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Echec de la Démesure
en Guyane
C'était l'amorce du Bourg de Kourou mais aussi le début d'une courte et très douloureuse
période qui allait à jamais marquer l'histoire de la Guyane : "l'Expédition de Kourou". Cet épisode
funeste de l'histoire coloniale a été totalement occulté dans les livres d'histoires de France. Trop de
cadavres, trop de souffrances ajoutés à l'impéritie, aux rivalités et aux prévarications des hommes
chargés de cette mise en œuvre entraînèrent cet échec cuisant, laissant une trace durable sur cette terre
de Guyane, considérée dès lors comme le « cimetière » des populations européennes.
Les déportations de Thermidor et du Directoire en 1797, puis plus tard la création du bagne et
de la déportation en Guyane en 1852 ne furent qu'une suite logique de cette aventure terrible... Fallait-
il dire toute la vérité sur cette affaire ? Comme disait le Pape Léon XIII : "la première loi de l'Histoire
est ,de. -ne rien oser dire de f a u x et ensuite de ne rien oser taire de vrai". Après Jacques Michel et son
remarquable "La Guyane sous l'Ancien Régime", il appartenait à Pierre Thibaudault, guyanais d'âme
et de coeur, de nous donner un très large aperçu de cette affaire et une connaissance impartiale des
tJiffér'e:nts. acteurs de ce drame. Cet extraordinaire travail de recherche permettra à tous nos
compatriotes, une nouvelle approche de cette histoire de notre pays et suscitera peut-être des nouvelles
vocations pour mieux l'appréhender.
Les Kourousiens y trouveront également une trace de leurs origines. Depuis 1965 le
développement de ce village, devenu maintenant la 2e ville de Guyane et le Port Spatial de l'Europe,
montre que le sort peut être conjuré et que la devise de Kourou n ' a jamais été aussi vraie : "Courroux
passe, Malheur finit, tout q u a n d on œuvre".
Eustase RIMANE
Maire de Kourou de 1953 à 1995
Préface
Les historiens, tantôt se laissent emporter par le fracas des batailles, tantôt, s'éloignant des
événements, analysent les moeurs, les coutumes d'une population, parfois ils relatent une aventure.
C'est le récit d'une grande aventure que nous propose Pierre Thibaudault. Poitevin d'origine, il a
embrassé la carrière militaire. Lors de sa dernière affectation, il s'est pris de passion pour la Guyane ;
retraité, il y a posé ses valises.
Pendant cinq années, ce fut pour lui une nouvelle aventure, faite de découvertes très
enrichissantes. Il a accumulé une documentation très précise, bien ordonnée, qui servira à de nombreux
développements pour les historiens et les généalogistes.
C'est une aventure européenne, catastrophique pour de nombreux partants qui rêvaient de
l'Eldorado, qui a laissé des traces en Poitou-Charente.
Par ses départs vers l'espace, Kourou est maintenant bien connue mondialement grâce aux
médias ; au milieu du XVIIIéme siècle, elle était inconnue sur les cartes.
Il faut remercier M. Thibaudault, d'avoir accompli un travail de grande qualité, relatant avec la
petite histoire de cette malheureuse expédition, les événements de l'époque, ses précisions sur les
protagonistes, l'origine des participants, la transcription de nombreux registres d'époque permettra de
retrouver bien des disparus de cette période oubliée de notre histoire.
Marcel DUCOIN-DUREDON
Je tiens à remercier tous ceux qui ont apporté leur aide à cette entreprise : les musées,
les bibliothèques, les familles, et surtout les nombreux services d'Archives de France.
Je citerai plus particulièrement les personnels des Archives de la Marine de Rochefort, et
principalement Monsieur Lair, agent administratif de 7"' classe qui outre le fait de m'avoir aiguillé sur
le sujet précis du désastre de Kourou, m'a guidé dans mes recherches et donné accès aux registres qui
figurent en annexe de cet ouvrage.
J'exprime également toute ma gratitude aux membres de la Compagnie de Jésus, p o u r
leur compréhension et leur aide dans la recherche des documents, parmi eux les Pères Bonfils de la
mission de Paris et Voiturier de la mission de Bruxelles.
Un grand merci enfin aux personnels des Archives Départementales de la Guyane et des
Deux-Sèvres, sans lesquels rien n'aurait été possible.
En écrivant ce livre je n'ai
,e,f,r,,y;i,,,qu'une seute cause : celle de
la Guyane.
Espérons qu'elle
restera désormais durablement
à l'abri des faiseurs de projets utopiques.
Licence eden-75-5799953b1f11453f-aafacbbeb5f44803 accordée le 23
septembre 2022 à E16-00984954-Andrius-Noronha
Echec de la démesure en Guyane
Par Pierre Thibaudault
Avant propos
2éme P a r t i e : Le D é s a s t r e de K o u r o u
Chapitre 1 - L'heure du choix.
Chapitre 2 - Une confiance mal placée.
Chapitre 3 - Sur les chemins de l'aventure.
Chapitre 4 - 1er convoi, en route pour l'Eldorado.
Chapitre 5 - Un peuple à la recherche d'un havre ou des entreprises particulières.
Chapitre 6 - Un embarquement mouvementé.
Chapitre 7 - La guerre des chefs : de l'extase au drame.
Annexes
Annexe 1 Origine des localités.
Annexe 2 Les biens des jésuites, acquisition et vente.
Annexe 3 Lettres du père O'Reilly écrites de Cayenne.
Annexe 4 Attitude des Indiens.
Annexe 5 Sucreries existantes à Cayenne.
Annexe 6 Conditions de vie des Esclaves.
Annexe 7 Anciennes mesures en usage à Cayenne.
Annexe 8 Lettre de Préfontaine à la Condamine.
Annexe 9 Quelques biographies intéressantes.
Annexe 10 Liste des responsables et concessionnaires.
Annexe 11 Etat des bateaux arrivés à Cayenne entre 1763 et 1765.
Annexe 12 Le commerce des tortues de Guyane.
Annexe 13 Les Notaires à Cayenne au début du 18éme siècle.
Annexe 14 Les Militaires.
Annexe 15 Bateaux envoyés aux îles à partir de 1764.
Annexe 16 Le retour des colons en France.
Annexe 17 L'oeuvre du baron Besner.
Annexe 18 Recensement des premiers habitants de Sinnamary en 1765.
A partir d'une documentation considérable, dispersée en France et dans les anciennes colonies d'Amérique,
j'ai acquis très vite la conviction que l'expédition de Kourou n'avait jamais été racontée.... C'est-à-dire inscrite dans
l'ambiance de l'époque et jouée par des personnages obéissant à leurs pulsions les plus élevées comme les plus
basses.
Il m'est apparu également évident que le procès des principaux acteurs du drame, n'apportait pas de
lumières suffisantes sur les responsabilités. Ainsi au lieu de m'appuyer sur les minutes du procès, j'ai préféré
démêler l'écheveau des correspondances entre le ministre et les différents responsables, comme les divers
comptes-rendus de témoins : impartiaux ou non.
Mais je n'ai pas voulu non plus me contenter d'une édition complète de cette énorme correspondance. J'ai
préféré faire un récit en y mêlant le plus souvent possible des phrases entières ou des paragraphes, tirés de ces
divers écrits. Comme chacun sait "Il faut des citations, pour pouvoir démontrer". Tout ce qui est dit, faits ou idées,
a été écrit par l'un ou par l'autre des personnages. Toutefois comme ces acteurs se connaissaient, ils faisaient très
peu allusion à leurs particularités physiques. Aussi dans bien des cas, je n'ai pas pu les peindre.
Par contre, j'ai tenu, afin d'éviter les descriptions longues et indigestes, à mettre en scène quelques-uns des
acteurs principaux. J'ai pu le faire lorsque les textes des lettres ou rapports étaient suffisamment précis pour
permettre une construction des dialogues. Ainsi, curieusement, c'est dans la genèse et la préparation de
l'expédition que l'exercice a été possible. Au coeur de l'action, c'est-à-dire essentiellement entre 1763 et 1765, les
écrits se révèlent trop insuffisants pour construire un scénario fiable. On peut expliquer cette déficience, d'abord
par l'interdiction du Roi d'ébruiter l'affaire, ensuite par la volonté des acteurs de masquer la réalité : ce qui se
traduit par la disparition pure et simple de documents et enfin par les atermoiements d'une justice tardive et
soumise au pouvoir.
En tout état de cause, quelle que soit la fidélité avec laquelle je me suis efforcé de restituer les faits et les
sentiments, j'ai toujours préféré donner la parole aux hommes du XVIIIe siècle.
Enfin, je voudrais attirer ici l'attention du lecteur sur le volume des annexes où figurent des documents
inédits dont certains passages ont été repris dans le texte du récit.
Ces annexes sont de deux types :
- celles qui figurent en fin de partie et qui apportent des précisions sur les lieux, les personnages et les
modes de vie de l'époque et qui sont destinées à éclairer le lecteur sur l'avis des témoins impartiaux ou non.
- celles qui terminent le livre et qui sous la forme de tableaux donnent la liste quasiment complète des
Français et Européens, "volontaires pour l'Eldorado". Pour faciliter le travail de recherche car tous ne sont pas
partis en Guyane, ils ont été inscrits par pays de destination. Ils y figurent dans l'ordre alphabétique des noms, avec
leurs prénoms, la date de leur arrivée et de leur départ de Saint-Jean-d'Angély, leur numéro d'enregistrement, leur
filiation, leur profession, leur âge, parfois leur lieu de naissance, enfin leur province d'origine. Ils présentent un
réel intérêt pour les généalogistes.
La vie en Guyane
au début du 18e siècle
HPOITO U AUNI^J
ET Q
SAIN TOl'GE
La Guyane oubliée
La nuit tombait sur le port de Rochefort. Une brise de mer, assez fraîche pour ce mois de mai 1762, agitait
mâts et haubans tandis qu'un ressac assez fort faisait grincer les coques d'une douzaine de navires contre les quais
déjà enveloppés dans les ténèbres.
Un homme d'âge moyen, avançait vers le soleil couchant. Son costume et sa démarche assurée révélaient qu'il
était militaire. Avec détermination il s'engagea sur la passerelle étroite d'un bâtiment de commerce ventru "le
Patriote", qui devant la pénurie de navires et de marins du fait de la guerre, avait été affrété afin de pouvoir
transporter les effets du roi à Cayenne. Il appartenait en fait à M. Hébre de Saint-Clément commerçant à Rochefort
qui avait accepté la mission contre la somme de 200 livres par tonneau embarqué.
Ainsi Monsieur de Behague, ancien lieutenant-colonel de Dragons, récemment nommé Commandant en
second de Cayenne, venait sans le savoir, de commencer la grande relève, prélude de la nouvelle colonie que la
France envisageait d'établir en Guyane.
Un désordre indescriptible régnait sur le pont du navire faiblement éclairé par quelques torches fumantes et
nauséabondes. Quelques marins s'affairaient à porter dans la cale, pêle-mêle, eau, vin, sacs de vivres, barils de
harengs et d'huile de lin, tonneaux de fèves et de lentilles, médicaments, farines, paires de souliers, boulets de
canon et matériels divers. Sans compter deux canons prévus pour renforcer le poste de l'Oyapock et hissés à grand
peine sous l'oeil inquiet du maître de manoeuvre.
Deux silhouettes se détachèrent de l'ombre de la cambuse et vinrent au-devant de Béhague. Les présentations
furent rapides. Charles Ruiz-Embito de la Chenardière, contrôleur à Rochefort depuis 1745, intendant de la marine
dans ce même port depuis 1757, était tout puissant et régnait sans partage sur l'approvisionnement de toutes les
colonies dont Rochefort était la base principale de ravitaillement. C'est lui qui avait fait affréter "le Patriote". Il
avait dû renforcer l'équipage par des marins d'Etat faute de trouver suffisamment de personnels civils
réquisitionnés pour d'autres missions. Figuraient même sur le rôle de l'équipage quelques marins espagnols, nos
alliés du Pacte de famille.
Béhague salua fort respectueusement ce haut personnage et rendit le salut au capitaine du Patriote M.
Moinardie, officier expérimenté de la marine marchande, il avait déjà effectué plusieurs voyages en Guyane et aux
Iles. Tous trois se dirigèrent rapidement vers le poste de commandement et entrèrent dans la cabine du capitaine.
La présence de l'intendant et l'heure tardive démontraient à la fois l'importance comme la confidentialité de cette
mission mystérieuse confiée à Béhague.
Sans s'enquérir plus avant de la santé de ses interlocuteurs, Ruiz rappela brièvement la situation.
Miraculeusement la Guyane n'avait pas été touchée par la guerre qui faisait rage entre l'Angleterre et la France et
que l'histoire retiendra sous le nom de "Guerre de Sept Ans". Rien qu'en Amérique la France allait perdre le
Canada et le Cap Breton, toute la partie de la Louisiane située sur la rive gauche du Mississippi, les îles
Dominique, Saint-Vincent, Grenade, Grenadines, et Tobago. Elle ne pourrait garder que la partie occidentale de
Saint-Dominique, la Guadeloupe, la Martinique ainsi que Saint-Pierre et Miquelon. Quant à la Guyane elle ne
devait son salut qu'à une grosse tempête qui avait interdit à la flotte anglaise de l'amiral Warin de s'en emparer.
"Messieurs, le danger subsiste, la flotte ennemie sillonne l'océan et plus près de nous, surveille la sortie de
l'estuaire de la Charente derrière les Iles d'Aix et d'Oléron. Comme d'habitude, dès que vous aurez embarqué les
marchandises, vous descendrez la Charente accompagnés par l'escorte de M. de la Touche Tréville sous la garde
vigilante de son bateau "Bermudien". Ensuite en naviguant au plus près de la côte et en vous engageant dans le
Pertuis de Maumusson vous mettrez le cap sur Bordeaux où vous chargerez les 2 piquets d'infanterie : soit environ
80 hommes ainsi que leur fourniment. Vous aurez peut-être à charger à votre bord quelques marchandises
appartenant à M. Lemoine commerçant de Rouen : elles y sont en souffrance depuis le début de la guerre. J'en
ignore l'état ! Quittant Bordeaux, vous ferez escale à Blaye où doivent vous rejoindre les passagers ainsi qu'un
piquet de Bigorre de 10 canonniers. Ce détachement militaire qui nous arrive de Martinique sera aux ordres du
lieutenant Benoit qui nous vient du Canada. J'oubliais qu'à Bordeaux vous recevrez également le renfort de
quelques ouvriers de marine. A la fin avril vous devriez être prêts pour la traversée. Vous partirez de Blaye, et vous
naviguerez en quittant l'estuaire de la Gironde sous le couvert de l'escadre de M. d'Aubigny. Au-delà vous hisserez
C A R T E R E D U I T E ^
-D U G L O B E T E R R E S T R E
"Archives nationales - CAOM. Tous droits de reproductions réservés."
le pavillon anglais jusqu'à Cayenne où vous vous ferez reconnaître. Nous sommes en période de vents favorables.
La traversée devrait durer aux alentours de deux mois. A la fin juillet, vous devriez être à pied d'oeuvre. Parmi les
hôtes de marque vous aurez Monsieur Louis Thomas Jacau de Fiedmont ayant déjà servi au Canada comme
capitaine et qui vient d'être nommé, avec le brevet de lieutenant-colonel, commandant de l'artillerie de Cayenne.
Passionné par les indiens, son expérience canadienne vous sera très utile; Monsieur Fusée d'Aublet pharmacien
militaire et botaniste, dont on pourra tirer un grand parti pour l'histoire naturelle; Monsieur Mentelle capitaine
d'infanterie, ingénieur géographe et spécialiste cartographe, sera chargé des levés topographiques de Guyane
demandés depuis si longtemps par le Roi, ainsi que Monsieur Dessingy également géographe. J'oubliais bien sûr,
Monsieur Morisse votre futur intendant. Monsieur Giraud ancien marin de prises, actuellement planteur à Cayenne
sera également des vôtres. Le roi a accepté son passage car il est de ceux qui connaissent le mieux la Guyane. Pour
des impératifs de discrétion surtout en cas de capture par les Anglais chacun de vous a reçu une mission personnelle
secrète. J'interdis, par ordre de Monsieur de Choiseul l'emport de tout document rappelant vos missions.
Messieurs, je vous souhaite bon vent et bonne chance dans ce que nous appellerons tous désormais une simple
opération de relève".
Saluant brièvement, l'intendant Ruiz quitta hâtivement le bateau sans que sa présence interrompit un instant
les opérations de chargement. Restés seuls, le Capitaine et Béhague méditèrent un long moment. Tout n'était pas
clair dans cette mission. Ruiz n'avait pas pu tout dire et surtout une interrogation demeurait sur la présence de
Fusée d'Aublet. Enfin cette traversée serait dangereuse : le "Patriote" ce bâtiment de commerce déguisé en Anglais
et transportant des troupes et de l'armement ne risquait-il pas d'aller rapidement par le fond ?
En fait tout ce secret convenait parfaitement pour débarquer dans une colonie française, montrant une situation
pour le moins confuse marquée par l'indifférence voire l'oubli de la métropole. Depuis 1760 Monsieur d'Orvilliers,
le gouverneur et Monsieur Lemoine son intendant n'avaient reçu aucune lettre du ministre. La colonie manquait
d'argent et de crédit. Elle devait acheter des piastres en Hollande pour faire son commerce. D'ailleurs depuis la
guerre, le ravitaillement de Cayenne venait en fraude à travers la surveillance anglaise, par le biais de marchands
hollandais et surtout de la veuve Hamilton, qui tenait un commerce à Rotterdam. Depuis quelques années les
farines à destination des îles étaient envoyées par l'intendance de Rochefort dans des bateaux battant pavillon
hollandais à destination de l'île de Saint-Eustache, située à 180 km au Nord de la Guadeloupe. Monsieur Lainé,
commerçant, s'y était installé depuis la prise de Louisbourg en 1757 et il possédait un brevet de commissaire de
marine qui lui permettait de commercer au nom de l'intendance de la marine. Il avait ainsi ravitaillé nos colonies
en farines depuis le début de la guerre. Les Anglais découvrant la supercherie bloquèrent dans le port d'Antigua
40 navires hollandais se livrant à ce commerce et s'emparèrent de leurs cargaisons. Ce marché
d'approvisionnement avait été interrompu en 1761.
La confusion régnait également à Cayenne où, officiers et soldats vivaient dans la misère, souffraient du
manque de fonds et de vivres, et du manque d'effectifs provoqué par les nombreux décès dus aux conditions de
vie. Pour échapper à cet état beaucoup demandaient un congé absolu qui permettait de quitter l'armée, et de
s'installer pour remplacer les habitants décédés. Les hommes embarqués sur "le Patriote" seraient donc les
bienvenus. Mais un retour d'intérêt de la France pour la Guyane, pourrait s'il était découvert réactiver également
celui des Anglais. La France n'était pas en mesure de reprendre l'initiative par la force.
Sur le pont le brouhaha s'apaisait progressivement. Le lourd navire, les cales pleines, se balançait doucement
sur la houle montante sans déranger nos deux personnages qui méditaient devant un drapeau anglais.
Dès l'aube, le navire appareilla pour la descente de la Charente. Naviguant avec le courant puis en final avant
de sortir de l'estuaire à la cordelle. Il devait éviter les nombreuses gabares surchargées qui s'affairaient d'un bord
à l'autre de la rivière. Faute de pont, toutes sortes de denrées transitaient d'une rive à l'autre : farine, boeuf salé,
bois, pierres de taille, fûts et futailles aux contenus des plus variés et même...des mâts de bateau destinés à la fosse
du Vergerou où ils étaient conservés dans l'eau. Certaines gabares tiraient des chapelets de morues dans leur sillage
afin de les dessaler. On fit le plein d'eau douce à la fontaine Lupin.
Les gardes marines et les corvées d'habitants chargés de tirer la cordelle pestaient dès le matin contre
l'étroitesse des planches qui permettaient de franchir les coupures du chemin de halage, car ceux qui tombaient à
l'eau risquaient la fluxion de poitrine.
Au large de l'île Madame la vigie signala des voiles à tribord à hauteur de l'île d'Aix. Mais l'émotion suscitée
par cette présence suspecte retomba bien vite. Ce n'était que M. de la Touche-Tréville, qui assurait avec ponctualité
la garde des côtes.
Le "Patriote" mit cap au sud avec un vent favorable qui allait faciliter la manoeuvre dans le Pertuis de
Maumusson réputé difficile. Il marchait bien vent arrière et grand largue. Cette qualité, la plus nécessaire, était
attribuée au placement du lest de fer composé des boulets de canons embarqués à Rochefort. En effet ceux-ci,
placés sur les ailes, lui donnaient une meilleure stabilité, et évitaient l'enfoncement de l'arrière donc une moindre
différence pour le tirant d'eau. Le vaisseau était un grand rouleur, la vue de la quille l'aurait confirmé. Ses
mouvements étaient très doux sans fatiguer la mâture, il pliait un peu mais la hauteur de ses mâts y contribuait. Il
se gouvernait très bien pour arriver ou pour venir au vent.
Une voie d'eau donnait dans la fosse aux lions un pouce d'eau par jour. Elle était due à quelques piqûres de
vers dans le doublage du vaisseau, et à une faiblesse du calfatage. Certes le mastic, inventé par monsieur Martin,
avait été utilisé pour la première fois et certains matelots se plaignaient de l'odeur. Ils disaient qu'il y avait certaines
drogues qui entraient dans sa composition et rendaient soi-disant malade. Le grand mât avait du jeu vers le racage.
Le bruit qu'il faisait toutes les fois que l'on virait de bord ou qu'on brassaillait la grande vergue faisait croire qu'il
allait se casser. Mais ce n'était qu'illusion car lorsqu'il pleuvait on n'entendait pas le même bruit.
A la nuit tombante, le bâtiment doubla Cordouan et s'engagea dans l'estuaire de la Gironde. Quelques lumières,
discrètes comme des feux follets marquaient la côte et permettaient, sans risque, d'assurer le cap. Il jeta l'ancre
juste après la pointe de Grave, à l'abri du Verdon. Le surlendemain seulement il accosta dans le port de Bordeaux
où le capitaine fut accueilli par M. d'Aubenton commissaire de la marine. Il facilita beaucoup les opérations de
chargement, et lui permit de partir rapidement pour Blaye. L'embarquement des derniers passagers se fit sous un
ciel bleu et par un chaud soleil de printemps.
Rapidement, le commandant fit mettre à la voile pour profiter des vents favorables du moment. Il ne tenait pas
à s'attarder dans ces passes que les Anglais surveillaient assez étroitement.
Profitant des eaux calmes de la Gironde, Béhague rassembla à la table du commandant les hôtes de marque.
"Le voyage risque d'être long, dit-il, afin de faire connaissance je vous propose de vous présenter chacun à
votre tour, cela facilitera nos rapports. Souffrez d'abord que je remercie le seul maître ici après Dieu, M.
Moinardie, capitaine de ce navire dont la longue expérience de marin et de capitaine est une assurance du succès
de notre traversée. Quant à moi je suis lieutenant-colonel réformé des dragons et comme beaucoup d'entre vous
j'ai obtenu du Roi un poste à Cayenne, nous aurons bien l'occasion de nous y rencontrer".
Il parut un peu froid au premier abord, plutôt mystérieux, peut-être comme un militaire doit l'être en de
pareilles circonstances mais la brièveté de ses paroles impressionna l'assistance.
En imitant Béhague, mais d'un ton doux, Monsieur de Fiedmont parla de ses origines acadiennes, mais était-
ce nécessaire que ce héros de la défense du fort de Beauséjour et des Plaines d'Abraham au Canada se fasse
connaître ? Cet homme intelligent rempli de tact et de diplomatie, ne laissa pas indifférent ; même si certains
avaient vu en lui un personnage plutôt orgueilleux et pointilleux sur l'honneur.
Fusée d'Aublet prit la parole à son tour.
"Je suis né à Salon en 1723, pharmacien, fils de pharmacien, j'ai fait mes études à Montpellier et je suis un ami
intime de monsieur de Jussieu. J'ai débuté comme pharmacien militaire, puis de 1752 à 1762 j'ai été directeur de
la pharmacie de la Compagnie des Indes à l'île de France, où j'ai créé le jardin botanique de Pamplemousse. J'en
reviens un peu déçu car j'y ai englouti d'énormes sommes d'argent et je n'ai jamais été payé de mes frais".'
Sentant l'atmosphère se tendre Morisse préféra limiter ses propos et dit :
"J'appartiens à la marine et je dois remplacer Monsieur Lemoine ordonnateur".
Un jeune et fringant jeune homme à la figure aimable et au commerce doux prit la parole à son tour. "Je suis
le lieutenant Benoit, fils de Pierre et de Dame Jacau, le lieutenant-colonel Jacau de Fiedmont est mon oncle, je
suis né en octobre 1736. En 1746 j'étais comme cadet à l'île Royale au fort de Rochefort. Nommé en avril 1754
enseigne en second et, enseigne en pied en 1755, j'ai été employé dans l'artillerie à l'Ile Royale en 1757, fait
prisonnier par les Anglais en 1758 et libéré en 1760. Je commande le piquet de Bigorre".
Trois autres civils se présentèrent : Simon Mentelle désigné comme arpenteur et chargé d'établir les levées
topographiques de la Guyane afin d'établir les cartes demandées par le roi avec Dessingy. Puis monsieur Giraud
termina les présentations : "Je suis planteur à Cayenne et ancien capitaine de prise du vaisseau "la Catherine", j'ai
beaucoup voyagé en Egypte en particulier. Je suis natif de Mou en Provence dans le Diocèse de Sisteron.
Dès que j'arriverai à Cayenne, j'épouserai Marie-Rose Lablanche, créole de cette colonie, j'habite la rivière
d'Oyac".
Béhague reprit la parole.
"Je vous remercie, Messieurs. Nous aurons l'occasion de nous réunir de nouveau afin de profiter de
l'expérience de ceux qui ont vécu en Guyane. J'aimerais que Monsieur Duvillard aumônier des vaisseaux du Roi
nous donne sa bénédiction. Messieurs, à la grâce de Dieu".
D e s c r i p t i o n g é o g r a p h i q u e d e l a G u y a n e p a r l e s c o n t e m p o r a i n s d u 18e s i è c l e :
Située au nord-est de l'Amérique du Sud, la Guyane est enclavée entre le Brésil et le Surinam ou Guyane
hollandaise, à mi-chemin entre le tropique du Cancer et l'Equateur. Son rivage forme pratiquement une ligne
1 Personnage également contesté, il était considéré comme un intrigant et le Comte d'Estaing disait de lui : "homme unique dans son
espèce, fanatique pour tout ce qui regarde son métier et aussi instruit que singulier. Il s'était attaché à moi en Asie presque autant qu'il l'est à
M. de Bombarde qui l'avait élevé". Behague le considérait comme un homme dont on pouvait tirer un grand parti pour l'histoire naturelle :
curieux, ardent, entreprenant et infatigable, mais "pas aisé à manier", il devrait être contenu, sous peine "de démêlés et de tracasseries". De
plus un doute planait sur sa mission réelle.
continue de terrains noyés qui s'ouvre de temps à autre sur des estuaires de fleuves dont les bords sont enchevêtrés
de racines aériennes qui poussent à côté des troncs des palétuviers. Cela offre une précieuse défense contre les
attaques ennemies, mais c'est aussi un obstacle aux communications et un danger pour les navires en quête d'abri.
Le climat bercé par les alizés qui amènent, à leur rythme, le flot de pluie en alternance avec les rayons du soleil,
et qui favorise une végétation luxuriante. La fraîcheur est entretenue par les brises quasi permanentes. Les nuits
spnt toujours égales aux jours, et souvent mouillées au petit matin d'une légère rosée qui se transforme parfois en
brouillard. La pluviométrie annuelle varie de 2,5 mètres en bordure de la côte à 4 mètres à l'intérieur des terres.
Les saisons permettent de faire deux récoltes par an, avec une saison sèche bien marquée à peu près du 15 juillet
à fin novembre, et un petit été de février à mars. En règle générale la température atteint un maximum de 33° et
un minimum de 20°. Le relief à l'intérieur des terres est dit "en peau d'orange"; la hauteur ne dépasse pas
quelques centaines de mètres. En bordure de l'océan, la plaine paralique formé une bande allant de 5 à 10
kilomètres de large. La côte subit l'envasement et le dés envasement périodiques des boues de l'Amazone à un
rythme irrégulier au cours des siècles et laisse parfois paraître de belles plages de sable. Ce littoral protégé par
les palétuviers se forme et se déforme au même rythme, les colons n'ont pas cru bon de s'y établir Ecran bien
souvent impénétrable hormis la coupure des cours deau, il prolonge la forêt dense de l'intérieur. Les fleuves aux
débits réguliers à l'estuaire facilitent avec la rencontre du flot, la modification des bancs de sable vaseux à fleur
d'eau ou caye2. Ils créent parfois un courant violent et dangereux qui modifie les hauts fonds. A l'intérieur des
terres, les criques ou petites rivières deviennent après la pluie des torrents et leurs abords immédiats ne peuvènt
être cultivés, le risque d'inondation et la présence des palétuviers marque la limite,
La Guyane est réputée isolée géographiquement car il n'existe pratiquement pas ,de bon port malgré l'absence
de tornades ou cyclones. Les navires jaugeant plus de 300 tonneaux ne peuvent se permettre d'entrer dans les
estuaires et doivent se tenir à plus de 5 lieues au large. On ne peut s'aventurer au-delà de 15 ou 20 lieues dans
les rivières à cause des roches dures qui barrent le lit des fleuves, on appelle ces obstacles des sauts. Au-delà de
ces sauts, toute reconnaissance ne peut se faire qu'à pied. Au cours de &ïpremière moitié du 18e siècle on a tenté
de relier les criques entrent elles pour faciliter les déplacements. Ainsi Kourou aurait dû être relié à l'Oyapock,
mais le manque de main-d'oeuvre et le coût élevé des travaux firent renoncer les plus courageux.
La bande côtière de littoral occupée par des alluvions de l'Amazone et des palétuviers, constitue en certains
endroits une masse "tremblante" qui forme un îlot de bois, de boue et de sable. Par l'action du temps la canne à
sucre y trouve un excellent fond, ce qui a procuré une petite fortune aux colons les plus audacieux et courageux,
en cultivant les terres dites "basses". Par la suite, elle est devenue par force le champ obligé de la colonisation.
Le colon y vit bien s'il adopte un style de vie orJoMMe.' Les garnisons de Guyane ont une mortalité modérée
par rapport aux autres colonies. Le climat procure de douces sensations de bien-être mais devient un péril pour
les amateurs de mouvements immodérés, de repos, de femmes et de bonne chère. Les facilités d'une nature
généreuse que le pays procure peuvent dispenser la population d'un travail assidu.
La ville de Cayenne se situe au centre de ce littoral. Elle partage la Guyane en deux, le Nord et le Sud : Les
communications y sont différentes.
Dans la partie nord allant de Cayenne au Maroni, la côte est praticable à peu près partout, en cas de naufrage
elle offre tous les secours, elle possède le seul port possible aux Iles du Diable facilement aménageable. Cette côte
s'est bien modifiée depuis par envasement.
L'embouchure de la rivière de Sinnamary est changeante, d'ordinaire elle accueille les bâtiments de 8 à 9 pieds
de tirant d'eau, quelquefois ceux de 10 pieds peuvent y venir.
Mais la vallée de la Sinnamary l'emporte sur toutes celles de la Guyane pour la beauté et la fertilité de ses
terres. Le sol ferme se trouve dès la fin de la mer et les terres sont basses sans être noyées. La terre des plaines
est légère, les couches sont assez profondes, mêlées de sable et de terreau. Ainsi le coton est plus pur dans le Nord
car lorsqu'il tombe sur le sable il ne se salit pas. La partie nord est moins pluvieuse que celle du sud.
Il est assez aisé de remonter du Maroni à Cayenne en tirant des bords, en tous temps quel que soit le vent, et
même malgré les courants contraires. La partie nord est plus poissonneuse que la partie sud il en va de même
pour le gibier. Un- homme armé est sûr de trouver des vivres. La côte abonde de tortues. Les prairies sont
excellentes et c'est la partie Nord qui fournit la viande à Cayenne. Les côtes sont plus faciles à défendre et
l'ennemi serait pris avant d'attaquer.
Dans la partie sud les côtes ne sont que fondrières, vases et palétuviers, d'un abord impraticable pour ceux
qui auraient le malheur de faire naufrage, l'espace de cette côte entre Approuague et Oyapock s'appelle le
"cimetière des Français". Elle est sans port. Les marchandises ne sont déchargées qu'en rade foraine. Les
vaisseaux qui entrent dans la rivière de Cayenne sont obligés par vent du nord de, rester 2 ou 3 mois sans pouvoir
sortir. Pour trouver la terre ferme en bordures des rivières, il faut les remonter de 6 ou 7 lieues. La partie sùd est
appelée "pot de chambre de la Guyane". Il y pleut davantage et les terres sont plus grasses, de meilleure qualité.
