e Lery, 1585. ( La:
premiere édition est de 1578. ) - Hans Staden w.ahrhafiige
historia und Beschreihung eille!· Landschaft, etc. (·'His-
toire Péritahle et description d'un pays du 1~ o~Peau monde, -
l' Amérique, hahité par des peuples sautJages ;· nus, cruels
et anthropophages, écrite par Hans Stad{!n, quiy afait un
v oyage) . - Francfort, 1556, 1 vol. in-4º.
AU BRÉSIL. 119
passâmes plusieurs jours à . San - P,ed~·o; nos
"foyageurs nous apporterent quelques micos
( simia .fatuel/us C>U sahoui COrnu), }e pares-
seux à collier noir ( I), espece. encore peu con-
nue ~ etc:' Nous l'avons ensuitê trouvée <lans .
des canto:r:is .plus au sud; au contraire, nous.
ne !'avc;ms pas rencontrée tlan s ceux qui sont
plus· áu nord.
Le lendem~in dimanche, tous les habitans
des environs arriverent. en ·foule ·à 1a messe à
San-Pedro. Nous alMmes à Féglise , devant
laquelle des hranches de palmiers desséchée·s
formaient une allée élevée à l'occasion d' une fête,
qui avait eu liell' quelque temps auparavant:
La vue des visages bruns des Indiens et
de lenr physionomie originale était faite pour
intéresser un .é tr.ariger ' elle attira notre atten-
tion. Le soír ils danset·ent dans la maison de

( 1) Le paresseux à collier est une espece nonvelle et non


encore décr.íte. Par sa ' taille e'\ sa forme, il differe peu de
il
l'à'i' mais s'en écarte par ~on pelage, qui offre un mélange
de gris et de rougeâtré: la tête est plus rougeâlre et mêlée ·
de blanch~tre; sur la partie· supérieure du cou. se trouve .
une grosse tache de longs poils no~rs. Cette espece a d'ail-
leurs _trois ongles comme l'a"i , et Iion pas deux, comme le
dit Illiger dans sou Prodo11ius.
• 1.20 VOYAGE
leur cap1taine mor; .la danse_ et le caouy les·
mirent en gatré. ,Le prêtre assista: aussi au bal ;
mais il me parut que , ho·r s de l' église, on ne
prenait pas garde à lui. ,
M. Carvalho, capitaine, qm habitáit le voi-
sinage, e1i qui se_ tro_u vait à San-Pedro, nous
fit beau~oup de prévenances. lndépenda:mment
do sa pl~ntation pres du village, il avait à Vil1~­
do-Cabo-Fri9 une maison dans laquelle il nous-
pre~sà de prendre : notre logerúent quànd nous·
serions dans cette viUe. Il se ·f it notre conduc- ·
teur à San-Pedro, et nous · invita ·à . plusieurs
reprises à aller le voir chez lui: M. Sellow pro~ ·
fita de ~ette offre. Ceü~ visite mit M. Sellow à
même d'acquérir des renseignemens précieux
sur les productions d~s grandes forêts . qui en-
tourent San-Pedro. Elles soat remplies de bois
utiles, et de diverses plantes , usuelles. M. Car-
valho, accusé précédemment d'exporter des
bois dont la couronne s'est réservé le mono·-
pole, avait été arrêté. Ç>n re~onnut son inno-
cence ;. il fut remis ert ,liberté. .. .
Ón t.r ouve ahondamment dans:les forêts voi-
sines de San-Pedro Ie bois de Brésil, pao brazil,
( caesalpinia brasilie;tsis), ' l'ipé . ( bignània)
de plusie~1rs especes, avec de grnndes fleurs _
AU BRÉSIL: 121

jaunes et blanches: ·une espéce se nomme ipé-


amarello; une autre, ·qui donne un .bois extrê-
memelü · solide pour la construction navale ,
s'appe~le ipé-tabacco; parce que le creur quand
on le fend donne une poudre d'un.vert clair tres-
me~ue. On y voit aussi lé pékéa dbnt l'homme
mange le fruit, qui d'ailleurs ést Ja nourriture
or9inâ:ire des singes; le pitoma, l'oleo-;- pardo
(laurus) , ]'ipeuno (bignonia)., Ie plus dur de
tous· les bois : eomme il est élastique et , tres-
léger , les Indiens en font leurs ares ; f imbiu; le
j aqua, )e grub~, l~. grumbari , le mazarandüba,
qui; entre l'écoree et:l'aubier, contient un sue
laiteux, dont ·les· lndiens font de la glu pour
prendre les oiseaux '; le grauna, Je , sergeir.a,
espece de eassia ou de . mimosa qui perd ses
feuilles, arbre tres-beau. et tres-gros: son bois
tres-léger .remplace le tilleul et le peuplier' on
en fait des' pirogues; le jarraticupitaya à écorce ·
·épic_é e ~ qui est un des médicamens des lndiens; ·
e jacavanda, ou bois de rose (mimosa) d' une
belle . couleur brune noirâtr e , compacte et
-lourd, ·utile pour les ébénistes, donnant une
odeur de rose faible, ma~s agréahle; l'aubier, de .
couleur blauche , n lest pas . employé, on ne
fait miage que du creur; le cuiranna ( cerbera

/ .

·,
122 VOYAGE
ou,gardeniá), b_ois léger dcmt on fait des cuil-
lers et .des-assiettes, ·e t dont l'écorce rend un
sue lariteux; le péroba, h<:>is dur et éompacte,
prop11e aux canstructions navales, employé par
, r ve'la prop111ete
l...,e gouvernen1en t qu1. s' en estrese. _lf,

e~clusive; 1e canella (laurus) tres-aromatiq:-u -e,


ayant '1' od.eur de fa canelle ; le ca:ii bi .(mimosa) ,
le mojolé, ·le sepepira , le putum~ju JJlO.IDfl'l:é
arariba . à Ri.o-de-Janeiro ; enfin une infi-
nité d'aut.res especes. Les principales plantes ·
usuelles que l'on cueille commu,nément dans
ces forêts sont l'herr;1a moe"ira do se rtam,
dont le gout ressemble à ce1ui du giroHe; le
costus arabicus' empfoyé ·dc:tns une certaine
maladie fort incammode; l'ipécacuanha preta
( i:pecacuariha officinalis d' Arruda){ I); l'ipéca ~
cuanha branca {viola ipecae·u anha -ou pomba-
lia ipecacuanha V andclli·) ; le buta, dont la
vertu égale, d:i;t-on, cell~ . du quinquina ( 2 ).
Apres avoi:r ·fait de fréquentes chasses_avéc
.'
• 1
(1) C'est sans dou te le rafa preta, représenté dans le pre-
mier cahier du Journ al µon Brasitien de l\I. d'Eschwege.
(2) N'ayánt vn ni la fleur ni le fruit de cette plante, nou~ •
ne pouvons déterminer ni sa ·famille ni son genre; c'~st
p ·e ul'-être un c01wolµult1s.
AU BRÉSlL.
1es Indiens de Sa:n-PedrG, dans ies ·envir-on·s de
leur vi1lage , noas ~n ·part1mes un apres-midi
·poa•r aller au cap ·Frio, éloi·g né ·de ·deux lieues.
,Nous eiunes l'oecasi0n dé tirer en route une -j o-
lie espece de ·marac<ma :, connue ·sous . le no pi de
psittacus máoavuanna. 11 •se tient en trou-
pes dans les forêls, d'oú il se répand dans les
halliers et tes pfantati0ns de mais voisines des
maisons des Indiens , et y cause de grands
,
.d egats.
A

Nous 1tra;v:e1's~mes dans l'olí>scurité fa lagune


:pres de . V.illa..:..do-Ca:bo --Frio. :M: •. Carvalho·,
càpitaine ·m or de ce lien; nous reçut. dans sa mai-
son. Le cap Frio , un des plus connus -du globe,
est u.n llrGmontoire rocailleux, en avant du-
que! s0:µt situés quelques ilots de même na.ture;
sur ·\ln . de ces ll01ts voisin · de la cote est un
petit fort qui défeBd un port. 1Jfne .J.agune s'é-
teNd dans· I'intél'ieur des terres en forme de
de~i-cercie; sur ses bords est située Villa-do-
·Cab_o-Frio, qui est petite : eHe a plusieurs rues
non pavées; le!ii n1aisons en sont hasses, quel-
ques-unes se distinguent par un extérieur tres-
propre -et tres-gai. La pointe de terre sur la-
qaelle la viUe . est hâtie est marécagease; dàns
son,voisinage, pres de la mer, on voit des sables
·voYAGE
profonds, dans lesc1uels croissent divers· arbris-
-:. seaux. Nous découvdmes·quelques espe·c cs nou-
. velles, entre autres· deux andromedes '·frutes-
. centes (i); l'une ·à fleurs jaunes p.1les, l'autre à
. fleurs roses. Tout le pays . voisin est rempli de
-grands étangs et de matais ·, · aussi passe--t-il
, pour fiévreux : - toutefois les · habitai1s .préten..,.
' ' ~
; d~nt que les hi'ise-s de ·rner nettoyent et puri-
; fient l'atrnosphere.
Villa-do-Cabo1 Frio exporte de la 'farinha
et du sucre; quelques lanchas entretiennent
. é~ . petit 'c ommerce de cabotage. Jadis .ce ·pays,
ainsi que tot;ite la contrée cpii s'étend· jus·q u'à
., Rio - de.:.. Janeiro, · était habité par les puis-
santes !ribus des Tou_f>inambas et des Tamoyos,
qui ., du temps de Lery, étaient al!iées des Fran-
çais contre les Portugais. Saléma ' IE'.s attaqua ·en
.:;i.572 au . cap ·Frio, et les défit. completement;
. ils se retirerent dans l'intérieur. Les Portugais
s'établirent ensuite · dan~· le pays. Dans -Ia· der-
niere rnoitié du dix-septieme siecle, u~ petit
,,.

(1) !.\L Schrader , professeur à Goettingen, qui a eu Ia


bonté de déterminer la plupart des plantes dout je parle
.dans cet ouvrage, a reconnu que ce~ aeux especes sont en-
tierem~ilt nou velles, et _11' ont pas eu core été décrites. _
A U BRÉSIL'. ~ .1 25

nombre d'e meuraient ii :Villa-do-Cabn- Ft:io; lc ··


village. de . San~Pedro · était déjà fondé. Sou-·
\

tlie y dit que la Villa·étaií muhie· d'uh petit fort


a' peu pres .
' sans garn1son-. ·
Un cap_itam qui deméurait à Villa-do-Cabo-
F.rio' nous ayant . invités ·à allet voir sa plai1-
ta tion de sucre , nous nous einbarquâm.es · un'
dimanche de · bonrie . heure, accompagnés de .
notre hôte ·M .. Carvalho ·· et d'un ecdésiasti-
que~ ·Suivant l'usage, on étendit des nattes d~
roseaux ('este"iras) dans le fond de .}a -pi rogue,
pour .nous y ·asseoir·. .Les anciens Toupinambas
et -les tri~:ms qui avaient de l'a:ffi.nité avec eux
se servai~nt déjà de .cette. espece d'embarcation;
les Portugais se sônt bornés à en conserver l'u- ;
sage. Elles soJit,creusées dans un tronc d'arbre,
et tr~s-1égeres. Les l~diens en.tendent à rper-
veille l'art. de__ les conduire. II y 'en .a 9.e t9utes
les dimensions . .Quel'lues-unes,. sont 'si .,.petites,
que .J'on n'ose. pas, s'y -rc1nuer -bea.uco~1p , de
crainte de ies .faire .chavirer; d'autr.es au__ con-
trnire sont si grandes que l' on, y na~igue..;en
sureté même en: pleine mer ' iorsqu' elle . n; es~
pas trop agitée. L'homrue qui gouverne . la pi-
rogue se tient debout, et sait si bien se ·main-
tenir en équilibre, que ses mouveme_ns n'o~ca-

/
.VOYAGE
sionnen.t pas le rn,oindre balancement. L'extré·
mité des rames ou pagaies est oblongue·; dans les
petites·pirogues on. les ma·p ie a~ec la' main.libre.
. • • J

Deux canoeiros hahiles peuvent faire IParcher


une pirogJ.1e lég~re aussi vite que le vent.
- L'eau de la lag':'né était peu pFofonde et si
daire que. l'on voyait distinctement l~ fond
s-ahlonneux g,arni. de thadrepores; souv.ent norl-s
touchions, à cause du peu. de: profoadeur dQ..
fornd. Des ti:-oupes . nombreuses de mouett.e s,.
·d'hirondelles- de rner ,. d' a1grettes et de van.-.
neaux ,. couvraient la lagune et ses rives . .Deu:Xi>
especes de cormoran sont tres-eonl:mn:aes dans
cet errd1~oit; lie nigaud gris- hrun. { i), et úa
a-Y•t re qui ressemble beauc-oup à. no~t.i:e conno-
ran: tous 1deux pêchent et viennent . tres-pres
des ri1aison-s. de la Villa. JLa: faze.n da . de. M .. le
ca-pitam ', en:tonrée de~ cas~s à I'legres,. és t
dans une. joli:e position ' sur une eolline ver.-
doyante. Tomt autonr Ón. aperçoit des ll10líl-
tagnes boi:5ées ·et des monticules couverts d .e í
buissons·, dont la teinte foTme un contras-te
agréàbte- avec J:e vert clail" et. hri.Uant.. des
ca:nnes ; à ganehe,. pJusieurs fraques ~' eau,_, des

(1) Peut-être le petit-fou de Cayenne, ~uffon; plauches


enluminées, p. 973. ( Pelicanus parµus. )'
\
.'

AU BRÉSIL. 127

ma1sons et des monts . que leur éloignenient


fait paraitre bleus , animent ce paysage. Le
mou1in à sucre est . bien tenu: polilr épaissir et
purifier le jus dont on ve\ltextrairel'eau-de-vie·,
on y iEftte úne forte lessive de eendres d'uné
espe~e de polygonum, nommé catoya par les
lndi~ns-, et lzerva de bfrhu par les Porttlga·i s.
Cette pl.a n.te a un go:Ut tres-amer et poivré;
on l'emploie d~ns plusieurs .1naladies ( 1 )~
La plupart des fazendas un peu considé-
rables ont . une église , . une chape1Je ou l:lrte
g~ande chambre. arrangée de maniere que les di-
man.ches· et les fütes ou y peut dire la messe. Les
voyageurs ne doivent jamais négliger d'y assis-
ter, parce que les hahitans attachentuae grande
impqr.tanee à, cet acte d.e _dévotion; ón nous
montrait beaucoup de bienveillance et même

(1) On dit que sur les bords du Rio-San-Francisco l'en


emploie avec avantage cette plante dans la maladie nom-
mée o l~rgo ou l'éf~rg'issement. D'~pres la desci iption d'un
vieux médecin liongrois, qui a Iong-temps vécu dans cette
contrée, et qui en a étud'i é les maladies, c'est un élargisse-
meBt du canal intestinal,. cànsé par l'affaibliss~ment. On_
fait bquillir la plante, · on• en lliisse refroidil" Ia décoctioh ,
et ou l'emploi~ en laveme-nt et cn bain. ·
Vü_YAGE
de prévenance, partQUt f)"ll DOY~ ' tious confol,'-
. 'a cette · reg
n11ons ' le; e~ quand nous ne ' l'b
·o ser-
vions pas, on nous témoignait ·ol.wertement de
· i.a froideur.et de la mauvaise volonté > á.pres la
~ne~se, nous retournâ1nes .avec le · rnaitre de la -
plantation à la Villa , oi.1 .nous examinâmes une
curiosité de ce·lieu: c'est le vrai cocoti"er' arbre
tres-commun plus au nord, ' et · ex.trê[!aem_e nt
rare au_sud . .11 p0rte, le long de la côte· orien--
.tale , le nom de cocos de Bahia.·
On ~'a assuré que dans une fazenda ~oisine
du ccap Frio il y avait . deux dattiers . . qui por-
taient du frui,.t; on en a abattu un, et l'autre est
devenu stérile. 1

Nous flmes -des parties de .chasse _de tous lés


côtés, aux environs du cap F rio. · Nous avions
pris à notre service deüx nouveaux chasseurs,
Joâo et Igrtaçio, qui c01~11aissaient bien le pays.
Entre autr• animaux, ils nous . apporterent des
guaribas, espece de 'singes. C'est probab1ement
celle que l'on a décrite,sous ]e 110?1 fie Ste_n.t.or,
ou de Mycete's Ursinus _; sa voix forte reten~it
dans toutes les forêts voisines. Ce singulier ani-
1nal est réma_rqu able , comme on le ·sait, par
la grandeur de son · lariux : particularité que
·M. de Humboldt a décrite d'apres une autre
.A:U ·BJtr:i!.~ilL. '1 29

espece ··dé ce "genre (t). ~a barbe ·,tdúffiié- du


guariba niâlé ~úi• a fait dohnér ·srir cett-e ·•eôte
le ii-om de·ba-Pbâdo·; à' Saint-Pá1.i'l ilporl'e~c·e1ui de
bujio·, et pliis au nord' ceh!li ·de ~gudriba. :l'ndé~
penclamri:1~nt· ·de ·ce ~inge, 'nóu~ eU:mes aiissi Te
ou·
•sa j c0ri:i u ·q1.1i / a 's·u v 1la 'tê te deüx ·,Iongs 'n'ou-
.qmrets .~de ; pdils (simia:fatuéilü$, :L.) ~ et'le ·füa- .
.rikinâ·Ót:L;'petit saJ1oui •rouge (.Simià rosà lia, i.L.):
Ils ne ·son:t ;pas rál'ês ;;élan 1s rfes - · énvirôn~ '·dÓ. rca·p
Frio; :1u'àis nóus •ne -·les avp.rís f>·a~ · tfouvés ·un
péu ~plus au ·nôrtL .
" 15ur ;}e!'b órtl '-dés 'lágun'ê s ;ét dés ma:ràrs, no_:_ . .
timmeni dans !le ·vóisinage des nfangliérs ( Rlii-
·z ophortt•, !fJonocarpus et Avicennia), ·r ióus
-t; rouvârn~s 1datis >lá ;têr're 'titn grand nombre de
Úous qtti sb1fo lesrep-aires'éles'érabes; oríbâim:né
ici •.cette espeee guaj'aníiti; on '11'.é doit . pas la
eop.fondre ave'c cuiíe autre'q'tti Yit duns le sàble
sur fo ·b9rd -füda ·lriér;, et ··q ui podê ·nóm de le
ciri. Marcgraffait mention des deux especes. Ue
guayanm. est ~ltis g'r and: 'q ue 1.e ci'ri, de 'cottleur
. bleu . d'arCloisé·, : se :rapprochant un p:eu au gris-

(1) Re~lfeil , d'ohse,,:µq,tiq1ns d~ !!ººl?_gie, pi. IV, n.~ 9.


Cê'tte 'e~pece est ncnnm~e siuge barbu clans le~ Tahleau:r: de
la ii(úure, toín.. I, pag. 60 ; • /
I. 9

\
' .

.rio . voYAG~

de--fer sale, sans aucq.ne tache. Ces crust~cés


sont difficiles à prendre, car. •au moindre bruit
ils rentrent dans leurs trous; .· çe qui me (it .
prendre le parti de les tuer avec du petit plomb.
Jls font une des . principales nou:r:.ritures des
· Brésiliens, dont l'iudolence ·va quelquefois si
loin, que, lor.squ'i)s ~anquent . de poissons ,<
i}s mangent ·CeS guayanl US, ' q)1i, d:apres llOtre
expérieQ.ce, sont un mets bien rnisérable •
. Je trouvai dans _les buissons des sables, deux
especes de lézard qui y étaient tres-communes :
la plus grande. était le lacerta amefoa . de Dau-
din' ~ ~os vert, avec les côtés tachetés de di-
verses couleurs. On me donna ici la peau d,'un
boa constrictor. Dau~in a tort d'iridiq,uer l'A-
frique comme étant exclusivement la ·p a_trie de
ce serpent gigantesque, car il est le plus com-
mun de ce genre aµ Brésil; on les connatt géné-
ralement s~r . la côte orientale so_u s le. nom de
jiboya.:
Notre collection, ~éjà çonsidérable, s'était
beaucoup augmentée .-à Vil1a do Cabo-Frio,
notamment d'oiseaux aquatiques et d'oiseaux
des marécages. · M. Carvalho nous promit de
l' envoyer à Rio-de-Janeiro; mais nous eümes
hientôt sujet de nous détier de la complaisa,n~e
AU BRÉSIL. -
que cet homme Dous avait témoignée -av~c ex- ..
ces '· car il fit voir que l'intérêt seul le guidait,
et il le poussa au p<:>int de DOUS oD>liger à IÜi
donner un certificat des services'importans qu'il
nous avait rendas. Nous n'ell.mes pas plus à nous
féliciter d'avoir fait la connaissance de l'apothi-
caire du lieu, qui avait l'air de s'i~téresser heau-
'Coup ~DOS travaux, et auquel IlOllS supposCÍmes
d'abord -quelque instruction; mais nous remar-
quâmes' bientôt qu'il avait la' tête tm peu dé-
ran'gée. N ous ftunes même forcés de finir par lui
parler ~érieusemeni, parce qu'il avait répandu
dans la villa des -hruits désavantageux sur no-
tre co;mpte. Sa sotte malice ne lui profita pns;
pous apprimes ensuite ·que la police , l'avait
puni de ses calomnies -par quelques -jom~s de
pnson.
.•
- f
~~'!"""!~""""~"""""~~~~~uvvv

. CHAPJTRE Iy.
Vpyar1,e ~u .c ap Frio ,à V~~Ja '\e ~an-~~!v~$-lpr dps · c~p:ipos dos·
, Go.<i:rt'.a cas,é s. - C~_mpof! Nc;ivos. ~ ~i~,i,er:e .et Y;il!a de
San-.J .oa_o. - R!p .dª"s Os.J;réJ.~· --;-:-- Fª~emla ,d~ :r~p,el?u.ça. ~
Rivi~1·e
. . . · et
. Villa
'...
de
..
Macahé.
. .
~ .-Paulista.
.· . ' ' .
-: -Coral
. .
de Bat-
tp~a, -- Bana do ~t~ra:da. ---:- _Rfao _Bar. ~anza. -:- ~~p~ye d~
San-Bento. - ViHl?- ele San~Salvador sur le P_ara;iba.

J
LE 7 septemh.r e n0us fim.es · trav€:rser la
lagu:ó.e à notre baga,ge, -qui fut suivj. de nos
1:n ulets. Jls a"'.aien;_t pas~éJe temps de -notre sé...,.
j our à Villa do Cabo-Frio, .dans une fazenda
isolée au-delà de la lagune, oQ. on les avait mis
au vert. Le 8 , accompagnés de M. Carv~lho,
nous quittâmes le canton du «ap Frio , en nous
acheminant lentement le long •de la lagune;
lorsque nous entrâmes dans les forêts , quel-
qu~s-u~s de DOS animaux s'échapperent; Oi.1.
eut beauco~1p de peine à les rattraper; mais
bientôt apres, accoutumés, par notre long sé-
jour au cap Frio, à errer en liberté dans les.'- 1
.· I

AU B'.EH~iSFL.
pãtu1'ages'; ils1'nous;. óccasionheren t\ t!in'" biéri plus
gr~nd désà.gré·meut · áu- ·miliet;. drur:i · chêmitl
creux. J?allai's1len.te1nent en·, ataflt" d~ la ·ttáp:t·;
loi·squc:5 pente11dis t;~ut··à· 0011p1Ies. .rtrulets chaT~
gés dt:i groS. hàgage c'011rir1 ah · gra.Fid g~Io-i:> àei•-
riere tnoi i Ceilii«iue · jêtirndniái~- p·1,it:aússi sõii
essov atee' u:ra.e telle pMuhi:rle~f; qu':il n."y. avait
pas n1oyen de· le · reteni•r:~ . ·1?0'ttr ne" pas, av"oiP
les., jambesr fracasse~s • par. · ler ól·foo. des:· ca.1s'ses
des mwle'ls.clrar.gés·,. je Ij(1>·nSsai.1e''ifiieti 'detéuté';
auss1tôr toÜW fa trau.pe se dispersa da·:t.J.s. Ia
for~t ·; . qu€lqn.es..;u11s ·. jéteFet.tt'. leut" cha:t1ge: à
terre ·; J:cih déohirat:Hi et br.Ísâht ' leurs harnois.
N_o as1étii>irs1h0rs' d'haleihe et·· épuisés1d:e fatigue--;
ne pouvant devinef la caus0 de cette. ~ €ã-tas~· ·
tropl:re<tria-gi;:...eomiq~e ff,rlous '}'J:Í<iflfõurftftl13sidJins
..l .' " • • . l es
·tol.'.ltes · l es ·w1Iiect10rl'S! ' llt\11'le'FS U\i,OlSlII"!f;
. . ·et ..C~~
< "

n-e füt ·qh'apres,un espacce : der ·um1ps -a"'Ssre~ lóng·-;


qu'avee·Íirsecouú:s -d(nfos tvo,_FJe~ros qúi smiivaie1it
les anim aux ·à' ht p~ste ,A" ~ll!(jUfS> · pume~ · fblifS\ ,lês
1

rassembler ; .Des chàsseurs p o rtugaii:s1·ql.li-.pour,... ·


suiváieni des) ceiffs daiJ.s: •C-ette -forêi-,-- et ~ 01h:-et"'-
chaieri.~ : Ulil.~ chi:en égaré, •noüs remiwent ;dans
notre chemin. Les cerfs de ce cantoli sont de
deux especes; l'une décrite p,~r Azara sous les
noms de guazupita et de.g~azubira ~ et:nom.,.

,_
\ \
VOYA'.GE
mee à tortfallow.... deer Oll daim; par Mawe ( l ) • .
Koster dit ~me, en parlant d'une de ces de~1x
especes de cerf ( 2), que e'est tme antilope, tandis
que ce genre de quadrupede l com me onle sait,
n'existe pas dans Ie Nouveau-Monde. En général
on tr 0 uve au Brésil quatre especes de cerfs,
qu' 4-.zara a décrites le premi<!r , et il para~t
qu'elles sont répandues dans presque toute.l'A-
mé1ique méridionale. La plus commune est Ia
v .e ado mate~ro des Portugais, le cerf rouge ou
le guazupita, dont Azara a donné une tres:-
bonne description; oli-lé rencontre dans tot1tes
les forêts et l~s halliers; on rhange fréquem-
ment sa . chair' quoiqu'elle . soit seche et filan-
dreQse.
La. tFopa remis~ en_ordre, naus ·continuâmes
notre .rotite au . milieu d'une forêb d'arbres gi'- '
gantesques, ·souvent ·interrompue par des . clai-
rier·es ou "des prairies coupées de maréeages et
de.·'toaffes de ,, rosea-!lx.. nourriss~nt .une quan-
ti~é de hérons, de canards, de vannéaux · et
d;autres oiseaux semblables. Le cri du quer-:-
quer retentit partout, ·et dans _toutes les forêts

P:
·. (1) 80 (tom; I, pag. 155 ).
(2) P. 156 (tom. I, pag. 242 ).
AU BRÊSlL. 155,
on entet.id fréque·m nient la voix sonore de l'a-:-
raponga. Plusieurs · espêces - d'eugenia frutes-
cent~s étaient convertes de fruits "Illftrs; ils sont
noirs, tres-savoüreux", et de la grosseur d' une
petite cerise. On voyait çà et là de grands nids
de termites·; ils devaient être tres-vieux, · car
ils avaient h~it à dix.'pieds d'e hauteur. Nos mu-
lets nous occàsiomie~ent · d~ no~veaux . dérán-
.
gemens, en s?erifonçànt. profondément d'anS <;l'es
endroits marécageux. Enfin les · m!lrimbon'-
des ( i ), espece de· guêpe tres-méchante ~ nbus·'
tourmelitaient continuellement ·; · leur 'piqüre ·
produit un bouÍon et · únê doul~ur tres -vive, .
mais de peu de durée. Nous avions "pê:n~r c'ó':in-
pensation ' à• toüs ces' inconvéniens la beauié
eles arbres de 'ií1 forêt "que ' hou~ traversfon~· ; ·
léu~s. tro·n~s éfan'c és ;; · revêtus d'une ·é co'rce
blanéh~tre " ou d'un rougé" brunâtre ,. ·a'val.ent
quelque · ého~é · d~ ·vériéráblé·; «·iandis 1 qu'au-
1

. dessous., dan~ ~les.- f>a.rtie~ les plus ép'aiss~s, Ies ··


fleurs des' mimosas et des justicias rêpandaient
une odeu:~ 's uave; Le- buginvillrea p~ásiliensis ·
1

étalait ses' belles fl~urs rÔuges1~- ~t· des' bignónia

(1) Mawe les nomme à tort mirahuridé, p. 134. ( tom. I '·


pag. 236 }. ..
1?,~ 1 ,VQYA~EL,

cQ.'1n;erls . qe,. g;~~nflcts)leµr~: --«;l;'~~fü · i\\u.P~ d,qr~ 0


'l . l . . ,, l 1

e ~y)aw11t . et~r-s:· .t~ge~., s~r~1eii:t~µs;~s ,·Jlllsq1i1 a i .fb 1


ci.rplt;'. ~es a_rkr~s 1 :l~~r ·B~~s , hauts ..~ · .
_lt~ 1 ja.pir,u (p.i.cpyz~Çf) Cflfl!3r,{-f(J!J#wqt,.1.;.:t,cf(t~~ltpj1r
0
,

lo,Pf"fG;.~qr; ,,.,L~).; ,e[- dp~,,J1~r~n . çl~j <),jv~,v~_ç~ .es-;( •


p~m:t s? , ~ur;tQ9~ . ,p~s 1 ajgyptt~.~ :.pla~G~~~'.; " ;s.~i 'P--r,o-:-'
m_e~'il~~~~ . <l:~A~ u ~~~'. gr_a,i;v;l.~ :.P~:a.ir~~r JP-ªr,~M~c:
gç.~ ~~ ~ •. °=41· ~e,.. Ri~fªijfos'pµfgpce( ·.Pf.9f~r:v:J~meP.J~i:
d~:µ,~ l'e.3;t;l ; . l~ ~ç.im>.,v,y.t(pqltflti<qr;_/J~Çé6-X:l'7:ff.~Y$. ); -.:;
S~J~R'tl:1~j lRQ g-rd~., ~iXr, ài 1~lJli t .p}~çl~ ~-· ~s~é.l~ig@~it·. Çl~ 'J
rn;w:~ i 11v~~J~. v~J~ .s.i=;,.'<\:p1:1;~1 A4~~~" R<i>Jl'.p~---s~ ç11ç~~li; ,
d~l\1i~ .l~s h~1;l_H~s p~,;!~~~~,j ~i1 ,d~~r;~1;9ujpi<Y§i9.~ ! n~~:}r;~:; . ~
C~f?.~~\7 S,~',- r.€P,G\~\-'r!h~. S}~l; - l ~§ hµ~~w;>,I?snqu! : h~orr.
d-ª1\'rli\~ l~ rPf.fl\lf~~,-[ ,lJ!} / y..q~ag~r, :q~~i n;g11s, ~iVP·Q,1\'_.
· re;r;iAPY.~ré. ·n9:1A~ .~if,3;I?-i1<.~·3l.HPt~9:3qµ.~,no§ cf1M§frJ,.lT'.~, 1
qu_i; .1~~w~ ·rPr:~c~g~h'fn& i .fr~i:~n~: tµ~ ·YJl)lEê·Ç}i\l~.~. t\~.~ii
d,«t.. b)~~u x H pjl{ça 1:,.1~ J~· .I~ou~ _a-y9;p,.59 P~l~~r; ~ ·B\\~~ -
av~J1~ : 9,:;tns :le~·; ,P~j<?WI?.dcrr-·rs; q~. ·l~ fqfêb~i~1: A<i>i:.\lM
n_o,ys :s?.n-iffi~s :.i;a~·aJFh~~)~.v,~c lEt 1 S~i~·,c;l~,l] qr.~nge.~. ~
S~J.-l fagk,~, {!ri:1;apj~ çlçi te.rr-~q , .,.s\ºB~ i.~Y &~flt . e~Jr,
a:~:g~tP9?P~i;ir~füde, i.,l~-qJ:s Jle~H: f~Rfi'f\çl~ifW tJ.In:t;:ít
oÇl~H!; '. ,9 :~~~9~eP.c~«f1 ·~~-- ?~~inii~B~ ~9'Jdnul1f,t,ijç}J~ .c\~r.r
q~fü?Ji's (1)J~·P. 1~P~~~~ l;\e, Ç-G~~~ifq,rM. np9J~ ~vçn11~;
(1) A:u ·Brésil-; les orangers· ont: b·esoin d'êtrri ·greffés ·põür·
do:nnit,, ~le b~_~s ffu}·~.~l ;.-J•~,l;l;le \i,Ie; ce~t.~ .91l;~f.~t.~o.µ , t s~p~:u ~·~is
produis·e nt sont fades et amers. · . ( l•' , <:~',
AU .&RÉSIL.
apei~çu upe : prai19.e, , ouvér~c L' ·o-U1J.a. . :gr.a~de fü-
ze.nda. d<i!. CaJ1Íp,-Pl";;Ne>vos, _miehl~'no?lm~e fazéhda
. ,, ~s~':;4:;t.fl;.0c)
d ~;:R:~ ,.. rr~e'dº'
. LA • SUf i up~ ;, co11'1ne·1 ' . . ..
· 1.0cFe1nent
~

éle:"tfe:
'
P.~~ · .é~~~,S ;~ de§;._ negrns ..für.1pent;· aupres : .
d.~ ,~a,. nwfa,sQf.k ,dp.-.rp~·o1)Í··ié.fai1?é :ül!l ,~capitarp. ;. un:
\

c;,:tF'!ti~<}Ui~ a'. d~J~Ü~ : ill:aissa,nce ·.à : Üli.l tpe.t it1 ;Villâg~~


e c;:~t~ ..iéilze.1111.1;~, ·~ Qll í!P.:rruo_:i1n.s:1'!! ieg is'e.t vOJ~nH~r, . a ·'
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-F <>.1r:e~s .cl' 34fü~sl:r~ ,uwi.; :rn.ul~lúresté ..em 'arri~r.e ,


,. A ] il 1•

n~'i1 & ; SeWlil:~!J.~~§ ~'[IJ.~ q.u.~~ ; J,G>urs. •,(Jlao~ i c.e · t~.ll' ,:

~ ,,np.1,1-S ~ .l~:s <-.nfl~~ ;_ ".àr.p~mfi't vp<l>iu.r l~wcourir, les


eµ7vjr9n~ ~ Çn,p}1as~~Rte,; >N!illt( 1de.Nap:.lés en lt~lie·, ;
v i n.t d;~t;i~j; J~ . ~-~9~)') e.t- i noús •Jíl}._@ntr.:á) la . péau·.}
d~uJJ.e SiIJig~ ;:q~;m'l~ r m<l!nfi>.: p.ílrt)e.s~ h .t jhita'ns, et
q.ujuvit :<l.a~~i,Cl3G-~ªi@.~ª •P-ªr:de~ de, l(.lf ,f@r.êt: - No.u~ t
p 9 HlfS,lili,y\llil>ei:~ J,~,Qg)-t~~p~: ç~t::_~ n jrj1al ~sqllili·S:UCC~$;;·~
ng.µs,.f!,r1iq.íl@snp.~J.:> ~mef.plt;ts;..·heur~!Jl;)l;.G ~ et·;ti.;'Q.} e~a,.,.., t
' -'
n~ey.; (~ilt;E{.nti-f,m~.:l~ ttiç ) i:ti~Ji.l.~tt.re~')p:oPi.\: <l)Jl~::e$:-; !
p§P,~1~4' : g~r~·, gtej~~~,{-lr}t ;· r~'-est)e",cgra:Í\l.(!Li sing..e;) .·
dt}m;ti l~~.icltiiH!~~~çs~~ ~d:ª.xi·~ l Çs :ç;~}tt.>H &l :CJ!il e .n.@J.l~b
avionsparcourus, ·emploientla p~au pour rnetti:e

r•r :. J :·- ) ff'fj .f(i f !j) r.\f i ~;v. ,f . . .. 1·t l 7 r r 3; .... r :


j [ j f:r ... ,
1 j j . :..

~i J !A-telé'S iiy'JJ~arÚhíZ'S~ iX 1ldií~!hnembré'fl~t. il~quéué'-flfri'é'


et~ ifoil'gu'é >'iielãge> gris )j'a\iüiltrle! ;'s'a ié•;;·soH'-V;fit·)'li'tin'e roífi·'
geâtre à Ia· ·mi~sairité ·1 diHiá. 1 ~\.ftiii~·;' fiice' i!b'iÚ'eUr- ae·· 2h~H- ·; •.
parsefuée de points et de .. táéhesi1u9irês. 1~Tuéiiguem; de ; la
i.38 VOYAGE
la batterie de leur fusil à couvert de Ja p'uie.
Lés forêts, à quelque· distance autour de la fa-
zenda de Campos-Novos, sont rernp1ies de ~cette
• espece.de singe. Nos clíasseurs •avaient tué .plu-
sieurs guaribas ou bàrhados; un :vieux mâle fut
appórté encore vivant à notre niàisdn ~ M. ·Mawe,
qui n'a prohablement pas fait une. étude appro-
fondie de la zoologie, dit assez plaisamment, en
parlant de · c~t animal1, , qu'il -ronfle 'si for't en
dormant que les voyageurs en sont·étonnés ( l )·
Nous avons trouvé -au milieu ·des ·herbes et
d~s jonc~ des .marais voisins .,. :]es jolis reufs .
couleur de Jrose du limaçon ·des tliarécages ,
nommé helix ampullacea, qui.étaient réunis én- ·
tas. Ce limacon est tres-commun··dans les ma-
0

" (
rais desséchés du Brésil , sa - c'o 'q uille es t ·d' un ·
brun eli ve·fonce; ' le grand limaçon ·de terre se ·
rencontrait<fréquemrríent -dans ·toutes ·lés forêts -
que _nous ~· avOf:1S travers'é es ; o~ Ié .regnfde .
comme 1u .ne va_riété de l' helix ·Qvalis; l'ahimal
,..

pointe du nez à l'extréwité de la ·q~euecfuarâtite-six pouces


siX ligues; ~e pouce des mains ne consiste qqe·-0.a._.ns un rµ-
diment court. ,<;;est ,par là que cette espece se d,istinguç de
l'ateles arac~Tfoi:1.~ti , ou coai:t~ f.a~ve de Ge_ç_JÍ:)i~Y . . ·
(1) P. :i~5 ( tciín. I -, pag. ii33 ). • · .. ,.
.•
AU. BRÉSIL.
est de couleur Qrange pâle, sa _coquille est or-
dinairement d'un brun jaunâtre pâle: Nous
vimes s1;1r les .b ranches des ' arbrisseaux le nid .
d'une .espece de guêpe (pelopmus lunatus) ( 1);
il est construi.t ·~n terre , il a la forme. et lã gros-
s~ur d'une poir~ .; quand. •On lé bcise , on trouv:e
éparpillées dans .Ia '. masse ci;n_q, si:x à sept larves,
qu insectes .déjàJoqnés: eett~ ·espece est la même
' que la g~êpe décrite par. Aftara _(2.), õu bien elle
s~en rapproche peaucoup; ellé attaehe· de petites
maisonnett~s., ,-ou ·cellules. d'argile, aux parois
cl.es. édifices ou. des ·chambres des ·maisons de la
côte orien.t ale du. BrésiJ.. J ·e Ia. regarde · comme
iqentique avec.·celle qui fixe son nid a~x bran-
ches des arbres. , . -
A noÍre départ, le joli pay~age qQi nous en-
tqur~it nous:parl!t _encore pius , agréable qu'au-
paravant; là .pr.~irie_ éta~t_entqurée de petites col- ,
lines hoisées; des l?uisson~ ~'une verdure bril-
.J~r;it;e .et .douce, ·n ous rappe!~i~nt le pr~ntemps
de ,l'Europe; iJs. consistaient en 1ine .espec~ de
garqenia, ·norp.méé ici cuiranna, , q~i n'a pro~
bablement pas er..rbore ~té décrité; elle forme _

(1) Fabricfos, S. Piez, pag. ao3 ).


(~) Voyages 1 t.om. _I, pag. 175.
140- VOYAGE., ·
u.n •atbre 'dont ·Ie ·bois .est utile. Comme la me1"
est. assez· éloignée·; _les forêts sont· re~plies _de
singes ' et de · gibier-. l..'q:niique et. 'belle foFê.t ' ·
(maio .vi.,;gem:) .q~i . s'étend d~_[i,uis . e~n1pos.:.:No.:.;·,
v-0s, . presque sans inter.r uptibn -, jüsqulau Rio~
San..:.Jtfa<'>' ~ sur uné l<iinguetl'r dê qtiatre lég-oàs··,
et dans les.profondeurs -de·laquelle-ncH.i~ - êtioiíif'
enfortcés:, mérite- une) ·metítion partietilie~e !.'
Nous . arrivâmes biEm:t:ôt · à , ün ínarécagt:f pÜ1id.i
resque -envirronFi'é: ~dé jeuties eoéotiE!-t's (;ti d'líêlt-;
co:o!ias-;touffus•- Ces·veg.étauX' ro'.rmeit-t·ifos brous:.t
sàilles aa-dessüs -desqúeUes · s'êhtnéent' 1eslarbi!e~J
· giga•J!l'tasques·; dei fa, fdrêt: Le stirtictiài -ob'. · ce-N:~~,
roHcoh ~~i·t:; hlé1ret -jauri~ · (trógoii 1 viritlis: D1Y
Y- était tres-comhmn , et se fáisãit··e~tertd:rC­
au n'lifreti dtP fouiUãg~ ie.-.pltÍts epá~s' ; rietts ifui-
tâmes sa voiX:: el:;rioo 1' efi:-tU~in~s··plusie1frs' ; tatí-1?
• niâlêS' que• feinell~s~ @ü .ie ; rétlefilitre'- frequêdf:- ·
n1êh·t: claiis· touti' : }e --vdisin1i-g~ ; - · . . .
·- Là:- füiê-t s?eml-J~Missrlit- dé- pl:t!is·"'eíi -phis·, , eles •
1

ffeurs ~ magnifiques· et nóuvellés clomíaiêni d~­


nori:i'hreuses -occupations à · nas àotanistes~ bes:
cipos· ou ·liai1es·,- entortillés ·autou'.r·. dés' arl;~esL
de la maniere la plus singuliere, no.tamment
de superbes banisteria , la. p_lupart avec des
Jleurs jaui:,ies, des coéotiets à ·tige d~ · forme -
1 ,
AU BHESIL.
remarq1.-mble et qut:ilquefojs entrela:cés d1une
.façon extrêmement :pittoresque, ·sont . pour ces
forêts un 0rnement !qüi ae ,se peu~ dé.crire : les
hro1nelias paraient de ·leu.rs fleu~siles branches
élevé.es. La v.oix d'oiseaux q:He nous ne connais--
.sions pas e:xeita notre cnniosi~é; Far.aponga· 0u
.procni.as b1anc .é.tait extuêm.eme~t,c0rnmun ( il ).
~e chemin sablonneux .nous fatiguait beau:-
,coup; niais ·la be_auté de .la forêt nous offr~it u1}
ample .dédmnmageme:n~ à nos Heines. Sur un·ar-,
hre ~tortu, je .trou~ai liln :\er,~ent de ~ouleu'r :gr~s
d.e plomb .e t Jong ·de. st'X!' a sept 1p1e.d s, que ')e
-nommai coluber plumbeus (2); :il nous 1aissa
,pa~se.r saI}.s .b .0 qger : .je foi fis <tir-er 'Un ·coup de
fu~il pa•· un de ·nos cha~s..:eurs . ; ce (ut avec·bien
de la diflicult.é que · ·je paryins à e,r,,igag.e r un
·negre qui était _c har.gé de nos plantes , à pQrter
.~ur s01,1 -~.pa.1.:il.e ~a hotit d'un long bâto:n l,e
. . . ·: ... -'..
.' à)?r~cnias, geure d'oisea.ux formé par llliger. ll com-
pre'nd -les cotiugas blancs ·ou guirap,u nga, à ·gorge ·nue_, et
· avera1~0.:

(2) Ç.e reptile avai~ six p _


ied;i m~ pou,ce q!Jl;\,tr~ ligne.s de ·
long. ll avait deux c.ent viugt-quatr.e pla.q~es ab_domi~Íl~es,
et soixaute-dix-neufpaires de c~udales_. l.e dessus du corps'
est de couleur de plom b foncé ; 'le dessous blanc j·aunâtre ~
'brillanl cornme tle la pÓu:daiJie.

·'
/

142 VOYAGE
t•epiiJe IDOI't que l'lOUS avions empaqueté dans
une toiie·. Le negre cheminait depuis quelqu.e
temps ·, lorsqu'il aperçut encore un petit mou-
veinent 'dan~ son fa~deau; sa •frayeur en fut si
grande, qu'il le jeta bien loin de ·lui , et prit
la fuite. A quelqu~ "distance, . nous ;trouvâmes
nos chasseurs qui se reposaient au pied d'un
arbre.; ils av~ient tué plusieurs toucáns, des
\arassaris, des surucua et un petit sahoni rouge.
Le soir nous arrivâmes au bord du Rio San-
Joao, qui se jette d~ns la mer, pres de. la' villa
:qâtie dans cet endroit. II a trais à quatre
cents pieds de large; on le passe ·en pirogue ;
no1i mulets le · tra'\e'rserent à gué un peu plus
haut. Nous abordâmes de l'autre côté à Villa
da Barra do San-Joao, bourgade qui a plusieurs
rues et d'assez bons bâtimens, à la m::\Iliere du
pays. L'église, bâtie du·temps des jésuites ,. est
isolée-sur un rocher pres de la mer . . Barra do
San-Joao est un des lieux ou les voyageurs et
les marchandises qui' viennent de Minas-Geraes
sont visités pour empêcher l'exportation illícite
des pierres précieuses. Le fleuve étant naviga-
ble; - il y avait cinq à six , brig~. à l'ancre. Un
forgeron anglais , établi dans la villa, nous
raconta _ qu~ déjà des navires de son pays
..

AU BRÉSIL. t43 \.
étaient venus dans ce coin solitaire, ce qui
1.:ii avait donné l'idée de se faire nommer vice-
consul de sa ~ation. Ses idées arnbitieuses ne
l' empêcherent çependant . 'pas, à _riotre grande
f
satisfaction, de mettre la main à Preuvre pom.·
réparer des armes que nous lui rerqimes. Le
manqu~ de bons ouvriers. en ce genre est tri's-
pénible. _pour le natura~iste qui . parcourt le
Brésil; car ,il est tres-rare de· trouver des gens
qui entendent même .Ia partie la plus -grossiere
du travail de l'armurier. L'on cultive p:res de
San-Joao beaucoQp de riz et .de manioc: on:
dit que le terrain , surtout en r~montant le
fleuve, est tres-ferfrle ;· ·lç sa'l:>le- même est
fécond dans les endroits. oi1 il est suffisamment
,
arrose.
En quittant la pointe sablonneuse située
. entre le fleuve et la mer' et sur)aquelle la villa
est bâtie, nous suivimes la côte au nord. Dans,
une 'plaine converte d'arhrisseaux variés, .cr<,>is- .
saient u_n amaryllis dktn rouge écarlate, .avec
des spathes à deux fleurs ., des banisterias à
fleurs jaunes, et de jo\ies especes de myrtes.
: A ganche nous avions Ie l\'Ionte de San-Joao,
haute montagne ·isolée, _en avant de laquelle _
des forêts, et au-delà de celle_s -ci 'des ~arécages

I ,_
\

VÓY'.AGE
c0uv.e rts de br.oussailles s~étendáient dàns la ·
'- '
-phtine vers 1a mer.
Apres avoi1~ traversé des <iha:-m•p s de n1anioc
l'nis ~n cuJtm:e · dep,ui~ peu de ite1''.nfls, ' aÍHsi que
le prou.vaient {des sou·ches brúlée& ·ciüe ·Von
'yoyait ·,éparse~. , ~ nous arrivâmes par .:aí1 éhen~in
sab.lonneu~ et p.€nible au ~ord de ·fa ,nier;, 'prÊ's

\.
d' une ·jolie·cólline i·ocaiUeus~ plantée d·e ·cóco~
. ~iers, qu~ -s 7aya.nçait en -mer ,. et-· au •pied ·(l:e
. l .

.laquelle.IeBio das.Ostras avait :son embouehure;


. n .ol:JS rernoniâmes , à la dista•ilce d'une eel:ltaine
·de pas, e:ette ·petit.e Tivi~re qui··e st tres-lirinpide;
fa tropa ,fut déchargée ·, ·et no.lil's •passâmes ll'ea:-it~
Les bords du Rio das Ostvas sont enchanteb.rs ~
de ·grands arbres. touffus 1es cÓüvrerl.t de leürs
hranches pendantes, et des cocotiers les orn-
hragent. Un Portugais; marié à une ·Indienne,
demeure seuLen. •ce lieu avec. sa ·famille. 11 fait
.partie .de ·]a milice, ·et sur:veiUe le passage àe
la riviere. Accahlé du poids de ·cette d:ou}jle
h~sogne , cet homme ,-n.1e .par-q·~- .tres-m êcoia ~
tent de sa . posiiion. n serait tres-facile ~l'éta­
blir e_n ·cet endroit un peti~ pont qu~ épar-
g nera.i.t ,u ne perte de temps consi<il:éraibie au
v oy~ geur ; e-ar à peine a - t - cm ile mµtin eu
l'em~ann1s de charger, une trop a à San-.Te>ao 1
1

. ,_'.te
AU BRÉSIL.
que deux heures apres il faut défaire ici tout
le bagage. ·
Ayant trouvé au-delà de la riviere de pe-
tites hiittes en ·terre qui étaient vide~, · nous
noús y somines mis à l'abri de la pluie. Avant
d'arriver ·de nouveau· sur 1e i·ivagé par ceue·
route, cm franchit ·des collines couvútes de .
taqµarussu, g:r and roseau qui s'éÍ~ve à trênte
et quarante pieds de hauteur. Ses tiges co-
· lossales, qui ont jusqu'à six pouces dediartletre,
se recourbent doucement à leur extréniité; les
feuilles sont pinnées , .les branches sont armées
de pi.q uans courts et foi·ts' qui rerident irnpé-'
nétrables les buissons ' que forme cette espece
de bambusa ; ils sont .' d'áiileurs e'xtrên1enient.
touffus; le grand nomh.r~ de feuilles sêchês ' et
de ·· spathes ·desséchés · qui . tomhe'ni" et restent
entre les liges ·prodUisent au moindre soufle
de vent hn bruit partiéulíer. Le ·c hasseur ren:-·
c.o ntre ces halliers. avec' plãisir, ca'r' en c·o upa:nt
une tige au+-dessous du nreud, ,il en découle une
eau 'frakhe et agréable ; quoique 'u n peu fade,
qui apaise:, J'ardéu.·r de lâ soif. · Cétte plante
remarqaable . aime. les terrains montagn eux ·et ·
secs: c'est pourquoi elle esttres-comfnune dàns
Ia capitainerie de Mií1as . Geraes, o~ l'on ·fait
I. 10

'· .
VOYAGE
des gebelets de ses tiges. :f:n marchant le long
de la rner nous avons rencontré pres d~ quel-::
qµes maisons isolées une autre plante égale-
:qi_~pt ut~le le piite (aga-ve .fmtida). Ses feuilles
à. hor.ds Iisses, roides, longues de huit à dix
pieds, formc:mt des haies solides; .de -leur centre
/
s'éleve une hampe 'robuste haute de ~r'ente
pi,eds, qui porte des fleurs d'un jaun~ verdâtre;
et· donne aÚ paysage un aspect singulier. La
moel.le de ·1a tige , .:p.ommé~ pita, tie:pt lieu de
liége aux naturalistes .qui recueillentdes insectes.
S .u r le bord de la mer des palênieçs nains, des
broQ.1.~lia et d~aut~es plantes que le :vent ~m­
pêch~ de ~~élever . forment des halliers ~r:n-;:
pér~étrable& , Nous fumes tre.s-bien reçus à la
fa~e.nd~ qe Tapehuçu, pal" le prop.1;iétaire, 'qlili
est ~P-s.eign~ ( alfiêrez ) de Ia mil.ice. Cette fa-
zep.dª e$·t dans une charmante situation sur
un.e cQllia~ •Pl~es. de la mer ; -derriere. s'éJevent
des. forêts_, elles n'en s(i)nt séparées que . pai~
upe fagµJ:ie doat J~s · ea~ux réfléchissent l'image
dei; íl,rb,res; la · yue se porte sur .une vas·t e
p)aii:i.e co,µ \ ertf,l de ·forêts inaccessihles et 'aq
1

m~lieu clÇ. laqtu~lle ~léleve la ' serra de lvi1~i,


~qp._tagn,e ~soW~ et remar.qua~l~ par ses cirnr
q.r.µ.es co~ijq,ue~, et boisées. ;· plus ;;tu su<!l OI).
AU B~ÉS\L.
yp~t le Monte de S.an-J,,q~o qll,1 e·s,i. ·d~ 1;:nêm€'.
s9~~t"ire.
Les te.rres de la faz~n,da on,t \me lieu~ de
~ong, et sqi;it 9~ltivées ~il pa:\·tie eµ D,1,<!-n~oc et-
ep m11\ s; o.n y récolt~ a U,ss~ qn p~u de caJé. L!,i
la.gu~e est p,oissonneus~. On a, pla~~é au_ t oµr d~
Ia maís.on 4€'.s qrangers dout le& fleurs qqo-.
ran,,e.s .a~~~r~nt ~ne. qua9tité de çolibris .. Des
ç_h asset;1rs trouverent une i:iche pro~e dan~ les
fo,Jiêt~ vo.isjiles; ils .túere,~t ~~~ p,~rrqquets, des /
q'laracµ.n~s, d~§ toµqi;i.n~, qes pav;~s et d'autres
pe~ux oisea,qx. Notre b,~~~~~r s'en,richit :;iussi ~
je trou;vai plu~j.eurs espeç~~ çle cocotiers; entre
autres I'a!ri , doµt le~ f~uits. venaier.it de mU,rir ,
~·t le tucu~ ou · palmier épineux des ~arais ;
do!!t l:.J. tige, l1aµte 4e quinze pa1cqes, çst pour-
v'ue, ;;iinsi que le petiole' q'aiguiÜçms minces.
Mawe donne à, çet arhr~ d~s feuill1:.3s dentées
en scie et J!lnCeolées e1 ), tandis qu'elles SO~lt piu-
nées avec de~ fqliole~ lis~es, eutieres et acumi-_
J,J.ées. Arruqa en donne ."Une n~eilleure descrip-:
tion ( 2), mais il n~en a.vai.i pas exam.iQé ·les tleurs.

(r) f. 127 e
tom. J, _p ag. 225).
'(2) Voyage de Koster, · Appendice, p. 484' (tom. II ,
1)ag. 47:;1 ).
/

i48 VOYAGE .
M. · Sellow .pense ·avec beaucmip de vraisem-
blance que cet arbre n'appar_tient pas au genre
de:s cocotiers. Marcgraf' Mawe et Koster ont
suffisamment ·fait connattre son · utilité. Les
folioles ont des fibres tres-fortes qu{: ~estent
à· nu lorsqu' on brise le parenchyme · qui les
recouvre ·; on les tord et on fait des cordes
fines, ' s?lides, et de couleur verte; qui servent
principalement à fabriquer ·d'eicell~ris ,~lets
pour la : pêche. Ce palmier est tres-commun
dans ce canton , et porte une petite noix -duré
et :r:ioire qui renferme un amande bonne à
rnange:r. On· prend les feuilles avant qu'e1les
soient dévêloppées, on les dépouille de leur
epveloppe, et, apres les avoir ·déga·gées du
mucilage c1ui les retient : collées, on. s'en sert
pour. -couvrir lés maisor1s.; on en fait aussi des·
na.ttes et des corbeilles -fo~t jolies~
Nous avons· trouvé daiÍs les forêi~ épaisses de
cet endroit -une quan'. tité de beaux arbres. L'ipe
était couvert de gra1l des flet.1rs-d'un .jaBne foncé,
une autre hignonia à fleurs blanches · croissait
da ris les marais. Le quat<;!lé ,. ou sapucaya, s'é-
levait au-dessus des arbres les plus hauts; il est
rem_arqua_~le par ses petites feuilles et ses fruits
pendans qui ressemblent à un pot muni de son
,
/
I

AU BRÉSIL.
c'ouveucl~ , et qui - renferment des amandes
:Qonnes à manger (1). Les s,inges, et surtout les
grands , ainsi que l~es aras ro,uges et bleus
(psittacus 1nacao . r;t araraunq,, L. ), en son~
tres:-friands. Sans l~s ailes d~~ perroquets e~
sans l'agilité des . si:oges à grimper aux arbres,
il est tres-difficile d' obtenir ce's fruits qui pen-
dent à une hautenr considérable: ordinairement
on coupe l'arbre; les lndiçns y grimpent à l'aide
des cipos ou lianes entorLillées autour des troncs,
ce qui leur facilite beaucoup le uioyen d'ar.river.
Dâns une autre partie de chasse__nous avons exa-
miné un palmier que ,M. SeUow. regarde com me
un ~louveau genrc : son spadix jaune était pen-
dant, le spathe, en forme de nacelle , ·était
gra~d, et de même que les feuilles pinnées·, d'uile
beaut.é remarquable. En travaíl1allt à abaüre
cet arbre, le bois en parut ti:es-dur; 'm ais des ·
qu'onfut parvenu auc_reur,. tres-poreux, il t~mba
• A '•
auss1tot.
' Le 16 septem bre nous pdmes congé de la
fa1nille de notre hôte, et noL1s no11s n1irp.es en

· (1) Ce fruit est représenté dans le cinquieme cahier de Ia


Ménagerie du Muséum d' ltistoire naturelte , sur ,la mêin~
iüanche que 'l'agouti. .