Il est très difficile de descendre à la voile de Cayenne à Approuague et Oyapock. Il n'est pas possible d'y aller -par
terre, l'ancien chemin des Hollandais est perdu depuis longtemps.
Le voyage
Un vent frais de norois semblait jouer avec les voiles du "Patriote" dont la marche était brusquement tombée
à moins de cinq noeuds. Malgré l'inquiétude du capitaine, pressé de se mettre à l'abri des frégates anglaises surtout
depuis que leur compagnon de voyage, un convoi pour la Louisiane, les avait quittés pour faire route légèrement
plus au nord, un certain soulagement s'était emparé des passagers. L'Atlantique leur avait, dès le lendemain de leur
départ, réservé un accueil mouvementé; de grains en coups de tabac, de mer démontée en tempête. Monsieur de
Béhague avait eu le plus grand mal à regrouper autour de lui ses collaborateurs qui, comme la majorité des
Français de l'époque, ignoraient tout de la Guyane et étaient désireux de s'instruire au plus tôt.
Le premier repas, servi dans des conditions normales, regroupa les passagers et les officiers du navire sur le
pont supérieur où l'on avait dressé une table pour l'occasion. Malgré la fraîcheur, chacun respirait à pleins
poumons et se laissait aller aux plaisirs de la table. Quelques poulets embarqués vivants à Rochefort avaient fait
les frais de ces agapes, ainsi que quelques poissons venus s'échouer sur le pont et ramassés par les matelots. A la
lumière vacillante de trois lampes à huile, le repas s'achevait dans l'allégresse générale lorsque plusieurs voix
s'élevèrent pour demander à Béhague et au capitaine des précisions sur la Guyane et la vie que l'on y menait.
"Messieurs, Messieurs, il serait mal venu que je m'exprime sur la Guyane devant les deux experts que sont
messieurs Moinardie et Giraud. Puisque le sujet semble d'actualité nous pourrions peut-être leur laisser la parole.
Monsieur Giraud êtes-vous prêt ?
- Bien entendu, d'ailleurs j'avais un peu prévu cet interrogatoire, au point d'avoir préparé un bref historique que
je peux vous donner tout de suite.
- Nous vous en prions et vous en remercions d'avance", dit Béhague en ajoutant que chacun pourrait interroger
l'orateur à son gré.
"On ne connaît pas la date exacte de la découverte de la Guyane, expliqua Giraud, ni à qui l'attribuer... Elle se
situe vraisemblablement une cinquantaine d'années après l'arrivée de Christophe Colomb en Amérique.
- Ce qui nous situerait vers 1550, précisa le Capitaine Moinardie.
- Sans doute. On sait seulement que de hardis navigateurs de toutes nationalités venaient y chercher du bois et
faire du troc avec les indiens... sans compter l'espoir d'y découvrir l'Eldorado et le trésor du roi des Incas caché
dans le soi-disant lac de "Parimé". La création des compagnies maritimes au 17e siècle par Richelieu avec le
monopole de l'exploitation du commerce mit un peu d'ordre. Mais les zones concédées où s'exerçait le monopole,
s'étendaient bien souvent de la Guyane au Canada et ne permettaient pas à des particuliers, regroupés en sociétés,
de posséder les moyens suffisants pour établir les bases puissantes d'une colonie naissante. La première créée sous
ce nom fut la compagnie de Saint-Christophe en 1626, appelée plus tard compagnie des Iles d'Amérique, elle vit
son monopole se renouveler deux fois en 1635 et en 1642. Elle vendit ses possessions entre 1649 et 1651.
- N'est-ce pas à cette époque, questionna le Capitaine Moinardie que vécut le lyonnais Chantail ?
- Bien sûr, en 1624 exactement il planta le premier pavillon français à Saint-Christophe. On lui doit la première
tentative de colonisation en Guyane. Il y vint, avec ses parents, Guiry et Serrant et le Normand Chambaut. Ils
s'installèrent sur les rives du Sinnamary, petite rivière située à vingt lieues à nord-ouest de Cayenne. En cette
même année, Burgau, officier de milice à Saint-Christophe, s'était mis à la tête de plusieurs habitants de cette île
pour se soulever contre le Commandeur de Poinci. N'ayant pu arriver à ses fins, il se sauva avec plusieurs
habitants. Beaucoup se réfugièrent vers Sinnamary, où ils savaient pouvoir trouver quelques-uns des Français
établis auparavant.
- Est-ce là que naquit Madame de Maintenon ? s'enquit Monsieur Fusée D'Aublet un sourire narquois sur les
lèvres.
Toute l'assemblée s'esclaffa et des yeux interrogateurs se posèrent sur le pharmacien du Roi ... qui crut devoir
préciser qu'il tenait cette information de Monsieur Artur1. "Si comme quelques historiens le disent et comme je
l'ai entendu dire par plusieurs habitants de Cayenne, Madame de Maintenon est née à Cayenne, ce fut parmi ces
gens-là. Son père et sa mère purent bien y aborder et, elle, y naître".
- J'étais au courant, reprit Monsieur Giraud, la tradition orale situe cette naissance non à Sinnamary mais à
Il n'est pas tenu compte dans cette liste des dates de délivrance du brevet et de l'enregistrement, seulement des
dates de réception ou d'occupation effective du poste. Seule l'année est précisée.
Gouverneurs entre 1667 et 1705 : (le poste d'ordonnateur n'était pas créé).
1667 à 1668 M. de Lézy, commandant à Cayenne
1668 à 1670 M. Antoine Lefebvre de la Barre, lieutenant général
1673 à 1679 M. Cyprien Lefebvre de la Barre chevalier de Lézy, gouverneur, frère du précèdent.
1679 à 1684 M. Pierre Eléonore de Férolles, commandant.
1684 à 1687 M. Pierre de Sainte Marthe, gouverneur.
1687 à 1688 M. Pierre Eléonore de Férolles, gouverneur par intérim.
1688 à 1691 M. François Lefebvre de la Barre, gouverneur, mort en 1691.
1691 à 1705 M. Pierre Eléonore marquis de Férolles, lieutenant général aux îles et gouverneur, mort à Cayenne le 5 août 1705. Il fut
1 remplacé du 5 janvier 1700 à fin 1701 par Rémy Guillouet d'Orvilliers, lieutenant du Roi.
- "Je pourrais également vous citer les noms de mes prédécesseurs, compléta Morisse, il y a un commissaire-
ordonnateur à Cayenne depuis 1712. Monsieur Lefebvre seigneur d'Albon
- Qui en fait exerçait officieusement cette charge depuis 1706 et il en fut titulaire pendant 40 ans.
- Superbe longévité !
-Je sais aussi que depuis 1704, il y a toujours eu deux notaires en Guyane. Les greffiers du conseil supérieur
étaient d'ordinaire mandatés pour cette charge.
- Monsieur de Béhague, connaissez-vous Monsieur de Préfontaine, interrogea Monsieur Moinardie. Il aurait
d'après Monsieur de Saint-Michel Dunezat, fils d'un officier de la Marine Royale, des idées particulières sur la
colonie et se préparerait à proposer au ministre un projet de colonisation.
- Pas du tout, Monsieur le Capitaine, Monsieur Lemoine ordonnateur en titre à Cayenne n'en dit pas du mal.
Car il paraît, qu'il a sauvé son épouse du naufrage à hauteur des îlets de Sinnamary, où son bateau qui la ramenait
de la Martinique avait sombré. Feu Monsieur Dunezat père, qui commandait les troupes semblait plus partagé sur
cet officier, il a fait beaucoup parlé de lui dans les bureaux parisiens. Il paraît que cette affaire ennuie extrêmement
notre Ministre !
- Moi aussi, renchérit Monsieur Giraud. Il ne jouit pas dans la population d'une estime unanime. Je me
souviens d'avoir entendu dire à Monsieur Dunezat en le voyant passer en pirogue le long de son habitation,
"regardez ce fol dans quel accoutrement il va". Il paraît que les Nègres marrons réfugiés dans les bois "se sont
j u r é de boire dans son crâne". Monsieur d'Orvilliers, notre gouverneur, a fait part plusieurs fois de ses inquiétudes4
au ministre à son sujet et de plus il parait que Préfontaine osait écrire au ministre directement5, il portait des
plaintes au sujet de tout. Enfin le plus grave, c'est que pour se blanchir, il aurait écrit une fausse lettre en lieu et
place de Monsieur Dunezat, tout le monde à Cayenne en est convaincu. Cette attitude est indigne mais donne une
juste idée de ce personnage qui a mis à profit ses talents de dessinateur. Il n'a jamais avoué la vérité pas même au
ministre. En bref cet individu n'est pas de mes amis, car c'est un faussaire.
- Puisque nous approchons du but, Monsieur Moinardie pouvez-vous nous décrire les conditions de notre
arrivée à Cayenne ?
- Depuis longtemps les navigateurs redoutent l'arrivée à Cayenne. La crainte réside dans le fait de manquer son
atterrage : soit trop long ou trop court et parfois de sombrer ou de dériver sur ces hauts fonds possédant des écueils
dangereux. Si l'on arrive trop court en virant de bord à temps on peut repartir. Par contre, trop long il est préférable
d'aller à la Martinique et de revenir par la suite. Manoeuvrer devient très difficile avec les vents contraires, on ne
peut appareiller que dans le cours du jusant ou sur la fin du flot, encore pour le faire, faut-il "dessaler" à l'ancre.
Cayenne est située par la latitude septentrionale de 4 degrés 56 minutes et la longitude de 54 degrés 56 minutes
à l'occident du méridien de Paris. Suivant les périodes de l'année, il faut atterrer entre les 2°, 3° voire 4° degré de
latitude en fonction du vent qui règne sur la côte.
Durant les mois de janvier, février et mars, les vents varient du Nord à l'Est-Nord-Est et le temps est beau. C'est
la saison qu'il convient de choisir pour remonter des Iles du Vent à Cayenne. Il faut faire attention car avec des
vents de nord-est on atterre entre le cap de Cassipour et le cap d'Orange.
Aux mois d'avril, mai, juin, les vents sont variables de l'Est au Sud-Est. Le temps est assez beau mais souvent
pluvieux avec de fortes rafales.
Dans les mois de juillet, août et septembre, ils soufflent du Sud jusqu'au Sud-Ouest, c'est la saison des vents
secs, des orages.
En octobre, novembre et décembre, de fortes pluies peuvent revenir, le temps est souvent couvert. Parfois le
vent vire au Nord à la fin de l'année.
Depuis que nous avons doublé les îles du Cap Vert, à cause des courants atlantique je dois ajouter chaque jour
4 lieues à l'estime de la route parcourue".
Tout à coup, la vigie signala "terre à bâbord "6. Tout le monde se précipita, mais déception de tous, on
distinguait à peine, à l'horizon une ligne moins droite. En reprenant la parole Monsieur Moinardie, un sourire aux
lèvres et avec une satisfaction de soulagement s'écria - "C'est la plateforme du mont de Mayée sur la côte du
Brésil, nous sommes au bon cap. Maintenant nous allons naviguer à la sonde car c'est la hauteur d'eau qui va fixer
notre atterrage sur les côtes de Guyane. Nous n'allons pas tarder à doubler le cap de Cassipour, il ne faut pas en
approcher car le fond diminue vite, de quinze à six ou sept brasses d'eau, nous serions en danger".
On vit pourtant le bateau serrer davantage la terre.
- "C'est pour prendre connaissance de deux monts séparés de la chaîne de montagne. L'un porte le nom de
montagne d'Argent, d'ailleurs vous allez la reconnaître facilement, couverte de bois canon, les feuilles scintillent
au soleil en faisant des lueurs d'argent, et l'autre, le mont Lucas. A partir de là, les collines forment presque une
chaîne continue non loin du rivage. Après cette reconnaissance le navire reste par huit, neuf, dix brasses d'eau pour
aller chercher le grand Connétable en gouvernant au Nord-Ouest. Normalement il est visible à dix lieues, il ne faut
surtout pas l'aborder par le Nord-Ouest car ce rocher porte une batture7. Elle se prolonge à une lieue dans le Nord-
Ouest et quelques navires hollandais l'ont appris à leur dépends. Si la nuit ou le calme nous surprend avant
d'espérer doubler le Connétable il faudra prendre le parti de mouiller à trois ou quatre lieues de ce rocher. A sa
proximité lorsque la marée étale, un fort courant changeant entraîne invinciblement en direction du grand
Connétable ceux qui s'y trouvent, même si l'on est à l'ancre, car la tenue des fonds n'est pas bonne. Dans tous les
cas il est préférable de passer entre la terre et le petit Connétable. On gouverne après cette batture à l'Ouest Nord-
Les Jésuites
Les nuages se dissipèrent dans la nuit. "Le Patriote" naviguait lentement tandis que les navires de son escorte
occasionnelle, le convoi pour la Louisiane, toujours à quelques milles en avant apparaissaient puis disparaissaient
au gré des vagues. Cela faisait maintenant plusieurs semaines qu'ils étaient en route.
En ce début juillet le déjeuner avait été frugal et peu animé. Tout juste avait-on pu noter un bref aparté entre
Fusée d'Aublet et Giraud. D'ailleurs aussitôt le repas terminé chacun regagna sa couchette.
Ce fut Giraud qui prit l'initiative de venir retrouver Fusée d'Aublet chez lui. Les paroles dures que ce dernier
avait prononcé sur les Jésuites le travaillaient. Il connaissait les nombreux griefs des uns et des autres mais il lui
avait toujours semblé que le bilan d'un siècle avait été largement positif.
Fusée d'Aublet, au demeurant très étonné de cette visite, confirma sans ambages la mission confiée par le
ministre et commença par une longue diatribe contre les Jésuites en général.
"La Société de Jésus, dit-il, se compose de cinq classes :
Les novices font des voeux simples après deux années de probation. Les frères convers, s'occupent des
questions matérielles dans les communautés. S'ils sont méritants ils deviennent des écoliers approuvés et sont
envoyés dans des collèges pour apprendre les langues et pour les enseigner par la suite. Les profès, âgés d'au
moins 33 ans, prononcent les 3 voeux : de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Certains prononcent un quatrième
voeu, celui d'obéissance au pape, ils sont davantage engagés dans l'apostolat, se sont les profès des 4 voeux.
Tous les jésuites obéissent à un chef unique, le général. Par leur formation et leur intégration dans la
population, ils savent tout, connaissent tout sur la vie des habitants. Ils détiennent dans leurs mains cette puissance
qui permet au nom de la morale de tout diriger, régenter et qui peut aller jusqu'à la contrainte physique et
financière. D'ailleurs depuis 1700, ils ont suscité à Cayenne et ailleurs bien des critiques. Ils ont été longtemps
protégés par le roi et les diverses plaintes à leur encontre n'ont jamais abouti.
- Non Monsieur, s'exclama Giraud, avec tout le respect que je vous dois, laissez à un habitant de la Guyane et
à un chrétien la possibilité de vous contredire. J'ai été comme vous le témoin de certaines exactions, nous pourrons
y revenir tout à l'heure; mais je puis vous affirmer qu'ils ont attiré les Indiens, puis les esclaves, au christianisme,
ils ont ainsi prévenu le choc dangereux entre maîtres et serviteurs. Adversaires déclarés de l'esclavage, ils n'ont pu
s'y opposer mais ils se sont efforcés d'améliorer le sort des Noirs qui, bien qu'esclaves, eurent désormais le droit
à une sépulture décente dans un lieu sacré. De plus ils combattent les superstitions et en particulier les pyayes'.
Les colons leur manifestent amour et confiance, certains en tirent même profit quitte à les critiquer ensuite.
- Nierez-vous, Monsieur Giraud, qu'ils soient les plus gros propriétaires terriens de la colonie ? Il paraît que le
haut lieu de la présence des Jésuites à Cayenne est une demeure imposante sur la montagne de Rémire, construite
en partie en pierre du pays et appelée du nom de leur créateur, Saint Ignace de Loyola. J'y ajouterai à Cayenne
la magnifique résidence du père supérieur.
- Certes Monsieur, mais cette demeure sera aussi la vôtre car vous y passerez vos premières nuits, c'est aussi
un lieu d'accueil ! Dans l'île de Cayenne, ils possèdent une partie de la montagne de Rémire et la plaine
environnante.
D'autre part hors de Cayenne il ne faut pas confondre mission et concession. Les Jésuites ne possèdent pas la
terre dans les missions. Elles n'ont pour objet que d'évangéliser les Indiens et de leur permettre de s'installer. Celles
de l'Oyapock sont à l'abri du fort Saint-Louis. Les incursions fréquentes des Portugais et des "traiteurs "2 rendent
cette zone peu sûre. A l'Ouest, elles sont isolées, le danger y est moindre.
- J'ai bien compris, M. Giraud, est-ce bien ainsi que travaillait le père Lombard ?
- Le père Pierre Lombard arriva à Cayenne en 1709 après avoir été professeur de rhétorique au collège
d'Avignon. A l'issue d'une tentative avortée à Iccarouabo, il décida de s'installer à Kourou, le chef-lieu des nations
indiennes. Il organisa sa mission de manière à rassembler les Indiens errants. Il leur apprenait à travailler la terre
pour assurer leur subsistance, les Indiens assistaient deux fois par jour au cours d'instruction religieuse et le soir
le père contrôlait leurs connaissances. A l'issue de cette période, dès qu'ils étaient prêts et pour ceux qui le
1 Pratiques, actes de sorcellerie.
2 Personnes qui faisaient du commerce avec les Indiens. Négriers.
demandaient, en grande pompe, le baptême leur était donné. Quand ils devenaient capables de travailler dans
l'indépendance, ils s'installaient à proximité de la mission et vendaient aux pères leurs produits. La présence de la
mission pour eux fut salutaire, car le père Lombard en avait obtenu l'interdiction d'accès aux blancs. En effet,
livrés à eux-mêmes et à leur contact ils seraient retombés dans les errements antérieurs et auraient sombré de
nouveau dans l'alcoolisme et l'esclavage.
- Je sais aussi, monsieur Giraud, que certains Jésuites prirent position pour les Indiens contre les blancs.
- En effet. Cette histoire est connue sous le nom de guerre des Arouas. Au début du siècle le long de la côte
du Mahury et dans ses alentours demeuraient quelques familles indiennes habituées aux blancs. Elles vivaient en
bonne harmonie jusqu'au jour où, en 1705 quatre Français qui se rendaient dans la rivière des Amazones pour y
travailler, furent tués par des Indiens de nation Arouas. Quelque temps après, à Cayenne, une tentative de meurtre
contre un marchand sucrier fut également imputée à leurs frères de même nation3. Aussitôt en mesure de
représailles le gouverneur Férolles les fit arrêter en les attirant dans un piège. Cette action est restée dans l'histoire
sous le nom de "guerre des Arouas". Ils furent alors vendus comme esclaves aux blancs. Les jésuites apprenant la
chose encouragèrent les indiens à déserter et refusèrent de donner la communion de Pâques à ceux qui avaient
participé de près ou de loin à l'affaire. Ainsi madame de Férolles, épouse du gouverneur se vit refuser la
communion pour "propos critiques" à l'égard de la conduite des indiens et surtout pour les agissements de son
mari. Bien qu'elle se défende de "n'être pas débauchée et de vivre comme une religieuse", la sanction fut
maintenue.
- Ne pensez-vous pas que les jésuites empiètent sur les prérogatives du gouverneur ?
- Je me garderais bien de porter un jugement, de même que j'admets certaines exactions.
- Quelles exactions ?
- A Kourou le Père O'Reilly, successeur du Père Lombard tire parti des Indiens. Il vend les produits de leurs
pêche et chasse, des poissons boucanés et des espadons salés, ainsi que du gibier pour 4000 livres par an en faisant
un bénéfice énorme. Il fournit des perruches à l'épouse du gouverneur du Surinam et reçoit par son biais une
gazette imprimée en Hollande. Mais cela ne l'empêche pas d'oeuvrer pour le bien de sa mission, peut-être d'une
manière un peu rude par sa prestance et son air un peu bourru, d'ailleurs ses Indiens l'appellent "balanakiri" c'est
à dire monstre marin.
- Mais où va tout cet argent, monsieur Giraud ?
- Vous savez, monsieur, qu'une mission coûte fort cher. Il faut construire des carbets, fabriquer des pirogues,
entretenir l'église. Et indirectement tout cet argent revient aux Indiens. Je peux vous assurer que les Indiens du
moins ceux qui acceptent l'évangélisation, sont fort heureux sous cette tutelle. Les Jésuites autorisent les Indiens
à pénétrer dans les églises, même peints de roucou et de noir. Des écrits les montrent, ressemblant à des masques
sales et féroces, avec des petits miroirs en bandoulière et un paquet de noyau d'arouara servant de grelots dans
leurs mains. En outre le père O'Reilly fait venir des Indiennes de l'Oyapock pour les marier avec ses esclaves noirs.
Il se fait "banaret" avec les Indiens.
- Banaret ? que voulez vous dire ?.
- Je pense que ce mot tire son origine des petits arbres du genre du palétuvier, dont les multiples racines
aériennes s'entrecroisent et qui, si on les taille, donnent un liquide rougeâtre. A l'identique ils s'entaillent les
poignets, les croisent en les accolants et mélangent leur sang. Mais pour en revenir au père O'Reilly, il faut dire
aussi qu'il est parfois brutal. Il fait travailler ses esclaves noirs, à Kourou, avec un fouet et parfois jusqu'à 11 heures
du soir. Mais le comportement d'un seul ne peut-être imputé à tous.
- Les Jésuites, n'ont-ils pas eu eux-mêmes des esclaves ?.
- Certes oui, mais l'esclavage en Guyane est vécu de différentes manières selon la qualité du propriétaire. Les
différences sont sensibles suivant leur appartenance. On peut classer les esclaves suivant cet ordre décroissant :
les esclaves des Jésuites, les esclaves du Roi, les esclaves des habitants. Les Jésuites n'ont de cesse d'améliorer
leur sort par une instruction et une éducation basée sur la religion. Ils combattent la tyrannie des blancs, mais
également les exactions des noirs, surtout le libertinage et les croyances aux sorciers. Bien souvent ils s'interposent
entre la justice et les esclaves lorsqu'une décision arbitraire est prise. Pour répondre précisément à votre question,
je peux vous dire qu'en 1733, les Jésuites ne devaient pas posséder plus de 100 esclaves suivant l'autorisation du
roi, mais ils en avaient 130, dont plus de 50 infirmes. Leurs esclaves noirs étaient exemptés de taxes, mais
régulièrement ils fournissaient des corvées au profit du Roi. Actuellement le chiffre est plus important. Ils en
possèdent plus de 800 déclarés mais en comptent au moins 1200. Ils achètent les esclaves à l'arrivée des vaisseaux
négriers à Cayenne, choisissent les hommes sains et robustes et les payent bon marché. Ils utilisent les protections
qu'ils possèdent auprès des armateurs pour imposer leur loi. Ils laissent aux habitants les malades et chétifs.
Récemment, une émeute éclata lors de l'arrivée d'un bateau parce qu'ils achetèrent la cargaison complète. Les
femmes des habitants mécontentes accoururent chez les Pères, des torches allumées à la main pour mettre le feu
à leur maison. La troupe aussitôt reçut l'ordre de marcher contre elles et plusieurs furent mises en prison.
- Ce comportement me paraît totalement amoral !, éclata Fusée d'Aublet.
5 Débarcadère.
poste d'ordonnateur à la mort d'Albon en 1746. Il disait : "Les Jésuites sont de mal en pis, leur conduite est criante,
ils sont sur le point d'abîmer le commerce de la colonie. A l'arrivée du dernier négrier, ils ont tenu la rumeur
pendant deux jours. Leurs affaires donnent un préjudice aux intérêts du roi, et le bien public est extrêmement lésé,
leur fixation redouble au point que le Père Fauque a été nommé supérieur et n'a voulu accepter les blâmes, et les
désapprouve hautement, il faut absolument une réforme, un chef prudent, éclairé et ferme". C'est sans doute,
monsieur, le genre de témoignage que vous avez recueilli en France : c'est à mon sens exagéré et ce sont
certainement ceux qui ont profité de leurs largesses qui sont les plus méchants.
- Que voulez-vous dire, Monsieur Giraud ? Expliquez-vous.
- Avec plaisir, Monsieur, car il me serait désagréable de les voir partir. La caisse de la colonie fut souvent vide
et ils furent, et sont encore, les meilleurs bailleurs de fonds. Ils avancent de l'argent certes mais parce qu'ils savent,
au contraire des sociétés, en gagner. Ils se sont emparés du commerce plus par nécessité que par goût du gain. On
leur reproche d'avoir le monopole du cacao, mais s'ils n'avaient pas été là pour financer le voyage de Demontis qui
a mis quatre mois pour découvrir le chemin du cacao, qui l'aurait fait ?. Ils ont aussi celui du sel et des
médicaments qui arrivent à Cayenne... mais qui serait capable d'assurer une distribution régulière et équitable de
ces denrées indispensables ? Preuve de leur sérieux en affaire : les Hollandais préfèrent travailler avec eux.
- Quitte à s'emparer, monsieur Giraud, du gouvernement de la colonie. Il m'a été rapporté qu'aucune décision
ne pouvait être prise sans leur complicité ou leur accord ! Seriez-vous de l'avis de monsieur Macaye ?
- Je connais monsieur Macaye, il n'est pas de mes amis ! Je concède qu'il a défendu les Jésuites car il a été leur
élève. Jeune conseiller au conseil supérieur en 1734 et procureur général en 1742, c'est un magistrat respectable.
Mais je ne suis pas certain que la disparition des Jésuites favorise la vie des habitants de Guyane, de même que
j'approuverai, contrairement à monsieur Macaye, qu'un frein soit mis à leur emprise.
- Je vous remercie de votre franchise, monsieur Giraud. Pouvez-vous me dire leur nombre ?
- Une quinzaine à peine, Monsieur.
- C'est bien peu, en effet, mais il n'empêche qu'ils portent préjudice aux intérêts du Roi et le bien public est
extrêmement lésé. Je dois faire un rapport au ministre sur la situation exacte".
L'entretien était terminé, Giraud quitta Fusée d'Aublet la rage au coeur car il avait bien senti là le poids du
jansénisme sur le gouvernement du roi Louis XV. La guerre était déclarée contre les Jésuites alors qu'ils avaient
assuré jusque-là, le succès d'une colonisation improvisée.
Biographie de Jésuites.
Le père Creuilly est arrivé à Cayenne en 1684. Il visitait avec son canot les habitations accompagné par deux
esclaves. Il partait le lundi revenait en fin de semaine, se nourrissait de poisson et de cassave. Il disait des messes
dans les habitations mais ne donnait le baptême qu'aux persévérants. C'est lui qui ouvrit le chemin des autres
missionnaires. Pour s'imposer chez les indiens il se faisait "Banaret". Il mourut en 1717 après 33 ans de présence.
Le Père Philippe Joseph O'Reilly, naquit à Ardeath en Irlande le 10 décembre 1719. il étudia les lettres à Liège
pendant 2 ans chez les Dominicains et 4 années à Gand chez les Jésuites. Il entra en minorité à Malines le 12
septembre 1741, puis en 1751 il fut envoyé en Guyane. De là, il écrivit en flamand plusieurs lettres à son frère6.
Il vivait à Kourou. Chanvalon dira de lui avec un manque total d'objectivité "est peu estimé, il donne de mauvais
conseils aux ouvriers et paysans et éloigne les Indiens". Il se retira en 1766 en Irlande dans la ville de Cork et
mourut à Dublin le 24 février 1775.
Elseard Fauque, naquit en 1694 à Carpentras. Entré au noviciat en 1711, il enseigna la grammaire au collège
d'Arles. Missionnaire en Guyane à partir de 1717, il fut le premier Jésuite à s'installer sur l'Oyapock. Recteur en
1744, lors de l'attaque d'un corsaire anglais, il vit la destruction de son oeuvre et fut emmené prisonnier. Les
Anglais ayant subi quelques revers le relâchèrent contre rançon à la hauteur de Macouria, après avoir incendié la
sucrerie Gillet. Les lettres "édifiantes" écrites par lui donnent les détails de son enlèvement. Il resta huit ans curé
de la paroisse Saint-Sauveur, c'était l'unique paroisse de Cayenne. Il revint en France le 25 mai 1765 par un
vaisseau de Bayonne, le "Quatre Amis", appartenant à Domengé. Il était accompagné du père O'Reilly et de
quelques autres Jésuites. Les frères Prépaud acheteurs des biens de la société de Jésus, leur avaient versé 150.000
livres pour leur passage en France, une pension alimentaire et leur habillement.
Le Père Carenave, longtemps à Sinnamary devint curé d'Oyapock en 1767. Il reçut également sa subsistance
des Prépaud, par arrangements particuliers; il possédait 7 nègres et 2 négresses. Il mourut en 1768.
Le Père Jean Rullier, un des premiers supérieurs de la mission, eut une fin particulièrement horrible, comme en
témoigna le Père Guyard. "Le 23 novembre 1698, il visitait un champ de cannes à sucre lorsque subitement le feu
s'est déclaré. Surpris par les flammes il est mort sans avoir reçu les derniers sacrements. Le matin il avait fait
comme à son ordinaire après une longue préparation, la messe. Les larmes que les habitants ont versées à son
enterrement et l'empressement qu'ils ont eu à demander de ses habits et des autres choses qui touchait son corps est
Certains d'entre eux ont laissé des lettres adressées à des parents ou des tiers. En voici un répertoire.
Noms des pères Dates des lettres Noms des pères Dates des lettres
Père de St Gilles 1684, 1686 Père de Montville
Père Guyard 1695 Père Panier 1735,1741
Père Lecey 1701 Père Larafinie
Père de Gouze - 1704, 1706, 1711 Père Fauque 1744
Père Lombard 1730, 1732, 1735, 1743 Père de Sacy 11 7 5 0 , 1751, 1752
Père Vilette 1 1733, 1735 - Père O'Reilly 1 1751, 1753, 1754
CHAPITRE 4
Cayenne s'éveillait lentement, une brume légère s'accrochait aux arbres et jouait à cache-cache avec la
montagne du Tigre. Il avait plu abondamment cette nuit du 20 au 21 juillet 1762. Dans chaque habitation les
esclaves commençaient à se rassembler sous les ordres du commandeur, avec son agitation excessive et ses
brutalités. La journée ne serait pas trop chaude et le travail quotidien de défrichement au sabre d'abattis s'annonçait
calme. Une douzaine de cabrouets' prenaient lentement le chemin de terre aux ornières boueuses et bordé de
citronniers pour aller chercher l'eau potable à la source de Baduel.
Une calèche déboucha à l'angle du fort sur l'artère principale de la ville et franchit la porte de Rémire, madame
Baudouin, épouse d'un écrivain de la marine allait comme chaque jour depuis cinq ans, acheter du pain à la
boulangerie du roi située à une demi-lieue à l'extérieur de la place d'armes.
Ce quotidien paisible fut brutalement interrompu par un coup de canon parti du bastion nord du fort, il fut
aussitôt suivi d'un deuxième puis d'un troisième : le cheval de madame Baudouin fit un écart brutal, les esclaves
s'égayèrent sous les citronniers. Un navire suspect, battant pavillon anglais, signalé par la vigie de la montagne au
Tigre venait d'apparaître à 5 milles au large dans la direction du Connétable. Depuis six ans que la guerre avec
l'Angleterre faisait rage, on avait maintes fois envisagé cette éventualité sans jamais toutefois y croire vraiment.
Rapidement la population blanche, noire et indienne envahit les rues, tandis qu'en écho partaient de la propriété
de monsieur Lallemand installé à Macouria, trois nouveaux coups de canon pour avertir les milices et la croisière.
Cette surveillance rapprochée était exercée par "l'Aimable Marie" commandée par le capitaine Duler, marin
bayonnais possédant une grande expérience de la côte guyanaise.
Ce bâtiment mouillé dans une rade foraine des îles du Diable, accusa réception du message et mit aussitôt à la
voile. Sa tâche allait être difficile car il lui fallait remonter contre le vent et le cour?nt vers Cayenne alors que
l'ennemi arrivait obligatoirement poussé par le courant.
Curieusement l'Anglais dont on devinait dans le lointain les voiles, sortait à peine de la brume. Il mit en panne.
Ses voiles s'affaissèrent tandis qu'une chaloupe était mise à l'eau... Drôle d'arrivée pour un ennemi ayant l'intention
de s'emparer de Cayenne !
Tandis que Duler forçait les voiles, la chaloupe évitant soigneusement les nombreux écueils de la côte
guyanaise, s'engagea résolument dans la passe entre les îlets "le Père et la Mère", elle conduisait au dégrad de
l'ilet-la-Mère, à quelques milles de Cayenne. Curieuse arrivée décidément !
L'inquiétude des Guyanais aurait disparu s'ils avaient pu reconnaître la haute stature de monsieur Giraud qui
commandait le détachement de 8 hommes, son expérience d'ancien marin et la connaissance parfaite des lieux
expliquait la maîtrise de la manoeuvre.
En fait si la surprise avait été totale pour les habitants, trompés par le pavillon anglais au mat du "Patriote",
l'inquiétude chez son équipage était aussi forte, ignorant si la colonie était ou non déjà aux mains des Anglais.
Calmant l'angoisse des quelques familles de l'îlet effrayées à la vue du pavillon, Giraud apprit qu'il n'en était rien,
et il les rassura sur sa présence. Sans s'attarder il rejoignit "le Patriote" qui arbora aussitôt sa véritable nationalité.
Il était temps : toutes voiles dehors, Duler tirait le premier bord pour se présenter en position de tir de flanc. C'est
de conserve qu'ils s'engagèrent avec le flot en fin d'après midi dans le chenal de la rivière de Cayenne, au grand
étonnement de la population.
L'accueil n'en fut pas moins chaleureux.
Une foule bigarrée, à moitié nue se pressait sur le quai en bois où était amarrée une goélette en cours de
chargement pour aller ravitailler le poste de l'Oyapock. Plus que la couleur, c'est l'odeur portée par la moiteur de
l'air qui frappa les passagers du "Patriote". Instinctivement, Béhague porta un mouchoir à son visage avant de
s'engager sur l'étroite passerelle que deux matelots venaient d'installer. Ce geste amusa beaucoup Lemoine,
l'ordonnateur et 'Macaye, le président du conseil supérieur, prévenus en toute hâte, et venus officiellement
accueillir les arrivants.
"Bienvenue à Cayenne. Compte tenu de l'heure tardive notre gouverneur, Monsieur d'Orvilliers vous recevra
Ils furent tirés d'un sommeil bien mérité par le vacarme de la rue. Plusieurs roulements de tambours et le bruit
de pas cadencés leur apprirent qu'une chose inhabituelle se passait. La place, en effet, était envahie par la foule.
Hormis la présence de quelques soldats blancs, on voyait surtout des esclaves, ils arpentaient en groupe la terre
rouge détrempée. Le silence se fit lorsqu'un huissier, un papier à la main se hissa sur une estrade et commença la
lecture de la sentence d'exécution d'un jugement du procureur du roi.
- Lecture de la sentence d'Artur conseiller de la cour faisant fonction pour monsieur le procureur général du
roi et de Baudouin conseiller. "Condamne le dit Pierre, nègre esclave du seigneur Dupas de la Mancelière à être
battu de trente coups de verges, dont il recevra, dix coups en sortant de prison, dix au carrefour de la grande rue
et dix à la place du port où il sera mis au caveau pendant deux heures, et marqué d'un f e r chaud sur l'épaule droite
p a r l'exécuteur de haute justice, après quoi le dit esclave sera remis à son maître".
2 Sorte de pagne.
P O R T D E C A Y E N X E
et fon 'Entrée
A moins de 300 mètres de la place s'élevait la maison du gouverneur. Ce n'était pas un palais ni même une
riche demeure, mais une simple habitation adossée à la caserne.
La déclaration du roi du 24 août 1726 sur les partages des successions dans les colonies a été une des plus
sages qui puissent exister, mais elle n'a pas été enregistrée à Cayenne. Il n'est donc pas surprenant que toutes les
sucreries de cette colonie, en changeant de propriétaire soient tombées, puisque à chaque décès, les co-héritiers et
les créanciers vendaient et se partageaient le produit de la vente. La licitation n'étant pas permise, elles se
démembraient et se perdaient plus tard. Ce problème des successions est inquiétant. Les meilleurs habitants
meurent sans être remplacés, ils laissent quantité d'enfants, entre lesquels il faut partager les biens, ce qui ne forme
que des pauvres et des petits habitants, certains, paresseux, et libertins ne font rien valoir. Alors ces habitants
meurent misérables et leurs habitations sont confiées à des économes qui les négligent, ainsi rien n'augmente.
Avant de finir de vous dire un mot des habitants, je dois vous parler de leurs maisons. Je ne vous décris pas
Cayenne, vous la découvrirez par vous même. Sur les concessions vous trouvez des ajoupas et des carbets.
L'ajoupa est le premier abri installé pour débuter les travaux. Dès qu'il peut, le colon se construit un modeste carbet
ou une petite maison en bois. Il s'agit bien souvent de médiocres édifices dits "fourche en terre" : de simples pieux
enfoncés dans le sol. Parfois, signe d'aisance, il repose sur des plots de briques afin de l'isoler du sol et d'éviter le
contact avec tout ce qui se déplace à terre. Le toit est en feuilles de palmier ou en bardeaux, les murs sont gauletés
et bousillés à l'aide de terre grasse mélangée à de l'herbe ou des lamelles de bois.
Que vous dirais-je de l'élevage, vous ne verrez que très peu de chevaux, bien qu'on les utilise depuis 1690. Le
nombre augmente depuis 1750, mais il n'y en a guère qu'une centaine ainsi qu'un millier environ de bêtes à cornes.
Vous trouverez beaucoup de volailles.
Le seul moyen pour se déplacer ici est la voie fluviale. Les chemins n'existent pour ainsi dire pas. Les rares
pistes carrossables pour les cabrouets, relient les plantations aux habitations. La seule chose que l'on impose ici :
c'est qu'une habitation soit reliée à une autre par un sentier à la charge de celui qui s'installe. Il doit y planter des
citronniers, cela permet aux soldats qui se déplacent de pouvoir couper leur eau.
La présentation du pays par d'Orvilliers était terminée. Ils se dispersèrent. Béhague, et le gouverneur se
retirèrent ensemble, Morisse partit avec Lemoine. Des officiers supérieurs s'occupèrent de Fiedmont et Benoit.
Artur vint rejoindre Fusée d'Aublet.
- "J'ai senti comme une certaine animosité à mon encontre, dit d'Aublet.
- Vous savez tout le monde se pose des questions sur votre présence ici. Je sais que le gouverneur et le Père
Ruel ont reçu des informations à votre sujet. j'ai l'impression que vous inquiétez beaucoup de monde. Le Père Ruel
7 E n 1767 M. Giraud adressa au duc de Choiseul Praslin un mémoire sur les moyens de mettre la Guyane en valeur. Il reconnut la pureté
des intentions de l'auteur et la vérité de la plupart des circonstances qui ont empêché les progrès de la colonie, mais jugea qu'il était dangereux
à mettre sous les yeux du public, en conséquence, Choiseul Praslin fit arrêter la diffusion. (DF C carton 62 N° 163 et 165.)
me paraît très préoccupé. De plus, vous devez savoir que vous n'êtes même pas prévu sur les effectifs. Il va falloir
vous débrouiller seul pour votre subsistance. Je vous aiderai dans la mesure du possible.
- A vous, je n'ai rien à cacher. Je suis envoyé par le ministre Choiseul et Monsieur de Bombarde pour connaître
les possibilités de la Guyane et faire une étude sur les plantes. J'oubliais, il m'a aussi demandé de visiter les
établissements des jésuites.
- Je sais. Le Père Ruel à reçu ordre de ses supérieurs de vous faire accompagner, il en est très fâché.
Le Père Ruel informé de la mission de Fusée d'Aublet était chargé de le faire surveiller. Ce dernier ira partout,
remontera jusqu'à la limite du possible les fleuves, visitera les habitations. A l'Oyapock, le Père Lejuste le soignera
durant une grave maladie. Puis il l'accompagnera, lui fera "promesse de visiter toutes les missions malgré l'ordre
reçu de ne pas les laisser visiter, il l'entraîna dans des endroits impossibles, le perdit bien souvent, fit tout pour le
dégoûter. D'après d'Aublet, les Jésuites donnèrent l'ordre aux Indiens de le perdre et de l'abandonner sur le fleuve
Sinnamary, il avait été prévenu que "s'il pénétrait dans les missions indiennes, il serait assassiné".
De nombreuses correspondances adressées à des tiers permettent de connaître son état d'esprit à l'égard des
Jésuites. Prenant fait et cause pour le jansénisme il fit un rapport accablant sur les Jésuites et l'adressa à Paris.
Entre-autres il écrivait : "les pères Jésuites avec leurs fronts d'airain nourris dans les crimes ne se déconcertent
pas... Leur pouvoir est inouï... Les pères sont en état de tout entreprendre, ils savent les choses les plus cachées,
ils connaissent le commerce et toutes les ressources de la colonie. Ils sont un peu receleurs, ils vendent aux noirs
par troc, tout les accommode, argent, coton, fils, café, poules, cassaves. Ils vendent ensuite aux blancs, c'est papa
Ignace qui est chargé de ce détail.... La tête de la justice du pays est soi-disant vouée au fanatisme jésuitique, ils
font usage des ordonnances du roi, de ses lois, si elle veut s'éveiller pour les remplir presque en tout genre, il faut
qu'elle veille à la conservation de la liberté des sujets de Sa Majesté sur différents points... Ils décrient l'autorité
de Béhague et Morisse. Leur Supérieur leur donne le privilège de faire la messe où bon leur semble. Ils tiennent
des propos en chaire pour dire que la France est devenue janséniste et se permettent des affronts aux personnes
officielles qui ne font pas leurs Pâques. Ils désignent une personne pour tenir un compte à la porte de l'église. Ils
apostrophent dans leurs sermons les gens en place, il n'y a pas d'impertinence qu'ils ne commettent, tout est en
usage, religion, fanatisme, fourberie. Ils montrent un zèle extraordinaire pour persuader que c'est la cause de leur
expulsion".
Le 8 mai 1763 d'Orvilliers apprend par une lettre de Choiseul datée du 18 février qu'il doit remettre à Béhague
le commandement de la colonie en attendant l'arrivée de Turgot.
Le 14 sept 1763 Behague et Morisse refusent de faire embarquer d'Orvilliers sur "la Comtesse de Gramont"8.
Il affrète un bâtiment pour rentrer en France.
Un homme étrange :
Monsieur Brûletout de Préfontaine
En ce mois de février 1762, à la lueur d'un quinquet éclairant faiblement son bureau encombré de papiers et
d'ouvrages divers, Monsieur Brûletout de Préfontaine écrivait pour donner ses dernières consignes à son économe.
Il savait son départ pour la France tout proche, mais le bateau qui devait le mener à la Martinique n'était pas encore
arrivé dans le port de Cayenne. Il s'arrêta un instant, regarda par la fenêtre. La nuit était déjà tombée, les flammes
d'un feu d'abattis éclairaient le morne de Macouria. Il posa sa plume et réfléchit.
Un instant de panique s'empara de lui : était-ce bien raisonnable ce projet ? Mais son instinct naturel reprit vite
le dessus. Lui, un homme qui s'était élevé seul contre tous, ne pouvait pas reculer : c'était contre sa nature.
Se levant, il fouilla dans un de ses coffres et en sortit un paquet de lettres soigneusement rangées et attachées
par un petit cordon.... Son trésor de guerre en quelque sorte !
Il prit la première, elle datait de 1746 et portait la mention "A remettre à Monsieur de Préfontaine 16 rue du
corps de garde à Cayenne". C'était son extrait de mariage1. "En l'an 1746, le quatorze février, après trois
publications de bans, faites le second, le sixième et le huitième du dit mois, j'ai reçu le consentement mutuel au
sacrement du mariage de Monsieur Antoine Brûletout de Préfontaine, fils d'Antoine Brûletout, bourgeois de Paris
et de Madame Marie Rud de Préfontaine, ses père et mère, lieutenant de cette garnison chevalier et commandeur
de l'ordre du centenier d'une part, et de Dame Boudet, veuve Fabre, veuve Delajard, écuyer, seigneur de la
Chaumette, major en cette garnison, ce mariage a été célébré en présence de Monsieur De Villiers de L'Isle Adam,
écuyer, commissaire et contrôleur de la marine, de Monsieur Fresneau, ingénieur du Roi et capitaine d'une
compagnie détachée de la Marine, de Monsieur Delajard, ancien lieutenant de cette garnison et de Monsieur
Letenneur conseiller du Roi, juge royal et trésorier de la marine. Ont signé à l'original Bruletout de Préfontaine
Jeanne Boudet, Villier de L'Isle Adam, Letenneur, Delajard, Fresneau et Hugon Jésuite".
- "Quelle femme extraordinaire, malgré notre grande différence d'âge ! Jeanne Boudet le jour de son mariage
avait 65 ans, elle avait donné trois enfants à feu son premier mari, et j'avais 29 ans. Je l'avait connu peu de temps
avant la mort de son mari et nous nous retrouvions souvent sur le terrain que je possédais entre la colline de
Montabo et celle de Saint-Martin".
La lettre suivante était de Lemoine. Il la lui avait remise en remerciement du sauvetage de son épouse. En 1746,
Préfontaine était allé chercher Madame Lemoine, naufragée sur les îles de Saouaco, ou roches de Faracou, en face
de Sinnamary. Elle venait de la Martinique pour rejoindre son mari ordonnateur à Cayenne. C'était la première
fois qu'il suivait cet itinéraire le long de la mer vers l'Ouest. Le paysage était magnifique, son cheval n'avait eu
aucune peine à galoper sur cette petite bande de sable qui contrastait énormément avec la vase habituelle de
Cayenne. S'il n'y avait pas eu les rivières à traverser, il aurait pu se déplacer en chaise à porteur. En fait il n'avait
eu qu'à ramener Madame Lemoine car elle l'attendait, les marins l'avaient mise en sûreté sur un îlot de sable.
Celle du 3 octobre 1748, de Letenneur, juge, fait l'éloge du détachement de Préfontaine qui avait amené à
Cayenne le nommé Louis, âgé de 15 ans, pris en marronnage au quartier général des nègres marrons au dessus de
Tonnegrande2, il appartenait au sieur Gourgues l'aîné ; au bas du papier, il avait inscrit de sa main, "Kerkove
m'accuse d'avoir pris honteusement la fuite devant mes hommes et abandonné mon pagara3 dans les bois et qu'il
fut partagé par les nègres de Copena". Il est vrai que plus tard Copena l'avoua lors d'un interrogatoire certifié par
Beaudouin et Ardibus.
Venait ensuite la copie d'une longue lettre adressée à Monsieur de la Condamine, il ne le connaissait que par
l'intermédiaire de sa femme.
Il écrivait en ce 7 mars 1749. "Monsieur,
Plus d'une raison aurait dû m'engager plutôt à vous assurer de mes civilités très humbles, j'eus le plaisir pour
la première fois d'entendre prononcer de votre nom, entre Le Bourget et la Villette ou j'ai rencontré vos esclaves
Un léger sourire effleura ses lèvres en voyant la copie d'une lettre à son sujet5 adressée le 9 avril 1751 par
Lemoine au Ministre. Elle disait qu'il "le proposait pour être employé utilement dans l'établissement du côté
d'Oyapock. Il a non seulement les talents de son métier, mais il peut mériter la place d'aide de majorité du poste,
il a des talents dont on pourrait profiter pour conduire les travaux. Il dessine bien, il a du goût et de l'activité. Il
a été chargé des travaux, pendant le temps qu'il y a commandé, actif il y sert avec zèle. On lui doit les ouvrages
et les bâtiments qui s'y trouvent exécutés aujourd'hui". Lemoine terminait même sa lettre en le recommandant au
ministre car le gouverneur d'Orvilliers se déclarait l'ami de Préfontaine et c'était un témoignage de foi qui l'avait
enhardi à faire cette proposition.
Il se souvenait aussi des protestations des autres officiers de la garnison qui le jalousaient, et surtout de la
correspondance du 18 juillet 1752 où d'Orvilliers, revenu de France, écrivait au Ministre sur un autre ton6. "Le
sieur Préfontaine n'a pas encore assez de solidité pour avoir le commandement d'un poste essentiel. Il a du zèle
et du talent, mais son mérite n'est pas assez supérieur à celui de ses anciens pour le faire passer sur le corps de
toute une garnison. Cependant, comme dans la proposition que je vous fais d'ériger le poste d'Oyapock en
majorité, ce qui est nécessaire, ou même au lieutenant du roi, il faudra un aide major. Je vous prie monseigneur
de lui accorder cette place, avec une commission de capitaine, il sera même dans le cas de l'être, par les places
qui vaquent et dont j'aurais l'honneur de vous rendre compte par une autre de mes lettres".
Il s'était procuré la copie de cette lettre grâce à la bienveillance de l'écrivain du gouverneur. Il l'avait prise
comme un soufflet, un affront fait par quelqu'un qu'il estimait beaucoup. D'un autre côté, le poste de l'Oyapock
lui rappelait trop de mauvais souvenirs car il y avait ruiné sa santé.
Il avait écrit lui même au ministre le 23 juillet 1752 au sujet de l'affaire des nègres marrons7 car il n'avait reçu
pour récompense de sa bonne conduite que le droit d'aller à Paris pour porter des paquets au Ministre. Dans cette
lettre il J'ai porté les armes à 14 ans en qualité de soldat dans le régiment de Bourbonnais, mon congé prouve
4 Voir suite de cette lettre dans l'annexe 1.10
5 C 14 R 21 F 189.
6 C 14 R 22 F 5.
7 C 14 R 22 F 295.
que j'ai servi [...]. De là j'ai fait toute la campagne dans les gendarmes, j'ai combattu sous les yeux de mes chefs
et nommément avec Monsieur le Comte de Mailly à l'affaire de Wissenbourg où j'ai été blessé, un cheval de tué et
repris sur un autre pour une seconde fois [...J Le bon compte que mes officiers rendirent de moi me mérite une
Lieutenance à Cayenne où j'ai servi le reste de la guerre, avec la confiance et l'estime de mes chefs ['..J Le manque
de troupe qu'il y avait alors et la nécessité de garder la côte me firent proposer d'établir une compagnie légère.
Ce qui me permit de garder dix lieues de côtes, mais dont on me désespéra p a r le peu d'aisance que le pays fournit
p a r lui-même. Surtout alors cela n'empêcha pas, que je campais dehors en ordonnance avec toutes ces choses qui
regardaient cet établissement.
A la paix, la nécessité d'arrêter la progression des nègres marrons qui s'agrandissait de j o u r en jour, fit jeter
les yeux sur moi pour y remédier. Quoique dernier lieutenant et au détriment de mes anciens [... 1 J'y fus avec
cinquante hommes à marche forcée, qu'après cinq semaines, à un biscuit p a r j o u r p o u r les attaquer avec vingt-
cinq hommes, le reste étant mort ou mourant. Abandonné p a r la fatigue, exténué, j'en pris des morts et des vifs.
J'ai brûlé deux villages de cent et douze feux, mes soldats ont eu une récompense, moi je la demande à
Monseigneur.
Vingt détachements ont été faits depuis [...J augmenta leur hardiesse, ils firent une descente chez un habitant
qu'ils maltraitèrent et renvoyèrent à Cayenne, en narguant le gouverneur, enjoignant de me renvoyer à leur
poursuite, voulant, disaient-ils boire, dans mon crâne. Il est bon de remarquer qu'ils avaient volé chez un habitant
plusieurs fusils et des munitions. J'y retournai encore malade du dernier détachement, je les joignais et après
quelques heures de combat s'enfuirent dans l'épaisseur des bois. Je n'ai p a s continué et pris le parti quoique j'en
ramassais encore, mais la conscience de quelqu'un [...J et le principal objet qui m'empêcha de leur faire plus de
mal, cela c'est même justifié p a r la déposition de quelques-uns qui ont été pris depuis.
Dans ces entrefaites, il fut question de rétablir Oyapock six ans après son abandon, sans parler des peines que
l'on doit abandonner de tous ses humains. Je ne laissai pas dans les voeux du gouvernement de le remettre sur
pied infiniment mieux qu'il ne l'était auparavant. J'ai donné dès qu'il fallait aller à cinq lieues chercher de l'eau,
ce qui fit mourir beaucoup d'habitants, obligés de boire de celle que je trouvais précédemment aux alentours d'une
sorte d'aire de citronniers. J'y ai élevé à mes dépends une qui sert aujourd'hui au fort, je n'ai pas cessé de
repousser les Portugais qui venaient enlever mes indiens. Dans un voyage aussi pénible qu'il puisse, je fis le
dénombrement général des indiens pendant les quinze jours que je courais les cases.
Je n'ai été tiré de mon poste que p o u r m'embarquer dans un bateau de 50 tonneaux, où je suis resté 74 jours
accablé des plus grandes fièvres, [...].
Monseigneur d'Orvilliers s'est contenté de dire à Monseigneur que j'étais un bon sujet, il n'y a pas d'officier
qui ne le soit en montant aussi religieusement la garde. Parce que je ne suis pas officier de p a r lui, et peut-être
j'ai passé sur le corps de ceux qu'il protégeait, [...]. Je ne représente ceci à votre grandeur à qui bientôt me
trouveront en l'état de fournir, p a r les maladies qui m'accablent. Je ne trouverai pour toute récompense que le
désespoir et le repentir de m'être sacrifié, sans la juste consolation d'avoir pu me flatter que Monseigneur m'en
regarde favorablement. La compagnie qui me revient p a r les quatre vacantes à Cayenne n'est pas p o u r moi une
récompense, je ne la dois qu'à mon sort, et l'intégrité de votre grandeur en mon égard. Si Monseigneur y joint
quelques grâces que ce soit en faveur de mon avancement, ne désirant plus autre chose que de me retirer bientôt
vu que peut être mon service languirait p a r mes fréquentes maladies. [...J. signé : De Préfontaine".
Plus cher à son coeur était l'extrait de son second mariage à 35 ans : "Le 14 novembre 1752 a eu lieu à Cayenne
le mariage de M. Jean Anthoine Brûletout de Préfontaine et Marie Dufour de la paroisse de Cayenne" 8.
Marie Dufour était veuve d'un premier mariage avec François André, conseiller au conseil supérieur, puis d'un
deuxième mariage avec Jean-Pierre Moreau. Elle était unique héritière de la veuve Senné, sa mère, qui possédait
de nombreux terrains à Macouria9.
Dans la liasse de ces lettres, il retrouva un nombre important d'assignations ou de convocations devant la
justice. C'est vrai qu'il n'avait pas l'habitude de se laisser faire. Il revendiquait en permanence ses droits et peut
être même plus. D'ailleurs il s'était bien aperçu qu'il indisposait beaucoup de monde à ce sujet.
Il avait eu entre-autres deux procès, peut-être plus, relatifs à son deuxième mariage pour une affaire d'héritage.
Le premier contre les enfants de sa deuxième épouse issus de son deuxième mariage10. Le deuxième contre Dedon,
curateur des biens du collège, il lui réclamait une dette de 2961 livres que la veuve Paillé, dite Suzanne Amomba
de son vivant devait à feu Pierre Moreau premier mari de son épouse actuelle.
Les lettres suivantes abordaient une période néfaste de sa vie. Elles étaient toutes tirées d'un dossier secret
constitué en particulier par Dunezat de Saint Michel, son ennemi. Préfontaine se les était procurées de la même
manière, grâce à la complicité d'un écrivain travaillant au bureau du gouvernement. Il savait que Dunezat n'avait
jamais admis son premier mariage avec la veuve de son prédécesseur et ami, lieutenant du roi et que cette
animosité avait continué pendant qu'il était au poste de l'Oyapock où Préfontaine servait sous ses ordres. Dunezat
8 Ref: E C N°4 des fonds déposés de Guyane, copie d'actes des registres de catholicité, tenues et recopiées très sommairement par le
vicaire desservant Bofsens, date inconnue.
9 L'habitation dite "de Préfontaine" doit provenir de cet héritage ou alors de la communauté du mariage avec feu Moreau.
10 En particulier Gabrielle André, épouse Kerkove, au sujet de l'héritage d'un terrain.
P L A N D E LA. V I L L E
DE CAYENNE
11 C 14 R 88 F 6.
12 C 14 R 23 F 8.
13 C 14 R 23 F 21.
14 C 14 R 23 F 214.
Le pire arriva en 1755, une autre affaire fut portée à la connaissance du ministre par Dunezat qui écrivait le 10
mars 1755. "Comme l'affaire ou incartade de la p a r t du sieur Préfontaine cy-devant capitaine vis-à-vis du sieur
Baron ingénieur, et d'un habitant de cette colonie n'a été su du ministre qu'après que son congé lui ait été expédié,
je n'ai voulu prendre sur moi, monseigneur de le faire sortir des arrêts, qu'il prend sur son habitation en
conséquence de l'ordre de Monsieur de Bompar général de la Martinique qui l'a renvoyé ici de la dite sorte, ne
s'y étant trouvé que p a r la relâche du vaisseau sur lequel il passait en France pour son congé et régler des affaires
d'intérêts à Bordeaux. Par ce même vaisseau j'eus l'honneur de rendre compte le 6 janvier 1754, au Ministre de
la conduite dudit sieur Préfontaine, comme aussi de son arrivé à Cayenne le 13 mai de la même année. Je ne
changerai rien à son sujet, jusqu'aux nouveaux ordres de la cour que votre grandeur voudra bien avoir la bonté
d e m'envoyer" 15.
d e f a i r e [...]" 16.
E n t r e t e m p s , le 2 3 a o û t 1 7 5 6 la n a i s s a n c e de B r û l e t o u t J e a n avait a p p o r t é s o n r a y o n d e soleil.
C e qui avait fait p e r d r e le reste d e crédit qu'il avait a u p r è s d e la p o p u l a t i o n avait été u n e lettre qu'il ouvrit d ' u n e
Il r e s t a l o n g t e m p s pensif.
Un bruit de pas se fit entendre dans l'antichambre, il sursauta Marie, c'est vous ?
- Il est tard mon ami, je suis venue aux nouvelles. Ah vous êtes encore avec cette chienne de lettre, dit-elle fort
triste. - Vous m'inquiétez avec cette lettre. Je vais vous dire ce que j'en pense, vous remuez toute la population de
Cayenne avec cela. Je ne crois point cette lettre de Dunezat. J'ai menti devant monsieur Courant en lui répondant
non ! lorsqu'il me demandait si je la croyais de vous, mais je la crois contrefaite par vous !.
- Qu'en sait-on ? interrogeait-il.
Elle répliqua sèchement ! - "Dans Cayenne on connaît ceux qui sont capables d'une pareille action : Ah ! Mon
Dieu, je crains que cela mérite le bout de corde. Je voudrais que vous ne la montriez point comme vous l'avez fait
jusqu'à maintenant. Elle a déjà fait trop de bruit".
En effet devant l'ampleur de l'événement, d'Orvilliers et Lemoine avaient cru bon d'écrire à Acaron le 21
janvier 1762. "Nous avons l'honneur de vous envoyer copie d'une lettre que le seigneur Préfontaine dit avoir eu
de M. Dunezat. Nous débutons par la copie (lettre ci-dessus contresignée par d'Ardibus notaire), nous adjoindrons
ensuite quelques lettres et de suite les motifs qui nous déterminent à l'envoyer à Monseigneur et mon observation.
Voici les observations qu'ils avaient portées à l'encontre de la copie ci dessus.
"Elle ne vient en aucun point du style de Dunezat. Je l'ai confronter pour la juger ainsi. La lacune "ayez pour
15 C 14 R 23 F 25.
16 C 14 R 23 F 210.
17 C 14 R 24 F 44.
18 C 14 R 24 F 53.
19 Un copie contresignée Brûletout de Préfontaine et Ardibus est conservée aux Archives Nationales à la cote : C14 R 25 F 126.
elle que pour moi" est une imitation d'oubli qui arrivait quelquefois à Dunezat. Le seigneur Préfontaine était à
Cayenne le 18, il semblerait que M. Dunezat l'aurait plutôt envoyé chercher que lui écrire, son état ne lui
permettait point, [...] sa famille dit que M. Dunezat n'a absolument pas écrit pendant sa maladie, qu'il était hors
d'état de le faire, qu'il n'a même jamais paru avoir envie d'écrire. Son cabinet a toujours été fermé, mis à la
disposition de sa fille qui en avait la clef [...].
Le seigneur Préfontaine a dit avoir reçu cette lettre p a r une aubergiste appelée "la Guinefoleau" après il a dit
que c'était une petite négresse qui lui avait apporté à elle d'où on lui avait envoyée à l'habitation. Il a dû [.. ?..]
la mort du [.. ?..J que c'était qui lui avait envoyée dans un paquet avec d'autres sur dix affaires qu'il avait en même
temps.
Cette lettre qui surprend toute sa famille, qu'il a dit à MM. d'Orvilliers et Lemoine qui lui demandaient si cette
lettre était cachetée lorsqu'il l'a reçue, que cette lettre lui avait été remise pliée en quatre, liée p a r un morceau de
cordon. Le Sr Préfontaine a montré cette lettre environ deux mois après la mort de Dunezat, Courant était sur lors
sur son habitation. Le seigneur Courant a rapporté à MM. La Malterée, Lemoine et d'Orvilliers, qu'à
l'interprétation de la lettre il ne l'a cru ni dans l'écriture de M. Dunezat, qu'il remarquait que les lignes dans la
fin étaient plus serrées que les lignes du haut et pour une ombre jointe à chaque jambage des lettres de la
signature il lui parut qu'il y avait des restes de crayon, que l'écriture ainsi que la signature lui ont paru forcées et
non libres, écriture que d'habitude l'avait remarqué qu'elle était sans date, il assure ce point positivement et que
surpris il a dit au Sr Préfontaine, "à quel j o u r il est mort ? ", qu'il lui a répondu : "il est mort le 15 [.. ?..]".
Le sieur Préfontaine a montré cette lettre à plusieurs particuliers et l'a montrée au juge, au procureur du roi
puis au greffier sur permission du juge, l'a registré, en ai rendu l'original au Sr Préfontaine cela est aussi la règle
sur la connaissance que nous avons que cette lettre aurait et faisant un certain effet sur le public, nous informons
secrètement de la foi qu'on pourrait y ajouter nous conférais sur la conduite que nous devions et mon jugement
que vu les éclaircissements que nous avons et qui forment les observations générales pour s'il fallait ou poursuivre
juridiquement pour constater le faux de cette lettre ce qui pourrait produire de ces preuves contre le Sr Prefontaine
ou lui témoigner le plus grand mépris [.. ?..J que nous la jugeons supposer à ce que nous avons
d'extravagances pour désunir que de ceux ou le traiter en criminel ou tel fol.
Nous étions dans l'intention de suivre le dernier, nous voulions laisser et à nous cette fumée de l'image dudit
Préfontaine, mais le bruit de l'ouvrage ou usage qu'il prétendait faire de cette lettre devenue trop publique, depuis
qu'il se dispose pour l'Europe pour faire juger qu'il contenait d'empescher à Monseigneur d'être abuser p a r la
préférence.
Nous ne négligeons le point de peu d'apparences qui aux observations et traiter publiquement au roi [.. ?..J
conviction nous préférera qu'ajouter aux observations celles qui naturellement se présentent aux réflexions pour
preuves de la fausseté de cette lettre. M. Dunezat a rendu compte de l'affaire du Sr Préfontaine, il a traité dans
plusieurs lettres des points qui ont rapport au Sr Préfontaine, entre autre les deux depuis le compte qu'il avait
rendu. La première en rendant compte qu'il lui a remis sans dire de retraite du service et la seconde en rendant
des arrêts qu'il lui avait ordonné sur son habitation, cette dernière est du 1er mars 1755, ces deux lettres ne
témoignaient aucun repentir qu'il a conduit à son égard nous en avons les minutes mais nous n'avons point celle
de 1754 p a r laquelle il rendait compte du manquement du sieur Préfontaine depuis que d'Orvilliers est de retour,
il est certain qu'il ne lui a jamais parlé de l'affaire de Préfontaine comme pouvant s'être laissé séduire et avoir
commis quelque injustice. C'est en revenant de la campagne de M. d'Orvilliers qu'il est tombé malade, il y avait
été question du Sr Préfontaine et en particulier en conversation particulière, entre eux jamais il n'a témoigné la
moindre inquiétude qu'il avait tant à son égard, M. de la Maltérée avec lequel il assure avoir été extrêmement lié
assure que jamais il ne lui a témoigné la moindre peine à cet égard et M. Lemoine assure que depuis la lettre M.