1
"
vóYA"GE -
roüte pour Ma'(~ahé. La plúie et le vent tró'ú-
blerent l'atmosphêre; nous né pumes jouir de la
helle perspectivê au pays ou la ·serra de I'firí
. ' \.

s'élevaitd'u milieu de forêtssÓmbres, et le ~Ôrro


de San-Joào se montrait dans ·ie lointain. La
route de ,..l'.'apebuçu au ·Rio-Macahé travers~
pendant quatrê legoas des sables profonds, et
suit presque toujours l~ bord de la rner; çà
et là des monticules rocailleux avancent au mi-
líeu des flots; ·on trouve sur lenrs flancs. une
qua-~iité de mousses et, de moules, mais d'es-
peces peu vari~~s. Un v.ent violent poussait les
lames contre le rivage oi.\ eÜes venaient briser
avec grand bruit. Depuis la plage s' élev,e une
~angée de colÍines convertes d'arbres et 'd'ar-
hrisseaux que le vent empêche de cro1tre
tres - haut' et qui ont l'áir d'avoir été .ras·é s.
N ·o us distinguâi.nes au milieu de ces végé-
ta~x une grenadille et tm cactus quadrap:....
gulaire ; tol.1s deux ornés de grandes fleurs
blanches.
Le printemps régnait dans cétte contrée :
jusqu'à présent nous avions trouvé le temps gé-
11éralement frais; il ne nous avait pas paru· plus ·
chaud qu'il ne l'est en Allemagne dans le creur
.-
AU BRÉ·S lL.
de l'été. Nous parcouru~es le dern.ier mille à
-
travers une antique ·et é'paiss~ ·foí·êt oú. nous
tuâhies des tou~ans; des arassàris, et le petit
cóucou noin1tre ( cuculus tel'?ebrosus ). Plu-
sieurs arbres étaient dépouillés de -I~urs feuilles;
car quoique Ia ph.1.pàrt les éori:servent pe11dant
l'hi ver;~ les especes les plus délicates Ies pérdent.
Presque tous faísaieht ' leur pólisse . en ce inb-
ment; les extrêmités €1.es brancÍíes, cduv~rtes
d'ctn feuiilage . vert foncé, offráiei:ít dê jehnes
f.euilles jamíé1tres ou d'un vert )aune, sotwent
d'u~ rouge doux ou foncé qúi or.ç.ent eitr~me­
men t les bois; d'autres étaient enfÍeurs, d'autres
• . i , r .
enfin porta1ent en même temps des fleurs et des
fn~its. Cette réunion du printemps et de Í;au-
tomne dans les forêts des tropiques présente
le coup cÍ.'reil le plus . intéressant aux yoyageurs
nés dans les pays du . ~ord. Nous arrivâmes ,
traversés par la pluie, à villa deiMacahé, s1;1.1· la
, riviere de même nom, qui se jette dan~ Ia' mer
apres avoir, dans son cours de quinze legoas ~
baigné la serra de·lriri : elle est asse~ considé-
rable. ·Lery dans son voyàge fai~ mention de
ce cantou que les in.d~genes nommaien~ Maq-
.Hé; il était aloi's habité pa,r des sauvages qui
l

VOYAGE
combattaient avec, Ies Ouêtacas ou les Goayta-.
casés sur Ie Para'ibaj1).
La petiÍe vilJa •de San-Joao de Macahé est
comp~sée de maisons éparses sur Ie hord de Ia
riviere · au milieu des bois. Le Macahé .décrit à ..
~on embo~lChure un c~ude aut~ur d'u~e 1angue
de terre saillante. Les maisons, quoique ,basse.s,
sont en partie propres et jolies, construites ~n
terre soutenu~ par des jarnbages de bois, et
souvent · e~duites de bla'nc. Des cours ( q,uin-:-
taes) formées par des tiges de cocotiers les
entourent, et · sont remplies de ch~vr~s, de
cochons et de volailles. Les habitans font un
petit commérce d~ farinha , de haricot~, de · ·
ma'is, de riz et de sucre; ils exportent aussi de~
bois : c'est pourquoi il y a toufours quelques
sumacas ou lanchas, espece de na vires cabo-
teurs, mouill~s devant la villa. On dit que dans
le Sertam., sur la partie supérieure de la riviere,
des-Indiens Garou]hqs, o :u Guaroulhos, habitent
dans d~s aldeas ou villages. L'ouvrage . intitulé
Corografia brasilica parle de cette tribu sous
le nom. de Guaru, et dit que dans la serra dos

'
(1) Voyage, pag . 53.
AU ·.·B-RÉSIL. 153
,.Orgaos on . en trouv:e ·enpore un .rel?te Hommé
.. sacouro~s, qui sollt · en~ier;em~nt civilisés;
mais ils ont presq~e entieren;i.ent.disparu; Iten
.~xistE:1 entreautres, ajou~e-t-on, Çan~ la .Fregue~ia­
de.- Nossa-Senhora-das-Neves (1).. La pluie .nous
retint quelques jours dans cet endroi~-, ce qui
nous donoa leloisir derassem~ler d.e s graines de
coulequin ( cecropia) et d'autres plantes à cap-
sules. Nous en partimes un _dirp.anche apres
ini<li.
Un~ pluie violente nous . surprit et nous ac- /

cC?mpagna, pendant une lieue et demie ~ a~


mili_e u des forêts et des broussailles le long du
bord de la _mer jusqu'à la fazenda de Baretto,
?i1· ~lous arrivâme~ pendant la nuit _et primes
possess~on d'une maison vide. Les prairies et les
forêts marécageuses q~e nous avions .traversées;
nous. avaient offert le spe,c tade d'une multitude
_d 'insectes luminettx qui volaient de tous côtés ~
entre. ai1tres le .taupin-lanterne ( elater nocti-
lucus ) 1 dorit Azara fait mention, et qui a sur
le corselet deux points verts , clairs et lumi-
neux (2).

(1) Corograjia brasilica, tom. II, pag. 45.


· (~) V~yages, tom. II, pag. n1.
r54. VQYAGE
· L'engorilevent étaít três-con1mun : il ~olait
doucement dans· les sentiers ol;scurs de la fo-
r êt, ·et se posait squveht à terre à nos pieds. Cet
oiseari a le cri tres-fort, et, suivanl le§ Portu-
gais, répete les mots joào corta pao, Jean
coupe du bois : il nous rappela la hulotte (.c;trix
aluco, L.), qui, au crépuscule, fa:i.t retentir sa
voix dar:is les forêts d'Europe. L' engouleve~t la
i·err1placé dans ce pays.
Com.me le. mau vais temps continuait, nous
restãmes le i8 septembre à Baretto, et nous y
augnientâmes rios cdll~cti~ms de plusieurs oi-
seaux intéressans. Dans un moment oi.1 je cher-
chais à surprendre- le coucou décrit par Azara
sous le riom ge ehochi ( 1) , que je guettais en
vain d 'e puis long-temps' je vis voler tout à coup
au..:..dessus de rrioi un cori.ple de milans noirs et
hlancs à qúeue fourchue (falcofurcatus, L.),
dónt la blancheur _éclatante éí:ait rehaussée par
la cbuleur sonibre des nuages ; j' en tuai un ' je
fue ·caéhai, et je fis aussi tomber. l'àutre, ce qui

(1), Coucou hrun varié de rowr:. Buffon, Hi.stoire natu-


relle, tom. XII, ·p;ig. 77, et planches enluminées, nº 812,
sous la dênomination de coucou tacheté de Cayenne ( cu-
culus nrevius ,- L. ).
AU BRÉSIL. i55
me dédommagea bien dü couc·o ü qüi fü'-avait .
~ch.appé. ·
Nous fumes bien contérrs de pouvoir ·q uitter
-Baretto, parce qu'il y aváit'dans éet endroit deux
vendás ou cabarets qui avaient occasionné· des
hãtteries sérieuses parmi ii0s gehs. Le voyage
.. · le long du bord dé la mer en állan t ah :ri.ord
e·s t péníblé ' à cause des sables p'rofonds/ qu' 011
y rené'ontre; c'est poul'quoi nou's ne so~­
in:es arrivés que füí·'t 'tàr·d à noti'e de's tination.
Noús avons vu sur notre rotlte de jolies haies
tle mimosas àutour de quelqu·e s járdihs' et u:ê,
cocotier cultiv·é chargé de fruits, cé qui est une
véritable rareté darís ceUe ~ontr~e . .Nous avous
traversé é·n sdite des ehamps de íhahioc. Les
plantes étaient bien align·é es 'e ntre des troncs
d'arhres abattus etbfulés; et buttées comn1e les
pomines de ·terte dàns nos pàys. ·p1us loin n 'o us
avóns trouve des .marecages ou cr oissaient <le
0

gfands arbres et des buissofts ô.e biguonia à


fleurs blanches.
Les ruines d'une maison considérable et
d'autres objets qui nous entouraient semblaient
annoncer que ce cantón fu,t auirefois plus cul-
tivé qu'il ne l'est aujourd'hui. Nous eumes· aussi
l'occasion d'y observer une quantité incroyable
156 VOYAGE
d' urubus ( vultur aura, L.) qui s' étaient ras,seín-
blés sur le cadavre,d'un breuf, e~ qui étaient si peu
farouches qu'ils partageaient tranquillement leur ·
proie ..-avec~ u~ gros chien , , et ne s'enfuirent pas
du tout à notre vue. Nous avons vu a~1ssi de'
grandes volées de perroquets à longue queue,
"
ou de maracanas et de périkittos, qu~ remplis-
saient l'air en criant de toutes leurs forces. Tous
ceu.x que nous avons tués avaient le bec bleu;
pour av~ir rnangé t.~n fruit qui venait de múrir.
Dans un endroit de la forêt . ou les arbres étaient
.
tres-hau:ts, nous avons tiré des toucans; sur les
branches sêches et les plus élevées des arbres'
nous apercevions ordinairement des oiseaux de
.p roie solitaires qui se tenaient auxi aguets, sur...
to'Qt le faucon couleur de plomh (falco plum-·
beus, L.) , qui se précipite d'un vol hardi et
rapide sur la pmie qu'il a ape15ue.
Nous vimes ici entre autres arbres celui qui
est nommé teJJ,to par Ies Portugais (1). Ses
feuilles sont d'un vert foncé, et pínnées·; il porte

(1) Ormosia coccinea. Jackson~ Transactions ofthe Lin-


nean society, Nouveau genre qui a d'abord été · trouvé en
Guiuée. Il ne se trouve pas dans le Sp<fcies .plantarum de
Wildenow.
AU BRÉ&IL.
des gousses courtes et larges qui renferment
des graines. d'un rouge vif dont les Po~·tugais se
/ .
servent com.me de marques au jeu (tentos).
)

Nous n'en virries pas les fleurs. Les bujssons qui


croissent dans les sables de -ce canton produi-
sent une quantité de plantes intéressantes. Dans
les 1endroits rnar~cageux ·nous avons . trouvé
....
un arhre haut de huit à dix r pieds -qui porte de
grandes fleurs blanches , et qui parait avoir de
l'affinité avec le bonnetia palustnis _; une belle
espece d'évolvulus (1); une petite casse à fleq.rs-
jaunes; une asclepiadea ( 2) rampante à fleurs
blanches et ro~es; une androrneda (3) à fleurs
rouges; les deux especes· que nous avions déjà
vu.e s au cap Frio, et plusieúrs autres.
Ver~ le soir notre c:aravane atteignit le ~ord í

de la mer; les ruines d'une ancienne Ghapelle


1

dans un lieu triste solitaire ~t sablonneux,


;

étaient parfaitement en harrnonie avec le fracas


des vagues qui.brisaient sur le rivage; des bois
tres..... bas et rabougris qui ~e pi:olonge.a ient jus-

(1) Nouvelle espece dont ni Persoon, _n i Wildenow,


ni Ruiz u'ont fáit mentio11.
(2) Echites.
(5) Nouvelle espece : ses fleurs sont d'uu rovge vif.

í
VOY:AGE
qu'aux forêts dans l'Oues:t attestaient la v.~o­
lenc e des vents qui regnt;:"ot . dans ce ca~ton.
No.us av.o~s eontinué à m.archer jusqu'à la nuit
le long d'une la,ngue de terr~ étr.oit~ entt:e la
mei: agitée et une lmigue labgune' et rious som~
rnes arrivés à Paulista,. ber.gerie isolée, 011 .nous
. n'avons trouvé pour apaiser notre, faim qu1 un
peu de -fari~ha pour nous et du mais po~r nos
chevaux,~; Heureus~meqt nous nous étions. pour:::
'VUS à Baretto d!une petite quantité .de viande
des~_échée (carne s.ecca) et . de haricots (.foi~
goiis ). La maisoii éta,nt assez grande, ~ous y.:
sommcs restés toute la journée du lendeinain
pou11 nous -reposer de ·nos (atigues.
Nous av ons tué beaqcoup d'huitriers . du
Brésil (haematopus}., qui couraient ·en t_roupes
le long_de la côte- dans les forêts e:µtremêlées
d'un gr:a,nd nojnbr e de . cocotiers, et divers~s .
petites chop,cittes que les habitans appellent ·
0:ab.<Juré. ' ~ais qu'it ne faut pas confondre
ave~ celle que Ma:i;cgraf :ç10mrp.e ainsi ( l ). Ce,t te

(-1) StrLr:. ferrugin ea . Longueur : six pouces sept Iignes ;


couleur de rouille ; taches jaunes, p àles ou blanchâtres. sur
les plumes scapulaires et le~ grandes pennes rectr-ices; une
gran~e tach.I} blanohe au-dessous du cou ; · queue couleut de .
AU BllÉSJL.
cho11ette 11~.uvelle pçirçiit ~voir d.e l'affinité avec
~~ cabure · P,' Azªra. Nous avons abanu · plu-
- '

~ieµ.i's, p<:ilmifit~s abondans eq. ce lieu , pour


a. v.o,ir ~~Pf mogl}~. Cet arbre appartien,t aux plus
élé6f\.PS et aµx pl:gs sy~ltes , de la forme des
coçQt~ers.. Sa t~ge e~t ~:pin~~ _, ~lancé,e , ~nn..el~e.
Sa ~im.~, cpmpo~ée de h.~H ~ diifeuille~ pino~~~,
d'un vert brillant , s.e b~lance. ~í\j~slu,eµ~~Ill~~~t
e:q l'~ir. A. u-:-qE'.s~o.u~ çle ce be~q p.;rnªçh~., sa
tige Çl'u:q. . gril? ~rg~pté oJf.re à &on . 4?~tré:qiité,
u:µ h<?.L~ton qu! ~ fo. verdqri vive du :f~uilla.ge,
e! (\ans )~ p.é.\rfü~ s~péáeure dm.p~el le~ j~unes
feq_íJles ~oqt roulées et pli~sées le& 11n~s sur
l<'?s a1Jtr;~s: elle~ ren,form~i:1t dans leur centve
les fleµrs p. o,~ ~pq~re dév~Jopp~es; ~eU~ qni e &Í
d~jit ÍQpn.~e \l,1[,Se ~o:q. s,p~!be ver.4oyªnt: $i l'Qr!
~º~W~ l~ po.u.tor~ ~ l'e.1f,tré_cp.h i e!~ la t~g~ ,· qq. ~~
Sp~Jh~ qe~ j1e.u.q.es :fleprn, qq C!J: trOlJV~ l'iqt~-:;
ri,e ur ~i t~_n,dr(( et s~ ' ll.\<;>-elJ~~~ ~ q"H'ml le pegt.
ina:ng~~ çru ~ m.~is . cnii H
~~.t f!l\GOr~. plgs Sf\-:-;
v.o.uretJ"F· . ~~ .poi~ PE'. Ç!3.\ ~i;-br~ ~~t fqp~ çl.u:ri
nous epmes heaucoup C!~ p_eil_l_~ ~ !'~~~!!!'~ ª~e9
la s~rre (jaçq_
o ). ~E} pa!n:ü~i:- tµç;µw fü~µris~ait
r

rouill~ uni~; y~~tr~ jau11e ro.n~fl,i}.,t·t e ç~a\r '· t:D-~!é d~ q!l;l.lll?'


avec de longues i·a1es brunes; íris jauue foncé ..
160 VOYAGE '
aussi .dans les Iieux marécageux; et · dans Ies
plaines . sablonneuses ouvertes, une nouveUe
espece de stacbytarpheta fort jolie, · et un" beau
cactus conique, semblable au ·mamillaris; qui
à sa partie supérie ure renferme une laine blan'-
che au milieu de laqnelle se ·trouve sa petite'
fleur d'un rouge foncé. M. Sellow regarda '
cette espece comme nouvelle.
Nos collections d'oiseaux ne reçurent pas en
ce lieU: un . accroissei:nent conl?idérable; car, à
l'exception de quelques oiseaux de mar-ais;
nous n'en rencontn1mes pas beaucoup de nou-
veaux. Le sabia da praya ( turdus orpheus, L.),
dont Ie plumage est peu éclatant, mais qui
chante admirablement, et qui sous ce rapport"
est un des plus remarquables du Brésil, , fait
entendre sa voíx méladieuse tout le long de fa.'
côte sur les buissons ou il se perche. Le petit
gecko blanchâtre ( 1), qui court sur.les rnurs les
plus' droits ,. était ·comniun dáns les bâtimens; ·
de ·m.~me que le lézard. à collier noir ( 2). Ils
/

.
(1) C'est vraisemblablement legecko spiricanda de Dan-
din. ( Histpire naturelle des reptiles, tom. IV, pag. 115 .' )
(2) Stellio to1'quatus : il paraít avoir de l'affinité avec. Ie
stellío quetz-patéo de Dandin ( Hist. natur. des reptiles,

/.
AU ,BllÉSIL.
abondeht dahs toute la con_trée qti~ ai vue. f
Sur le ri vage nous tro\lvâmes peu de moules~ ·
L~s branches des arbrisseaux, dans les .n~àrais ,
servaient "ªe support aux · ºn ids pyriformes eIÍ;
tei;re, d~ l'espece de guêpe dont j'ai parlé p.lus-
ha'ut{ 1 ).
En quittant P:iulista-, ·nous .suivimes les
dunes. De vastes maráis et des lagunes con-
vertes de roseaux, dans lesquelles les · b~ufs
et les chevaux .; en nombre cpnsidérable,
ont de l'eau jusqu'à la moitié du ventre ,·e~

- .
tom. IV, ,pag. ~6 )._La coulenr de cette espece varie beau-
coup ; · l'auimal · a dans sa. .j~unesse , ,, le _ long . du dos, de ,
longues _raies_sombres qu} disparai ~ seut avec l'âge ; il de-
vient ensuite g~is ~~·gen_té, a vec des. refl~ts pourpres ·~ t e ui...:.
vrés et comme parsemés de points clairs : toutefois , le
caract-tlre distinctif de l'e~p êce e ~ t im1rrnahle ; c'~st une ~
tache noire ~- oblo~guê', a'u c8 :é du cou' , en av.a -i ít d e l'é.,.
paule,. et trois . rnies l sombres qui is'élê_v ent perpendiculai-
ren;eni:· au-dessus de .la . paupiere fe.rmée.
' . Les descriptions
.
du qu~tz-paleo.r son.t eu' général trop incompletes ; cepen-
dant il. est, im eossible . de le méconn~.itre. Le lézar.d à col-
lier no ir porte le nom de lagarta le Iong de ' l~ . côte
. ) . (

orieutale.
~ 1) Pelopf!Jus .lunatus, Fabr.
I. 11
VÕYAG~
pàissant, se pi·ôlongertt _vers l'intérireur du pays.
Des cfl!tãntítês de van:raaáux .( van'ellus cayen"'"
•I nénsis ), de hétons ! d~ n10uettes, d'birondeHes
. de mer et de ·caniái·els , rem1:>lissaient ce -canton.
lJés -J~nheáúx queí·-'qrter, ·d :0nt j'ai .tléj·à ~ parlé
cornme d' oiseartx tres-incommodes p~u.r les
chasS-eu r~ ·, vole'tín:l'e ru~ine que ceux c1l'1Europe
autour de la tête· de quiGon.que s'approche de
l'eur riid. ' ,
Les brou~saiHes dê s dunes consistent ord.i....
nairement e:n br0n1élias ét. en cà'Ctu~ 1nêlé's .à
. diver~es plan!es à feuilles. Les fleurs blanches
des cactus à tiges verticales ve~aient a-e s'êpa=-
noúi°r; qhôi'qu'e ·plbsi'etí'r s·'individús -eu:ssent -ll.e·s
hranches à ' cinq ét à ~ix abgté~, 'íls p~il·~isS'ént
appartei:iir tous} _ui1~ '.Se'r ile ' 'e spêce' oú' e.h' 1für-
mer .tout au plus ·~~Üx, car . ce ·s~ngdli.e'r végéta'l
épineux offre, .~uiv~11i ~on ~ge, d~ grandes . va-
riétés dans le nombre de s~s . ~n:g1e&; ,. Ü 1est
_, tres-·dangere-uoc "p0u1".fos -p reds de.s -mulets et ·de.s
t'h'é'v'á:Ux qui vóyagerri; ·um . p~qúa11t:cq1ui . pénétP~
Cfán's ·le -slàh'dt ·ott ~lJ.rà'ils la joitttl!t1re d'un ··d e ."ces
'ânhnaux·rie"t.àr'd'ésf>·a s à 1le.ir-d hdNd1birteú-x.'
·Nous -avons úou"vé i:làfis r1e ·sãble i'é i'tirniJ-ra
ulmifolia, et ~Ums les ~1arais dehx esp~~es" i:le§
n~mphcea à fleuh blãhch'és·; \'in'°dicâ ~t "Ó'!l~.
aUtt1·e lllQmrné.e erosa pa,r M. Sello;w ; 1celle-ci
;i ,des .flem:s tr,.e\)-gra,u des.; e:qfin uµ .gran<;l flu-:-
.teau ( ali$ma) à flel,lrs :QlaQches ., ~t ii. fe,uiJles
.:.é tr.óit.es et .aUon.gées, qui p~·oba;blem,en.t e.st de
mên;i.e no1,lv.ea.µ. 11 lll'était 1pas facile de .cueiJli'.r
.cette helle plante qui croissait au milieu des
tmarais. .M. Sdlow s'e,nfonça profondém~nt
:dans l'eau , et la .va;Se noirâtres; ;j.e n~el,1s· ipas
.une meilleure chance en ehercha:nt à at-
~tr.apper les oiseau.x. des marécages.
Ce:tte va,st~ Jpl,aine dé_sert~ e.s t rempH.e de
.bcreufs·ierF.ant <:;n :lih~rté à c:;inq e,t ~ix ;n ·i ilJes ,de
di:Stílnce çle t.onte . hal::iita~iqn buma~ne. Çh,a q1w
~propr,ié,taire . de~ :fi:i.zendas voisines .rassemhle
.un.e ou d.e·~ ._fois p;ir an- dan;S un , cqrr~l, ou
-em:p1lacemen.t ento.µ i:é de pieH_:x , .tqµs )es ,ani-
. maux qui lui appartiennent; ils sont con:~pté:s
-~t- rma.rqu.és_. .
N@u.s avon,s f,ait .bali-te au . corral .de B51ttub,a ,
.êloign:é de qinq,légo-as·.de .P.a1uli§ta; il .coJnpr~µ~
-dans .son .~Rc.einJé . l!lr:te grande. çahane .~n t.~rré.
,La .plai~e . d Z<;ilentour (campo) .s'éteµd à .per~
.d e _,v ue. Les . e.auoc .restent ·f r.é quemment _(il~s'J[l~s
~-lieux le.s p1u.s has , ce <qui domile . nais~ance .à.
-des la:gpnes. 'I'out l'~~p~ce ..;est. _rievêt-,.i d'une
·<he11be cp.u11te, ,q:ae pai&sent ,l«ts .best.\;;tux ~rr,~ps.
:VOYAGE
Quand on s'approche d'eüx ils Ievent la tête
_ en l'air, respirerit fortement, et s'enfuient an
,g alop, la queu~ élevée et flciúante.Jl es:t tres-
remarquable qae, grâc~ à l'activité et aux soins
des Européens, cet ariirnal utile se soit déjà ré-
pandu sur la plus grande·partie du ·globe . Dans
lé nord, le breuf -i:>ait au milieu de forêts de
·houleanx, oi.1 le sol est'.durci par la-'gelée : ·dans
la zone. tempérée, c'est dans 'd e charm.antes
prairies entre âes bois de , hêtres touffus ·;
dans ·les ·· régions d'u Tropique, c'est . sous
des hananiers et des : palmiers ; dans .les : iles
du granel Océan·, e' ést sous des ·rnelaleuca,
des metrosideros ; des casuarina. Párto\1~ cet .
aninial indispensable ·à J'homme ·civ.ilisé pros-
pere et lui ·assure l'accroissement· de son bien-
ê 't re·. ; 1 , • _: ~
A l'approche de la soirée, la · troup.é éparse
-de nos chasseurs se réunit · pour réparer . par
-un bon repas les fatigues de la journée; . ma.I-
·henreusen:ient.nos prov.isions n ' étaient pas suffi.;.
:.sant'es~ pour noQs satisf~ire .tous. CepenÇ.ailt,
comme il était inipossible qu'une '. compa:~rnie
'de chasseurs souffrlt .de la , faim aU milieu de
troupeaux --de bestiau~ sauvages , : noQs , c·o u-
rúmes d 'a ns la ·plaine, · et nous ··nous parta-
. AU BRÉSlL. 165
gec1mes sm· une longu.e ligne , espérant bien
tuer un jeune breuf; la nuit vint trop · tôt,
les bc:euf~ étaient t1·op farouches, nous eúmes
les pieds blessés par , des piquans · de ç_actt1s
épars sur la surface de la pla{ne; il fallut -donc
pour aujourd'hui renoncer à notre dess~in
et remettre au lendemain la chasse commandée
par l'appétit.
La maison oi.i nous passions la nuit tombait
en ruines; la pluie pénétrait à t:ra:vers les ·trous
du toit; couchés dans nos hamacs, nous fúmes
tourmentés par .des essaims de ·bichos do pe
( pulex penetrans) qui nous laisserent gouter ·
peu de repos. Le lendemain nous en tirâmes
de nos ·pieds eles quantités innombrahles. Cet
inse·c te, tres-com.mun dans toutes les. niaisons
inhabitées q\li se trouvent dans· les lieux , sa-
blonneux, s'introduitdanslespieds, danslevo{-
sinàge de là sernelle; dans les doigts ,<les pieds,
et aussi entre les ongles des mains. II n'est pas
vrai qu~il entre jusque dans les muscles; il se
iient toujburs entre cuir et .chair. On s'aperçoit
bientôt desa présence à une dérnangeaison tres- ·
vive , qui finit par devenir une douleur peti con.. '.
sidérable ; alors il ~aut creuse'r avec une aiguille
dans l'enclroit qui fait .màl, en prenant bien
VOYAG~ .
gar.d e de rié pas érever son corps épii tessemhlé
à une vessie, et qui est rempli d'cêúfs (t). On
fait bien , pour éviter l'inflariuilation, quand
l'ahimàl à · été en:levé ; de ~frotter la petite plaie
ávec du taÍJaC en poudt:e OU de l'obgue'ht ha-:-
silic, qui se trol_ive chez _tous les apdthicaires
du Brésil. ·
Cette nuit désagréable fut suivie d'rtn jour
SOn;bre et ·pluvÍeux ; mais ilO_S eStQillâCS DOUS
rappeletent bientôt 1a chasse de lá veillé, com-
niencée et inteíTonipue. Le . b~tail épouvante
courait de côté et d'autre; nós m'.ulets servirént
à le poursuivre. Erifin on tua un breuf d'un
coup de fusil; il fut bientôt dépecé, e~ lorsque ..
éhacun eut été ra's sasié , on se dispersa pour
la chasse. Elle fut heureuse. Francisco, l'lndien
Coropo, tua un ibis à face co'uleu~ de .chair, dé-
crit par A'z.a ra sous le rtom de eurucou rose (2)';
d'autre's·'chasseurs tuerent deux especes de fau-

( 1 ) Olof Swartz s~1enska Petensl:aps Acaâellliens nya


handlingar ( Nouveau.i; mémoires de ·l'académie des sciences
de ,-:;uede) , tom . IX, 1 7 88 , pag. 4o, etc., avec figures. Cet
insec te est conliu sous le nom de chique dans les colonies
frança ises; Marcgraf lui c!onne' celui _de tunga. (E.)
( 2) Voyages, etc., tom. lV, pag. - 2211.
flOU~: l'un~ lJ.ll, jol~ ~n!hn:\ .n.~~Vef!.µ (1) qui, d~ ­
mê.rne qu~ le falcQ c.y,q;neu,~, ·a· l:;t t~t~ gatµl,e
de phitn~s di&pQ&é.e s e1~ ruyçm~ con"'me Je.s
cho11.eite_s; e~ lé falp.q b_u/iq,rellus qvi ~ le PQrps
rot~~etlà têi~d'q.n hiélpcj~µpâtr.~, J~ t•~OJH'ií.l-i 1.we_
li
de notre rnaison un nid de bentavi (!q.n,Íl,f§. JÚ~
tangas) av.e·c des reufs; il a la form~ d~µQ fo11r.,
et est fermé p?r en ha-qt. , ·
A .u d:e Battuba, de gr~n.d~.~· lé!gY.n~~
n01~d
qui ~/étendent dans ]a plaine fou.cniiJl~irit de
canal'.ds, de hérons et d?autr~s oiseaux smn-
blables. C'.est un des end1·oits ou l'on peut le
mieux les étudier. On nous avait dit qu~ nous y
• trouverions ia- jolie spaiule c.oufour de rose ,
nous y - en v1mes eifocti;v.e~ent le.s premien~s;
·eU,e s étaient réun.ies a~ nom?l·.e . d?qn~ tn~;1.1tain.e
dans un lieu marécageux, et offraie:rit à l' reil

(1) f?aJ,cQ palu~/ris. ,Lo,ng~e11fr , d.Qc.-:u.~m.f p.o.~_Ce§ huit


i.ign~.s. Une co lJ.er~t~e d~ pl~rn;ie~ blanc jauni;Úre .mêlé de
· ~brun noi~ e;1tou:i:~ cha1ue ~6t~ _pe l~ ~ê~e/ ~1~e raÍe blan-
c4âtre r~gne ª\1.-dessus de l'cei.l; le dessous _est jaune rou-
ge~tre pâle, avec d~s raies longitudinales brun u'oir; ' te
dessous du cou brun noir; les cuisses et la queue d'un rouge
de rouille; toutes les parties supérieures brun uoir; plumes
rectrices et dela -queue ;bfou cendi-é, a\'ec des ban!ilesJrans-
ve1's'a les brun noir,
VOYAGE
l'apparence d'une grande tache rose. Nos chas-
seurs s'approcherent avec. la p~us grande p1·e-
caution, et lorsqu'iJs en furent pres se cou-
cheren t à terre; ce fu t en vain, les oiseãux
effa1·ouchés s'envolerent, on leur tira. des coups
de fusil en l'air avec aussi peu <le succes; nous
filmes réduits à parer nos huttes av-ec qu~lques­
unes de leurs grandes plumes que ~1ou§ trou-
vâmes dans le marais. Des hérons, des ibis
noirs e1)' des cam1rds, des vanneaux et de& cor-
morans animaient toute la contrée. Les 1agunes
étaient séparées l'une de l'autre par· des digu~s,
sur lesquelles croissaient des buissons, oii les
oiseaux de proie se tiennent toujours ·en e1'n-
huscade : nous en tu<1mes quelques-uns. Sur
les bords d'une fogune j'aperçus l'anlÍinga que

.C5) Le guara ( tantalus ruber) se distingue avantageu-


semenl .. par sou plumage d'un rougc éclatant, dans la nom-
breu~e famÍlle eles oiseaux à be~ en faucille qui habitent les
1narécages du Brésil. J e rt'ai trouvé ce bel oisean en aucun
eudroil de cene cô.tr.. La Corografla brasitica ( tom. II ,
pag. 19) constate qu'on nele rencontre plus à la Ponta-de-
Çuaratyba, ou autrefois il étaitextrêmement co1n;mun. Hans
~tad e n nous appre1;d que les Tupiu-lnbas tiraient de cet
endroit les plus belles plumes rouges du guara ponr se parer.
AU BRÉSIL. 169
je.poursuivisinutileinent. Aquatre oucinq lieues
de Batiuha on árrive à la Barra .do Farado ou
la Iagune de Feia communique avec la mer (1,) .
Nous primes aussitôt des mesures pour faire
transporter en p1rogue, à l'endroit ou · nous

(1) La lagune ~e Feia cons!te en deux parties réunies


. . 1
par un. canal. Sa fonne n'est pas représentée avec exactitude
sur• 'ma carte parce ·que je n'ai fait que la traverser eu pi-
rogue, et que je n'ai pas aperçu toute sou étendue. Suivaut
la Cor~grafia brasilica ( tom. II, pag. 49 ) , sa pa~tie sep-
tentrionale a eu virou six legoas de long de l "est à l'ouest,
et quatre legoas de large : la partie inéridionale a· cinq le-
goas de long sur une et -demie de large; l'eau en est douce_,
elle est poissonnettse. Les vents agitent ordinairement sa
surface _, de sorte_ qu'elle l!'st souvent dangereuse pour les
pirÕgues ; elle n'est pas assez profonde pour que Ies grandes
embarcations y puissent naviguer. La Bana do Parado est
bouchée ~ l'époque d~s basses eaux. Toute cette contrée con- .
tient le long de la côt_e maútime une grande quantité de
lagunes : plusieurs ne sont pas marquées sur l:a çarte. Avec
cette ahondance d'eau douce et un sol tres-fertile ; cette
étendue de pays pourrait devenir une des plus fécondes du
Brésil, si elle .,.était hahitée par un peuple plus industrieux
et plus actif.
La carte d'Arrowsmith marque la communication de
la lagune de Feia avec la mer.
. VOYAGE
Jevíons faire halte, et que nous apercevions ,

notr'e bagage et quelques-uns de nos chasseurs
restés en arriere. Un homme qui derneurait
seul à la Barra do Farado nous loua sa grande pi-
rogue à cet effet. Ensuite nous ' continuâme&
notre marche le long des· dt.ines : nous nous
divertissions à voir les divers oiseaux de rivage
attendre qu'une vagnf\ eut- hrisé sur la plag_e
pour ' y recueillir une quantité de petits in-
s'êctes. De pauvres p~cheurs qui habitaient dc:;s
cabanes sur cette rive solitaire nous rnontrere11t
le chemin que nous . devions prendre. II était
bordé du côté de ferre par de vastes marais , _
dans lesquels paiss.aien t un grand nombre de.c he-
vaux .et de h.ceufs. La quau:tité .d'oiseaux :;iqu.a -
tiques et des marais qui se trouvait _.er;i çe lieu
était vraiment prodigieuse. Des -troupes in- ·
nombrables de l' anas viduata, et l' especenom-
mée ipec~turi -par Azara ( 1), s·' envolêrent à
nos prerniers coups de fusi'l, et formerent en
l'air comme un nuage épais. Ce canard est
Ie plus commun dans les parties du Brésil que
j'ai ;parcqurues; il a le cri aigu_et Pépaqle verte.
(

( 1) Voyages, tom. IV, pag .. 345.


AU BRÉSIL.
II -commenç.ait à faire sombr~; un negre qui
nous servait de guide nous mena au travers
. \
de l'eau à une 1le ma1·écageuse, disant que son·
n1a~tre viendrait nous chercher en pirog~e à
cel endroit, pour nous transporter au-delà de la .
] agune; n1a1s nous ne vunes para1tre personlie.
• A A

Comn'le nous étions menacés d'une forte pluie,


·quelques - uns de nos compagnons ptopo.'...
serent de retourner à une petite cabane éloi-
gnée d;m1e demi-lieue, da_n s laquelle nous avions
vu une demi-douzaine de soldats qui veillent à
ce que·l'on ne fosse pas la contrebande des dia- -
mans qui viehnent de Minas Gera~s. On sµivit
cet avis; les soldats allumerent un bon feu,
nous régalerent de farinha .e t de viande sêche, -
et nous eausâmes · avec eux pendant toute la
soirée. Ces soldats de milice ont le teint hâ~é
par le soleil 5 ils sont vêtus de chemises et de
pantalons de coton ·b1anc ; ils \ront le cou et
les pieds nus ; ils po~tellt de même que tous
le s Brésiliens leur ·chapelet suspendL1 au cou;
ils n'ont pot'lr arme qu'un fusil sans ba'ionnette.
La 1agune dans laquelle ils pêchent fournit à
leur subsistance avec la farinha et la. viande
sêche cp1' oi'l leur donn~. Ih font sécher lé'
poisson à des cordons de peau de · breuf ten-
172
/ VO;YAGE
dus aupres de leurs Jemeu;es. La cahane con-
tenait ph1sieurs chambres oi.1 l'on voyait quel-
ques ha.mai::s et des escahelles ~e bois. '
Le lendeinain n1atin nous v1mes arrivef la
pirogue avec les chasseurs; occupés la veille ~
· poursuivre les canards, ils avaient été surpris
par Ia nuit. · Nous commençânies alors 'à tra-
verser Ja lagune ' en pirogues, ce qui exigea
plusieurs voyages. Des qu'un détachemeut avait
?ébarqué, il se rn~ttait tout de suite à chasser.
On · tua entre autres le ca'rao ou · ibis à face
ro.uge, et le cara cara (falco brasiliensis ). Réunis
sur l'autre rive de la lagune, nous nous y
sommes trouvés dans une position tres-désa-
gréable ; nos rnulets qui paissaient dans la
prairie avai_ent ~ui ~i des chevaux, de sorte· que
, nous reslâmes toute ·Ia . journée . exposés à l~
pluie qui tombait par torrens; enfio, un pêcheur
qui arriva dans la soirée' nous condui~it .à sa
cabane oi1 nous attendhnes nos animaux ·é gar.és.
Nous nous mimes ensúite en route à travers
des halliers, jusqu'aux bords du Barganza, ri-
viere EJ.Ui sdrt de la iagune de Feia , et nous
y funíes reçus de la rnan_iere 1a pJus cordiale
dans deux pauvres cabane~ de _pêcheurs: cha-
cune consistait en un simple toit en roseau qui

:
AU BR~SIL.
posait sm· la terre; elles ,avaient dans l'~ntérieur
quelques séparations; notre troupe étant tres-
nombreu~e' , nous ne puiues toiis y trouv~r.
place :, ceux qúi étaient .a·c coulumés à supporter
en plein air . les nuits du Brésil resterent en
dehors. N01;ts autres Européens nous nous as-
s1mes avec la. fa~1ille des pêcheu:rs sur _]a paille
1

autour du, feu; on nous régala de__,p oisson étuvé et


de farinha. L'hospitalité et la bien veillance de ces
braves gens· allégerent nos fatigues et nous fi.rent
oublier l'incodimodité de notre g1te. Dàns celle
·ou j'e me trouvais, u1i'e grosse fenrrn.e tres-ba-
·varde? à peau un peu )a une, et tres-légere.ment
vêtue, domináit exclusivement; de i::nême que
la plupart des Brésiliennes de i'a cla's se infé-
r~eure, ·elle avait 'sans cesse fa 'pip.e 'à la bóuche.
Les Brésiliens font · plus généralem~nt risage
pour fum'e r de Gigares ,de papier- : qua_n d il~ ·ne
.s'en.servent pas, ils les mettent derriere l'oreille.
Cette maniere de fúnier ri'à-pas · ét€ apportée au
Jikésil par les -Européens ; ·eUe·- viént des Tou-
-pinamba~ et des -autres 1ndiens de~ ~ôtes. << Apres
')> qu'ils ont cueilli le pet;un, dit .Lery ; ·~t par

>> petite poignée i>endu et fait sécher en leurs


); ·m aisons, ils en prennent quatre . ou cinq
l> feuilles qu'ils enveloppent dans ,- une autre
I

~- ·' -
i>> ~,ra:nc.le femlle d'arbre. en façon de ~orn.~
)) ·d 'épices; metta;ntalo1·s le-feu 1par le ~petit bot'.it_.,
-)> et le metta.nt ainsi allumé -da:Qs \eur houeh,e_ ,
)) ils en .tire.n.t en oett.e façon la fliu:née{ l ). >> ;
Les pipes dont l~s pêcheurs de .même q~~ les
.pauvres gens et les u(,gres du Bresil {9p.t 1,.15age _,
,c ·q nsistent .e n une petite têt~ d~"'~gile uoirâtre
à 1aquelle ,e,st adapté un ti11yaµ . fait de 'la tig.~ da
.s amamba.ya (m.er:tensi(if, diclzo_tomçi), .esf!êoe ,d~
grande fouge,re. Mais 1a géné_ra-lité d~ l)résih~ns
de to.utes les . .classes aim-e :bie.n ·i;;n.ieu:x prenãr:e ·l~
)

tabac .en pol,ldre .que fume.r. Le pauvJ?e ~ esclay~


asa tabatiere q-µi -est ,ordiqait-emeut de f~r . plane
9U. .de con;ie; ce 1~?est quelquefojs q:µ~uu bput cl:~
co.r.ne .de breufa~_ec un hoµchon.
pes que lejour ,parut, les pêcb,eur.s c_éc~teri~i;it
Jeurs prie:r;es ,flvec .b~a,,l;Goup de ,fe1·v0e'Ulr,_ p ·u.i:s
Jav,e renil ]el,lrs .e~fa~s . ~ve_c ·:<ile J~ eªiµ tieàe _, u.sage
_général par.mi J~s. Po.r.t;U;gª~., , w~i.:t> . <j!U.i p.araissait
,ne p,as .P l a~e . .a' .ceHx qu.o:µ
' . :Q·,_ll
y _,soi,lmettaJ,.t.
-~t.endit. des natte,s de •·QS'3AL!.K ·dev_pJ.lde~ -cahanes~,
.on appqrt.a ~dµ ,pQisson, ,et.n ,QtJS nou..s .as.sim.es
0

.tous à t~rPe <:J>O\:tr . déj;eun.:er. rL e. irepa.s .fini_., .le:s


,


.A'.U ·.BR.É$ilL.
p:ê cheurs preparerent leurs- pirogues 'f>OUr ra .....
mener nos mulets à fa nage le long dlil. ;Ba~ganza.
Cette riviere est _Te~1,lie pres des huttes -de -·.
grosses ·toúffes de roseaux daris JesqueUes -ni-
chell't des quantités ,innombrahles d' oiseaax
aquftiques, ·s1:1rtout de hérons, de cormorans,,
de !poules ·d'eau.., de ·plongeons, ~te. ; -ron y · vo~t
·mê~ne ·q trelquefo.is des .spa.tiules. Parmi les ;pê-
-éhettr-s qui ~rep-t -trl:i verser ~l'eau à notre .tropa,
·:je distinguai un ivieillar.d a:vec une longu:e baube;
il ~po1'tait un sabre au ,côté. . 'Un. :plu~ jeune
~'on·ta,.' un petii iZh-eval, et nous ipromit de nous
.:tllontrer ile' chemin .au ·tr.avers de Ja ,plaine inon-
·dé'e. -Sa inis-e rétait originale : iLavait ·un :petit
'ffiaD'teau cl.re\drtip., une ·veste courte, -.des culottes
-qui 11'aill~i'ent :pas_au . genoq, :erifin des éperonis
í3.ttachés· à ·ses pieds nus. C ·était Ú.rnh-on'lme :b.cm
.et"0pligeant; -il allait · toujom~s · en avant · ~ans la
íp~ail'ire- ou . l'ea1x .tfans queil ques parties etait
1

tres-haute, et che.11cha ,, ,l'f9n ·san·s '. dangrer , ~ le


·i:rieiUeur ~~lli.!ení.:in ., · qui isán:s doute qJa:rurt :«ésa-
~éahle ,;à •tte>!s ~mtdets, ·car . leur~ mouverooren.ts
nons :~faisaient _,êprou:v:er .sans '.cesse .Jes ;aJa<r.mes
·~es tnieux. 'fontlées- de· l:e~r .voi'r :i_eter ·notne:.ha-
·1gãge da-'rls~ l'-ea'N..."La plui::e·q11i b.:>lll.bàit pav to trens
1

-áj Bttt-ait en~o~ à' ia0tr_e ~mbaVJ'éfS' ~q.;outef.oisnous


/
·voYAGK·
arrivâmes sans accident à l' e_x tréniité de la vaste
prai1·ie que nous traversions~
Ayant débargué prês de · l' église de Sainti-
Amaro,, qui est .entierement isolée, nous par_-
cour.u mes une plaine verdoyante qui s' é.tend à
perte de vue. EU~ fait partie des plaines des
Goaytacas~s qui se prolongent jusqu'au Paraiba,
et dont Villa ·de San-Salvador tire sou sUrnom
de dos .campos dos Goayt~c~es. Sur" les pe-
louses ·de cette cont'rée, de m~n1e qu·e dans
tous les pâturages de la côte orientale 'du Br~­
sil, cro!t ]e s~da carpinifólia à tige ligneuse
et frütescente et à fleurs jaunes : cette. pJante
est ~res-touffue, et sert fréque91n~ent de retrai te
~ ·uríe espece d'inamba à laquelle on a ; donn~
le nom de perdri:s. ( perdiza ). _Cet oiseau, -en-
. core .peu ·connu, 1~essemble par le pluinage à
no.tre caille ,: il est pourtant un . peu plus guos,
~ et j'ai 'éprouvé qu'il tient ·ies chiens ~n árrêt
~omme -la l perd_ri~ d'Europe. _ .
- , Nous av?ns voyagé t?ute la ·journ~ée da:ri.s ces
pâturages oú · des bestiaux paissaj·ent ·en grand
'1101).'lbre , et nous sommes .a,rriV,és le soir' à Sar~:­
. Bento, grand monastere ou nous nous fláttiqns
de trouver Ie repós et les commodités . dont
no~1s é\ions privés depuis lo.og-te~ps. Ce· co~:.
AU BRÉSIL.
vent, qui appartient à l'abbaye de San-Bento
de Lishonne ·; póssede de grands biens en f~mds
.de terr.e . Le bâtiment est ; vast~ - ; il €omprend
une belle église, deux .cours· et un petit ·jardin
intérj.eur dans le.quel les plates - bandes sont
~ntourées d~ petits murs en pierre. : or:i y voit
des balsamines, des tubéreuses , etc. II y ·avait
dans une des cours deu~ c01C0tiers chargés de
fruits. Le c'ouvent posséde cinqüante negres·;
leurs cas~s forr;nent.devant sa façade une grande
place carrée·, . au milieu de laquelle s'éleve une
croix sur- ' un piédestal en. pierres. ll y a aussi
en. cet endroit un grand monlin à sucre , et
plusieurs hâtimefi.s d'e:iploitàtion; Ce riehe cou-
vent est•propriétaire de métairíes considérahles,
de gros troupeaux de €hevaux. et de. breufs,
ainsi que de plusieu rs cbrralés et de fa~enda s
.sitaés dans le 1pays d'ale.ntour; enfin H tire du
voisinage une <lime en suere.
N.otr.e espoir ne fU:t pas · trom pé , don José
lg.naeio de San+Mafaldas, eecl~siastique, éco-
nome de :ee cohl.vent, 'nous r.eçpt de la maniere
la pios affoctueusé. N0us dorml;.rns dans de bons
lits. Les fenêtres de nós éhambres n'avaient
pas de vitres. On jouissait .à l'aise de la belle
per~pective .de la ·plaine, et·l'air était frais dans
r. 12
VOYAGE
les longs 'c01~ridors de ce .prem~er . étage. La CUÍ·
sine et la fabrique de farinha occupàient · le ·
rez-de-chaussée; llOUS emnes }a facilité de faire
sécher nos collections dans les grandes chau.:..
dieres , et on poussa la con~plaisance jusqu'à
faire débar;rasser de son envelÓppe le coton dont
nous avions besoin pour nos opérations. Nous
employâmes not~ séjour dans ce couvent . le
·mieux que uous pu1nes, et nous nous divertlmes
à la _chasse des canards , dont ·des troupes in-
nombrables couvraient les marais et les lagunes.
Quand nous partimes, .on Ílous donna pour
guide un mulâtre qui avait un stylet à la bou-
tonniere, un sabre au ·côté, et des éperons à ses
. ~
p1ed{' nus;· c'est Ie costume du pays. II p.ous fit
traverser la grande plaine. De lieue 'en lieue , à
n1esure_.. que nous avançions·, les maisons deve-
naient plus fréquentes; les traces , des ·voitures
montraient au·s si que nous 'nous- approchions
d' une contrée plus habitée. La route était bordee
<;!e haies d'agavés et de mimosas; derriere ," ori
yoyait des orangers en fleurs et des hananiers ,
et pres des maisons, des cafeyers couverts de
leurs fleurs d'nn blanc de lait ; bocage magni-
fique , surtout aux yeux d'un Européen. On
trouve dans tous les lieux situés sur cette route

.i'
AU :BRÊStL. t 79 _/.
des vendas dont les -maltres montrent :, ' comme
leurs semblables en Europe, ~ne politesse tres'·
intéressée.
, , Le soleil était enc0re tres-ha'u t sur l'horizon
quand nous sornm.es arrivés à Villa de San-Sal-
vador, situé sur la rive méridionale d~ f a ralha,
dans un canton fertile et d'un aspect enchan-
teur. Notre hôte bienveillant de San-Bento nous
avait
I
invités à occuper sa rnaison dans-
cette
.
ville, durant notre séjour. Nous ·y descendtmes,
et nous y lumes les premieres gazettes que-nous
eussions reçues depuis notre ' départ de Rio.
Elles nous apprirent l'issue de la bataille de W a-
terloó ; nouvelle .à laquelle les habitans de cette
ville prirent une 'part 'tres-vive. -
VOY.AG.E

CHAPITRE V .

'SJjour à Villa de San-Salvador. - Villa de San-Salvador.


~ EK<Cm·si@n à San-Ficlelis. - Les Incliens ·Coroados. - Les
Pour:y.s. '· ..

LEs plaines .qni -se prolong.ent au · sud ·du


;para1ba: étaient autrefois habitées par la -tribu
guerriere des.Ouetacas ( i) .~u. .Goaytac~sé.s; que,
.V asconceHos range pa.rmi les Tapouyas, parce
qµ'ils parlaient un idiome différent de la lingoa
geral. Ils se divis~ient. entrois tribl}.s; les Goay-
taca -Assu, les Goaytaca·-Jacorito ., ~t Íes
Goaytaca- Mopi (2); et vivaient dans un état
d'hostilités continuelles entre eux et avec tous
leurs voisins. Contre 1a coutume des autres In-
qiens ils laissaient cro~tre leurs cheveux dans
toute leur longueur, se disLinguaient des sau-
vages de ce pays par une coul~ur plus claire,

(1) Lery, p . So.


(2) r-asconcetlos noticias, etc. , p. 59_.
AU HRÉSIL. t81.
un .cprps pltts robuste, une·férocité plus grande:,.
et .(:bmbattaient · :brayemen eú rase .c:ii.mpagne.
La' vie du ,per~ José de Anchiet~ donne à ce
suj,et des détails, curieux : « Ces hommés , dit.
)) l~auteur, étaient les plus sauvages -et les plns.
))·iµhurn.ains de toute la côte ~ iJs avaient ·une
>> taille gigantesque, ét~ieni do.ué& d' une grande
)) force ·, · habiles à manier l'arc, et erm~nJ.is de
)>' toutes les aú.tres :r;iations , etc. )> II ajoute en-,

&uite : « Leur· territ.o ire n'était pas tres-graad;


>> il ne, s' été:\'ldait que depuis· le Rio Paralbà jus- '
>> qu'au Maeahé~ , etç-. ~1). » · Le, pere Joao de

(1'f Eraesta S6Fte de gente a mais foros e des!tttm·a na' qud


haµia portodà a costa· , em. corpos eram agigantados de
1
graiides forças, destro em . arco, inimigos de todas as
naç6'es, etc...... ,,-
O 'destiicto qúe ~tahitaham era pequeno ·dentro d(Js termos
dos Rios· Parai'ba e Ma:duié, . etc: ·
Voic.i commenl s'e:xiprime J. de ·Lery:
e< Les Ou~ Étacas sont sa-tl'váges si farouc11es et éf:Í-a-tig~s ;
que comme ils ne peuve~t-'demeurer en 'paix l'un av ·é f'au--
tr.e; , aussi- ont-ils guerre ou verte et continuell:e tane contre
tous leurs voisins-, que généralemerit contre ÍOn~' ies 'ét~an-
.. \
gers .... Contre la 'coutume _plns ordinaire d~~ hommes de cu
.. '

pays ( 1es.quels se tondent Je devant de Ia tête et tbgnent


f
,--

i .8 2 VOY A'GE
1

Almeida trouva dans }enrs forêts, _à sa grande


fra)'eur , . un squelette humain debout ( 1 ). Leurs
cabanes, suivant son récit, ressemblaient à des
colombiers juchés sur un poteau; ils dormaient
sur des tas de · feuilles, ils ne buvaient -ni' eau
de riviere ni eau de source ; ils·Iie se désalté..'.
raient qu'avec .celle qui se rassemblait dans des
_trous qu'ils avaient creusés dans le . sable (2).
La colonie portugaise d'Espirito Santo eut sur-
tout à . souffrfr de . leur humeur belliqueuse.
En 1650 ils .éprouverent une rude défaite; eii-
suite ils furent successivement détruits,. ou sou-
mis, - ou civilisés , ce qui donna naissance à·la
colonie du Para'.iba, qui est aujourd;hui la con-
trée la plus riche et Ia plus florissante entre

leur peri·uque sur le derriere) , eux portent les cheveux


longs et pendans jusqu'au~ fesses. Bref ces diablotins d'Ou-
Étacas demeurant -invincibles en celte petite ·contrée, et ·au
1
imrplus comme chi_e ns et loups , mangeau_t la chai_r crue,
même leur langage n~étant poiut entendu de leurs voisins ,
do~vent être tenus et mis a~ rang des natious les ·plus bar-
bares, cruelles et redoutées qui se puissent trouver en tout,e
;
l'Inde occidentale et terre du Brésil, p. óo. »
(J.) Voyez sa vie.
( 2) Southey Mstory of Brazz'l, tom. ~I, I'· 665. '
Rio-de-Janeiro et Bahia; elle est couverte de
f~zendas et de. plantations iselées.
Sm• la rive .méridionale du Paraiba qui arrose
cette .plaine ferti1 e ,_ s' éleve à huit lieues de •Ia
.mer Villa .de . San-~alvador d~s Campos dos
Goaytacas~s, qui m~rite le nom . de (Ci:udad).
On y compte à peu _pres 5,ooo hábitans, et
24,oop dans .son comarca . <?U district. On Ia
·nomme ordinairement Campos par abréviation;
elle est assez bien bâtie; ses rues sont .régulieres,
la plupart pavées, les maisons propres et j olies,
quelques-unes à plusieurs étages; elles. ont -en-
core des balcons. fermés avec des 'jalousies en
bois , . suivant l'ancienne . mo de portugaise. Sur
une place publique, prns du :fleuve, se trouve
un édifice dan s lequel ]e tribunal tient ses
séances, et .qui renferme aussi l es prisons. On
compte dans cette ~ ville -sept églisés , cinq a po-
thicaires et un hôpital dans lequel il y avait une
vingtaine de mal~des. Uri chirurgien est à la tête
du lazaret~ On dit au reste que ce district possede
'
de meilleurs médecins que les autres également
situés le long de cette côte, ou souvent i'on en
eherche vainement u:r;i qui mérite la confiance.
Cette ville s' étend le long des . rives -du Pa-
ra~ba, et offre un coup d' ooil agréable, surtout
. VOYAGE
quand on la voit de Ia .route en desaendant .Je
fleuye : ses bords sont · animés par une foule
d'hommes ,'la plupar.t de conleur , que.le .com-
nrerce · et d'autres: occupt.1tio11s tiennent 'dans ·
une ;activité continuelle . . Campos est uti ljeü
tres-eo:mmerça'9t ; Ia· cqntré'e aF1"osée par le
Para'iba et par la petite riviel".e de Muriàhé qpi
se ·jette dans ce fleuve vis-:à-vis de la. ville-, _pro-
duit beaucoup 'de sucre~ ; de café; de coton
et d'autres denrées .:· on voit même áu rnarehé
des plantes potageres 'd'Eur€>pe. La pí·oducÜd1i
, principale d u pays est le sucre ~ti' éau-de~-'v~e que
l' on en tire. Plusieurs habita tis sonti tr:es-tiches.
1

Quelques-uns ont sur leurs pfantations cent cin-


quante esclaves ~t plus, et fahr~quent dims une
année à peu pres, 5,000 arr~Hes:1rite sucre, i:~dé;_
' pendamment de l'eau. . . . de-vie. On s'óccu:pe d'a-
méliorer les prpcédês de la fabrication; e't l'on
songe à employer les inachines à ·vá•f)eul'. Lé
rnoulin àsucre de M, le capitam Netto.Fiz, qhi
IiOUS a Coinh}és de po}itesses, est tres-beaaI ~t
tres-bien entendu. ; sa . plantatiou est considé~
rable ; ce propriéta:i,Pe poss:e de encore· deu;x al.1-
tres fazendas sm• 1e ·Mu~iàhé. En 18oí, on
.comptait dans 1a ·conrt n!eJarrosée pa.r . cette -ri-·
viere ~t parle Parà'íbéi ', deux• cent q:uatre.vingts
AU BRÉ~tL.
rn.oulins à •sucre, dont qu~tre-vir;igt-neuf plus
considérables étaient tre~-productifs (1).
On re~arqu~ à Campos un grand luxe , sur-
tout dans la p·a rure, pour laqueHe les Portügais ·
dépensent b~aucoup; au Brésil, du moins, cette
nation , même dans les classes inférieures , est
' J '
généralement d'une propreté tres-s.o ignée. Si
l'on visit-e les parties i1;térieures du pays, Ju
les villas moins considerables , on observ~ que
l~s planteurs ·.co1:ls~rvent la plupart leurs anciens
usages, sans songer aucunement à rendre leu r
dem'eure commode et agréable. 'Ün y trou~e tel '
homme tres-riche qtJi, dans une année , envoie
à la capitale plusie~U"s tr_?pas cfargées de mar-
chandises dont la valtfur se monte à de grasses
sommes, qni ·y: vend miUe à quinze cents têtes
de breufs, et dont la maison ne vaut pas la ca~
bane du phis pauvre paysan d' Alle~'lagne ; ces
especes de huttes n'ont. qu'un rez-de-ch~ussée,
et sont const'ruites en terre que l'au n'enduit
pas même de blaúc; tout le reste: de la maniere
d'être est ·prop:ortio.nné à la dén.i:eure_, má1s la
1 ' '

(1) Corografiq, brâsilica, tom. II, p. 47.