Dunezat désira écrire en contact avec lui le 31 décembre 1759 ils ne se sont jamais entretenu positivement de cette
affaire pendant l'absence de M. d'Orvilliers, quoique ils aient parlé du sieur Préfontaine assez souvent, à
l'occasion de petites discutions avec ses voisins de cette singularité depuis le retour de M. d'Orvilliers, ils ne se
sont jamais entretenu du sieur Préfontaine, d'ailleurs comment imaginer que M. Dunezat dans l'état critique où
il était qui lui ôtait toutes idées de ses affaires et de sa famille ait pu écrire une lettre d'excuses au Sr Préfontaine
dans de semblable vertueux mots se dit à une personne présente, ou l'on charge un ami de le dire, mais écrire, se
cacher pour écrire au point que sa famille ou son domestique qui journellement ne le perdait pas de vue un instant
l'ait ignoré et que qui que ce soit de la maison n'ai été chargé de la remettre cela est incompréhensible.
Voilà Monseigneur les éclaircissements que nous avons cru devoir vous donner afin que nous [.. ?..] surprise
à l'instruction de cette lettre que nous croyons fausse absolument. Nous sommes avec le plus profond [....J
"d'Orvilliers.
Marie de Préfontaine reprit la parole. "C'est comme cette cantine gravée aux insignes de la compagnie de Jésus
que vous possédez".
- "Je l'ai trouvé dans la forêt " répondit-il.
- " Là aussi, le Père O'Reilly ne se cache pas de dire qu'à l'habitation de Coroy on a dévalisé les documents
que possédait feu le Père Lombard. Il paraît même qu'il y détenait quelques manuscrits d'anciens missionnaires".
En fait Préfontaine, au cours d'une mission militaire, dut découvrir, à Coroy proche de Kourou, l'habitation des
Jésuites désertée à l'issue du décès du Père Lombard. Ce dernier y allait pour se reposer et méditer. Une vieille
malle y était entreposée, elle contenait ses écrits, ses réflexions et différentes observations faites au fil des ans par
d'autres Jésuites et dont le Père Lombard était en possession. Mais personne ne l'avait remplacé dans l'immédiat
et ce n'est que bien plus tard que le Père O'Reilly arriva. Il s'était aperçu de cette disparition, en écoutant les dires
des Indiens et des esclaves. Il avait émis des doutes sur "l'emprunteur". Mais jamais son identité ne fut connue.
Cependant quelques années plus tard on les vit apparaître, dans les mains de Préfontaine, qui les remit en 1769 à
Maillart Dumesle ordonnateur à Cayenne pour les faire imprimer. Il s'agissait d'un petit dictionnaire manuscrit,
d'une grammaire de langue indienne, d'un projet de messe sous forme de cantiques pour les Indiens. On savait que
c'était le fruit d'un travail de nombreux missionnaires et surtout du Père Lombard, missionnaire des Galibis. Pour
preuve de ses dires, une copie identique du dictionnaire de grammaire fut récupérée par Prépaud, acheteur des
biens des Jésuites. Il l'avait remise entre les mains de son notaire à Bruxelles, et cette pièce dut paraître dans un
ouvrage que publia l'abbé Becquet à Anvers ou Bruxelles. L'analyse "du Parallèle de la partie Nord et de la partie
Sud" attribuée à Préfontaine, est tout à fait similaire à des mémoires laissés par les Pères Jésuites.
Haussant les épaules, manifestement inquiète, Marie préféra se retirer, par moment son époux lui faisait peur.
Jusqu'où irait-il ?
Le jour venait de se lever, Préfontaine ne s'était pas couché, son épouse le trouva endormi, une lettre du
gouverneur de Saint-Eustache entre les mains.
Ses reproches de la veille s'étaient estompés. Elle s'adressa gentiment à lui. -"Avez-vous reçu de bonnes
nouvelles de votre ami le gouverneur de Saint-Eustache ?".
- Oui, répondit-il. D'ailleurs, il espère notre visite, les nouvelles de Surinam sont de plus en plus alarmantes.
Il est outré de la conduite de ses compatriotes hollandais. Leur attitude, vis-à-vis des esclaves est des plus barbares,
qui de ce fait désertent en grand nombre. Les esclaves forment des bandes armées dangereuses. Face à tous ces
nègres marrons, ils ont capitulé le 8 juin 1760 et leurs ont demandé de bien vouloir signer un traité. A la suite du
traité passé en 1761, les Djukas se sont établis sur le Tapanaoni. Il paraît que les Saramacas doivent transporter
leurs villages sur la rivière du Surinam.
- Croyez-vous que votre projet a des chances de réussir ?
- Peut-être, il est en bonne voie ... j'attends des nouvelles du Juif !
Voulez-vous lire ma mie ?.
Il lui tendit son projet d'installation.
P r o j e t d ' i n s t a l l a t i o n d e n è g r e s m a r r o n s d u S u r i n a m , le long d u M a r o n i .
Préfontaine quitta Cayenne le 25 février 1762. Il rejoignit la Martinique et retrouva le seigneur Doucet avec
qui il était en relation.
Le seigneur DOUCET.
En 1741 est né à Paris le seigneur Jean Baptiste Gaston Doucet, fils d'un marchand de soie, bourgeois
de la ville de Paris. Son père le destine à l'état ecclésiastique mais il en sera décidé autrement. A l'âge de
18 ans, il passe à la Martinique pour recueillir des sommes considérables dues à son père, il y demeure 4 ans.
Par ses connaissances et son activité commerciale, il rencontre de Préfontaine et le Chevalier de la Tremblaye
lors du passage de celui-ci à la Martinique et à la Trinité. Il fait aussi la connaissance de commerçants juifs
qui avaient des intérêts au Surinam.
Dès son arrivée à Paris, en juin 1762, Préfontaine multiplia les contacts. Il fréquentait le salon de Jussieu et fit
la connaissance de personnages importants qui, au courant de ses projets, allèrent jusqu'à lui demander une
concession de terrain en Guyane. Un certain Turgot était même intéressé par une habitation sur la rive française
du Maroni.
Cependant de leur côté les Hollandais et les Français du Surinam préparaient leur revanche. Ainsi Merrin,
ancien soldat de Préfontaine réfugié au Surinam, avec quelques autres ne manqua pas de renseigner les gazettes
hollandaises, en particulier celle de Leyde considérée comme le journal diplomatique de l'Europe. Bientôt des
articles qui dénonçaient Préfontaine parurent.
En août 1762, il présenta son projet à Acaron, intendant général, et premier commis au bureau des colonies.
Le désastre de Kourou
S c h é m a d i r e c t e u r d e l'expédition d e Kourou
CHAPITRE 1
Avertissement
Le duc de Choiseul pour beaucoup, représente un des principaux ministres du règne de Louis XV. En
ce qui concerne l'expédition de Kourou, deux personnages apparentés signaient l'un, duc de Choiseul et l'autre
Choiseul-Praslin, occupaient des postes imbriqués et complémentaires. Bien souvent les décisions
importantes étaient prises de concert. Il s'agit :
- Pour le premier : d'Etienne François, duc de Choiseul, connu sous le nom de Comte de Stainville, né
en 1719 et mort en 1785. La faveur de Madame de Pompadour lui valut une ambassade à Rome. Il remplaça
en 1758 le cardinal de Bernis au ministère des affaires étrangères. Il reçut le portefeuille du ministère de la
guerre à la mort du maréchal de Belle-Isle en 1761 et laissa les relations extérieures ainsi que le ministère de
la marine en 1763, qui échut à son cousin. Il réorganisa l'armée, négocia le pacte de famille, provoqua le
départ des Jésuites en 1762 -1764. Il fit fortifier la Martinique et Saint-Domingue.
- Pour le second : de César-Gabriel Praslin, duc de Choiseul, cousin du précédent, ministre des affaires
étrangères et de la marine de 1763 à 1770. Il signa en 1763, le traité qui mit fin à la guerre de Sept Ans. Il
était membre honoraire de l'Académie des sciences. Condorcet fit son éloge funèbre.
Le duc de Choiseul regarda une fois encore les deux dossiers posés sur son bureau du ministère de la guerre
et des colonies. L'un rouge portait en lettres noires, fort bien calligraphiées la mention "SECRET" et en bandeau
deux mots " Projet de traité"; l'autre bleu, délicatement relié, n'affichait qu'un seul mot écrit en larges lettres rouges
"GUYANE".
- Que faire ? murmura-t-il, en secouant la tête.
Depuis des mois Choiseul jouait le jeu le plus difficile et le plus dangereux de sa vie. Ses hésitations étaient à
la hauteur de l'ambition qu'il poursuivait.
- "Je veux, disait-il souvent à ses proches, sortir de cette guerre le plus tôt possible et prévoir l'avenir de la
colonisation française avec un objectif de revanche suffisamment clair pour mobiliser la France mais assez discret
pour ne pas alerter l'ennemi anglais".
En effet, sans attendre la signature des préliminaires de paix avec l'Angleterre, prévue à Fontainebleau
quelques semaines plus tard, et dont il détenait le projet dans le dossier rouge, il songeait à mettre sur pied une
vaste expédition de colonisation pour compenser les énormes pertes en territoires qu'allait subir la France.
Fort des théories de ses amis physiocrates, il pensait envoyer rapidement de 10.000 à 20.000 personnes, dans
tous les domaines de l'activité humaine, dans une colonie peu peuplée, exclue du traité : La Guyane, appelée "Isle
de Cayenne" par de nombreux colons. D'autres îles de la région pourraient suivre éventuellement. Une mission
secrète' conduite par Monsieur de Béhague était déjà à pied d'oeuvre et les premiers rapports chiffrés affluaient,
ceux de ses espions envoyés dans différents territoires.
Hormis le fait que le projet fut ambitieux et le premier au monde de ce genre, la décision restait difficile à
prendre car l'unanimité ne régnait pas dans les bureaux du ministère des colonies, le chef Acaron jouait le porte-
parole des plus prudents, arguant son expérience de plus de vingt années passées dans ce ministère.
Prudence excessive ? Doutes quant aux moyens d'une marine française mise à genoux par la guerre ? Manque
de confiance dans les hommes disponibles pour l'aventure ?... On ne sait ce qui avait le plus influencé Acaron...
peut être était-il simplement plus réaliste que Choiseul et ses physiocrates nourris de la doctrine de Quesnay, qui
encourageaient l'installation de chambres d'agriculture.
En fait l'idée d'un peuplement était née bien avant que Choiseul songe à prendre sa revanche sur les Anglais.
Acaron étudiait toutes les propositions des responsables en place et des colons, avant de les soumettre à son
ministre. Mémoires et projets de mise en valeur étudiés par des Guyanais avaient abouti sur son bureau... ! Un, issu
des gouverneurs, préconisait l'installation à Cayenne de soldats-habitants et avait fait ses preuves, mais il s'avérait
lent bien qu'efficace.
En fait, au sein du ministère de la marine, une complicité oeuvrait pour Préfontaine : il était protégé à Paris au
bureau de la marine et des colonies par Beudet et La Ponce. Pour certains, l'heure d'un règlement de compte allait
sonner.
Cet entretien laissa un goût amer à Acaron. Spolié de son idée, son protégé Préfontaine accaparé par
Bombarde, il afficha dès lors une jalousie qui se répercutera par la suite dans les ordres donnés.
Mais du côté de Bombarde la partie semblait gagnée. Le même soir il invita Préfontaine à venir débattre de
ses idées chez Jussieu. Dans ce cercle très physiocrate, l'on chérissait Quesnay fondateur de l'économie politique
et Gournay, encyclopédiste renommé, qui, affirmait que le monde économique avait ses lois comme le monde
physique. Il fit la connaissance de Chanvalon.
Tous deux prônaient la liberté du commerce et c'est sur ces bases que Bombarde, Chanvalon, Turgot l'intendant
de Limoges et Trudaine débutèrent leurs travaux. Turgot, le futur gouverneur de la Guyane, les rejoignit par la
suite attiré par son frère.
Bombarde, directeur du projet qu'il baptisera lui-même un peu plus tard la "maison rustique" en hommage à
Quesnay, avait sur l'opération de Guyane des vues très précises. Il voulait créer une colonie basée sur l'intégrité,
l'affabilité, sur des récompenses placées à propos, l'exclusion de tout luxe où le gouverneur donnerait l'exemple.
Pour faire aboutir de tels projets, il fallait des moyens puissants.
Il préconisait de faire une colonie sans esclaves, isolée de l'ancienne en interdisant aux arrivants d'aller à
Cayenne. Il écrivait à ce sujet :
"Les blancs coûteraient moins cher au roi ['..J Dès qu'un blanc possède un esclave, il ne travaille plus [...]. Il
n'était pas possible de transporter les esclaves en même temps que les colons. Le système d'une population
nationale et libre avait l'avantage de procurer à la France, dans l'Amérique, un établissement plus capable de
résister aux attaques étrangères et plus propre à fournir des ressources pour la conservation des autres colonies,
le système d'une population d'esclaves est toujours précaire et imprévisible. D'ailleurs l'esclavage en lui-même
répugne si fort à l'humanité qu'il était bien naturel de choisir avec avidité la proposition de s'en passer. Il est
cependant certain que si dans l'établissement d'une colonie on n'a d'autre objet que d'assurer promptement à la
métropole les retours d'un riche commerce par la production des denrées précieuses propre aux colonies
méridionales, il est impossible d'atteindre ce but sans le secours des esclaves.
Des hommes nouveaux qui s'établissent dans un pays nouveau ne doivent et ne peuvent avoir d'autre objet que
d'y vivre. Ce n'est que dans la suite des temps, lorsque toutes les terres sont cultivées et ont des maîtres, que les
progrès de la population créent une autre classe d'hommes. Ceux qui ne possèdent point de propriété sont forcés
de travailler pour les autres. Tous satisfont par leur travail aux besoins d'une grande société. La concurrence de
ces hommes fait baisser le prix du travail, et la colonie se met enfin au niveau des anciennes nations
commerçantes. On y voit le revenu renaître annuellement par la dépense que font les propriétaires de ce même
revenu. Lequel après avoir vivifié toutes les classes de la société revient à la terre pour se reproduire l'année
suivante et recommencer toujours le même cercle".
Il disait également "la moitié des nègres périt la première année de leur arrivée dans les colonies, fatigue du
voyage, de chagrin, d'accident ou de maladie. La mortalité doit être encore plus grande pour des blancs peu
instruits, qui ne savent point proportionner le travail à la force, qui ne peuvent prévenir, connaître, soigner et
guérir les maladies" (on saura plus tard que les pertes des blancs pour cette affaire étaient évaluées à un tiers de
l'effectif). L'idée d'avoir des esclaves avait été exclue car d'abord, le Roi aurait été obligé d'avancer l'argent, puis
des inégalités se seraient créées au sein même de la colonie nuisibles au bon esprit qui devait y régner.
De plus un doute lui restait, il l'exprimait ainsi Oisif par goût, et paresseux par état, ils se livreront aisément
à la dissipation, à la chère la plus recherchée et au luxe en tout genre. De tels colons sont déjà énervés, leur corps
le sera bientôt, faute d'y être exercés. Mais une colonie sans esclave doit nécessairement languir, pourra-t-elle
défricher, cultiver, s'agrandir, même s'en sortir ?. J'avoue que les progrès en seraient plus lents, mais ils seront
plus solides. Si on veut les hâter, n'y a-t-il pas cette sorte d'hommes, accoutumés aux travaux les plus durs qui,
cultivateurs par état, trouveront dans la conception d'un petit morceau de terre une propriété, dans cette propriété
un abri contre l'indigence, et les habitants plus aisés y verraient une augmentation de fortune et de bien-être...!.
La forme nécessaire pour ces conventions volontaires entre les différents ordres d'habitants demande sans doute
des règlements...!
3 B N 57893.
Pour épargner à l'habitant des travaux qui ne le concernent pas et que l'administration serait dans le cas
d'ordonner, tel que bâtiments, magasins, paroisses, hôpitaux, entretenir les chemins, je propose que le Roi ait en
propriété des nègres et négresses. Ils formeraient une ville particulière à portée des chefs de la colonie et sous
leurs yeux. Si l'on trouvait qu'il y eut quelque inconvénient à les réunir dans un seul lieu, on ferait quatre villages.
Pour leur nourriture, on leur laisserait le samedi libre. Ils ne boivent point de vin et ne mangent pas de pain et de
viande, ils ne s'en portent pas plus mal [...]. En offrant à ces français mil, riz, racines et de cassaves, c'est leur
offrir la perspective de ne plus mourir de faim. Avec le contact des nègres, les blancs pourront apprendre toutes
ces sortes de cultures. Ce qui est important, c'est la connaissance des bois, dont chacun à son usage particulier,
la propriété si variée des herbes et des plantes afin de connaître les remèdes simples et spécifiques. Les Indiens
peuvent rendre les mêmes services mais ce n'est pas toujours sûr, de les attirer et de les fixer. Ils sont et veulent
être indépendants, cependant avec de bons traitements, quelques aunes de toile, quelques coups de tafia, on peut
en venir à bout"„
Bombardé avait également des idées précises sur les nouveaux colons : "Je fixe à tout hasard leur nombre à
mille. Je suppose :
1° 'Des jeunes gens, la plupart enfants de famille, qui ne craignent point de s'expatrier, pour avoir un fonds en
pro pn ete. , ■ \
d$s ouvriers qui sûrs d'avoir à eux une portion de terre, croient trouver dans sa culture de
quoi subsistèrent ëO>"'--rts fexercice utile de leur art, pu métier, de quoi vivre plus qu'à leur aise, de quoi même
,,.p,,dïvoir agtarÇdj^^ùrpetit domaine. ■ ~
3° Des paysans ou soldats, à qui tout lieu est égal pourvu qu'ils soient assurés d'avoir de quoi y vivre. Il me
paraît assez embarrassant de,pouvoir décider si leur sort dépendra du travail qu'ils feront pour d'autres avec
salaire. Si ^ l e u r dônne d'abord une petite concession quilles met à portée de vivre sans le secours de l'habitant
-pMff, mffîe: QUjtf. owdàk donner cette, concession après des années de services rendus à la colonie.
"par,des,hommes qui çhërChhignpun asile où ils puissent vivre que les colonies anglaises
de l'Amérique septentrionale ^e sont-peuplées et c'est par le seul ,effet du travail de ces hommes rassemblés,
qu'elles se sont accrues avec le temps*-qu'elles sont devenues une des principales sources de richesse de la nation
a n g l a i s e et ffitellesxontfofflie pour y Amérique cetfe masse formidable de puissance qui menace de l'enlever tout
entière aux autres nations" . Vi « " v- r-
**?• De cesimpfe ëxpcfsé, "il résiclïe deux observations. Lapremière;est, qu'il est très avantageux de conserver là
tèfj^e desrétats pow^r^ùl^ipjter les^rapports entre les habitants et procurer le bien-être de chacun fondé sur
jM$*l?esoins réciproques. Èh seéondè, c'Mf que pour y parvenir il doit y avoir une répartition differente pour
chaque état dans l'étéridq&aés t i o n s . L'enfant defafnïlle a lune certaine, éduc9tiôn, il peut trouver quelques
secours dans sa famille. Il doit avoir pour:, point de ' vue de se livrer un jour aux manufactures les plus
considérables et il a besmn^WUrCpljis graiï&efaplazei^nt^Ilouvrier outreson logement ne peut se pUsser d'un
a t e l i e r s é ^ ^ ^ p m ^ è t ^ ^ v ^ i mag4se-t4 q "I ait en sUrplÏÏs cle quoi faitevivrepour sa nQ.ltIriture,' et même si l'on
v e u t , ^e^uoufdi^un' petit commerce qui ,Wabsorbe pas tout son emps,,, il doit, être content -Ilfaut lui procurer
l'aisance mais point assez pour qu'il renonce à son métier Quant aux paysans, la difficulté que j'aifait entretenir
subsisWen én$ëlr.JjS'ïls >ontjme concession qui les dispense de travailler pour d'autres, ils feront ld loi aux
l~KSÊttants aisçs-$ui ne pêuVênt s'en passer. Seront-ils les maîtres de ne pas venir ou de s'en aller dans les temps
- ifue^a réeglte .tfY'd'3iJa.nde les secours les plus prompts ... ? Leur imposera-t-on la loi dé donner au moins trois jours
^dejjis&^ùzink à tel habitant qu'ils choisiront, avec le'quel ils s'engageront pour tant, par jour, par mois, par
D'un autre -coté, n^auront-ils jamais l'espoir ,dlune concession.'.. ? Quels inconvénients y aurait-il de la
l^^^Êssurer après 10 ans de travail...? Encore ne faudrait-il que l'étendue de terrain que seul un homme peut
. . J " e r ; aurait-il un abri quand ses forces affaiblies ne pourraient plus supporter de grands travaux...? Cette
différence d'état doit être regardée comme l'âme de la colonie, le besoin mutuel des habitants entre eux en est le
plus grand s s o r t . Les hommes ne demandent pas mieux qu'à être conduits mais il faut se donner la peine de les
g u i d e r ..'
^Boigbarde précisait également les modalités du commerce. "Les colons ne peuvent acheter les denrées de la
tmffaopôle --qu'avec leur revenu. Ce revenu ne peut provenir que de la vente des denrées de la colonie. Ce qu'un
- cultivateurfait produirè à la terre pour sa propre consommation a pour lui une valeur d'usage très précieuse, mais
c'eÊ^ëiyaleur vénale et la vente effective du surplus de la production sur la consommation du cultivateur et sur
lequel il est obligé de réserver pour la production de l'année suivante qui donne la naissance au revenu, lequel
n'est autre chose que l'excès de produit des ventes sur la totalité des frais de quelque espèce que ce soit. Les
denrées ne peuvent se vendre que sur les lieux ou au-dehors. On ne peut vendre sur les lieux qu'autant qu'il s'y
trouve un assez grand' nombre de consommateurs qui manquent de la denrée offerte. Ce qui suppose d'autres
hommes que des propriétaires cultivateurs et une population déjà nombreuse occupée à tous les emplois différents
de la société. Il est évident qu'une semblable population n'existe pas dans la colonie naissante, par conséquent le
cultivateur ne peut vendre qu'au dehors. Il faut pouvoir suivre les cours du marché général et donner sa denrée à
aussi bon prix que ses concurrents. Pour vendre à aussi bas prix il faut pouvoir cultiver aussi à peu de frais. Or,
il est démontré qu'il est impossible qu'on cultive dans une colonie avec des hommes libres à aussi peu de frais
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qu'avec des esclaves. La raison en est simple : on ne travaille pas pour autrui quand on peut avec plus de profit
travailler pour soi. Dans un pays où les terres n'ont pas encore de maîtres, un homme libre peut sans beaucoup
de peines cultiver assez de terres pour se nourrir et jamais il ne sera réduit à travailler pour autrui sans un
modique salaire. Or quelque modique que serait ce salaire, il serait toujours beaucoup plus cher que ce que coûte
le travail des esclaves".
Bombarde savait que la côte était basse de Kourou au Maroni, que les vaisseaux ne pouvaient y aborder, mais
malgré l'incommodité du commerce, il avait favorisé la sûreté contre l'ennemi. Il pensait que les pirogues et les
canots transporteraient les effets et personnels à tous les endroits de la côte en la rasant et iraient jusqu'aux
vaisseaux qui attendraient en pleine mer.
"Le principal établissement d'une colonie vaste, paraît devoir être assez dans les terres, au bord de quelques
rivières navigables".
Le choix du lieu où s'établiraient les colons s'était fait à partir de la carte dressée par Danville en 1729. Elle
passait pour être la meilleure. Le meilleur lieu qui paraissait convenable pour chef-lieu se situait sur la rivière de
Counamama, à 10 lieues de la mer, à la même distance de Kourou et du Maroni. La rivière de Counamama et celle
d'Iracoubo vont dans la même direction, elles étaient distantes de 5 lieues et toutes les deux navigables. Cela
permettrait de faire 2 établissements l'un en face de l'autre distant de 4 lieues qui par la suite pourraient être reliés.
En outre, s'il avait plus de colons que prévus, il ferait un 3e établissement entre le fleuve de Maroni et d'Amaribo
(la Mana); Kourou, premier établissement en date puisqu'il y existait la mission des Jésuites, était prévue pour être
le quatrième.
"La liberté de conscience peut attirer des familles allemandes. Le lieu qui serait le plus commode et qui
séparerait en quelque sorte les deux colonies de nature si différentes, serait aux sources du Kourou.
Des familles canadiennes peuvent désirer rester sous la domination du Roi, leur vraie place paraît être au pied
des montagnes, entre la rivière de Sinnamari et d'Amaribo. Espère-t-on avoir les Maltais, que risque-t-on de les
mettre sur la rivière du Maroni, la différence d'habitant et de religion ne laisse point craindre que dans la suite
la proximité des Hollandais les engage à passer de leur côté, ce qui ne serait peut-être p a s si sûr si des Allemands
y étaient placés ?
Puisque je suis en train d'hasarder mes rêveries, une fausse honte doit-elle m'empêcher d'en hasarder
davantage, j'ai pensé que de nouveaux objets de culture et de commerce mettraient un peu plus d'activité et
d'émulation dans une colonie naissante. On aime souvent mieux créer qu'imiter. Les Indiens élèvent et cultivent
du tabac. Pour qui voudrait s'y adonner, il faut peu de force, la culture est facile, le débouché tout trouvé :
Premièrement, l'île de Saint-Vincent fait un commerce considérable de tabac avec la Martinique, Cayenne peut
s'en emparer. Deuxièmement, le commerce direct avec la France s'il réussissait, diminuerait celui des Anglais
qu'on paye en argent.
Il y a beaucoup de tortues dans l'anse de Sinnamary et probablement à d'autres endroits de la côte. J'ai lu
quelque p a r t qu'on y venait de la Martinique en charger des navires, les Indiens leur en vendaient, mais souvent
faute de précautions de leur part, les Martiniquais étaient longtemps à charger leurs navires. Pourquoi ceux qui
habitent cette anse, ne feraient-ils pas des espèces de parcs pour y avoir des tortues en réserve, prêtes à être
vendues et livrées à ceux qui viendraient les chercher ? Sans doute la liberté de commerce est ce qui le fait
prospérer. Mais il faut réprimer la licence, et l'avidité peu réfléchie, si pour leur commodité on laissait établir des
colons trop près de la mer, les tortues effarouchées, et pouvant aller librement pondre sur la sable,
abandonneraient cette côte, il y en a plusieurs exemples.
Le bois manque dans nos colonies, faute d'avoir su le ménager dans les premiers défrichements, cette traite
pourrait être à la charge des Canadiens.
Le commerce avec le Para ne peut être qu'avantageux. Une relation suivie avec le Surinam serait-elle à
négliger ?.
On se contente ordinairement d'un simple arpenteur, dont les talents, le plus souvent limités, ne sait pas
mesurer une surface, et la tracer sur un plan. Ce titre et cet emploi demanderaient un jeune géographe intelligent
et instruit. On lui ferait reconnaître le cours des rivières, depuis leurs embouchures jusqu'à leurs sources. Il
constaterait leur élévation au-dessus du niveau de la mer, et p a r conséquent fixerait la hauteur du terrain. S'il
s'agissait d'une concession, il ne se bornerait pas à en marquer les limites, il observerait les ruisseaux qui la
traversent, les criques (rivières) qui s'y trouvent, les trous, les pripris (marécages), ou les petits monticules. On
aurait de cette manière sans très grand frais une carte très exacte de ce qui est habité.
On pourrait presque assurer qu'il y a dans la Guyane des mines et des carrières ; l'apparence du cinabre qu'on
a cru y voir, semble indiquer une mine de mercure. Un colon dit qu'il y a également une carrière de marbre dans
sa propriété.
Je finis p a r quelques observations qui tendent à la conservation des habitants. Le changement de climat joint
à d'autres raisons en fait souvent périr une assez grande quantité, le manque de femme prévient d'abord l'espèce
de débauche qui y a rapport. On ne sera pas trop en état dans le commencement de faire des excès p a r rapport à
la boisson et à la nourriture. Il reste à craindre la grande raréfaction du sang que doit exciter le passage subit
dans les climats très chauds. Le remède le plus efficace est celui des acides, les citronniers sont très communs
dans le pays, ils sont très propres à faire les haies ou les entourages, il ne sera pas tyrannique d'obliger chaque
habitant d'en avoir une certaine quantité sur son habitation. J'ai ouï dire plus d'une fois que ceux qui passaient
dans nos îles, usaient d'une boisson aussi facile à avoir et aussi agréable à laquelle tant d'européens succombent.
Il est encore plus vraisemblable que si les chefs de la colonie pouvaient persuader les habitants de prendre pour
leur temps de repos, les deux heures du jour les plus chaudes, ils ne succomberaient pas sitôt à une sorte
d'épuisement qu'une chaleur excessive doit produire".
Bombarde avait également réalisé une étude sur le projet d'un collège pour les enfants des colons de la nouvelle
colonie. "Il n'est point question d'en faire des savants mais de bons chrétiens instruits, des sujets fidèles, de bons
colons, c'est-à-dire des cultivateurs laborieux et éclairés, des commerçants actifs et intelligents. Les principes :
Faire des classes suivant les âges, apprendre la lecture et l'écriture, cultiver leur mémoire sur les objets en
Français et en Galibi, apprendre un rudiment de latin, apprendre quelques notions sur les plantes. Pour les plus
instruits les ouvrir aux autres sciences".
Toutefois Bombarde laissa quelque temps Préfontaine et Doucet mener le projet. Il fut fort déçu. L'ouvrage
était si peu précis et si inexact qu'il décida avec Chanvalon et Patris de le refaire. Même la carte de la Guyane
dessinée sommairement par Préfontaine sur des bouts de papiers, était mal assemblée. Buache le Jeune, un
spécialiste qui travaillait avec Chanvalon, n'y comprenait rien et "avait une peine de chien pour faire accorder les
figures avec le descriptif. Ce fut même Bombarde, qui devant l'urgence, plaça et dessina les bois4.
Mais le temps pressait et Bombarde aiguillonnait ses troupes disant à Chanvalon :
"Songez que le temps s'écoule, il y a une inaction générale que celle de Versailles fomente5. Il faudra en finir.
Rien ne sera en état. Si on part, ce sera précipitamment et on aura oublié la moitié des choses fort importantes.
Je voudrais lire le journal dont vous m'avez parlé au sujet du capitaine qui a été à la côte de Cayenne".
Puis Bombarde décida de prendre lui-même la plume. Il corrigea le projet de Préfontaine feuillet par feuillet,
aidé par Chanvalon et Patris. Il le baptisa, "la maison rustique", mais il tenait beaucoup à ce que l'auteur officiel
resta Préfontaine. Il se servit de lui et dit même un jour "qu'il allait faire paraître quelque chose dont on ne croyait
pas capable Préfontaine et qu'il était fort occupé".
Préfontaine, qu'un faux n'effraya jamais, se laissa convaincre.
Le "manuscrit de Préfontaine" fut trouvé bon et apprécié. La dédicace, entièrement rédigée par Bombarde,
avait été adressée à Monsieur le duc de Choiseul, ministre de la guerre et de la marine quelque temps après le
départ de Préfontaine de Rochefort.
" Un zèle patriotique m'avait animé du fond de mon habitation; vous me mettez à portée de le faire paraître
sur un plus grand théâtre, l'habitude du climat, la connaissance du pays et des Indiens, un voyage entrepris avec
succès dans les montagnes contre les nègres marrons, conjointement avec le chevalier de Villiers et autres officiers
de marque, quelques efforts heureux dans les commissions dont j'ai été chargé, peut-être enfin des vues générales
sur l'accroissement et l'avantage de la colonie. Voilà mes titres pour obtenir des grâces de vous. Dans celle dont
vous me comblez, je trouve une nouvelle source d'encouragement. Les obstacles qu'il est possible de surmonter,
ne doivent-ils pas céder aux ressources que doit faire mettre en moi le désir de justifier votre choix. J'ose même
le dire, je suis sûr de mériter de plus en plus vos bontés. Vos ordres sont précis, il ne s'agit que de les exécuter
pour faire le bien, je suis avec respect, Monseigneur votre très humble et très obéissant serviteur, signé,
Préfontaine".
Il cite entre autres : " ce ne sont point de simples spéculations, ou des conjectures hasardées que j'offre; c'est
le fruit de vingt ans de séjour à Cayenne, c'est le résultat de réflexions et d'épreuves confirmées p a r l'expérience.
Je n'ai sûrement pas dit tout ce qui serait ou pourrait être avantageux p o u r cette colonie. Le temps donnera lieu
à des observations plus étendues, rectifiera et perfectionnera mes idées, en indiquera de nouvelles. Je ne serais
que trop content d'avoir mis sur les voies, je jouis d'avance en bon citoyen de progrès auxquels j'aurai peut-être
donné lieu. On ne doit pas exiger de moi de l'élégance dans le style, je ne promets que de l'exactitude. J'entre en
matière ['..J il est d'une extrême importance de bien connaître le terrain sur lequel on se propose de faire un
établissement [...] J'ai vu souvent que ce que l'on avait fait d'abord nuisait dans la suite à ce qu'on voulait faire,
lorsqu'on se trouvait en état de faire davantage. Je conseille donc avant tout, tant p o u r assurer sa jouissance, que
pour éviter toutes discussions, de faire reconnaître, constater p a r l'arpenteur de la colonie l'étendue des bornes
de la concession, de la parcourir ensuite plusieurs fois dans tous les sens. De s'assurer des différentes qualités du
sol, des airs de vent qui y règnent, d'observer la quantité, la pente des eaux qui s'y trouvent, les mornes, les
monticules, les fondrières et les pripris. Toutes ces considérations sont indispensables avant de déterminer le lieu
de sa maison ou son habitation particulière [...J. La sueur est celle qui exige le plus de dépenses."
Cette dédicace se terminait ainsi :
"L'objet de l'ouvrage est d'être utile aux habitants de Cayenne et aux colonies en général. A ce titre il avait
droit à notre protection, celle dont vous m'honorez m'autorise à vous le présenter".
4 Cette carte que l'histoire nous a laissée, se trouve à la Bibliothèque Nationale, et surprend les spécialistes par ses erreurs grossières. Ref
G 1 EG 5003
5 Allusion à Accaron.
Aussitôt Préfontaine fut désigné par Choiseul comme précurseur pour organiser un dispositif d'accueil des
colons en Guyane.
Le duc de Choiseul proposa le 10 janvier 1763 à Turgot Etienne François, le gouvernement de la Guyane. Il
porta des vues sur lui pour les fonctions de Gouverneur et Lieutenant-Général car le nom de Turgot était si fort en
vénération pour le Roi, qu'il n'hésiterait pas à le nommer gouverneur pour Cayenne.
Dans un premier temps Turgot envisagea établir en Guyane une colonie de Maltais. Le 18 février, le Roi
accepta sa proposition d'y installer une commanderie de l'Ordre de Malte et d'en faire le peuplement par des
habitants de l'île de Gozo. Les habitants de cette île située à 6 km au Nord-Ouest de Malte vivaient de commerce
et de pêche mais n'avaient nullement envie de s'expatrier. Le commandeur de l'ordre refusa la Guyane qui était
trop éloignée pour qu'il puisse y exercer un contrôle. L'Ordre de Malte avait acheté en 1649, les îles de Saint-
Christophe, Saint-Martin, Saint-Barthélémy, Sainte-Croix, et la Tortue pour la somme de 40.000 écus et l'essai de
colonisation avait été un échec.
Turgot offrit d'aller à Cayenne en mai. Il n'en fut rien.
T u r g o t Etienne François.
Son père, Michel-Etienne Turgot, magistrat français, né en 1690 à Paris, est décédé en 1751, fut prévôt
des marchands et président de la seconde chambre des requêtes au parlement de Paris.
Son frère Anne-Robert-Jacques Turgot, baron de l'Aulne, troisième de la famille est né en 1727, mort
en 1781, fut intendant de Limoges et plus tard ministre.
Etienne-François, naquit à Paris le 16 juin 1721. Cadet de sa famille, il épousa une "damoiselle" Capon.
Un mystère subsista : sur son contrat de mariage, il fut écrit qu'elle était la fille d'une certaine dame Capon,
marchande de frivolité et de le nom du père fut laissé en blanc, par contre sa dot s'avéra fort somptueuse,
sa mère était évidement incapable de la fournir. La tradition de la famille disait qu'elle était la fille du régent.
Comme enfants ils eurent entre autres:
- Anne-Michel Turgot, né en 1762.
- Etienne-François-Charles Turgot, né en avril 1765 à Cayenne, mort peu de temps après.
- Antoine-Etienne Turgot, né le 24 décembre 1766.
Le nom de Turgot provient de Thor-Gott, ancienne famille de Vikings venus du Danemark. Elle fit
souche en Normandie, puis se divisa en trois branches, celle des Tourailles, celle des Lantheuil, celle des Bons
près de Falaise d'où sera issu le chevalier.
Etienne Turgot fut reçu à 15 mois, chevalier non profès de l'ordre de Malte "à minorité" au grand prieuré
de France. A l'âge exigé, il fit ses caravanes à Malte, puis servit sur les vaisseaux de la "religion", il commanda
une galère et se distingua dans l'administration de l'île.
De retour en France, il fut nommé cornette dans le régiment de Clermont-Tonnerre, maître de camp
général de la cavalerie. Le 3 août 1741 à l'âge de vingt ans il fut capitaine dans le régiment de Chabran. Il fit
la campagne de Bohème et celles des Flandres sous les ordres du Maréchal de Luxembourg. A 25 ans, il
donna sa démission et retourna dans ses propriétés de famille, en Normandie, au château de Bons, avec le
grade de colonel des dragons. Epris de savoir et de progrès, il fit des voyages d'études en Italie et à Malte.
En 1760, avec son frère, il fit partie des fondateurs de la Société Royale d'Agriculture et en janvier 1762,
fut reçu associé libre de l'Académie des Sciences.
Un de ses amis à cette époque nous le décrit ainsi :
"Il avait de l'humanité le coeur droit, philosophe, sa passion était d'imiter son père p a r son amour pour
le bien et en faisant des choses utiles au public". Il avait des connaissances étendues en histoire naturelle et
en économie rurale. Il consacra ses loisirs à l'étude de toutes les questions qui pouvaient intéresser les progrès
de la science et de l'agriculture. Il rédigea de nombreux mémoires sur la science. Il avait apporté dans son
parc de Bons et dans celui d'Ussy des essences rares de la Guyane. Sa bonté et la libéralité avec lesquelles il
traitait ses fermiers et ses paysans était légendaire dans la région, "il aimait le peuple".
De son côté Chanvalon dès janvier 1762, avait écrit à Turgot intendant à Limoges, pour lui demander
d'intervenir auprès du Ministre, il désirait obtenir une intendance aux colonies. Il le connaissait assez pour avoir
fréquenté comme lui les salons de Mesdames Geoffrin, de Grofigny et Lespinasse. Ils partageaient les mêmes
idées philosophiques, conformes à celles de Vincent de Gournay. Ils les développaient mais avec de plus saines
conceptions de l'économie politique, de la finance et du commerce. Plus tard, Turgot les fera paraître dans
plusieurs articles de l'Encyclopédie avec ses réflexions sur la formation et la distribution des richesses. Ainsi,
Turgot l'intendant se porta garant de Chanvalon auprès de deux personnes influentes : d'abord, monsieur de
Trudaine, conseiller au parlement de Paris, économiste éclairé, partisan de la liberté du commerce et de l'industrie
et surtout il décidait beaucoup et avait de l'influence sur le gouvernement. L'autre, monsieur Chauvelin, un de ses
parents, adversaire des plus ardents des Jésuites. Il le présenta comme un homme d'esprit, mais ne répondit point
de son caractère. Ce fut donc Turgot l'intendant de Limoges qui participa au choix de Chanvalon et non son frère.
La désignation de Chanvalon comme intendant de la nouvelle colonie fut prononcée le 10 février 1763. Non sans
critiques de la part de ceux qui ironisaient en disant qu'il était "un homme sans état". Lui qui avait pour devise "à
vaincre sans péril, on triomphe sans gloire", il se prépara.
Le 22 mars 1763, Turgot écrivit à Béhague que le Roi avait partagé l'ensemble de la Guyane en deux parties,
qu'il commanderait l'ensemble. Chanvalon serait intendant de toute la Guyane, Béhague commandant des troupes
et de la partie Sud et Préfontaine commandant de la partie Nord.
Malgré tout Choiseul régnait en maître absolu sur l'expédition, ainsi malgré Turgot, il imposa l'envoi du
régiment de Saintonge en Guyane, car la création des troupes nationales allait mettre du temps, cependant il ne fit
qu'engorger Cayenne car il n'y avait pas de place pour accueillir les soldats.
Les personnels de l'administration de Louisbourg furent affectés à Cayenne. Ils se trouvaient à Rochefort sans
emploi, en attente d'un hypothétique retour au Canada ou à l'île Royale. Il fit ainsi faire des économies à la caisse
du Roi en évitant des dépenses inutiles, le Roi n'en aurait plus la charge.
Choiseul se substituait aux compagnies de commerce en entreprenant de grands travaux en Amérique. Pour la
Guyane, il envisageait de faire un établissement solide et brillant. Aux Antilles, l'installation de chambres de
commerce et d'agriculture commençait. Cayenne qui possédait 400 habitants en 1696, et seulement 200 en 1762,
avait la réputation d'être une colonie où "les abus s'étaient multipliés, formaient une nuisance pour son existence
et où l'arbitraire et la cupidité régnaient". M. Petit conseiller au conseil supérieur de Saint-Domingue, n'était-il
pas venu à Cayenne en 1761 pour étudier les possibilités d'implantation d'une chambre d'agriculture et de
commerce ? Il en avait même trouvé les habitants "incapables d'efforts car bercés par les douceurs du climat".
Choiseul fit le rapport suivant au Roi : "La Guyane de par sa position paraît assurer la défense des autres
colonies et doit procurer le moyen d'attaques et de diversions contre les nations ennemies jalouses de sa
puissance, ainsi qu'un abri pour ses vaisseaux".
Le 13 mai 1763, le roi à Versailles, confirma la charge de Turgot. "La confiance que Sa Majesté a dans les
lumières et les talents du chevalier Turgot, le pourvoit de la charge importante de Gouverneur et celui de
Lieutenant Général pour elle tant dans l'île de Cayenne que la nouvelle colonie".
Des agents recruteurs partirent sur les routes de france et d'Allemagne, on afficha aux portes des églises
d e s . p l a c a r d s invitatoires.6
"Les 'Européens qui passent dans ce beau pays qui donne deux récoltes
par an y obtiennent un terrain en propriété en arrivant. Ils y sont nourris,
logés, bien habiffés et fournis de tout ce qui [eur est nécessaire pour eu?(j leurs
femmes et [eurs enfants pendant deux ans et demi, et on [eur donne tous [es
outils dont ils ont besoin pour la culture de la terre et [es différents métiers,
ainsi que tous [es secours en cas de ma[adie. On ne [eur demande aucun droit
ni impôt, et on ne [es inquiète point sur [eur croyance, on [eur paye [e voyage
pour se rendre à Rochefort, doù on [es transporte gratis à [a Guyane, et ifs
ont en attendant [a suBsistance durant [e temps qu'ils séjournent dans ce port,
et [eur est payé en outre avant [eur emBarquement une somme de 50 livres par
fami[[e composée du père, de la mère et dun enfant, et diX livres par tête
d'enfant s'if s'en trouve davantage dans [a fami[[e, afin de [es mettre en état
de se pourvoir des hardes [es p[us nécessaires pour [eur traversées, pendant
[aque[[e ifs sont nourris gratis, on recevra aussi [esjuifs."
(Paris de [imprimerie de M D 2?J.
Ruiz s'amusait bien depuis que la nouvelle de l'arrivée de Préfontaine lui était parvenue. Il était persuadé,
comme bon nombre de ses collaborateurs ou amis, anciens de Guyane, que cette "affaire" n'aurait pas lieu. Les
deux fils de Dunezat servaient dans la marine à Rochefort ; Préfontaine était donc bien connu, ce n'était pas à son
avantage, à tel point qu'une lettre anonyme écrite de Rochefort le 9 avril 1763 fut adressée au Roi.
"Il parait que l'on se dispose à faire des travaux immenses à la Guyane, pour lequel on fait de grands
préparatifs. Savoir si l'issue répondra à l'attente. A en juger par les personnes à qui on a confié l'exécution, on a
lieu d'en douter. Un certain M. de Préfontaine, jadis cadet, ensuite passé officier à Cayenne, depuis décoré de la
croix de Saint Louis, est l'homme dont le ministre a fait choix, ou qu'on a contraint de prendre. C'est un parfait
original et un franc suivant ce qu'on m'a rapporté de lui. Comme j'espère aller lundi au bureau, je serai
mieux instruit. Il n'a d'autre mérite que d'avoir dîné avec M. de Choiseul; aussi ne le laisse-t-il ignorer à personne.
En arrivant, il présenta ses lettres de créances et ses pouvoirs. En conséquence il dit ; il me faut bien des choses.
Il me faudra des pelles, haches, serpes, coins, pics, tranchets... &. Et quel nombre ? lui dit on. Vingt, trente,
quarante mille, dit-il. Et de quelle forme désirez-vous ces outils ? A l'ordinaire. Il s'en fait de différentes formes,
suivant l'usage que l'on veut en faire. Il y a des pelles plus large du taillant que du talon. C'est celles-là qu'il me
faut ! D'autres plus larges du milieu que des extrémités. Ah ! c'est celles là. Il en est encore de plus étroites du
taillant que du talon. Je les prendrais comme cela. Faites-les faire comme vous voudrez.
Il dit qu'il attendait beaucoup de monde, des ouvriers, qu'il allait à la Rochelle, et que si son monde était
arrivé, il fallait tenir la frégate l'Hebé prête pour partir. On lui dit la chose impossible, que la frégate n'était point
destinée pour Cayenne, et qu'il n'y avait point d'autre vaisseau prêt. Il répondit qu'on le fit partir, et qu'il prenait
sur lui l'événement. Ni intendant, ni commandant n'ont voulut y souscrire. - Je vais, dit-il, envoyer un courrier
extraordinaire. On lui dit que le lendemain était jour de poste, il pourrait écrire par cette voie.
Il dit ensuite qu'il embarquerait 50 barriques de vin. On lui fit observer que le tonneau était de quatre
barriques. Ah, ah !, dit-il, je ne le savais pas. - Pour un homme qui depuis 30 ans habite les ports et la colonie ce
n'est point pardonnable, ça le serait à un parisien qui ne connaît ni muid, queuës, cartaud, piper etc...
Il fit une autre demande crut exiger beaucoup, en demandant 2000 briques. On lui demanda, ce qu'il ferait
avec cette quantité. Oh ! dit-il, j'ai beaucoup de bâtiments à faire. Quelqu'un lui répartit ce que vous demandez,
sera à peine suffisant pour une ou deux cheminées... M. Ruiz leva les épaules, et tout le monde en fit les gorges
chaudes. Voilà Monseigneur celui à qui est confié cette grand oeuvre, asseyez votre jugement sur l'exposé". 1
Tout ceci sentait la cabale et Préfontaine fut traîné de bureau en bureau, en un mot ridiculisé.
D'ailleurs, même à Paris, malgré le poids du ministre Choiseul, on s'affairait lentement. Les ordres n'étaient
pas prêts et les responsables divisés. Il est vrai que le problème financier n'avait pas été réglé et que Bombarde
dans un souci d'efficacité était sur le point d'engager ses propres deniers.
L'ordre du Roi arriva de Versailles le 18 février 1763 : "le Roi étant, Monsieur, dans l'intention de former une
colonie nouvelle dans la partie des terres qui sont restées incultes dans la province de la Guyane, il y a été pris
des arrangements pour y faire passer des familles et comme il est indispensable de faire à l'avance des
défrichements et construire des sortes de baraques pour y recevoir les familles, il a été arrêté que le seigneur
Préfontaine cy-devant officier dans les troupes de Cayenne, s'y rendra le premier avec les personnes, les outils,
munitions et marchandises. L'intendant doit faire rassembler le plus tôt possible les articles comptés dans l'état
ci joint".
Finalement, le gouverneur Turgot avait établi une liste de matériel que le précurseur devait emporter. Cette liste
ci dessous n'est pas complète, elle est donnée à titre indicatif ne prenant en compte que les objets les plus
marquants:
"1 forge complète, 2000 briques pour préparer des fours, 4000 thuiles, 12 tentes dont une plus grande que les
autres, 1600 pelles de bois, 100 poulies de différentes grandeurs, 4 milliers de poudre pour les arbres, 200 lignes,
grand nombre d'hameçons, de sennes, de folles et des harpons, 150 scies de toutes espèces, 400 brouettes, 2000
planches, 200 madriers, 150 barils de boeufs en petit salés, 10 barriques de lard ; 2 tonneaux de poix, fèves et
1 On le saura par la suite cette lettre avait été écrite par le sieur Bougon de Rochefort au bureau des colonies pour le Roi.
lentilles en dame jeanne, du canevas serré pour faire des moustiquaires, 12 barils d'harangs blancs et sorres pour
les Indiens et les nègres au travail, quelques vaisselles de bois, 300 chaudrons, 200 lanternes et fanaux de
différentes grandeurs, 200 assiettes en étain, 6 barils de charbon de terre, 10.000 épingles, 6 milliers d'ardoises,
6 milliers de thuiles pour couvrir les maisons, 50 tourne à gauche pour enlever les clous et les vis, 4 canons de 8
et 4 de 4, une quantité raisonnable de peinture de 4 couleurs préparées à l'huile pour enduire les magasins et
autres bâtiments en bois et de l'huile pour peinture en proportion, 6 pierres à filtrer, 20 grandes roues moyennes
et petites pour charrois".
Il emporta avec lui des tentes, est-ce un fait du hasard ou acte volontaire, c'était des tentes de six places peu
logeables. Par malheur il ne put prendre les clous qui n'avaient pas été livrés.
Le 22 mars 1763, Préfontaine, est attendu à Rochefort pour le chargement des bateaux. Il n'y arrive en fait que
le 31.
Ruiz toujours aussi incrédule, n'a pratiquement rien fait jusqu'alors.
Le 22 avril 1763, Choiseul envoya une lettre à Rochefort. Il y vantait les mérites de Préfontaine c'était pour
contrer la lettre anonyme. Dans une autre lettre datée du 30 avril, adressée à Maillart Dumesle à Rochefort2, il
écrivait : "Je viens d'apprendre, Monsieur, qu'on devait proposer un arpenteur pour Cayenne, fils d'un homme
résidant à Rochefort, et que depuis on avait cherché à éloigner ce choix, voulant faire donner cette place à un
homme qu'on dit être cuisinier de l'abbaye de saint-Denis, et qui doit arriver à Rochefort avec une lettre de
recommandation du prieur de cette Abbaye. Je vous prie de prendre les plus exactes, et les plus promptes
informations sur ce changement qui serait désagréable p o u r le père de l'arpenteur qu'on devait me proposer et
dont j'ignore le nom. Afin que je puisse couper court à la petite intrigue qu'il peut y avoir eue à l'occasion de cette
place, p o u r la faire remplir p a r celui sur lequel on avait d'abord jeter les yeux, s'il en est capable. [...]. Signé
Choiseul".
L'affaire n'en resta pas là, puisque le 9 mai 1763 une copie d'une lettre adressée à Choquet par le duc de
Choiseul3, précisait : "Je vois Monsieur p a r les informations qui ont été prises au sujet de l'arpenteur désigné pour
Cayenne, que c'était le fils du Sr Bougon employé au magasin des colonies. En voulant m'instruire de ce qui
concernait le fils, j'ai découvert ce qui était à la charge du père, vous en jugerez p a r la copie ci-jointe d'une lettre
qu'il a écrit à Paris sur l'établissement de la Guyane. L'intention du Roi n'est pas d'avoir à son service un sujet
tel que le Sr Bougon qui est capable de décrier l'administration même dans laquelle il est employé et à laquelle
il destinait son fils. Sa Majesté vous ordonne en conséquence de le renvoyer du bureau des colonies et d'empêcher
que son fils ne soit embarqué p o u r aucune destination relative à ce service. [...]. Signé le Duc de Choiseul". Le
doute était dans les esprits ; même Doucet s'inquiéta des capacités de Préfontaine, ce dernier n'aura qu'une hâte :
partir pour Cayenne le plus rapidement possible.
On s'affaira dans le port de Rochefort. La marine affréta 3 navires, "Le Jason" et "l'Américain" comme
bateau de transport de matériel, "la Comtesse de G r a m o n t " appartenant à Clouait, fut conduite de Brest à
Rochefort; elle avait à son bord des Irlandais dont on ne savait que faire, on les enrôla pour partir avec Préfontaine.
Cependant, on comptait sur une centaine mais il y en eut moins que prévu, environ 45 ; ils furent confiés à Doucet.
Enfin le 16 mai 1763, Préfontaine quitta la Rochelle. Lemoine, ordonnateur à Cayenne quittant ses fonctions,
arriva en France dans ces moments-là. En apprenant le départ de Préfontaine à La Rochelle, il resta médusé et
inquiet sur le devenir de cette expédition, ses doutes aidèrent à semer encore plus la confusion dans les esprits. Il
fut reçu longuement à Paris par Turgot et Acaron. Ses craintes vinrent s'ajouter à celle des armateurs de la Rochelle
qui avaient rédigé plusieurs mémoires pour déconseiller ce projet. Il semblerait que son silence fut acheté par
d'énormes gratifications de la part de Choiseul et son affectation privilégiée à Rochefort.
Le retard de Préfontaine fit différer le départ de Chanvalon car il était prévu un délai de six semaines pour lui
permettre de réaliser en Guyane les constructions nécessaires.
Beaucoup plus inquiétant était le doute que les différentes délations sur Préfontaine avaient semé dans les
esprits. Turgot voulait le faire relever, Bombarde indécis laissait l'initiative à Chanvalon. Toutes ces hésitations
favorisèrent Préfontaine. Alors que fin 1763 une nouvelle lettre anonyme venue du Surinam à l'attention de
Bombarde portait de nouvelles accusations sur lui, Mérin, un ancien soldat qui avait servi sous ses ordres,
confirma les dires de cette lettre.
Bombarde fit des reproches au ministre en lui disant "qu'il avait fait une grande entreprise avec les plus grands
moyens, le succès semblait incertain car il en avait confié le début à un personnage douteux". Bombarde écrivit
alors à Préfontaine "avec détails et amitiés pour qu'il se conduise bien et se mette en état de servir dans
l'occasion". Laplace, responsable du "Mercure de France" journal de l'époque et auteur d'articles, accusa son ami
Bombarde, "d'avoir été au courant des faits et que le secret des plaintes contre Préfontaine venait du tiers ou du
quart des personnes connues"4.
Chanvalon dans sa naïveté avait pris l'affaire de la dénonciation comme montée par des envieux. Il avait écrit
Pendant ce temps, le 18 février 1763, Choiseul avait donné des ordres à Cayenne pour annoncer à Béhague la
Nouvelle Colonie et l'arrivée du régiment de Saintonge. Celui ci répondit : "Nous supplions Monseigneur d'être
bien persuadé de notre empressement à remplir ses ordres de point en point. Il ne dépendra certainement pas de
nous, que M. Préfontaine ne trouve toutes les facilités que les circonstances et la situation présentes de la colonie
permettront de lui donner relativement à l'objet de sa mission"5. En outre Béhague avait reçu l'ordre de "planter
des vivres tant pour la nouvelle colonie que l'ancienne". Il s'agissait "de faire des plantations de manière à obtenir
avec promptitude des secours, pour l'ancienne colonie". Ces plantations devaient être faites à l'Oyapock, Béhague
s'y trouvait à l'arrivée de Préfontaine à Cayenne. Pour la nouvelle colonie, ces plantations furent faites chez les
Jésuites sur l'Oyac à Saint-Régis.
Le 22 mars 1763, Turgot écrivit à Béhague que le Roi avait partagé l'ensemble de la Guyane en deux parties,
Turgot commandait l'ensemble, Béhague la partie Sud et Préfontaine la partie Nord. Il fut aussi décidé que
Chanvalon serait intendant de toute la Guyane, et Béhague commandant des troupes.
Cayenne vit arriver en mai le régiment de Saintonge. Une compagnie occupa Loyola, une autre l'église de
Rémire, un détachement fut envoyé à Oyapock, deux compagnies à Kourou. Le colonel commandant le régiment
était chargé d'une lettre signifiant au gouverneur d'Orvilliers, son congé définitif alors qu'il n'avait demandé un
congé que pour aller se soigner en France le 25 mars 1763.
Il devait remettre à Béhague le commandement de la colonie en attendant l'arrivée de Turgot.
L'annonce de l'établissement de la nouvelle colonie provoqua à Cayenne une grande effervescence. Si en ce
qui concerne Turgot et Chanvalon, personnages inconnus en Guyane, il n'y eut pas d'inquiétude, l'arrivée de
Préfontaine souleva l'indignation. Comment un homme qui avait été la risée du pays pouvait-il en devenir un des
principaux responsables...? Moreton de Chabrian remit à Béhague et Morisse un mémoire en forme de requête
contre Préfontaine au sujet de sa conduite dans la colonie et en particulier de sa fuite devant les nègres marrons
et son récit affabulateur. Le sujet vu et corrigé par Béhague fut communiqué à Morisse. Les suites données à ce
mémoire ne sont pas connues. Il contenait des détails indécents ; trente habitants se déclarèrent, mais Fusée
d'Aublet eut assez de crédit pour le faire supprimer. Une autre requête fut également faite par Culan de Chavigny
beau-père de feu la fille de Madame Préfontaine. Ces mémoires, incitaient en partie les habitants à ne pas aider
Préfontaine dans ses travaux d'installation. "Préfontaine avait eu certes des légèreté, mais maintenant il était seul
et harcelé" disait Fusée d'Aublet. Il ajoutait "Il faut dans le calme mesurer tout cela, entendre, écouter, prendre le
papier, écrire et le conserver précieusement de manière à tout digérer pour porter un jugement à sa juste valeur,
je ne déciderai rien sans l'avoir vu fréquemment et connu le sujet". Il disait encore : "Ceci n'est qu'un avis mais
il y a beaucoup de fourberie cachée, d'intérêts personnels de vindications sous le voile du bien. Je connais assez
le local pour vous en parler ainsi".
De plus l'installation d'une nouvelle colonie, sans esclave, la distribution gratuite de terrains à de nouveaux
arrivants, alors qu'eux-mêmes depuis des dizaines d'années n'étaient pas encore propriétaires, firent des
mécontents.
Arthur, médecin du roi, adressa un mémoire à Bombarde pour lui déconseiller l'établissement d'une colonie
blanche à Cayenne6. Il y eut également quelques avis de commerçants pour dire que Cayenne ne possédait aucune
ressource dans ce domaine. D'autres aussi, firent de grands mémoires pour dire de suspendre ce projet, Moreau du
Chassis fut chargé de les porter à la cour du roi.
Il est intéressant à ce moment de notre histoire de prendre connaissance des avis émis par Fusée d'Aublet sur
les principaux personnages de la colonie. Avec sa perspicacité habituelle il voyait tout, notait tout.
"Sont espions à la solde de Béhague et Morisse: Kerkove, La Mancellière, le chevalier de St-louis, Fontaine
son associé, Lavaud capitaine de port, les domestiques à Lemoyne qui sont à l'auberge de la Guinefolo dite Sans
chagrin, M. de Lahery, Demais officier réformé qui reste chez Demontis, tous les officiers des deux compagnies
qui sont à Kourou, quelques mulâtres et domestiques, Mari sucrier, Genouillet qui vend la marchandise achetée
aux anglais, la Vendôme, gargotière".
Voici les impressions de Fusée d'Aublet sur les principaux personnages de la colonie et sur le conseil supérieur :
Béhague : beaucoup d'esprit, point de conduite, méfiant et vindicatif. Homme à sacrifier sa patrie pour son
avancement, aujourd'hui pernicieux à cette colonie et aux desseins du jour, avare, méprisant et grognard.
5 Ref C 14 R 26 F 149.
6 Ref BN, N A F R n02572 page 779.
"Archives nationales - CAOM. Tous droits de reproductions réservés."
Morisse : homme d e cabinet, craintif, se laissant f a c i l e m e n t s u r p r e n d r e , trop facile à d o n n e r le b i e n d u roi,
n ' e n t e n d a n t p o i n t l ' a d m i n i s t r a t i o n , g r a n d s p é c u l a t e u r , d o n n a n t t o r t à l a p a r t i e q u i a le m o i n s d e f o r c e , il e u t é t é
c o n s e i l , g r a n d a m i d e s J é s u i t e s , il n ' e s t q u e r e c o n n a i s s a n t , j e l e c r o i s d é s i n t é r e s s é a u x J é s u i t e s .
Artur : inquiet, turbulent, souvent plus Anglais que Français, e x t r ê m e m e n t passionné et tout a pour but des
intérêts qu'il calcule six m o i s d a n s s o n h a m a c . C'est u n galant h o m m e , m a i s ses avis n e sont p a s à suivre, sert s o n
g r a n d s e c o u r s . Il e s t très g é n é r e u x , o b l i g e a n t .
Poulin : un grand h o m m e b i e n fait, h o n n ê t e , q u i est t o u j o u r s d e l'avis d e ces m e s s i e u r s , n e m e n a n t j a m a i s
g r a n d bruit, b e a u frère d e D e m o n t i s .
Grossou : ex-Jésuite, "pousseux", honnête homme, s'il v o u l a i t s ' a p p l i q u e r il p o u r r a i t b i e n f a i r e , a s s e z b o n
habitant.
m é r i t e r é c o m p e n s e s o u d e s e m p l o i s p o u r s e s e n f a n t s , c ' e s t l e s e u l q u e j ' a i e n c o r e v u b i e n s e r v i r le R o i . Il e s t b o n ,
v o u s p o u v e z r e c e v o i r d e s i n s t r u c t i o n s i m p o r t a n t e s d e lui. F l a t t e z - l e u n p e u et m a r q u e z - l e d e c o n f i a n c e e t p l a c e z
s o n fils, il s a i t b i e n d e s c h o s e s q u e l u i s e u l p e u t v o u s r e n d r e c o m p t e .
B e r t h i e r : u n braillard.
B o u t i n : p e t i t h o m m e d e t a i l l e ; s é v è r e q u a n d il e s t c h a r g é d ' u n e a f f a i r e , c a p a b l e d ' e x e r c e r u n e b o n n e p a r t i e d e
L a G o t e H e r i e : h o m m e flétri à n e p o i n t m e t t r e a u trésor.
Des Essarts : commissaire inspecteur, homme étendu, capable et utile, mais le p l u s rusé de la colonie,
e n t e n d a n t b i e n s e s intérêts. Il sait v e n d r e s e s c o q u i l l e s .
le P è r e D a v e r d o i n g : u n e m p o r t é .
le P è r e F a u l q u e : u n h o m m e bon, utile à O y a p o c k .
le P è r e R u e l : u n finassier.
m a l . Ils f a i s a i e n t f a b r i q u e r p a r l e u r s s o l d a t s d e s a r m o i r e s e t d e s b i b l i o t h è q u e s a v e c les p l a n c h e s l a i s s é e s s u r le p o r t
de Cayenne".
p o p u l a t i o n , ils n e s ' a b a i s s e r a i e n t p a s d e v a n t P r é f o n t a i n e . L e s h a b i t a n t s p o u s s è r e n t B é h a g u e à f a c i l i t e r l a p e r t e et
régiment de Saintonge. Il e n fut de même pour les t r o u p e a u x , les c h e v a u x et les ustensiles des Jésuites. Ils
v e n d i r e n t leurs effets et e n particulier la m é n a g e r i e d u p è r e R u e l soit 12 vaches, 15 g é n i s s e s , 2 g r o s t a u r e a u x , 3
resta plus g r a n d chose, les Jésuites savaient qu'ils allaient partir p r o c h a i n e m e n t et c h a n g e a i e n t d'attitude.
s ' é c h o u a . Il f u t d é c h a r g é t a n t b i e n q u e m a l , m a i s c i n q d e s s i x c h a l o u p e s q u i a u r a i e n t d û f a c i l i t e r l e s m a n o e u v r e s ,
restèrent sur le quai faute d e c h a r p e n t i e r p o u r les monter. L e matériel fut a b a n d o n n é au b o r d d e la mer, sans g a r d e
e t s a n s c o n s i g n e , à p o r t é e d e t o u s c e u x q u i v o u l a i e n t le p r e n d r e et s'en servir.