186 VOYAGE
m1se du propriétaire est ordinairement · tres -
propre.
On dit que le pays baigné par le Paraiba n'a
pas assez de bestiaux, quoiqu~ ces gr,an~es plai-
nes soi~nt tres-propres pour le.s pâturages. On
y éleve quelques mulets qui. ne sont J?Í . a~ssi
forts ni aussi beaux que ceux de Minas-Geraes
et de Rio-Grande. Les moutons et tes che~res
sont de petite taille; . les cochons ne :réussissent
pas si bien que dans d'autres cantons. Comtne
j'étais venu à Campos, nonc·pour y recueillir
des renseignemens statistiqu~s sur le pays d'a-
lentour, mais simpleme:Q.t pour connaitre ce
que les hahitans et ses productions naturelles
·~!frent de curieux, cet obje:t fut hientôt rem-
pli. Ainsi, apres un courto séjour, je me hâtai
d'aller voir la curiosité.la plus intéressante que
~es hords .du .Paralba pussent m'offrir; c'était
une tribu de Tapouyas enc_ore sauvages', qui
vivent à peu de distance~
M. :Manoel Carvalho dos , Santos -, comman-
.dant du c01narca ou district. de San~Salvador,
et colonel du régiment de rnilice, nous avait
accueillis de la m an~re la plus ohligeante. L~i
ayant témoigné mon désir .de visiter la mission
de.San-Fidelis, située plus haut sur le Parai:ha,
AU BRÉSIL.
ií" eut la bonté de nous dorin~ póur guides un
oflicier et un soldat . . Nos préparatifs pour ce
voyage intéressant. furent bientôt faits , et le
7 octobre nous partimes de San·Salvador, ol.1
nous laissâm.es not~e bagage.
Le Para!ba -prênd sa source dans la ca pitai-
nerie de · Minas-Geraes, coule à l'est entre. la
Serra dos Orgaos et celle de Mantique·ira; on le
trouve marqué sur la . petiie carte qui est jointe
au voyage de Mawe. II reçoit le Paral1ibuna, le
Rio "<Pomb~ et d~autres rivieres~ et coule au mi-
Iieu de forêts antiqu~s' entre des niontagnes,
jusque dans Jes plain~s des Goaytacasés pres de
son embouchure. Tout est cultivé et animé dans
cette partie inférieure de son cours; mais quand
on la quitte pour eritrer . dans les forêts, on
trouve ' ses bords enc~re habités par des indi-
genes que l'on n'a civilisés qu'en partie.
Nous avons d'abord suivi les rives du fleuve
qui sont orn ées de bois de mimosas, de bigno-
nias et d'autres arbres sem1'lables. Pres de la
ville on voit quelques cocotiers é pars, ensuiie
on· rencontr~ de belles prairies, des bocages et
des fazendas isolées. Bientôt noris nous sommes
'éloignés du fleuve q_u e nouS- avons perdu de
vue • .
188 VOYAGE ·
Nous avó.n s fréquemment troµ.vé dáns les
:pâ,turages l'anui1 branco ( cuculus guira, L.),
ou coucou ·tacheté, ~e compagnie avec · l'ani
auquel il ressemble beaucoup par les mreurs
ct la forme. Cet oiseau, nommé pirigua par
Azara, n'est pas connu depuis_long-=temps dans
les environs de Campos; l'on dit qu'il y est
venu des montagnes de Miuas-Geraes.
Tout nous ánnonçait la fertilité du beau pays
que n'o us parcourions; le fleuve est bordé de fa-
\

zendas considérables· ; de vastes champs de


ca1urns à sucre _et d'immen~es .pâturages se
s~1c~edent dans la plaine ; on y .voyait des
breufs, des chevaux et quelques mulets~ Dans
le voisinage de plusieurs mai.s ons, nous avop·s
admiré le figuier .sauvage ; ~rbre colossal nom-:-
mé figuei"ras par les Portugais , et qui est · un'
des prés~ns les plus agréables que la . natuFe
ait pu faic.· e aux pays chauds; l'ombre de _cet
arbre magnifique ranime le voyageur qui .se
couche sous l'ép~s feuillage de ses branches,
donl l'étendue est incroyable. Les fig;uiers de
toútes les régions de la zone torride deviennent
ordinairement tres,- gros, et étaÍent une Ci~e co-
Iossale corúpo&ée de branches e;xtrêmement for-
t;es. Ils m'ont paru véritablem·ent majéstúeux au.
AU BRÉSIL.
Brésil; aucun ne peut pourtant· se cbmparer au
farneux dragonj.er d'Orota,-a qui, d'apres la me-
sure de M. çle Humboldt, a quarante-cinq
pieds de circonférence (1). Nóus a ons trouvé
, dans ' les branches supérieures de ce figuier le
nid remarq~able du peti~ todier vert à .v entre
jaune; il était de forme couique, construit en
coton , fermé par· en haut , et n'avait qu'une
entrée étroite. Le nombre des oiseaux qui font
de ces nids fer~és est bien plus considérable an
Brésil que dans nos pays ,- probab1ement ·parce
que leurs petits ont beaucoup plus d'ennemis à
craindre. · .
A quelques lieues de San-Salvador; les mon-
tagnes commenceni à s'élever; et '3u-delà des
champs de sµcre' . nous avons aperçu dans re
lointain la · cime élevée de!? forêts antiques. On
remarque au ,m ilicu des arbre_s des forêts des
taches rouges; elJes.sont produites uniquement
parles jeunes pousses du Sapuca:ya qui sont cou-
leur de rose.1 Nous étions_dans la saison la plus
favorable pour voyager; tout annonçait le prin-
~

(1) Ansichten der Natur, p. 179 et--256.


Tableaux de la nature, to~. II, .p. 5o et 108.
\

I~.º ·voYAGE
· temps; la verdure tendre ·du -feuillage nouveau
répandait un ·air de galté sur, toute 'la contrée;
et Ia douceur de la température plaisai~ infini-
mentà des'1omm.es duNord, peu accoutumés "~
comme nous, aux grandes chaleurs.
,Apres trois heures de route, nous nous som- ·
, mes ·rapprochés de nouveau des bords du Pa-
ra'iba, qui nous surprirent rar leur beaµté
dans cet ~droit. Trois lles convertes en par-
tie de .grands bois interrompent le cours- du
fleuve ' dont la largeur ne le cede pas à
celle du Rhin; il coule avec rapidité; , ses·,riyes
óffrent alternativement des collines convertes
de bois , des forêts, _ et des fazenp.as dont les
:toits en triiles rouget' forment un contraste agréa-
hle avec la verdure des arhres, et autour des-r
quelles les cases" des negres forment de petits
villages. Les vallées entre les collines son.t rem-
plies de marais, oi-.. des touffes d'une espece de
hignonia tres - haute offrent fréquemment le
triste aspect d'un bois desséché. Ce tronc et
le~ branches de cet arbre , qui. sont d'tme cou-
leur cendrée cla~re, et son feuillage vert hrun
foncé , le font ressembler à un arbre mort ,
d'autant plus qu'il croit toujours en groupes ser-
rés : d'ailleurs sa fleur est belle,
. .
grande,· -· ~t c:Ye-

1
(
AU BRÊSlL. 19t
couleur blanche. On voit ·dans ·ces endroits une
quantité dehelles plantes, entré autres une cléo- ,
mé ~rborescenle, couverte de gros bouquets·de
fleurs blanches et roses. Des bignonias à fleurs
jaune ~oncé et blanches s'entrelaça~ent ' en 'grim-
pant aux arbres le long de la route; et les buis-
sons du bor"1. <lu fleuve étaient.,. parés des:.grandes
fle~rs jaunes ' de l' allamanda cáthanica, L.,
arbrisseau qui po\1sse des tigés verticales ; ·
. Quand nous eftmes parcourü la mbitié _du ·
chemin, notre conducteur nous mena ·dans ;une
fazenda ·dont le m~hre ~ qui était un capitam;
nóus invita tres-poliment à d1n~r. Devant ·&a
maison, située sur une-hauteur d' oú l' on jouis.:..
sait d'une. vue -magnifique du fleuve, croissait
,un ipé amarello ( bignonia ) couvert de grandes
fleurs~ jaunes qui éclosent avant les feuilles . .Le
bois-de cet arbre est tres-compact; on le tra-
vail~e aisément. Apres le d1ner nous ·a vo'ns con-
tin11é . notre · voyage ' , m~is · mi orage violent
rendit - cette charmante rcmte ·un peu désa-
gréable. · _
. Ayant gravj le Morro de Garriba, móntagne
escarpée sur le bord du fleuve, nous · avoi1s tra-
versé· à son sommet une-forêt <$paisse, et arri-
vés dans un endroit ·ou elle s'ouvrait, nous
VOYAGE
avons été surpris par le cóup d'reil magnifique
du f]euve qui coulait à nos pieds. Au míli~u
des sommets dentelés et couverts de bois qui
s' offraient à notre vue, le Morro de Sapateira,
rnasse de rochet"S ·r emarquable par sa form.e ' ·
~ttírait principalement les regards, et, par]' op-
position qu'il offrait avec les jolies c?11ines ver-
doyantes sur lesquelles .1es habitans ont . b~ti
leurs demeures, rehaussai.t le charme de ce pay-
sage .. Immédiatement, à nos pieds, au-dessous
de la paroi d'une montagne à pie, on voyait
une petite prairie ou que1ques maisons·ombra-
gées decocotier.s composaient le groripe le plus
1-iant. Le. chemin étt'oit; apres avoir suivi Ia m~m­
tagne jusqu'à ·son ·sonnnet, redescend dans ta
vallée, ou, à , chaqu~ faz~nda, I'on est'embaumé
de l'odeur suave des· fleurs des orangers. Des ·
hignonia, gri's à .fleursblanches, et hauts devingt
à treute pieds, .-pouvraient la surface d'un ma-
rais ;. des bihorea~1s (árdea nycticorax) avaien'.t
p1acé .Jeurs nids sur cet ar:b re : cet ·oiseau, u~
peu plus gros que celui d'Allehrngne, para1t
d'ailleurs être le même. II couvrait Ies branches
des Lignonias ., et ·semblait r'e garder curieuse-
1nent les passans; nos chasseurs en ·tuerent plu-
sieurs; mais ·ils ne · purent les aller ramass~r
AU BRÉSIL.
clans les ravines, tant elles sont profondes. Ob.
dit que les crocodiles sont . communs dans ces
gorges, lna1s. nous n ' en avons aperçu aucun . . .
. A -notre arrivée à la fazenda do Collegio,
apres avoir traversé un pays agréablement va-
rié, la nuit .avait commencé; cependant avant
qú'il fit complétement obsc1ir,. nou& atteign!mes
les bords dn Rio-do-Collegio, p.etite · riviere
profonde et rapiçle que nous , devions passer ;
nous en·,vhunes h.eureusmnent à hout, mais bien
mouillés, . et quoique nos cqevaux et nos mu-
lets, pour parvenii· au bord de l'eau ,_.eussent été
obligés de . se .tra!ner sur leur croupe par une
descente rapide qne-Ja pluie avait rendue ex-
trêmement ·glissante.
N0us avons ensuite marché dans une forêt
sombre le long du Parn'iba, j usqu'à une lieue et
demie de San-Fidelis. La :r:iuit était nbire, et le
sentier fres-étroit, inégal, embarrassé .de bran-
chages et d'arbres t_ombés ' se trouvait sou vent
sur le bord de rochers escarpés. Le solda,t qui
nous servait de guide d~scendait fréquemen t de
cheval pour débarrasser la route, et nous étions.
obligés d'en faire_a,ntant, et de m<;mer pendant
un assez long·espace nos chevaux par .la hride.
Enfin nous nous trouvons sur les· bords. d'une
I. 15
...

VOYAGE
ravine profonde et roide, au-dessus de laquelle
on avait jeté un petit pont de trois troncs d'ar-
bres; malgré les entailles que l'on avait prati-
quées sur leur surf:;i.ce pour que les chevaux
pussent y- prendre pied, quelques-uns des nôtres
firent de fréquentes chutes, et peu s'en fallut
qu'ils ne fussent précipités dans l'ablme. Avec
un peú de patience nous avons surn1onté cet
obstacle. Le silence de la ·nuit étaÍt interrompu
par les cris de l'engoulevent, par la voix des
grosses cigales ( cigarcas), et pai~ le croasse-
ment si1}gul~er des grenonilles , tandis que des
insectes lumineux resglendissaient de tous
côtés au .m ilieu de l' obscurité de la forêt. Enfin
nous sommes parvenus à une prair1e unie sur
les rives du Parai:ba , et nous nous so1nmes
trouvés tout à coup parmi les cabanes des In-
diens Coroados de San-Fidelis. Notre g~ide alJa
aussitôt à Ja maison du pere Joào, curé du
lieu, et lui fit demander 'Pªr un de ses esc1aves
uFl gite pour la nui~; mais le hon ecdésias-
tique refusa tres-sechement, et toute tentative
ultérieure pour le ramener à des sentimens plq.s
. . charitables fut inutile. Sans la honté du capi-
tam chez qui nous avions si hien d1né , nous
aurions certainement été ·o bligés de coucher à
AU BRÉSIL.
la belle étoile; heureus.e mer.it il •avà.i t tit:re mai-
son dans cet endroit. Quoiqu'elle fút -dénuée
pe toute espece de meubles , e' était un asile à-
ne pas. dédaigner; nous y suspend1mes nos ha-
macs, et nous y dorm1mes tres-bien.
San-Fidelis, 's itué sur ·]a rive · droite du Pa-
raíba qui est ici assez large; est un -v illage d'In-
diens Coroados ou Coropos, et une mission
fondé.e il y a environ trente ans par des capu-
··cins italiens. Les missionnaires. étaient alors au
nombre de ·quatre, fun . est le curé actuel,
l'autre -r emplit les mêmes fonctions à l'aldea da
Pedra, à huit 1egoas en remontant 'le fleuve, les
deux autres sont morts . . Les lndiens appar-
. tiennent à 1a tribu des .C oroados, des Coropos
et des Pou rys : ces derniers , encore sauvages
et libres, errent dans les solitudes situées .e ntre · ·
Ia. mer et la rive septen.triortale d_u Paraºiba, et
s'étendent jusqu'au Rio-Pomba dans 1e gouver-
nemeht de Minas-Geraes (1). lls se condúisent
paisiblement vis-à-vis de San-Fidelis, mais dei:-

(1) La Corografia hrasil.ica ,~ tom. II, p. 59 , fait un


.
tableau inexact de l'état des Pourys sur le Parai:ba inférieur: ,
en représentant ces sauvages com me; vivant_cÍéjà rénnis dans
des .v illages, ce qui n'est nullemenL(ondé ,
' VOYAGE
nierement ils ~nt fait la guerre aux Coroados
de l'aldea da Pedra. La demfmre principale• de
ces deux tribus est dans le Minas-Geraes; ils.
viennent .pourtaut jusque sur les bords du Pa-
raiha et sur -les côtes mariti~nes. Les Coroado~
habitent sur la rive droite ou méridiopale du
fleuve; on voit aussi à San-Fidelis quelques Ço-
ropos qui sont civÜisés, c'est-à-dire fixés : leur
tribu occupe la rive mériclionale du Paraiba en
remontant jusqu'au I\io-Pon:iba; sur la rive
droite de cette deniiere riviere ils vivent en-
core dans. l'état sauvage, mais ils ont des h~ttes
rnieux faites -que celles des Pourys avec lesquels
ils sont eri guerre, et d0nt on ·dit qu'ils sont
redoutés. M. Freyress les avait déjà visités dans
son voyage à Minas-Geraes; il les avait trouvés
non pas ,e ntierernent sauvages , mais plus gros-
siers que leurs compatl'Íotes · da.- Parai'.ba ( 1 ).
Ainsi que je_l'ai déjà dit, ces Indiéns sont la
, plupart civilisés, savoit· tous les Coropos et la
plus grande partie des Coroados. Toutefois ils ·
ont à peipe commencé à se défaire de leurs
mreu~s, de leurs usages et de leur caractere de
sauvages : un mois avant notre arrivée, ayant

( 1) .Eschwege , Joumal f.101i Brasitien, tom . .I, pag. 11.g.


AU BRÉSIL.
tué un Poury dans une excursion , ils avaient à
cetie occasion fait de g1:andes réjouissances pen-
dant trois jours. Ces trois tribus appartiennent
à la même souche, comme le prouve l'affinite
de leurs langues (1). Ils cultivent dü manioc, 4

du n1a'is, des patates , des courges, ei d'a?tres


plante& potageres; _ils sont chasseurs nés-, et se
serveot tres-habilement de leurs ares ·et de leurs

fleches.
Au point du jour nous S-Ommes allés aux·ca-
banes b~ties par les. missionnaires pour les Co-
roados et pour les Coropos. Ces lndiens ont Í:e,
teint brun foncé, leur visage porte le caractere
original_ de leur ràce' leurs traits sont extrê--
rnement . marqués, leurs cheveux t1·es-noits·.
Leurs caba,nes sont. grandes , bien construites
e·n bois et en terre, et convertes de toits en
feuilles de palmie1· et en roseaux c.omme ~elles­
des.Portugais; ony voitle.urs hamacs suspeudus

(r) Eschwege, JournalfJ.on·Brasiliero, tom . I, pag. 159.


La Corogr~a brasili~a,, tom. li;. p. 5 3, dit que les Corad'bl!
descendent des anciens Goaytacases ;. mais cela n'est pas .vrai-
semblable, car ces derniers laissent pousser- leurs cheveux
dans toute leur longueur ,. ~t au contraire les Coroados ont
été nommés ainsi, il y a bien long-temps, d'apres leur usa~~
deles couper _en rond.
VOYAGE
au Il)ilieu , et leurs fleches, avec leurs ares.
appuyés contre lés parois ·d ans un eoin; lecurs.
meubles tres-simples .c0nsistent en pots, .p]ats.
et jattes. faits .de g@urdes et de calehasses (1),.
corbeilles (panacum) de feuilles de ., palmier
tressées, et qudques autres objets. H~ -on.t p0ur :
vêtement des chenJises :blanches et das. cul0ttes. '
de
a
toile de cotou; Jes dimanches. ils sont. tni'eu1t '.
m~s, et alors on ne les distingue pas des ~or.h1-
gais · pauvres; ces. jmus:-:là l'n.ê me les. hommes
vont s.ou;vei:it ]es. pieds e( la tête nus,; J:es.fommes.
_ sont-plus élégantes, elles.n'lettent ·quelquefois l!ln
voile ,.. el sei parcent volontiers. Tous pa:rléntde·:
póntugais, mais; entre eux i1s s'·e l!'ltretiennent
ordinairément dans 'leur idiom:e; Les fangues. ~
des €oroados et . des, Cor:opos ont béaucoup
d'afileit.'é l'une.. ave:c, ·1'antre ~, .et chaclll:n. ·de ces
peHples . cornprend" ·o rdinairement lê.. p'0~llllrJ·
Francisco, uotr.e jeune lhdien Co)'·0p.·o) par:lãit.
toutes ces langues.
La diversité ·des langages panmi . les . 'l'iop'l-
breuses penplades ·de·S- ltabit'ans i'ndigehes ··d u
Brésil, est un óbjet niéri p~rop1~e à 'éxCi'têr, l'in-
'"

(1) Crescentia Cujete ~ L .


AU BRÉSl:t. 1~9·

térêt 6t' à faire entreprendre -des rech'êrches sui~


vies. La plupart des tribus Tapouyas ont: des .
idiomes-particuliers. Des écrivains ont allegué-
la_ressemol'ance de quelques mots isolés dans ces
langues pdur en'. inférer que' les p'e uples' qui les '
parlent so11;t d' origine eurôpéenne; mais c'est à
tort: quciique fos · m'o_ts pápa ét mama· sighi-
fient.cnez les .C arü.becas ou Omãguas (1 )la tnême
chose que cliez nous , et' qué Ie· mot ia soit
dans la Jangue des Coropos comme dans les
langues germaníques fo signe affirmatff, l'on rie
Jieut rien conclure de ces conformités insigni~
fiantes et accidentelles; car du reste on' ne ·
trouve pas·Ia· moindre ressemblance· entre ces-
langues et celles d'Europe.
. ..
I:.es ··- «Soropos tiennen't encore beàucorip à
le1;1:f~ ares-et' à Ieurs · fleches, qui ne diffet·ent
p~s essentiellement des armes du même' genre ·
dont Ies Pourys fon~· risage ;, les plutnes rouges
dont ik garnis's ent· leur~: flectjes: sont' généra- ·

(1) La -Condamine : Yoyage de la riµiere ·dés Ainazo-,,,es _,


p. 56. Les habitans de Ia Nouvelle-Zélande, qui sont les
antipodes de l'Europe, appelent leur llere Pahpah. Collin's
Âccount of the englislt colony in New-Sout!t. Wales, 1798,
1 vol. in-4° , ·p. 555.

. :~,' >• ••
~2QO VOYAGE
lem~nt ceJles de l'arara (psittacus macao, .L.);
que l'on commence à trouver sur .les bords du
Para.ih~ supérieur, . <lans l'aldea da Pedra. De
mêm.e que les autr~s sauvages, les Coroados 7
qui se servent de, cette . arme avec beaucoup
d'habileté , chassent . fr é quen.m.1en.t dans les
grandes forêts qui prennent naissance à la _porte
de leurs hutte~. La Corografia brasilica (1) dit
que illnsieurs familles ~e Coroa4os habitent
ensemble dans la inême cabane ; .ce nombre se
horn€'. à deux. Autrefois pe . peuple enter:ait s"'.s·
chefs dans de longs vases .de t,erre nommés ca-
. mucis, ou on le~ plaçait assis. Au point dµ jour
tous se baignaient; mais d.e puis long-temps ils
onl renoncé à ces usic\ges.
Le lendemain de no.tre 'arr~vée . à _San-Fidelis
étant rin dimanche , nous s01µn1es . allés à la
messe à l'églis~ du couvent , oi.1 Ia c"Uriosité
de .voir des étrangers avait attir~ beaucoup
d'hetbitans du voisinage. Le r~ere .Joào fit un.
long sen1~on dont je ne compris pas un mot.
La niesse finie, .nous parcounl.mes le couvent
inhabité. L' église est grande et elaire, elle a été
'J

(1) Tome II, page 5.j,.


AU BRÉSIL. 20i

peinte par le pere Victorio, mort depuis quel-


ques mois. Ce missi~nnaire s'était occupé tres-
activement du bien-être dés lndiens qui ché-
rissent sa inémoire : ils paraissent au c~ntrairé'­
ne pas avo~i: beaucoup, d' affection pour ·celu i
qui est -a ctuellement à leur tête; ils l'ont chassé
une fois, en disant qu'il n' était pas en état de
les instruire, pnisqu'il valait m.oins qu'eux. On
ne peut pas qualifier de belles les peintures de
l'intérieur de l' église, maist' elles sout suppor-
tab_les; e' est un véritable ornemen t dans· cette
contrée peu fréquentée , et les voyageurs sont
bien surpris de l'y trouver. Derriere l'autel les
non1s des quatre rnissionnaires sont inscrits sur
le mur, ·et de chaque côté sont suspe!1dus beau-
coup de tableaux votifs, parmi lesquels on en
voit un qui représent~ un negre qui a ses bras
pris entre les rouleaux d ' un moulin à sucre. Le
negre ayant dans son . angoisse invoqué un
certain saint , le moÚlrn s'aáêta à l'instant (1).
Le couvent quoique 'peu considérable renferme ·
un assez grand nombre . de jolies : cellules ;_ le
clocher, _ n'est pas tres -hal!Jt. · Nous· ·y avons

( 1) Koster raco-u te des accidens de _ce genre , p . 548 .


( tom. II, 1>. 240).
202 ·voYAGE
grimpé par un escalier à moitié en ruines, et
nous avons été récompensés de notre peine
par la vue de la vallée pitt0resq11·e d'ans laquelle
le monastere est situé.
Le pere Joào aurait pula veille nous ydonner
sans peiDe UD logement, mais il poussa: l'impo-
litesse au point de nous refuser des provisitms.
Cependant ayant appris daDs la. matinée qu'e
DOS passeports étaient bien en regle, etCOllÇUS en: .
termes tres-flatteursT>our nous, il commença: à
devenir pl~s honnête ,. et nou~· fi.t offrir. un moti-
ton de s0n troupeau : Dous· l'acheclnies pour
notre d.éjeuner. Apres la messe il viDtt nous
· parler, et DOUS· flmes ]a paix. Les habitans· de
San-FideJis ayant appris l'histoire de notre ré-
ception, ' aváient liautement expriiné l:eur mé-
conteDtemeDt de la coDduite du révérend
pere ..
Notre aff.iiire principale était de faire con-
na}ssance avec les, Fourys qui sont . ·e ncore
sauvages; Dous scmmes allés. a· la fazenda d·e
M. Furriel, située sur la rive opposéedufleuve .,
et nous yavons été tres-bien ·accueillis :.M. Furriel
eut même la complaisanc~ d~envoy:er .-son frere
~ire aux Pourys, dans la forêt ou ils demeurent,
qu'il était arrivé des étrangers qui désiraie:at leur
AU URÉSIL.
parler. Cette invitation était desa part un sacri-
fice qu'il faisait à !'envie de nous obliger, car ces
sauvages, hien loin de luiêtre de la móindre,uti-
lité, lui caasent qu~lquefoi.si un tort considérahle.
Quand on les traite doucemént, ils s' étahlissent
dans· le voisinage des plantations., et ~serit de
leurs productions comme si on les · cultivait
pour eüx ; ils vol:ent mêm.e l'es c;:hemises et Jes
culottes des negres qui vont travailler dans Jes
for~ts voisines des hahitations.
Cette horde ,d e Pourys ( 1 )'habite depuis peu
de temps ·dans 'le "voisina ge de San-Fideli~ : oh
1

cr.o it 'q u'ils appartiennent à celles qui commet-


tent _des hostilité~ à Mtirihecea sar la c8te
maritime. Da moins il est_, certaiin qu'ils ont

(1) M. Esohewege doune ainsi l'explicati:on du nom de


ces sauvages,, Journal von Brasilien., to~n._ I ,_p. 108 • .
cc Les Pourys se partage:rit e!1 I?lusieurs tribus qui se font
la guerre entre elles. Le : no~ de Poury, qui désigne toute la
nation, tire sou origine de la langue des Coroados, chez
lesquels Ies Pourys faisaient souvent des iricursions, surtout
quand,ils étaient absens, mettaient.le feu à leurs aldeas, et
piÜaient t9ut ce qui ie~'r 'tombait sous _la main. Eu consé-
quence les Coroacfds -Ús nommerent PoUl:r_s" mot qui signifie,
hommé audadetik ó'u-:brigand. · I:;es Pourys à letit tóur
appellent le" Coroadõs,P.ow:rs,:,p ourle's :injui:ier. J>
.VOYAGE
reçu tres-promptement .à San-Fidelis la nouvelle
d'un meurtre commis par ces sauvages sur la
côte, ce qui prouve qu'ils com.rnnniquent ~direc·
tement entre eux ·à travers les forêts; on dit_
n1ême qu'ils entretiennent une correspondance
çonstante depuis la côte jusqú'à :Minas-G~­
raes (1) . .
La. position de la fazenda de M. Furriel sur
les bords du ·Para'i ba; qui a ici dans plusieurs
endroils la largeur du Rhin , est tres-riante. Le
fleuve est bordé alternativement de hautes mon-
tagnes couvertes de forêts épaisses et som.bres 7
et de jolies collines sur Jesq ~elles on aperçoit
plusieurs faz endas. Quelqµefois ces forêts ro-
mantiques se prolongent jusque sur le bord du
fleuve , et s'étendent sans interruption dans
l'intérieur du pays ; des vallées 'profondes des-
cendent du haut des montagnes et coupent le
vaste désert : elles sont remplies d'arbres gigan-
tesques , serrés les uns contre les autres; le

~1) Ils sout eucore uombi;eux à Minas; 011 a voulu dans


cette capitainerie les transporler ailleurs et les reduire en
esc;laváge pour les civiliser; mais cette eulreprise . a com- -
pletement échoué, ( Journal Pon Brasilien.)
AU BRESIL. 205

sil~nce de cette solitude obscure est rarement


interrompu parles pas de qu~lque ~oury.
Au-delà de ]a fazenda, nous avons gravi une ·
colline rocailleuse, du haut de laquelle nous
avons jOl'ti d'une perspective raviss.ante, quoique
dans le genre terrible , de l'immense solitude
qni s'étendait devant nous. A peine e'lunes-nous
rejoint le resl'e de notre compagnie -au- bas de
la montagne, que nous vtmes les sauvages sor-
tir d'une p~tite vallée latérale et veni~· à notre
rencontre : e' étaient les p 'r enriers · que nous
ailerc~vions. Le plaisir que nous causait leur
vue était extrêm.e com.me notre curiosité; nous
·pressâm.es le pas pour les j oindre , et, surpris
-de la nouveauté du coup d'reil, nous nous ar-
rêtâmes devant eux. Cinq homm.es et quatre
femmes avec leurs enfans s' étaien.t rendus à l'in-
vitation de venir nous voir. Ils étaient tous de
petite taille; aucun n'avait plus de cinq pieds
tr~is pouces . de haut, la. plupart , ainsi que les
femmes (1), ~taient ·ca,rrês et trapus. A l'ex-
ceptio'n de .quelques-uns qui avaient des mor-

(1) I.es Pourys .s ont les plus petits des sauvages de Ia côte
orientale que· )'ai vus. Suivant l\'.I . Freyreiss, ils sont plus
forts et robustes q,ue lea Coroados , daus la capitaiue,rie· de
:io6 VOYAGE
ceaux de toile noués autour des reins, ou qm
portaient des culottes courtes que les Portqgais
leur avaient données, tous étaient entie-r ement

nus.. L es uns ava1ent l a teJe rasee , d' autres ,
A
1

av~ient les cheveux coupés seulem_ e nt au-dessus


des yeux et; de la naque ; quelques-uns avaient
la barbe et les sourcils rasés , en général ils
avaient peu de haFbe : _chez la plupart elle ne
formait qu'un entourage n1ince autour de la
bouche ; et pendait à, peu pres à trois pouces
au-de~sous Çlu menton ( 1). Les uns s'étaient
peint sur le front et Sl;lr les joues des taches
rondes et rouges avec du rocou; e:t tous s' étaient
tracé surj les bras des raies bleu foncé avec le
sue du frlJit du genipayer (genipa american«-):
ce sont les deux ingrédiens colorans dont tous
les Tapouyas font usage. Ils avaient autour du

Minas-Geraes : je n'ai pás trouvé cette obse_rvation c_o nfirmée


à San-Fidelis, car ces 'derniers y étaient génér\llement pl,1_1s
grands et plus forts. ,
(1) Beaucoup d'auteurs ont commis une ,erreur en disant
que les Américains étaient dépourvus de barbe ; elle n'est
chez la plupart que faible et peu touffue. On dit que sur le
Sypotuba habitait jac!is une tr~b.u d'indigenes rema_rq'-1\lbles
par leur torte barbe, et auxquels les Portugais donn~ien-t _par
cetle raison le uom de Barbados.
AU BRÉSJL. !1.07

,cou ou au-dessus de la poitrine et d'u~e épaule,


des cqlliers composés de graines noires et du-
res, et au milieu desquels étaient suspendues des
dents canines de singes, de jaguars, de chats,
ou d'autrés b~tes carnassieres ; quelques -col-
liers étaicnt· dépourvus de ces_ dents; d'autres
sont faits de l'éeorce de certaines excroissances
vé.gétales , probablement des épines d'un ar-
hrisseáu ( I). Les hommes portaient à la main
leurs longs ares et leurs fl~ches , qu'ils échan-
gerent contre des hagatelles ainsi que tou.t ce
qu;ils avaient' aussitôt que nous leur en eumes
témoigné le désir.
0

Nous accueil1lmes ces ~áuvages tres-affec-


tueusement. Deux d'entre eux avaient été élevés
dans leur enfance pa~mi les Portugais dont ils
parbient un peu la langue , ce qui . les · rend
souvent tres-utiles à la fazenda. Nous leur avons
donné des couteaux , d.es chapelets , de petits

(1) Cet ornement d'un hrun-;foncé, creux, allongé, dont


la figure ressemble absolument à un Fatelier de dents, était
reganlé pai· çoµséqu.~nt co~m~ \.me producti1>:n animale:
l'expérienc~ a fait voft r1u'H était formé d'un~ éçorce d'arbre,
et que saná doute c'était le revêtement de certaines ,épines.
Ou dit que la plante croit sur les bords des chutes· d'eau
du Paraiba.
.~ .

VOYAGE
miroirs,. etc., ·et nous av,ons partagé entre eux
quelqqes houteW,.es de rhU:tn; présent qui ·les
a mis de tres-bonne humeur et nous a ' gagné
' leur confiance. Nous Ieur avons, annoncé pour
le lenâemain notre visite dans leurs forêts , s'ils
voulaient hien nous y recevoir ; et leur ayant
promis de leur porter des choses qui leur se-
.raient agréables , ils nous .quitterent tres-'con-
tens , e.t retournerent dans leur solitude en
poussant de grands cris et erÍ chantant.
Le lendemain matin , à p-eine étions - nous
sortis de la maison que nous aperçumes les
sauvages qui sortaien,t de leur vallée. Nous cou-·
rumes à }eur ren~ontre , DOUS }e'S régalâmes
de rhum, et nous nous ernpressâmes deles suivre
dans leur~ forêt,s. 'Des que nous fumes au-delà
du moulin à sucre de la fazenda, nous vlmes
toute la -horde des Pourys. couchés . sur l'herbe.
Cette réunion d?hom~es bruns tout nus pré-
sentait ün coup d' reil tres -~ singulier et inté-
ressant. Ho1nmes, fe~mes, enfans étaient serrés
les u~s contre les autres, et nous contemplaient
d'un air curieux et timide. Tous s'étaient parés
le mieux qu'ils avaient pu ~ Un "petit nombre de
femmes avaient un morceau de toile autour des
hanches ou devant la poitrine; mais la plupart
...
AU .BRÊSIL.
étaient sans aüeul?- yêteruent;-quelqúes hoinmes
avaient noué aut.o ur de leur fropt, comme·orne-·
ment' un morçeau de peau de l'esp~cé de singe
noi:nmé mono ( i); d'autres avaient leurs cheveux
completenient rasés. Les - fe~mes portaient l~ri.rs
petits cnfans, les unes dans des lie.n s d'écorce
d'arbre ·attachés ·au-dessus·de I'épi;mle ·droite;
d'autres ·sur·Ie dos au moyen ·d' une large bfl.I?--
, delette qui passait sur Ie front. C'est la ' maniere . /

dont elles portent généralement leurs corbeilles


de ·p rovisions qúand ·elles voyagent.
" -'.-Qnelques hommes et quelques fille's avaient
prodigué la co~leúr potir se peindre; ils ·: rvaient
le point roug_e ~m)e fr~nt et ·sur Ies joues, 'et
mêine des raies' rouges sur le visage; d'a·utres
s'étaient tra'cé sur le corps des lignes en long
et de~ rarigée~ de points qui les coqeaient; plu-
sieiirs enfàns avaient la "peau ·comiil;e tigrée· de
points noirs. La pe~ritur.e du éorps>-pat~it êtré
arbitraire cl ez eux· et 'dépendre du -~oll.t d~
. ,cha~u-n. Quêiques filies portaient des han.d _e aux
au~om· de·Ia. tête; d'ailleurs les fem.més ;oiit en
général un· cordon ou un ·lien d'é~ rce ·serré
1

·r

·,
(r) Atcles.
I. ,

/
.)

..,
~10 VOYAGE .
autour des poignets e_t des j~intures, pour ornei,.
1. ces p::\:r:ties ~t les rei:id_re p~us minçt'.'.s· ..
_ Les homme~, comme_ j~ gai dit .p1,us ·haut,
sont généraleme:q.t carrés., traJ)us, et (réquem7
ment tres-charn~s; ils C?n~ l~ tête g•'osse et
ronde, le visage Jarge, les pommett.e s de's joues
ordinairement saillantes, les yeux noirs, petits
et quelqu_e fois obliques, le nez court e.t large;
1es dents tres-blanches; quelques-uns se <li~
~inguent pourtant par des traits .plus prÓnonc_é s, ·
ele petits ne~ recourbés ,. et des yeux tres-vifs,
qui sont_agréables chez Jln petit no~bre, som-
hres au. co"lltt:aire ,_ sérieux et cachés sous ~n
front. ~vancé chez la plupart. Un eles hornmc;!s
nous frappa par sa physionomie de Cafo.1.ouk;
il ~vait la tê te grosse et rqnd'e' les cheveux ç ou-
pés à un pouc~ . de longueur , . Ie corps ~us<?u _:
l_e ux.et trapu, le .co~ large .e t court, le vi~ag.e
grand et pia~ , , les yeux disposés obliquement,
tin pe~ plus. gran_d s: que ceux des ,Calmouks-,
tres-noirs ' , :6.xes .e t hflgards; les sourcils noirs,.
~pais , tres-hauts, arqués; le nez pétit, . les na-
rines larges ,- la ~ou~h~ :µn peu g i_:ande. Cet
l homme, -qui suivant .le témoignage de nos con-
ducteurs n'avait pas êté vu dans cet endróit,
nqu~ sembla si itédoutable; que chacun de nous
· AU . BI\ÉSIJ.,. : .2n
. ~.a voua·. qri'il ' ne ,-v<;mdrait pas· satt~ ., a.r mes·• .Je .
r enconÚer seul dans un end~o~t ecarté. La
petites~e d~ la taill~ est ·c~mJilµne a.ux. P~urys
et à tous les peuples du Br.é sil; qui à c~t égard le
.cédent aux Eurc:>péens et ' encore ~plu~ ··aúx
n egres ( I )~
Tous Íes homm~s étaient arm,és d'arcs et de
.f leches. Quelques peuples de l'Amérique méri.:.
.d ionale, ·surtout ce~x du Maranham , ont de
petit~s lances de bois dur , orn.ées de plumes ;
d'autres, tels que eeux d.u Paraguay, de Mato;'
:Gross~ , _d e. C~yàba e.t de.la Guyane, Cle même
-que les Tóupys de la côte orientale du B..résil, . ·
,s_e servent eneore de col.ntes massues de bois
dur; mais l'arc et ·les fleches sont les armes
principales de tous les peuples de l'Amérique,
.à . l'exception de ceux qui habiten~ les ·.v.astes
.pampas _de Bue.n.os-Ayres et quelques contrées
du Paraguay: .ceux-ci, étant t.oujours à ~heval, ,
.o nt ·pour arme principaie une longue la'n~e, et
.comm~ la ;plupart des peuples d' Afrique un petit
.are et pes fleches. courtes (2). II n'en est pas·· de
,même des Tapou~s de Ia côte .orientale; ·leur

·(1) -Eschwege, Journal 11on·Brasilieii , tom. I, p . 16 11.


(~) Azara; Voya,ges, etc. , tom , II.

..

.
212 'VOYAGE
seule a.í·n1e est l'a1;c colossal et la fleehe; conune
·elle e.s t tres-longue ils·ne la mettent pas dans un
,, carquois, et la tiennent à l~ main d'e même que
Ies Payaguas du Paraguay (1). L'arc des Pourys
et des Coroados a six pieds et demi de long. II
est füit de bois de ,palmier a"iri, qui est dur, com-
pact, brun noir, et mimi pour cÓrde d'ui1e fibre
de gravathà ( bronielia ). Les fleches des Pourys
ont · six pieds de long et sont faites avec ·Ie ta-
. quara , rosea u sõlide _et. noueux qui croh dans
les forêts seches; ils . les ornent à leur extrémité
inférieure de plumes bleues ou rouges, ou de·
celles du hocco muti ( crax alector, L.), ou .
du jacutÍnga (penelope .Zeucoptera ). Célles des_
, ~
Coroados sont fa1tes d un autre roseau qu1 na
t '- • • '

pas de nre1:1ds. Panni les fleches doní -ces di-


verses peúplades font usage, on en distingue
trais especes qni differen;t par leur pointe :
la 'premiere est la flecihe de guerre · qui a ~une
pointe de' ros_eau taqua:russu (bambusa),, larg~,
\ .
à côtés tranchans,. et t1·es-,aigue;; celle d ~ la se-
conde est l~Iigue-, h~rbelée d'un côté, et faite
de bóis d'a"iri; celle cl.e la troisieme es! obtuse,
' .
\•

~ tJ -Ibid., p. 14~ .


AU BRÉSIL.
et quelquefois .g ar:nie de bourrelets ; Oii s' en sert/
pour tuer l~s petits anirnatix. Aucune des peu-
pfade·!' que j'ai vues le long d·e la, côte orientale
n~empoisonne ses fle~hes; heureusement leu r-art
n'est pas allé jusque là; encore moins ont-ils
songé à empoisonner . l'ongle de leur. pouce ',
comme les Ottornaques.de l'Orénoque ( I }, Ol,l· à
se servir, cornme les Yameos des bords del'An~a­
zóne ,. de sarbacan~s faites du ch!:lum.e de gra1~1i ~
nées colos,sales e2 ).
Notre premiere curi9sité satisfaite, . nous
avons prié les sauvages de nous ·~ener ~ leurs
huttes. Toute la troupe a m.a1·~hé devant, et
nous les avons ~uivis à chevaL N~us avons
,d'abord traversé des champs de cannes à sucre
daris Ja vallée latérale; eiis.uite nous avons suivi
t.m sentier étroit, et enfin nç}us avons rencontré
daqs la f9rêt quelqu~s huttes (co_u aris dans. la
langue pciury). Ce sont les plus simples que l' on
·puisseimaginer_. Le. haniác, tressé avec l'embi1:à,
écorc·e d'une espece de coulequin ( cecropia)'
. ' .

(1) Hu;nboldt.Ansic!tten der na'tur, p . 45 et 154.


\
Tableau.-r: de la Nature, tom. I, p. 64 et 208.
(2) La Condamine, V oya~e à la i:i viere d·es Amazones ,
\

Pª&· 67.
. .

214 VOYAGE
est suspêndn . à deux tro~cs d'arbres , aux.qgeJ'g, ·
on attache pli1s haut avec des ' Íianes· une perche-
transversale ; on ' ~ppuie ~bliqueO:'lent :conüe-
cellé-ci' d~1 eôié dri ·v erit ,. ;de grandes fe~illes de
palmiér , qui sont garnies par le bas· de feuilles·
d'heliconia ou ·de pattioba, ~t da~s le voisinage
des plantâtions , de feu~lles de bananier. :A
,r
te'rre' pres a'un petit 'feu on voit quelques-
:Oac'o ns faits ~vec des ·gou'rdês ou des écuell~s­
de calehasse el J' çà et _là .'un peu . de cire ;.
divei'ses hagatelles. pour la·p-an1re,"des 'rôseaux>·
pour des' fleches et pour les pointes de cett&
arme; quelques plumes' des provisions ' telle~
que des_bananes et 'd',a utres-' fruits; I'arc et lês:
: fl'êches du chef de .Ia famille sont appuyés contre
un :àrbre ; des chiêns niaigres àc?uéi~lent par de
fqrts aboiemens l'étranger q.ui s>approche dé
ces demeures -solitaires.
Ces huttes sont petites, et _exposé'es ;de tol!ls.
c6tés . aux vicissit,udes de r~tmosph~re, de
sorte que dans l~ mãuvais t~mps l~~rs h~bita~s,.
se -tienne;nt serrés les uns co~tre les autres ,
"' -
assis dans les cendres autour du feu. D'ãilleurs-

J. ) Çrescentia cujeté.

"'
AU B'R É$IL. 215

i'homme e~t tranq:uill~ment couché . dans son·


harriac ·; tandis _qde la
fomme entretient le feq_
et fait. r.ôtir. Huelque morceau ·de· viande 6.chée
au bo.ut d'uu-morceau de bois ·pointú. ' Le feu,
n'.orom.é pote par les- Pourys, est un b~s0in. cile.
prertjiere nécassité pour tous les peuples du
'n ,:ésil. ; jamais ils ~e le_, laissent ·éteindrç ; ils
l'entretiennent_ toute la nuit, car n'étant p·a s
vêt"QS ils auraient froid al~rs s'ils en étaient pri-
v~s; il leur procure en même temps l'avantage
d'éloigner ·1es bêtcs fér0ces de leurs huttes.
Les habitans -d 7une... cabane semblable l'aban-
donnent sans regret .q:uancf. le canton v~j.siq ne
leur fournit plus ·de 'vivres en suffis~nce; íls se •
transportent .c!ans un autr~ ou . ils esperent
trouver , plus de singes, de pecaris, de ce1 fs; ·
de pacas, d'agoutis et d'autre gibiér.
-On dit que les Pourys tuentdans la contrée ou
.nous étions be·a ucçmp de singe~ barbados(1) >
ils no~s en présenter~nt effectivement plusieu:rs
"morce~UX à moitié grillés pour ,llOUS ·les vendre_.:
C'était une t ê te , ou bien une poitrine avec les .
.hras , mais .à Iaquelle la tête m.anquait; vue dé-

; (1) llfycetes ( Illiger), alouate ou hurleur.


...

,.
. ~

.,
\
.. VOYAGE
goütante~pour un Européen:, parce qu'ils ne dé-
pouillent pas le. gibier de sa peau qui noircit en
brU:lant. Ils déchirent avec les . dents ce mets
friand qni est coriace et à moitié cru. On dit
même qu'ils dévorent par vengeance la -chai_r
humaine , mais on ne rencontr.e plus aujour-
d'hui chez les Tapouyas de la _côte oriei1ta1e'la
moindre trace de. cette coutmne.; eJle leur est
attribuée 'p ar d'anciens écrivains qui jwételi~ent .
q~e ces peuples mangent leurs morts pour leur
,. donner une dernieré marque d'affe,ction(1 ). Les
Portugais des euvirons du Para'iba prétendent
que les P<;mrys mangent -•lá chair des ennemis
qu'ils ont t~és, et cette .assertion, comme, ori
le verra pa1da suite ' de cette relation, n.e .. pa-
ralt . pas entierement denuée de véri_té ; mais
ces sauvages ne voulurent.pas en .convenir avec
nous. lnterrogés .sur ce point, ils répondirent
c1ue les Bóutocoudys seuls av:aient cette cou-
,Huirn h.orribl.e. Au reste-M. MaV\:e- racon~e que
les Indiens d.e Canta-Gallo mangent des' oiseaux
crus,non vid és etnon pluinés. Ceux du Para1ha
'-n'en font pas au!ant; je les · ai ' mêp:íe vus vider

( 1) Sout?-ey, Hist01y, of Brazil, tom : l, pag. 379 .

.
AU BRÉSIL. - 217

leur gibier. Peut-;-êtrn·ceux de Canta-G~Uo ont-


ils voulu fairé un tour de force devantM. Mawe,
pour Pamuser (1). -~
Quand nous fúmes arrivés à leurs huttes , il
s'ouvrit aussitôt un commerce d'échange. Nous
fimes présent aux_fefrimes de chapelets qu'elles ,
aiment beaucoup ; toutefois elles en ·ôterent la
croix et se moquerent de ce signe réve.r é de l'é-.
gJise catholique ; elles recherchaient heaucoup
les riiiroirs ; 1n~is- ne se souciaien t guer~ des_ci-
seaux. Tom. recoivent volontiers des h011nets de
"
laine rouges , des mouchoirs rouges , des cou-
'

teaux. Ils . nous donnerent préférnblement en


\ '
échange des ares et des fleches , et des paniers
qui leur tiennent lieu de hottes ;· ils sont en
feuiUks vertes _de palmier tressées , la partie qui
touche· le dos et les côtes offre u'ne surface
continue , la partie supérieure est · ouverte et
seulement garnie de cordons en écorce. J'ai .dit ~
{
plas haut que c'est dans cette i:nachine que les
femfries portent -leurs enfans sur le dos , ~elle est
attachée à une c9urroie qui passe ou sur le front
º1:1 par-dessui; les épa_ules.
Les sauvages apportent fréq:uemment pour

(1) TraJJels, p. 124: Voyages, fom. I, pag. ~n6 .

[ .
VOYAGE
échange de grosses boqlés de ~ire qu'ils recueif:.
./1
lent dans Je creux des arbres qu1 servent de
ruches aux abeilles. II~ emploient cette cire. de
cpuleur br.u ne noire à la fabrication de '1€urs
fleches et · de lettrs ares , et en font aussi des
hougies qu'ils veudent aux Portugais; elles brô.-
lent fort hien .. Le centre·, extrêrnement 1-iince ·;
est en; cire ;· ils l'entourent d'úne ·meche de co-
ton, et roul~nt le tout pour lu_i donner de , la
solidité. IIS._rn.ettent un · grand prix à leur co~­
teau qu'ils attachent à un· corClon IlOHé autOUF"
de leur cou , et qu'ils laissent pendre i sur leur .
dos ; ce n'est qu,e lquefois ,qu'mi sim-p ie morçeau
de,fer; mais ils l'aiguisent constamment sur une -
pierre .et ']e conservent ainsi extrêmement trarr-.
~han.t. Quand on Ieur donne un couteau , ils en
cassent ordinairement le manche' et eii mettent
un nouveau ·à leur goô.t ;. ils placent la lame
entre deux niorceaux de bois , autour desquels
ils entortillent un cordon .·qu'ilS; serrent for-
ten1ent.
Nos échanges terminés nous, smnmes remon-
tés à cheyal pour aller à d'autres huttes situées
plus loin dans la forêt. Le sentier était -etro'it ,
difficile, encombré de hau~es racines d'arbres,
inégal., monfant et aescendant le long·. des
..

'
"

AU BllES.fL. 2 :-~)
. collines; quelques. sauvages monterent' eÓ: cro u pe .
derriere nous, et nous suivirent de - cette rna-
piere; une·troupe ' d'lndiens Coroados _de San- 1 ,

Fidelis.Iious accompagnait à pied. Nous avons


rencontré dans une petite vallée solitnire , m:!
·~ - milieu de .l'.épaisseur des bois,- la Illaison ·d'un
../
Portugais .q úi demeU.re parmi les Pourys ; e:n..:.
suite nous avons gra~ une hauteur assez dou~e, ; ,
et pous sommes .bientôt arrivés à ·des huites dé
saµvages · ou ·des chiens maigres "nous orit ac~
cueillis en .aboyant. On dit que ·-les· Pourys ont ..
1·eçu des Européens .ces animam~. qu'ils il.om-
nient joare: j'enaitrouvéchez tous lesindigenes
de.la cpte orienta.le- {a)~ 11 y avait dans les hut-
Íes beaúcoup de femmes et beaucoup d'enfans ·;
o:il voyait plusieurs·harnacs súspendus .dan·s quel.._
ques-unes ; mais' dans la plupart il ne s?en trou~
vait qu'un seu1. Le don d'un çouteau 'me valut ·.
d'un Poury sou - hamac , .qu'il' d~taéha sur'-le-
champ; d'au tnes éehan~rent leurs tom's ·detête
• • 11 I

• r '

(1) 1\1. d~ Humboldt a rencontr;~ dans TAmériqu~ esp~- r.


gi{ole beaucoup de chi~:µs ~oirs 1
sa-ns poils ..' Ansich'ten der
Natur, pag. 90: Tableau.T: d;p la Na;w~e, ·tom. I, pag. 121.

Nous n'en avons pas -V n de ~cmblàbles ' le long de cett-e


côte.
220 VQYAGE
en p'e au de singe, leurs colliers et autres objets
semblables. · .
. M. Freyress proposa à un Poury de lui acheter
·son)ils; ~t lui offrit ·e n·échànge beaucoup 'd'ob-'
jets. Les fem~nes délibérerent tout haut ~ur
cette offre; leur ton était chantánt êt trainant,
1a ph{part des móts se terminaient ·en a, ce qui
produisait un singulier cq,pcert : ,elles l'àccom-
·P,agn~ient de gestes de, douleur. II . ~tait évidei1t
qu'elles ne cédaient pas volontiers Ie petit gar.:..
çon ; mais le chef de la famille ,, homme ·âgé,
gl'.ave et . de bonne mine, prononça quelques
'mots d'un air pénétré, puis se init à réfléchir,
la tête haissée."On lui éloirn"a succe·ssive~n~nt une
chemise, deux couteaux, un mouchoir, quel-
ques colliers de verroterie et des ·petits ·miroirs;
.il ne pút résister à tant de richesses : il entra
· dans la forêt, e): revint' bientôt apres tenant à
la main un jeune garçon qui était fort Iaid, et
avait un gros ventre. M. Fieyress I~ refusa Ie i
sauvage en amena un autre plus joli. L'indiffé-
rence ~vec laquellé Ie jeune homme enténdit la .
décision portée sur son sórt est incroyable ; iJ
ne. changea ·nullement de visage, ne dit pas un
inot ·d' adieu , _et n1onta ·gaiement en_croupe sur
le ·cheval de M. Freyres,5. _On ·renéontre cette
,r
'.
AU BRÉSIL.
. ',
apathie ,extraordinaire dans les événemens .gais ·
ou tristes chez tous les pe\lples d' Amérique : la
j oie ni les souffrances ne produisent sur eux
aucune impression vive; on les voit rarem.ent
rire, il est difficile de les entendre parler. haut.
:Leur besoin le plus .irÍ1portant est leur nourri-
ture; leur ve'ntre demande constamment à _être
plein; ils mangent tres-vite avec des yeux avides
et fixes, leur .attentión étant unique_ment oc-
cupée par leur repas; du reste ils peuvei1t sup-
porter la faim tresMlong-te~p§. Les champs ·de
cannes à sucre des fazendas pres desquelles ils
s'établissent sont ordinairement l'appât qui les
attire : on les voit assis une de~i-journée, su-
. çant une canne. ils en coupent· de~ quantités
çonsidéràbles, et l~s emportent dans leurs fo-
rêts. Les Tapouyas ne sont pas d'ailleurs le~ seuls
qui aiment à succr la c'i\ane, .tp'l1s les Brésiliens
de la classe inférieu.re partagent le même goút,
~t dévastent de même les champs de cannes:
M. Koste,i; le dit des habitans de Pernam.-
bouc (1).
Qua.n d n .o tre commerce d'échange · dans la

.
forêt a également été fini, nous sommes remon-
-. '

(1) Travel ' pl. 345 . . V:oyages, tom. II, pag . .2 38 .

..

\

" VOY~GE .~ .

tés à cheval, un Poury 's'est placé derriere cha-


\
cun de nous , et nous avons :repris ·1e chemin
d t:: la fa~enda. Toute la bande ·des sauvages,
· hommes et .fe,mmes , n'a pas tardé à y arriver ,
·• et tons ont demandé à m·á nger. Pendant qU:e
nous cheininions, le Poury quefavais_derri:ere
. moi tira mon mouchoir de nia pocl}e; je le sur.!.
pri's à l'inst;ni ·oi1 -i:l vou~ait le cacher , et ·j e · lui
.clis qu'il devait me donner uh are en échange :
il me le_prcnnit sans hés~ter, mais ensuite il se
perdit dans la foule, et· ne tint -ifa:s»sa par9le ~
.· Quelques honirnes avaient · bu trop -.d'eau-de-
~ víe , ils devinrent h~l.lyans .et incommo.des; 0n
les .aurait aisém.ent éloignés e.n les t·r aitant ·dou-
ce~en~, roais l{{s p1anteurs., qui regardent· c.es
'hommes cotnrpe des hêtes -brutes·, tieiment en-:-
vers . eux un.e conduite opposée ; et' con;nnen-
c"m! par, parler de la ·chicocé ou ·du fouet , ' ce
q11i.irrite natµrellernent les passions ·de ces· sau-
va.g es ; et eng~ndre de· la haine et des ressen.:'
tirnens. lls f ureni donc tres-conte~ de nous
autres étrangers, qui leur montrâmes de la
· bonté et d~ la franchise; ils remárquerent bien ·
,. . à .no& cheveux blonds que nous n'étions pas de
la même nation qlie les f ortugais. Ils donnent
." -~ tous les hlancs le nom de' ra;yo
AU BRÉSIL.
N'ayaút pu obtenir ,à la fazeQ.da assez de fa- •
rinha pour nourrir tous ces hommes , .nous
avons cherché à satisfaire d'une autre maniere
à leur demandé de vivres. Le maitir~ de I.~ fa-
zenda nous a donné un .p etit cochon d Çmt nous
Jeu:r ay~ns fait présent en leur disaót de le tuer
)

à coups de fleche. Nou:s avons pu juger à .cette


occ~sion de la crua'-1té avec laquelle · ils font
mourir les animam( dont ils se nourrissent. I;..e
·cochon mangea~t aupres de la maison; un P@ury
s'.e n approcha tout doucement ,.. le visa' rhais
l'atteignit trop paut a_u -dessous ãu dos; Panimal ··
s'enfuit en criant et trainant la fleche apres luL
Le &aú~age sais~t une seconde 'fleche , .frappa- le
cochou à l'abajou~, et .I'abattit; suP ces entre-
faites les fe~mes avaient .allnmé du :feu à la liâte. ,
N _o us.é tions arrivés. aupres· des sauvages ' ·ils por7
tetent encare des coups à l'animal pour. le tuer,
d'ahord à la nuque' ensuite à la poitrine .. cE?.-
pendant ]e cochon n'était pas , mort; étendu ·à
terre~ il poussait <;Jes hurlemens affi·eux et ·per-
dait son sang; en un olin d' rei\, sans se·· laisser ..
apitoyer par ses cris, ils le jetterent viva.nt·dans
lc feµ pour le flamber et se mirent kms à rire ...
des gémissemens que la douleur Jui ar~achait.
Com mele mécontente'ment que ne)us exprirn.ions.

IJ. •
1

VOYAGEi·.
tout~haut de · cette barbarie ·c1:oissait à chaque
instant, u11_ d'eux, -prenant.s,o n .couteau, coup·a
la go~ge aµ pa.u vre animal; et mit fi~ à ses tour-
m.ens; ils raclerent aussitôt son poil, découp·e.,.
rent la qhair et se ·Ia p-artagerent (1). Comi:ne :i:l
n'était pas bien gros ; plusieurs s'en allerent le
ve~ltre vide et ·en grognant. Á pein,e la troupe-
ét~it-elle pai'tie, qu'il arr~va pour e·u x de San-~.
fideli_s un sac de farinha que nous leur envoyâ-
. .
mes ~

. _Une insensibj)ité farouche est, d'aprês cet


·ex;ernple et plusieurs autres-_dont j'ai été témoin ,'1
un dés princi,paux traits ·du car:rctere ·des ." sau-
vages. C'est une suite nécessaire de leur ~:na­
nie1~e de vi"."re, ana1ogue · à . cel1e qui rend les
• Jions et les tigres sangúinaires. Le ·. dé~ir.. de fa
vengeance, llll peu de jalpusi~, ui~ pençh~nt irré..;
sistible poll"r la liberté et pour la vie vagabonde
et 'i11dépend~nte c?mposent le fo11d ..du carac-
t~re ~e ce pe.u ple. Ils _ont ordinairement plu-
/

(1) Je n'ai trouvé 1~i· a'a1~s ce~_te occasjori µi dans. d'~utres '
la c'ouflrmatioi:l d ' un faÚ cité p 11r M . Freyress dans le Jour-
- . . ,, . ,
nal '11on Brasilien, tom. 1, pag. 208 ; il raconte que les
sau~age~ ne mangeut -pas la cbair des animaux qu'ils ont
tuéio.

......

~r "
AU BRESIL.
· :siertrs fernmes, -quelqaefois jusqu'à cinq, quand
ils peuvent les nom-rir. En général ils Iie les
máltraitent pas , mais ils les regardent comme
leur propriété; il faut qu'élles fassen~ ce qu'ils
veulent ; en conséquence, elles sont ehargées
comme des bêtes de somm_e dans les voyages'
tandis (ltte l'hotnme marche aapres d'dles n'ayaht .
qtte ses armes à la maih. .
La ktngue des ·Pourys, qúi diffêre de· celle de .
la pJupart des autres trihüs, a de l'analogie ávec
celle tles Coroados et des Ooropos~ Quelques
écri':'ains; ét entre· autres Azara ;- ont prétendu
que tous ces peuples de l'Amérique n'ont au-
cune idée religieuse; nl.ais cette assertion sem-
ble d'autant n1oihs...-fondée que eet auteur cite
<fuelques opinions d\3s lndiehs dti Paraguay, qui
sáns dt>ttte ont pour base uqe religion encc>i·e
informe. M. Walckenaer, son traducteur, faij;
avec raison en plusieurs,enq roits la même remar- .
qu~ (1). Quánt à tnoi j'ai trotivé chez toutes les
tdbus dé ;Tapouyas que j'ai vues, des prerives
manifestes 4,'une croyance religieuse, et je re-
garde comme une vérité certàine et i.ncont~stable ·
qu'aucun peuple de la terre n'est dépourvu de

·V
(1) Voyages , tonh II • pag. 54 , à ia note. .
L 15
religio;n ( 1) .; Les sau;vages . du ·Brésil cróient · it :
différens, êtres·.i)uissans; i]s . donnent .le nom· de
, 'r_apa '. OJ.l ToupanJau plus grand et·au plus fort, '.
qpi est da,ns le ; t_onnerre ; ºplusiçurs . ,.t.ribus , et·
:q1,êm~ qu,el< ques-m).es des Tapouyas, s'accordent
_'(-.g,t ; ,e eJleset avecles Toupys, .ou avec les lndiens1
çle .la Ling0a:...Geral, sur le nom :de cet espri't cé'.'",
leste. Les Pourys lui donnent celui ·de .Toupa'f! .
. cit;é par Azara. comme étant ~de la .l~ngue de~
Ç4~fén'1ys ; nouve11e. preuve .. de ,l'affinité . de ce
pe;tJple aveç 'les t6bus de la côte, Qrientale. ·On ..
n .é i~oit pas · d'ido1es · chez : -les . Tapouyas , pas..
n.:1:ême. des maracas. ou la. parure :magique . qui
protég.e ·les ·Toupinarnhas. Ce n'est -que sui l~s..
hQ)?,d~ 1 d_Jl fleu:ve des .Ama.zçH;1es que l'on . pr,étend~
ayo.ir -tr~:myé..cert~ines figures .d'i9.9les , , qui .sem-
l;>J~1'!t i.av.Q.i('( tl.es . i:apports ·~.vec la : -:i;:eligion . , O.es:-
t

.
~ • j

.
·••) . '
, ('1) .Le .curé , de ...S1;1.n-~ .oào-Batísta p.ré,t end 'a~oi:i; trQuvé
. ~ ' "! ~ J 1 • • 1 • • _, ... • .1. ,,,1 • ~ ;'. ' ;

aucu~1e .ídée religieus!l chez l~s _Indiens; ,mai.s. cett!l assertion


~. ...... • ' j 1. • -- (

ne pro11 ve rien, car puisqu' il admet l'existence de ces ídées


, • 1 • ' ' ~ •• • • ' • ... • .. •

chez les Pourys, bien plus grossiers que les Coroado!!, elles
• ~ , 1 ·• .• •I
dbiveut cerfainement 1 n'avoir pas été étrangeres ·()_ ceux-ci.
fl ·est ·iucont~~tabl e' q~1 "ils ·1·econnaisse'nt un être p'i.1issaut e_t
surnaturel, a·uq:uel ils _donnent le non1 de Toupan., et qu'ils.
redoutent. Jow:nat ~on Brasi,lien, '~a·g. 165.

AU BRÉSIL.
habit,ms (r). --La ·plupart eles i :ndiens de l'Amé-
rir(ué nié1;idid~àle d nt . 'aussi une idée' confuse
d'un deluge ín~~versel' ; ·e t div~rses traditions qui ·
sont · i·apport~es :entre; aüÚes dans les Noticiéts
cariosas«Le V -á sconcellos'(2 ). ·· '
'~ Notr;e hôte obligeant DOUS ·avait invittés à
passer ·Ia nuit chez lui; nous n'avions · pas pu ··
áccepter son ofrre, et Ie · riJ.ênJ.e -jour nous áv@~S ~
repass·é·Ie· P.ai,a'ina pour reto~rlier à·San-Fideli~.
Les :cor<l>ad<!>s ·y étàiént ·tres-mécbntens ·d e ncnis,
drisÍínt qtte notts né leur av~óns f~itl aucün °p 'r ése'l'lt, ,
' ,.
t~mdis que lfibus avion~ donné beauco.;.p de cho:.. .
ses aux Po~rys. Pour ·ies cálrher ün ·peu nous ·
leúr avo·ns -enco·r'e acheté.de s·ar'c~s..et des 'fleéhes.
N 0 us"-sef'mft1iés11ensúit.e ·allés fa'ife !ifoe visite· au
pe f1e"' IT~ào.~{Le:Jp~ta'il:fa; co~Ie soús ses fenÚres ·;
c'est le': flet~,-y.~;tJ~ i'liús1 "côiis·i'dÍéiii:ibfo 'de la 6api~'
ta1hel·ie de"Eio !Jaífeir:br; >on j ~ ~.di{1pte soix'a·óte-~"
d0t1zé. 1les ';1tí~qli''à'' sa cáiseade i ·(ca~deird) ·a u- ;
dé,?s~s"-1 dê fS'afi.!.:.}11'deHs1.U 'H ···n' élaü '-p~s· ·alor:s"'
tr'e~-bá'iltJ~ n{ai:sHt.itcJns··iJ~ Hsalson, 1 tles -~luies) é·11•
cl'éijenibte1 <t_t jàlfviei·} iNJ~1!>ord Eí! ~ ~ 1 • ·
'"'U.ii êfüéY$in Hiêt1erà t\ravfe)·s l~s inontagnes de
' '

( i )~ Spp L}r. y_.,,:r.E--?{~~q.':r;.:; o:{ ·Jtra,z/1t,, \Qm •. 1 , ~ pag. 6io.•


(2) Ihid., pag. 47 . . ;r !. · J ., , ,. • , ' ..;., .

..
r

·voYAGE
San-Fidelis ~ Canta-Gallo, un autre à l\Jinas
- Geraes. Canta-Gallo, établissement formé par.
des Paulistes qui cherchaient de l'or, resta'. lQng-
te1n ps iµccmnu au milieu des grandes ;forêts .,q ui
l'entourept, jusqt;i'à ce qu'enfin le crj d'un coq
le fit déco~vr'ir , ce qui lui valut son nom ( 1 ).
On dit qu'e 'lorsque les ,jésuites s'etablire11t dans
le Brésil, un~ tribu d~lndiens tres-blancs habi-
tait le canton de Canta-Gallo: les preJUiers y-
ay:ant ,t rouvé de la poudre d'or, }a.. .fais.aien~
A apporter au Para'iha da:ns des_ ~açs de papier
par .les lndiens, auxquels ils donpai~nt des ba-.
gatelles de peu de valeur. . -
Notre séparation d'avec le pere -!_oào a · été•
phi!s affectueuse que notre premiere ·eBtrévue,
avec lu,i:; mais p.ous dimes .un adieu plus cordial
au hon, vieillard qui: DOUS av~Ít si,g~n,~f~US<;!ment.
d .0 1mé f,hospitalité • . ~ous av.qµs tr.~;yersé dei
nouveau le Parà~iba p<;>ur. aliei~ à l.fl fazenda de
lVL Furriel, et llOl1;S avons ~ncore vµ k&. Pt:Hirys
v;enir au mo'uli,n à' -suc;re. pour· y_ .sq.~~f. Cles.
ç~nnes. _ün leur anrena le ,p etit gal'çpn , q_ue
1 -

- _M~ Freyress. avait acheté ·la veilÍe -~. - :po.lli: j_user

(1) Mawe,, P·· 1·20• , tom. Í~ pag.: 209. Le· c-Jl~pítré ltX
c:ontient la 1lescription de ce cantou. ·
AU BRÉSlL.
de l'impression que sa pr ésence produirait sur
eux ; à notrc grande surprise, pas un ne daigna
lui jeter un coup d'~il; de son côté il ne cher-
cha pas. se.s parens
f
et ses amis' et s'assit au mi-
lieu de nous. Je n'ái retrouvé cette indifférence
chez ancane autre 'trihu., elle parak cependant
n'avoir lieu qu'envers Ies jeunes gens ·, car ces
sauvages ne manquent pas. de tendresse pour les
petits enfans. Jusqu'à ce que le jeune garçon o

puisse~.se :noarr1v, il est absolument Ja prop.r iété


de son pere; des <'Iu'il est en état de se procuret·
sa subsistance, son perene s'embarrasse plus de
1
lui.
Quelques Pour.ys passerent pres de nous avec
}eurs femmes completement chargées de leur.s
enfans·et. de corbeilles plei.11es de: bananes _, d' o-
ra.nges, d'amandes de quatelé ~de roseaúx potiJt•
fair·e des pointes de fleches, de cordons de
c0ton etde quelques objets de parure. L'homn~e
)
porfait:un enfant, ses trois.femmes·portaient les
autres et les corbeilles.
Ayant pris congé de notre hôte et des ln_:
diens,. nous avons suivi à éheval la rive ganche
du Paraiba,pour l' examiner. E~e est aussi agréa-
hlement ~a~iée et aussi hien cultivée que Ia-
. rive duoite. Nous avons vu de grandes fazendas
<:> •

VOYAGB _
. -entourées de heaux .arhres, entre .autres de .qua-
. _telés,'couverts, de .Jeµr feuillage tendre, qui é~ait
.c 0t1leur de rose, et de leúrs. grandt s fle.u rs, .de
.fórme:singu)iere et .de couleur lilas: Nous avons
fait Jialte à . la ,maison du . Senhor .Morales._ Ce
planteur, biénve~llant . avait . préparé . pour, nous
quelque~ objets . d'hi:s t.oire .naturelle. qu'il · nous
offrit , . et fit aussitôt . se,l ler . s.e s che~aux_,,: pour
• nous acc.ompagner. Pen~ant que nous étions
,. :chez lui quelques familles . ·de Pourys _, sont
venues carnper aupres: de ..sa ~naiso!l : i]~ aiment ·
heancoup ce hrave homme, qui les traite tou -
jours avec. franchise .et amitié. 11 ne fait pas at-
,t ention aux dommag.e s .qu'i.l s ~ui caus~~t' quoi-
~ ,qu'i]s soient ,quelquefois .considérables; .. il leur
· perrnet toujours de pille1: .ses .orangers et ses ba-
.
nan1ePs, d e me1ne ..que ses .eliamps el e. ca13nes
h
1
. a'
sucre; souvent i1sJes_dévastent . .Un ho1nme sem-
bla ble, ,qui possede leur estime ~t Jeur. amitié, :et
qui ·sait les trai ter c·o nvt;nablement, serait h~.e·n
propre à les a rracher à la , vie sauvage, . et. à les
réunir dans des aldée_s ou .~:i.llages. M. Mo_rales
npus accon~pagna par de·~ .Çhemins n;iontu~ux)e
long du fleuve; _il y eut souvent des passages
difficiles d~ns des .1non tées ,et des descentes
roides. Ensuite nous sonunes entrés dans une
.. '
tres-
.


AU ;JHlÉSfL.
;fdrêt «soinbi·e ·ou volaient·des. 'pàpillob:~ magni- ·
fiques.' Tout à .·c oup nous a:vons àperçu ·pres ~des
·bords 1 du fleuve une petite ·lle ·eritol.frée 'd~ i'u-
che'1•s =escarpés: 1 0Il ·y voyait c1uelqu'es vieiíx 'ar-
bres· couverts ·entie·r ement de nids \de guach
(cassicus hcemorrheus), _;qui ont la fm{me de
bourses pendant~s. Des plantations de carmes·à
sucre, de riz, de café , celles-ci ri1oins - fré-
quentes, et rnême de ma'is, s' offraient alternati-
ven1ent ·à nos regards. Au milic;.!l du fleuve
.J
s' élevaiient de jolies lles, en partie cultivées, en
partie convertes - de forêts. V ers le soir n6us .
-sommes arrivés à une plaine le long du fleuve,
'occupée par des pâturages et u:qe grande fa-
zenda. Nous y avons été si bien r.eçus que nous
avons résolu d'y passer la nuit .. Au-delà de Ia
vallée on voyait de bantes montagnes, et par
derriere le Morro de Sapateira, chaine primitive
avec plusieurs sommets.
· Le lendemain à inidi noüs somn1es arrivés au
Muriàhe, riviere peu large , mais profonde et
rapi.d e, qui dans la saison .des pluies cause sou-
vent de grands dégâts ; elle prend sa source à "
la s.~rra ~o Pico, dans le pays eles Pourys: O~'.l. dit
llu'elle estnavigablependant sept legoas, jusqu'à
une cataracte. Une petite pirogue nous a portés
.-
/

~~2 VQ.Y_A G F;
del'aut'-e. côté du:Para'iba, et lesoirnouss.om_mes.
ai;rivés à Villa qe San,"."'Salvado.r~ Nousayo~sren­
contré dansnotrerou,te l'aldéa de San-Anto,Fiio,
Jlui était al,ltrefois u:q vill.age_d:J:nqiens-G-o.1:ul_h,o,~~
fondé par Jes j .ésuit~s : <;lUjourd'hui \'on :Qé.
trouve ·ph;as un seul Cab,0clo. pa-rmi s~s. hahi-
t~ns.
AU B.l\t.SJL.

CI:lAPITRE, Vl. ·
Murihecca. -HostUités des· Pourys. -Quartel das Barrch"as .
__,... ~'Itap.erµi,rim.. ...-- Villa-N.on. de. Íleneve:Q..te . sur l"Iritiba.
,,_.. (.i-o~ra,pai;i~ .:

A NOTRE arrivée à Villa de San-Salv-ad01:- ,


{.l us apprimes que l"on avait reçu la confirn'la-

tion de la victoire de Wáterloo, et nous pai·-·


tageârnes la joie 'lue cette nouvelle catisai.t aux
habitans; aussitôt nous fimes des préparatifs
pour continuer notre voyage au nord le long de
la côte; nous pr-imes deux~ nouveaux chasseurs;
et le eolonel Ca.11valho d(f>s _Santos, comrnandant
du lieu , qui JlOUS avait comblês d'honnêtet.és ,
Jil.ous donna un solçlat pour guide. .
N~:ms som mes p~Ftis le 20 ~ovembr-e, et nous
1
avons suivi la rive du fleuv_e jusqu'à son embou-
chure dans la mer. L'aspect de la viMa est tres-
pittoresque de ce côté; elile s'étend assez loiri. le
1011g du Para!ba: ; la masse des toits, entrecoupée
de tiges de cocotiers, s'éleve icnmédiatement du · ·
boFdde l'eau; le fond du tableau dans lelointain
· VOYAGE
est formé par de hautes montagnes hleu~tres .
· Le fleuve, qu~ traversent sans cesse des pi rogues
menées par des negres' est _h ordé de bois' de
petites prairies et' d~ jolies ·maisons.
Notre journée a été assez fatigante. Le long
rapqs avait rendu nos mulets peu dociles : en
passant devant les nombreuses fazendas , il fal·-
lait s'arrêter afin d'ouvrir les clôtures élevées
pour retenir le bétail; nos aniu1aux profitaient
.de · ce ·délai · 'pour s'échapper. Les breufs que
nous vimes dans cette contrée étaient tres-beau-1 ·;
ils sont eu général , dans le' Brésil, . grands bien
fails et ·charnus; ils ont des cornes incoinpara-
• ,.
blementplus grandes quene sont ordinairement
celles des breufs d'Europe. Les peaux· de breuf
de Buenos-Ayres, .de Monte-Vidéo, de Rio-
Grande , et des autres. pays des possessions por-
tugaises et espag_:noles en Amérique, sont re-
nommées par leur grandeur. On éleye aus~i
béaucoup de chevaux·dans le pays que nous tra-
vers1ons.
Le paysage était varié et agr~able. Nous avons
vu plusieurs oiseaux nouveaux, entre autres le
beau m~rtin,.pêcheur bleu ( alcedo alcyon, L :. ).
Nous en avons tué plusieurs. Vers midi nous
sammes arrivés à la maison d'un lieutenant.
AU BRÉSIL.
11 .é tait absent ; sa femm~ tfous a ·d onné l'ho~pi­
.talité . L~ lendemair! , quand ~ous nous prépa:.....
rions à partir, le . lieutena~t, quí était arrivé
pendu~lt la nuit; a fait selle1~ s~n cheval, et ·
DOUS~ accornpagnés jusqt~'à Villa de San-Joio
da Barra. Le tcm1ps était extrêmement chaud;
les flaHues d'€'.au . des forêts étaient presque dessé~

chées et convertes d' une muÍtitt.~de de papiiloiis
jaunes et bla~1cs qui y cherchaient de la fra!cheur.
Ces amas de papillons dans le·~ endr~its hum~des
~ont tou)otirs un signe de l'app~oche. de la saison
cha{1de; on e~ voit cpielquefois v~ler , dans. le
v.oisinage de l'e~ü d~s troupes si gros~es qu'elles
ressemblent à des nuag~s.
. Dc.s bois nous cacliai~nÍ la vue du Para'ibá. ;
le sol sablonneux nous indiquait• l'approche_de
.la ~:ner. De jolis ois'e aux, en~re autre~ des rnartin-
pê.cheurs, augmenterent ici nos collections.' .f\r-
. rivés ~.;r les bords_.du fl~uve ,' nous aperçun~ês
\m. animalobjet d'rine chass~ nouvelle; c'était le ,,
jacaré ou lecrocodilé de ces contrées(crocodilus
sclerops) ( i ). Cet amphibie habite dans tous les

( 1) II est douteux que le jacaré d'Azara soit le crocodilus


sclerdps. Sa des~ription est trop vague; d'ailleurs la éouleur
VOYAGE
l
fleuves du Brésil, surtout dans ceux qui n'ont
pas beaucoup d~ pente , et oit par cons~quent
les. lieux maré'cageux et les bras à eau dormante
sont nombreux ·: on reconnait ces dernier:s aux
larges fouilles de certain~s grandes plantes aqua.::.
tiques telles que le nymphrea, le pontederia,
ete., dontles tiges pollssent du fond de l'eau-, et
qui étalent horizontalemeht leurs fleurs à la
surfa~e: C'est là qu'il faut chercher le jacaré,
et que l'obser vateur expérimenté. voit sa' tête;
" que l'animal avance au-dessus de l'eau pour·
guetter sa proie; cependant on le trouve aussi
au milie-u des. i~ivieres , surtout de celles qui
sont peu considérables et coulent le~tement. ·
D'épais. halliers formés par un arbre à tiges rnin-
ces, hautes de dix-huit à.vingt pieds et à feuilles
larges, entiePes ét t ordifo.rmes , probablement
d'un' Croton voisin du Tridesmys ,, couvrent les
rives du Para'iba. On peut s'avancer doacement
e:ntre ces ·a1~bres. ju-squ'au bord de l' eau,, et l' on
apei~çoit le jacaré aux· aguets. Dans- }e commen-
cement nous Ílous approchion~ du fleuve à·

de !'animal est tres-différente. Voyez Est1ais .mr les quadru-


pedes du Paraguay, etc., tom. II , p. 58-o.
AU BRÉSIL.
• \1

cheval sans garder le silence nécessaire; et :rfous


u'entendions que le .bruit que faisait le _jacaré
~n plongeant ; mais nous étant ' avancés avec .
plus de précautions, pour voir d'oil,_provenait
ce hruit, · nous avons déc~uvert pre~ de la rive
le jacaré qui le causait. J~ lui en.voyai là ch~rge
complete de roon fusil à deux coups ét jé l'át--
trapêili à 'la nuque; il fit un bond en l'aii~ > sé
r.etourna sur le f}:0s , et plongea . .Quoique je
fosse ·sfm.. qu'il avait _:teçu: un coup ll1ortel, .il
n'y ava'it cependant aucun moyen de le tirer
du fond de Feau, Nous en avons en pen de
temps tué ainsi jusqu;à quatre )qui nous ont
tous éc~appé.
Tres-peu 4e temps-apres notre der-triere més-
aventure. de ce genre, nous avo:ns entendu de...
vant nous quelques coups de fusil. En arriv.ant
aulieu d' ou,ils partaient :nous avons reconnu que·
qe~x de no~ chasseurs plaeés sur le pónt d~un
ruis~ea}l qui, poulait lenteine:nt avaient fntppé
un jacaré de de·~x ·coups à la nuque;. nous nous
5ommes p_rocur~ lltne pirogue à des caba:n es
de pêcheurs qui étaient dans le voisinage ; · un
pêeheur- fouilia dans l' eau ãVeê une fourohe de
fer, atteignit l'animál, ede r.etir;i. C:e jà~-ré a:vait
à peu pres 's-ix pieds- de 'long; ,sà cóuleur- était
. "yOYAGE '
d'uÍ'l "gris verdâtre , traversée surtout à la queue
par ..des raies plus foncées ; le. dessems du ·
corps était par.tout jaune clair; · Nous étions
hien contens d'avoir ce bel aiiimal' i1ot.iveau
. pour nous.-·Nous l'avons char.gé sur nós· mu.:..:.
lets : ii' répCJ."n dait une· odeur de mus'c e:itr.êm:,e~ ·
mep.t. dé~~griabl.~. Le jacai:é'n'égal.e pas à beaUJ..:_
coup. p.res en, grosseur lé cro.eo.d ile colo"ssal ·de.
l'ançien n;i.o)lçle., ni inême . ·celui des cc;rntrées ·
d~ l'Am~1:jq.µe, 1J1ériáionale voisines de11l'éqtla~­
teur~ M ..d~ Mumboldt ,trou:va le corps des.def;,.
niers .tou;t cou,v~pt d' oiseau~, .et iL ajoute : qu'il:
a mêµie -yu; des flamat?-ds 'ou '. phénicóptê11e~1, s·e ·
reposer tran~uilleme~t su{~ leur tête .( 1 ) : ' el!O '
,. .
"L e Para'iba co·ntient béauc.o u'p âe jacaré's : les -..
. . ' , .
negres m.angent -s a chair.·On déh'ite! fo~tes sortéS·
de f~bles sur ceFaüimal.Çependanl ón. he le cràint
p~ s, quoiqu'il ait huit à N.eur.Pied-S d~IÓn~; et q'ríe
desi 1pêcheurs n0u's aieID.t inont1•é ·á_ leurs' doig1:1s1
. ., .. . . r ~

9.f1s trac·e s de .ses .1 morsures : 1ie lw-êtr~ luiJarriVéLI


t~il •quelquefors i • d'a,Ítrap~·r ei-:<fel · h1aüger :Jn.1
chien qui traverse •la ·riviêi<e ií la ~1~g~ . .Ces j'a ca<..tG.
..
., : 'i'."> • • ; i .. J -~ 1' f ~ # ~ j.

._ ~ ' .l . { j /1 '
,, • ••J . . . . .,.~.l i..1 ... '1
. . r . !. ~ . . , ·r
:';_ (·tr) .Ansichten . dernatur, 'P· 141. '1 !

:í T~.bl~·Ql4-~ _de, lµ, '~f.1-tu:-~ . ' tóm._1, p._46 tit i61 ;__ ·
1 •

AU ~ BRÉSÍL. 2_3.9
1 • ••

rés ét3:i~nt si n0.r!1breux dans le___ruiss.eau oà.l'on;·.


v,e nait d'en. tuer u:q. ., qµe çle d~ssus le _pont_l'on,
. \ I l

en. po_uv~it ,d'un coup~ d'reil compter: plusieurs ;.


~ais . nous en, __avons . t~ré .·q-.,1elq~es-uns d~ _~rpp_ .:·
loi_n,, ce qui les a ,e~aroµchés, et no~s - ~1e _no-µs,
ep_s.o~mes,I pr~curé : qu'un ._ se~l'.
. .
. : A -.,me petite,. distance _de ce ruis~e~u noµs_
avQns reru~ou tré dans. les terrains sablqnpeux.
des .buis~Qn~ . d' E uge~ia peduTic,;,faia, j oi~ a~·~· ·
br~sseau tres-:-connu; il éta!t en ce ri1oment , tou~:
co:uvert de ~es fruits _roqges, oharnus, quadran- -
gulair~s., savoure.t~x, c01~.us dans . le pays . so{:.5 .
le nom d~ pitanga, et qui .e_n ~ ce h1oment ·~f­
frent_un rafrakhisserilent agr.éable. Les _acajo'us
( anacardium orientale, . L ~ ) étai~nt . ~n f\eur :~
:p.ous,yimes dans.."Qnep.rairie. vo~sipe _qn_ b,~au t~ti'- . ·
reau _à q-.,1.atr~ . ~or.p.es. .. , , ~
~n~n. nous ~Qmrp.es ~rrivés . heur_e\:!-s.~n~~nt fl
' Villa de San-Jpào da.Barra, .~itué~ -~ , p~q _d e__qis-.
tance. de l'einbouchure. . da Paraiba . dans-la
, . , ·. . m~r.
' -
Grâce. ;t l'atte~fron de M~ le. _lie~te~ant . , . ~~otre,
·guide, on nou,sfit loge_r dans :la. casa, d~. Ca~aq~, ·
ou m~ison d_e stinée aux_ .~~1pl,0yé.~ de,)~ çou-·:
ronne ·: elle est grande; clle a plusiem~s -cham-
bres, ainsi qu'un_e cour plantée_-d'orangers eí de
goyaviers, qui étaient ;;:tlors 'e1~ flet~rs : Villa ... de,
.
24õ VOYAGE
S~h.... Joào da Bar1•a est uh hóurg qui ne peut
pas se éfünparer à San-Salvador; il n'a qu'une
église; .ses rties; ilõn-pavées, soót bordées dê
maisobs hasses à un .Seul étage, b<lties e1i bois et
enterre. Le flêüve est navigable po1-tr des brigs
assez grps et des .súmàca_s; de sorte que ce pot't
fait ses expêditions direétêmeht pât níe~. Tous
.Ies bâtim.~tis qui veulent rêmontet· jusqu'à San-
Sàlvadõr _ sont flhligés dê p:tsser devant San'...
• Joào dâ Bárta, qiloique le brás du fleuve qül
baig~e ce bourg soit peu p·1~ofünd, ~t quê lê
éhenal
,,- - de queiq·ues Ués. La
. se · t.r0uve au-delà
.p lupatt des h:ibitat1s sont matins et pêchêtits j
le. tiommetce des · produeticms des environs de
Sán-Salvador les fait viv1•e.
Nos t!hásseurs, qui nóus àvaient précédés ã
San-Joào, avaient tué différetis ánimaux, et Ílp-'
. porté aveó éüx det1x ttttous vivans. Ce singulier
:ú1imai est tres - com:ti.mn a.ti grésil 1 ou i'oh
ei'i. ttóuve plusiettrs espeóe&. Geux""'.'ci étaieht
de celle ép:ie l'.o h noµune tatu-:.peb'ci ; máís plu~
généralement vrai tátou (tatu verdadeiro) ( 1) !
il est excellent à manger rótiJ On mit le soir

~·1 ) C.'est- Íe Tatou noir d' Azara. Voyez Essais',, etc. ,


tom. ÍI, p. 17 5 .

AU BRÉSIL.
' .
un de ces animaux dans un sac, etl'autre dans un
cotfre; le lendema~p quand 'o.rí.voulut leur don .....
1

ner à manger, on tróuva que le premi~r, apres


avoir fait un irou·dans le sac, en av~á_t pratiqué
un . autre- dans le mur épais de la m<i;is<;>n, et
s'était échappé.
Nous avons passé deüx jq.urs à-San-Joào )pour
préparer notre jacare ,' opération qui nous Çt.
pris uoe journée entie1~e . . Le juiz, , juge ou
maire du lieu, nçn~s avait procuré quatre gra!l-
d~s 'p irogues et des matelots pour transporter
notre bagage de l'a,u tre côté du _Pa_ra'lba. Le
vent, qui souffiait avec fo_rce, élevait ,d e si gros-
ses James sur_la surface ,du fleuve, que . de, pe- .
tites pirog ues auraient . couru. le risqu_e .de cha-
. virer. Nous entendtmes. constamment Ie hruit
desbrisans de la roer, _tandis__ quenous doublipns
en déscendant le fleuve une ile couverte de . jolis
arbr~sseal!-x. On y V<?yait entre autres un c~éome
frutescent; à gros bouquets , d~ fleurs, d'un blanc
jaunâtre, à étami~es pourpr~es, une malvacée;
haute d~une quim;:aine de pieds, à fleurs . d'un
jaune tendre et à feuilles· cordiformes ( 1), ·l'a-

(1) Arruda nomme cette plante Guachuma d.o Mangue.


( Hib ibcus pernambuceusis . )
:i:.
IJ'

f
·voY:A:G<E

nin'ga especé'de gouet ·à 'háute tige ( arwii (li- .


niferum. .Nr1·u'da1) à ·grands ·fruit~ ovlfol'mes ,
et -à fletirs -blan~hâtres (1).
::Npi·ês-avoir
.
frave11sé le
-
second;bra:s
1
du·-f leuve,
1rl011s'so.tnmes e:riués•é:lans riu petit' canal qüi·cóh-
1
duit entre denx Hes, et dans leqt1cl Feau·,. en'--
'toürée ·de ·tóus côtés <de grands·arbres, ést ex-
trêhíeinent ffànqt.Íille; 'àussi · cet espáce ·est-il
·rern'p li -.de 'jac'ares. Penélarit · qüe n~tre !f)irogue
·avançâít lentétnerit, ·n.ous ' en apetéevions tout
autorir' tle nou:s. Les mangliers ('conoct.irjius et
"avicénnia )' forme)it' avec leurs 'r acines hues'
ârquéés ' et ·pârtarit d' une pa rtie ~levée de 1 l~
·ti.g e, ' un singul'ier entrelacetn'ént. Nous ·a per'-
.cevioris q1;Jelquefois entre ces·'arbres' des j'~cares
qui ·se ·reposaient sur de· vieilles souéhes ou sur
·des pietres le lóiig du rivage. Mon ·fusil était
toujours prê1:--à léur· envoyer une balle ;mais je
·ne•ptis ·e:ri tirer faucun ; so~vent la ·pirogue(ba-
fançait, ~ et avant qu'elle '"eut repris l'aplemh
1iécessa'ire pour que je pusse viser, 'le jacare ·
·s'i~tait ' replongé dans Í'eau. A ·l''issue ; .du -canal

' (1) · Ihid. Voyez sa descr.iption desplantes de Petnam..:


llouc dans l'appeudice du voyage de Koster.

AU )3R,ÉSIL. tj3
DOUS aVQÍlStrouvé .sur r:ile .beaucoqp d~ martin-
pêcheurs; ·de .gran.:des tr.oupes . de cormorans
semblables au .nôtre (carbo ,cormoranus), plon-
geaient pour attraper leur proie; mais ils étai~nt
un peu :far0uches . .Faute· d'objets plus· impor-
tans , nous avons .recµeilli deux especes . de
goemon; que l'on rencontre aussi pres de ,Rio-
e
de Janeiro l); et dans une petite lagune, iongue
.et.étroite, située derriere Jes dunes, nous avons
. tue, un 4?ormorai:l p'l ong~ür..
Au nord de ce lieu, la côte, à une certaine dis·
tance du rivage, est cou~e~te de div~rs . arb~i~~
~eàux, par.mi lesquels o:n distinguait:l_ e pita~~ira
( eugenia pedunculata ) ' une 'n ouvelle e~pece
de_sophora à ,fleurs jaun~s, le cactus hexa'gone
. et d'autres plantes de ce gente que le vent 't~ent
tres - basses . . ·N ous avons atteint avant la nuit
la fazenda Mandinga, r
qui est isolé~.
sur le b~~d., .
de la mer; nos gens et nos mulets, qui avaient
été arrêtés par un. canal, n'arriverent qu~ ·le
lendernain
. ~
matin. Nous avons rencontré '·
en ce~

lieu le cor.reo ou le _ courri~r de. la' poste·,


..
qili
.
va

(1) Fucus Undigerus. L. F. incisifoliüs et 'F. latifolius.


ª . Turn. hist.·fuc.
·2.(4 Vt:>YAGE
-de ·Rio jusqu'à Villa de Victoria, ou il horne
sa course au nord. Nous reç:umes des lettres· qui
nous procurerent pou,r la soirée un · entretien
~gréable.
, En allant de Maridinga au nord, . nous avons ·
voyagé le long du rivage dans un sable profond -
quiest toµjours humecté par la mer. Cette route
sablonneuse est commode et agréable pour-les
hommes "·mais les .mulef:s et 1es chevaux, qui ne
sont pas eúcore accoutumés à.la vue et au f1:acas
. dE_'.s hrisans, s'effraient souvent dans ce chemin.
Une trQpa, vue de loin sur la surface hlancbe et
unie de la plage sablonneuse le long de la rner
1 azurée, offre un coup d'reil intéressant dans les
en.droits ou la côte ne forme pas -des enfon-
cemens considérables , les bêtes ~e somn~e pa-
raissent dans l'éloignement comrne des points.
Sur les pointes ·de terre qui ont à soutenir les
chocs les plus violens des lames , on observe
des rochers que l'eau a percés de la maniere la
plus singuliere. Q~elques es.pece.s de vanneaux
_ et de pluviers animent la eôté, sur laquelle on ne
·r encontre que pen de coq~lilJages et de goemons.
Ayant suivi. cette plage l'espace de quelques
legoas ., un sentier nous conduisit à des lagunes
~nvironnées de ·hauteurs boisées. Une soif a1·-
AU B]ilÉSI.L.
(
24?:
dente tourmentait notre· tropa, tout le monde,
mit pied à terre pour se désaltérer, mais; à no_tre
grand chagrin, le débordement·de ,la mer a-vait
salé l' eau des fagunes ;. des huttes, dans lesqnelles"
nous. espérions trouver · quelque chos.e pmif
apaiser no.tre soif, étaient vides . .Hcuqmse!}-ie:µt
des pitangas, qui .croissaient .en abondanc.e dans.
tout le canton, nous dédommag~rent en qµel--'.
que sorte de ce que nous ·avions espéré· y r.en.,...
contrer;
. . ~

Un sentier, qui,. en s'éloignant de Ia. mer, se.


dirigeait vers eles bois touffus, ne tarda pas ~
nous faire entr~,r dans la forêt. J:'étais en .a vant
de la tropa, j'observais les belle~ plantes, et je
pensais aux '"l'apouyas qui infestent quelquefo]s
, l ,, d
cette contree, orsqu a ma gran e surprise- J a-
. .,
perçus tout à coup devant' mqi deux ; hommes
bru:o.s tout nus. Dans .Je preroier mo~ent je les
pris pour 'des . sauvages., et j.e /.me. préparais à,
saisir mon fusil à deux~ coups .po.ur .rp,e d.é fcndre
contre une·attaqde_possible., quand ie- r.e connus.

--
que c'étaiei.Jt des chasseurs de lézards. Les plan-
teurs qui habitent ces déserts, aiment Ia. éhair. dn
teiú (lacertct teguixin, L.), ., grand lézard, ainsi
nommé dans la ling.oa geral . des . Indiens c.ô.-
tiers, et vont souvent .dans les for êts et .les bois.
yOYAGE
s<ibl6'nnéu:i" à)a chasse dé cé"s ~l'ltniaú'x avec · des
éhÍéns dressés à les· p·oú'is'üiv.re. Des. qtie les
élíiens s'a·pp•·ocli.eút d''un Íéiard,. celúi-é'i s'éri:..:_
ft..ift a'vec ' u'fr~ vi tesse· i~co:ncevlirblf . d.a'ris . sdtí·'
irou, qúe le cha's seur créuse, puis ·tu'e l 'áni·iiiáJI:
La·chaleur étant excessive; c-es deux hoi:dín'es ~
démt tdut Ie· córps éiait teUeH1erlt'. hâlé du soleil
qu'oii á'úrâ'it pu 1e·5 pf~ildre p:oor des Tapô·uyás,
s'etãiént. dépouillés de 'touté espe'c e de vêY.e-
ment ; ils. étaient armés de h.aches; iJs·'tivdi'éíi't
(. 1

pris d.éúx lézàrds, ·loiigs de pres.de quafre piel::ls,


.la quetie coníprisé. . <

Ce~ chasseurs,, qüi conhãissáient bien ·Ja 1éO'n'.:.


trée , rious direni qu'én: moins d'uné heú.rê dê
roL1te nóris àrrivéridns · à là .fàzenda de Muri-..
heccà, ou :hous voulions pásser la nhit. Eifecti-
vement noüs n'âvoris pas; tárdé à enirer dâns
fenceinte qui nous anrióncait 's es limites. Nous
avo:o.s trouvé de helles pla;tes dans la fórêt. Lé
haut des a·r hrisseaux était couronné de liseroris
'à pelles fletlrs en ·cloché azuré·e s. Le JUO l) e

(1) Tinamus noctivágüs . Espêce de ti:namou ôu ynâmbou,


non encore dêcrite. Il est plus petit que le rínàcouca ( Tinántu's
iHasiliensis), longueu:r h-ei!te poúces oinq lignes; .pahi"E!
~U ~.B.E'SIL.

faisai.t entendx:e sa v:oix forte sm· tcois ou ·quatr.e


tons; dans ces foiêts imnienses eUe frapp.e les·
oreiUes à io.utes les heLire~ du jo.til,', et même au
miJieu d~ la nt.li~. La chain de cet oiseau a aussi
bon goÚt CfUC C~lle de tOUS. Ses. COngén~res, que
l'on comprend ordinairement sous }e :n:o.m de
tiuamous o.u yaambous . .
Á .
En sortant de la foret nous nous somp.'le.~
trouvés dans devastes pla1.ü ations nouv..ellement
établies. De dessus une.. élév;ation, ou de grand.s
arhre's
' ab-;.ttus étaient couchés les uns en travers
..
des autres, comme pour faire ~n retranchement,
DQ,US eumes la vue :vavissaute . de la !:>elle· sqli-
tude baignée par l'Itabapua!la, qui, semblabl~
à 1uqe ligrie ar·gentée, s~rt en serpentant ,d e la
for.êt somhre, et travevse une prairie ve1:doy-ante
au milieu de laque"'-e s'cileve ia fa~enda de Mu;...

supérieure gris foncé, mêlé de brun rougeâ~re; dos lirun


i'n'!-rron; sou:imet de la tête fortémenr parsemé de gris cendre ;
et un peu tacheLé de noirâtre ; bas du dos et croui:f.i on bruu
de rouille roµgeâtre ; toutes ces part·ies du dos sonl cot1pées.
cle lignes transYersales d'un bpJ.n noir); dessous du bec '.e.t
gorge blanch.â tre ; dess.o'Q.s da ·$:OU gris ce.ndr.é; poitriljle:
d'un jaun~ ,de rouille b,runâtre ;vif; v .eu~re plus p_âle.
VOYAGE
,.ribecca entonrée de vastes plantations. Des ,fo-
rêts · immenses bornent l'horiz"on -de tous : les
côtés. Les negres occupés à travailler à la . terre
restaient ébahis à la vue de notre tropa, qui s'a,.;.'
vançait hors de la forêt, comm.e une apparition
\ venant d'un monde .étranger.
Nous sommes d'abord a_rrivés à . Gutt~nguti,
qui, conjointement ·avec Muribecca, porte le
nom de fazenda de Muribecca. Cettep ropriété,
avec un ter:ritoire de neuf legoas de longueur,
appartenait autl'efois ·aux jésuites; aujourd'hui
elle est possédêe par indivis par quatre parlicu-
liers. Ou y compte encoi-e trois cents negres;
parmi lesquels il n'y en a qu'une cinquantaine
de vigoureux et propres à toutes sortes de he-
sognes. Ils §ont sous la S"Qrveillance d'un éqo-r
nome (feitor_) portugais, qui nous fit l'accueil
• le . plus gracieux. Les travaux qui consistent
. principalemént dans ]e défrichement des forêts,
sont tres-pénibles pour les negres. On cultive
dans cetle fazenda le manioc, le rnai'.s, le coton,
et un pen de café.
L'ltabapuana petite rivier-e qui coule à peu
de distance de Guttinguti, arrose les prairies
quand ses eaux · sont hautes. La Corografia
Brasilica lui dori.ne à tort le n o m de Reri-
AU BRÉSlL.
'tigba (1) quiest leBenevente. 11 prend sa sQurce
daF.ts la Serra do Pico à peu de distapce de celle
du J\'1.u riàhe. Les forêts qui enviro.nnent Muri-
·hecca sont .habitées par des Pom~ys errans qui
comrnettent des hostilités en cet eridroit, et à
une . journée de route . au no~d. J'ai dit plus
haut qu'on les regsirde cornme l~s mêmes qui
vivent eu l:;ionne intelligence avec les planteurs
de San-Fidel~s. Au .€.ontr.aire, sur les bords de
e
l'ltabapuana 2) ' ils ont encore attaqué au mois
d'aoút dernier l'es troup~a.ux de la fazenda, et
or,it tué pai: m~chahceté trente bceufs et un che:
val. lls ·parvinrent à séparer de ses ~amarades
arrnés up jeune negre qui ga1·dait les troupeaux'
le firent prisonnier, le tuerent, et, su~vant ce
qu'on as~u1·e ici, le. rôtirent et le mangerent. Oi:i
~upposa qu'il&.avaient coupé et empoi_-té les bras
et, les jambes, ainsi que- la chair du derriere,
car· lorsqu'on.. vint sur ·Ie lieri bientôt apres, on
vit ·que toutesces p:irtiesmauquaientaucorps du

.J

(1) Tom. II, pag. fü.


· (2) Cette riviere est désignée sur .plusiettrs cartes so1ts l e
no~ . de Comapuam; quelques habilans.I.u i donueut àussi
·cef~i de Campapoana; ces d eux noms sont inexacts~
VOYAGE
malh.eureux negre. L es sauvages avaie_,.1t p,romp-
tement fait retrai te daós la forêt. On trou~a en-
sUite les mains et les pieds rôtis qui portaient
enc..ore des traces visibles <les dents.
Le feitor' qL:i est ainsi exposé aux llltaques des
sauvages , rnoritrait ' contr~ eux une h.aine in-
croyable. n repéla plusietws fois qu'il tuerait
volontiers notre jeune Poury d'un coup de fusiL
(e II est inconcevable, a j outa-t-il , que le gou-
vernement ne prenne pas àes mesures plus vigou-
reuses pour extenniner ces .anin1aux. n Pour
peu que 1'01i rernonl e la riviere , on rencontre
1

t.ont de suite leurs cabanes. Certainement leur


voisinage est tres-incommode; mais d'un autre
côté il faut considérer que les plant~ur~, par les
mauv'a is traitemens qu'ils ont autrefois fait
éprouver aux sauvages, sont en grande partie
. cause des dispositions h.ostiles de ceux-ci. Dans
lés premiers ternps l'avidité et la soif de -l'or
étouffaient . tout sentiment d'_humanité dans
l'âme des colons ~uropéens; ils ~e regardaient
les hommes cuivrés et nus que connne des ani-
. ' . , ' ,,
p.-:iaux, qu1 n avaient ete crees que pour eux;
on trouve la preuve de cette opinion absurde
dans lá dispute élevée entre des ecclésiastiques
espagnols sur la question de savoi~· s1 les A~né-
AU BRÉSTL.
t

.-ica;itis étàient des hom111es semblables au:x: Eu:_.


ropee ' ns '2.-
"
Ind'é pendanmient du fait que· je vierts· de ra-
conter, plusieurs témo:iignages s'accordent; dans
ce~te contrée,. à certifier que les Pourystuarigent
les· corps des ennemis qu'ils ont tués. Le _pere
Joào; curé de San-Fidélis, :nous assura qu'e, vúya-·
geant le long de l?ltapémiri:m; il avait ttouvê
dans les forêts, sans hras et sans jan1h"é·s , le êorps
d'un negre tué parles Pourys; une troupê d'ou-
rouh0us l'entourait. Quoique ceu-K de c<".s sau-
vages auxquels nóus avicoms parlé à Sah-Fidélis
n'eussent p â S voulu conve nir qu'ils ·mangeaierit
de la chair hu triaine ; leur dénégation Iie· peut
détrt.dre les !étn oignages · que ·je viens d e ci ter.
Notre jeüne Poury avoua que l f!s geris de s~t
u·ibu fü:~haie·nt aü haut d'une per éhe la ~ête d'un
eimémi tu.é , et dàttsaient ·à i'eiittnii' . D'~ille urs
M. Frey1·ess m'a raconté que les Coroàdos de
l\ilinas Gei·<i es ont -la coutume. de 111etfre b
jamb e ou le bras d ' uú eonemi dJris 1ll'1 pot avec
du caoui, et de lê sucer à la ronde.
' Notre séjour à Muribecc~ fut trés-productif
pour nbs·t:ollections d'histoire natutelle. M;;i1gré
l'àhóntlance des pluies nbs · chassem.-s pfofite-
reht tres·avati't'ageusem~nt de'S courts intervalles

/
- VOYAGE
de beau ternps. Le canard niusqué ( ·'..b. . úzs
moschata, L.) nichait d:;ins les forêts etl:daris o

les marais sur les bords de l'ltabapuana. e~ bel


oiseau , que l'on éleve fréquemméi;it dans les
basses cours et les faisandel'ies de l'Europe sous
le nom de Canard de Barbarie, est reconnais-
sable à la membrane ' rouge et verruqueuse qui
entoure le voisinage du bec et de l'reil. Le pl_u-
mage est noir, changeant au vert et pom·pre, le
lrnut _·des ailes est b]anc de nêige chez les vieux,
et noir chez les jeunes. Les vieux mâles sont
gros et lourds; leur chair est un peu coriace;
celle des jeunes est tendre , savoureuse, et par
conséquent íres-recherchée des chasseurs.
Nous autres Européens nous rencontrio ns
souvent de. grands obst~cles en chassant dans
les mar~cages le long du 'fleuve; nos chasseurs
indigenes à demi nus pénétraient ~u contraire
avec la plus grande facilité dans ces lieux non
fréquentés. Trois negres de la _fazenda n.o us
offrirent aus~i de chas11er pour nous; nous leui;
.donnâmes des fosils, de la poudre et du plomb,
et tous les soirs ils nous apportaient beaucoup
d' oiseaux, entre autres des hérons, des courlis,
"""' des canards rnusqués, et l'ipecutiri d' Azara
( anas viduata) ou le canard à épaules vertes,

AU BRÉSIL.
le héron bJanc à calotte noire , garça real, bel
oiseau qui n'a encore été 'décrit qu'imparfaite-
ment, dont le corps est blanc jaunàtre et le bec
bleu (1); la grande et la petite aigrette au plu-
mage d'un blanc éclatant, et.beaucoup d'autres.
L'ltabapuana nous procura aussi plusieurs
choses rares. M_. Freyress et lVI, Sellow ~ qui se
promenaient le long de ses bords en remon-
tant, aperçurent une gra~1de tronpe de loutres
(b.ttra brasiliensis) qui, sansmarquei,· la moindre
1

crainte, jouaient dcvaot eux d .:s l'eau en g!·on-


dant et sifllant. 'Cet animal 're principale-
ment de celui d'Europe par sa queue ·un peu
comprimée : ce caractere, qui a été aussi re-
connu par Azara, ne s'observe pas ordinaire-
ment dans les individus empaillés, et a par con-
séquent été oublié dans les ouvrages , d'histoire
naturelle. Leu:r pelage est doux et-, fort beau.
Cetteloutre acquiert souvent une taille colossale
dans.les q,randes ri vieres çle l'intérieur du Brésil;
par exemple dans le Rio San Francisco, ou on 1a
no~m_e non pas lontra, mais ariran/za (ariran-
nia). Nous avons trouvé ici une de ces gralides

(1) Ardea pileata. Latham. Voyez-. aussi le Buffen de


Sonniui , tom. XXI~ pag. 19~. -
'
:VOYAG;E
.Ioutres. On .vint nous dire que ·Pon .avaif .v,u
.dans l'ea_u un animal mort qui. avait des .mains
d'homme. Nous y avor)s couru pour voir ceite
-hête singuliere, .ei nous av.ons .reéonnµ une
loutre longue de pres de six pieds qui était
_encore en assez :bon état pour .eut.rer dans .nos
'é ollections. Nqus ne pumes deviuer qu'elle avait
.été.la cause.de la mort_de cet .animal, qui n,e _
paraissait avoir 'reçu aucµne -hlessure extérieure.
Les jaeares fréquentent a_u~si da .partie ·. supé-
-rieure. de fita uana. 1Les.forêts retentissaient
-de .1,a voix for ;et éclatante de ·l'alouate .(my-
. ce_tes ursinus) 'et de ·la voix non moins forte
-mais rauque du sauassu ( callithrix personatus.
-'G eoffroy) ou sagouin à masque , qui ·étaient
extrêmement communs dans cet endroit. Nos
chasseurs tuaient quelquefois quatre à cinq de
ces jolis singes en peu de ternps, car lorsqu'ils
en rencontraient une troupe ils·. tiraient a_u ssitôt
. dessus, et rechargeaient leurs fusiJs ,' tandis
qu'Úne ou plusieurs personhes de la troupe
cherchaient à ne pas perdre de vue les animaux
dans leur fuite sur les btanches. Le sauassu n'a
. encore été repr ésenté dans-aucun ouvrag.e .d!.his-
toire nat:urelle; il est fort. agréa:blem,ent. har.~olé;
il a la tête et les quatre mains neires, le co~ps
AU BR.ÉSlL.
d'un blanc sale gris· hrunâtre; sa longue.queue
1âche est jaune . rougeâtre. Plusieurs de ces .
si:qges ,portaient leurs petits sur leurs épaules.
·Nous · avons bientôt reconnu que cel animal
. peut s'élever et s'apprivoiser aisémeilt. P,armi
les ·oiseaux que nous avons tués se trou-
v~it une nouvelle espece. de pic -fort helle, que
j'ai nornmée picus melanopterus. II est tout
blanc, à l'exception des ailes, dn dos et d'une
partie de la queue, qui sont noirs ,; l'reil _e st en-
tol.Hé d'une membrane nue orangée.
Nous avions .pris à Campo~ deux chassem::s,
qui étaie11t allés en avant à l'embouchure, ou
Barra de l'ltabapuana, pour y chasser , et qui de-
_vaient nous rejoindre à J\iluribecca: le temps que
nous Jeur aVÍOI'lS frxé étant éeouJé depuis Jong-
ternp~, et nos meille~rs ·armes se troúva~t dans
leurs·mains , nous conçumes de vives inquiétü-
des que ces hommes ne prisseút l_a fuite. En
conséqnence nous flmes monter secretement une
pirogue .par nos gE:'.ns , .qui descendirent le fleuve
it:tsqu'àson embouchüre dansla n:1er, surprirent
les ,chasseursàJ'in:iproviste, ·leur retire:-ertt leürs
armes , et , les laisserent aller ou ils voulurent.
Le voy~ge des. bords de l'Itabapuana"au n<?rcl _
- e~ige ;quelques , ·précau~ions ; car · potfr gagner_

{ -
'
25'6 VOYAGE

ceux de l'ltapemirim il faut traverser un espace


de si-x·à huit legoas, oi1 Ies Pourys se sont eons-
tamment montrés en ennemis; comm'e ils y ont
souvent co1nmis des meurtres affreux, on a été
obligé d'y établir un poste milita.ire , nornmé Ie
Quartel ou le Destacamento das Barreiras.
Le feitor de Maribecca voulut DOUS accompa-
. ,,
gner JUsqu a ce poste.
Nol,.1s avo11s ·traversé alternativement des fo-
rêts et des lieux ouverts et sablonneux? oi1 l'on
voyait ,des traces nom:breuses de tapirs et de
cetfs ; arrivés à une haute cro_ix de bois , nous
avons cheminé sur- la plage. On apercevait une
vaste baie qui se terminait au loin par une .poi:ote
de terr,e élevée, ~ur laquelle était situé le Quar-
tel. Nous nous étions préparés -à repousser une
attaque des sauvages, dansle cas 0~1 nous en ren-
contrerions. Nous avions vingt coups de fusil à
tirer, et n1ême quelques-uns de nous s' étaient fait
des cartouches pour charger plus promptement.
Les soldats du Destacamento ont coutume deve-
nir à la rencontre des voyageurs quand ils a per..:.
çoivent dans le lointain une tropa s'avancer le
longde la côte; effectivement lorsque nous avons
eu suivi la plage l'~space d'une lieue à peu pres,
nous avons rencontré une patrouille de sixc hom-
. . AU- BRÉSIL.
fnes, 1a pltipart negres e.t mulâtres que l'officier
du poste nous ~n.woyait, II npus reçút tres-~ffec~
tueusemeut à notre arriv~~. Ce .poste c~nsist~ eu ·
un officier et vingt hommes de milice arqiés de
fusils sans( hafonnetle. Le corps-de-garde com-
. I

prend deux maisons en terre, bâties sur le bord


de la mer , et entourées de champs de maµioc
et de mais, qui servent, à la nourriture des ~ol­
dats .. La côte est eo~posée d'úne terre argil--.
leuse ;, elle est coupée à pie comme un mtir
\ ~
r. - j

( barrei,.as ). Sur la partie la plushaute ,est pla-


cée le quartel _, de sorte qu'il conunande Ia ·vqe .
.
de la m~r, a-insi ·gue de la côte au nord et au
-
sud, et les gardes aperçoivent aisémen.t · les ·
·Tropas de fort ·loin. Du çôté de terre ·Ie bâti"-
ment du quarte est·' contigue à une forêt ou
1'on a commencé à faire des défrichemens. Au
mois d'aout précédent_les Poury~ avaient tenté
·une attaque oontre le poste; ils étaient venus
p01~r ravager les cÍiam-ps de~ soldats; ils com-
battirent abrités .par 'd es buissops et· des arbre~:
.;_~ soldat et deux chiens du có~ps-de-garde fu-
rerithlessés; les Po.;rys perdirent trois homnie~.
tués ou blessés, qui fµrent emportés parles au-
tres. Le poste ·a été tranquille ~~púis , et le~
sauvagesnese sontplusfait voir 1 <laris ~ettr · paP-' .
_,_ I. . ' 17. .