Le 10 juillet 1763 Préfontaine écrivit à Acaron :
"J'ai l'honneur de vous informer de mon arrivée à Cayenne, le 8 juillet après 54 jours de traversée. Ce
retardement a moins apporté de lenteur dans mes opérations que l'impossibilité où l'on a été sans doute de
rassembler les Indiens de la partie du Sud et de faire sonder depuis Kourou jusqu'à Sinnamary pour faciliter sans
crainte et sans délai, l'entrée de cette rivière aux transports des effets du Roi et des colons dont vous m'avez
chargé. J'avais prévenu de mon arrivée p a r le bateau "la Belle Angélique" et les avait suffisamment instruits de
la nécessité de ses préparatifs. Ce qu'il y a de sûr c'est qu'à mon arrivée, je n'ai vu aucun indice de mouvement
jusqu'aux pirogues du Roi et aux bateaux de transport que j'ai trouvé échoués sur les vases sans pouvoir m'être
d'aucune utilité. Ce désagrément m'a forcé non seulement à rester à Cayenne, mais encore à fixer mon campement
à Kourou sans que cela puisse en rien déranger les idées primitives de l'établissement. Je vais travailler à faire
un chemin de Kourou à Sinnamary p a r l'intérieur des terres pour construire sur les rives de cette rivière quelques
maisons d'attente. Je ne puis, Monseigneur, laisser ignorer à Votre Grandeur l'offre obligeante que les Jésuites
m'ont faite de leurs nègres et de la peine qu'ils ont pris à apaiser l'esprit des Indiens, qui, de mes amis jadis,
étaient devenus, je ne sais comment, contraires à l'objet. Ils ont bien voulu me céder leur bétail pour le service de
la nouvelle colonie. Ce n'est pas d'eux seuls que j'ai reçu des secours, Messieurs les chevaliers de Villiers mon
ami et Culand, officiers de l'ancienne garnison et excellents habitants se sont joints à moi p a r leur travail pour
réparer tous les contretemps que j'ai essuyés. Je pars de Cayenne pour Kourou le 16 juillet, j'aurai l'honneur de
rendre
Béhague travaillait à l'Oyapock, Morisse le reçut. Là encore, Préfontaine mit ses talents de faussaire en oeuvre,
d'après Morisse il lui montra un ordre disant : "Sa Majesté a nommé le sieur Préfontaine commandant de la dite
colonie et de la partie nord de la Guyane, sous Monsieur Turgot Gouverneur général de la dite colonie et Béhague
commandant la partie sud", alors que l'ordre authentique du Roi stipulait : "Sa Majesté nomme le sieur
Préfontaine commandant la partie nord de la Guyane sous monsieur Turgot gouverneur et Béhague, commandant
la dite colonie et la partie Sud".
En fait à son arrivée, Préfontaine apprit que les Indiens étaient presque tous partis, car Béhague leur avait fait
dire qu'ils allaient tous être esclaves. Sans délai, il les fit rattraper par Meteraud, créole indien de la colonie qu'il
venait de désigner à leur tête pour faire les travaux sur le Kourou. Il les rattrapa sur l'Orapu chez Boudet.
Béhague rentra d'Oyapock.
Bien que l'histoire ne nous le raconte pas, on imagine aisément la chaleur de son premier entretien avec
Préfontaine. Ce dernier devait selon les ordres s'installer sur la Sinnamary. Béhague le mit au courant de
l'ensablement du fleuve et lui fit signer une décharge. Par la suite pour justifier ce contretemps Préfontaine accusa
Béhague de ne pas lui avoir fourni le pilote Laveau pour aller reconnaître l'entrée de ce fleuve, sous prétexte qu'il
n'était jamais entré dans cette rivière et ne la connaissait pas alors qu'il allait y chercher des tortues depuis 1758.
Devant tant de difficultés, sur les conseils d'Artur, médecin du roi, Préfontaine établit son camp à
l'emplacement de la mission des Jésuites de Kourou pour profiter des bâtiments et installations. Dans son
manuscrit sur l'histoire de Cayenne, Artur7 évoque timidement l'expédition de Kourou, il dit à ce sujet : "Il faudrait
maintenant entrer dans l'histoire de la nouvelle colonie, appelée colonie blanche, mais on sent bien que ce que
j'aurais à dire est trop récent pour être écrit avec l'exactitude, la fidélité convenable, j'abandonne cette tâche à
d'autres". Il ne prononce pas une seule fois le nom de Préfontaine. Il parle de Turgot, Chanvalon et seulement d'un
ancien officier du pays, arrivé en avant-garde et qui ne savait pas où s'installer avec son détachement, et qu'il
arrangea, avec le père Ruel supérieur des Jésuites, l'installation à Kourou". Il termine par cette citation latine qu'il
n'a malheureusement pas été possible de traduire dans son véritable sens, car l'auteur pratiquait d'après les
connaisseurs un mauvais latin. " Ournis 'ur aretou miles quicumque pruinis maxitur, judonritus bellis, et mortis
amatom quiquid ad loos tractus, nurdis que téporem labitur, Einollite gentes clementia coeci". Dont la traduction
possible est : "Ce glorieux soldat de nature ardente, insubordonné et n'ayant pas peur de la mort, attiré p a r les
femmes, la débauche et les charmes du monde, trébuche. Ebranlé il prend peur, et attendrit la population pour
demander sa clémence, qu'il ne mérite pas".
Préfontaine partit pour Kourou le 17 juillet. En entrant dans l'estuaire, "l'Américain", son deuxième bateau de
transport coula, tandis que "la Comtesse de Gramont" manqua de justesse de s'échouer sur les rochers. Pour
transporter ses personnels et matériels, il ne lui restait plus que la canonnière mise à sa disposition par Fiedmont
et les chaloupes des vaisseaux frétés. Priorité fut donnée au déchargement de la "Comtesse de Gramont" prévue
pour aller chercher à la Martinique, Madame de Chanvalon, et de la chaux en Guadeloupe. En fait ce voyage n'eut
pas lieu faute de vivres.
Préfontaine avait reçu l'ordre de placer le camp dans un endroit qui ne servirait pas pour bâtir une ville. Le site
de la mission des Jésuites s'y prêtait particulièrement et il pensait pouvoir tirer des secours de Macouria, à partir
de la crique Timoutou et Montsinéry. Il fit planter des vivres sur un camp proche des roches de Kourou. Il ne devait
pas donner de concessions, ni établir de colon.
Reproduction encre de Chine d'une aquarelle de l'expédition de Kourou. Réf. CAOM. DFC GUYANE. W 135 B
Toute peine méritant salaire, Préfontaine demanda par l'intermédiaire de Chanvalon le grade de lieutenant
colonel et 12.000 livres pour son épouse. Il obtint satisfaction.
CHAPITRE 3
Octobre 1763.
Cinq chariots couverts de mauvaises bâches, protégeaient difficilement ses passagers de la pluie fine et glaciale
qui tombait depuis le matin. Ils firent halte, plusieurs cavaliers mirent pied à terre pour s'allonger sous une voiture.
A l'extérieur de la colonne deux hommes étaient restés à cheval. Un blond et un brun. Le brun dit à l'autre qui
commandait le convoi.
- Mon frère, allons jusqu'au village.
Le cavalier regarda l'enfant que son frère tenait devant lui sur l'encolure de son cheval. Un beau petit garçon
blond comme les blés qui regardait tout autour de lui avec de grands yeux curieux.
Le village ne devait pas se trouver très loin. Mais instruit par l'expérience, le convoi d'émigrants allemands en
route pour la Guyane préférait s'annoncer à chaque bourgade afin d'éviter les réactions d'habitants de plus en plus
las de ces passages intempestifs.
Tout avait commencé en avril de cette année 1763 où la famine avait touché durement toute la Rhénanie et plus
particulièrement le diocèse de Spire. S'ajoutant aux maigres récoltes de l'été 1762, un hiver humide avait fait
pourrir une grande partie du grain. Quelques pillards descendus du Hardt avaient transformé ces difficultés en
catastrophe. On avait mangé l'écorce des arbres chez les Stadeler !
Et la pluie tombait toujours.
Le dernier dimanche de ce mois funeste, tout le village de Hautebourg s'était retrouvé pour une messe plus
vibrante et plus désespérée que jamais.
Le fait se produisit à la sortie de l'église. Un "placard invitatoire" en langue du pays encourageait les Européens
à partir en Guyane dans les débuts du mois de mars 17631.
Jean-Martin Stadeler, solide gaillard réputé pour son audace depuis sa tendre enfance, décida de partir avec sa
femme Anne-Marie et son frère François; leur enfant Jean était du voyage malgré son jeune âge.
En fait, ce furent quatre chariots de Hautebourg qui prirent la route de Strasbourg en septembre 1763, bientôt
rejoint par un cinquième venant de Neuburg, quelques kilomètres plus au sud. La chance leur avait souri d'avoir
pu se procurer ces chariots. Depuis leur départ, ils doublaient des colonnes de piétons qui se rendaient eux aussi
vers la même destination.
Toute la famille avait voulu être du voyage : père, mère, oncles, tantes et cousins ... plus de 100 personnes,
quelques maigres bagages dans de misérables charrettes à deux colliers prenant plus de 21 personnes et quelques
cavaliers.
A Strasbourg, leur premier lieu de rendez-vous, ils furent accueillis fort civilement et dans leur langue par les
services de l'intendant de la généralité de Strasbourg, le baron de Lucé.
Il fut distribué à chacun d'eux un passeport ainsi que trois sols. En effet les intendants des différentes
généralités avaient reçu l'ordre de fournir à ces familles trois sols par lieue et par personne. C'était le seul secours
attribué jusqu'à leur arrivée à Rochefort.
Aucun lieu d'hébergement n'était prévu dans la ville, ils reprirent immédiatement leur route en direction des
Vosges. L'itinéraire était imposé. Les villes d'étape étaient Sélestat, en Alsace, Saint-Dié et Epinal, dans les
Vosges, puis en Bourgogne la Charité-sur-Loire, Bourges, puis Poitiers, Niort et Rochefort. Pour s'assurer que les
colons ne s'échappent de l'itinéraire désigné, l'indemnité n'était versée qu'à la limite de chaque généralité... laissant
par la même occasion à l'intendant suivant le soin de se procurer, comme il le pouvait, les fonds nécessaires avec
la promesse hypothétique d'un remboursement par le bureau des colonies.
Hormis Rochefort, des Allemands étaient dirigés sur Marseille. D'autres, en particulier des planteurs de tabac
recrutés par Turgot, attendront leur départ à Samer et au Havre.
La campagne de recrutement en Rhénanie avait été parfaitement réussie car lorsque le convoi de Martin
Stadeler se présenta à Strasbourg, plus de 6000 émigrants, comme eux, y étaient déjà passés.
Malgré ce semblant d'organisation, beaucoup de choses n'étaient pas prévues. Il y avait d'abord la barrière de
la langue. Par ailleurs, il restait aux émigrants à faire un déplacement dangereux, sans guide, sans nourriture
Le 16 octobre 1763
Choiseul fait suspendre les
engagements
"Je serais fort embarrassé d'ici à l'embarquement qui ne saurait être prochain, les besoins pour les
embarquements se multiplient et il est nécessaire que Saint-Jean demeure le chef lieu des dépôts. Vous voudrez
bien en établir dans toutes les villes qui se trouveront à proximité et qui offriraient les ressources les plus
abondantes et les moins dispendieuses sur l'achat essentiel des subsistances".
Le 20 octobre 1763, Chanvalon fut averti "qu'il était prévu un plus grand nombre de familles que l'on pouvait
s'y attendre". Choiseul lui écrivit : "Le total de celles qui sont en route y compris celles qui sont à Saint-Jean se
monte à environ 5000 personnes. Il devient chaque jour plus intéressant par l'affluence des familles allemandes
dont le nombre passe en espérance par les motivations faites sur nos frontières, étant la vue de peupler par degré
la Guyane sans qu'il en coûte beaucoup à la population du royaume. Je vois par lettre de Strasbourg que du 12
de ce mois que l'on a engagé 8.326 étrangers, hommes femmes et enfants des différentes professions. Il en a
déserté seulement 352. Le surplus au nombre de 7974 personnes se trouve en marche ou déjà arrivé".
Au reçu de l'ordre donné à l'intendant de la généralité concernant l'arrivée des familles, Choquet rechercha des
logements. Il répondit, lui, à ce sujet :
"Les ordres que je reçois, monsieur, m'annoncent nombre de familles et d'ouvriers qui doivent se rendre ici
successivement et y séjourner jusqu'à temps de leur embarquement pour passer dans les colonies de l'Amérique
méridionale, quoique ce nombre n'en soit pas encore fixé, tous les indices me font prévoir qu'il y aura au moins
2000 personnes. La conservation de tous ces gens-là est des plus intéressantes pour remplir les intentions que le
Roi a pour fonder une nouvelle colonie dans les parties du nord de Cayenne. Comme vous savez, Monsieur, que
la ville de Rochefort est des plus malsaines et qu'elle est déjà remplie de gens de toutes espèces, qu'il y aurait un
danger évident de mesler dans les familles les habitants des familles étrangères et point acclimatés qui
certainement occasionneraient une maladie qui deviendrait épidemique, et en faisant périr ces premiers habitants,
détruiraient les familles étrangères. J'ai pensé que pour la conservation de celles de Rochefort et pour l'exécution
des ordres de Monsieur le Duc de Choiseul qui m'ordonne d'avoir un soin particulier de celles étrangères, de
façon qu'elles se trouvent en état d'être embarquées, qu'il conviendrait de ne les point recevoir en la ville de
Rochefort, mais de les retirer et loger dans les villes circonvoisines, où l'air est plus salubre, comme à Saint-Jean-
d'Angely, Saint-Savinien, Tonnay-Boutonne et autres endroits à proximité de ce port, s'il ne se trouve pas
d'inconvénient insurmontable de les y envoyer. J'ose me flatter, que vous approuverez ce parti pour prévenir le
temps, ou les maladies commencent à Rochefort et pour conserver ces familles qui deviennent précieuses à l'Etat.
Le ministre ne m'ayant rien prescrit pour les arrangements à prendre pour recevoir ces sortes de gens, mais
m'ordonnant expressément de leur procurer toutes protections pour les empêcher d'être molestés et d'apporter une
attention particulière pour leurs besoins et leur sûreté. Dans ce principe j'ai prévenu Monsieur le Duc de
Choiseul, qu'en attendant ses ordres, si je me trouve pressé, j'aurai l'honneur de vous supplier d'user de votre
autorité, pour loger les familles qui doivent arriver ou qui sont déjà en route3."
Choquet pensa à Brouage, mais ce port présentait d'énormes inconvénients
"Brouage situé à deux lieues de Rochefort est peu peuplé, il y a des maisons, un corps de casernes pour servir
d'entrepôts aux passagers. J'ai envoyé visiter les lieux et donner ordre d'aller jusqu'à Marennes pour connaître
les ressources que nous pourrions avoir, car cet endroit est à proximité de l'île d'Aix pour l'embarquement par le
Canal de Brouage. Mais il est à craindre les maladies dans ce quartier marécageux. M. de L'Equille a déconseillé
l'installation à Brouage car tout le quartier est sujet aux maladies de ce climat et qu'on ne peut se flatter de ne
pouvoir tenir en bonne santé toutes les familles dont un grand nombre y périraient. On en avait des exemples
fâcheux par les régiments qui y avaient été en garnison et l'opinion y est assez général. Le climat de Saint-Jean-
d'Angely est bon et on peut y loger beaucoup de monde. A Rochefort on ne peut mélanger les familles étrangères".
Il s'avéra extrêmement urgent de trouver des logements, Choquet les choisi plus à l'intérieur des terres le long de
la rivière la Charente. Ce choix facilita par la suite les déplacements des colons à l'aide des gabares qui y naviguaient.
Différents dépôts furent trouvés et installés.
Le nom d'entrepôt fut donné au lieu principal d'hébergement, les lieux annexes furent appelés dépôts.
3 Ref A D la Rochelle C 184.
L'entrepôt de Saint-Jean-d'Angély: Responsable de Lattre.
Toute la gestion des camps se faisait à partir de Saint-Jean. La caserne Villeneuve et la caserne Notre-Dame4
servaient de logement. Le Seigneur Etapier avait bien offert sa maison, mais il voulait la louer 300 livres, ce que
Delattre trouvait exagéré, vu le prix des maisons dans ce pays. Il lui demandait également 150 livres pour
construire 2 cheminées. Delattre aurait préféré que cette maison soit prise sur ordre pour ne la payer qu'au prorata
des lits qu'il pourrait y placer dans les mêmes proportions que les autres logements qu'il avait loués. La maison
fut utilisée. Les Bénédictins, les Cordeliers et les Capucins possédaient des logements vides, mais ils ne voulaient
pas les prêter ; par la suite ils furent réquisitionnés.
Les nouveaux arrivants se présentaient obligatoirement à Saint-Jean, soit ils s'y trouvaient affectés, soit ils y
restaient entre un et dix jours avant de repartir pour d'autres dépôts.
Les orphelins étaient gardés à Saint-Jean, ils travaillaient au profit de la marine pour gagner leur subsistance.
Le 20 novembre 1763, le sergent Bonardet, commandant un détachement de 20 hommes, arriva à Saint-Jean.
"Tous les jours à 9 heures du matin et 3 heures de l'après-midi un caporal ou un soldat intelligent et 3 hommes
allaient aux logements des familles étrangères pour en faire la visite, comme aussi à 8 heures et demie du soir ils
iront aux dits logements s'informer aux chefs de chambres voir s'il y a du désordre et si tout le monde est rentré".
A l'hôpital il n'y avait pas de portier, les malades pouvaient aller au cabaret, soit dans le faubourg d'Aunis soit sur
le port. Pour prévenir les désordres, Delattre fit placer un portier, car les religieuses prétextaient qu'elles n'avaient
pas d'argent et que lorsque les troupes étaient ici en garnison et se servaient de leur hôpital, journellement elles y
mettaient une garde de cinq hommes.
Fin janvier 1764, l'entrepôt avait besoin d'être nettoyé: "pour la salubrité de l'air, il conviendra au
commencement du printemps et d'une suite de beau temps de faire camper pendant quelque temps une partie de
ces familles pour purger tour à tour le mauvais air des différentes casernes infectées par la corruption des lits".
Ces familles étaient naturellement malpropres, elles mouraient de fluxion de poitrine mais surtout de la petite
vérole qui affectait beaucoup les gens des entrepôts.
Le père Valérien, capucin, aumônier du régiment suisse de Halwyl, reformé à Rochefort, faisait fonction de
curé des familles allemandes en attendant les prêtres que Turgot devait envoyer.
A Saint-Jean-d'Angely, le bénédictin dom Chapot fera 263 mariages entre octobre, novembre et décembre
1763.
Pour unir ceux qui étaient majeurs il n'y avait aucune difficulté. Delattre était chargé de fournir un certificat et
les vicaires généraux du diocèse avaient donné des ordres aux curés de Saint-Jean-d'Angely pour procéder aux
unions. Par contre les mineurs devaient présenter un certificat de consentement du père ou de la mère ou de leur
curateur. Cette mesure explique le nombre important de mariages prononcés illégalement à Cayenne, en vue de
limiter le dévergondage.
Le dépôt de Cognac:
L'ouverture de ce dépôt eut lieu le 27 novembre 1763 à la satisfaction du maire et du subdélégué. Les
Allemands s'accordaient bien avec les habitants. Toutefois une mortalité importante amena beaucoup de désertions
en début de l'année 1764. Les actes d'état civil concernant les émigrants furent d'abord transcrits avec ceux des
habitants de la ville, ensuite ils furent regroupés dans un petit cahier inséré dans le registre paroissial de Saint-
Léger de Cognac. Le dépôt devait fermer fin avril 1764 pour faire place au régiment de Chabot dragons qui arriva
le 15 mai à Cognac. En fait, il ne ferma que le 15 juin.
Le dépôt de Taillebourg :
Ce dépôt fut ouvert en octobre 1763 . Le 8 juin 1764, la maison située dans le faubourg de Taillebourg qui
appartenait à la veuve Osaneau fut louée, "il est vrai qu'elle n'est pas occupée actuellement, il est possible de s'en
emparer sans porter un préjudice considérable à cette veuve, vu que cette maison lui sert à mettre sa récolte, tant
en grains qu'en fourrages qui est considérable et de faire ses vendanges". Il fut fermé le 30 septembre 1764.
Tonnay Boutonne :
N'était pas considéré comme un dépôt, il y avait 65 lits, occupés surtout par des concessionnaires.
Ruffec:
Des personnes de qualités modestes mais travailleuses y furent placées en subsistance dans des familles nobles.
Autres dépôts recensés dans la France.
A Rochefort, quelques Allemands qui devaient partir pour le Canada y stationnaient depuis 1761 et attendaient
un hypothétique départ.
Samer, dans le Pas-de-Calais. Quelques Allemands avaient été dirigés vers ce lieu par Turgot en vue d'un
embarquement à Boulogne ou au Havre.
Niort, Madame Thierry de Chassin y avait regroupé 200 ouvriers et paysans.
L e j o u r n a l d e b o r d des D é p ô t s :
Ce "journal" a été réalisé par l'auteur dans un but de clarté.
Voici chronologiquement, l'ensemble des documents disponibles sur cette période allant du 9 juin 1763 au 21
juillet 1764.
L'échange de lettres qui suit montre que tout est conçu et dirigé de Paris :
- Que l'initiative continue à revenir à Choiseul, bien que Turgot soit
nommé gouverneur et reste momentanément en France.
- Que le couple Choiseul-Bombarde reste omniprésent dans le
fonctionnement de l'opération.
- Que Acaron, directeur du bureau des colonies reste discret.
Le 9 juin 1763, "l'intention du roi est de congédier le régiment suisse de Halwyl, tacher de retenir les soldats
forts et vigoureux pour les faire passer à Cayenne. Il serait fort intéressant d'en composer une peuplade dans la
nouvelle colonie. A ceux qui conviendraient on payerait la solde due et comme aux autres habitants 6 sols par
jour jusqu'à l'embarquement et 24 livres pour se fournir ce dont ils auront besoin. A l'arrivée dans la colonie ils
recevront un logement, une portion de terre, des outils et la subsistance aux dépends du roi pour eux, leur femme
et leurs enfants. Un sergent à la confiance des soldats s'il convenait aurait en plus de sa retraite 12 livres par mois
et 12 sols par jour. Dans la colonie il aurait, un terrain les outils nécessaires et double ration". Quatre-vingt-six
suisses voulurent partir.
Le 13 juillet 1763, lettre à M. Rouillé Dorfeuil, intendant de la généralité: "J'ai reçu la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire le 10 de ce mois, sur les représentations des maires et des échevins de Saint-Jean-
d'Angely sur ce qu'ils craignent le trop plein des familles étrangères dans cette ville. Je puis vous dire à vous seul
Monsieur que leur observation n'est fondée que sur des motifs particuliers, que même on a parlé un peu trop
hautement sur ce prétendu malheur à cause du grand nombre. Cependant il y a actuellement prés de 1200
personnes, hommes, femmes et enfants de rendus à Saint-Jean et il n'y a pas 10 à 12 malades légèrement. Ces
messieurs et autres doivent montrer l'exemple et ne point causer des frayeurs, d'autant plus que c'est peut-être un
bien pour les habitants de Saint-Jean. Ces familles y laissent de l'argent et ils en sentiront le poids lorsqu'elles n'y
seront plus. De mon côté, j'ai l'honneur de vous représenter que cela devient une affaire de 15 jours à 3 semaines,
le temps de former un autre établissement. On doit avoir des logements à Saint-Jean chez les Bénédictins, les
Cordeliers et les Capucins. S'ils refusent à se prêter à la nécessité de céder les parties de leurs maisons qu'ils
n'utilisent pas, je vous demande un ordre du roi pour user d'autorité, mais avec modération, en observant de ne
prendre dans lesdites maisons que les pièces inoccupées. Ils seraient à souhaiter que les religieux puissent venir
en avant d'eux-mêmes et s'en faire un mérite et un honneur. Qu'il est fâcheux qu'il y ait trop de ménagement à
observer pour loger chez les religieux".
Le 19 juillet 1763, lettre de Delattre. "Les gens commencent à être difficile à contenir et dont les gens du lieu
sur quelques craintes fondées, appréhendent le dégât dans les vignes".
Le 20 août 1763 "M. Delattre m'informe du désordre qui vient d'arriver de la part de 3 ingénieurs et un
concessionnaire. Les précautions, les consignes et les défenses qu'il avait demandé pour empêcher les habitants de
prêter, de louer, ni de vendre des fusils, poudres et plombs aux personnes destinées pour la nouvelle colonie, afin
éviter de semblables malheurs, les mêmes défenses ont été faites dans le temps p a r le maire, n'ont point eu leurs effets
parce qu'il n'y a point de fermeté dans l'exécution de la police de cette petite ville. Le Sr Bourdequoy, concessionnaire,
impliqué dans cette affaire est venu se présenter à moi pour avoir un asile et le faire embarquer immédiatement. J'ai
fait mettre en prison le Sr Bourdequoy où il sera détenu jusqu'à ce que je sois honoré de vos ordres".
Le 16 septembre 1763. Chanvalon était venu à Rochefort pour y passer une inspection importante et
sélectionner les ouvriers à Saint-Jean et renvoyer les inutiles. Il sema le désordre. Il se comparait à Moïse
emmenant son peuple hors d'Europe, il se vantait de tout faire alors que c'est la marine qui le faisait.
Le 3 novembre 1763. Désordre à Saint-Jean occasionné par les seigneurs Lefevre et de la Plagne pour passer
à Cayenne et par les Srs Le Blanc et Vignon concessionnaires pour la même colonie. "Le désordre m'a paru si
pressant à arrêter afin de donner la confiance et des marques de protections aux familles allemandes qui sont de
bonnes gens et pour éviter une émeute générale qui se serait communiquée aux autres entrepôts. Dès que j'ai eu
la lettre de M. Delattre j'ai donné l'ordre à l'exempt et à 4 archers de le prévôté de la marine de ce port de se
rendre à Saint-Jean et y prendre p a r les ordres de M. Delattre les séditieux et de les amener et les constituer
prisonniers dans la prison Royale de ce port où je les ferai retenir jusqu'à ce que je sois honoré de vos ordres à
leur sujet. M. Delattre n'a pas été exempt des invectives de ces 4 personnes. Il faut des exemples pour ne point
troubler le repos et l'union de ces familles étrangères et p o u r qu'elles n'aient aucun motif de se plaindre, de se
décourager. Je vous supplie de prononcer quelques peines contre ces perturbateurs au repos et au bon ordre elle
est d'autant plus nécessaire que les habitants même de la campagne ont pris en haine ces étrangers et de façon à
leur faire une guerre ouverte. A l'exemple d'une troupe de ces familles passant p a r la paroisse de Bury pour se
rendre à Cognac, ou le curé se mit à la tête de ses paroissiens avec le syndic, après avoir refusé quelques secours
à ces malheureux les chassa de son village avec menace que s'ils repassent il les ferait étriller. Le curé et le syndic
méritent bien quelques corrections pour l'exemple".
Le 15 novembre 1763 Delattre se heurta au problème de l'arrivée des familles et des bateaux qui ne partaient
pas, il était dans un cruel embarras.
Le 19 novembre 63, Choquet à Rouillé : "Je reçois journellement des lettres de M. Delattre qui m'annoncent
qu'il ne cesse point d'arriver du monde et que malgré les plus grands soins à distribuer de ces gens dans les
entrepôts, il se trouve extrêmement embarrassé p a r l'engorgement, à les loger d'un jour à l'autre p a r la dureté et
l'inhumanité des habitants et du peuple de Saint-Jean-d'Angely non seulement, mais encore ceux des paroisses
circonvoisines, jusqu'à refuser de l'eau et ne point donner de la paille à ces malheureux arrivants, surtout à une
pauvre femme qui accoucha en arrivant. Permettez Monsieur, que je réclame de la honte de votre coeur et de votre
autorité judicieuse pour faire donner vos ordres aux syndics des lieux où ces gens pourront passer pour se rendre
à Saint-Jean-d'Angely et dans les entrepôts, de prêter secours et assistance, en payant proportionnellement aux
familles des requérants, et p a r ces syndics donnant tout de suite connaissance des petites avances que nos passants
aux présents besoins auraient pu leur occasionner et dont je serais très exact à procurer le remboursement".
Le 14 février 1764, lettre de Ruiz et Choquet au duc de Répartition dans les dépôts
Choiseul. "Sur l'avis que m'a donné avec empressement M. de au 24 janvier 1764.
Lattre le 6 de ce mois que le prix du pain avait augmenté à Dépôt Nombre
Cognac de près d'une moitié en sus par la disette des bleds et Saint-Jean-d'Angély 3238
des farines causée par les temps affreux qui ont régné ici et qui Saintes 1100
ont rendu les chemins absolument impraticables pour les - Cognac 1204
Taillebourg 692
voitures de transport, de sorte que cette disette causait de la Saint-Savinien 510
rumeur parmi les habitants de Cognac qui rejetaient ce Ile d'Oléron6 700
malheur sur les familles étrangères et qui sont au nombre de Ile d'Aix (pour compléter les bateaux) 250
1200 personnes et qui causeraient de la famine dans le pays. Total 7694 .
Les soins de M. de Lattre ont
empêché la grande rumeur, en
leur faisant connaître les Tranches d'âge des colons dans les dépôts de Saint-Jean-
secours qu'ils auraient sous d'Angély
peu de jour, en effet aussitôt
averti, j'ai envoyé 40 quintaux
de farine et 80 quintaux de
blé. J'ai fait partir ce matin 48
autres quintaux de farine et
demain il en part 100
quintaux, de sorte que par
cette activité je pense avoir
remis la tranquillité dans cet
entrepôt. J'attends des
nouvelles de M. Delattre pour en être certain. Les pluies abondantes que nous avons depuis 3 mois ont nettoyé le
pays on craint que les semences ne soient gâtées et que la récolte prochaine ne soit mauvaise, ce qui fait renchérir
les grains. Je serai attentif à suivre les prix des denrées dans les environs pour prévenir la disette de nos entrepôts.
Il y a déjà quelques temps que Delattre s'aperçoit que l'on insinue des prétentions et que l'on donne de l'humeur
aux familles étrangères à Saint-Jean-d'Angély. Il n'a pas besoin qu'on trouble les esprits, il a déjà assez
d'embarras sans cela, pour maintenir l'ordre et donner ce qui revient à chacun de ces gens qui ne sont jamais
contents. Il vient de m'envoyer les papiers ci-joints que je ne puis me dispenser de vous adresser à égard des riz
dont il est question dans la lettre. Ce sont les mêmes qui avaient été proposés à M. Rouillé et que vous m'aviez
donné ordre d'examiner, pour les envoyer dans les colonies, mais qui s'étaient trouvés altérés. Les familles
allemandes ne sont point accoutumées à ce type de nourriture. Quant au vin et à la viande ces familles savent qu'il
6 "On fera passer successivement à l'île d'Oléron 1300 personnes pour faire le nombre de 2000. L'établissement est le plus facile à garder
quoiqu'il ne soit pas le moins dispendieux". Il faut considérer au total que plus de 3500 personnes sont passées par l'île d'Oléron.
leur revient soit en nature, soit en argent 3/4 de pinte de vin et une demi-livre de viande et une livre et demie de
pain, on ne les trompe pas, et elles le savent bien. Somme toute c'est M. Le Chasseur qui était officier et grand
juge au régiment d'Hallwyl et voulait être de quelques utilités, et les propos qu'il tient sur l'autorité qu'il dit avoir,
ne font que troubler la tête à nos bons Allemands, qui sont assez tranquilles quand on les laisse en repos. J'attends
d'être honoré de vos ordres pour les secours à leur donner en hardes au-delà de la valeur de leur gratification à
l'embarquement. Comme j'ai eu l'honneur de vous faire observer le 24 janvier les mauvais temps augmentent les
besoins. Je continue de faire passer les familles à Oléron quand le temps le permet, la navigation est si pénible
p o u r aller à cette île dans les gros temps que 200 personnes que j'ai fait passer en ce lieu ont été 22 jours à s'y
rendre, cas extraordinaire, dans des traversiers et ont beaucoup souffert p a r les fréquentes relâches, plusieurs de
ces traversiers ont mis 8, 10, 12 jours à s'y rendre p o u r y porter des effets. Comme nous sommes dans le cas
d'avoir une communication fréquente en la rade de l'île d'Aix, à l'île même, à Oléron et même jusque en rade de
la Rochelle pour porter des ordres et souvent quelques effets ou passagers ou autres que du peuple. Les habitants
de la rivière ne sont pas propres à ces sortes de transports prompts, que même les canots ne peuvent naviguer p a r
les mauvais temps, même les équipages n'ont pas d'abris p o u r mettre leurs sacs et les vivres. Je vous en supplie
Monseigneur d'approuver que je fasse construire promptement une chaloupe pontée qui sera en état de naviguer
dans toutes les rades et qui se trouvant obligée d'étaler les marées que l'équipage puisse être à l'abri et même les
personnes de considération qui passeraient sur ce bâtiment, sera manoeuvré tant pour la rame que p o u r la voile
p a r 8 hommes au lieu de 16 pour une chaloupe qui ne peut remplir les mêmes services. Ce bâtiment serait attaché
uniquement au service des colonies".
Le 14 février 1764, Turgot écrit au
sujet du mauvais état de l'hôpital de
l'île d'Aix et du manque de magasin.
Effectifs mensuels des dépôts
Le 21 avril 1764, Ruiz à Choiseul.