I
-:i58 .. VOYAGE
' .
tie .dela côte. O.o conserve commetrophée dans
le corps-de-gai·de les fleches des Tapouyas. ·
1/officier qui. ç~ r!imande ce poste . fourn~t
.toujours un dét~chement de trois hommes , à
l'embouchure âe l'ltabapuana. : le,terme de sa
résidence n' est .pas fixé; çelui que nous y '.avons
Tu· y était dep{iis pres d'un an. Triste garnison
dans un désert se1nblable, ol.1 la nom:r~ture mêm.e
est mauvaise., ét 9u le logemen~ ne consist~ qu' e.n
ç~banes qe terre.couvertes de feuillesde pal:q:Üer~
La maison del'officier est pourtant;assez grande,
et r~~ferrp.e plusieµrs chambres, o.;;_ s~ troqvent
des siégE}s eµ bois; rnais Je toit qui t9ml?e erí
,rui:p.~s n'e..CX!pêche p~s la pluie d.e pénétrer. ·Ün
~onstruisit ce corp_ s-:-de-gar.de parce que différens
· meurtres avaient - été. commis
•) . ,
sur le bord de la
.

mer, danslevoisinagede.ce l~eu. II yaàpeu pres


six an~ _ sept personnes,, qui reyenáient de l'église
de l'ltapemirim, ~urent attaquées parles P~u­
.r.ys, six fur.e nt tu~e.s; une ;seu~e eut le bonheur
d'~ch.app~r. Une jeune . filie aya~t d'abord pris
- >' - .
la. fuit~ ;. mais -~es SJ.mvages l'atteign.irent et l'é-
,gorgerent; on. retrouva ensuite les Çorps de ces
. inforttinés .i:_nutilés_. Peu de t~J?.1ps_ apres ies
, Poury~ i;i~taqjier~nt
.,. . .aussi un .spl,d at
' . ,dans ce cal1-:-
.
-tAn., et)e.. wer~nt: . . . . . ~.

Afl . BRÊSTL.
L' õffici€11 If10YS don11:à heaucoapde -renseigne"'.
:inens íntéressans sur 1es Pourys. Il nous . as.,.
sur~ que ces sauvages témoignédt ~ctuellement
i~ .plus g-rand désir de vi:v,re en pai~ · ávee les
Portugais, ce qui s'ac~rd~. parfaitement avec
Jes intentions qtl'ils ont manifestées à M. Mor_~es
à San-Fidelis. Cette bonpe in~elligence serait tres-
~vantageuse .pour toute la côte; car les habita-
tion,s êtan.t for,t éloignées Jes unes .des au~res,
on y e.s t san~ cesse exposé ' au-x 1 ~ttaques de .ces
hflrhates; impitdya,J:>l~s .; et cette cc;mfrée court
le risquJe d'êtr.e dépeuplée, si l'on ne pr-end pas,
d'autres mesure!? qq~'. ççll~s . qu~ qµ.:t ét.~ $uivies
jusqu'à pré!?ent. Le~ saqv~ge!?, ui~i:f;r~sdans leurs
forêts , p.araisse:çi ~ ~u"B! tem.:;nt.} l}p; ô ~- dans lip. ~n­
droit; tantôt darn~ . uµ ;rqJr,e, .. ~t :di~pê;trai~5ent.
avec la n~~~e rap~dit~' cqtj.lm~ · ,cm l'a .é"prouv~ ­
à l'attaqp.e; ~~ Çiri. l\s. ·c,o:µµai~.s~q.t .les rep<t~r-~~ ·
des forêt!i' les plus cac4é$,, SQ,Qt éirçon,sp~çts f:f.t
4i§~irqulés; ~Qfin .,iJ~" ~'ig:OP.Fe~t ,-pas . _l'ét~t d~ ,
faiblesse des colons portugais , et plusieurs
d' entre enx parlent assez passablemeilt·'I a lang.ue·
d<;! ces dernier~. ·'
.'.".
~LÇ jour . de. repoi;; .q~~· no-us avon~ passé1 ~ ,
Bªrr~~.ç.~st a.. · ~.té . employé à des ex.c.ursious'. ?an.st:'
l~ bois et.Je& . mQrais :voj.sins ·; .le~ soldats m'.o.us· ·

...
260 .VOY.A:GE d

y accompagnerent, et -furent nos guides. Notre


.buti~ s'e_st h,or_né à ciµelques canar.ds ( anas ·
'Viduata) et à un oiseati nouveau de la fami)le
des ·~otingas (1). ·On voyait nager Je long .de 1a.
côte. de 'g randes tortues~le rne1· . ( tartarugas),
qui au. printemps fréquenteni le Tivage et. éle-
vent lenteh1ent leur g1:osse tête rónde au~dessus
• ~e la surfac·e de l'eau~ Un orage v}olent'. s'éleva
au milieu dé: la nuit ; la., phiie tombait à tor....:.
rens ; . nous eu~1.es beaucoup de peine à n.o us
en garantir , dans .. notre logis, çlont le toit. éta'it
perc~.

1Le lendemai~ ·n'ou~ ·failHmes à. faire la. triste: .


expérience de la · I)'é gligence ave.e laqueUe. on
entretient. cette róute, . la·seule. quj rP-gne le long
de la ·c ôte71et qni ·e st dépourvue de pónts et
de passages praiiéaEl'es. Torit. pr~ du quartel'
IlOL~S courumês )e risque de perdre queJques-
UDS de : nos . 'meiMeurs níu1ets. A yant encore-

quatre le.goas a
pàl'cOUl'ff tlans cette . Côntrée

{ 1) Procnias Melanocephalus, tête no ir foncé; . íris de


l'ceif rouge éclatanl; toutes les 1p11rties supérieu~es ver.t cban:-
geant; les .inféríeures vert jaunâtre ~v.ec des raies transver-
sales .f~nçées. ; loiigue.ur hu.it pouces sept I.i gnes.
A u .BRESlL. 21J'1

exposéé ali~ i~cürs.itms ·des Pourys, ' ehlt~ e l'lta-


hapuan~ et l'ÍtapemirÍn'l , DOUS avons eu '·SOÍn
de ne ·p as nous écarter les ' uns ·des iiútres dans.
nofre marche, et "de bien maintenir cet ordré
ess~ntiel à notre su~eté; nous avions·de plus·une
escorte de ·soldais. ·Nous av.o ns chémirté ·aihsi
lehtement sui· la plaine sa:bIÓnneuse·, ·ferme ~·et
parfaitement unie le long du ri".age qui ro~rríle
une falaise composée d'argile j'aune oú blanche
et -rouge brun ( 1 ), et de couclies d~ ~res ferí·ug1-
ne'ux. Les ·ravines et les ·parties élevé~s du ri..:..,
vage sont convertes d'épaisses forêts, ou per·s onne
ll'ose pénétrer ·un p~u avant, à. cáuse des :sau..:;..
vages. Les vingt coups de fusil que ilous avions
à tirer 'nous mettaient à ·€ouvett de tout danger
de-la part de ces barbáres·, ·toutefois plus1e~rs
de nos geris ne purent contenipler ·saris frisson.::.
ner Ie Iíeu ·oi.1 ils avaient assássiné les six- mal~
heureuses victimes.

(1) Les expérieuces de M. Hausmaun, ·profes. ur à Goet-


tingen out prouvé que ce fossile, qui com pose une grande
partie de [l'étendue de cette côte ' du Brésil, appartient à
l'argile lithomarge durcie, qui compr~nd aussile yvuuder-
Erde de Saxe. Sea caracteres sont analogrres à ceux, de rargile .
litbom.a rge. ·

,
'
·.\
26"2· VOYAGE
A ·pres qu@'l ques heures de marche nqus som-,
nfas,arrivés da.a& un endroit ·ou la côte s'abaisse aU: ·
Po~·oaç~o ou hame~u de Ciri(1), qui est aujour; ,
d"'huiabsoluméht ahandoli:hé. C'est Jàqu'au n1ois :
d'aout dernier les Pourys ·ou d'autres Tapouya~,
/
firen.t une at~que soudaine, égorgerent trois pet!-,
som.ies dans la pr~nüere maison' et répandire:nt
une terreur si grande q-qe to~s les ha bitans prirent
aussitôt la fuite. ll n'y a plus que deux maisons
au-delà d'une pethe lagune qui soient encore
habitées pa'r des personnes bien armées, .condi-
tion essentielle de leur sécurité. , Les sauvages·
· em porterent les us tensiles en for et les provisions
qu~:i1s · trouV.erent, 'eí se retirerept dans le:urs
forêts .. Instruit de cette attaque, le sargento :nior
ou major d'Itapemirim, à la tête de cinquante.
soldats, fit .une battue dan$ l;:i. forêt: il trouva
up.e route large et comm.~de poqr les cavaliers
qui le conduisirent à des huttes, puis plus avant
dans l'intérieur; mais il ne rencontra pas un
'sêul lnâ.iei1' el fut f01~cé parle manque de . vi'.'. .
vres d.e evemr bientôt sur ses pas.
'.

(1) PotJoaçao est le . nom. que l'on donne au:x; villagei;


qui n'ont pas d'églis.e.
AD ' BRÉSÍL.
Les sóldats prirçnt c,01~gé de nous aux mai-
sons . h:ibitées qui sont situées' au-delà de lá
lagüne de .Ciri. ·Bientôt nous nous . -sómme_s -
éloignés de la mer, et nous sommes. entrés dans .
une belle forêf, oil. nous avons rencontré quel-
ques plantations; elles sont exposées aux atta-
ques des Pourys, mais · les propriétaires sont
bien munis d'armes. La fo.rêt deveriait à chaque
instant plus belle, plus haute, plus sauvage; les
tiges élancées des ~rbres y forment par l'entre-·
lassement de leurs branches une ombre épaisse,
de sorte que la route, garnie de feuillage de·toüs
les côtés, ress~mble à une allée converte, étroite·
et sombre. Des faucons, notamment· le faucon
plombé' étaient perchés ,sur les brai:;tcii:es seches·
Jes plus hautes des vieux arbres pour ,guetteii-
leur proie; cet _oiseau est tres-commun ·dans ce
canton". Le milan blanc à .queue fourchue (falco.
furpatus, L. ) , un des plus. beaux oiseaux de
proie, volait fréquemment an-dessus de la forêt ..
Notre chasse y eut été fort agr.éable si nous.
n' eussions pas été_ tourmentés pa:r des. essaims.
innombrables de moustiques,. Nos maias ei
notre visage en ~taient ceuverts. . dà ns. un
clin d'ooi]; et les mu:lets ·ainsi que les. chev.aux
souffra.ient beaucoup r d.e la piqúre des mu.. ;;,

/
VOYAGE
tuccas ( I ). Bientôt nous avons , aUeint des
prairies ouvertes ; ou l;s ~arais et Ies 1agunes -
fourmillaient de canards, de moue.t tes et de
1

hérons.
. .
· Vers midi nons sommes arrivés à' Ia riviere
d'Itc:tpemirim ,.sur la rive méridiori~.le de laquelle
est située Villa de Itapemirim, éloignée de sept
legoas de Muribecca (2): elle est petite et nou-
yellement bâtie; l'on y voit quelques ·maisons
assez grandes, _mais elle ne mérite encore . que
le noin . de village; elle a· pour habitans de
pauvres planteurs q ,u i ont leurs propriét~s ;:ians
le voisinage, des pêcheurs et quelqües ouvriers.
Le capitam commandant, ou capitam mor du
- comarca d'Itapemirim, -réside ordinai1·ement
sur sa fazenda; un sargentor mor de Ia miiice
demeure à la Villa. Le fleuve, quoiqu~ peu large,
peut recevoir de ·petits hr-igs, qui viennent
charger du sucre, du coton, du riz, un .peu de
roais et de ~ois. ,,.
Une pluie d'orage ~ tombé'e dans l~s monta--

(,) Sou~hey écrit ii"tor.tMutuça. His"ioryof Brazil; tom. I,


P '" 618.
(2)" Lery parle déjà de ce lieu :sous le nom de . Tapemi-r y >
pag. 49.
.
l
)

AÚ. :BRÉSIL. 2.65


gnes, m'offrit un· exem•p le de ,la rapidité avec
laq.uelle fas riviéres de la .zone torride s'enflent
et devienn~nt souvent dangereuses;· l'Itapemi-
rirn fut soudainement sur le point de débordet';
du Teste, il est toujours plus considé!'able que
l'ltabapuana. Il sort. de la Serra de ltapemirini,
montagnes qui ·m~ontrent dans le. lointain .Jeurs
cim:Cs coniques . dentelées ; les lavages d'or,
connus &ous le nmp de minas de castello; et
si,tués dans leur v~isinage à ciqq journées de
route en remontant le fleuv~; les ont reµdues
fameuses. 9n fut obligé, ·il y a une t~entaine
d' an nées , d' abandonn~r ce canton~ qui était sans
cesse infesté par 1es ~rapouyas, et le.petit nom-
hre .d.e colons p~rtugais qui s'y trouyaient vi~t
s'établir à la Villa et dâns les environs.
Deshordesde Tapouyas ~ncore sauvages, des
Pourys, et notamment, suivant le témoignage
des Mineiros, un autre tribu aussi farouche, les
Maracas, hahitent··su·r les bords de l'ltapemirim
supérieur. Oi:i attribue aµssi à ces derniers le:s
meurlres commis à Círi. Mais les Bo~tocoudys,
véritables tyr.ans de ces déserts, errent encore
le long de la partie inférieure du fleuve. Üii ra -
co,n te que dans une fazenda, située sur le l\:lu-
ri~thé, les Portugais; apres avoir 'c ntendu 1.1n
1,

;vo'Y'.AG.E
gran d bruit et d e s cris atfreux dans :ta forê.t voi..;
sine, virent des Pourys blessés qui venaient cher-
cher un asile chez eux, en disant que les Bouto -'
co,n dys les avaient :attaqués , et . avaient tuê ,'I
plusieurs .des leurs. 11 résulte de tous ces faits
que ~es forêts soüt r e niplies de sauvagés indé-·
pendans
,
et enn·e mis .les .un s des autres; · l' on
disait généralement que les Tapou:xas ont,
dans une période de quinze : ans , massacré
quarante.:...trois colons p_?rtugais le Iong·de l'lta-
pemiri·m. ,On a pourtant ·ouve'r t' ~l travers ces
déserts péri1leux, un'e route, par 'Iaquelle on va
.de Minas de Castello aux frontieres d~ Minas
Geraes, qui en sont éloignées de viogt-deux
lego~s . .
Le capitani mor dp comarca nous avait, sur. .
la présentation -de notre passeport, accuei~li
tres-obligeàmment; il envoya du Bois, de l'eau
et toutes sortes de provisio~s à notre logement:
en. conséquence nous sommes allés à 1a fazenda
lui faire nos re:.Uercimens; elle est située sm· le
bord du fleuve, et entourée de belles prairies,
ou paissent une · quantité de bestiaux et de
chevaux.
Apres quelques jours de repos nou-s avons·
quitté Villa de ltapemirin1, et à une certaine
AU BRÊSIL.
distance notis ·av-oris tr~versé le fleuve pres de . -
son embouchure. Le jatropha urens était .t res- ,
. commun dans les marais que nous av0ns tra- •
versés; les piqures de cette plante furent ,bien·
plus douloureusés pour les pieds nus de ·nos '
chasse1irs que celles de l'ortie, càr ces petits
aiguillons percent même l€s vêteruens. Le ti]é .
à plnmage rouge foncé (ta-n agra brasília, L.)
est·tres:..commun dans les lieux bas et tnaréca-
geux, et sm· les bords des fleuves de cette côte , .
n1ais plus Tare au contraire • da~s"Jes rnontag~es
et les grandes •forêts de l'intérieur. De grandes
troupes de mouettes et. d'hirorídelles de lller:
remplissaient l'air à l'emb,ouchure de l'ltape-
mirim; les pluviersetlesva;nneaux fourmillaient
le long de la côte, ou l' on trouve aussi fréqu.em-
mell..t dans le s;:ible le petit engcmlevent ( 1) ;·dans
les forêts .v oisines on en voit une plus grande .
espece. Selon Marcg~af les Brésiliens des envi-
rons ' .de Pernambouc.
nomment..J cet oisea~1
ibiyaou; mais le ,long de. la côte que j'ai
parco-Urue il por~e le . nom de bacouraou.
La grande chaleur nous faisait beauco-qp

(i) Caprim~lgus. ·'


VõYAGE
souffrir de lá soif. Notre jeune Poury nous
enseigiia ' un moyen -infaillible :de "l'apaiser ;
c'est de détacher les_füuilles roides 'qnj. se trou-
vent dans la·partié .m oyenne des tiges de bro-
meliá,, ·et ' dans l'angle desq0elles se rassemble
· une tres-bonne eau., prodnite parles p,1uies et
les rosées; l'on avale ce nectar ·en approchant
pr0mptement Ja ·plante de fa bouche.
Les P<?Ír.ltes sái.l~antes de la côte mar.itimé
offraient ·des collines ·pierreuses sur lesquelles
croissaient ·entre autres des cocotiers :, ·dont le
beau füuillage , agité par le vent< de -la ·mer--; se
balançai! dans les airs. Le rivage était ·cou-
vert d~huitriers, de pluvier.s et de vanneaux.
Nous 'somn1es ensuite '8ntrés ·dans une forê.t·qui
_retentissait de la voix d'une foule d'oiseaux, à
laquelle, aux a pproches de la nuit, se mêla celle
du cpruje·, espece de chouette; on distinguait.,
au milieu ·des sons divers qui :se faisaient. en-
tendre dans cette solitude, les cris ·perçans . du
perroquet ·, ·etles accens plus doux du tinamou, .
répétés au loin_.
Nous avons passé la nuit à Ia·fazenda d.e Aga,
ou l'on cultive' du manioc ainsi qu'un peu der
coton et éle café. De graúdes forêts, animées
par toutes sortes d'animaux sauvages :, aboi.1-

(
AÓ BRÉSIL.
tissent du..côié de. ierre to~t pres ·des plàn..:..
tations~ La riui~ précédenie un gros jaguar avait
tué une jument d11 propriétaire : celui-ci .en-
voya ses cbassem·~ avec leurs chiens à la ··pour:-
suite du ravisseur; çils parcoururent vai~ement.
es forêts voisines.
l!..e M@rro de Aga, haute rnontagne isolée et
arrondie ~ s'éleve du milieu des forêts pres de
la fazenda; elle est rocailleuse, et offre des . pa-
rois à pie et nues; elle est .entourée _de hautes
collines; on·dit·qu~on y jouit. d'uhe vue·magni-
fique: II y á pres ~de l~ m~is,on de la fazenda un
peti't marais , .ou, à l' entrée de la miit, la voix
remarquable d'une .grenouille, que je ne ~on­
nais$ai:s pas enc_:;ore, me causa une surprise ex-
1.rême : elle'. ressemblait áhsolument au bruit
q~e produ~t un ferblan~ier ou un chaudronnier.
en_travaillant avec son marteau' excepté que le
son était plus plein. J'ai plus tard vu cette gre-.
n01~ille que le~ Portugais, à cause de sa voix ,
nommént le ferreiro ( forgeron ) . .
Un autre objet du domaine <le J'hi~toire ·n a-
turelle qui attira aussi ·notre atte:rition, fut un
buisson épais cemposé d'une . nouvell~ ·espece
d,'helicopia, dont les hampes à fleurs, parvenQ"es
(
VOYãGÉ .
à une certaine élévation, .se courbe:µt con.,..
stamment . en are, et ensuite relev'ent le1'rs
-extrémités ; de nombréuses fleurs , couvertes
-d~ spath~s . écarlates, ornent la p<;>rtion courbe
de . fa hampe. Ce beau végétal forme un~,
allée cou~erte. Nous avons vu sw· la pl~ge
quelques especes de coquillages l~ivalves et qni-
valves.
A p·e u de distance Q.e , Aga rious ' somm';'~
arrivés _au povoaçao Piuma ou lpi_uma,_oú un
ruis5eau -de même nom, qui n'est n~vigab_Je q~~
pour des · pirogues, s~ jetté . Çla:r;is .~a qiei: . .Op
..
yoit dans cet encÍroit un pont ,µe -~oi~ long d~
:trois ce~ts pas, et_calculé p<;mr les'c,rues dt;t flel;lve;
~'est_ une v~rit~ble curiosité dans ce_s CQnt1..-é es,
Les b?rds d~ l'Ipiuma sont c_o uyerts ele boi~
~pais~ ~~s , ~a\lx. , de mêm~ qu_e ~a. plup,art, çl~
~elles des rpiss.ea.ux . des ~orêt~ e~ de.~ p~lites
riv~eres . d~ _ ce ·pays, ont un~ teinte coul~ur de
c:;if~. M. de Hm~boldt· a fai~ la même observa-
• 1 • ' ' ..

iion sur les ea?x de l' jltaLapo., ·du .Te~i, d~


·n.1aQJ.ini, ~u Guai,nia 'o u . l,l.~Q; _:_ Negro, et
d'~utP~s riv~erês. Il p~n~e · q.u'el~~~ doi_veut ~ette
~ouleur singuliere à une dis~Ql'9:tion ~e <;:arbúre.

-
1;
?'hydrog~ne y' à~ abonda!;lçe . <;l~ J~ .y~gétª.ti9n.
. '
At:J BRÉSIL.
~t à la mu\titude de plantes donf est couvert
le sol qu'elles traversent (1). _
Quand nous avons p~Ssé le pQnt la ct;1riosité
,d e voir des étranger!?. a . rassemhlé autour, de
DOUS unefoule d'lndiens. Un mat_ e lot espagpol,
.etabli en ce lieu, nous a reçus _ehez lu~, a bara:-"
gouiné toutes sortes de langues , nous a parlé
de
, 1 ,

tous _les pays qu'il avait vtrs, et nous a fait


entendre assçz clairen'lent qµ'il nous prenait-
pour dcs Anglais~ .· -
Dan~ les . v~llées, et même sur ,Jes _hauteurs
a rides, on rencontre fréquemment des buissons ' .

épais d'un gros roseau, haut de seize à dix-huit


pieds' qui, súr une tige un pen comprimée,
porte de -longues feuilles lancéoléd·' entieres';
• • ' • t '

dispós'ées én-_ éventail; 'ellés sortent presque


'toutes d'u'n point com:rimn ; -d e -J eur .centre
pari une loqgue hainpe·lisse , à laquelle les f:le~rs
sont suspe~dues cômme un petit -drapeau. Ce
'beaú roseau se noinme ici ubai; et plus ;\lu norq,
·à Rio-G~an.de de Belmonte, canna brava; les
· sauvages l'em pleient . à . faire · l.eurs .fü~ches. 11

(-1) .4.asichten derNat1u'.•-P· 198.


;I',qh(eaux (/e 'l~ Nat-µr~ -~ t<?m : ,I I , p. 1.9'1 .
t... .. . .
VOYAGE
forme de~ halliers impénétrables , et couvre
quelqúefois des cantons entiers.
· Nous avons trouvé ·dans unç petite vallée
une for~t remplie de be:tux arbres, tels que des
1

coulequins, des ·cocos, des melastomes; AH~


. est arrosée ,par l'lriri, petit ruisseau à eau noir":
que l'on trav~r-se sur un pont pitioresque
fait de troncs d'arbres. Nos chasseurs ont tué
dans cet endroit beaucoup de toucans et de
rna1taccas, (psittacus menstruus, L.) Mais Ies
singes couraient ayec tant de vi,t essé d'une
hranche ·à l'autre que l;on ne put en atteindre
un seul. Nous avons aperçu dans. le crenx d'un
d'un vieil arbre une araig?ée co~ossale ( ar;,nha
carangueJ.eir_a), que uous avons voulu em-
porter ,, mais .. un obstácle nous _en. ernpêcha.
Apres avoir voyagé à tràvérs un· pays ~1on­
tueux, couvert alte2·nativement
' \ . de
.
forêis.
. . et de
' .
pât~rages, ncms-. sommes ar1~ivés .Ie soir à lá
derniere -éminence ,; située le long du Rio
Eenevente, , .d'ol.1 not1s avons contemplé une
. _vue magnifique; au pied d' une col,ine sur la
rive septent riona~e du fleuve on découvre le
hourg de Villa Nova ·de Benevente, . à dnohe
la mer, à ganche le fleuye; qui s'élargit-con_u ne
AU BRÉSI;L.
un' lac, et tout autou'r. de ~oi des forêts sc>~bres;
au-del~ de hautes moritag~es terminent l'horizon.
.
' ' r

Villa-Nova. de Benevcnte a été bê1tie ,sur l'lri-


tiba ou mieux Reritigba (1) par fos jésuites ·qui ·
avaient rassemblé en ce lieu un_ grand ·nombre
d'Jncliens convertis. Leur église et le ·couvent
adjacent exi~tent encore; on en a fait I~ Cas·á da
Camara ,~ et nous y avons logé : elle est située
sur une hauteur au-dessus du bourg; .e t 011 y•.
jouit d'une tres-belle vue, notaniment de dessus
le balcon de Ia·.façade tlu p.ord.' Le disque du
sol~il touchait à la surface de -la mer, et la 1
changeait en une plaine de feu ;
la cloche a.;
couvent sonnait l' Ave-Maria; ch; cuu sortait
de sa cabane pour aller à la' priere du soir;- .;n
silence profond régnait 'dans la .campagne,
et n'était interrompu que p,ar la voiX!- de~ tina-
mous et d'autres animau~ sauvages q:Hi se fai-
saient entendre au-delà du fleuve. .
Plusieurs petits hrigs étaien~ à l'ancre dan~
Ie port de Villa-Nova. _Nous en conclumes que

(1) Cefleuve porte sur la carte de Faden Ie n.o~n d'Iritibu,


et sur ceifo d'Arrowsmith, celui d'Iritiba; mais la Villa n'es't
'rnarquéç_ sui aucune des deux. cartes.
I. J.8
2""/.
.. j 'i
VOYAGE _

. J
C€i hom·g fait nu assez. grand comrn.e rce; bien-
tôt nous fumes mieux informés. Le trafic de
,... • ~ . ' l • . . • . , . , ••

ce l}eu est tres-p,eu iruportap.t; cc& !!avires- y


étaient s~mp~ep.J.(;p't venus chercQer un refµge
contr_e le r:p.;rnvfiis temp~. J:)dis les jésuites y
avaie~t rassemb1é 6000 lndi_cns, . et fon.dé l' AI-
déa, ·~(); plus c011si4éq1ble qe cette côte; mais la
gêne du se1·v~ce royal, et les máuv~i~ trai~e- ·
zµenl" f,h~sserent lq plus ·grande parti é ele ce~ noµ-
v.~au~ colqns' qui ~~ rép~ndirent dans d'3,utres
~~ptqq~ ' de sone qu'aujourd'hui le territoire
çle Vill~-Nova, en y"cqmprenaµt les Portugais,
:!ie co~npte PflS pl11s. de 800 hapital.1s, qçmt 600
~ont InÇ!.iens. Quoique le~r. nowbre soit diq1~­
1

~ué, le comm~rce a ensnite pris de l'::i.~crpis­


s,erue:µt; il y a une vingtaine d'an:q.~_es, l'e:;por..,-
tatio:µ ne s~e n1ontait qu'à 1op,oqo reis ( 6?o fr..
10 e. ) ; auj~urd']+pi e~le s'éleve .à .zooo cp:i_~açl~s
e 6000 fr. ) ' ~~ pourtant la yaleur 9.u supre
n'est p~s co~npris,e dan~ cet~e s<?mme. J\..~ti:efois
l~~ lqdieRs indépenqans, surtq ut les Goaytaca--
ses et les tribus Jes Tapouyas, dans lesquelles
on comprend principalemen t 1les Pourys et les,
J\'l.ar~ca,s, ~nqq.iétaieqt beaucoup çe~t~ ~glonie
d<r l'lri~~ha; mais auj9urd'l1l~~, d'~p~es ~e . té,....
moignage du curé , c~s.. ~1ord~~ &il1=W~g~1? p _e ~e.
'. .
Al! ~.ll~~>i~. 29~·
. mqi~trent . plu1> dep.1Ü1> qu.f:l l'op célebre annµel-
leµ1ent d;:t~1s tpµt le dist:'ri.c~ µ:µe grande fête du
' Saint ·E~pdt, accornpágµée d~· processions et
c}.'acte~ · de dévotion.
On yoit à ViUa-Nova quelqnes maisolis biçn
bâties; pe b9urg me parut enc.ore phls viv~nt le
dimançbe, pa-rcy qu~ toqs les habjta;n~ dµ vc;>i-
.sinage y vinrent à la messe. La miJic~ de ce
cantoq ffiit partie .du régjrnent d'Espii-ito-Santo,
dont' le colÇm~l, NJ. Faldro, résiqe ~n chef-lie~
de h çapité;l.in~ri~. II vint poµs . yoir~ et, sur notr~
demang~ , n.9us c;:i1Voy~ deq.x J:>ons c}J.a~seurs
qui cpµn~i~sa~erít bie~ le terrain; nous eí;r.m~s
l'occ;i!?ÍQn de leur joiodre un lnqieo tie~-P,qn.
tire_ur ; renfqrt qui nous fut tr~s-avant~~~u~,
çar nou~ obtlnn\es plusi11urs aoimau~ in.t~re~­
~ii:P.s, entre ~utres des singes-saüas~·us qui ÍiiJ.;,...
saient fréquernrpent entendre leurs voi~· le long
du fleuve. Deux de nos chasseurs tronvereot
dans Ia forêt un g_rand serpeot venimeux; il était
trapquillemcnt couché dans. un crcux, ce qui
rendaiL son approche dan~ere1,1se. ~n . cç)J1~é­
quence, U''.o. d{:!~ ch.as~~urs. grimpil sur ·. UT.l petit
arlwe, d'oil il tua l~ reptile. On lui donne dari's
le pays le nom de Çurll:c_u cit, il a huit à neu~
pieds de long sur une grosseur considér~.bl~; Si;t
VOYAGE
' -
couleur est jaune r~ugeau::e sale, avec 'des taches ·
en, lozange brunes fc;mcées sur le dos. La' fdrme
des ·plaques ventrales et c~udales prolive que
c'est la ·gran.d e vi.pere .des fürêts de Cayenne et
de Surinam ( 1) ~ décrite assez inexacten1ent par
Daudin sólis le nom de ~achesis. On redoute
beaucoup sa morsure, qui, dit-on, tue·en moins
dê six heures.
Apres l'lritiha on rencontre le Goaraparim.
L'intervalle qui sépare ces deux fleuves est rem-
pli par des maràis et des prairies _marécageuses
qui s'étendent à peu de distance Je ·Ia rner; de ·
temps en temps on voit des bois, enfin de belles
fo!'êts réjouissent quelquefois- les regards du
v9yageur. Nous entendions constamment la mer
briser·contre les hautes colli.nes qui forment le
rivage; et qui sont couvertes de forêts. Le sen-
tier ressemblait à une alf ée COUVerte , . qui S<:

(1) Marcgraf a fait mention de ce serpent sous ie nom de


Curucucu ; mais 1\1. Merrem, un des naturalistes de no•
j'ours qui &'est occupé avec plus de succes de l;étude des rep-
liles; a décrit et fi guré dans Ie premier volume des Annales
de la Sf?ciété d'Histoire Naturelle de TYetteravie ( 4unalw.
<;ler We{terauischen Geseltschafti fiir Naturgescldchte), u1u1
peau e~tiere ele cet anim~I.
,'

· prolongeait entre des arbres gigantesques do~t


l' éeoree
. ... offrait une. multitude
.'
de petils végé-
tau:x, et dont les bran~hes ~taient eou,yertes de
plantes grasses ~ : de jeunes ~ocotiers ornaient
·~~s hallie~s quedes plantes grimpantes rendaient
Ünpénétrables, et dont le feuillage nouveau bril-
lait.des plus belles teintes rouges . ou jaU:ne ver-
d~tre ; h eime des vieux cocotiers se balançait
en l'air, et leur tronc se courb~it de eôté · et
d'àutre en gémissant. Nous vimes dans un ~ri­
droit un petit bo~s composé qniquement de pal-
_m iers ai'.ri-·~ qui avaient vingt . à ~trente pieds de
haut; leu~ tige droite et noirâtre , entourée de
.cer.c les épineux, était sur~ontée de leurs belles
feuilles pinnées qui préservaient le sol - umide
_de~ ardeurs du solei!; d'autres plus jeune~ '
.n on encore po·úrvus de tiges, formaient le
'sous-bois, · ãu-dessus duquel les vieux .palmiers
morts, desséchés et pourris, s'élevaient comme
.des colonnes hrisées : ees tremes v'oués à la des-
truction étaient _e n butte aux eoups de hec du
pie à tê te jaune· ( picus jlavescens, L. ') , ou:
de la belle ·espêce à huppe et cou rouge (picu6
robustus, L. ) (1.). ,

(1) Ce pie a · été ainsi nommé par les · naturalisles de-


, · VOYAGE
1
Les fleurs de l'heliconiá - ·c oulênr cie feu ,
Q

c~~vraieht les ·buissons les plus ~às ·, qn~~r'itoii~ ·


rait ·un beau lisereni ·à súperbes fledrs ·á'zuté~s.
Les plantes grh:i1pantes lignehs~s" 's e . morltraieri~ . ·
<lans cette forêt maiestueuse ávéc · J~iÍi·s' fói·mes
1

et leurs circonvolutions singuli eres .' Nobs c0Ii-


templidns aV'ec étonnei:nerlt le ·cfl.~idtêre ·d,e
grandenr de cette solitude qüi n'étái;t ân inlíéé
·que par dés toucans, des pavos d~t pies' à gô1:ge
~nsanglantée, des perroqu~ts e('d'áútres oise;iux ~
Nos chasseurs se· mire1H á tii·er de tous lês côtés·,
et eurent bientôt rempli leurs gibeciêre·s.
En sortant de la forêt, nous sori11'p.es ar1·ivés
·au Póvoaç.ào de Ohie , cmnpos~ de queJques
cabanes de pêcheurs·, à den x legóas ·de ··Villa-;-
Nova. Ces hameáú1' , · entou·fés de fo1'êts ou de ·
bois épais , sorit ,s õúvent phl.s pittoresqu'es quê
ceux qui se trôuvent d:ans des canto ns oü.verts.
Le soir nqus avons pr~s notre glte à Miai'.pe-Po- ·
·voaçào , hábité par ·une s'o i'Kantaine et plus de
farri.iÍles.de pêchetfrs. Nousn ~us étions logés.dans /
uile· maison bâtie sur u n'. tertre; il y vint aussitôt

. Berlin; Azara l'a décrit dans Ie quatri e m e-~ ,~oh1111e de s·es


voyages, pag. ó: soús l e nom de Charp entier à huppe et
cou rouge.
AU BRtSIL.
plusieUrs . personue~ qui admirerent surtout
notrc jeune Poury, ét observerent tous sês
mouvemens·. Du reste í:iou; fumes bien reéus
"
dans cette maison assez grande:" 11otre chanibre
était vaste; on alhima à terre ·un bon feu qui
1

servit à sêch~r nos vêtemens traversés par la


pluie. A p'eu de distance de Mialpe; on trouve
Villa de Goaraparim, ou mime un chemin qui
traverse des masse's de rochers formant une
saillie en roer~ Pres de la ViUa, le Goaraparin1,
bras de mer étroit, p'én'e tre dans les terres; on
lui dortne générà1'eme11t le hoíu ·de riviere; son .
eau est saléé. · "
Villa de ·Goaraparim a el"lviron i,600 habi-
tt:ms; oh en compte 3,ooo daus son tefrit?ire.
Elle est :un peu plus· grande que Villa-Nova de
Benevente; ~es rues ne s'o'nt point p" ·a véês é íl v
. ~

a seuleri'í'en't le long. des maisbhs des. trottoirs en:


1
pier-fês, Q.iáis ils Soht eri rn ~uvais état. Jja p~u- ·
part des màisbbs ~'ont qü'ufi éta.g e. Ce hourg .
est ' panvre ;: cépendant fo voisinagé re11rférme,
des f:'t,zehtlas aoilsidérábles.; on · rernàrqtie en-
tre atitres lá ''fázenda d er Campos avé'e q'.u atre
eents nêgres; ed' Engenho V élho qui en á deux
ceiits. A la mort du derhi é r propriétaire de- la ·
pi·er11i'e1·e, ie désõ'rd1·e devint .génét'àl; les es!-
280 VOYAGE
claves se révoltererit et ne voulurent plus tra-
vailler : un ecclésiastique instruisit de ces événe-
mens les héritiers qui ~e trouvaient en Portugal_,
et leur offrit de r~niettre les choses en ordre
si on consentait à lui aécorder une, partie de la
.propriété. Sa proposition fut acceptée; mais les
instigateurs des esclaves l'assassinerent dans son
lit, s'armerent, et formerent dans les forêts
une république de negres qu'il n'était pa~ facile
de «létruire. Hs garderent les fazendas pour
etix, sans pourtant beaucoup travailler, vécu-
rent libres, et se mirent à chasser dans les forêts.
Les, esdaves de !'Engenho suivirent l'exemple
des ~utres; une cornpagnie de soldats les atta- ·
qu~ inutilement. Les :çiegres s'occuperent sur-
tout .de réçueillir .quelques-unes des principales
productions de ces forêts, . telles que l~ bau~1e
de Copahu et quelques autres. On tire ce baume
d'un arbre nommé Pao de Olea : on y pratique
des entailles, et quand la .substance résineuse
commenee à couler, J'on remplit ces ou.verture~
de coton qui s'imbi~e de sue; l'on crp~t ici ·q u'il
faut percer l'arbre à la pleine lune, et í·ecueillir
l'huile au (!.écours de cet astre. Les negr:es. ÓU
les Indiens apportent cette huile aux Portugais
dans de petits co~os sauvages., qu'il~_ houch€'.nt
'
AV BJ;lÊSIL.
avec un peu de cire. Cétte substance a tant de-
ténuité , que dans Jes grandes chaleurs elle_
pénetre à travers l'en".'eloppe solide de la ~oix.
Même dans ce pays on lui attribue plu,s de vertus
qu'elle n'en possede réellement (1).
Les negres ~arrons des deux fazendas, dont
je viens de parler,_reçoiveni bien les étrangers,
et par leur conduite se distingueçt entierem~nt
des negres échappés de Minas Ge~aes et d'aut_res
endroits, .auxquels--on. donne le nom ·de ·Qui-
lombos (Gayambolos), d'apres les villages qu'ils
ón~ établ1s dans les bois. Ceux-ci, surtout dans
le Minas, attaql'.lent les voyageurs, les pillent
et souvent les/ tuent. C'est pourquoi il y a dans
cette provinc~ des chassei;i.rs de negres Gayam-
boiüs que l'on nornme Capitaes do Mato ,(~),
qui s'occupent uniquement de - prendre ~~ :_de
tuer ·les negres dans leurs repaires. .
Le . capit;;i.ine çommandant d~ Goaraparim
nous avait reçus tres-poliment, et nous avait
procuré une maison-pour y passer là ,nuit. Le

, ·.
(i) Murray, appdratus medicaminu;n, tom. IV, p. :52.
(!l) A Pernambou c ils portent le noín de Capitaes do
.. .,z_.. t
C'll(llpO •

. Koster, p. 599; ' tom. II, p. 526.·-


· VOYÀGE
Ietidemain iibus nous' sohrnrns ecnbarqbés sur
le fleuve; il coule entre de ·jolis bocages de
mangliers ( cvnocarpus) , et- plus ha?t enth~
des montagnes verdoyantes. Un village de
pêcheurs est bâti à sa rive septéntrionale, oU:
nous avons ·dél~arqué. Noüs avons . tr~vers~
ensúite ~e :grands rna~áis parsernés d·e 'buissons
çle Rhe.xia à heHes fleurs vi~okttes, des collines
ornées d'a'iri ét de cocotiers, dont les espec·e s
'd ivel ses donnáient beaúcên.i ÍJ d'occupatio~s à ·
·notre. cririosité; enfin dans le voisioage du Peno
·cao, de va-stes espaces ·é ouvérts de h'aies d'Ubà
'OU rosea~en éventai]; puis nous avbnS p ãSs'é Ja
petité riviere sur un pont de bois, ·e 't DOUS
avons suivi le riv~ge jusqu'à la Pouta da FrtiÜ,
oi1 de~ m~iÚ~·ns .épársês dan.s un bois forn:ieht
uh PovoaÇà-'o. Les habitans, issus ·d'un D:íélahgê
de negres , et de Portugais·, hb'ti~ !'eçurêú t tr·es::..
bien. Ils vivent pauvi'~meht de leur pêd\ e ..et de
la chl'tuí·e , d~ la terre. A qt1elqú e cHslánce brt
àpe·rçóit 8.ejà s'ur une I11ontagae Ie -d-O tiv~lit , dê
Nossa Senh9r.o da Penha, qui esí pres de Vi!la
d,o Esp~rit.o-Sinto, éloignée de c~pg legoas. 'Des
J
, fo1~êts ,'des prairies, des bois couvrent le ~errain
'a lterriativement .avec de gran~s mar::1is remplis
de roseaux, et oi1 dés· hér0hs blancs et d'áufres,
Ati :Mt.6S1L.
de·di verses Cou}eU'rS Se promenaie1it dans l' eau;
/ . . - .. . .. . . . . . .· . ' ;

on y voit aussi un grand norribre de belles


pl~ntes; nouvelles pou.r qh étranger. Je trouvai
dans l'herb~ sút ·1á rlvé sah'Í'onneuse d'une la-
1

' ,
gune, le serpent cibo ·vert (1); sa fonne svelte
et _sa souplesse lu.i 0nt valu son no~n .; il est de
CouleuF o}Íve foncée, jaUlle par deSSOUS' et a
cinq à six _piecls de longue,ur; . quoiqu'il
• • ' •
fass.e
, / • • " • 1
ne
• / • • \ ~

pas de mal, les Br_ésiliens le__ t.tren~ ·q_uand. ils le


ttouverit, par ha~ne ,po-m' 1·tous l'es'. .:~erpens~ 1

Ceux-ci ~tai~nt cxt~ême_menl, ~~'nibfeui dans


cet
~.
enclroit. J :en trouvf!Í le s~uel~tte d'trn tres-
,... • .... r. • ' /" •

gh;í tid. . '' . ' '


\ ~ÃÍí-del'-:'1
.
él\1ri"·
'(
r étit villag· e dé p''ê~h~Üi:s
1
' ' siiué l .

stfr lé bb11-ct tl~ 'la .fü.e1~, hoÜ~ a~on-su p~s~!o~· JüÇ~{


'av'é'c ' p. Í·1éti:;bt~ófr 'sti1~ · ·uíi p"óiú 'tf'e~.:.fõ'od eC e.ri
f K ' 1 ~ ,

~rriáüvai~ ~tãtJ eb~lih~ . -~1qus . a'.v~ií~ "t"~~v~rs~ ''.p~ê


g~~n<l~ · fótêf; ~tY1óus s'àmn~·és âr'rtvé~ ~ -va1â dÕ
~spit·fr8.Sar ió:·1~àii~ ;ur'}e ii~u~Tê:de Ü{~~~Y1~rni;
. ..... . .. . - '; ,_ {' j ~ \ , · !, ~

' ' ' ·. . ·r· .i J l. ; ,.


(1) Ce nom siguifie serpent !fàne•;' Vest ' le cób.rb.e r ~ica"'
r{natus, espke . prqbablemen.t .notwelle. Son· caractere dis-
' J • . • ' •
ti'!ÍcÚf ~sl _ d'avqir éré c~rnque côti du dos une rangée .d'éca.ill~tt
' _,.._ :~t . _, ,· Ll · _"Í i "!J[_,"' '- - _,:.; ~
1
1 '': ;,.
c;rrfn't:s-; plaque'S véntrales, 't55·; cauaales, 107.
1 • ' .. ,1- ...

1 ~. . \ !:~) ,' t 1 r~T' : , 1: ! ...

.......
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'

(
·vOYrAGE

CHÁPITRE VII.

SÊJOUR A ESPIRITO-SANTO ET VOYAGE AU RIO-DOCE .

Villa Velhà do Espírito-Santo. - Cidad~ de Victoria. - Bana


de Juçú.-A1·açatiba. -Coroaha. -Villa nova de Almeida. /
- Quai:tel do Riacho. - Rio-DoÇe. - Linhués. - Les
·B outocoudys , ennemis invetérés des Portugais'

LE fleuve d'Espirito-Santo, qui a son embou-:


chure dans la roer, est considérable ; il prend sa
sou.rce dáns les montagnes s-qr les ffontieres de
la capitainerie de Minas-Gera_es, serpente daÍÍ.s
les grandes forêts des Tapouyas; .ou les Pourys
et les Boutocoudys vivent errans , · puis passe
-au pied d'une chame de roontagnes , ·qui se dé-
tachení de monts plus haut-s pour se diriger ver~
la roer, et dans laquelle le Monte de Mestre Al-
varo est la plus élevée.
; Les établissemens des '· Portugai~- à l'embou-
churede ce beaufleuve sont tres-anciens; ils ont
ensuite beaucoup souffert parles guerres, avec
les Tapouyas' surtout avec les trois trihus .des

(
AU BRÉSIL.
Ouetacas ou Goaytacases, qui demeurent sur le
J>ara'iba (1). Dans la derniêre moitié du dix-
septieine siecie, le territoire ~;Espírito-Santo
ne contenait pas plus de 500 Portugais et quatre
viJlages indiens (2). Aujourd'hui on voit dans
mi enfoncement.à la rive ~éridionale du. fleuve-,
à p,eu de distance de son embouchure, Villa
V eiha do Espiríto-Santo ., petite ville laide et
oµverte qui forme à peri pres un carré-;· l'église
est à une ext_rérnité; à l'autre, pres du _fleuve,
la Casa da Camara. Le -fameux couvent,
de Nossa Senhora de Penha un des plus riches
du . Brésil , et qui dépend de l'~bhaye de San-
BentG d_e , Rio-de-Janeiro, est sur une haute
m.on~agne boisée et contigue à' la ville. O p dit
qu'il possede une image miraculeuse de Ja
Sainte-Vierge, et c'est - en. coiiséquenc~ un.
péle~inage tres-fréquenté; il ne s'y trouvait en
ce moment que deux moines. Nous n'avons pas ·

( 1) Y por este tempo . ou· menos,


' anns:> x 594 pomo mais
morei:am guerra os moradores desta capitania do _Espirit?-
.Santo contra huma nacao de gentios perniciosa·; barbaro,
·cruel' e terribel per nomen goyataca cujas noticias .queror
da aqui brevemente, etc.
Vie 'du pere J. D. ·Anchieta.
( !2) Southey, History of Brazil, tom. I, p. 6,67.

I
/.
VÇJY4\.G:f:
regretté lG\ ·peine q~e 119!JS avon~ prise d<t g.r~vir
Ja 1;noµtagne, ta:r:it la yµe dont on y jq_uit. est
magnifiq•Ú~. Elle défi.e toutes Ies de.scriptiqns~
011 découvre à la fois_ la m;er, des cQ.aines q~
rpontagnes, âes cimes éle~ées et sépar~es p~r
Cles vall~es d'oú le flen.ve _& 'échappe. La VilJa
qonsist~ ~n. m~isqns d_ e t~rr(f ~;:tss~s; elJe n'~s.t
pfts. payé~ et p'offre que des signes .de dépa-
9.ence depui~ qu~ l'on a bâti, une d~rpi-lien~
ph~s haq.t sur Ja rive septentrion_a le du ~lel-!ve,
11
Villa d~-Victoria , j,o.l ie petit~ viUe 1 qui, depqi~
,
n1w1 d epart , , e'l evee
, a ete ' au rang, d. e cI-te;
. '
(cidade). Espi6to - S:;in,to q~i n'ét~ it d'abord
q4'uµ , gq~veq1ement inférieur , est devenu
~ep~is l.Jn~ c~p:i,tain~rie.
Cidad~ ~e Nossa S~nhora1ia Viçtoria
• ' , •
a d'a&-
1: •

s,ez gr€ll1iJ.~s ni;~i~o11~ , avee de? balcons garn~s-?


s~iyant l'an.cienne modG portugaise , d~ gril-
lag.e~ e11 bpis; ~e~ rues sont pavée&. L'ancieu
couvent des jésuites est u~ bâtin1ent as~ez -con-
sidérable; il sert de casa 'd a camara et de d.e-
!fi~_ure ~u gouvein~~r, qui _a ici SOl.lS ses ~rdr~s
une oorppagnie de inilic~ régul~ere. _I1:i_çlépen..,.
damment de plusieurs couvens, cette ville ren-'-
fe~me une église, quat~e chapelles"" et un hô-
pital; «1lle: est c~pend~,nt p'eii vivante '· ~t_ les
AU BRÉSlL.
étrang~rs y attirent 1a curiosité génér.aJe. L~ cqµi-
merce de c~:Pot<;tge es~ assez important : de~
l~nchas, des sµmacas, . et d'autre~ ·p~tits navires
sont cQnstamment mouillés d~n~ le. port; le&
frÇgates peqve:qt remonte,r ju~qu'~ la vill~. :{..~s
fa~enda& dq ~oisinage produisent beaucoup de
&ucre , de . fari:p.ha , de riz , de bananes , et
q'autres d~m~ées qui s'export~:qt 1 Plm1i.eurs f9rts
, 9éfendent l'e~1trée du Rio do Espirit~-Santo.
!l y, en a µ.µ à sqn embouchure mêu}e ; pli;!s
!;iaut une baiterie ~n pierre, montée qe hu~t ca-
:nons de fer, et _plus haut ~ncore entre celle-ci
. ~t la ville , une troisieme de qix-hµit canons,
dpnt _qu~lqqes-uns sont ~n bro_n ze . .L~ 'ville est
l'.?Ítuée sur qes collines' ce qui en read le e sol
~n~gal; le fl13qve au-dessous est entouré de tous
les
'
côtés de hautes n10nt!lgnes; eUes çotisiste:ot
.
en partie en roch~rs, souventpus ~t e~c<!rpé~, - et
q~elqu~fois tapis,sés de p)antes grasses. Le lit
du fleuv~ est cou_pé de plusie.urs iles V,erdoyan~·
t~s, et; lorsque l'q~1 sµit de l'reil son ,couvs _vers
l'intérieur ,_h~ vue se repose sur de hautes rnon-
tagnes boi~ée~. ,
Nous.. nous somm~s Íogés à Villa-Velha do
y
~s,pirito-Santo, parce qu'il av~it aupres de bo~s
pât~rag~s _pm1r q·o~ n11Jl~!s ~t po~ çhevau~. U!!e
~88 VOYi\G.E
grande pirogue nous a transportés à Cidade d.e
Victoria, , traj.et ·que ]a violence du ven t de _ll)er
et la largeur du fleuve ont rendu assez dange-
reux. Le , gouverneur, à qui nous avons rendu
visite, nous a en apparence reçu tres-poliment.
~ui ayant de1nandé un logement à la campagn~
daas le voisinage de la ville, il nous en indiqua
un .à Barra de Jucu, à re!llbouchure de la pe-
tite riviere . de même nom, à quatre lieues de
• Cidad~ de Victoria. C'était une maison. com-
mode et bie:p. bâtie, apparten ant au colone] Fal-
çào, commaDdaDt du régiment de milice, et un
d~s plus riches -planteurs de ce canton. Je re-.:
tr01;ivai ici les premieres nouvelles d'Europe,.,
car ]a 'poste d~ RiO-de-Janéiro ne va pas plus
l<:>iD. TaDdis que 1i.ous parcourions le5 lettres de
DOtre P?J S, que DOUS atteDdions depuis si long-
teriÍps, des gens de toutes l~s couleurs, rassem-
blés autour de Dous, faisaieDt les observations
les plus singulieres sur Dotre patrie , et sur
le n:ioíif de notre apparition _en ce lieu ; tout
le i:p.oDde, ici comme dans les autres endroits
·ou ·nous avioDs passé, nous . preDait pour des
Anglais. ·
· De retour à Villa-Velha , nous avons trouvé
guelques-uns de nos gens malad~s de la fievre;
AU BRÉSiL.
et cette maladie se répandit avec une . telle ra-
pidité, qu'en peu de jours la plupart furent sur
le grahat. On en. ~ttribuait la cáus·e à l'eau, mais
elle était due cértainement au climat et ~ Ia
nourr-iture. Grâces au quinquina ,, nous avons
rétabli prompten1ent la santé de tous nos rna-
lades, puis nous noris sommes hâités d~ gagner
aussitôt qu'il nous a été possible notre demeure
de Barra de J ucu, oii Yair pur et firais de la nier
acheva la guérison de nos convaÍ.esc~ns. Noús
flmes nos dispositions pouri·ester plusieurs mois
en ce Iieu, parce que nous voulions y passer
toute la saisoh des pluies. Cependant nos chas-
seurs parcouraient les forêts. _
Barra de Jucu est un petit village de pêcheurs
à -l'embouchure da Jucu dans la mer; ce petit
fleuve; apres avoir arrosé les gré~ndes fazendas
de Coroaba et d' Araçatiha, poursuit son cours
sinueux à travers les forêts; il est tres-poisson.:'
neux : ses bords offrent un grand nombre dé
points de vue píttoresques. Les maisons ,des pê-
cheurs de Barra de Jucu sont en partie éparses;
au centre, pres d'un pont jeté sur Ie fleuve, se
trouve la maison du colonel Falcào , qui pos-
sede aussi plusieurs fazendas dans les euyirons :
la plus considéraLle est celle d'Araçatiba, à
I. 19
VOYAG~

quatre leg oas de distanc~. IJ avait coutume dé


venir tous les étés à Barra de JL~cu pour prendre
les hains de nwr; aussi fut-il tres-mécontent de
ce queJe gouverneur nous avait assigné im 10-
gement dans sa :r,naison; circonstance dont nous
ne fumes -instruits que plus tard. Toutefois il
vint à Barra d e Jucu, etse fit arranger une aútre
' 1naison d ans le voisinage, en attendant que nous
eussions quitté la sienne.
· Les excursions de chasse les plus ·intéres- ·
santes que nóus entrepdmes pour connahre le
pays' nous menerent d'abord au-delà du pont
· du J ucu , dans la belle forêt qui se prolonge
jusqu'à Villa Velha de Espirita-Santo. Nous y
avonstrouvé une joli~ espece de sahui(sagouin),
nouvelle pour nous ( iacchus lecuocephalus,
Geoffroy} Il va en petites troupes, ét est tres-
friand des noix des cocotiers sauvages ; nous
avons aussi rencontré Je couy d' Azara, ou porc-
épic à qneue prenante, et plusieurs autres qua-
drupedes. Les oise~ux les plus communs dans
cette forêt étaient le beau grimpereau bleu
(nectarinia cyanea) ( 1); diverses especes de ma-
nakins (pipra ,pareola: P .. erythrocephala, e~

1 .
(1) Certhia cyaneQ, L.
AU BRÉ,SÜ.1.
P. l'éucoci!la ), une petite espêce qui .n'a pas
'encore été décrité, que je nommerai strigi-
ltda (1); une nouveile espece de tangara (tana-
gra elegans )(2), et un tres-beau cotinga (proc-
nzas cyanotropzts) (3)' dont le plumage chatoie .
1
à la lumiêre. On pouvait toujours espérer de reJ?.· ·
contrer les jolis manaÍáns ·à couleurs si belles,
sm~ Uh arbre dont ils aiment beaucoup lei
baies.
Cette for~t renformait alissi <lés cerfs. Le
colonel :F alcào fit venir ses chiens d'Aracatiba
"
pour que inous prissions le plaisir de la grande
c-hasse. Voulant rencontrer des animaµx de
grande taille et rares qui fuient le voisinage 'de
l'ho1nme, nous nous somn-ies enfoncés j usqu' à

(1) II est plus petit que le Pipra erythrocephala: le


sommet de la têt-e est d'uu rouge éclatant; !e dessus .du corps
vert olive; le dessous blanchâtre; rayé de brun rougeâtre.
(2) Tête d'un j a une doré; dos no ir rayé de jaune; dessous
du cou et poitriue bleu de ciel verdâtre éclataut ; ventre et
côtés verdâtres.
(5) Si l'on regarde cet oiseau contre la lumiere ' · il es[
d'un bleu de ciel magnifique; vu dans un seus contra ire, il
parait d'un vert clair éclatant. Les ailes, la gorge et le mea·
ton sont no"irs; le dessous du corps blanc. On l'a nommé
Procnias Pentralis au musée el e Berlin ;
VOYAGE
trois lieues---dans la vaste fo1·êt qui s'étend .. jus-
qu'~~1pres de la fazenda d' Araçatiba. La route
que nous avous suivie était extrêmement agréa-
ble. Nous avo'Ds d_'abord traversé d~ grandes
plaines ~ablonneu~es et nwrécageuses, re1~plies
d'une multitude de plantes; ensuite :nous avons
franchi des collines, oi.1 ·de jeú.nes cocotiers et
d'autres beaux arbres trcs-sefr~s les uns con,tre
les autres répandaient une ombre impéné-
trable; une espece de roseau couvre tous les
lieux ouverts dans Iesquels le tarin bleu d'acie:-
Vringilla nitens, L.) est tres -commun. Je ren-
contrai au milieu d'un sentier étroit de la forêt
un gros serpent tranquillement roulé sur lui-
ll'.)~rne; il ne voulut pas nous céder la place;
n1on che~al eut peur; je tuai le serpent d'un
coup de pistolet.·Nous reconnumes en l'exami-
nant que c'était une espece non malfaisante, et
nous appdmes que dans le pays on le nommait
canÍ[lana ; il est du genre coluber ( I). Ce
ne fut qu'apres de . longs pourparlers que
1e pus engager un negre du colonel Falcào

(1) C'est tres ·- probablement la couleuvre changeante


( Verándediche Natter de í\L l\1en-em ). Beytrãge zur na-
turgeschishte deram phibieu. Zweites Heft. tom. Xll~ p. 5i.
AU BilÊSfL.
q_n i m:'accompagnait à prendre le ser1·Yeni: sur
son cheval.
La forêt d' Aracatibá offrait rlrié solitude im;.;
"
p~sante; de toutes parts des 15etrbquets s'eh..;..
volaient en poussant de gr~rn:ds..cris, et la voií
du ~inge sauassu retehtissait de tous cátés.. :D'd
fomes oil cipós e:htor\tillées autÓur dês artirés
forin:aient des halliers impénétrabléS; les su~
perbes fleurs des plantes grasses , les festons
pendans des fougeres · qui enveloppaient les
arhres, étaient dans leur développem,e nt le plus
complet. De jetmes cocotiers p·araient les parties.
les moirts hautes de cette rnasse de végeiaux:, sur-
touf dans les liemt hum.ides. Le couÍequin om-
bifiql.te ( cecropia peltcitá ) ( i}, avec ses ti:ges.
d'un gris argenté, annelées, fo1'niáit des buis·-
sons particuliets.
Tout à coüp nous so1'lunes so·r tis &e l'ob'.k u-
nté mystérieu·s e qui ·nous enlou:'r nit; 1ú1' t::bhp
d'rei.'I ~na'gúifique nóu:'s a fait ép'r ou'v ct la surp1·is~
la plus agréable aúmomént ou nofré vue n 'eta~t
plu·s' borriéé. Au pied cfn Morro d'e A raçatiba,
mont~rgne bóisée, nous avons aper9u dans 1nfo

(1) C'est le bois tro1Í'ipeHe des colonies fr a nçaises.


.voYAGE
pellc prmné verdoyante . le grai;i.d . ·bâtirnent
blanc de Ia· fazenda de Araçatiba, surmonté
de deux petites tours. Cette propriété a quatre
cents negres; les plantations' surtout c.e lles des
cannes à, sucre , sont tres-étendues. Les fils du
colonel habitent eles fazendas particuliere~, à
peu de distance de celle-ci, qui était la plus
considérable que j'eusse vue dans mon voyage.
Le bâtiment principal a une large façade, deux .
étages et une église. L~s cases à negres, les
moulins à sucre et. les bâtimeps d'e:xploitation
·sont au .pied d'uµe collinc à peu de distance de
1a màíson.
A peu pres à une lieue, dans ce cah ton sau-
yage,l environne
• ' el e toutes parts d e l iautes fcorets,
A

et SUf les bords du Jucµ, se tr.o uve la fazenda


de Coroaba qui appartient ~ un autre proprié..-
taire. Le gouvernet,1r avait commencé à faire
bâ~ii une église à San-Agosti:iiho, à peu de di-..
sta1ice de Co'roaba; e' est pourquoi il demeurait
1
d.ans cet en d ro1t
. ou , 1>1·1 un poste m1·1·i-
' l' on a eta
taire con tre les sauvages; on travaiUait alors à
qu~rir ·une route rour aller à Minas-Gera~s';
déjà un officier y avait fait un voyage pour tracer
la comnmnication à travers les forêts. Le gou-
vernement a transplanté à San-Agostinho une
AU. ) BRÉSIL.
quarantaine de familles venues des Açores ,
surtout de Teréeira et de San-Miguel, quel-
ques-unes aussi de Fayal. Ces ·gens sont dans
. la misere, et se plaignent hautement de leur
trist~ position; on leur avait fait de belles ·pro.-
messes que l'on n'a pas tenues.
Nous aurions volontiers passê notre temps
de rep9s à Çoroaba; mais la difficulté d'y
placer notre suite nombr~use nous obligea de
rester à Barra de Jucn.
On avait envoyé à Caravellas plusieurs objets·
que nous attendions à Espirito~Santo , circon-
stance qui mit notre troupe dans un assez gran~ .
e_m barras. Afin d'y remédier nous résolumes,
M. Freyress et moi, cl'"-ller. au plus tôt à Cara-
vellas pour y n~ettre nos a:l:faires en ordre~ Équi-
pés à la légere et suivis de quelques hommes à
cheval, bien armés, neus parttmes le ig dé-
cembre de Barra de Jucu. Le rest e d e notre
tropa se rendit à Coroaba p o ur y travailler.
Nous eussions pu voyag~er bea\1coup plus·
promptem~nt par mer; mais la navi,gation le
l~ng de Ia côte , dans de petits Lâtimens in-.
com.modes, est for t d és~gréab}e dans la . saison
des mauvais temps et d es ornges·. Ainsi nop s
gagrn~ 1nes ' Pedra. d ' Agoa, maison isolé e sur une:
VOYAGE
hauteur baignée par le fleuve, afin de Ie passer
avec nos quatre ·c hevau:; de mopture et nos
deu,x mul~ts de somme. Nous aperçtv:nes de Jà
sur Ies montagnes dG la rive opposée le rocher
remarqu'able tle Jucutucoara, qui ·est à peu de
distance de Villa de Victori~, et qui de loin
ressemble à la Dent de Cha~na.n dans le pays
de Vaud; il s'éleve surdes haut$)lU'S eu pen.te
douce, et couvertes ~n partie de petits bois_.
En avant, plus pres du fleuve, est située fa jolie
fazenda Rumào , dev.ant 1aquel1e l'llba. dns
Pombas ( rt~e aux Pigeons) partage Je cours
du fleuve, dont la vue, prise du haut de Pec,lra
d ' Agoa., est fort belle ;- eles lanchas et des piro-
gues de pêcbeurs à la v_oile ajout;aient au charme
du coup d ' reil. , ·
Nous aur~GP& voulu p~s~ér tout d~e suite, p;u·
rnalheur il n'y avait pa.~ une seuJe pirogue pour ,
n~ms transporter de l'autre côté; il fallut donc
demander un g1te au vieillat:d qui habite Pedra
d' Agoa; sa réception ~micale nous dédommagea
de l'incommodité d'être mal défendus de la
pluie et du vent dans sa ·petit~ caba!)e. A l'ap-,
proche de la n u it tout le hétail errant s'éta12t
rassemblé -autour de l'habitation, nous apir-
çumes. un mouton d'une figure singulie·re; 1101~s
AU BRÉSIL. 2 97

appdmes ensuite qu'il provenait de l'accouple-


ment d'un bélier et d' une chevre; il ressemblait
à "sa mere, il était gros, fort et arrondi, son
poil était fort doux, ses corne~ étaient un peu
courbées en dehors { i ). Parmi les agneãux q,ue
Jeurs jeunes g~rdiens renfermerent, ily en avait
beaucoup dans la cav.ité ombilicale encore mal
formée desquels on trou vait une quan.t ité d @
vers; on frotte cette partie de mercure, pour
la guérir de cette maladie tres - ordinaire
dans les pays chauds; des · qu'un aniinal est
blessé, des mouches viennent aussitôt déposer
Jeurs reufs dans la plaie. Un autre insecte du
Brési-1 dépose aussi ses reufs. dans 1a chair ou
sous .. la peau des animaux vivans' même a ·e
celle de l'homme; quand OH a été piqué de cet
insecte on épl·ouve une petite douleúr locale;
il survient ens\,lÍte un gonfle ment. Nos gens ,
qui connaissaient bi_en ce mal, ·tiraien~ de la
partie gonflée un petit ver bfan~ allongé ;, la!
plaie se guérissait au~sitôi-. C'est probablem"ent
du même insecte que parle- AiaPa ( 2); il cro1t

(1) Buffou, supplément, tom. V, p ag. 4 de l'édilion


in- 12.
(:.i.) ' Voy ages, etc. , tom. I, p<ig. 21 7.
)

298 VÓYAGE
pourtant ql.1e le v~r pénetre d'àbord dans Ja
peau, ce qui est contraire à notre expérience.
Le 1endemain nos pirogues sont arrivéesr, et
nous avons passé de l'auúe côté du fleu~e qui
a· pres de mille pas de largeur. Nous avons
voyagé dans une vallée qui serpente immédia-
tement au pied de la hauteur sur laquelle est si-
tué le Jucutucoara. A peu de distance nous
avons aperçu une fazenda qui appartient à un
]\'1. Pinto ; nous avons t_raversé sur un pont de
bois ordinairement fermé par une porte la pe-
tite riviere de .Muruim ou Passagem , et , à
l'extrémité d'un marais couvert de mangliers
( rhizophora, conocarpus, q,vicennia ) , nous
nous sommes trouvés sur le _bord de la r,ner.
En regardant en arriere , on reconnait distiHc-
tement Ia chah1e de Espirito-~Santo, qu.e l'on .
aperçoit tant que I'on se trouve imm.édiatement
f entre se~ parties extrêmes. A trois lieues de·
Villa de Victoria; nous av(;>ns fait halte au pe-
tit Povoaçào de -Pray;a-MoJle.
II consiste en plusieurs rnaisons éparses sur
une plaine verdoyante peu élevée au-dessus de
la mer. Nous y fumes accueillis amicalemen.t,
et les habitans étant bons musiciens , la soirée
se passa fort agréablemen( à faire de la musique
r

AU . BRÉSIL.
e't à danser. Le fils de la . niaison ol.1 nous ·éti~ns,
qui s'entendait. tres-:-bien à fabriquer ·des. gui-
târes ( ?.Jiolas ) , en j o~a , et la plupart des
autres jeunes gens danserent · la baduca. Ils
. prirént toutes sortes cle postures singulieres ,
battant la n:1 esure avec leurs mains, , et faisant
ahernativement claquer deux doigts de chaqu·e
maiú, en imitation des castagnettes espagnoles.
Quoique les Portugais aient beaucoup de dis-
positions pour la musique, on ne voit pourtant
.au' Brésil, dans la campagne,-d'autre instrui:nent
que la guitare. Si Famour de Ia danse et d~ la
musique est commun parmi . les habitans , le
gout de l'hospitalíte l'est autant au moins parmi
le pfos- grand nombre. Nous l'éprouvâmes en~
co,r.e· en ce lieu : on nous o:ffrit à l'envi tout _ce
qui pouvait nous divertir et . nous faire pa~ser
le temps plus vite.
Partis de bonne ·heure de Praya-Molle le
lendem;:tiri matin pbl.ir. le. Povoaçào de Carape-
'
buçu, nous avons vo-yagé dans des forêts qui,
s'étendant le long . de la . côte , . cntourent Jes
baies et couvrent les pointes de terre; on y
voyait voltiger une multitude de papillons, :sur-
tout de nympliaLes. Nous· avcins trouvé. le joJi
nid en forme de hou.r~e, ·d'pne e-speJ::e d' oiseau
I'
3'00 - VOYAGE
du genre du todier. 11 le construit toujours dans
le voisinage de _celui du marimbondo , espeée
de guêpe' afin ' dit-on' d' être en sureté con tre
les pom:suites de ses e.nnemis. ·A yant voulu
m,approcher de ce nid, les gnêpes se montre-
rent aussitôt, et m.'en tinrent éloigné. ~
Les bois le long de la côte sont habités pai·
de pauvres familles qui se nourrisse:rit de la
. pêche et du produit de Ia culture des terres. Ce ··
sont en général des . negres' eles mulâtres' ou
d' autres gens de couleur; on voit pe u de hlancs ·
I
parmi eux; ils se plaignent au voyageur delem•
paúvreté et,de leurs besoins, qui ne pel!lvent être
dus -qu'à leur paresse- et à Ieur manque d'indus-
trie; car le so~ est fertile ; ma'i s trop panvre$.
1

pour acheter des esclaves et trop indol'ens pour


mettre la main à l'ouvrage, ils aiment mienx
mourir de faim.
En avancant au nord on arri.ve dans un çan-
, "
ton hahité nol'l_pa·r des créoles et par des mu-
l:hres·; mais par des· lndiens civilisés.· Leurs
rnaisons' isolées sont éparses dans des hocages .
touffus. ·Des sentiers ombragés conduisent d' une
cabane à une autre; on Yoit joue1• les enfans
dans de petits>tnisseaux Iimpides·, dont la sur-;
face reflete les belles plantes de la forêt. Noµs-y '
AU Bl\ESIL. 301

avons rencontré de beaux ~iseau~ le jacamar


vert doré ( galbula .,;;agna ) , perché sur les
bfanches basse~s , guettait sa proie; des voix
inconnucs ret_e ntissaient dans ces solitudes. Nous
en sort!mes apFes y avoir parcouru quatre lieues,
et nous' aperçumes devant nous, sur une h!luteur
baignée pa.r la mer, Villa-Nova de Almeida.
· ,C'est un~ gran.de aldéa d'lndiens civilisés,
qui a été fondée par les jésuites. EHe a · une
église en pierre; son territoire, qui . a environ
nêuf Jégoas de circonférence, renferme à peu
pres 1200 habítans. La plupart de ceux de la
Villa sont lndiens; on y voit aussi quelqúes
Portugais et des negres. Plusieurs y ont des
maisons oi1 ils ne viennent que les dimanches
et les jours de fête ;Je reste du temps ils restent
sm: leurs plantations . .Le couvent des jésuites ou
demeure aujourd'hui le cure contieni d'an'ciens
écrits de la société, . ce qui est une rareté, car
dans toutes les autres rnaisons Von n'a pas pris
SOÍll des bibJiotheques, qui OÍlt été dispersées et
perdues. Jadis les jésuites enseignaient principa~
lement ici ~a lingoa géral. Ou dit que leur chapelle
dos Reys Magos ( des Rois Mages ) était fort
helle. Yilla-Nova de Almeida est un lieu mort,
et parait pe.u habité ; il . y regn~ beaucoup de l
302 VOYAGE
I,n isere. Les Indiens cultivent un peu de manidc
et de ma'is, exportent du bois et de la poterie;
leur pêche dans la mer et d~ns le Saü.anha ou
Rio dos Reyes M:igos est assez importante.
M. Sellow, qui revint ensuite ici, eut occasion
de .voir leur singuliere maniere .de pêcher avec
les branches du tingi, pr.océdé dont La Conda-
mine fait ment~on dans sa Relation de la Ri~
viere eles ,Anzazones (1). Aprcs avoir · coupé
des branches de cet arbre ,_on les bat· pour les
écraser, on les lie en faisceau et on les jette
dans Feau, surtout aux endroits oii elle a peJ
de pente; quelquefois ·on barre la riv~ere pour
retenir le poisson, qui, eni vré par le sue de la
plante répandu dans l'eau, meurt ou se prend
aisément à Ia main. Les plantes qui produisent
cet effet sopt quelques especes de paullinia, et

(1) Voyage à la riviere des 4mazones, p. ig5. -Vas-


concellos donne des détails sur· ce sujet. 11 dit que Ies
Indiens de Ia côte employa~ent pour cette pêche lee feuilles
du japicay, le limbo putyana, ou Lingy ou tiniuiry, sorte
de liane, le fruit du curaruape ·, la racine du mauglier, etc.
(Noticias curiosas, etc., p. 76.) Voyez aussi les not.es de
1"1. Blumenbach sur fo voyage de Van Berkel à Rio de Ber-
. bice , en 1670 ( en allemaud) , p. 180; et le voyage d11 ,
Krusensté·n autour dir monde ·, tom. I, p. i8o.
I

AU BRÉSIL. 3o3
le jacquinia óbov.ata, arbuste à baies rouges et
à feuilles oviforril.es renversées, qui croh dans
les halliers le long de la côte, et porte eu con-
séquence le uom de tinguy (tingi) da praya.
On parl51it encore à Villa-Nova de Almeida
d'un animal de mer, inconDu , tué à coups de
fosil sur la côte voisine peu de temps aupara-
vaDt. II était fort grand; on nous clit qu'il a~ ait
des pieds comme les: maius d'un homme; on
en avait tiré beaucoup d'huile. Le gouverneur
avait envoyé la tête et les mains au chef-lieu de
la capitaiDerie. Malgré les recherches les plus
assidues, nous ne pumes Dous procurer de ren.-
seignemens plus précis sur cet animal, d'autant
plus qu'oD avait brisé et fait bouillir le sque-
lette , et\ qu' on en a~ait eDterré une partie. -
D'apres le peu que Dous avons-appris, il paralt
que c'était un phoque ou un lameutin.
Les forêts traversées par le Sauanha, Dommé
Apyaputang dans l'ancienne langue d es In-
dieDs, sont, dit-on, habitées par des Coroados
et des Pourys. On parle aussi cfe la tribu des
Xipostos (Chipostos), qui viventplushaut,entre .
Ie Rio- Doçe et le Sauanha ; mais tous ces ren..-
seignemens sur les noms des diverses peuplades
indigeDes so:nt défectueux. D~puis le Sau~nha
3o4 VOYAGE
jusqu'-au Mucuri, ~a côte maritime est habitée
pr~sque uniquement par des familles' d'Indiens
côtiers. Us p~rlent ici généralement ]e portu-
' .
gais, et ont échangé leurs ares et ]eurs fleches
. contre le fusil. Leurs maisons different peu de
celles eles colons portugais; leur prÍncipale oc-
cupation est la culture des champs et la pêche.
A u nord du Saúanha , u _n e forêt épaisse
couvre toute la côte. En que1ques heures ou
arrive au ~yrakâassú. (grande riviere des pois-
sons) ,. nom qui vient des Indiens. On voit à
son embouchure un petit ·povoaçào nommé
Aldea velha;ilne renfermequ'un petit nombn~
de maisons; un peu plus haut en remoniant le
fleuve on rencontre un gros village fondé par
les jésuites, qui dans le temps de leur domina-
tion avaient rassemblé dans ce lieu un grand
nombre d'Indiens. Les poissons et les co-
quillages leur pr..ocuraient la nourriture la _plus
nécessaire, ce qui est caus_e qu'aujourd'hui on
trouve encore sur le hord du fleuve de gros
tas de coquilles de n1.o ules. On a voulu .assigner
une autre origine à ces amas, mais pl~siem;s
, auteurs ( 1) confirment que ces sauvages se

(1) Southey, I:listory of Brazil, tom.' I, pag. 56.


AU BRÉSIL. .3o5
nom:rissaient de coqu.illages , et les circon- '
s.t~nces expliquent suffisa~ment la chose; on
ne peut clone pas douter que cés entassemens
de coquilles ne proviei;ment des· repas des an -
ciens habitans de ces lieux. Plusieurs Portugais
s'étant dans la suite établis à Pyrakàassú, le~
jésuites emmener~nt ; .- ~ii-:-on' une partie des
Indiens qui y deineuraient, et fonderent avec
eux Villa-Nova pour qu'i)s fussent éloignés des
Européens.
Nous sommes arrivés à Aldea-Velha à la
fraicheur du soir; on .fait .le tour d' une pointe
de terre qui avance dans la mer ; puis on se "
trouve tout à coup sur: les bords du fleuve , qui .
a une Iargeur. considérable,. et qui sortant d'un
terr~in couvert de bois, se jette dans l'Océan.
Six à sept hutte~ en paille ' dans une petite
vallée composent Aldea-Velha; une plus con-
sidérable que les autres est habitée par le
con1mandant du territoire, qui est un lieutenant
de la garnison d'Espirito - Santo , et qui noús
accí:rnillit tres - bien. Les habitans de cette
maison étaient contens de pouvoir .une fois
causer avec des hommes. Ils regardent ce poste
comme une espece de bannissement. L' officier
se plaignait beaucoup d'être privé de divertis-:
2.0
306 VOYAGE
semens et des àutres agrémens de .la vie." II esi
même obligé de renoncer à ph1sieürs choses
de 1~écessité dans ce coin isolé du inoride en..:.
tier. L;;on n'y a pour subsistance que de Ia
fa_rinha et Un pen de poisson. Les habitans
d' Aldea- V e lha sont de pa uvres pêcheurs; ce-
pendant le fl~uve est poissonneux , son ert!-
houchure est profonde, et se~ lanch;:ts le fe-
~nontent assez haut à la yoile.
Ce lieu ne pouvant nous retenir long-teinps,
nous avons le lenclemain pris congé de ndtre
hôte, .qui avait ett pour nous beaucoup . de pt-é-
y enance :J et nous avons trave rsé le fleuve i cjui
étai! haut' large et rapide; un de nos nrnlets
de monture a failli à se noyer, ce qui aurait été
une perte irréparable dans cette contrée. U11
jeune. lndien , au service du co1nmandant·, qui
g ouvernait avec heaucoup d'adresse la pirogue
hallottée parles vagu53s·; nous futtres-utile. Dans
les endroits peu profonds et sur Jes hords, nous
avons observé eles inouettes , 1 des hirondelles
d .e mer et eles volées nombreuses -de bec-en-
ciseaux (rynclwps nigra, L.) oiseau conn u par
la forme biza rrn de son bec. Au-delà du fleuve
s'é tenclent eles forêts dans lesquellcs les ·plan-
t a tions eles Indiei;is sont épa rses; ils cultí veht.
AU ;BilESIÍ...
surtout dú rna'is ·, dú manioc ét du baga ou
ricin, do11t les grainés fournissent l'huile . po~r
les besoi11s du ménage. ·Nous somn:ies er~trés de
nouveatl. dànS üile helle forêt sombre,' oi.1 des
papilloi1s ínagnifiques voltigeaient aii.tdur eles
fleurs les plus va'r iées; nos oreilles étaient sans
cesse frãppées du bruit dê ·la · rner qu.i btisait
contre le rivage. Le é~·i' des' ja~íip·~nibà (péne-
lope nidrail, L.), oiseau fotesder ele la farí1iÍle
des faisans, fixa l'atterttio'n de iibs ch::i.sseurs;
mais ils li'en purent tue1' aucun, 1lant éet oiseau
est farouche .
. Nous n'avons. pa:s tardé à nous trouver de
nouveau sur la côte de. la nier, et i~ous av bhs
encore parcouru quátte legdas jusqu'au soit
que nous sommes ar~ivés au poste militaire
nommé quartel do Riaclzo. La rne'r for·rne d a ns
ce cantoh plüsieurs baies, d'oi.1 il résulte une
monotonie fort enri~yeuse p~ur ies voyageurs ,
car eles· qu'il s ont franchi une langue de te r~·e ;
i]s en aperçoivent aussitôt urie aul!·e dans le l~iri­
.tain. Nous avons t1·ouvé·suf ces côtes plusie urs
espl!ces de goérnon que la mer y avait j et~e s;
mais pen de coquillages. L'birondelle bJ e u
d'acier ( lzirundb violacea ) nicqe dans d es ·
groÚpés de roche~s avan~és en mer.
308 ' VOYAGE
On rencontre dai:ts Ies bois, à de grandes
distanc'es les un.es des autres, Ies cabanes soli-
taires des Indiens; quelqµes-uns s'avent urent
all large dans leurs pirogues pour pêcher. Un
petit ruisseau dont Ie fond était si mou que nos ·
rnulets et nos chevaux y enfonçaient profondé-
ment, Úous arrêta long-temps; enfin nos tro-
peiros trot~verent à l'aide de nos chevaux de
selle, et en ,se déshabillant, un endroit plus
fenp e. Nous avons passé heureusement,-mais un
peu ~10uillés , et avant l' obscurité nous soinmes
ã rrivés au quartel. .
Le quartel do. Riacho est un poste militaire
composé à'un sous-officier et de six soldats; il
est chargé de transmettre les ordt·es, et commu-·
nique avec celui du Rio-:-Doçe. Deux petites
maisons situées sur le bord de la mer servent de
demeure, l'une aux familles de quelques-uns
des.soldats qui tirent leur subsistance des plan-
tations voisines, l'autre au ·sous-o:fficier. Celui
qui commandait alors était un homrne intelli-·
gent, qui nous . donna beaucoup de renseigne-
rnens intéressans. 11 nous communiqua, sur Ia
guerre que l'on ·fait aux Boutocoudys dans les
forêts du Ri_o -Doçe, des détails d'autant plus
exacts que nous étions arrivés sur les frontieres
AU BRÉSIL. 309
des déserts habités par ce peuple. II avaii été
blessé d'un1 coup de fleche qui .
lui avait traversé
les épaules, quand il servait dans un des quar-
tels du Ri0-D?çe; heureusen1ent il était parfai-
tement guéri Çle cette blessure dangereuse.
Les Boutbeoudys, ainsi nommés par les Eu-
ropéens, e1~rent . da~1s : Jes .forêts qui -s'~t~ndeut
sur-les bordsdu Rio-Doçejusqu'à sa soürce dans
la capitainerie de Minas-Gentes. Ces saúvages se
distinguent par leur coutume de manger de la
chair humaine, et par leur caractere belliqueux.
Ils oni jusqu'à présent opposé une résistance
opiniâtre aux Portugais. Quelquefois ils _se mon-
traient dans u.n endroit avec toutes les marques
de dispositions pacifiques, et da1~s un autr~ ils
.faisaient des incursions et commettaient des
·hostilités; la bonne intelligence avec eux u'a pu
par conséquent être· de durée. n y a plusieurs
années, on avait établi un poste militaire à une
dixaine de legoas en remontant -le Rio-Doçe,
. J

dans l'endroit ou est aujourd'hui le povoaçao de


Linhares; ce poste 'était composé de sept .sol-
dats, et pourvu tl'un canon pour co~vrir la route
que l'on ouvrait du côté de :Minas. D'abord les
sauvages f111.rent effectivem.ent ·intimidés; mais
ensuite s' étant familiarisés avec les Européens
1310
,, V.OY.l\G~ .
~qve,c le~rs .a rrnes, leµr craiq~e se ~i!'sip~ peu à
peu ,. U~1 jour i1s attaquerent l~ qua,rt~l, ~t tl!~rent
1..!ll solda~. lls auraient aussi aÚrGlp~ et ~gorgé
les autres, qui avaient pris la fui te, si qeu~-çi ne
se fussent ·p as réfugiés dans lil c~yiere, et n' eus-
sent pas été sp uvés par. la pirpg~e, qpj, par l~ p_lus
grand d~s. hasards, _arrivait ayec Je çlétacb~ment
destiné à les remplacer. Les J3pnto.coudys ne
pouvant J~s ~ Ltein.clre, bquchereqt Je c_apon ~yec
çl ~s pierres, puis se retirerent dans l~ur~ for..ê~;;.
Alors le Il+inistr~ q'état. comte ,de Linh<;1.res, qui
~st ruort de.puis pe\l. , leur déçf~rÇt for.1J1ell~ment
ht. g uerre var une prgcla,ipation. L~s postes mi-
!ipires établis S1-ff le Rio-Doçe fµrent renforcés
et qpgmentés , polir pro~~g~r Jes plantatior1s
des Européens et les cqmq~unieations avec Mi-
1~as-Geraes. ~nsuite oq. n'eqrt plµs aµcun n1éna-
gement poür les Boutoaoudys; oq les tua sa~s
distinction de se~ e ni d'âgf! , seulement, dans
quelqu~s occa-sioJ?s .particu1ien:;s , op. épa1·gntt
des enfans en bas ~ge, CJ!..1~ l' o i.1 élev.a,
Cette guerre cl'!3Xt~rmipaÜqn .?,e .fit i.:lvec d'a u-
. ' et d e cruçil.lle,
tant p l us d ' aq1mos1te
. , que l' on
était fe rmemen ~ persuadé qu'ils tuaient tolltes
les personnes qui tombaient entre l~ur& mains,
et dévoraient leur chair. On apprü . depuis

.. . ,. .,.'•
..

AU BRÉSJ,
. " ' "•
\... ~
L.
q~l'ils ·s'-été}jem 1:1 1pntrés en ·p lusieurs. endroits
~i).r les hoi,ds ·tlµ RiQ - Doçe en frappant ·dês
rµl}j-q.s , . ~e qt.Ji est ~bc~ eux l'indice qe dis-
positioqs pflcifiques , et . que des Portugais ,
pleins de confiance dan!'.! ces démonstrations ·de @ (
p~ix, _ s 'ét,arn ren.dus parrni eux, a\!aient ·été
t:rqhr~q&~ment . per~.€ :;; PªP les fleches de ces har-
bapes ; · <!Jprs s'ét~ignit toute idée de pouvoir
t1~pµ.;y~r. chel'I . eu~ Je P.windre sentiment d'hu-
r:nal!i~é. ~~iS, "Q.P.· fqit dé:montre évidemment que
J'PJ!. ,e st !lJ.l~ trop loin dans e.e jugement qui
Qffen$,e Ja.. dignité de l'homme, et que· la rnaniere
dpnt QP, traite ces sauvages contribne au moins
autant qüe. leun fé1:ocité naturelle à les rendre
incon·igihles. ·La çonduite n1.odérée et hi:Jmaiúe
de 'M. le comte D ds A..rcG>s , gou;v.ei~neur de là
~apitainerie de Bahia, en~ers les Boutocoadys
qui v.ive~1.t sur les bords .du Ri0-Grand~ de
B.elnlQrJ•t.e, a erodúi.t les effets les ·plus heúreux.
L'e ~ontraste .€_11.l.e lê voyageur observe 101~&que
quil:tªnt le théâtre de ]a guerre iRhu vnaine qui
se . fait sm: les bords du Rio,.::-D9çe, il arrive ,
é\pres un ir!rervall~ de quefo1L1es semaines, dans
. l~!? C,011Z1trées du.. Ji:io- ·G rande de Belmonte , et
qu'il v0it les habitans vivre dans l;;t meilleure
intelligence. avcc les sauvages ,, depuis lá ·paix


.

312 VOYAGE
conclue avec eux il y a trois à quatre ans·, et
qui Jeur assnre la tranquillité' la sureté et les
avantages les plus importans, ce contraste ; dis-
j e, le surprend cxtrêmement, et lui inspire les
réflexions les plus séri~uses.
A fin de bien conna1tre les contrées remar-
- quables baignées parle Rio-Doçe, dont ori nous
avait fait un tableau extrêmement séduisant à
.E spirita-Santo , nous somnies partis de honne
heure du quartel do Riacho, · accompagnés de
deux soldats, et nous avons traversé le ruisseau
· ou riacho qui·lui donne son nom. Nous avions
à pareou rir une distance de huit fortes legóas,
par .un chemin difficile dans des sables prô-
fonds , e,t par les chaleurs brUlantes du mois de
décembre. Le sol, qui est un mélange de sable,
de quartz et de petits cailloux, fatigue beaucoup
les pieds des hommes et des chevaux ; du côté
de l'intérieur, de petits buissons formés entre
autres de cocotiers nains C<l>uvrent le sable; au-
delà s'éleve une forêt dans laquelle, à peu de
âistance de Ia plage, estsitué le quar.t el dos Com-
boyos' oú trois soldats sont postés pour assurer
les communic tion.s. Nous y ~vons trouvé des
traces de grosses tortues de mer, qui sortent de
l'eau pour venií· à terre pondre leurs, reufs da;ns
AU BRÉSIL. 313
le sable. En plusieurs endroits on apercevait en-
core des débrís- de. ces animaux, · entre ·autres ·
des carapaces et des squelettes; nousfumes sur-
pr~s de la grosseur des cd.nes : j'en rencontrai
un qui pesait au moins trois livres. ·Les lndiens
maugent la chair de ces tortues, et-en retirent
une quantité de graisse; ils. -recherchent aussi
leurs reufs' dont on trouve quelquefois jusqu'à
dóuze et seize douzaines dans un trou. Ces reufa
sont ronds, blancs , couverts d ' une rnembrane
coriace et élastique, et rernplis d'un albumen
cl!lir conune .de l'eau' et d'un- jaune de belle
couleur dorée, qui est savoureux quoiqu'il ait
un pen le . goút de poisson. Nous avons ren-
con:tré des familles indiennes qui portaient chez
elles de pleins paniers de ces reuts. On peut ju-
ger de la grandeur de ces tortues, par celle des
carapaces que nous avons trouvées stÍr Ja plage ,
et dont quelques-unes avaient cinq pieds de
long.
Lorsque la chaleur accablante du milieu · du
jour commença à se faire sentir, notre ·tropa se
trouva dans un état voisin de l'épúisement, parçe
que l'eau douce ·manquait pour apaiser la soif
bri'ilante de nos bêtes desomme, et surtout ceJle
des hommes qui allaient à pied, et .qui étaient

'

/
trempés ,:l'e sueq.r. NGlil.!? fim~s halte poµi' cher-
cher un abri à I'ombre des ~?issPJJS, mais la
terre était si .cl~qude que nous pe trouyàmes qu,e
pgu d'~doµ.Gis.sement à }'ipcommo.dit.é dont nous
souffrions : ~1. os pied~ &,euls se repos.er.en t; pous
débarrassâr:p~s les mulets de l.eur charge., ce qui
leur procura t,m peu de s.oul,agement. En c.e tte
oçcasion, re~périepce d~ nos j~J.ines lndiens
nous f.qt tres-qtile; ils. s' enfonçerent .dans lés
buisson~ avec cles yas,e~, et y rass.emplerent l'-eau
qui s.e trouv:út .errtre les feuilles et les tig.es des
- bromélias. Quand la ·pluie vient ·d e ·tomhe.r ,
:cette eau est çl_a ire et pure; or, cpmme il n'avait
pas ph1 depuis lo,ng~tenips , l'ea.u était noire et
sal.e , ·et contenait rnême du frai' .et de petites gre-
:qouilles. On la fit pass..er à.travers un linge, .on
y mêla un peu d'e&u-d~-vie, .d u j1>1s de citron et ·
_qe SJ.icre ·: a~nsi p.répsir,é f!, ~ll.e n.oqs pafHJi~hit .et
. :pous ranima. Une petite gr~ouill.e jam1âtre ( 1)
était -com mune sur les tiges de bromé]i'as; c.et
~mimal, ai,ns_i que plusieurs a.m:res' d.e ~.ett.e fa-
JP.~iie ·, dé_pose {'~S Q:!qf~ <HJ-dessus du sol; n!D.qs

( i ) Pet.ite r.aine non encore décrite , 11.yla ./;uteola de


cpt~leur jam1ff pâle avec nu!) raie foncée sur les yeui. , _
AU ERÉSIL.
avons aussi trouyé 1 fréquemment sa petite larve
noire. On ne doit pas ,s' étonne,n de ce que les
reptiles de ces contrées éleven't leur postérité
surdes arbrisseaux, puisque l'honune lui-même,
dans cette partie cl u monde si féconde en choses
siogulieres, :vit en plusieurs er:i.droits sur les ar-
r bres. On en a uo ~xemple dans les Guai-anys ,
sur lesquel~ M. de Humboldt donne des détails
si intéressans l ). e
Apres quelques instans de repos, nous nous
som1nes remis en rou~e, et nous avons continué
à voyager jusque bien avant dans la nuit; la
lune a· commencé à luire , nous nous sornrnes
trouvés dans une plaine sablonneuse et nue à
peu de d.istance de l'eml)cmchure du Rio-Doçe.
Les deux.soldats que noús avions pris ·poul· guides
, ' et ina1gre' notre ·l ass1tu
se sont egares-, . d e, nous .
avons été obligés d'attendre long-ternps jusqú'à
ce. qu'ils aierit découvert lé ch~min ,par . leque!
ils ·nous ·ont co'ndúit;droitau quartel da Reg.en-
cia. C'est un poste militai:re de cinq soldats ,
placé à l'emhÓuchure du fleuve pour tra~srn.ettre

(1) ,.d.asiclttea ..der.~Yalw:, p . 26.


Taqle(w :r: _de la N,a(ltr~ , ,t om. I, p. 58. \
VOYNGE
plus Ioin les ordres du gouvernement, pour faire
pa ~ser l'eau a-1..l'x. voyageurs, 'et entretenir la
communication -avec le povoaçao de Linhares.
Nous avons passé la nuit dans la maison des sol-
dats , qui est assez grande ; elle renferme plu-
~ieurs chambres garnies d'escabeaux en bois. 11
. s'y trouvait aussi un tronco , rnachine destinée
à punir les militaires qui ont commis des fautes.
C 'est une longue planche. placée de champ, dans'
. laquelle sont creusés des trous ronds, on y passe
la tête des délinquans, dont la planche entoure
le cou, et leur corps est étendu horizontale-
rnent à terre (1). Ces soldats vivent misérable-
1nent. Le poisson, la farinha ,'les haricots noirs,
c t quelquefois un peu de viande salée, font leur
unique nourriture. C'étaiept tems des hommes
de couleur , créoles , lndiens , mulâtres ou
mamelus.
Le lendemftÍn des lei point du jour la curio-
. sité nous .ª fait sortir pour voir le Rio-Doç~,
qui est le fleuve le plus considérable entre Rio-
de-J ane1ro et Bahia. II roulait maj~stueusement
v:ers la mer ses eaux, qui étaie?t tres-hautes en
ce moment. Son lit nous parut une fois aussi

(1) Eschw<;ge , .Toúmal 1-'0n _Brasilien, tom. I , p. ·128 ,


AU BRÉSIL. 317 ·
large q tie celni du Rhin, d.a ns les endroits ol.t il
l'est le. plus; au bout de qu~lques jours il était·
un peu ·dimi:r;.m é. Ce n'est que dans les mois·
d'hiyet, surtout en: ·décembre, qu'il devient
aussi considérable; dans les _a utres saisons, sur-
tout pendant les sécheresses continues , o~
voit partout pes banes ~e sahle au milieu de son
lit; en ce n1oment l'on ll'en découvrait pas la
moindre trace. En tout temps néanmoins s·on
embouchure , malgré sa largeur , est inac-
cessib]e aux grands navires, à cause des sa-·
bles et des hauts-fonds ; 'les lanchas mêmes ne
peuvent y entrer que lorsque les eaux sont
tres-hautes. (

L~ Rio-Doçe p1~end sa source dans 1a capi-


tainerie <le Minas-Geraes , ol.1 if se forme de la
jonction du Rio-Piranga · et du Ribe"írào do
Carmo; apr~s cette réunion il porte le nom de
Rio-Doçe (1). II trav~rse une vaste étendue de
pays plat, et fait plusieurs petites cascades dorit·
trois, qui se suivent immédiatement '- sont ap-
pelées les escandinlzas. Les rives de ce beau
f1euve sont ombragées de forêts épaisses ·O"Ll vi-,
vent différentes especes d'animaux~ On y trouv<;

(1) Eschwe.ge , Joumal -Pon B1ásilién , tom. I i pag. 5 ~.


\

VOYAGE
fréquemment le tapir, l~ pecari ou caytetu (1),
et le tayt etou ou porco à quechada branca (2) ;
le guazupita et ]e guazubira, . deux espetes de
cerfs, et plus de sept especes de chats , dont
l'yaguaret~ et l'yaguare~é noir , sont les ph~s
grandes et les plus dangereuses. ·
Cette coÍJtrée est - em~·ore· t:res-peu habite-e,
de sorte que la con1munication n'a lieu que par
Jes rivieres. Depu~s qu~lquês semaiiles on avait
ouvert un picade ou séntier dans la forêt , le
long de la rive méridi011ale du fleuve, 3nais il
n'est achevé que depuis peu de temps, et on ne
peut y passer que hiei1 armé , à cause des sau-
vages. Le comte de Linhares avait fixé sou at-
tention sur ce
pays fertile; il établit de nou-
veaux postes rniJitaires, et fonda à l}lle dixaine
de legoas erí remontant le fleuve le povoaç.ào-
qui porte son 110111 , à 1l'endroit o-h le f1reh1ier
<juartel avait été placé. U y envoya pour peu-
pler la nouvelle colonie des,<léserteurs et d'au-
tres condamnés. Sans dauté ces nouveaux éta-
blissemens n'aui·aient pas tardé à preu'clre de
!'accroissément ' mais il est à crai11d.re que la

(1) Pecari ta/assu ( dicotyles lahiatus, Fred. Cu vier).


(2) Pecari à coilier ( dicolJ'les torquatus, Fred . Cu vier ) .
AlJ BRÉSIL. 319
n1ort d 'ê ce ministr-e ne soit afrivée trop tôt pour
leür prospérité : depuis cette époque ils ~nt ' été
completeíilént oub1iés , et si l'on n tjvprend pas
des mesures efficaces , ces contrées pourront
bien avant peu redevenir entierement désertes.
Nous étións impatiéns de remontei· le Rio-
Doçe pou~· cortnahre par nous -:- mêmes , s'il
était..,possiblé, le théâtre' de la guerre avec l<:s
Boutocoudys : Un. coüp de vent violent, qui le
25 décembte souleva trop fdrtement les eaux
eh~ fleuve, nous fit, d'àpres le conseil des sol..:.
dats, différer notre dépa'rt d'uh jotfr. Le lende..:.
maio le teril'ps· étant chaud et calme; naus nous
smn:mes etnbarqués ati point du jour dans une
grande pirogue ü1ehée par slx soldats; nbus
étions · eri t0ut neuf p~rsonnes bien armées.
Pour remonter le Rio-DoÇe quand ses eaux sont
hautes, il faut au moips quatre l10méne~ ' qui
poussen't la pii·ogue en; avant en s'appuyant sur
de longues perches. Com.me il se trouve partout
des eudroits petí profonds , on p e ut toujours,
rnême d~ns les hautcs eaux , y aueindre le
fond , de , sorte que lorsque toutes les circon..:..
stances sont favombles , il est possible d'arriver
à Linha res en un jour,, mais le so~r et tard.
Le temps étáit t1·es-beau: Quand nous filmes
~o VOYAGE
:tc'couturnés au balancement de la pirogue, occa:-
sionné par le mouvement continuei, des soldats
qui allaient d'une e:x:trémité à liaiutr~ pour la
faire avancer, nous trouvâmes -la l:!avigation
tres~agréable.
Lorsqu'ilJit grand. jõur, l~ yaste miroir ?u
. fleuve s' étençlit à nos yeu:ir réfléchissnnt les i:ayons
du so~eil levant'; les rives lointames étaie1~t bor-
dées de forêts si épaisses et si continues, que
nous n'ap:e~çumes pas dans toute notre route
un espace libre d'étendue suffisante pour une
maison. Un grand nombre d'Ües de dimensions
et de formes ) différentes s' élcvaient au-dessus
de la surfac~ de l'eau; des forêts les couvraient:
chacune a son norn particulier; on dit que plus
haut leur non!bre augmente tQujours. Quand Ie
Rio-Doçe cst gonflé, ses eaux sont troubles et
jaunâtres , et , d'apres"" le témoignage général
d~s habitans, engendre~t 'aisémept des fievres;
~e poisson y abonde; ·on <lit même. que la scie
(pristis serr~) rem<?nte au-dessus de Linhares
j,usqu'au la.e de Juparanàn, ou l'on prend sou-
vent de ces grands squales. ..
On entend retentir dans les forêts les cris
cl'une rnultitude de singes, notamment du bar-
bados ( 771j1fetes ur"sinus ) ;> du sauassu ( calli-.
AU B-R ÉSIL.
t-krix pe-i-sonatus, G~offroy y;·~te. U n des plús ·
grands ornemená des forêts··dri Bré~il, ltf n1a.-.'
gnifique arara ( psittaczts . niacao, L. ) , "que
nous nommons~ ara en Eur<?pe, ne s'était- pa_s
e~co r-e présenié à·notre .vue dans l' état .sarivage;
sa vo~ fo1~te ei rauque frappa nos oreilles·, · et
nous ·raperçu ~ jri:ché ·sur .la cirrie des sapu--
cayas ou quatelés. On reconnaissaíÍ de foin ·cet
ojseau magnifique· à· sa.longue queue; son plu-
mage ~ ·d'un .rouge resplendissant-, ·brillait ·d'un
éclat exfraordina-ire à ]a vive clarté du ·soléi1.
Des -troupes de perruches , . de• maracanas ;· de
ma1taçc.a s , de tiribas, de curic~s ,· de câmutan-
gas' .de i)a'ndayas et d?autres especes d.e·perro:..
quet~, volaie11i en cria:ni d'hne rive ~u fleuve ·:a
l'au"tre; des canards mlisqués se· reposai~nt "a'U
. bord .de·la forêt~ surdes brancÍ1es de coulequiri ~
Le bec-en-ciseaux, la-tê te cachée dàbs Ies plu'Ín~k
de son' cou, se t enait i~un:obile sur~ les hancs''de.
sables ( ~orróf;Zs ). 1 L~-s touca-ns et le -curucua ou-
couroucou Etro3on '1.)Íridis, . L :) rempli~saient
l'air de lem~ voix forte,. Les· hords du tleuve ne
sont habités que par ces oiseaux sauvag~s , · et
. '-
. ' .
par lés Bmitocoucl.ys qui ne le som: p~s mqin,:;.
On ne voit des·eolons. étahlis que dans <leux e!1-
drt>~ts; ils p}y restent -~ue parce qu'ils sont suf- .
J. .21 •
/"
-VOYAGE
fisfimment munis d><J.rmes pour se défe~dre. Ils
portent toujoµr& ~n fusil quand il_s vont à leurs
plántations, . ~t ·ceµx qui n'cmt pas d' armes à
feu se pourvoient aq. rpoins d'.un _bodoc}s. pour
lancer des b~lles 9u des pierre~~ Les Boutocou-
~ys ne se foút voir dan~· Ia .partie inf~rieqre du
fleuve que de 1'.~mp~ en temps. ,· en p~ss~n~~
V ers midi nous spq;imes :;trrivés à la petite
Ue , ··que ~a forme a fait nommer ççirapuça
( ho:iinet ). Nqs bateliers f~tigu~s s';y SQ:Q.t repo-:-
~é_s, et nous av:.oqs _recpn~u g~'i~, était ~mp~s­
sihlé d'arriy~r a,µjourd:lrni à Linha1~e~. ·. Afin
d'être ep &ureté ~ontre , l~ forc~ du coµ.r.a.nt_du
ij~l,lve, ·nops aypns débarq-g.é entre le continent
' et 4ne 1le, q!=lns un ,petit canal oii :volai~nt une
qua!ltité de bea,u x oiseau1'-, notamµi,e nt qe per-
i;oq:uets, parmi lesqriels le .µiagnifi.quf:! ~rara ' se
_di~ti·nguai~ par .l'~cl?~ d~ _ ~p.q. !f>h,imag~ ' r-oµge.
Les
... bords
. de ces .iles ei .du
. . -canal
. étaie-
·. n.t r.endus
...,,

plus . touff.u_!) par ._le _ grand. rqs~.au ~n .év~µtail


( uba), de Ja ·h~r:i1p€1 JloraJe du.Gf.~el les BoLito-
çoudys fopt Jeurs flec_h es. A l'~pproche de)<!.
~oir_~e , nos soldats tinrent conseil pour savoir
~'il 'vala~t :mieux passer la nui~ sur l'ilpa Com-
prid~ ( l'lle longue) ou s:ur une. autre. La pré-
µiiere fu~ r~jet~e, p~rce qu'~He i~~est sépé!rée e
AU BRÉSiL.
la térre-ferme que ·par un canal ·étroit et pe:u
profdnd , et qu?,en conséquence pous n'y étions
pas à l'abri d'uhe visite des sauvages. Nous .
flVODS donc gagné l'ilha de Gamhin, ou jadis les
1
gouvcrneurs passaient la nuit quancJ ils visitaien1i.
les colonies' du Rio.:....Doce~ Le gouver;net.lr n';i
pas continué ses visite~; Q.e s9rte que les b'Üis
étaient tellement touffus sur. le rivage, qri'un
de més chasseurs fut obli$é d'ouvrir le p~ssage
avec Ie. couteau de cliasse pour qu~ p.ous pus-
sions mettre le pied à ter,re. Un grand feu ne
tarda pas à s';;tllumer ·dans un e,ndroit, d'oi1 l.111
grand hibou curuja et un' .c anard rp.usqué s'en- .
y~l~rent effrayés d'une yisite , si . inattendue.
~algré la multitude des mous:tiques qui no1us
inco~~oder~nt un peu' nous Q.ormimes tra~";';"
.q uillement jul'qu'au matin. ·
Nous <!.vons quit:té-l'll~ ~et_r~s-botme héure; et
passant deva~t ·ptusj;.~urs autres , nous sommes
entrés dans ' un canal situé entre l'Ilha Com-
·prida et la rive ·sépteµtrion<!l~ du fleuve. Le
courant n'y était pas à beau,coup pres si fort,
mais nous y ·a vons ~ro~vé des ·ar.bres renversés
et de grosses branches q~1'il a faliu é.c arter p01ir
pouvoir con~ino,er à renio~ter. L~s buissons et
/
\es grands~arbres qtfr é?tourent ce canal sont

VOYAGE
varies et magnifiques. Différentes especes de
cocos, surtout le coe~ -de palmitto, nom~é
ailleurs jissara, avec leur tige haute et m~nce ,
et le~ir petite cime d'un vêrt éc1atant, et-fÔrmant-
,de ~eaux p~naches, 01:qe'i1t, ces forêts touffues,
du fond desq~elles dês mi.niers de voix singu-
lieres d'oiseaux se font e:rÍtendre. Ati-dessous,
presque à la _surface _d e l'eau, ·des pl~ntes, encore
nouvell~s pour nous, déployaient 1eurs fleurs,
entre autres un Jiseron ou un végétal d'un
genre voisiri qui . .en ava.i t de grandes toutes.
blanches' -'e t une légumineuse qui parait le~
buissÓ1~s de longs fest'ons jaunes. Un jacare, qui,
se chauffait tranquillement au soleil, s'enfuit
au bruit de nos pagaies. Bientôt nous 1sommes
arrivés à plusieurs iles oi.1 les colons de Linhares
ont établi' des pl~ntati~:ms, car ce n'çst que su~
ées points séparés du con.tinent que l'on est en
sureté contre les sauvages qui n' ont pas de
pirog?es; et qui pàr cons'é9:ue11:t ne peuvent;
franchir le fleuve qú~ dans ' les endroits oi.t il
a p'eu de largeur et d'e profondeur. Le guarda
mor de Linhares demeure sur l'Ilh~ do Bo·i
( lle -aux Bceúfs)' et le Cl~ré sur l'ilha \do . bom
Jesus. Vers -~inidi nous avons ap(frçu Linh~res,
ei nous avons débarqué . ·sur la ·ri ve septen-
. AU BRÉSIL.
., 3~5

trionale ~pres avoir cou,pé le _coura r1t rapide


du fleuve,, erf. faisant
.
. de" si grands efforts, .que \
deux de :qos longues p_~rche~ en ont été cassées.
En arrivant à Linhares , nous· sommes allés
~
à Ia maison d'e M..
Cardoso
'
da Rosa,
-
alferés. .ou
enseig!!e qui conmanciàit- le clétachement pos~
sur l~ Rio Doce. II était en ce inon;ent
~ . de
l'autre côté du fleuve sur la fazenda de Bom~
jardim, ou nous filme~ bie~tôt invités d~ nous
rendre. Des Degres de la fazenda DOUS ont fa.it
travers~r le fleuve ~n pirogue avec la. ' rapidité
~'une fleche, et nous avons été reçus de la
maniere la plus ohligeante dans Ia m\li~on de
-M. le Iie,utenant Joào Felippé Calmorí; oii une
société fort aim:ible et fort gaie était réunie;
i1ous y avons trouvé ,eptre autres M. Cardoso
da Rosa, à qui Dous avons fait part_du motif et
chJ. but de notre voyage. E~snite DOUS avéms (' .
-
visité la fazenda dont le 1noulin à sucre est le
premier qui ait été établi sur le Rio Dqç_e .
Les plantations de cannes à .sucre , de maXs ,
·de manioc , etc., offraient la végétation la , plus
riche. Le manioc est la plante- qui réussit Ie
moins bien dans ce ca1iton. 1VL Calnwn. a par
son activité et ses .connaissances relido Ies plus
grands. services à la contrée voisi.ne' sou exêmple

.,
VOYAGE
ayant encouragé · à entreprencf're des cuÍtur~~­
Avec .- dix - sept esclaves negres il a défrié'hé
· ún . grand espace de forêt, ei prouvé par Je
succes de ses plàntàtions que le terrain Je l@ng
du fleuvé est e'.xtrêmeme'nt fertile, et propre à ·
Jâ ·production de tous ""l es végétaux utiles. '
Nous av'Ons passé toute la jóurnée du 28 dé..:.
cemhre chez M. Calri:mn, qui s'est empressé ,
ail'l~iiqu~ M.·Cardoso, da Rosa, de nous i:endre
:ríotre séjour agréàble. .. :
Linhares n'est encore qu'ún établissement
í)etÍ ~onsid'erable / quoiqt~e Ie·· ministre-comte
de Linhares se soit donné, ainsi que je l'ài
J .

dit - heaucoup plus h<;mt, beaucoup de, peinê


pour lui faire prendre de l'accro1sseinen.i. On ã.
par soii ord:re bâti les maisons pres du bord dti
-fleuve., srir une côte argileuse et ·escarpée; elles
sont enterre disposées en·car'r é, petites, ·basse~,
· couvertes de feuilles de cocot~ers ou d,'~ricanná.
O:i;i ri' a pas en'core construit d'église; on dit la
messe dans une pétite maison. Une croix :en .
'b ois s' éleve au milieu a·u carré ~ormé pa~ les
ri1aisons; e' est un tronc de sapucaya dégrossi,
et auquel ori a adapté une solive transversale.
:L es plantatÍOJ?S des habitans sont les unes dans Ià
'forêt qui entoure le village, Ies autres dans les
AU BRÉSlL.
Hes du fleuv~.. Jusqu'à présent M. ~almon 'es1;
le prémier -et le seul qui ait ~ta-hli u:r,t~ fazenda
et un moulin à sucre. Quand il voulut forme~·
.son établissement vis-à-vis de Linharcbs, j.l prit
ave.e lui une quarantaine d'hom:flles ar:n;i.és, .et
tomba sur une troupe de -Boqtocoµdys qui se
préparaient à lui d~sputer le terrain. Un de ces
sauvages fut tué; mais oli s'aperçut hientôt que
I_
l'on ne parviendrait pas par la violence seule à
.~hasser cette Úoupe forte, de c~nt cinquante
.g uerriers; ou .::iut donc recours à la ru~e; on
les menaça par-derriere ·, et par ce môyen on les
dispersa. Depuis trois ans que M. Calmon. a
(ondé son établisseme~t en ce lieu, les Bouto-:-
- I
.coudys ne l'ont plus inquiété.
On poun·ait avec un peu de commerée ,tirer
parti, ainsi qu'il le f~it sur sa fazend~ ,. des.
, .difrérentes especes de bois précieux qui rem~
-plissent les forêts. Le peroba , bois .e~cellent
~pour la constr.uction navale , est regardé cor;nme
appartenant au monopole de la couronne. Mais
M. C~lmon a obtenu la permission d'en con-
Struire de grandes pirogues propres à · tenir la
mer ; il les charge de bois, et les expédie à
Espirito-Santo et d'autres endroits. Pour metti;~
les colons ~ l'abri des attaq:ues et eles cruaut~s
VOYAGE
des Boutocoudys, on a établi" huit ·postes mili-
tair.e s sur di.fférens points des fo; êts; ,ils sont·en
~êrne temps et spécialement destinés à p1·otéger
les relations commerciales, que l'on s'est •ef-
. forcé d'ouvrir avec Minas .Geraes en remontant
'· . .
le fleuve. ·II est déjà arrivé de ce gouvernement
un bon·. nombre de · s~ldats bien- armés, et
pourvus de cuirasses (gibào a~armas), qui sont
indisperÍsabl~s-pour se préserver desfleches dan-
' gereuses des sativages·; il s'en trouve dafls. tons
les postes. Ce sont des casaques · faites · en~ toilé
de coton · et rembourrées de ·plusieurs ·douhles
d'C?uatte ; elles ont ·un collet montant roide
qui couvre le cou, et des manches courtes qui
protégent le h1aut ·du bras; elles descendent jus-
qu'm.ix genoux; mais leur pesanteur, surtout
quand i} fait chaud, les Tend extrêmement
·ineommodes. La flech~ la plus acérée, ·même
tirée de pres, ne perce pas aiséµ1ent, cette ' cui-
rasse; et·-lorsqu' elle la pénetre, il ne· lui reste
pas assez de force pour, blesser-dangereusement
le corps. On a d'ailleurs tu9 p de confiance dans
.ces :cuimsses ·, car 011 ' nous -assura qu'elles ré-
sistaient aux ,balles. Pour . me convaincre de la
' véri.té, je fis tirer un de mes chasseurs à la dis-
tanc~ de quatre-vingts ,pas sur une ctiirasse ; la
J

AU BRÉSIL.
balle 1a perça de part en · .part. ;Cependant ·
d'autres · expér~ences noi;is ont . prouvé . qu~à' la
distance ·de· soixante pas le plomb le plus gros
ne · pénétrait pas ces cuirasses; qu'il tombait
aplati à terre, et qu' elles offraient une résistance
· suffisante aux fleches des sauvages.
A V 1lla. dé Victoria et ailleurs on f: hrique
des cuirasses de soi~. plus légeres , mais, beau-
coup pl us cheres que celles de coton. Au der-
nier .combatlivré à Linhares, , un Bo_uto~oudy,
extr.êmement vigoureux, lança d'assez pres une
. fleche tres-fovte à u_n soldat . portúgais ~ elle
·.t rav.ersa ·Ia cuirasse , et ne fi.t au solcÍat qu'une
hlessure légere au côté_; les fleche~ causent tou-
·joul's , ~n;tême en rebondissant ? une secousse
violente. ·
On a r~cemment ouvert un chemin qui va
de la fazenda de Bomjardim au quartel do Ria~
cho, et passe devant leJ ac, nom.mé Lagoa dos
· In.dios. ( I ). II 5'y tróuve un second .poste ,q ue
.l'on a n_ornrn.ci Quartel d'Aguiar. Quelques fa-
. mifü~s indien.rres y dem.~µr~nt. , et huit soldats
indiens font le service ; car ces h:ommes une

(1) Aprês mou départ de .Linhares, au mois d 'avril 1-816,


trojs s_o ldats ont été tués sur cette route parles Boutocoudy:;;.
330 VOYAGE
fois civilisés ·sont de tr.es-hons , soldats · c.o ntre
leur_s compatriotes ~ncorn sauvag~s. Ceux-:--ci .
les détestent, et dans une escarmouche tirent
·d 'áb'ord sur eux parce qu'ils les regardent COq.'lille
des traitres. Dans les fo~rêts , un pen en .avant
d e Linhares, se trouve le quartel segundo ou
sêeonq poste de Linhares ; ·le village étant
compté pour le premier, ce quartel segundo
a .up.e garnison de vingt-trois soldats. On a
établi sui· la rive ·ínéridionaleI du Rio- .Doce
deux postes au-dessus ·de Bomjardin; ·le quar..-
. - :.

tel d'Anadya consiste en dotize soldats ; et le


quartel de Porto de·Souza , qui est le plus éloi-
gné, en a vingt. II y a huit cuirasses à Lin-:-
hares , quatre à Porto de -Souza , et une au
quartel d'Anadya. Les hommes qui en- sont rc-
vêtus doivent attaquer les prerniers.
L'officier qui commande à Linhâres a un
service tres-pénible, car il doit une fois · par,
mois ; ·n'importe qu'il _pleuve ou que la chaleur
soit ·e xcessive, faire la revue de tous les postes,
ce qui lui occasionne un voyage de quatre;...
·vingt-dix legoas. M. Cardoso da Rosa, qui
occu,re cet emploi _depuis long-temps' fait fai re
parles postes des battues dans les forêts, p<!mr
la sf1reté des hapitans. Si la patrÓuille ren~
A U BRÉSIL. 33 ~
contre des 's auvages, deux ~ot1ps ·de fusil ras-
semble.n t tous les homtries qui ont des armes
à. feu. So'uvent les·sauvages attaquent les plari...!..
tatiorts ; ils oÍlt déjà tué de. cette maniere·phi--.
sieurs habitahs de Linhares. Au móis · d'aout
dernier un âccident semblable était élrrivé au
·quartel segundo de Linháres; ce poste était porir-:
tánt commandé par un Mineiro, .hornme hrave
et résolu, qui repoussa les sauvages. Les habi-
tans á·c iuels de Linhares sont la plupart des sol-
dats avec un enseignc, uri chirurgien et un
prêtre; il s'y trouve aussi quelques planteurs
qui tirent du profit de leurs cultu~es. L'ecclé-
siastique était, me dit-on, un protégé du gou..:..
verneur d'EspirÍto-:--Santo; s'arrogeàit une au.:.:..
torité q'u i ne lu~ appartenait pas, et se mêlait de
toutes les affaires ~ lors même qu' etles D.e cdll:~
.cernaient pas ses fonctions ' ; on le cràignait
d'autant plus, qu'il demeurait álté~nativement
à Linhares et à Villa de Victoria pres-du ·gou-
veriieur. Cette' colonie , qui pourrait dêvenir
aisémeni un des lieux les plus importans de la
cÔte orientale, était dura~t 'mon séjour traitée
de la maniere la plus déraisonnable et Ia plus ty-
rannique : quiconque en voulait partir devàit
d'abord demander la permission; une familie ne
VOYAGE
pouvait en trois iµqis consommer plu.s d'une
bouteille d"eau-de-vie; et ainsi du reste. Aujour-
d'hui cet . établissement pourrait, bien être pres
de sa fi,n ; ~'il n'a pas été souteQU ; dans la 'suite
de _ce:tte: relat~on j'aurai· l'occasion de 1~~cont~r
les événemens. qui .s'y sont.passés plus tard,
.- . Mon séjour su_r les bords du Rio-Doçe a été
certainem~J:lt une. des circonstances les plus. in-
téressantes de mon voyage au Brésil, .car le ,na-
turaliste tro:uve de l' occupation pour long-temps
et cies jouissances. extrêmement variées, dans
,cette contrée si riche en tableaux de la plus
grande magnificence et en productions reri1ar-
quables. Mais sa récolte serait bien plus impor-
tante s'il pouva~t parcourir sans obstacle et sans
dai;iger ces forêts , qui n'ont pas .encore ·été vi-
sitées. II est rare de, trouve~ des perspectives
plus riantes que celle du lac de J uparanan ( i) , à
peu' de dis~ance de Linhares, et qui commu-

(1) Le mot juparauan ou proprement juparaua, ne


derive pas de la langue des Boutocou<lys qt'i habitent
aujourd'hui ce catitou; il vient de la lingoa geral', dans
.Iaq.Uelle parana signifie mer ou gytncle eau. Ce lac n'est pas
marqué sur. la carte d'Arrowsmith; F;aden au contraire la
désigne sous son vérilable nom ~ - mais il s'est trompé, sur sa
posüion '. .J

r, .
AU BRÊSIL. 333
nique avec líl rive septentrionale du fleuve p~r
un canál étroit. Les anciens écrivains sur le Bré_-
sil ·en ont fait mention. SeLastiam Fernandes
Tourinho, qui remonta le Rio-·Doçe en i572,
dit qu'i( a trouv{ à l'ouest_de ce fleuve un lac
qui ·est vraisemblablemehi celui d~nt je parle;
cependant la position du rúisseé;lu qui tomb~
dans l~ Rio-Doçe et celle de la' chute d'eau, tie
ressemblent pas .à ce qui existe : la distance
offre élussi des différences ·eI ). · · ·
, ·M : Freyreiss, qui a visité encor:e une fois
I.. inha1•es quelques mois "plu~· tárd, m'a commu-
niqué sou voyage à .ce lac. J e le raconterai aveé
ses propres ex'pressions: « Un canal qui a rare-
ment plus de soixante pieds de largeur' mais
qui est profond
-
et ~dont la Jongueur peut. être
, d'.u~1e legoa et demie, conduit au lác, 'q ui est.
três-poissomieux ; les bords de ce canal sont
enco"r e habités ·par lds ~o,~tócoudys. _ou les an-
ciens Aymores; ils avaient établi sur le milieu
un passage avec des lian~s , a~·quel l~s Portug~is
dónnaient mal à propos le nom de pont; ceux-ci
. l'ont coupé · d~puis p_lusie{u·s · an·n~es , ~ sans que
les,
antropophages aient essayé
.
de le rétablir;
.
ou
)

( i) Soutltey history of Brazil. Vasconcellos noticias, etc.