"Je me conformerai aux ordres dont
vous m'honorez pour faire payer en
argent la dépense de l'entretien des
colons, à raison de 10 sols par jours
aux hommes, 4 seulement à chaque
enfant au-dessous de 9 ans et 12
livres de gratification à chaque
femme qui accouchera pour la mettre
en état de se soigner. Votre intention
étant que les familles restantes soient
conservées par une bonne police
pour de la nourriture et la santé, j'ai
l'honneur de vous faire observer
qu'en leur donnant leur argent toutes
les semaines comme le prêt des
troupes, il arrivera que la majeure
partie de ces gens-là le dissiperont
dans les deux ou trois jours et qu'ils
seront dans le cas d'être sans rien
pendant 4 ou 5 jours de la semaine.
Ils seront ainsi à la merci de
l'habitant, qui n'est point du tout
humain dans ces quartiers-ci, qui
profitera de l'occasion pour vendre
les denrées fort chèrement et qui se plaindront encore que les familles étrangères occasionnent la disette dans ce
pays, d'autant plus que les marchés ne sont pas assez fournis pour subvenir à une augmentation journalière de
consommation. A Oléron il n'y en a point, ce sont divers villages qui ne peuvent suffire qu'à eux-mêmes et point à
une augmentation de peuple sans faire venir de la grande terre des provisions. Cependant cet entrepôt est le plus
convenable pour y conserver les familles en bonne santé. A l'égard du vin, on leur donne en argent à Saint-Jean-
d'Angely, ceux d'Oléron le veulent en nature. On ne peut se dispenser de leur procurer le bois, sans cette
précaution ils iraient en piller et occasionneraient des plaintes comme il y a eu l'année dernière à Oléron. On est
obligé de le faire venir de la grande terre et les familles étrangères n'auraient pas de ressources à cet égard car
les habitants leur vendraient à un prix exorbitant. Le logement doit indispensablement être aux frais du Roi, ne
pouvant le prendre sur la subsistance de 6 sols par jour, parce qu'il est nécessaire de tenir ces familles casernées,
comme aussi d'établir un hôpital dans chacun des deux entrepôts. Les expatriés de l'Acadie, du Canada et de
Louisbourg qui ont déjà rendu des services au Roi n'ont pas un traitement aussi favorable.
Naissances dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély _
Le 15 mai 1764, M. Lucé intendant de Strasbourg annonce qu'il y a 18 familles étrangères parties de Landau
en 3 bandes.
Le 3 juillet 1764, compte tenu de l'arrêt des envois à Cayenne un détachement de 15 dragons supplémentaires
sera envoyé à Saint-Jean.
Juin 1764
Turgot demande avec insistance à
Choiseul d'interrompre les envois
de personnes pour Cayenne.
Le 3 juillet 1764 un officier allemand, M. Schouder, vient d'arriver à Saint-Jean disant que plus de 1000
personnes viennent de Landau et Strasbourg.
Le 10 juillet 1764 : "La quantité de familles allemandes qui restent actuellement dans les entrepôts de Saint-
Jean et des environs ne pouvant être aussitôt transportées dans la Guyane sans y occasionner un engorgement et
un désordre nuisible au progrès de ces établissements et leur séjour devenant une surcharge pour le Roi, Sa
Majesté désirerait que l'on put en déterminer une partie à passer dans d'autres colonies en leur accordant les
mêmes avantages que dans la Guyane. Je vous demande de les sonder à ce sujet et de m'en marquer celles que
vous disposez à prendre ce parti".
Le 17 juillet 1764 le nommé Cohu commissaire aux écritures, commet un vol de cartes de subsistance. Il a été
condamné à être pendu, sur les déclarations de ses deux acolytes Le Mire, dit Chenevert et Miraud7 auquel les
juges ont dû tirer toutes leurs preuves contre Cohu. M. Delattre, sage, ferme et très honnête homme, était tracassé
par les gens du présidial de Saint-Jean. Il est nécessaire que Delattre ait un sauf conduit pour vaquer aux détails
considérables dont il est chargé. Les nommés Lemire et Mirault avaient fait appel de la décision auprès du
parlement de Bordeaux. Ce parlement avait déclaré le Sr Delattre complice ou ayant connaissance du vol fait par
le dénommé Cohu son commis de billet à la subsistance. En fin de compte c'était Delattre qui était dénonciateur.
Il régnait une animosité entre Delattre et le Sr Heri, lieutenant criminel et son conseil. Il était porté contre Delattre
à cause d'une occasion de service, de propos délibéré et par effet de mauvais caractère étant alors seulement avocat
à la juridiction et n'ayant nul titre pour s'en mêler. Delattre se voyant exposé à être arrêté en vertu de la sentence
du parlement de Bordeaux, s'il demeurait à Saint-Jean se réfugia dans une des maisons de l'arsenal de Rochefort
en attendant qu'il soit statué sur cette affaire. Le 21 octobre 1765 le Mire dit Chenevert fut remis en liberté.
Le 20 juillet 1764 : Le roi a bien voulu accorder différents privilèges pendant dix ans à toutes les familles
allemandes qui se déterminent à rester dans le royaume chez les particuliers qui leur accorderaient des
établissements. Il en résulte que celles qui veulent prendre ce parti ne sont pas forcées pour passer dans la Guyane.
Il n'est pas question ici de faire l'inventaire des fournitures et dépenses mais seulement de relever les faits les
plus marquants.
Choquet louait des gabares pour descendre jusqu'à Rochefort. Ensuite des traversiers faisaient le voyage
jusqu'à l'île d'Aix, une location pour 6 jours coûtait 54 livres.
Le prix de la location des chaudières (sert à faire cuire bouillir et chauffer) était de 20 sols, alors que pour la
troupe elle était de 10 sols.
Pour publier un ban pour mariage, cela coûtait 20 sols.
Pour les Allemands de Marseille il était prévu d'envoyer 1000 quintaux de riz et 1000 quintaux de légumes à
Cayenne. Les farines de Merac et de Moissac s'avéraient de mauvaise qualité. Un quart de farine de 180 livres
nourrissait un homme pendant 4 mois et 24 jours.
Le 31 juillet 1763, 6000 paires de sabots furent envoyés pour Cayenne. Le 15 août 1763 envoi de 400 matelas
de crin et 1200 draps bleus et blancs troupe.
Les bas pour la Guyane étaient fournis par M. Collas négociant à Vitré en Bretagne, 10000 paires de bas à 3
fils pour les hommes.
Etat des souliers pour les femmes de petits bourgeois, des laboureurs, garçons, filles du bas âge à envoyer à
Cayenne. A savoir :
- 300 paires pour femmes de petite bourgeoisie.
- 1200 paires pour femmes de laboureurs et ouvriers.
- 1200 paires pour les petits enfants des trois pointes ou des trois âges.
- 600 paires pour les filles du même âge.
- 1200 paires pour les garçons depuis 7 ans jusqu'à 15 ans.
- 600 paires pour les filles du même âge.
Les d é p a r t s de M a r s e i l l e :
Devant l'afflux de volontaires allemands, Choiseul décida d'en envoyer dans le sud de la France pour les placer
sur des terres. Choiseul avait écrit à M. de Latour, intendant qui se contenta de transmettre les ordres aux
procureurs des pays. Ils firent imprimer le 25 novembre 1763 une circulaire qui fut envoyée à tous seigneurs en
les demandant de les accueillir. Elle disait : "Il s'agit de gens de peine et de travail, la plupart laboureurs de
moeurs douces et simples et qui ne prennent le parti d'abandonner leur pays que parce qu'il est dévasté par la
guerre". Les seigneurs refusèrent et c'est à partir de là que Georges de Roux fut contacté par Acaron qui le
connaissait. Il accepta 200 familles de quatre à cinq personnes, ainsi qu'un autre seigneur Emergeon de Moissac
possédant un fief, qui reçut 20 familles.
Les ordres disaient que les Allemands se rendront à Marseille pour y rester en dépôt jusqu'à nouvel ordre.
A leur arrivée à Marseille, ils s'adresseront à M. Roux marquis de Brue8, qui les fera recevoir, entretenir jusqu'à
ce qu'ils puissent passer à Cayenne. Dans les lieux de passage les logements seront fournis gratis. Les familles
furent placées au domaine de Brue, à sept lieues d'Aix-en-Provence, dans la viguerie de Barjols.
Les Allemands se révoltèrent en se voyant placés sur des terres en France. Presque tous étaient porteurs d'un
contrat passé avec le Roi de France où il était stipulé qu'ils trouveraient une maison en arrivant à Cayenne. Ils se
dirigèrent vers Toulon. Hurson, intendant de la marine à Toulon, passa un traité le 5 mars 1764 avec le marquis
de Brue, à la suite duquel, avec ses propres deniers, il arma trois vaisseaux et les transporta à Cayenne. Ce que
l'Etat n'avait pu faire, vu la pénurie du trésor, Georges de Roux l'entreprit et le réalisa. Il faut noter que Sibon et
Moriés, armateurs, avaient également demandé à faire partir 2 vaisseaux, mais ils ne possédaient pas d'appuis
nécessaires.
Depuis plusieurs jours une certaine agitation régnait dans les dépôts, en particulier celui de Saint-Jean-
d'Angély, pourtant les premières gelées de novembre incitaient à rester dans les baraquements. Néanmoins
monsieur de L'Equille annonçait un départ imminent et comme à cette époque les vents sont rarement favorables,
il fallait être prêt.
En fait cette agitation avait commencé avec la première inspection de Chanvalon, le 30 août 1763. Il avait tout
d'abord donné des informations sur les nouvelles intentions du ministre Choiseul. Puis il avait examiné les
consignes relatives à l'embarquement des approvisionnements et à l'organisation des transports. Cela ne s'était pas
fait sans réticences car, devant ces changements de dernière heure, Choquet et Ruiz avaient dû désarmer les
bateaux qui étaient sur le point de partir. Les passagers avaient été débarqués, les provisions également, même la
farine pour éviter que la chaleur des cales ne la corrompe. Ainsi chaque tonneau de farine fut diminué du quart
afin d'éviter le gonflement. Des précautions identiques furent prises pour les autres denrées et surtout pour les
salaisons. Ce contre temps fît perdre une bonne partie des vivres. Quelques mois après, Turgot en inspection dans
les magasins dénoncera "l'état des farines qui avaient une odeur de plâtre et les salaisons pourries".
Enfin Chanvalon avait effectué une sélection parmi les colons. Certains avaient été envoyés dans d'autres
dépôts. La raison de tous ces changements tenait essentiellement dans la modification survenue au plus haut
niveau dans la conception de "la nouvelle société de Guyane". En outre il était apparu que certains métiers
s'avéraient inutiles et aussi que l'état physique de certains laissait à désirer.
Bombarde et surtout Choiseul avaient été très sensibles aux critiques portées contre Préfontaine. Le retour de
Lemoine et l'arrivée de Moreau du Chassis porteur des lettres de Cayenne assurant que les blancs ne pourraient
pas cultiver la terre de Guyane n'avaient fait qu'ajouter à la confusion.
La remise en question du plan initial devenait urgente !
Au sein même de l'équipe de conception, la discorde guettait. Turgot se plaignait de n'avoir aucune nouvelle
de Préfontaine. Tandis que les ennemis du projet prenaient de l'assurance et faisaient le siège du ministère des
colonies, sous l'oeil bienveillant d'Acaron.
Le sort de Préfontaine devenait de plus en plus critique : Turgot, doutant sérieusement des chances de succès
de l'opération subit l'influence de Chanvalon, qui, contre vents et marées continuait à soutenir Préfontaine. Il fut
donc décidé de faire partir Chanvalon au plus tôt et seul ; tandis que Turgot gouverneur en titre, dont la présence
n'était pas urgente en Guyane, resterait provisoirement en France pour surveiller les départs.
Dans le même temps afin de responsabiliser les chefs de la Colonie, le Roi et le ministre décidèrent de leur
donner l'autorisation de "posséder des habitations et s'intéresser au commerce". Ces nouvelles dispositions
avaient autant d'avantages que d'inconvénients car des abus étaient toujours possibles; d'ailleurs elles furent
abrogées quelques mois plus tard.
Dès le mois de septembre 1763, Chanvalon s'occupa de son départ. Il fallait tout d'abord regrouper les bateaux.
Le convoi devait être composé de 10 navires ; la marine n'en trouva que 8. Puis il fallut choisir les passagers et
modifier les plans prévus par les responsables de Rochefort. En effet, d'après le nouveau plan, il fallait accélérer
le passage des concessionnaires au détriment des colons simples. Ces concessionnaires se trouvaient pour une part
à Saint-Jean-d'Angély, pour l'autre part, soit encore en chemin, soit chez eux attendant l'ordre de départ. N'étaient
concessionnaires officiels que ceux qui avaient versé une somme d'argent à Chanvalon : à Paris auprès de son
notaire Dupré ou auprès d'un certain Mondésir, ou bien à Bordeaux auprès de son beau-père Saint-Félix. Il
s'agissait donc de personnes de qualité, de familles nobles ou bourgeoises très riches dont certains n'envisageaient
même pas de se rendre en Guyane, mais simplement de s'y faire représenter par un membre de la famille en quête
d'aventure.
La condition pour qu'un concessionnaire embarque dépendait du versement de la somme prévue. Chanvalon
se réservait la délivrance des billets d'embarquement. Toutefois, certains personnages recommandés par la cour ou
le ministère pouvaient obtenir une dérogation.
Mais un problème mineur prit une importance ridicule. En effet, à bord, les concessionnaires devaient manger
à la table du capitaine et étaient "entourés de plus d'égards" que les simples colons. Les places étaient donc
limitées mais, la priorité étant d'embarquer les concessionnaires, il fallait donc leur proposer de demander le
passage comme "simple passager à la gamelle" renonçant ainsi à "l'honneur dû à leur état". Un certain
mécontentement apparut. Chanvalon se rendit le 1er novembre à Saint-Jean-d'Angély pour "faire une inspection et
éloigner les mauvais sujets" et surtout pour régler le problème des repas. Pour atténuer cet inconvénient, il proposa
de leur attribuer double ration. Il envisageait de rencontrer les concessionnaires qui commençaient à arriver à
Rochefort et à l'île d'Aix, mais il ne le put car il dut aller à Bordeaux pour régler un certain nombre de dettes
personnelles et d'affaires de justice.
Son absence au moment de l'arrivée du gros des concessionnaires, alors qu'il s'était réservé le monopole de la
distribution des billets d'embarquement, créa une confusion d'autant plus grande que M. de l'Equille, responsable
de l'affrètement, pressait tout le monde, il avait donné des "ordres précis et les plus sévères pour ne point laisser
échapper les vents".
Le 10 novembre, les vivres à peine chargés, les vents se trouvèrent favorables. Il fallut embarquer les passagers
de toute urgence.
Ils embarquèrent de bon matin à Saint-Jean-d'Angély. Les gabares plates armées aux frais du roi, attendaient
à quai, aux portes de la ville, le moment pour transporter les passagers regroupés par bateau avec leur famille.
Encombrées par les bagages elles descendirent la Boutonne. Ce n'était pas sans mal, Delattre avait dû discuter
âprement et fermement avec les responsables des écluses sur cette rivière pour obtenir qu'elles restent fermées afin
de permettre la navigation, car elles inondaient les champs.
En arrivant à Rochefort, Jean Baugé patron du traversier le Saint-Jean les attendait à hauteur de la machine à
mâter. Cette grande tour, au milieu de la Charente permettait l'échange des mâts de bateaux. Démontable, elle
servait d'observatoire pour renseigner sur la présence de la flotte en rade des Basques. Le transbordement fut
immédiat. Ses passagers se plaignirent de ne pas pouvoir se dégourdir les jambes. Mais on leur expliqua que c'était
pour leur sécurité, la ville de Rochefort n'étant pas sûre pour eux. Il fallut encore descendre la Charente, attendre
l'étalé, pour repartir avec le flot descendant.
Arrivés en vue de l'île d'Aix, un spectacle impressionnant les attendait : une dizaine de bateaux autour desquels
s'affairaient une multitude de petites embarcations accostées aux traversiers. Les ordres fusaient de toutes parts
dans un fouillis indescriptible. Malherbe responsable des embarquements, ne savait plus où donner de la tête.
Chanvalon embarqua le 13 novembre, oubliant une partie de ses bagages sur le quai.
Le convoi mit à la voile le 14 novembre. Il quitta la rade foraine à deux heures. Il fut ensuite obligé de mouiller
par calme pour étaler la marée en dehors du Chassiron et ensuite il appareilla dans la nuit.
Le lendemain, Malherbe rassembla à l'île d'Aix, Chambon chirurgien major, Robillard médecin botaniste,
d'autres médecins, les soeurs grises, les 5 pharmaciens, des passagers concessionnaires, des officiers de plumes
mécontents. Il regroupa les plans de gommier du Sénégal et les bagages de Chanvalon ! Il y eut 49 passagers
concessionnaires et employés de la colonie qui restèrent à quai bien que Chanvalon ait promis leur passage sur sa
flotte. Ses secrétaires et ses gens étaient également restés à terre ainsi que 300 personnes environ à la "ration
simple". Sans être comprises sur les rôles, elles étaient accourues pour s'embarquer conformément aux promesses
de Chanvalon. Le départ manqué de toutes ces personnes nécessaires à une colonie naissante, annonçait des
difficultés futures. Elles resteront à l'île d'Aix jusqu'à leur départ.
C'est pour cette raison que nous dirons que le convoi était composé de 8 navires mais nous ne parlerons pas
du nombre de personnes embarquées. Chanvalon n'avait pas laissé de listes, ni de notes sur la qualité de ces
personnes de choix embarquées. Les capitaines des navires avaient été obligés de refuser des personnes qui
possédaient des billets parce qu'ils avaient dépassé le nombre de passagers prévus1. Pendant ce temps à Paris, fin
novembre 1763, Turgot avait porté plainte contre Chanvalon, responsable des désordres dans le port de Rochefort.
Il s'expliqua le 19 décembre 1763 en écrivant à Choiseul pour lui dire le danger qu'il y avait de laisser toute
l'autorité à Chanvalon. Il fit des réserves sur "les sentiments douteux de l'intendant".
Ce même jour le Roi retira à Turgot et à Chanvalon le droit de faire du commerce.
Chanvalon qui ne voyait que les détails pour l'essentiel multipliait les nombreuses remontrances à tous ses
proches... et en particulier à Préfontaine. Jamais il ne faisait part des décisions importantes qu'il prenait, critiquait,
restait toujours vague, n'allait jamais à l'essentiel. Il s'enlisait parfois dans des explications inutiles, ses paroles
sonnaient faux. Rien n'était clair, ses écrits portaient souvent sur des "on dit, on croit, il se peut" mais pas un mot
de détail, "il était impossible d'y entrevoir ce qui est fait ou ce qui est à faire". Il faisait des éloges, employait "de
grands mots mais ne faisait jamais mention d'un détail qui puisse en juger". Les ordres et les contre-ordres se
succédaient, le manque d'une équipe soudée se faisait fortement sentir et présageait cette future "guerre des chefs"
qui allait étouffer dans l'oeuf cette colonisation naissante.
Saint-Félix : Beau-père de Chanvalon, il chérissait sa fille au maximum. Avide d'argent, intéressé à l'affaire
de Guyane, très proche de son gendre, il avait accepté de servir d'intermédiaire pour le règlement de ses
dettes. Ceci ne l'avait tout de même pas empêché de se plaindre de Chanvalon qui lui faisait des mystères en
ne lui racontant pas ce qui se passait à Cayenne.
Le 6 mars 1764, il écrivit à son gendre "qu'il fallait qu'il se fasse rembourser de toutes ses dettes, car il craint
que l'affaire ne se passe pas comme il croyait".
En fait Saint-Felix eut une influence néfaste sur Chanvalon, en alimentant la critique dont son gendre fit les
frais. Il critiquait les autorités de Rochefort qui n'avaient pas voulu fréter ses bateaux ou les bateaux de ses
amis.
Chanvalon se plaignait dans ses lettres qu'il était envahissant.
Par ailleurs, Saint-Felix avait mis en garde son gendre, sur les inconvénients possibles de son soutien à
Préfontaine.
Le 12 novembre 1763, Turgot eut les premiers doutes sur Saint-Félix et sur Chanvalon. Ils lui vinrent de
Chambon, chirurgien, qui écrivait pour lui signaler le favoritisme qui présidait à la délivrance des
commissions et se plaignait que "le beau père de l'intendant intriguait pour les nominations".
CHAPITRE 5
Dans la foule qui errait à Rochefort se trouvaient de nombreux Acadiens. Candidats au départ ils étaient eux
aussi victimes de cette Guerre de Sept Ans qui avait modifié profondément le peuplement des colonies
d'Amérique. Installés en Acadie depuis plus d'un siècle, ils avaient été chassés par la guerre en 1758. En effet la
capitulation de Louisbourg et la prise de l'île Royale laissa dans les mains des Anglais 5600 prisonniers français,
civils et militaires dont vingt-six compagnies de troupes qui défendaient l'île Royale, beaucoup de soldats
moururent. Les survivants furent conduits captifs en Angleterre et les civils transportés directement en France pour
y être échangés.
Tout a commencé à la Rochelle, le 16 septembre 1758, par l'arrivée en rade de l'île d'Aix d'un paquebot anglais
avec 450 personnes de l'île Royale. Le 30 septembre, elles furent échangées contre des prisonniers anglais détenus
dans diverses places-fortes de l'Ouest, en particulier, Niort, La Rochelle, Cognac, Angoulême, etc... Généralement
on échangeait seulement les soldats, mais parfois pour accélérer les choses, on échangeait aussi les civils. Le
paquebot anglais "Prince Walter " débarqua du 21 au 26 octobre 1758, à la Rochelle, 1177 personnes, des familles
de Louisbourg. Une partie de celles-ci s'établirent dans cette ville ou à Rochefort. Elles vécurent de rations que
leur donnait la marine. D'autres rejoignirent leurs parents dans différentes provinces. Mais elles dépendaient toutes
de Rochefort, pour la subsistance. Le 7 novembre 1758 fut créé un hôpital à l'île d'Aix pour les malades graves
venus de Louisbourg. En 1759, 1102 habitants de l'île Royale et de l'île de Saint-Jean furent accueillis à Saint-
Malo. Cette année-là, il restait 371 familles à Rochefort. Elles y étaient encore en 1763. Choiseul cherchait par
tous les moyens à s'en débarrasser, car elles coûtaient fort cher. Ainsi 110 livres pour avril, mai, juin, juillet et de
82 livres 16 sols pour juillet, août et septembre furent versées en 1763, pour ceux de Rochefort.
Quant aux militaires français prisonniers en Angleterre, ils furent libérés quelque temps après, par échange
contre les derniers prisonniers anglais. Ainsi la garnison de Louisbourg fut rassemblée à Rochefort en attendant
une nouvelle affectation. Quelques-uns d'entre eux servirent dans la marine comme troupes embarquées, d'autres,
sur ordres, essayèrent de rejoindre en renfort le Canada, mais bien souvent ils furent repris en pleine mer par les
Anglais. En 1763 quelques uns furent affectés à Blois. La liste générale des familles de Louisbourg, établie par
Poutrait, écrivain principal de l'île Royale, mentionne les noms des principaux officiers, majors, officiers de plume
et de justice, principaux habitants et autres, ouvriers, navigateurs, soldats et particuliers de la colonie de l'île
Royale débarqués à la Rochelle, "tant existant audit lieu, que partis avec permission pour les différents endroits
du royaume".
Le 4 février 1763 le roi annonça son intention de faire passer les familles de l'île Royale dans les autres
colonies. Certains étaient déjà partis. "La dépense que cause au roi, les familles acadiennes et autres de
l'Amérique septentrionale qui sont retirées dans notre département étant en pure perte pour Sa Majesté, la paix
devrait nécessairement la faire supprimer. Sa Majesté a bien voulu attendre la rigueur à la saison où nous sommes
de la leur continuer pendant le premier quartier de l'année prochaine, passé ce temps elles ne jouiront plus des 6
sols par tête qui leur sont accordés. Celles qui voudront dans cet intervalle passer à Cayenne, à la Martinique, à
la Guadeloupe où à Saint-Domingue continueraient d'y jouir de la même grâce. Vous leur annoncerez que Sa
Majesté leur accorde en plus 50 livres en argent par famille composée du père, de la mère et d'un enfant, pour
chaque enfant supplémentaire il sera accordé 10 livres par tête. A l'arrivée dans la colonie elles y seront logées
et nourries pendant un mois sans qu'il leur soit fait aucune retenue. De plus Sa Majesté se propose de leur
procurer le moyen de former des établissements".
On ne s'était guère préoccupé de l'avis des Acadiens. Bien peu furent volontaires pour une nouvelle
expatriation dont ils connaissaient les dangers. Des pressions s'exercèrent et des calomnies circulèrent. Ainsi "les
familles acadiennes trouvent plus doux d'être nourris aux frais du roi, sans rien faire que de chercher à gagner
leur vie par le travail. Il parait que ces gens ne donnent aucun mouvement pour se procurer de quoi vivre et je
crains qu'ils ne soient réduits bientôt à la plus affreuse misère s'ils ne veulent point s'adonner au travail".
Cependant en petit nombre des Acadiens acceptèrent l'offre du Roi ; peupler la Guyane. Une partie d'entre eux
embarquèrent sur le navire les "Deux Amis".
Les autres dans leurs malheurs, trouvèrent aide et protection de la part d'une personne jouissant de la confiance
du ministre : Madame Thierry de Chassin.
Marie Josephte Rousseau de Souvigny épousa François Nicolas Thierry de Chassin le 26 décembre
1734 à Louisbourg.
Elle était la fille de Pierre Rousseau de Souvigny, mort au Canada, qui avait servi le Roi durant 45 ans,
et de Jeanne de Saint Etienne de la Tour.
Son mari, né à Versailles, était le fils de Nicolas de Chassin, fourrier du logis de la maison du roi, et de
Charlotte Thierry. Il servit de 1717 à 1718 comme cadet au Canada, puis il repassa en France. Nommé
enseigne en 1719, il obtint la permission d'aller en Louisiane en qualité de sous-lieutenant. Durant 7 ans il
servit, avec "l'applaudissement général de tous ses supérieurs". Une maladie grave qui dura plus d'un an,
l'obligea à prendre un congé pour rétablir sa santé en France. Après quoi, Prat, médecin du Roi, lui fit accorder
par Demontrepas son affectation à l'île Royale. Il y servit tout le reste de sa carrière. Durant le premier siège
de Louisbourg en 1745, "il commanda le poste le plus avancé et le plus attaqué, le bastion Dauphin. Il eut 2
brèches d'ouvertes, et le bastion fut presque rasé. Il y resta pendant quarante-cinq jours de tranchée ouverte.
Son lieutenant fut blessé d'une pierre et dû se retirer. Le sieur de Souvigny son beau-frère, enseigne de la
compagnie, fut emporté à ses côtés d'un coup de canon. Il resta durant l'attaque cinq jours sans officier. Sa
compagnie fut la seule à ne pas participer à la révolte des troupes". Au bout de trente années de service, il
obtint la croix de Saint-Louis.
Il décéda le 20 octobre 1755 à Louisbourg.
Ils eurent 7 enfants.
3 fils:
- Pierre-Jean-François né le 12 octobre 1735. Tué pendant le siège de Louisbourg, enterré le 12 juillet
1758.
- Thierry de Chatillon
- François Auguste Joseph né le 13 août 1750 à Louisbourg. Seul survivant de la famille, avec sa mère
il passa en Guyane comme enseigne des troupes nationales en 1764. Gravement malade il rentra en France
en 1765 et y resta jusqu'au 19 juin 1766 car il avait demandé à partir aux Indes. Protégé par Chauvelin le 14
novembre 1766, une lieutenance lui fut accordée à Cayenne où il fut détaché au poste du Maroni. En août
1772, il fut nommé lieutenant en premier à la Martinique, et capitaine le 24 août 1777. M. Tortilliére habitant
cette île faisait partie de ses proches parents.
4 filles:
- Marie-Charlotte, veuve de Montalembert, capitaine des Compagnies Franches de la marine, mort en
1757. Elle décéda le 2 août 1764 et fut inhumée dans le cimetière Saint-Sauveur de Cayenne.
- Marie-Joseph, née le 9 décembre 1737, veuve de François Marie Chauvelin, capitaine au régiment de
Bourgogne, mort au siège de Louisbourg le 13 juillet 1758 en allant attaquer l'ennemi. Son époux était le fils
de François Sylvain de Chauvelin de Beauregard et dame Catherine Neuchaise, natif de la paroisse de
"Guiou" (?) évêché de Poitiers. Une fille, Marie-Julie Chauvelin naquit de cette union. Le Roi lui accorda 200
livres de viager par an et à sa mère 300. Elles ne prirent pas part à l'expédition de Kourou.
- Magdeleine, née en 1746 à Louisbourg et morte à hôpital de Kourou le 14 janvier 1765. A l'article de
la mort et devant notaire, elle accusera Chanvalon d'avoir fait périr sa famille à Kourou.
- Victoire, dont on ne sait rien, dut mourir à Niort.
Madame Thierry de Chassin se remaria' le 22 novembre 1763 à Charles Duboisberthelot. Elle décédera
à Kourou en juillet 1764.
La veuve de François Nicolas Chassin de Thierry, bénéficiait de la notoriété de son époux le chevalier de Saint-
Louis. Exemplaire dans bien des domaines, elle dut élever six enfants malgré la perte de ses biens à Louisbourg.
Le chevalier Drucourt demanda avec beaucoup d'insistance une pension pour cette veuve. Quand la famille de feu
2 La disparition d'une partie des archives des Deux Sèvres par incendie en 1805, en particulier de rôles de tailles ne nous a pas permis
d'en savoir plus sur son installation. Son nom est mentionné uniquement dans les affaires de justice.
de 1200 livres d'acompte afin de la mettre en état d'acquitter quelques dettes qu'elle a contractées. Vous lui
solderez le reste des 4216 livres 17 sols après vérification de ses comptes.
La dame Thierry se proposant de s'embarquer dans les premiers bâtiments qui partiront de Rochefort après
qu'elle y sera arrivée p o u r aller rejoindre les 158 personnes qu'elle a fait passer dans ce port".
Malgré cette sollicitude elle fut obligée de s'endetter bien au-delà. Le détail d'une partie de ses dettes3 figure
ci après :
Billet émis sous seing privé à Niort le 29 novembre 1763 donné par Madame Thierry :
billet de la somme de 594 livres 12 sols au profit de Renault, maître Chirurgien.
billet de la somme de 287 livres 19 sols au profit de Bomhére.
Billet de la somme de 372 livres 10 sols au profit de Resmais, cordonnier
Billet de la somme de 790 livres au profit de Jacques Damien.
Poursuivie en justice, elle fut saisie à Niort ainsi que son mari. Devant l'urgence d'obtenir des fonds elle fit le
voyage de Versailles le 26 décembre 1763 où elle adressa une supplique au bureau des colonies.
"Monsieur, Permetée que j'ay l'honneur de vous priée de vouloir biens faire contée à monsieur Dumigneaux
Marchette marchand à Niort les quatre mille trois sans seize livres onze sols que le Roy me doit pour retirée de
mes bilet que j'ay laisses et pour me rendre mes harde qui mont eté prises, M. Accaron et de Laroque mont dit
monsieur que les hardes etes partie pour que vous usier la bontée de me faire contee cette somme et que tous vous
avez ecrit pour tout ce qui me regardes ainsi que la decharge des 204 rations que vous navez pastout paier depuis
le mois daout jus qua la fins de novenbre et de tout l'argens que le port mavais contée jespere que vous voudrez
biens vous preter ame rendre ce service vous oblige a celle qui alhonneur daitre avec le santiment les plus vue
[...] votre tres humble et tres obeisante servante.
Rousseauduboisberthelot".
Accaron lui fit une dotation de 6899 livres. Dumigneau qui l'accompagnait fut chargé de régler ses dettes. Elle-
même se rendit directement à Rochefort avec l'espoir d'embarquer. Une de ses lettres la précéda. "A Versaille ce
26 décembre 1763.
Excuses bien Monsieur s'il vous plais que [...] cy mes asurance decivilitee. Comme je pance que levaisseaux
out est embarqué ma famille est partie sestce qui méfait prendre partie de chargee Mr dumigneau de mes afaires
sil netes pas partie Mrduboiberthelot sers comme sy gietes je conte sur vos bontee monsieur pour toute ma
familles et que vous voudrez bien avoir egard afaire enbarqué le monde que tous macorde et si leurs vaiseaux ete
encore en rade sy il vous ete possible de me faire embarque dessus une forge complete avec dufert et de la [...]
M r accaron madit quil santres lutilitee que nous en aiant une et puisque sur la [...] a barque [...] la même chose
sur celuy [...] passes mafamilles ou bien sur celuy qui est p o u r paser.