334 VOYAGE
. d'en te:ndre un nouv.e au; tromp~ par .ces appa-
:r ences, on se livrait à une funeste sécurhé; t~ut
à coup les Boutocoudys se 'montrerent au qlJar-
tel seg~nqo de Linhares , placé sm· le bord du
canal~ et tuerent un solda~ à coups de fleche.
Cet événement s'ét~it passé peu de jours avant
notre arrivée; les sauvages n'avaient cependant
pú, ceue fois, s' emparer du corps de l'homme
qu'i]s avaient assassiné. C'est à cause de cet
accident et dú peu de larg~ur .d u canal que les
~olons du Rio-Doçe choisissent ordinairement
la nµit pour aller pêcher dans le lac. 11 est eh-
~ouré de collines ; sa longueur' est à pen prês
Çe seHt legpas du sud-est au nord-ouest , et
~a largeu~ d'une demi-legoa; 'il peut avoir se~ze
.à dix-huit Jegoas de circuit : sa profondeµr est
inégale ; en plusieurs endroits elle est de huit
à douze brasses ( quarante à soixante pieds ).
Çette grande · masse d'e~u doit si;t formation à
une petite rivie1·e et à ·'ph~&i~urs ' rui&seaux qui
s'y jettent au nord-nor.d-ouest. J'ai déjà dit
·q u'il se déch.arge dans le Rio-Úoçe pres de
Linhar~s par le capal dont je viéns de parler;
il gonfle çonsidérabl~mentlor~que de forti, venis
du sud font refouler l'eau dans cette embou-
chure.. Le fond et les bords de ce lac sont d ·'tm
. .~
AU BRÉSIL; 335
Sftble fin, ou l'on trouve par intervalle des m~r­
ceaux de gres (errugineux. A peu pres à quatre
legoas de l'entrée s'éleve . une jolie petite :Hc
qegranit, que . les Sll.Uvages ne visitent'pas à
·cause de son éloignement du rivage, et qui offre
par cqnséqnent une ret~aite sure aux pêcheurs. ))_
Des l'anné~ 1662 , Vascoucellos nomine
parroi les ttibqs qui habiten-i; le long de Rio-
:Poçe , . !es Aymores Boutocoudys , les Pomjs
et les Pata~hos; quoiqne les premiers dominent
' dans c~tte con.trée, les autres y poussent quel-
quefois .leurs excursions. Le même voya'g eur
ohs~rve avec beaucoup de justesse que quelques
.Aynwres ou Doutàcoudys· sont presque aussi: .
blancs que les ; Po1:tugais. La guerr·e déplorable
que l'on fait aux Boutocoudys, sur les bords du
llio-Doçe, met obsta ele à ce que l' on y puisse
pien conna!tre ces hommes clignes de fixer
l'attention. Des qu'on les aperçoit i.~ faut s'atten-
dre à l'instant à' ~ecevoir une fleche; mais plus
ilU nord, sur le Rio-"Grande de Belmonte, .ou
l'on v~t en paix avec eux , on peut les y observer,
sa-ns danger; je réserve donc des détails ulté..:.
rieurs sur cette t~ibu intéressante des indig~nes,
jusqu'au moment o-L1 je décrir.ai mon séjour dans
cette derniere contrée.
'
'•

536 VQYAGE
Le séjour de Linhares est tres-agréap le pom·:
-quelqu'un qui aime la chasse. Au point du jour ·
les sipges viennent si pres des máisons qu'ik
. évitent la peiue . d:aller les · chercher bien loin;
. les perroquets s'y rassemblent en grandes trou-
pes, et les magnifiques · araras y sont attirés,.
·dans la saison froide, par certail'les especes de
fruits. Ces he_aux perroquets ont coutume de
nicher 'tous les ans :dans le même arbre; quand-
ik ont ,tro.u vé ·un· trou qui leur convienne dans
une f"õrte branche ou dans -un tronc. ·on en
iue fréquemment ; on mange leur chair ; mi se
sert des grosses plumes de l'aile ponr écrire,.
les sauvages. en garnissent leurs fleches, et s'en
font aussi des parures. Dans ce!? ·solitudes peu
fréquentées il n'est pas difficile de reverrir_chez
soi le soir avec un _c anot plein de gibier; mais
dan's ces parties de chasse il est nécessaire .-de
se tenir consta'mment en garde contre les saú-
vages. L'expérience • à appris aux soldats de
-Linhares Ia maniere de poursuivre· Ies sauvages
dans les forêts; tons conviennent pourtaQt que
' les· Boutocoudys sont bien meiU~urs chasseurs
, qu~eux et conn aissent beaucoup !flieux la forêt;
il est par conséquent indispensable d\1ser de Ia
plus grande prtidence dans 'ces coinbat~ et dafl:S

J
AÚ BRÉSÍL.
t:es excursions áu milieu des forêts. Les Mineiros
ou habitans de Minas-Geraes passent générale-
ment pour les meilleur~ chasseurs de sauvages'
pàrce qu'iJs. sont familiãrisés' avec leur maniere
de vivre, et avec Ia·petite guerre des forêt:s-, et
que d'aiUeurs ils sont hraves et rqbustes~ La
derniere escarmouche importante qui avait _e u
lieu cont'.re les sauvages ·pres de Linhares avai_t
é"té condu'ite·par le Guarda-Mor·, qui était urr
Minel-ro -banni d~ Minas-Gel'.aês. ·
On nous fit présent à Linhares d'armes ·et
d'ornemens de Boutocoudys, et on i:ious offrit
aussi un petit enfant qui avait été éleve à Bom-
jardim apres !a mort de Sa mere , tué e dans Ull'
combat. Ayant rempli l'objet de notre voyage
à Linbares , noris en sommes partis pour éon-
tinuer notre voyage au nord le long de la côte.
Nous nous s01nmes embarqués dans une grande
pirogue . tres-commode que M. Calmou nous
ayait louée; il a eu " la compl~isance de nous
accoi:npagner. En descendant le fleuve nous
a~ons rendu une visite au Guarda-Mor,: dans
l'Ilha do Bo'i , ou il a établi de belles planta-
tions de manioc ct de ma"is. Nõus nous aper-
ç:úmes bientôt chez lui qu'il est un mineiro,
car il mange plus volontiers du maºis -que de Ia
I. .22
·' 33'8 · VOYAGE
farinha , habitude caractéristique des habitans
de cette province. Pour réduire le mais en
farine, on se sert d.'une masse de bois nommée
preguiza ou paress~ux; J\'I. Mawe en a donné la
description dans son voyage à Tejuco(1). Notre
excellente pirogue était codverte d?un tendelet
en toile et.bien pourvue de vivres. Nous sommes
arrivés en quatre heures à Regençia à l'embo.u-
chure dt;t Rio-Doçe, distance que nous avons
.
mis 'un jour et demi à p~rcourir en remontant .

(1J Page 134, (tome I, page 25±) avec une planche qui
représent~ celle machiue.

-'
\

AUBRÉSIL.

CI-IAPITRE VIII.

VOYAGE DU RIO-DOÇE A CARAVELLAS, AU RIO


D'ALCOBAÇA, ET RETOUR AU MORB.O D'ARARA
SUR LE lVIUCUB.I. .

Q.uartel ele Juparanan da P.raya. - Rivicre .et barras de San-


Matéo. -LeMucuri. - Villa Viçoza. '"':""'Caravellas. - Ponte
do Gentio sur !'Alcobaça. - Séjour en cet endroit.

ÁYANT passé la nuit avec nos amis an


quartel de Regençia, nous avons fait traverser
le fleuve à nos mulets dans la grande pirogue,
. ~

le 3o décembre dans la matinée : ce ne fut pas._


sans peine.Nous lês avonshientôt suivis, avança.r it
pendartt deux Jieues le long d'une côte sablon-
neuse et déserte, ·avec nos deux compagnon&.
de Linhares, et i1ous soni.mes arrivés au quartel
de Monserra ou de Juparanan da Praya, occupé
par sept soldats. Un,e lagune longue et étroite,
nommée lagoa de Jupara,nan da Praya,
pour. la distinguer du grand lac situé pres
de Linhares,, touche ce poste. Dans les hautes
VOYAGE
1

eaux l'embouchure de ceüe lagune dans la mer


est tres-considérable, et on ne peut alor& Jà tra-
verser qu'en pirogue; en ce moment elle était
basse ; et nos mulets de charge purent la passer
à pied sec avec leurs fardeaux. Le poste est
entre la mer et la lagune; àu-delà ·s' éleve une
forêt sombre, dans 1aquelle nous avons aperçu
une qua.n tité de cocotiers sauvages. Les soldats
ont étahli dans son voisinage quelques planta-
tions qui leur fournissent dn nianioc, du mai'.s
et même des inelons d'eau en quantité suffisante
pour leurs besoins. Ils qnt aussi des pirogues,
et aj outent aux ressou rces de lel.U" culture celles ·
que.leur procurent la cl1asse et Ia pêche.
Nous avons trouvé en ce Iieu . un ho1111ne
tres-remarquable; c'était un vieillard nommé

Simam ( Simon), qui depuis plüsieurs années
vit absolument . seul dans une · petite maison
voisine du quartel, et n'a pas la moindre crainte ·
des sauvages. Quoiqu~ tres-âgé il ·est encore
robuste et gai; aussi ses voisins l'aiment-ils
beaucoup. ll culti ~e lui-même ses champs, est
cbasseur et pêcheur habile, et connalt- bien la
contrée voisine. Nous lui avous fait plusieurs
visites dans son petit ermitage : ~l a peu de
besoins; · il ~st , non-se11lement tres-content de
AU BRÉSIL.
sa põsition, mais encore si enjoué et si jovial
· que sa J)onne humeur se communiqua à toute
la compagnie qui l'entourait. II me fit p.résent
de la peau· d'un grand fourmillier ( myrmeco-
phaga jubata L. ) , que l'on nonime ici. t.a-
mandua . cavallo; il l'avait
.
·tué depuis peu de
temps.
Nous avons , obtenu à Monserra plusieurs .
autres curiosités en histoire naturelle ; par
e::it'emple :. le scarabée hercule, le plus grand
coléoptere du Brésil , qu'un solclat avait pris et
qu'il íious appo~ta vivant. On nous donna ensuite
quatre ou cinq têtes de cet insecte qui n'est pas
commun; et com me- je demandais pourquoi
on l'avait ainsi muti1é, j'appris que dans plu-
sieurs endroits les clames portent ces têtes sus-
pendues au cou en guise d' orne1nent.
· Ayant à travers~r, pour arriver à San-Mateo,
mi désert long de dix~huit legoas et entierement
inbabité, nol: s avions prié lVI. Car doso da Rosa
de nous donner une escorte de deux soldats, r
parce que Ies .p apiers que nous tenions du
ministre - com te d' Aguiar nous · permettaie'nt
expressément de la demander. Nous avions
·montré ces papiers au. gouverneur à Villa de
Victoria, en sollicitant le nombre d'hommes

1
"
VOYAGE
nécessaire pour continuer notre voyage. Ilnom;
avait donné un écrit qui ordonnait à !'alferes de
Linhares de nous accorder un seul soldat. La
'
·longueur de la route· jusqu'à San-Mateo et son
peil de sureté firent pe~ser à cet officier qu'en-
voyer un seul homme serait l'~xposer · à courir
des dangers à soi:i. retour; nos discours l'en per-
suaderent - com.p letement , et nous obtinme~
deux soldats pour nous accompagner. Mais
nous appr!mes ensuite que le go:uyerneur l'awit
tenu long-temps aux arrêts pour avoir outre-
passé _ses ordres , punition tres-injuste et dé-
raisonnable qui nous fit regretter bien sincere-
rnent d'avoir attiré à ce g!llant homme ua
traitement si rigoureux .
. A yant pris congé de notre brave et ohligeant
compagnon de voyage, nous avons encore
suivi pendant six à sept legoas la côte maritime,
_ fatigante par son uniformité. Nos deux soldats,
l'un negre et l'autre In~ien, s'àrrêtaient souvent
pour cherchcr dans le sable des ce~fs âe tortue,
dont ils remplissaient leurs havresacs, Quoique
ces pauses fréquentes nous déplussent beaucoup
p~r le"s retards qu'elles nous occasionnaient,
nous eumes le soir sujet de nous en réjouir.
J'ai 'déjà dit que toute la contrée C011Jprise enu~e
~
_AU '.BRESIL.
le Rio-Do€e et' San-Máteo est un désert en-
"
.tierement dépourvu d~hábitans .; ou l'ori i:ie
trouve qu'en . tres-peu d'endroits de l'eaú_ à
hoire; il ne faut donc pa.s les rnanquer .en pas.-
sarit' et c'est ce m~tif qui rend tres'."'nécessaire
Uf! guide connaissant bien la :i:oute. Par mal-
heur aucun de nos deux soldats n'avait encore
fait ce voyage. Nous avons ainsi manqué Ca-
çiinba de San-Joào, le premier endroit oi1 l'on
trouve de_l'eau; :rnais nous avons été plus heu-
reux pour Piranga, le second, qui es_t une la-
gune dans 'Une ·petite vallée à côté de la, ro.:ite;
nous l'avon~ ~en_contrée à midi , parce ~ que
nous nous étions partagés dans toutes les dí-
rections pour chercher de reau; nós chevaux
et n~~ mulets purent aussi se rafrakhir. _Mais
. dans P endroit oú nous fumes obligés de: fáire
halte le soir toutes nos recherches fürent inu-
tiles; nous n'en p-fü.mes découvrir, , et il ~ous . fut
iínpossible de profite1· des provisions . que nou~~
avions apportées, .car il fallait qu'elles fussent
cuites à l'eau pour être mangeables. II n_ e,IÍous
r.e stait clone d'autr~ ressource_ pour "apaiser
notre faim que de la farine de mais seche et les
reufs de tortue ramassés par nos soldats, et qui
pouvaient se -cuire à l'eau de mer. On s'occu-
:1v0;yAG;E
. ,
- pait _-à . J~s; :tir~r du bavresac . et ~- . ramassersur . Ie
. riv~g~ .d1r boi~ flottant_, lorsqu'à peu de distance
. d~. nop·~ foyer nous avc;ms trouvé, je ne re_v iens -
-·PP.!' .e nGpre d:un : inç~dent . ~i merve~Ueux ,. uqe
. tor.-w e de , mer coJossale ( 1), qui se disposait .à
.. pondr~. Il ne ppu:yait rien arriver de .p1us heq-
re1:1x pm:i,r ~es gens affan~és comme nous l' étic;ms;
..cet '_ anim~l se.mbl.aj.t être venu . ]à tõut expres
rPPU!' nqus fournir not.re repas. Notre présel)c,e
.ne dérangea pas }a t9rtµe dans sa besogne; DOUS
pumes la tou~her , .: ~t même ~a soulever , . ~e
q~i e~igeait quatr~ . ho~1:nes réunis . . MaJgré. le
brµit que nous faisions en témoignant tout haq.t
n.qtre .étonnement, et délib~raiit sm~ le parti ·que
.nous pr~ndrions, elle ne donna d'autre. marque
. d?i:µqµiét-qde qu'.e n souípapt comme - les . oies
. q-µand .on s'approche de leur. nid. Elle. continua
. l~nte,:nent qe ses. deux pie_d s. de 9-errier.e le t;ra~
.. vail qu'elle ~va~t comme~çé, en cee~sant d~ns
le_sable , a~-dessous.. d.e .la-pal:tie inférieure .d e
·s9n c0rps, un tFou cyl~ndrique et large de huit
-à douze pqnces; elle jetaÍt des deux côtés avec .
peaucoup d'ad resse et de rég~lai:ité, . et pour
._a insi dire en n;esure, la _teri:e.qµ'elle _retirait. du

(1~ Testudo mydas, L. ~ tortue franche . .


AU BRtS'IL. 345
,trou , puis elJe con1mença immédiat~m.ent à
pondre ses reufS.
Un de nos soldats s'étendit .tout de son long
sur le, sable·à côté de la tortue, mit la m.ain dans
. le trou qu' elle avait fait, ·et eri retira les reufs à
,n1esure qu'elle les pondait; nous 'en obt1nmes
ainsi une centaine en dix min:u tes. N ou~ délibé-
.rimes ensuite -s'il ~on:venait de joindre ce bel
-animal à notre collection; mais soh poids .con-
sidérable, car- il aurait fallu un mulet pour .la
.porter, et la difficulté de placer et de ·déplacer
.cett~ charge nous déterminerent à faire grilce
.de la-vie àla tortue, et ~ nous contenter du tri-
but de ses reufs. -,
Cette espece colossale, ains1 que la tortue
luth ( testiL.do coriacpa ) , et le caret ou · la
caouanné (testudo careta, L.), p01~dent leur.S
.ceufs dans le sable de cette côte ihhabitée entre
.Je Riacho et le Mucuri, surtout durant les mois
.Ies phis chauds . .de l'am1ée. Elles :viennent. à
/
terre à la fin du 1· our et s'étant traiuées sur la
. ' ' '
côte; y -creusent un trou, y déposent leurs
.reufs, puis le_. remplissent de s~ble qu'eJies
.h!lttent fortement, et deux ou trois heures
apres le coucher du soleil retournent .à 1a
mer. Effectivem.e nt, quand · nous sommes au
346 VOYAGE
bout de quelques heures revenus a l' endi·oit
ou nous avions laissé la tortue qui nous avait
si. abondamment pourvu de ses reufs, i1ous ne
l'avoi1s plus trouvée; elle avait bouché le trou,
et une large trace sur le sable faisait voir qu'elle
avait r~gagné son élément. Une seule tortue de
cette espece peut foúrni1'- avec'" ses ceufs un repas
suffisant à~ui1~ compagnie assez nombreuse, car
elle en pond dix à douze douzaines à ·ta fois; et
Ia tortue luth, qui est la pius grande, en pond
dix-huit à vingt douzaines. Ces ceu.fs sont tres-
nourrissans; aussi sont-ils recherchés avec em-
pressement le long de ces côtes inhahit~es ~ . par
- les sauvages, et dans lC voisinage des coloniei
par les J)lancs.
Notre frugal repas terminé, nous avons
allumé e1.t1tre les buissons de palmiers- nains
1

plusieurs fel1x pour écarter les bêtes féroce s de


nos " mulets. Le lendemain matin des traces \

toutes frafches, distinctement empreintes sur


Ie sable, indiquerent qu'mi gros animal était
venu rôder autour de nous. C'était peut-être
celles de l'yaguarélé noir d' Azara (falis bra-
silieizsis ) , car le vieux Simam nous avait assuré
qu'il est assez commun dans cette contr~e; les
Portugais le nomme11t · tigre ou onça preta.
AU BRÉSIL. 34.7
Koster, parlant de cet animal redoutable ( I), le
nom.mê felis discolor, dénon1~n átion impropre,
puisque son pelage est d'une coüleur uni-
forme. Le meilleur nom pour d~signer cet
anii-nal est celui qui se tire de celui de SOJl
pays, car on le trouve· exclusivement au Brésil:
Azara qui_ en parle nous-' dit qu'il ne se ·rel:lã
c~ntre pas au Paragu:iy. , Nous. supposâmes
que nous avions entendu sa voix., mais notre
sommeil n'en avait pas été interrômpu.
Le 1er janvier 1816 nous nous somme_s remis
en route: dans notre patrie c'est un jour deneige~
et de glaces; ici des sept heures du matin nous
sent1més la cbaleur. des rayons .du soleil; à midi ·
el!e devint insupportable. La veille, toúrmentés
pair la soif, nou~ avicms carnpé l?ans le savoir à
peu de distance d'un lieu ou il se trouvait de
l'eau . douce; nous nous en sommes aperçu
aujourd'hui, car nous avions à peine parcouru-
une lieue, que nous sommes arrivés à la Barra-
Secca, embouchure d'une lagune · daris ) a
mer; l'eau y e~t si basse à certaines époques,
qu'el1e ne ·communique plus av~c l'Qcéan, et
que l'on y peut entrer à cheval sans que !' animal

(1) P. 102 (tom . I, pag. 183 ).

. .
VOYAGE
ait les. p~~ds mouillés; en ce moment au co1i-
traire l'eau était haute et ra1)ide' et le- passage
de cette en1bouchur·e profon~e nous prit beáu-
coup de temps. Toutes lés bêtes de somme
furent déchargées; les l _ndiens et les negi·es qui
connaiss_aient les locaTités · se déshabillerent ,
porterent sur leurs têtes 1es coffres de l'autre
côté, et ensuite revini:-ent'.· pour trans.p orter les
Européens. Noiis av01Ís troúvé su~ la ·rive op-
posée les ruines ·d'un ·quartel; dans le voisinage
duquel il y avait de honne eau: Des ·Indiens
ávaient passé la ,nuit daus cet endn~it, vrai-
s·e mblablement pour chercher de'S tortues et
pour pêcher, car la lagune est tres-poissonneuse;
dans les environs s'étendent aussi de vastes
campos ou plai1;es ouverte.s , tres-convenables
pour le bétai1. On voy~it encore les· huttes , des
lndiens, construites e~1 feuilles de palmier.
A midi nous s_ommes arrivés à une cavité
dans laquelle coulait une source d~eau fn11éhe
et liinpide' découverte d'un prix inestimable
pour nÕ~s dan~ ce m.ornent. Nous avons encore
passé .la soii·ée et la· nuit dans ce ·désert sur la
côte. Le reniira littoralis formait eu quelgues-
endroits des touffes de gazon au milieu du sable
de cette plage , oú les palmiers nains sont tres-
AU BRÉSIL.
conimuns; au-del.à, vers l'intérieur, s'élevent des
forêts. Des ti-aces de bêtes féroces empreintes
sur le sable · f urent les seu Is signes de la pré-
sence ·d'êtres vivans .qui 'e rrent dans ce désert.
Nous n'avions ici pas d'eau à boire, et presque
:rien à manger; à l'appr.oche de la Duit no~1s
eumes fini une hutte de feuilles de cocotier : .·
nous y avons tous travaillé; nous espêrions
nous y reposer des fatigues de la journée; mais
des essaims innombrables de rnoustiques Dous
tourmenterent tellement, que nous De pumes
fermer l'reil; une violente pluie d'orage nous
enipêchait de . nous en débarrasser en nous
m. e~tant à· l'air~ .Au point du jour, nouvel in-
conv.éúient, tóus nos mulets, qui inouraient
de soif et qui voulaient boire, étaient retournés
à la source oi1 ils s'étaient désaltérés à midi;
ainsi nous perd1mes une demi-jollJ'née à -les
aller chercher et à les ramener ,; .heureusement
nos chevaux de selle De s'étaient pa·s autant .
écartés, de sorte que, les ayant rattrapés plutôt, .
nous pun'les . n1archet· quelque temps en avant
de notre troupe.
Le soir Dous sornmes arrivés à l'embouchure
du Ri'o San-Mateo, qui est un fleuve considé~
rable dont les bords sont couverts de bois de
350 VOYAGE
mangliers ( ·cdnocarpus et avicennia ) , et plus
h:mt de forêts. Deux lanchas étaient à l'ancre
pres de la rive méridionale ; ·de l'autre côté est
le Povoaçà9, nom1né Bàrra de San-Mateo ; il
consiste en vi1?gt-cinq maisons. Le fleuve sort de
forêts habitées par des Tapouyas libres , et
forme plusieurs petites chutes; il est ·navigable
-\
pour les Sumacas jusqu'à neuf legoas au'"':dessus
de son embouchure. Ses bords sont les :plus fé-
conds : du. Comarca ·,. parce que les fourmis y
causent; ·dit-on' pen de dégâts; et l'on trouve
dans les forêts voisin'e s ,beaucoup de jacarandas,
de vinhaticos, de putumajus, de ~cergeiras, et
d'autres bois .utiles. Le Rio San-Mateo
. ..
recoit
plusieurs rivieres, parmi Iesquelles l~ Rio de
Santa-Anna, leRioPretoouMariricu, etle San-
Domingos, sont les plus considérab_les. Comme
la marée montait à l'instant ou nous sommes
parvenus sur les rives du Rio San,.....Mateo, il était
I tres-gros :i et malgré nos cris pour qu'on vint de
l'autre côté nOU$ prendre en pirogue, . personne
ne voulut se hasarder à le traver.s er. F~tigués
d'appeler en vaih, nous nous promenions sur le
sable ·au milieu eles buissons, · et nous nous
citions finalement résignés à notre malheureux
sort ,, qui ilous condamnait à. passer la nuit sans
AU BllESIL.
feu et sans provisions , lorsque nous v~mes ar-
ri ver une pirogue conduite par deux ~legres,
qui nous transporta de_l'autre côté. Notre tropa
li'arriva que fo~t av~nt dans la nuit; eJle put fa-
cilernent supporter le bivouac, . parce qu'elle
était pourvue -O.e provisions, <l.~ feu et de cou-
vertures. De plus, une belle sofirce peu éloignée
de la côte' rnaritime nous fournit - aq~;mdamn1ent
de quoi se désaltérer. - .., ··,:; , · ..
Nous descend1mes à Barra de San-Mateo, à ·
une_venda dout on non1mait le m a!tre capitarn
Regente. Nos ·papiers et les lettres de recom-
mandation du rni1{istre _no~s procuraieni par-
tout ~n tres-bon acé.;:eil; il en fut de ·m ~ rne ici ~
. Suivan~ la carte d'Arrowsmith, l'embou-
chure du Rio San-Mateo est située- par 18° 15'
de latitude australe, suivant d'autres auteµrs
par 18~ 5o', ou à une_tres-petite distance; cette
derniere détermiq ation para1t la plus e xacte ,
car dans l'endroit _oú la carte anglaise place. la
bouche du Rio San-Mateo doitrse trouver celle
du Mucuri.
A peil pres .à huit legoas au-dessus · de l'eni-
b~uchu.re d_u . fleuve est Villa de San-Mateo ,,
d _o nt on dit_que la: position n' ~s;t pas tres-s~ine ,
à ca11se des marais qtti l' environnent ; cette
VOYAGE G
ville compte une .centaine de ,· feux ; · sou terri-
toi_re renferme 5,ooo habitans blatl~s et gens
<le couleur. EHe est une des plus nouv~lles villas
du comarca de Porto Seguro, et s'accroit aveê
rapidité; ses 'hahitans cultivent beaucoup de
manioc; tous I~s ans_elle exporte 60,000 al-
keres de farinha_, à.i nsi que des planches q'u' elle
tire des forêts voisines. Les terres cultivées ne
s'étendent au-delà qu'à huit legoas de distance
jusqu'ãu quartel de Galveyas ·, qui est"le poste
militá~re le plus avancé co11tre les sai:ivages.
A ' une demi-legoa au-dessus· de la Barrá on
trouve le povoaçào de Santa-:Anna, composé
d'une vingtaine éÍ.e familles indiennes , et qu~
compte soixante-dix têtes. Peu de temps apres ·
notre depart ur-1 Boutocoudy fut tué à Santa_.
.Anna; c'était un homme âgé, qui portait ame: ,
oreilles et à la Ievre inférieure de gros , nior...:.
ceaux de bo!~· M. Freyress; qui vi~ita ·de nou-
veau ce canton au ri1ois de fé vr ier, prit la tête
de ce sauva.ge, qui se trouve actuellement dans
'les mains de M. Je professeur Sparrman:rr.
Les forêts des bords dn Rio S a n:...JVIateo ren--
ferinent encore beaucou p d'Indiens non civi1isés, · ·
qni .v ivent en état d'b~stilité contre les ·blancs; '
l~nnée dernierc ils ·tuerent díx-sept persüff.nes.
AU BRÉSIL. , 353
Sur les rives septentrionales du ,fleuve errent
.1es Patachos, l~s Cmrianachos, Ies Machacalis,
nom!Ilés aussi M.acbacaris par les Portugais:
les' sauvage~ ne pronóncent pas . biel?- 1a let- •
trerR ,; on en rencontre encore /uelque~ autres
jusqu'à Porto-Seguro. Les Boutocoudys se mo,n-
trentaussi tres-fréquemmen~ dans cette contrée,,
et ~ccupent principalement la _rive méridionale
du fleuve. Les autres tribus les redoutent "· et ils
;SOnt .les ennemis de toutes c;e lles qui,, ét~nt peu
noml;>r~uses, font cause c<?b:imune contrê eux • .
Le propriétaire d' une fazenda située sur la partie
haute du. fleuve, voyant ses plantations souvent
dévastées par .les sauvâges, s'avisa d\m rnoyen
singulier de se dé1?arrasser de ces hô.tes incom- ..
n1odes. Jl avait cbez lui Ull vieux C3Il0Il de fer;
il le chargea de mitraille de fer et de pl()mb , et
y , ayant adapté une batterie de fusil, il Ie posa -
daiis un sentier' étroit par lequel les sa~vages
. arr~vaient toujours en colonne ; puis il mit en
travers, au m ilieu du chemin , un . morceau d~
.b ois qui communiquait par un c?rdon avec li
détente de la batterie . .Les Tapouyas, arrivant à
·)a brune, marcherent sur le rnorceau de bois·;<•
l'.explosion eut lieu com me on s'y était attendu;
~l.Ie fut ter.riQle. Lorsqu'on SQrtit pour en coo'.:_
I. 2~
354 ·:VoYAGE-
na1tre les' résultats , on iro uva le c::anon êrevé,
et trente lndiéns triés .et muúlé~, les ·uns su~ Ile
lieu même, les. autres ép::irs dans la forêt. On
' ~
ajoute que· les hurlernens de ceux qui s'en.:...
.fuyaient s'entendirent au loi~ dans Ja. có1~trée ..
I)epui scette catast'rophe .affreuse la fazenda n'a
plus été in.quiétée. ·., , ' .
Le Rio -San-Mateo, dont le nom brésilien
. primitif est Cricaré, offre une production -de
Ja nature que l'on ne rencoütre guere aujour-..
d'hui cÍans les fleuves d~ la côte orientale ; e' est
- .
le manati ou' le. lamantin, peixe 'boi· ~ies Por-
tugais. _L'histoire· naturelle de ce siifgulier:ani-
.malest·encore enveloppée de'beaucoupd'obscu-
-rité; sa structure intérieure surtout· n'a ·pas
encore été convenablement examin é é. - II est
.assez commun dans le· }\io.San-Mateo ;· on dit
qu'il ·va aussi dans la n'ier, ·si·i it l a côte el _~ntre
dans d'autres rivierés; _ainsi l'on en a pris idaris
l' Alcobaça'. Le mana ti préfere dans -le Rio San;..
J"lateo ·uu lac ·0\1 croissent bea.titcoup: d ?:h erhes
et de ~oseaux.,. Sà cha_s se ~'est fªs ex-empte _ cle
difficultés.· Le ·chasséur , . emba-rqHé' dans une
petite pirogue, s' avan<±:e áveo p Fé êau tioti et sans
bruit à travers · les roseaux et ~les herhes ; s'jí}
ap,e rçoit l'an_imal av~c - le . d_os au-dessus·<lé ·-l'eau ,,
AU BRÉSlL. 355
;

posture qui lúi est familiere quand il p:1ture :> il


s'en approche tout doucement, et lui'. la'n:ce· ur:i
harpon attach~ à une corde. Le manati donn.e
une grande quantité d'huile; sa chair est tres-
Techerchée. La .trompe de son oreille es~ regar..:
dée par le vúlgair~ ig~o.ran.t comme un rernede
p\.iissant, et se vend fres,-cher. Malg1;é les plus
grandes promesses pour obtenir un de ces ani-
n1aux durant un s~jour de prês de quatre rnois
. dans ces contrées' rries espéranoes '. ne furent pas
rem plies ' et je . fus obligé de . me contenter de
la vue ·d'un lar.riantin -empaiUé que je vis da11s
un cabinet d'histoi.r e naturelle ' de Lisbonn~ ~ à
mon retour du BrésiL '· · ,
·Le Rio .San.;-Mateo n:cn:l rrit.aussi une grande
qlllPntit,é de p:oissons: 011 ·vreuve en :í ph1si eurs
endroits sur l'herbe, au temps mhes·inondatións,.
cliverses ·especes de piao'111,_i nmitainmerrt: nne :que
le:·gerrre de sa- notin•iit ur.e •a •!fait nor.runer piau
çl-e carpim ( piaou d!her:he") ~ ··.lá· les · lndiens .
civ.ilisé;; s' en<J.barquent dall>s·le1:1rs·petites 'pirogües
légeres , 1 et tnent ces Ji>'©Íss011s ~ coup-s d€ fled~ é .
1

Cet.te-1fil.1àniere _d'aUe i·: à :la '. c;hasse ~du.:. poiss'Qri e·~ i


ordinahieJ otiez diverses triib ús ·d'1ú.diens. ·L~a:rc
éi0fit 1:fls s..~· sé:r veNt dafi s ·.c.€s· oéicasions est i-©ti g
de deú~') pi_ed:S "et d~ni·i à tr0is ·pieds', . eti ae 1à
356 .VOYAGE
grosseur de l'are,. à balles . : la fleche~ longue de
t~·ois pieds, est de ros~au (taquàra), et munie
d' une poilite de bois 'ou de fer barbelée d'un côté.
A une ·demi-legoa env~ron de San-Mateo,
le Guajintib~ se jette dans la mer. On s'y em-
barque ordiçairement pour aller à là' ~azenda
d' As-lta.ü nas, qui appartient à,M. Marcelino da
Cunha, ouvidor du Comarca. de Porto.- Seguro.
Cette riviere, qui est assez forte , a eles bords
couverts de boi~ épais : du ~ôté de la mer cc'
sont des rnangliers, - dont l'écorce s'emploie
avec avantage à tanner les cuir·s. L'eau de ce
petit fleuve est de couleur b _rune foncée comme
celle de toutes les rivieres. du Brésil qui tr.a-
versent. des forêts. Des pêcheu~~ avaient, un
peu avant notre arrivée_, pris plein une pirogue
de beaux poissons.
Nous avons .d ébarqué à une plantation soli-
taire et . com me· abandonnée, oú les a nanas
croissl;lient naturellement; ces fruits étaient gros,
juteux et aromatiques; ce végétal n'est pas in-
0 digene au Brésil; mais comme on en cultive
· beaucoup dans les plantations, . il ~e multiplie
. de même ·qu'l.me. plante sauvag~. On en tire de
l'eau-de-vie; et l'on fait le rnême usage du fruit
du · cajue'i,ro oq. aca1ou à_ po_mmes ( qnacar-
AÚ BR-ÉSIL ..
diltm, L. i cassubium, Just'ieu). Cet arbre croit
dans tous les terrains sablonneux de la côte
óriental~ du Brésil; il est de la grandeur et de
]a forme de nos 'p0mn1iers, tOFtueux , plein de
nreuds , garni de branches fortes , noueuses,
placées ·sans ordre; ses feuiUes isolées donnent
peu d~om bre , la fleur est petite . <=fr d'un: rou-
geâtre·clai~·; l~ . fr~it, qui est une no~x ~eniforme
et noirâtre , est attaché exiérieurément au
·s ommet d'un réceptacle charnu, pyriforme.
On mange cetie p'artie du fruit; qui est pourtant
d'un gout acide assez âpre ; -on fait rôtir la noix,
dont le gout est agréable; mais il faut en -ôter
soigneusement la coque. Le sue de la partie
charnue est cliurétique; c'est un remede efficace
dans les maladies lymphatiques et dans l'hy-
dFopisie.
Notre :riavigation vers Ia fin du jour fut
d'autant plus agréable que nous ~' étions pas
tollrmentés par !es . moustiques,, qui avaient - '
si souvent gâté les plus belles soirées. une forêt
'haute. et 1 t-0uffue · formait des groupes pittó- · "
resques sur les bords du fleuve; .la clarté de la
lune dans son plein qui se levait ~n ce moment,
cómplétait le cbarn-ie du tableau.
Les negres· c.o nservent autant qu'ik peuven.:t.:
358 VOYAGE
_les u~ages de leur pays; c?est póurquo~ l'or;i voí.t
parmi eux tous les instrumens de musique dont
parlent les relátiçms .de voyages ·eo Afrique, e
- entre lesquels le tambour joue le rôle principal.
Quand plusieurs .negres habiteot ensem_ble sur
une plantation, ils célebrent leurs fêtes, ainsi que
je l'ai déjà dit ; se-peignent et se vêtissent com.me
d~ns leur patrie' et exécutent leurs dànses rw-
tionales. C'est ce que l'on. voit, par exemple_,
effec1~é cl' une_maniere tres-,originftle à Rio-de-
Janeiro, sur une place destinée ~ cet o_h jet, à
p eu de distance de la ville. /
Nous avons trouvé à la fazenda cl'As-Itaüoas
un jeune Poury qui est élevé par !'ouvidor; il
parlait déjà ]e portugais; on nous dit qu'il est
d'un caractere rort doux. Le peu de _p:iots desa
Jangue naturelle que 110US sa,vions DOUS eurent
!;>ien.!Ôt gagné sa ~onfiance. Nous éprou_vâmes
bien du regret d'avoir laissé sur les bords dü
Jucti notre jeune pou~y d~ San-Fidelis.
: ltaünas est une fazenda destinée à l' éduca-
tion ·du bétail, . avec un coral o.u pare pour les
breufs, et une rnéc_baote ·hutte oi:t demeuren~ les
negres et les lndiens qui ·soignent les animaux.
_L e propriétaire y a réuni quelques fa~illes
indiennes· , ·qui avec le temps formeront une
AU BRÉSIL. 359
colonie ; elles ~taient auparavant destinées à·
protéger la côte ma11itime contre les·Tapouyas; .
.s :est pou.rqt;ioi . ltaünas est . proprément rega:rdé
comme un quartel. .
Des Indiens qui suivaient la même route que
nous , nous ont accompagné au nord ·a'Itaünas ;
ils étâient munis d' armes, et connaissaient par-
faiteníent le chemin; nous avéms passé à ·gué
deux petits ruisseaux, le Riacho-J;>oÇe et le Rio
~as o~:iras, tous deux tres--peu considérables;
inais · comn1e ils sortent d'une forêt sornbre,
pittoresque et remplie de cocotiers, ils forment
un paysage extrêmement romantique. Nóus
sommes' ensuite arrivés à un endroit tres-mal
famé, parce qu'on y a sotivent rencontré des
Tapouya~; il porte le nom d!Os ~enzoes (Ies
draps blancs), qui est du à ce qu'une pointe
rocailleuse offre des alternatives de sable
bianc et de pelouse , et q,ue, vue de la · mer,
elle .para!t cornme revêtue de draps nlancs. Les
Patachos qui . hapitept ce · cànton s'étaient
depuis long-temps tenus en paix; mais un de
leurs ·c ompatriotes ayant été tué, ils ont commis
d~ nouvelles hostilités.
A ·'pe.; d~ distancé ·du Ri~ d~s Ostras ri.ous
avons rencohtré fo'rtuitemént · sur la plage
VOYAGE '
sablonneuse un 'j acarJ fo~g de cin,q piéds; il avait·
probablement voulu aller par terre d'un ruisseau
à un. autre, et c'était dans ce voyage que nous
\l'aivions surP.ris : un rocher escarpé· s'élevait à
l ,.'dro1te,
~a . l a mer s ,,etendait
" 'a sa gauc h e; ne pou-
-
vant s' échapper, il testait immobile; agacé vive--
ment avec un bâton, il mordait autm1r de foi' .
mais ·on pouvait l'aitaquer sans dànger . .Cet
animal, qui dans ·sa jeun~sse est agile et vif,
parait en vieillissant extrêmement lourd dans
ses mouvemens quand il se trouve à terre, cai:
celui-ci ne rampait en avant ,qu'avec heaucoup ·
de 1e:µteur.
A yant parcouru 'deux legoas , nou~ so~mes
àrrivés au ruisseau ,de Barra-Nova, 01.1 se trouve
un petit povoaçào de quelques maisons bâties sur
une hauteur médiocre, mais ~scarpée. Nous nous
,y sommes reposés pendant la chaleur du milieu
du ·jour, puis dans la soirée nous avons atteint·
l'embouchure du ~lucuri' beau fleuve pen
considé rahle, qui sc.>rt du milieu de forêts -
touffues; lcs bDissons de mangliers donn ent
à ses bords un aspect ri'ant.
Villa d": San-José do Po,·t Allegre, ordinai-
.i 'ement nomn1ée · de Mi;icuri, est située sur Ia
rive septentrionale du fleuve-_, à peu de distance
A tJ BllÉSIL. 361
~

de son embouc_hure; c'est un lie':l tres-petit,


-composé ·d' une. quarantaine de .;.naisons , for-·
mant u_n e place carrée ouverte du côté du
fleuve; au milieu se, trouve un~ petite chapelle.
Les maisons sont .basses, et couverte'.s en chau-
n1e ; · Ies moHtons ,- les chevres , les cochons
paissent eil. liber.té. sur Ia place publique_. Les ha- '
hitans, la plupart" Indiens, sont pa'u vres; ils -ne
fô'nt au~un commerce; quelquefois -seulenient
ils e.x portent un peu de farinh_a ; il n'y a: pas de
niçmlins à sucre le long ~u fleuve; l'escrivam
. ( greffier du tribunal ou de la villa) vend de l' eau-
de-v-'i.e ·e t· quelques denrées. Les autres fone...:
1

i\onnaires publics sont le curé et le juiz ou


juge·; detiix habitans en reinplissent alternative-
ment les fonctions , de même que dans toutes
les villas du Brésil. ·
M. Vigario Mend·e s, curé_, est le _seul habi-
tant de ce canton qui po~sede une fazenda .un ·
peu considérable; il y entretient du bétail qui
lui fourilít du lait, véritable rareté le long de
cette côte. Cet ecdésiastiqµ.e, auquél le comte
de Barcà nous avait recommandés, n~us fit \
l'accueil le plus gracieux. Ce ministre a sur le
Mucuri des propriétés considérables; on était
alors occupé à. les assure1~ contre les attaques de.'=

·'
3.fo. VOYAGE
sauvages . .Les forêts son·t remplics d'U:ne quan-
tité ele bois précieux; on avai.t le projet, pour
eri ti-i~er parti, d'établi~ .un moulin à scie; et un
Allemand ,·natif de Thuringe, nomméKramer,
' qui av:ait dirigé ces sortes d'usines, était chargé
de former celle' que l'on ava~t en vue. Le jacá-
randa , J?oitiçica, le jiquitiba , le vinhatico , 1~
eedro, le caicheta , l'ipe , le"peroba, .Je putu-
n~ujú, le pao b1~azil, etc.; en un mot, les meil-
léures especes ele bois ele la côte orientale se
trouvent presque toutes réunies elans cette con..;
trée ; inais com me 'elle est encore entietement·
pÓssédée par les. Patachos et les bêtes féroces , .
et' qu'ainsi l'établissement de la scierie ne pou.-
vait pas s'effectuer, le ininistre avait donné or-:
· dre à J\1. Da Cunha de se rendre· à Villa dé
l\'Iucuri, d'y r~m1ir le .nombre d 'hommes né-
cessaires pour fonder une fazenda , et les cul- .
tures propres à entr~tenir ' les habitans et les
esclaves, et de n1ettre ces gens en sureté contre J
les incúrsions des Tapouyas. Le hasard voulut
que le capitam Bento Lourenzo Vas ele Abreu
Lima, habitant de Mi1ús- Novas, qui avec vingt-
deux hommes armés était. parti ,des confins de
Minas-Geraes, et avait descéndu le Mucuri en
tra"\7ersant eles solitudes imnienses, arrivât heu-

AU. BR·ÉSIL. 363
reusement .à Ia. côte p;aritim~ 'à f.épo<'-{ue dont il
est question. Le ·ministre, frappé de sou appari-
tion inattendue à Villa · de Mucuri , chargea
aussi M. Da Cu!lha de•(ournir à l'intrépide Mi,..
neiro Bento Lourenzo.
Ies l secours. :riJéessaires' ·
en honuri.es pour. ql!l'il pút ou.vrir à trav;ers les
forêts un chemin _praticable pour les-voyf!geurs,
au Iieu du sentier- qu'il avait percé.
,J'eus Ie plaisír de rencontrer: ici cet hornme
intéressant, et j' appris de lui Jes détails de son
entrcprise ren1.arquable par sa hardiesse et -p ar
1es dangers qu'il avait GOÚr~s. Occupé de la re--·
cherche des pierres prédeuses, san séjour co~1- ·
tinuel dans "les .foi·êts lui inspira l'idée de pé-
nétrer· à travers la contrée solítaire qu'il avait
cl.evant lui ,. et de s'avancer le long du fleuve
qu'il prenait pour leRio $an-Mateo .. Dura~t plu-
sieurs années de suite' il fit commencer et con-
tinuer -à ses frais une route à travers Ia forêt, .
et quand ce travai} fut avancé à un certain~
point, il entreprit à pied · le voyage avec· vingt-
deux soldats et des hommes de bonne volonté, ·
tous armés. Il parvint à l'aldéa du capitam To-
111é-, ··célebre chef indien , qui avait réuni ?-ans
les fm::êts sur le haut Mucuri des indigenes de
différentes tribus, et précédemment en ava1t
364 VOYAGE .
baptisé plusietirs d;ins le même lieu"..A'tljour-
cÍ'hui l'aldéa n'existe plus, parce q,ue le chef est
mort; mais on ,voit encore à l'endroit ou elle
était située .des bananiers et d'autres végétaux
devenus sauvages, et dont .Ies indigenes errans
tirent parti. Apres une marche de cinquante·
jours, le brave Mine'iro ait~ignit la côte mari-
time, et ce ne fut que là qu'il reconnut qu'il
avait suivi le co;p rs du Mucuri et non celui du
San-Mateo.
Ce voyage avait été accompagné de difficultés
et. d~ peines fort grandes. Souvent l'on manqua
de vivres , car quelquefois · l'on n'apercevait
pas d'animaux dont on p&t se nourrir, et la
pêch.e · n'était pa_s abondante. Alors cin était
réduit à ,manger des fruits et des racines, ou
})ien ou se sustentait avec les sommités des
palmites ou " le miei sauvage que l'on trouvait
. dans les forêts' jusqu'au moment ou un heu-
reux hasard conduisait un ·animal sur les pas
des voyageurs. Par bonhem; ils ne rencon-
trerent p as de Boutocoudys qui vivent dans
la partie :supérieure .de ces forêts; mais ils
virent souvent des huttes 01.1 ils avaient de-
meuré, et ils _crurent inême que ces sauvages.
les avaient quelquefois ol)servés.

"
AU BR.rtSJL. 36,5
Les soldats indiens du capitam Bento Lou-
ir enzo lui avaient été fort µtiles pom~ aller à
la chasse , et pour préserver sa troupe' des
.attaques des sauvages ; cés lndiens se compo- .
.saientde Capouchos et d'hommes d'autres tribus,
.ainsi que d'un Boutocoudy élevé chez les Por-
tugais. La troupe avait perdu ses bagages aux
.c ataráctes de la partie ' supérieure du Mucurit
qu'elle avait mis quatre jours à franchir ;
pour en venir à hout on avait construit un
r.a deau en troncs d'arhres,, sur lequel on avait
chargé les armes, les vivres, les hàbits etd'autres
objets; mais le radeau fut emporté parle .·t ~rrentt,
et les buissons .du rivage disperserent toute la
cargaison; ce ne fut qu'ávec 1a .plus grande
diffi~ulté que l'on put retirer les armes hors de
l'eau. Lé dernier jour de leur .c ourse hardie e.t
p~rilleuse .. à travers les forêts , les voyageuv~
éprouverent une disette totale; quelques-uns
é.taient rn ême ép{1isés de fatigue et de hesoin
quand ils parvinrent inopinémept à la den:i.Íere
plantation inhabitée sur le fleuve,, -qui appar-
tient au Morro d' Arara,, e~ qui est éloignée de
deux journées de route de Villa de Mucuri.·
La . troupe affamée tomba sur . des rad.nes de
~amoç crues , parmi les.q uelles il s'en trouvait
366 . ·VOYAG.E
. .
malheureusemerit plusieurs de.mandioca brava,~
espece dangereuse'(1). Un vomissement·violent
,qú:i suivit l'usage de ces 'racines -affaibli·t ~ en-
core' plús les aventuriers; iJs étaient pr~s de
perdre lé courage; quand quekiues~uns de
leurs chasseurs furent assez heureux pour tuer
un gros tapi1;. Chacun pat alors· répare~ ses
forées par·mie nourriture saine. Le lendernain
vit .finir les fongues et dures épreuves 'dé ces
hommes courageux.; ils atteignirent le ' but dé
leurs efforts , et entrerent à Villa de M ucuri
,aux·cr~s -d'allég~esse des habitans; qui allumerent
iles f~u iç de · joie pour leur faire fête.
On deva.it ~ com me je l'ai dit plus h:;i.ut, ou-
vrir une roljte le long du seatier que.Je capitam
·B ento Lourenzo s'était fray-é ·, et1'01l n'attendai,t ~
J?OUr l'en'trepr'e-h dre que l'arrivée· de '!'ouvidor
•Da Cunha.·Des ouvriel's é taie nt süccessiveinen't
venús des b0rds du Rio Bati Ma téo, de Viçoza,
-de Porto-Segu-ro ·, de ".fra rrcózo. et d'à·l!ltres e11-
d~Óits de ~.a· côte {;>l'ientaJe; Ja•.p h:ipart étaient
. .
·des lndiens. ·
. \

' I i • )

, ( ~) ~t; s ~ic ~e -~ ett~ e~_pece de :rpar io1c _est yénéneux .et tuê
1
les animaux, p ii; r exemple les ,m.outons : Koster · en clle· un
·eX:eµiple , p. 570; 'tom. II ( 11. · 27~· )-: ~ < .:-'. • ' • ' • •
AU BRÉSIL.
Entre Ies montagnes de ·J\tliiias - G~raes., et
Ia c'ô te orientale ·pen habitée, s'etendent - ·de
vast~s solitudes dans ·le_s quelles· de nombt:eus'e~
bordes ·d 'indigenes sauvages · errent eFico.re ·en
)il;>erté, et qui vraisetnblablement .se maintien-
.d ront Iong-ternps indépendantes des Portugais.
On . cherd1e .de différens· points à · percer des
routes praticables dans '. Cet~e solitude, ·á fin_.ide
,c q nquire avec plus de ' facilitéles prod.uctions du
Minas-Geraes a'ux côtes peu habiúfos etpauvr'-es;
et de, lui procNrer une _·corr~sporidanee di....!
recte avec les capitales et.Ja ,n ier .: Ór J es fleuv·e
off.P{!Pt Ia c.ómmurtication la pltrs ·px:ompte", Iron:
a décidé de continaer, . ces rotltes -en suivant
~~ur · cours ; . on- -en a. "Ouvet't ' nn ~ i s·u r-' i)e
Mucuri, une autre sur Je. R io-Gmrrde de ·E el'.J
r;t)onfe, une i r 0isieme sm: 1l 'Ilheos ,-e~ ·l'oú 5?;6'c-·
çup~ d'en établir' deux de .-plus : &Ht ; J!•Espi ~itb-'
$aritd. et', ·sur . -J~ I:tapém!i:14m · pdi:ir , ~h óÍliiri ·à
Miüas-G.er.aes~ - ", : . . : . ·'. (~:: ~1 .u :: •):: LL: t · J
~ , :Les .forêts du 1 v(\)isj.1~âge ceia :Mu êuti:.S@'ú't ptinJ
cúpalement habii~es par ·l es··Pat ad'ios." I.ies Hbii'. t-
te>coucl'y ~' ne des>fréqi.ient:e~n't : <tu& par il1t:érvà1fl'é!Sl
poiu< deseendre t•jú's'<jtt~à. ·làueô:te.irD~ ~,: e.s'te
r
' .phi~:.
sieurs••a:tatr:€s 'tti'hns flff Tapouya~ vivé'ní ·dáhs~~~
solitudes; sur leurs · tf'rÓFi~ie:Pes ;~aen1etfrcl1'L· :ies>
36.8 VOYAGE
Macohys·, les Malalys et d'autres , c1ans des
habitations fixes. Les Capouchos ou Capachos,
Ies Coumanachos , les 'Machacalys et 'les Pan-
hamis (Paniamys'1) au contraire ' menent encare
une vie errante dans les forêts. On dit qu~ les
quatre dernieres tribus ont fait. alliance avec les
Patachos ~ et peuv~nt tenir tête. aux ,Bouto:-
coudys·. ~i l'on en juge par la ressemblance du
langage, des rnreurs et des usages , ces tribus
doi_vent avoir beaucoup d'affinité entre elles. l)n
grand n~mbre de Maconys ·, tribu qui vit isolée;
ont été Baptis~s il y a une vingtaine d'années;
d'autres ont reçu le baptême du Capitam Bento-
Lourenzo lorsqu'il se trouvait·au milieu d'eux.
Une partie s'est fixée sur les bords d~ Muctui;
une autr_e habite plus au nord sur le Rio Belmonte.
Cette tribu passe, sur les hords du Rio Doce, pour
extremement gross1ere; mais e ·e st a tort, smvant
 • , • ' ' •

des renseignemens plus exacts. ·Les Mala'ly s;


t~ibti beaucoup plus faible, demeure sur Ie Rio
Doce supérieur, pre:$ du poste 'de Passanha ;.
ils se sont ét!lblis dans son . V?isinage, ·.sous Ja
prote~tion des Portugais, pour être à J?aõri des:
;;lttaques de leu rs ennem~s les ;Boutocoudys·.- ·La
lang.ue de ces deux tribus differe be~ucoup. de
celles des. atltres peupladey~ ·i

·.
AU ...EJ\,ÉSIL. , 369
.. Ces éinq tribus~ comm~ je vien~ P,e le dire;
ont · en général entre· elles · une a:ffi,hit.é dé
:mrenrs , de 1langage et de·figure. ElJes ~se perc'ent
' ' '.
)
ordinaire~ent la levr~ inféri~lir~; -, 'placent et '
dans cette ouverture. ún peiít h~órc~au . de ro..:.
' . .. . ' ) ' . '

seau: mincc, qu'elles ' icig1ieht ' à uirn extrén-iité


avec du rocou. Élles coupe.rit leurs· cheveu'x ·en
rond à l~ · nuqüe et par d~vant;" quel<fues s~h~
vages se raseht niêcú;e la . plt;is .grande' partie ' -
• d.é Ia tête. Du· reste . i ls se p~ig'n.erit .fé corp~:;
ainsi qué tous les Tapouyas, ~n roug·e· éLeri
n0irt; t~mr c~oient ~u 1 il · e~iste· dan's Je 'íb~'liiétré
un être puissant qu'ils nárpntei;tt 'f oupáh ·,1 mol l
1

41ui •áppár;Íi'.ent -à 'plusieurs ·tr1b'~s' et·entre .autres


a~x- PoQ.rys' et ·qui etait a~ssi :~~ -J$ag~ oh~-z· 1Jes
tribus cêtieres des f:foupjs: !Elis ·pr~ches. 'pareh ~
n~_.peúve_nt_ P'.1..? s~ màrier ens~'mble; 1ii~is d'ail..:.
leurs ils ne s'astreignent à a~ctme _regle :i et sui-
ve:nt eritieréin~nt , ,.,
l~Ü~... ,incli ~~ ..
t • ;;1ri.'. '.L a fJ;J~'g·_,r~n'd~;
ori t:. a. i : l ir.:; ~'T 1 J ' c "1 N.~i 1 r~

µ\~ :rqpe ele Íért YC1J.Jr,qu~ 1;1.n '1 j Cf;l,J1jl~(~~~, PHis5iEl doi;in er
~ · liln j.<;-une :J 1omme, c'es·t i]e,.le .-peindf~ ·; ::v:o\là
p~urquoi t.cmftes~n.ortêht or~ina1reri"1e~t1"du''rocbÚ
àvec :)elleS-(1) ; l,e? . Pat'à.(chot: s~... ~ürii toujourJ
f ·. . .·. ~ ....... .. ~.. · . ·~'" ) ,; . • ' ·• . ' . \ •' )l f f''.'t+ .. ~_.., •4 ·.. .,. - "\

(1) ln'dép.énilamm'eht'.ã es ·ttib,u~ 1d 'i11digenes' qui v.Íennen~


,l'ê.t re citées, la Corog;·~fiá Biii.silica, . tom. Ií', p. 74, e~
I. · 24

"
/

370 , V:OYAG~
montr~s en en_nemis· le long du ·M ucuri; ~ssei
récemment ils ont tué u~1 lndien~à Ja porte de
la ma1son de )a fazenda de-.·M. Joào Antonio .
Apr~s ~voir passé ,dix jouh en ce "li~u DOUS
aVOllS COnt\nué.'notre voyage ; IÍOUS p.arttmes le
soir pour profit~r de .I a fra!cheur ·de la nqit; Ia
lune
. ..brillait
; .
dans
; . tout
' .
.son .éclat ; sa douce Iu~
miere, réfléchi~ par. Ia surface tran,quille de la
~ner , .' nous dédom~~geait -de l'uniforrnit:é de la
rôute le .l ong de 13: côte sablonneus~. Le gr.and •
engoulevent . pianait sa~s bruit au,.. dessu~ de
nóqs, ,mais à , une élévation trop g,r~de pour
que no_s arm-es p-qssent l'atteindre ( I}·
" .La d!f?tance du Mucuri au Per.ui:pe, ~ufir~
fl.e~ve ~ e~t · Çl~ cinq, legpas. Avant de p·a rvenir
à. Ia pQinte f<;>rm_é e par, la côte , on -re1;1contr~Je

.' " -, ' . ;:


nomme encore d'autres dans ce cantou; ll\ais i,e n _'en ai pas
e ntendu padêr à la ·côte obentaie: , ·
,. (1) Ó'es,t;·JíÍe es~ec~ U~,n' encore dét1·it~; '-je J'ai nommée
' cáprimZ!lgUs aetltereus, · parce qu'il • s'élev~ ; en l'a:ir à un~·
' hauteur comiidérable, et y plane c;omme _un oiseau .de; proi e.
Ii 'a ~ingt-d~u~ ~o~ces de l1;mg, sou pluma ge est rougeâtre
de .rouill~ ~ 'bruí1 foncé, et tacheté d·e noiiâtre • .J,.es petites
plumes supilrieures de l'aile formeut une tache brune ,n:oirâ-
tre. Une · ba~de tr~nsverf!ale fm~cÇe. de taches brunes noir8!!
1
marque l'exq·é1!lité deJa ,Poitrine.
' ...
_,
AU .BRtS:CL.
ch~min de V1lla 1Viçoza; nous nous sommes
égarés en cet endroit , · et nous sommes'.arri:vés
à l'embouchure du Peruip~, pres de laquell_e
?es cabanes de pêcheurs . sont éparses. No u~
fui:nes obligés de rebrousser ch~miri ; il ·était
grand jour q~and nous atteign1n:ies, alil trav.ers
_ des bui:ssons, une prairie s~r le bord du· fleuve :
])e là Dous aperçftmes, sous nD charnraht bocage
1
de cocotiers , Villa-ViÇoza ~ qui renferme une
Centaine de maisohs ; et DOUS reconnum.es au
· pr~mier coup d'ceil une "grande màison hlancl1e .
pour la Casa da Camara. L'ouvidor ~'y troüvait
e_n compagnie de deux capitaines de vaisseaux,
M~ José tla Trinidade et M Silveira ;José Ma_-~
noel de Aranjo: ces de:Ux officiers étaient cl~ar­
gés· par le gouvern~ment de détermíner ·par
,, des observations astronomiques la côte voi~iiw;
et d'en dre~ser une carte. _
La suite de l'ouvidor offrait ' la cómposition
.l~ plus étrange que l' oll" puisse imagine~, car in-
dépendaniment de Portugais ét de '-.negres, on
.Jyy·'comptait une douzaine de · jeune's Ho.:itocou.:_
dys de 'Belm,onte, 'et un jeune Machacaly. L'as-
pect des Boutocoudys DOUS surp1:it' ~u-delà ·de
toute expression ; -jamais. l).o_us n'8;vions vu des
êtres aussi singuliers; et dont la làideur fut aussi.
VOYAGE
~urprenante. La form~ 'originalé de .leur vi.s age
·était défigurée par les gros morceaux de' bois
qu'il~ portaient; à la l~vre. infériel1re et_·aux.
lobes des ore.i lles ; leur levrê formait une saillie
considérable en avant, et les oreilles de quel-
ques-uns ~eur ·pendaient. comm~ de grandes ailes
jusque sur les épaule~; .leur .'corps, de couleur
brune, était couvert d'ordure. lls étaient déjà
familiarisé~ avéc.~l'ouvidor·, qui les 'avait con-
stamment aupres de lui dans sa chambre' pour
gagner de plus en plus leur ·coi1fia:nce : iL. ~~en
'fais'iíit· ·enr.endre' par le ·moyen d'~nterpretes ; íl
pou; fit don:rÍer des essais de leur chant, · qui
~re'ssembl~ à un hqrlement inarticulé. La , pl~-
1Jart d.e 'ces jeu~es 'Indiens vena:lent d'avoir la'
. pe!ite-verole; ils ·étaient tont couver~s de cica-
trices et de tach~s ~ ce qui' joint à la maigreur
de leur corps, causée ·par la maladie, augmen:..-
tait p011sidérablement. leur laideur naturelie.
La petite-vérole, ~pportée dans ces contrée~
pa,r .l es Européens, est extr~mement dangereuse
pour les indi.gene$ ; beaucoup de tribus' ont été
l . .
entiêrement exterminées par cette maladie. Plµ-
si~urs Indiens de la suite de l' ouvidor. ~n étaient
inorts à Caravel1as : on en .avait sauv~ le plus
grand nomhre, et .on m'~!isura que roiJ y était
AU BRÉSI~.
parvenu en leur faisant hoire abondamment
de l'eat:~-de-vie. Les indiens ont, avec ·raison,
une peur effroyable de la petite-vérole. On me
raconta u~ trait d.e·cruauté révoltante ' qui est,
bien propre à les ·mainte:riir dàns leurs appré:....
hensions. U n pl anteur , voul~nt se venger des
Tapouyas ses voisins, qui le tourmentaient ,
fit jeter dans les forêts des vêtemens qui avàient
été portés pai: un l10mme nwrt .de la Pietite-vé-
role ; plusieurs sauvages forent infectés , .e t
moururent ii1isérablement victimes de cetie me-
sure inhumaine.
Quand l'ou~idor s'est ·préparé à commencer
son voyage au Mucuri , . nous no~1s so~mes
embarqués pour visiter auparavant Caravellas
et . Ie Rio Alcobaça. Notre pirogue, apres avoi~·
glissé , rapidement entve les rives verdoyantes
du Peruipe, nous a conduits à un bras du fleuve
q~i, s'en séparant à--son ·gmbouchure, le fait
communiq~er àve~ ·]e Caravellas. Des ~ocotiers
élevent leur. cime orgueilleuse pr~s de Ia villa1 ,
Jet donnen.t . au' paysage un caractere d'origina- ·
lité qui plah beaucoup. Le lait cóntenu dans
les fruits que l'on porte e1; EurÓpe, et qui
sont d,éj'à ~ieux, est d'un gout fade et ~ên:ie
mauya1s ici . ori les cueille · quand ils ne sont
V:OYAG~

pas e·n core tout-à-faitn1urs; alors l'eau ou le lait


a un goüt d'amértume douceâtre tres-agréable ; '
elle est de plus extrêmement rafratchissante.
On ac_c ommode avec ce présent de la nature
bienfa,i sante différens mets de tres-bon goftt;
ai nsi on racle . la noix et . on la fait cuire avec
des haricots noirs, ce qui le~r com.munique un '
gout . tres-délicat ·; . on en prépare aussi avee
du sucre ,e t des épices une tres....:bo.nne confi-.
ti.ire, qui malheureusement ne supporte pas le
· trajet par mer jusqu'en Europe.
, Un cocotier peut porter jusqu'à cent fruits,
dont la valeur est de vingt à vingt-cinq franc_s ;
de sor.te .q u't.heplantation de trois ·cents à quatre
cents de ces arbres produit un revenu considé-
rable. U n cocotier en bon état se vend 4000 reis
( 25 francs ). On l'emploie. à plusie.'irs usages.
Son bois ét~nt dur et tenace , la tige ne rompt
pas aisément dans les coups . de vent; elle se
ploie en criant fortement. Ses racines courent à
fleur de terre en forn:iant ún réseau épais.
Au sud du Péruipe les cocotiers sorit tres-
rares, ainsi que je l'ai déjà observé; mais .,á u
nord de Viçoza, surtotit à Belmonte, à ·P orto-.
Seguro, à CaraveUas, à llheos, à Bahia·, etc \ , ·
ils sont~xtFêmement · cornmuns; tout le long· de
AÜ BRÉSIL. . 3j5
I~ c&te' orientale ·onJes,nomme cocos -deBahia.
C~t- arbre p~rait aime~ beaueoup l'àir de l~ mer7 ;
'caril crõit le mieux dans .les eiidroits oú le sahle
du rivage est baigné .par l'eau salée (1). Un ten-
flement à·1a partia. inférieure de la tige, quand
il est jeune~, le fait ,a isément reconnaitre. En
allant par eau· à Caravell~s on voit fréquem- ·
1nent de petites forêts de cocotiers, dont l'aspect
est singulierement riant; les habitations cham-
pêtres, situées.. à ,J'ombre de ces arb.res, sont
tres-pittoresq_u es.
Tout le rivage est couvert de mangliers touffus
(conocarpus et avicennia:). Leur- écorce, utile
pour les tanneries, s'envoie.à Rio-de-Janeiro. Le
·propr~étaire d' une fabrique decuirs de cette capi-
tale entretierit ·une quantité. d' esclaves à Cara-
. vellas ~ uniqueme~t occupés à recueillir et à faire
sécher l' écorce ·des mangliers: U d gros na vire,
nomm·é pour cette_ràison le casqueiro ( le clzan-:-
tier), fait constamment ·d es voyages pour venir
ehercher ici et p·anspo.rter à Rio-de-Janei.r o sa
earg~ison de tan.

(1) Cette olJservation cst confirmée par le témoignage de


M. de HuII\boldt. Yoya.ge· ( Rrslation ltist<Jrique, tom~ l ,...
p.i54,in-4º ).
VOYAGE ·
On . désigne sous le. nom de manglier .. des
especes d'afbres tr~s-di.ff~rehtes. On préfere
pour la prépáration .des cuirs l' écorc~ ·.du man_.
glier 'ro:uge 'ou mangue verme(ha (conocarpus
racemosa), qui differe par sa taille moins haute
et par ses feuilles épaisses et ov'o!de~ du manglier
hlanc ou mangue branca ( avicennia tomen-
.tosa); celui-ci a de& feuilles étroites, allongées,
un fr.u;it ~viforme, un peu C?tonneux, d~. la gros-
seur d'une '. petite prm:;ie; il est plus ·sv~lte, et
s'éleve plus que l'autre.
Dans la soirée notre ,n~vigation fut tl'es-
agréable ; nous passions d'un ~anal d.ans un
autre, car entre Viçoza et Carave1l'as le terrain
est co.upé d' une quantité de criques, formées
par .d1:<i;; lles couvertes de mangliers. Nous en--
tendions sortir de . ces bois les cris d'une_, multi-
tude de. perroquets; c'étaient tousdes curicas(1).
Des hérons se tenaient immo~iles sur Ies singu-
lie res racines des mangliers, qui partent d'assez
haut le Iong du troric, se recourbent. pour des·
cendre dans l'eau et s'y enfoncer en terre, et

· (1 ) EPsittacus Ochrocephalus, L; .ou Ãmazonicus La-


t ham ; . , . oyez H istoire natwelle des Perroquets, par--Lé
Vaillant, pl. 110.
AU B,RÉSIL.
forn~ ent_ ainsi des arcades qui $uivent diverses
directious. Une pe.t ite espece d'hu!tre·s s'attache
ei1 grande quantité à, l'~corce de ~et arbre, et,

l'aratú.; ou· crabe ba·riolé' y vit aussi en tl:oup~s


nombreuses e1 ).
Un graini·violent, accornpagné de pluie, nous
surprit en cet endroit '; et dura jus.qu'à notre
ar:rivée à Caravejlas, oú nous entrâJjies dans
l'obscurité. Nous primes notre logement à la ~
' 1
C~sa , da Cá.mara, demeure de !'ouvidor. Cara-
vella~ est le lieu le plus important du Comarca
de Porto-Seguro . .Ses rues sont, bien a,lignées et
se coupent à anglés droits; il y en a cinq ou s·1x
principales; aucune n'est pavée·; l'herbe les
couvr~. La grande église est sm'" une place pres
de la .Casa da Camara; les maisons sont propres,
la plupart n'ont qH'un étage. Cette ville"fait un ·,
commerce considérable avec les productions de
son teq·itoire, entre autres la farinha , .un ·peu
.de coto,H , etc. On exporte quelquefois dans une
année 54,500 alq:ueires de farinha, qui,, au prix
' 1
moyen , de cinq pataques ou de i 1 francs l'al,-
queiré, donne une soi:nme de 599,500 francs.

(1) Macgraf fait mention. de>ce crabe, nommé Ara.til p ar


J.es iudigimes, p. i 85.
VOYAGE
Ce commerce ~ttire·- à Caravellas un assez grand
nomhre de navire~ de Pe1·namboué, de Bahia·,--
de Rio-de-Janeiro ·et d'autres ports de la côte·
orientale; une quarantaine de petits· bâtimens
sont queiquefois mouillés devant Ia ville; enfin
le Casqueiro procure souvent la facilité de pori--
voir aller à .Rio-de-Jap.eiro, ou d'y envoyer des
lettres. Les navires de Pernambouc sont ceux
qui emportent Ie plus de. farinha' parce que le.
territoire de cette ville ne produit pas en quan-
tité suffisarite _ceU:e denrée si nécessaire. Les
aµnées de séçheresse y occasionnent quelquefois
une diseúe complete, · ainsi que le y~yagenr
· Koster l'a observé dans sa' relation.
Notre projet étant de reveQir en ce Iieu apres
l~ voyage aU: Muct1ri, ou nou~oomptions passer
quelque temps, nous ne soinmes resiés que trois
jours à Caravellas, et nous en sommes partis
pour le Rio Alcobaça; .qu~ coule plus au nord à
travers 'les forêts. Sur ses bords se trouve Ia
fazenda de Ponte do Gentio ( Po.n t des Sau-.....
vages ) , qui appartient au comte de Barca, et
que nous désirions examiner. Nous av(ms d_'a-
hord remonté en canot le Caravellas pendant
qµ.elques milles , puis nous avons continué le
voyagc par terre. ·Le soir nous, sommes arrivés
AU BRÉSIL.
it Ia petit:e fazenda de Pindoba, dont ]e ·.p ro-
priétaire, ·M. Cardoso, nous a reçus de la ma-
niere la plus gracieuse. Les environs· sont sau-
vages et tout remplis de forêts ou l'on n'a pas
encore pénétré; on n'y, rencontre que des·maisons
ou des p1anlations isolées. Notre ~onv-ersation -
avec M. Cardoso a-yant tombé sur le canton
qu'il habite et ~ur les curiosités naturelles, il
se fit ·apporter une pierre que l'on a trouvée
â fleur de terre; e' était un morceau de ,gres
grossier; poli et taillé en forme de petite hache.
Notre hôte assura que c'était une pierre -atmos-
phérique tombée à terre dans un grand orage;
et de même que tous les Portugais présens, il
fut ·tres-mécontent de ce que nous la regardions
c~:m1me un outil fabriqué par les sauvages., Le
merveilleux a toujours plus de . charme que la
vérité pour l'homme ignorant.
En partant de Pindoba nous avons traversé ·
un petit to r rent·; eusuite, ayant monté des che-
. vaux que nous avaient loués les propriétaires
des fazendas v,o isines, nolls sommes entré~ dans
ur;i.e vaste solitude, ou Jes forêts , les~ halliers, les
plaines convertes de ha:uts roseaux se . succé-
d~i~nt alternativement. Les ~azendas isolées ont
de grands hangars dans lesq,uels .ºº prépare en
3~o VOYAGE
quantité la farinha, pr.inGipaJe _product~on de ce
. canton. Ces hâtimens, ouverts de tous les côté~,
ne consistent qú'en un _ toit de roseaux ou de
feuilles .de palmier, soutenu par de forts piliers,
et -qui met à l'abri les grandes cháµdi~res ·en
.
maconnerie ó{1 'l'on fait sécher 1a farinha .
Au . milien · .d'une forêt conip_o sée de .tiges
.élanc·é es qt?-i s7 entre-:in~làient confusé~ent les
un~s avec Jes autres, nous _fumes su.rpris du
chant singulier d' une espece d' qiseau que nous
I

ne cónnaissions pas encore. Toute la forêt re-


tentissait de cette voix.; c'était un sifilement tres-
fort, composé de ci:riq ·à six tons perçans: Ces
hôtes bruyans des bois étaient en troupes ·
nombreus~s; des que l'un d'eux s~ faisait enten-
.d f·e, tons les at!l.tres lui répondaient eu chreur.
Nos chasseurs, excités par la vivacité d.e leur ~u­
riosit~, se jeterent au~sitôt :dans les halliers; mais
quoiqu'ils fussent en nómhre ·, ils eurent b~au-;­
co·up de peine à tuer quelques-uns de ces chan-
te.u:rs. Cet oiseau, qui ·est ·dl:l genre de~ mou-
chero~les ou gobe-m.ouches ( I) < ' est de la taille

1) Mu,sciaapa p_ociferans. Longueur, d~x pouces; to_


u tes les
parties supérieures, d'un gris cendré, en' quelques en'droits
pa rsemées de hrunátre ou de jaunâtre ; les parties infé-
A U • BRÉSIL.
1 3B1
d'un"merle; .sa couleur est d'un gris eehdi.·~. sale. ·
Les Portugais de la côte orien:.t ale lui donnent
le nom · de seba~tiam _; dans la p~ov~nce de
Minas-Geraes il porte ~eiui de grive. des for~t~
primitives (sabia do mato virgem ). -
' .
A l'extrérnité de la·forêt nous sornn1es arrivés
. che2'. Ia senhora 1s·~b~lla:, propriétaire ~d~ gra~des
plantations de ·n~anioc, dau;ie tres- ~ienfaisanie
ei chérie dans tout le canton. Comme elle a la
réptit_a tion ~e .guérir ~lusieur~ malad~es, I:s ,~a­
lades et les pauvres viennent en foule chez ~11~;
elle les guérit, ou au moins les s,ouiage et ·ieur·
fournit des vivres. Elle nous -recut avec une ex:.
trême bienveilla'uce; et nous fit_ présent -.pó~r
0

~otre voyage d'un petit cocho~ ei d'ún" gros


canard' parce qu' elle préte~daii que nous man-
querions de provision.s .à font~-dci-Ge~ltio.
~ 0;1~ s~mmes ~bientô~ p;:tryen~s sur le~ bords
de l'Alcobaça, qui el?t tres-petít _e n cet en~roit ,-
etnous-nous y sommes enibarqué_s ; notre 'voy~ge'
·. . ,. '

r.Íeures gris cendré .un .peu plus pâle; poitrine et des80US du


çou tres-foucé; sommités _des plumes ?e ~a .. gartie infér~e1ue
un peu jaunâlre eu quelques endroits. On a donné à cet
oise~u, dans le mu.s éum 'de Beilin, Ie ú~in . 'de .m uscicapa
ampelin~.
31h VOYAGE
a dure deux heures à la fra~chéur de fa soirée;.
noiis avons·passé en. remontant le fleú·ve Çl.evant
la -fazenda de M. Munis -Cardeiro; ensuite nous
sommes arrivés à celle du ministre, qui est située
sur la rive septentrionale du fleuve, dont l'eau
est de couleur sombre; il est tres-poissonneux
et nourrit beaucoup de jacaré.$. Ses bords sont
entierement garnis de bois touffus. L'aninga
( arum linifêrum, Arruda ) croh dan~ ses e~ux~
Ponte-do·Gentio est une fazenda que Ie:ministre
a achetée des hé~itiers du c~pitam mqr J oào da
Sylva-Santos, avec la terre qui en dépend. Elle
était autrefois dans un état.tres~florissant. Son an-
cien propriétaire était un homme entteprenaht;
ilavait montré:dans pliisieurs excursions contre ,
les sauvages q-u'il ne les _craignait pas, et ·sur sa
fazenda il vivait toujours en paix av.e c eux. Le
premier-.
il remonta le. Rio Belmonte j usqu'à
~ )

Minas-Novas. Apres sa mort la fazenda, faute


de soins convenables, tomba en décadence. Au
lieu .d' entretenir la bo11ne i:n.teliigence avec ,Jes
sauvages, on les irrita; ún negre tua dàns la
forêt un indigene de la tribu des Patachos. Ce
crime souleva les sauv_ages. Pour se · venger iis·
attaquerent les negres dans l~ne fazenda' et en
tuerent troi~ à coups de fleche. Alors la con-
AU BRÉSIL. .3$3
fusion _et le désordr~ augmenterent s~r la fa-
1

zenda , et sa valeur baissa beaucoup. Le ministre


l'~cheta pour un. prix tres-médiocre. Actuelle-
ment on cherche à rétablir la paix avec les
sauvages, et à remettre la faze~da sur un bon
pied. II s'y trouve quelqu~s familles d'~ndiens. ;
six familles d?Ilhores ( natifs des Açores), neuf
. Chinois ' quelques negres, et un feitor <OU éco-
nome portQgais .
. Le gouvernement avait fait venir les Chinois
à Rio-de-Janei~·o. pour y clilltiver le thé; ensuite
quelques-uns ont été. envoyés à Caravellas, et
d'autres .ici pour travailler comme. journaliers;
mais ils sont tr.op paresseux et ne font .que· des /
ouvtages extrêmement faciies. Ils . demeure~t
tous ensemble dans une p~tite n1áison. Un
d'eux s'est fait baptiser. et a épo1.:1.s é \me jeune
Indienne. Ils ont conservé en A,mérique les
~sages de leur pays; ils célebre1~t leurs jours de
fc~te, mangeht de préférence toutes sortes d'oi-
.s~aux, et ne sont pas, dit-on, scrupuleux dans
le choix de leurs alimens. Tout est en bon ordre
et tres-propre dans leurs çabanes de roseaux ..
Leurs lits par e'x emple sont .garnis de joJis ri-
deaux blancs, drapés avec élégance .e t releyés
sur les côtés avec des crochets -de bronze. d'un
· V0YAGE
travail-·d élicat. Ces Iits si bien a·r rangés fottnent
un singulier contraste avec la" chét-ive _cabane de
roseaux dans laquelle ils sont placés.· Du rest~
ces Chinois . dorment sur une natte fine, et
posent leur tête sur un petit coussin . rond. N o_u s
Ieur vtmes ~ inanger le riz ahsolu~ent à la ma-
niere de leur pays, avec deux petites brochettes .
de bois. Ils .recevâient nos visites avec beaucoup
de p1aisir; ils nous parlaient en·-mau:vais portu.-
gais de Jeur pat~ie chérie, et nous'. racontaient
qu'elle valait bien m'ieux queie Brésil. Ils nous
0uvrirent aussi: Jeur.s coffres, duns Jesquels il y
~vait. de Ja porcelaine médioere et une grànde
quantité d'éventails qu'iis avaient apportés pour
veridre. .. .
~. Les bâtin:íens de la''fazenda et 'la fabrique. de
farin"!-Ja' sont situé's _dáu"s.. une. petite vallée pres
de la ri vier.e , e'ntre deux éminences; si l'on
gravit la plus o ri entale, .Slir faquelle est l'e ' Po-
voaça't>_, on aperçoit totl:t Ie pays d'alentoµr·qui
'est couvert à perte de vt.1e de forêts ·sans aucuh'e
interruption. Ce :µ' est que sur Ia·· i·iv~ drnite tlu
fleuve ·que ·l'~n découvre ·q ttelques e:hdroits o:U
les hommes se soni étiibl'is. . ·J •
·. Nous ·avons parcouru. les fot·êts voisines avec
nos chasséurs et q~1elques m·a melus paresseux ,
AU ·B-RÉSIL. ·385
et nous<avons tué un grand nombre d'animl).ux,
entre . autres .le paresseux commun, ou ai ( bra- ·
dypus tridactylus, L.): jusqu'alors nous n'a-
vions _ trouvé . que Je paresseux à -collie.r noir
( bradypus torquatus , Illiger ) .
. Nous failllmes en ce lieu à avoir le malhem.·
de perdre M. Freyreiss : il était ·parti seul le
matin avec son fusil pour aller à la chasse ; à
'midi nous ne_le vhnes pas revenir , quoique ce
,fút l'heure à laquelle il avait coutume de rentter.
La soirée, arriva; l'obscurité croissait de plus en
plus; nous,l'attendions toujours vainemen t; notre
inquiétude augmentait à chaque ·minute .. Je fis
tirer ·des coups de . fusil à des inierv~lles· tres-
rapprochés pour lui servir de signal : ·enfin
nous entendtmes , dans le lointain un coup de
fusil Ír~.s-faible: Aussl.tôt ~es Indiens, pourvus
de torches ou plutôt de morceaux de bois en-
flammés, partirent _avec_ordre de pénétrer vers
l'endr:oit d'oi1 le bruit ét~it parti. Ils rencon-
trerent heureusement M. F~eyreiss; et revinrent
avec lui à minuit: il était épuisé de fatigue. V oici
-~e qu'il nous racoota : -
<< Ayant suivi pendant long-temps, 1:J.O_us dit-
il, un sentier peu praticable qui cessa tout à
coup, je m.'e1~fonçai toujours plus avant dans
I. ~lj
. .
la ·f orêt : quànd 'je vot.i his revenir sur rnes pas,
je ·~1e retrouvai plus ··1e éhernin; j-~ passai 1.a
'joui·née ·entiê re à 11~. che-fc~er.; -je rn~rt}uai:S ies
·arhres' àevant les·q ue]s .je passais pour recon-
nahre les en~roit~ (que <j'-aurais ~trav~rsés : mais
'tou'tes mes 'teh'tatives pour ni'orienter furent
'inutiles ; 'je f.inl.s 'pà~ 1grimper ~st.~r rtn:e 1noiítagÜe ~
1espérant ·qúe _8.é ce póiui , iayant fa vue p'ltis l~bre·,

(je :ponr-rais c ápercevóir ~ qirelque ~~jet' q~i me


·gui8.erait -p?ur só-rti r _·d ' erribarràs' : _-jb m~ 'fla'ttais
Lvaineri1e;nt; -j~ ·renco~trai partout d~s· 'bois qui
'se SUCcédai~nt ·sans . in:térruption·.: u1~' ru~S:5e~u .,
. '-sm~ fes ·bords iluq-µel j'arri.vái; ·ri1é:tit 'rÍâitr~ l'idée
-a~ ; entrér' é~ a:"'. ;s.;i ~í·e ·son é·o urs' ~ gtÍe, parée
1
que-'jé s~ppbsais q~'-il·mB -' condui'rai:t jusqtí.?aux
!:bo1~as - âer 1FA1c cifü:U;~ ; ~et 'ttu-e · j'e p ~~r'fais_' ~ins~
;attéi-ntlh r. la; fazerida :'cette , esp~éranc~ ·fi1t e'n core
· deÇú:~ ;·~le-ruisseau 'áboutít bierit©~ à iu'Í ~la'(ge -rn~­
~ra~s, -aontlle.i; ea·ux;- ~n din~inuantde prõfondeur,:,
n?avaiebt-pas :- 'd~issae. ;Ma position: · Bév~nait ~x-
• • r ) . , ...

:ltrêt:heme11t inquiétante ; ·a'ffaibli ·paP ·Ie ni;mque


~ - • ., - \ • • • • ' f ' • .. •

~ âé· ri.otirniture' echa'u'.ffé' pa une·rnar(;he péni:Dle '


mouillé par l'eau du ruissejtu;)j'e _t ó1í~'bai a~~puf­
-serrieffi'~ l l/B})shui~W-~uTvi':nt; alors je ·níss~-níhlai
lle~ pêi1 ;qtíí ·me.frestah ·Hé·ffdtcé, ef ' je fi~ · úne .
'-petite éa bane dte <feuilles ·de palrnier. 'L és '.mol.Ís- -
if:iqufts m~ tp~ri:,neptâie~uiJ.'un_e .IJ1an_iere ajfr.e1.l,s y;
.rnilis ce .n'était pa_s ~a plu:; gr:anÇle, d~ · me~ ,p.ei:çi,~&;
je 1 c1:<\ig~1ais av.~c ,ny.sçm l'~tJ:ague c;le;s sa\lv~ges _ ~~
<le,s 1b~tes fér;~,ees; ~t :me~ içic;p,i,ié~q.çl~s . Atfiieqt
d'autant plqs f9nq~t;s ~1,1,e j~ . ~~lH}l,l~~s . ç\e;; ~n~
strumens n,écef'isaj.r~s !po-.;tr t:~\~e ,d~ f~u,. 1 ~(i.n ,Çl~
:i;epir .les arfrrr:iau?r 'écar:tés~ .Je i;;n~ .1:ésignai p911c ,'li
-.m,~ ~riste .po!'!i~ié?,:µ; r.és.qlu . d'~~~~~qre pf\ti~n~~~nt
le reto~r .Çi;q joµr; Gep,,~µdant' il ne ·_pçmy;l_it . P'l~
m ,e .fal.re 1<(,qtreyÇlir ~:qe :Pe11~p~c~~~~ ~ie~ cc;m,.-,
-l?9l1u:ne, ,p.1;1i~_q,u'~~ 4~~i;~p,_x ,l;ia_s.~r:d ;&~ql ~~t~~·~
.Cflpabl_e d~ ,we f~ir~ :t;~~rP'AY:~t; p;iqn qp.~r~.~µ,
' ~t que j'éta~s . s~ ,mal p2"\:!ryu 1çle . _ p,~uq;e !.!3.t qe
.pl9gib , qµ',\ l PW . sttri:ti~. i!l'!p~~~ip)e .<;le ~Q.Utf~nir
Jo9g1t~µ1p~ ~~9Jl ~x;i~t~i:;t~~ rl:Wr ~la C(Jgy~se. iDqnj
çe~t~ : sitµa:tiq~ _aífc;eu_se, ,g:µe J\m · .~e 1 Ji.g1::1xe ,_.s~l
,ct&t. pó~~~qle ·' -lp. jgje 51n~ j.e · f,~§S~1-.fi.itt~ .J91Jsgµt;
. j'~p.t~ndi~ , les", CQlJBS·.de. iÍ~;>~l ,~lfté:5 ,à !P:oµt~rqpí-
1Gie:ni~9J ~an~~l.é _p.ar ,1~xsR~r,~p.q~ ,' âf:! ·me ;l,ev.,aj.
~e.t je. i:~pgnfl.i~ "à rce. ;l?ig:9:~1 ,pa,r d~u~ ÇPJ.tP.~ (.9 e
fqsjl :!;r.es:nf.ort;_s ; i~. µ;ie· 1rngpro~h,qi çl}u 1 ç-9.~é -~·qQ_
1~ 1hi::·H it ~w.!t 1v.~.q~_, , ~J.i p~~~~.91!-: je r_~QC9~J;~,a~ .l~_,s
Jp.dieps qui !P.W ch,~1:cp~ieJ!t· }>
tU-eµreµ~e.cn~n.tr \.PQ~r ;M. ,J:r.e.ylje_i&.s que l';;tt-
titntioµ !áy!(~)::i.q9ell~ , nou.s .~~01;1.tiqn_s· pendant Jp
,~jl~n,~~ , ~~ _1 1a· i'!lwt u.pu_s pº~..:mit d'ent~mqre Je.s
38S VOt'AGE
coúps de fusil qu'il tira ; · s;il eüt été uii pef.11
plus éloigné , ou derriere. une hatiteur, il lui
eút. été aussi impossible d'entendre nos coups
de fusi} qu'à DOUS d'entendre les siens; IlOUS,
eussions manqué de moyens de le retrouv·e r, et
son sort dans cette solitude eut été extrême-
-
ment rnisérable ', car il comptait, au retour ·au
.

jou'r, márcher pour revenir à. la fazenda; d'uíi


côté ..oppo.s é à celui vers . l~q~el il aurait du se
dirige.r . Ce~ exemple peut servir·à prouver com-
hien il faut êtr'e prudent quánd on veut cha'ss·ei·
seul dans . ces vast~s . solitudes -sans les con-
tialtre, ou saris posséder la sagacité des lndiens
pour s'y retro{i~er. Le feitor de Porite-do-Gen.. ,.
tio, homme bien. au fait ·de Ia · chasse dans ces
®ntons, · avait une fois perdu son chemin ·: il
avaii erré <lans la forêt pendant·sept jou.rs·; 'ínáis,
êtant ·suffisamment muni de poudre ' · de plomb
et d'instrtimerís pobr faire du !eu , -il avait' pu
poúr.voi1· à ses 'besoins les plus pressans, et
.étaiienfin heureusement arriyé ·à une p1anta:-
tion: sur les bords de l'Alcobaça. Deux lndiens,
que l'ouvidor avait envoyés pour suivre ses
traces ·et le ramener, enwêf er.Ít 'dans ' la Iplanta-
tion peu de temps 'apres •I\.ii. On est H:ans l'er-
reur quand·on s'imagine ·que ·dans ce§ solitudes·
AU BRÊSIL. 38g.
l' on doit .troµver partout de quoi se nourrir.
Malgré .la quantité d~a_nimaux sauyages qui vi-
vent dans ces bois, il se passe souvent plusieurs
jours _s ans qu~ l'on aperçoive une créature vi-
-yante; d',a illenrs une ~bservation déjà faite, et
qui . se confirme ici, prouve que les anirnalut
sauvag<:s sont toujours plus uombreux dans le
voi~inage des habitations humaines que dal)S
l'int,érieur des grandes fo.r êts.
Nos colleciio.n~ avaieot été accrues de quelques
morceaux intéressans ; mais nos insectes , sur- · -
tout les papillons , ' av.aient été singulierement
endozp.magés par les petites fourmis rouges ;
nous parvinmes à les sa"!-1ver en les saupc:mdrant
de .tabac en poudre. ,
Le 25 janvier oous a,vons quitté Ponte-do-
Gentio, et_nou~ sommes ·revenus chez la sen-
hora Isab~lla; on était occupé à préparer la fa-
rinha. Un toucan (i) apprivoisé attira notre
attention ; ses gestes comiques; qui le parais- /

saient .encore davantage par la singula~·ité . de sa


figure et la grosseur disprop.;rtionnée de- son
hec, nous divertirent beaucoup. 11 avalait avec
-u~e avidité exces~iv~ tout ce qu'il rencontra1t·>
,-

(1) Rampltastos <J,icolorus, L •


'VOYAGE
i:nê,me la viandé. 9'n · ~ob's. l'óffrit', .mais:, cét
oiseau ne póuvant supporter. no.t re éliníãt, nous
refu_sâmes Ie 1)rés<e~1í. . · · .
On ré~ol_te da~s cêi éiidr~it · . b'éa'tj6~up ele
miei , que _fo!-1-rnis~en_t des abe~Úes jã~ «es: di-
poµrvu~s d'aiguill~ns' : pbÜ.r se le pr~cUrer on
SLJ~-pend sous fos ·t~it~ des-frow;õns :cfê hran-
ches d'arb1~e cretisé, doili .ón"hoüche 'I'eitré-
-q:iité .avec de l'~!'gile, et êm Íaisse au Íni1iéu un
p~tit trou rond. Ce . h'liel est ires-·a~omaiique,
. n,1ais il . n'a pas .autant de douceur qiie , éelu1
d'Eu~·opP.. On. ·p réparé ici une boisson ~gréable
et
-
rafralchissante
. '
en. mêlant. ensemble du miei
et de l'eau.
Le Jendemain 26 nous 's omnies retournés à
Pindoba , et le soir no'. ~s sommes re.r:J.tré~ .à Ca-
ra:vellas. E~ deux jóu'r s nous y · ~vons 'tei·riliné
,nos affaires , et nous aou_s s'om~es emba1;qués
_p our ,regagner ViÇdza. Uri heau clair . d~ lune
f\lvorisait notre navig~"tioi1 ; des milliers d'in-
s.e ctes luisans, t~ls .que des lamp:yr~~ '· d~s tau-
. pÍ_n s, et peut-êtr~ â'aut;res ~UC?r~. , , vofoient
, autp~r des b,uis~<??.s . qui ,hor_d aient ,ie rivage.
Nous avons retronvé dans b Casa da 'C amara
. les Ifouiocoi1dys de Ia suüê ·ae ·rouvidõi·:-· Ce-
pendant · la compagtiie de· ceS sau~akes hous
AU. rBRÉSIL.
·~ . ...... " . 39~
incornmoda ·m.o ins ql:leJes hur-l~m.ens-cen~tin,uels
d'un chieµ ~ .qui,:~:vait- été rnordu p,ar5 uu· ~eF­
p~n,t-,v~ni~1~l_;lX~ Pn. l ~i .O..ovn~. d;u sJ.1ç, dJJ C::a1 <tle>...
Santo ( argemone mexicq,na },_(~.) D pl~n:t~ -~'pi-.
neuse tres-commune dans ees contrées; mais
~e pauvre . ani~~l 'm ourut. On reg~rd,~ ..à· ·~ort
Ia qµantité ·des · serpe1us v.enimeux du . B f ésil
comm~ plus eonsidéra.b le qu'eHe .ne ·.l'est ·réel-
lement ; . les . habitaus du payiS C\lx-mêmes pré-
!_e:qdent qu~ la .plu.part. çle. c~s i reptiles .s _o nt
~a.ng~reux; . il~ ne sav.e ~t le , c<;>ntt~aire. ,qf,!e <furi
petit nomhr<::; , e~ nom,r.µ~rne_nt de .fa. gra:µd~ ~s­
pe~e tJ..e . ~o.a . .4u r~ste, _ qu~l,ques ~erp~ns sont
~res · à crait~dre '~ ·par ~xemple la vipe!·ç y~rte
et le jarar~cca, tous: .d eux d1:1 ~ genre trig9Tto-
cephalus; mais les ·plµs r~d~utable: sont le ser-
pent à sonnettes ( crotalus : horridus ) , · e·t le
~urucucu ( tachesis mutus, Daudin,.;, ·oa cro-
;talus mutus, L . .) . : ceder.nier, nota111men~
ce}q\ qui a s~pt - à huit p~eds de l<;>,ngueu~ ." se
.;t1~0!-lve.. dans tout le _Br~sil. ,Le se rpent: ~ .s<:>n-
pet~es. , P.<?_111mé cobra cascavello pat' les Por-

(1) C'est sans doute cette ,plante dont Azara fait meÍll io.ri
.quand il par~e de la guérisQn de la · fi e v r e. (. Voyages·, e t ~ . ,
_tom. I, p. 132. ) . ·
·VOYAGE
,tugais , ne se ·trouve que · ·dans les ·contrées·
hautes et seches; par ·exemple -il est assez com-
mun à Minas-Geraes et ·dans l'intérieur de la
capitainerie de Bahia.
Apres notre retour de .:Viçoza au Mucuri ,
nous n'avons pas fait un 1ong séjour ·da:ns la
villa qui porte le nom de ce Jle'u&"e' parce -que
}'ouvidor é~ait déjà à l'endroit ou I'on s'occu-
pait d'établir la nouvelle fazenda de Morro
d' Arara. l\'I. Freyreiss avait résolu d'aller re-
joindre· notre troupe à Espirito-Sa.nto ; quant
à n10i, je préférai de rémonter 1e Mucuri -en
pirogue, jusqu'aux travaux que l'on entrep~e­
nait, e.t d'y séjourner quelques mois dans les
fotêts. Cependant, apres avoir fait' chacun nos
préparatifs , nous avons encore passé deux
jou'r s ensemble à Mucuri, et nous avons pro-
fité de ce temps pour parcourir les euvirons.
Nous avons visité entre autres Ies travaux de
la route nouvelle que le capitam Bentó L~u­
renzo ·avait com1nencée avec ses Mineli"os, et
qui était déjà poussée;à trois lieues. Elle parÍ des
maisons mêmes de Port-Allegre, et ooupe des
P-rairies marécageuses et des savanes , dans_les-·
quelles.on avait construit des porns avec des fasci.:..
nes; au-delà on avait déjà entamé une.QUVerture
AU . BRESIL. ·393
:-dans les. halliers · et dans l'épaisseiu· de la forê.t~
Au rest~ .ce n'était qu'un sentier; et la róute
n'avait .pas une grande largeur. Des troncs d'ar-
bres prodigieux étaient étendus çà et là; on
avait mesur.é .les . distances au. cord~au' et mar-
qué , . par des entailles, le nombre des legoas
sur la partie antérieure d'arbres, qu'on avait
unie apres en avoir enlevé l'écorce. ·Nous avons
encore rencontré, en divers endroits de .la fo-
rêt, les cabanes oil la troupe des Mineiros avait
,p assé la nuit.
· Pres de lá .derniere plantation du Mucuri , qui
appartient à 1\1. Joào · Antonio~ la route des
...,..--1\finelros s'approchait des rives du fleuve et
des maisons que l'on y a bc1ties. Nous y sornmes
allés en compagnie de M. le curéVigaro M~ndes
etdel'escrivam d.e Mucuri, et nous avons trôuvé
le capitam Bento Lourenzo; il nous mena su1· la
hauteur ou est située sa maison, et fit avec ses
compagno~s une décharge ·d'armes à feu en notre
honneur; c'est l'usage des troupes armées ou des
soldatsdans les solitudes de l'intérieurdu Brésit,
surtout dans les postes militaires:, quand des
étrangers leur rendent visite; et à cette occa_-
.sion on charge fortement Ies armes: Apres avoir
NOY·AGE
passé <J:Ueiques· heures fort agréableinent, áv·e c Ie
capit:am et avec M. J oào .Antonio, qui tóus :delil:x.
·nous ·combleventi d·e politesses ; nous· avons re-
.pris~par-le :fil'euve le ehemi:à de fa Villa. ·' ·
· Le 5 févriet nou-s pardmes chactm pour notre
'd:estinat~on ·: M. Freyreiss sé fit tr~nspoFter de
l' autre
- cote d u M_uc_u n. poui: 1•etourner a' E s-
A •

pirito-S~1lto; et je remontai le_fleuve avec deux


pirogues. Nous .nmes un:e: · ~alve de .nos ~rmes
.pour nous dire adieu ·q:uand no~s. étio!ls. ,déjà
Joio l'un de l'a utre , et :pous ne tardâm.es pas à
/·.. f''• ' ' . ,,- •

'notts perd1~'1 de .vué. · ·


. : : ,_ . ' ~

L'emplacement
,. . ,.· .
choisi pour la f~zenda
, . . €_
t. ]~
scierie du com.te de Barca est située _à peu pres
à une journée et demie de route de l'em~ou­
. chureduMu~uri; on-l'a nommé Morro d'Arara
( Mont des Araras),' à cause de la grande quan-
tité de cette espece de perroquets ( psittaéus
m°:cao_, L.) que l'on y trouve. Je partis pour
' • J

ce lieu en compagnie du capitam Simplicio da


Silveira, escrivam .de- Behnonte, qui -avait été
. principalement employé quarn;l ·on. avait voulu
conclure à Beln1onte
.
une
'
-con.v~nti0n avec les
1

. Boutocoudys. Il_av§lÍt avéc Iui up jeune Jndien


AÜ BRÉSIL. 395
Meniàn (1}, et tO'ús déux parlai:ent la tangue de
c·és sauv:rges.
Les . ri~es du Múcuri, bordées partout de
fúrêis, oifreni par les norríbreuses sinuosités
de ce · fÍéuvé , qui est •en général étroit, · uné
grande diversité d,e points de vue pittoresques.
U: fallut pousser péniblement notre pirogue en
á~ant ~ontre le courant du fleuve, qui était alors
haut et ra·pide, travai! d'autant plus fatiguant;
que le solei!, à son plus haut point 'd'élévationi
dardait d'aplomb ses rayons ·brulans sur notre
t ête , et échauffait à un tel degré le b~is de la
pii'ogue, que J'on pouvait à peine le toucher.
Le inartiil-rJ~cheur vert à veritré roux (alceclo
'bicolor, L:), et lã belle hirondelle vert blan-'-
châtre (hirundo leucoptera), étaien~ tres-com-
muris ·le long . de cette partie du fleuve . . Le
detnie1~ de ces oiseaux se .repose sur des bran-
_c hes basses ' ou sur des arbres rnorts qui flot-
• J .ten~, ou bien vole à la surface des eaµx. Sur
.terre , on ne le rencontre que dans Íeur ~oi­
smage.

(1) Les Menians qui habitent à Belmonte sont un i·~ste


d'Indieus Camacans d't!générés. Plus tard il eu sera ques-
tion d'nne maniere 11lus détaillée.
Nous v1mes des quantités - de chattve-souris-
grises { 1) , posées sur les arbres penchés au-
dessu~ des eaux, et sur les rochers, oh elles
passent la journée à l'abri de la chaleur.. On les
distingue à Ieur nez saillant. Nous abattimes
de dessus un arbre du rivage le beau pigeon
qui, sur une partie de Ia côte orientale, porte le
nom de pomba trocaes, et à Bahia celui de
pomba vercladei"ra; c'est ia:
colwnba speciosa
des naturalisfes (2 ):
L ' apres- rnidi nous ~vous passé devant l~
plantation de ·M. Joào Antonio, ·oit, quelques
jours auparavant, le capitam Bento Lourenzo
nous avait sal ué . d' une salve de mousqueterie.
Déjà il avait, avec son monde, pénétré plus avant
dans les forêts. Quand l'obscurité commença,
nous descendimes à terre au milieu des bois,
et nous allu~âmes du feu. La nuit fut belle et

-~
( i) _V esperlilio naso , esp~ce nou ~elle, remarq uable par
son nez tres-allong~, presque comme une tron-ipe; il s'ávance
cl'une ligue au-dessus de la mâchoire supérieure; oreilles
extérieures pet:ites et tres-poiutues; poils du dessu_s du corps
jauuàtre foncé gris brun; le dessous du corps gris jaunâtre
plus pâle.
(2) Histoire natureUe des p;geons et des gallinacées, par
'l'emminck, tom. I, pag. 2·06.
AB BRÉSIL.
-chaude, .mais, com.me · dans tous les clin1ats
b1·úlans, excessivemenfhumide . .Le cabouré, le
cholarua 7 le bacurau ( caprimulgus) et.le ca-
pueira eperdix guianensis_) ' firent ~'utendre
leur voix seulement au commencenient de la
nuit, et animerent ainsi cet~e vasi:e solitude qui
inspirait 'une certaine horreúr. Le cabouré sur-
toút s'approcha beaucoup de nous; sa vo~x
g1;êle rétentissait de de~sus l'arbre le pius voisin
c1u feu, ' que cet oiseau sembla~t regarcle·r par
curiosité. Les Indiens ·qui . conduisaient notre
. ,.
pirogue se coucherent à demi nus , sans cou-
·verture et sans abri; quelques-uns, à un.e certaine
disí:ance du feu; sur la terre hu?-1icle, et s'en-
·do.rmirent 'franquillement; nous ·au contràire'
quir ' ri'étions pas endurcis à la fatigue, nous
nous' éteridtnres sous de grosses cóuvertures
de laine, sur un lit formé de branches et de
:feuilles de cocótiers.
·Le lendemain mati~1, pendant que l'on pré~
parait le déjéÍme1·' une volée d'araras vint se
po's er · pre~ de nous en pouss'.1~t de graneis cris.
Mariano ·, _un 'de nos lndiens·, se leva aussitôt,
i.>rit son fusil, se glissa derriere .les oiseaux,
et ajusta si bien son coup qu'un instant apres
il revint ioui joyeux ;nous apportant le premie1·
... . . ~ ,. . l. . .·~:. 1··,.::_. _~_:1:··.._. ~.. '. ·"?.',:''~. : ...
.•
. ··:t,

VOYAGE
de ces l;>eaµx pe,rc9qu~t~ qµe .nqys ~µsi;iq~$
ré1,.1ssi à nous .pi~ ocu_r~r · c;l~puis q-µe :nc;>u~ .é.ti9n~
en voyage. _
·À pres le d1ner naus nous somme$ r~mbarau~s,,
.et nous avons nav.igué jusqu'au soir, que n9qs
sommes descendus sur un bane de sable, ou
:pous avons ·alh,imé dµ fe1,r. Pendant que nous
étions occupés à prép;:irer notre a.rara pour }13
joindre à notre collection-, nqµ_s avons ilperçµ
une grande pirogue re~plie çle . monÇle qui noui;
appelait; e' était J\'I. Char~es ,Frazer., anglais , .pro·
_priétaire d'un établí.s sement -~ 1Cor:necha.tiha .snr
..la côte , à peu de distapce de Porto-S«:<guro: µ
avait for~é un pr,ojet de v,oyage se:mblable au
mien, et ~rr'iv.<lit ave~ sa s~it~ . P~ur l'~xéc~;ter.
Nous avons :pas.s é .tqµs . eQs~mble fo. .nuit dafiti
.. cet endro~t, _.et ,nous en ,_son1me1 _ pa~:ti.s l~ , l~p!
demain.
V ers midi nous somm~s ;:tr.rivés lt· up Cfi:p.é:lil
. ornbragé, l;a rge d'_unt=:; douzaine . de .pas, ,et situé
.à la rive sc::ptentrionale du ,ly.Iucuri. Qll;~lq~~s
jours ;iuparavant l'ouvidor ,_l'avait (ait d~l?.a.r­
rasser des broussailles qui l' pbstI,'µaient; e~ est qn
. P'!.-ssage, formé _par la nature, pour ,la .commu-
-.nication du :fleuve avec. le fac ,d ' .f\..rqra, q.ui e~t
,ass.ez gi::ind ~-t ~nvirppné de ,toute.~ ·p,ar t.s de
., ,.. ·.:" · · --r--~~-~~

\
AU BRÉSIL. 399.
montagnes boisées. L'ouvidor _avaiÍ commencé
à fonder, à un quart de lieue plus haút sur les
hords du lac ::> la fazenda du ministre à Morro
d' Arara; on avait déjà abattu du bois et con-
's fruit quelques cabanes. L'ouvidor nous reçut
-"tres-poliment; je fis ~ur-le-cham.p mes pr~pa­
ratifs pour passer une couple de mois dans cette
solitude écartée.

FIN DU TOME PREMIER.


J.,:·-
-,

- ' .
\:..:.:.__

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