Il s'avéra d'après le décompte ci-dessous que Madame Duboisberthelot avait perçu 323 livres 18 sols en trop
pour la subsistance pour sa famille. Mais il nous est très difficile de vérifier l'exactitude de ces comptes.
Madame Thierry partit dans le deuxième convoi avec 12 personnes de sa famille et 69 personnes dont 40
travailleurs à la terre, 22 filles de ménage, 7 ouvriers. Le reste de ses gens suivit dans un autre bateau.
Arrivée à Cayenne, elle rejoignit directement Kourou. Le 23 mai 1764, elle fut marraine au baptême de Charles
Labiche, dont le parrain était le baron d'Haugwitz. Le 5 juin 1764, elle fut présente au baptême de Marie Julie
Joseph Rousseau fille du directeur de l' hôpital.
Elle n'échappa pas à l'épidémie. Chanvalon dans une lettre à Fiedmont datée du 17 juillet 1764 nous annonça
sa mort. "Nous avons le malheur, Monsieur, de perdre Madame Duboisberthelot le j o u r même de votre départ, le
14 juillet. J'ai fait prendre p o u r la sûreté même de M. Duboisberthelot et p o u r la famille les mesures convenables.
Je crois que cependant que comme ils ont l'honneur de vous appartenir, il serait nécessaire de vous transporter
ici vers la fin de cette semaine avec Monsieur Pascaud, leur parent aussi, pour prendre les arrangements de la
famille que vous jugerez tous ensemble nécessaires. Veillez bien à donner avis à M. Pascaud à qui je n'ai pas le
temps d'écrire et me croire très intimement pénétré du plus sincère attachement et de tous les sentiments".
On connaît mal les sentiments de Chanvalon vis-à-vis de Madame Thierry. Elle devait occuper les concessions
N° 1 et 2 sur le Kourou. Son décès prématuré l'en empêcha. Notons que la mort n'emporta que deux ou trois
personnes importantes, elle fut du nombre... Six mois plus tard, sa dernière fille la suivit dans la tombe. Elle avait
porté plainte devant notaire du mauvais traitement que Chanvalon avait fait subir à sa famille. Son frère et un des
Duboisberthelot qui ne se trouvaient pas à Kourou à ce moment-là, contredit en ces termes "Par devant le notaire
royal en la nouvelle colonie de la Guyane, après midi, aujourd'hui vingt quatrième de janvier 1765 au lieu de
Kourou, a comparu Messire Charles François Duboisberthelot capitaine des troupes nationales à Cayenne, le
messire Chassain de Thierry sous lieutenant des troupes nationales, lesquels nous ont dit en présence de témoins
bas nommés qu'ils leur était revenu p a r différentes personnes que mademoiselle Chassin de Thierry le j o u r de son
décès arrivé à Cayenne le 15 du présent mois, avait fait une déclaration d'elle signée, contenant des plaintes
qu'elle portent contre M. Chanvalon, disant que non seulement il l'avait laisser périr, elle, mais encore toute sa
famille, et comme il est vraisemblable qu'une pareille déclaration ne peut être que l'effet du délire, de ladite feu
demoiselle Chassain de Thierry, que depuis l'arrivée du Sr Duboisberthelot la défunte dame son épouse, mère de
la défunte demoiselle de Chassain qui fut ici dans les premiers du mois d'avril de l'année dernière. M. Chanvalon
de même que madame son épouse ont eu toutes les attentions possibles pour toutes la famille, et qu'il leur
donnaient journellement tous les secours imaginables tant en viande fraîche, que de ce qui se servait à leur table
soir et matin pendant tout le temps qu'ils ont resté au présent lieu de Kourou, Que le procédé de la feu Madeleine
Chassin de Thierry est si contraire à la vérité que lesdits sieur Duboisberthelot et Chassain de Thierry nous
requirent de recevoir leur déclaration de la vérité du fait, ce qu'ils offrent d'affirmer comme véritable, même de
prouver que toutes les attentions qu'ils ont dit avoir reçu de M. de Chanvalon, sont des faits réels et constant nous
ont requis acte pour servir et valoir à telles fins de raisons. Fait et passé audit Kourou ledit jour et an que dessus
en présence du Sr Pierre Jean Dubois et Sr Antoine Husson commis au bureau du magasin du roi résidant au
présent lieu, soussignés avec lesdits Duboisberthelot, Thierry et nous Signé De Jouy notaire avec paraphe.
Le Chevalier Duboisberthelot a déclaré au bas de cet acte la vérité des faits qui y sont contenus le 17 octobre
1766".
Sa fille, Madame de Montalembert mourut en août 1764. Entre temps, compte tenu de l'épidémie qui régnait,
début juillet, elle avait fait repartir son fils Pierre en France. Il fut recueilli par son oncle, Jean de Montalembert
"Nomination de tuteur de Pierre de Montalembert.
Sur la requête à nous présentée p a r messire Jean de Montalembert mineur âgé seulement de sept ans fils de
feu messire Pierre de Montalembert quand il vivait, capitaine d'une compagnie franche de la Marine à l'Ile Royale
et chevalier de l'ordre militaire de saint Louis et de dame Charlotte Chassin de Thierry, messire Jean François
Dassier et messire Joachin Regnaud de Saint Laurent comme amis et voisins du dit sieur de Montalembert mineur
représentant ses parents maternels absent. A ces causes il nous plaise attendu le désir du père du dit mineur sans
aucun biens et l'absence de la dite dame Thierry qui est passée à l'île de Cayenne p o u r y subsister et a laisser son
enfant, nommer et choisir le dit suppliant pour tuteur adoc, ou curateur en cause audit mineur, etc... Le 17 août
1764 à Angoulême Signé Pierre de Lageard".
Un doute subsiste sur le prénom réel de cet enfant puisque nous possédons le certificat de baptême de Jean
Charles de Montalembert qui semble bien être le même.
"Baptême de Jean Charles de Montalembert:
Le sixième du mois de mars 1765 ont été supplées les cérémonies de baptême p a r moi prêtre curé soussigné
de cette paroisse à un garçon à qui on à imposée le nom de Jean Charles, fils naturel et légitime de feu Pierre de
Montalembert de cers Ecuyer, chevalier de l'ordre de saint Louis, capitaine des compagnies franches de la marine
et de feue Dame Charlotte Thierry de Chassin, ses père et mère, né le 6 février 1757 et ondoyé le septième du mois
et an dans la paroisse de notre Dame des Anges de la ville de Louisbourg capitale de l'Ile Royale p a r Frère Pierre
d'Esseantura Cabaret, religieux Récollet, comme il parait p a r l'extrait tiré des registres de ladite paroisse, déposés
avec les archives de la colonie de l'île royale au magasin général des colonies au port de Rochefort
Jean Charles organisera plus tard une légion d'émigrés qui sera connue sous le nom de légion de
Montalembert, à Saint-Domingue.
Un embarquement mouvementé
Généralement de décembre à février, les vents empêchaient le départ des bateaux de l'île d'Aix. En effet, il n'y
avait pas beaucoup de vents traversiers comme au mois de mai et juin pour aller aux Iles. Les bateaux attendaient
donc en rade des Basques le moment favorable.
Cet hiver 1763-64 fut particulièrement détestable. Dès le mois de décembre plus aucun mouvement ne fut
possible. A tel point que les passagers de quatre navires déjà embarqués restèrent à bord jusqu'à la mi-janvier.
L'état sanitaire devint rapidement catastrophique.
On n'en continua pas moins les embarquements ! Le 12 janvier 1764 Choquet annonça à Choiseul que "400
personnes étrangères embarquées sur "la Ferme" souffrent beaucoup du retardement causé par le vent contraire
et que le mauvais temps empêche la flotte qui est à l'île d'Aix d'appareiller".
Une lettre du 26 janvier annonça que "le gros temps qui vient de reprendre avec plus de force retient notre
flotte à l'île d'Aix et a obligé le navire la "Ferme" qui avait appareillé à y revenir. Elle avait appareillé avec un
autre bâtiment. Ils mouillent en rade des Basques et je les crois rentrés à l'île d'Aix à cause du gros temps".
Une nouvelle lettre du 4 février précisa : "Les bâtiments de transport qui sont en rade de l'île d'Aix souffrent
beaucoup, quelques-uns ont été obligés de donner dans la rivière pour se mettre à l'abri et pour s'échouer sur les
vases en attendant que le temps soit un peu apuré. Les vents contraires retiennent les navires en rade".
Une autre lettre de Choquet du 7 février 1764 décrivait : "Les temps affreux que nous essuyons empêchent les
transports de bois de Nantes, tous les travaux sont retardés, les ouvriers ne peuvent tenir sous la rigueur du temps,
et on a bien de la peine à les conserver, ils sont naturellement paresseux, quand ils sont restés 4 mois dans le port
ils nous tourmentent pour s'en retourner chez eux. La suite de mauvais temps qui règne et qui redouble encore
nous occasionnent une augmentation de dépenses par les remplacements à donner aux bâtiments qui sont en rade
de l'île d'Aix, les équipages se fatiguent beaucoup, y tombent malade de fièvres et de fluxions de poitrine, il y en
a déjà près de la moitié de changés et je ne puis me dispenser de leur faire donner un mois à acompte pour qu'ils
aient des hardes, ayant déjà depuis plus de trois mois qu'ils sont armés, couronnés par la misère des temps ce
qu'ils en avaient, et il est nécessaire de leur donner des secours pour leur conservation, on ne peut laisser périr
les équipages des vaisseaux armés.
Les temps continuent à être si mauvais, les pluies si abondantes qu'on n'a pu encore trouver le moment
d'embarquer le biscuit sans risque de le gâter et le perdre tout à fait. La suite de ces mauvais temps et des coups
de vent réitérés nous causent bien des inquiétudes. Des navires de la flotte prête à partir, il n'y a que les bâtiments
du roi qui tiennent à la rade de l'île d'Aix, ceux frétés sont obligés de se réfugier dans la rivière1. Ils sont tous
mouillés au port des Barques et ce n'est pas sans avoir des avaries qu'ils ont pris ce parti. Je leur donne des
secours pour les mettre en état de profiter du premier instant du bon vent. Les passagers souffrent beaucoup, ils
prennent de l'humeur. Ce sont des querelles et des tracasseries avec les capitaines des navires sur leur traitement
et des plaintes continuelles effet de l'ennui. Jugez, Monsieur, de l'embarras où nous sommes pour ramener la
tranquillité. Ils tombent malades, il y en a déjà beaucoup qui ont des fièvres, que l'on croit être putrides, ou des
fluxions de poitrine. Le petit hôpital que l'on a établi à l'île d'Aix est engorgé. Nous craignons avec trop de
certitude que la maladie ne devienne générale pour peu que les mauvais temps continuent encore quelques jours.
Ce sont ces remplacements continuels à faire à chaque navire pour les tenir complets et ne point les retarder pour
les premiers moments favorables. Nous prenons le parti de garder un des navires de transport qui ne partira point
en même temps que les autres dans l'instant du départ, pour se servir de ses passagers pour faire les
remplacements des autres navires. Sauf à lui donner quelques dédommagements pour son retard qui ne sera alors
que de quelques jours. Nous préférons ce parti plutôt que d'en faire venir de Saint-Jean-d'Angély au fur et à
mesure, parce que le dépôt de l'île d'Aix est déjà bien embarrassé, principalement par les malades et que ce serait
augmenter l'occasion d'y en avoir davantage. Il est à craindre que les mauvais temps qui causent le grand
retardement du départ de la flotte ne cause aussi l'altération dans les denrées chargées sur les navires de la flotte
et que ces denrées ne se trouvent hors service à l'arrivée dans la colonie. ce serait un malheurs, mais il y a
longtemps que l'on n'avait point vu un temps si constamment mauvais, et il y a près de trois mois qu'il dure".
1 La Charente.
La confusion ne tarda pas à régner tant à bord des bateaux que dans les dépôts. La malnutrition, les maladies,
l'oisiveté rendirent rapidement l'atmosphère irrespirable. Le 13 décembre 1763, une émeute éclata à Saintes pour
une affaire de vin de mauvaise qualité. Déjà le 3 novembre 1763, du désordre avait été occasionné à Saint-Jean
par des concessionnaires, le prix du pain avait augmenté à Cognac de près de moitié par la disette des blés et des
farines causée par les temps affreux. Les personnes gardées dans les dépôts souffraient de la misère, faute de
vêtements. Les désertions étaient nombreuses.
Malherbe Claude
Né le 23 sept 1720. En 1744, il fut nommé 1er secrétaire du marquis d'Argauge, et en 1753 commis
surnuméraire au dépôt des cartes et plans. En 1754 il fut "assuré de discrétion auprès du ministre de la
marine"pour s'occuper des papiers secrets de la marine; 1759 au bureau des colonies et en 1760 à Saint-
Domingue où il fut chargé du recouvrement des invalides. Il fut envoyé en renfort à Rochefort, le 5 avril 1763,
par détachement du bureau des colonies du fait de la maladie de M. Ruiz. Nommé inspecteur des magasins
généraux et des colonies, mis en place par Choquet, il servit à l'Ile d'Aix et à Rochefort jusqu'en 1765. Placé
par Choiseul pour prévenir les abus, il se révéla d'une réelle incompétence dans son emploi, et se fit surtout
connaître par son incapacité dont malheureusement tout le monde s'aperçut. Il sera considéré comme le
principal responsable des désordres à l'embarquement de l'expédition de Kourou. Il rendait compte
directement à Acaron en s'affranchissant de sa voie hiérarchique de Rochefort. Il fit construire sous les ordres
de Choquet, à l'Ile d'Aix, four, boulangerie, magasin, boucherie et cuisine. Il fut retiré, le 7 février 1764 sur
plainte du juge royal de l'Ile de Ré contre Martel, capitaine d'invalides et Malherbe préposé pour les colonies
à l'Ile d'Aix. Ordre avait été donné à Malherbe de revenir au port de Rochefort et à Marjot de le relever dans
son détail. Le 28 avril 1764, ce fut Malouet, futur gouverneur de la Guyane qui occupa ce poste, comme
inspecteur des magasins des colonies.
Laroque, chef de bureau sous Acaron au bureau des colonies dit à son sujet : "Jamais désordres et
confusions n'ont été semblables à ceux-là. M. Malherbe y fit connaître son incapacité et d'autres, toutes leurs
mauvaises volontés ; comme on trompait le ministre et les bureaux, je me suis déplacé à Rochefort".
En 1765 Malherbe reprit sa place au bureau des colonies, de 1775 à 1778 il fut inspecteur de
l'habillement des troupes, et en 1783 ordonnateur à St Pierre et Miquelon.
L I S L B D A I X
j e n e d o i s p a s v o u s c a c h e r q u e c ' e s t u n h o m m e a b s o l u m e n t i n c a p a b l e d e l a p a r t i e d o n t il e s t c h a r g é p o u r c e c i ,
c'est un h o m m e s a n s tête et s a n s r e s s o u r c e s ni génie, q u i tout a u p l u s doit être e m p l o y é s o u s u n autre, m ê m e
vos vues, occupé des besoins de votre colonie et des attentions qu'elle mérite, je n'y ai vu qu'un homme
r a m p a n t s o u s s e s s u p é r i e u r s a u - d e l à d e c e q u ' e x i g e le service, u n i q u e m e n t a t t e n t i f à l e u r p l a i r e p o u r f a i r e d u
Une lettre d e Ruiz datée du 12 J a n v i e r 1764 confirme. "M. le M a r é c h a l de Senectére m'ayant envoyé un
Martel capitaine d'invalides demeurant à l'Ile d'Aix et le Sr M a l h e r b e que j'ai envoyé souvent à cette île à
l'occasion d e la s u b s i s t a n c e à f a i r e donner, d e la p o l i c e à f a i r e o b s e r v e r a u x n o u v e a u x c o l o n s q u i y s o n t d é p o s é s
p o u r servir a u x r e m p l a c e m e n t s et c o m p l é m e n t s d e s f a m i l l e s e m b a r q u é e s et a u x revues à f a i r e d e c e s f a m i l l e s à
f a i s a i t a l l e r d a n s u n e t e r r e e n s e m e n c é e a p p a r t e n a n t a u Sr F o u c a u l t . D e s o r t e q u e s e s d o m e s t i q u e s a r r ê t è r e n t u n e
v a c h e a u Sr M a r t e l q u i u s a d e v i o l e n c e e n v e r s s e s d o m e s t i q u e s , et le Sr M a l h e r b e s e s e r a i t p e r m i s , p o u r o b l i g e r
le Sr M a l h e r b e a u b u r e a u d e s c o l o n i e s d a n s c e p o r t e t a u x c h a r g e m e n t s d e s n a v i r e s " .
adressée à M . Pelletier de Morfontaine, intendant de la généralité. V a / reçu ces j o u r s des plaintes du commissaire
de marine préposé à la police des familles étrangères destinées p o u r les colonies, qui sont en entrepôt à
T a i l l e b o u r g e t S a i n t - S a v i n i e n , il p a r a î t q u e l e s o f f i c i e r s m u n i c i p a u x n e s e p o r t e r a i e n t p a s a v e c a u t a n t d e z è l e q u ' i l
serait nécessaire p o u r en imposer a u x habitants qui livrent à ces familles une guerre déclarée. J'ai rendu un ordre
q u i tient les é t r a n g e r s e n respect, d'autant plus sûrement qu'il leur est a n n o n c é qu'à la p r e m i è r e f a u t e d o n t ils
s e r a i e n t c o n v a i n c u s m ê m e d ' a v o i r s e u l e m e n t m i s le p i e d d a n s le t e r r i t o i r e d e s h a b i t a n t s d e c e s q u a r t i e r s , ils s e r o n t
t r a n s f é r é s ici et p u n i s très r i g o u r e u s e m e n t , il c o n v i e n d r a i t q u e l e s h a b i t a n t s d e c e s m ê m e s q u a r t i e r s f u s s e n t d a n s
le c a s d e c r a i n d r e le m ê m e t r a i t e m e n t et j e v o u s d e m a n d e s u r c e l a M . les é g a r d s p o s s i b l e s , a f i n d ' é v i t e r d e p o u s s e r
s u r elle des prétextes p o u r f a i r e querelle et f r a p p e r j u s q u ' à donner des coups de couteaux. Si d a n s ces cas les
v i e n d r a g u è r e à b o u t d e f a i r e c e s s e r les a n i m o s i t é s réciproques".
Le temps s'améliora le 14 février 1764 mais la c o n f u s i o n créée par les i n t e m p é r i e s n'avait pas permis de
alors : "Le temps est devenu p l u s tranquille, mais les vents s o n t t o u j o u r s contraires au départ de notre flotte
composée de 12 bâtiments, tant du Roi que frétés, sans espérance qu'ils changent d e plusieurs jours, ce qui est
b i e n p r é j u d i c i a b l e à la s a n t é d e s é q u i p a g e s e t d e s p a s s a g e r s d o n t o n f a i t c o n t i n u e l l e m e n t le r e m p l a c e m e n t " .
p a r u n p e t i t v e n t d'Est. O n p r é s u m e q u e c e v a i s s e a u a u r a m o u i l l é c e t t e n u i t d a n s le P e r t u i s et a u r a p u c o n t i n u e r
r e m p l a c e m e n t d e s o r t e q u ' i l n e t a r d e r a p a s à m e t t r e l a v o i l e si le t e m p s c o n t i n u e à ê t r e f a v o r a b l e . J ' a i f a i t r e n t r e r
le "Saint-Esprit" parce que ses passagers sont malades, il faut les remplacer presque tous. Il se tenait mouillé
depuis deux mois en dehors de la flotte pour être prêt à faire route. Ce convoi ne lassait pas de nous occuper p a r
les remplacements continuels et d'autres soins relatifs, à forcer les autres expéditions pour continuer à faire passer
les nouveaux colons et évacuer nos entrepôts, comme aussi à l'envoi des denrées dans les colonies car pendant
que la flotte est restée en rade, il ne convenait pas d'équiper de nouveaux navires pour en augmenter le nombre,
cela eut pour effet d'augmenter la misère et l'engorgement peut être même dans les colonies".
Ce fut donc un convoi de malades souffrant de "flux de poitrine", de maladies vénériennes et autres, qui partit
pour Cayenne, laissant à terre une horde d'autres malades attendant leur départ.
Jamais Kourou n'avait été à pareille fête. Les colons s'étaient fait un devoir d'accueillir les nouveaux venus avec
faste et empressement. Les beautés du pays en longues robes traînantes et les messieurs plumet en tête se
pressaient sur l'embarcadère au bord de ce grand fleuve boueux aussi large que la Seine. Des groupes de colons,
anciens et nouveaux réunis, faisaient connaissance "en marchant d'un pas léger sur la plage".
L'heure était à l'extase. Sur fond de verdure l'endroit apparaissait comme un nouvel Eden et chacun imaginait
déjà une vie certes proche de la nature mais surtout aisée, sans souci.
Chanvalon pensait que si le peuple se divertissait, il devait être heureux, c'est pourquoi dès son arrivée, en mars
1764, il fit construire un théâtre à Kourou; à vrai dire c'était pour sa femme qui aimait le spectacle. On y donna
plus tard des représentations théâtrales et musicales de grande qualité, Tardisien, grand violoniste, et Lanu poète,
y faisaient l'admiration de toute une cour de privilégiés, au grand désespoir des autres colons. En effet, il existait
deux classes de personnes, les concessionnaires porteurs de fonds et les habitants démunis de tout, connus sous la
dénomination "de trente-six mois", car ils ne s'engageaient que pour ce temps-là. Cette séparation en deux classes
s'effectuait en fonction des moyens. Les pauvres avaient été relégués à l'écart aux Iles du Diable, ou, à Kourou, ils
constituaient une réserve pour satisfaire les besoins en hommes. Leurs libertés étaient beaucoup plus restreintes
que celles des riches. Les protégés et les bailleurs de fonds pouvaient approcher Chanvalon et "sa cour
débauchée".
Ainsi le séjour s'annonçait déjà moins idyllique pour une partie de la colonie : les désargentés. Chanvalon ne
s'aperçut de rien malgré les mises en garde de Madame Thierry de Chassain' qui, isolée, tentait désespérément
avec sa fille Madame de Montalembert une intégration des plus pauvres. Leur mort en juillet et août 1764 mit fin
à cette ultime tentative.
Chanvalon mit les ingénieurs et géomètres à l'oeuvre. A une vingtaine de kilomètres en amont de l'embouchure
du fleuve Kourou, il fit faire des reconnaissances et commencer la délimitation des concessions. Ces opérations
consistaient à tracer un layon dans la forêt2 et parfois un petit fossé. Entre les mois d'avril et mai 1764, il fit même
construire par les soldats et les indiens quelques carbets. Ils firent aussi des "plantages". Tugny et Mentelle,
ingénieurs géographes les commandaient.
Il ne manqua pas de s'attribuer, avec Préfontaine, quelques autres de ses parents et des favorisés, un peu plus
en aval, des terrains dont la superficie et la qualité dépassaient de loin ceux prévus pour les concessionnaires. Ainsi
furent concédés pour le propre compte de Chanvalon "la Liberté" et pour Préfontaine "la Franchise"3. L'habitation
"B" fut donnée à la soeur utérine de Chanvalon : Lucile Lée. A ce titre elle a passé avec Antoine Pascaud un acte
d'association pour une durée de neuf ans, afin de faire valoir cette concession ensemble et par moitié. L'habitation
"A" fut affectée à une société de trois personnes pour la même durée, on y plaça même rapidement 300 colons !
Cette société composée de Chanvalon, Laisné commerçant, et Laisné de Cambernon frère du précédent, trésorier
à Kourou, acheta 3 bateaux. L'argent "avancé" sur les deniers du Roi et ceux des concessionnaires permit de faire
commerce avec la Martinique. Ainsi "le Saint-Félix", acheté le 6 avril 1764, effectua un seul voyage vers cette île.
"Le Thibault", acheté le 28 avril 1764, fit 2 voyages de la Martinique à Cayenne. Dans son premier voyage, il
amena des femmes pour les nouveaux colons et une cargaison de vivres vendue au Roi, mais la deuxième fois, sa
En attendant la réponse, Chanvalon remonta le Kourou jusqu'à 20 lieues de l'embouchure. Il rencontra un chef
indien qui lui dit que les Français lui avaient fait "beaucoup de chagrin et que les indiens se retiraient tous car
lorsque Préfontaine était arrivé, ils s'étaient prêtés de tout coeur à faire des cases pour loger tout le monde, mais
que Préfontaine les avaient maltraités, et non content de cela, quand ils avaient été lui demander leur payement,
il les avait renvoyés comme s'ils eussent été des gueux en les menaçant ...1 De sorte qu'ils n'ont pas eu un sol de
tous les travaux qu'ils avaient faits et quand ils avaient vu la façon disgracieuse avec laquelle ils étaient traités,
ils avaient mieux aimé se retirer que de se voir mener rudement sans rien gagner".
Entre les mois d'avril et mai 1764, il continuait de faire reconnaître, délimiter et tracer les terrains des futurs
concessions sur le Kourou. Toutefois il ne voulait toujours pas installer les concessionnaires au fur et à mesure de
l'avancement des travaux. Puis il passa une partie du mois de mai à visiter le pays. Il revint à Kourou à la fin du
mois en même temps que Préfontaine. Ce dernier lui annonça qu'il allait reconnaître la rivière de Sinnamary. En
remontant jusqu'à vingt lieues en amont de ce fleuve, près du premier saut, il trouva le sol riche et quelques carbets
indiens abandonnés. Fiedmont l'accompagnait, ils s'entendirent pour y établir les Acadiens et Canadiens. Ils
rentrèrent à Kourou en juin.
Préfontaine voyait avec chagrin reporter de jour en jour le début des opérations d'installation des colons sur les
terres. Il promit aux concessionnaires et aux Acadiens des îles du Salut de les placer sur les terrains avant la fin
du mois. Mais Chanvalon s'obstina à ne pas distribuer les terres prétextant qu'en multipliant les camps on
multipliait les dépenses.
Pourtant tous se plaignirent à Préfontaine. Les plaintes devinrent si fréquentes et si réitérées, qu'il dut se
justifier et leur répondre qu'il n'avait rien promis. Tout ce qu'il avait fait, ne l'était qu'au nom de Chanvalon,
dépositaire de l'autorité, c'était à lui qu'ils devaient s'adresser, leurs représentations auraient peut être plus d'effets
que les siennes jusqu'ici inutiles et regardées comme inopportunes. Pour lui forcer la main Préfontaine prit
l'initiative de faire descendre les Indiens pour effectuer les transports de colons sur le fleuve.
Cependant, le 24 juin 1764, Chanvalon lui de son côté se plaignait de ne pas être secondé : "je n'ai obligé que
des ingrats, tous ont des prétentions et veulent étendre leur pouvoir, non pas vis-à-vis de moi, mais vis-à-vis des
autres surtout quand je ne suis pas ici, je ne trouve que des coeurs stériles, le moi, l'intérêt personnel est une
étrange chose, ainsi je ne suis bien qu'avec Fiedmont et Préfontaine. Morisse est un monstre dévoré d'ambitions,
de jalousies et bien d'autres passions. Il est ennemi déclaré publiquement de ces établissements".
En juin et juillet 1764 les convois se succédèrent jour après jour. Kourou et les îles du Salut regorgeaient de
monde. Voyant l'embarras dans lequel se trouvait la nouvelle colonie, Morisse et Fiedmont proposèrent de diriger
vers d'autres lieux les colons restés à Cayenne à bord des bateaux. Germain pensa alors à l'habitation de la
succession Poulin "la Marianne". Elle était située sur la rive droite du Mahuri elle n'avait de communication avec
C A R T E DES IS-LES Dt- S A L U T
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Fin juillet 1764, un camp s'ouvrit malgré tout au lieu-dit "la Beaume" sur la rivière du Tour de l'Ile. Commandé
par La Rochehercule, lieutenant des troupes nationales, qui avait été désigné pour conduire les familles allemandes
de Rochefort à Kourou, il accueillit 800 personnes de ces familles allemandes. On y créa une infirmerie. Plus tard,
on dira de ce camp qu'il n'était "qu'un ramassis de canailles allemandes". Facile d'accès pour les navires, il servait
de dépôt : "les barriques de vin étaient amoncelées les unes sur les autres, certaines ouvertes, des ruisseaux de
cette liqueur coulaient dans la rivière du Tour de l'Ile, les magasins étaient remplis de linges, si remplis qu'ils en
crevaient. Un nombre infini de souliers se trouvait mangé par les ravets"8. On ne pouvait concilier cette
abondance inutile avec la disette qu'ils avaient souffert à Kourou et qui avait chagriné autant de monde".
A part cette initiative dont on n'est pas sûr qu'elle fut de Chanvalon, Préfontaine, proposa pour désengorger
Kourou d'établir les colons sur les anciens abattis, par groupe de deux ou trois familles, à Approuague, Oyapock,
Kaw, Roura, Orapu et Tonnegrande.
Chanvalon refusa.
Juin et juillet s'écoulèrent. Sous prétexte que le bornage des habitations n'était pas terminé ; il ne fit rien, ce
que dénonça Préfontaine. Chanvalon n'écoutait que trop son zèle, et n'était point assez réfléchi, il se piquait d'une
grande prudence et ne voulait point s'exposer aux reproches que lui feraient un jour les concessionnaires ou leurs
enfants, de les avoir par trop de précipitation mis dans le cas d'avoir des disputes et des procès de terrains. Il lui
avait pourtant dit qu'il fallait laisser entre 100 et 150 pas de libre entre les concessions, et par la suite qu'on
pourrait s'en servir pour faire des routes.
Hormis les personnes privilégiées par Chanvalon, les militaires ou les civils attachés au fonctionnement, les
habitants avaient été divisés par Préfontaine en compagnies soumises à des officiers et sergents. Une compagnie
était constituée de gens riches que l'on protégeait contre les vols. Les autres compagnies, celles des plus pauvres,
étaient assujetties à différentes tâches ou corvées. Les colons comme des soldats recevaient leurs vivres. Ils étaient
punis de prison et mis aux fers pour les moindres fautes. "Ils éprouvaient toutes les entraves qui sont la suite d'un
engagement militaire". Personne ne passait de l'ancienne à la nouvelle colonie sans permission dûment motivée.
En général ils étaient si affamés "qu'un cambusier de vaisseau, s'étant avisé de faire la recherche des rats, gagna
environ deux mille livres à ce genre de chasse en les vendant jusqu'à vingts sols pièce".
Insidieusement la révolte s'installa. Les cultivateurs disaient avoir été trompés et s'habituaient difficilement à
l'idée de travailler. Ils pensaient avoir un terrain particulier en arrivant, cela n'avait pas été le cas. Rien n'avait été
construit en conséquence pour recevoir les personnes et rien n'avait été fait depuis. A Kourou quatorze personnes
logeaient dans un emplacement de 16 pieds. La promiscuité se fit sentir rapidement.
Beaucoup de personnes demandèrent à repasser en France mais Chanvalon refusa.
Plus généralement on racontait "qu'il fallait être "putain" ou maquereau pour réussir à Kourou". La rumeur
6 Maladie caractérisée par une éruption, à la surface de la peau et des muqueuses, de tubercules saillants, qui entraîne des symptômes
infectieux graves, parfois mortels.
7 Parasites qui se logent sous la peau des pieds et des mains.
8 insectes du genre cancrelat ou cafard.
publique disait qu'on mourait de faim à Cayenne. De même Madame de Chanvalon écrivit de Saint-Pierre de la
Martinique à son mari, où, lors de l'arrivée des naufragés du navire "la Baleine" dans ce port, des mauvaises
nouvelles circulaient, affligeantes pour la colonie. Des critiques des amis de son mari signalaient "l'inhumanité et
les difficultés étonnantes rencontrées pour la nourriture, les maladies et le grand découragement des colons, suite
nécessaire du malaise qu'elle comparait au système de Law".
La nouvelle colonie ne possédait aucun vivre frais pour acclimater les colons fatigués, les rafraîchir et les
remettre du mal de mer. La nourriture, déjà malsaine, déposée sur la pointe de Kourou ou aux îles du Salut était
entreposée dans des conditions déplorables, il n'y avait aucun abri convenable. Elle ne tarda pas à pourrir. Il n'y
avait pas ou peu de distribution de viande fraîche et de lait, "on n'avait pas pensé à faire venir des animaux en
quantité suffisante". Parfois on refusait de donner de la tortue9 et du boeuf aux personnes très malades. Quand il
y avait de la viande, le nommé Perrin, boucher chargé du découpage chez Dhiver, garde de Chanvalon, propriétaire
d'une auberge, approvisionnait en priorité la maison de Chanvalon et son auberge. Les autres se contentaient des
restes, parfois vendus à des prix exorbitants. Pourtant il avait bien été prévu que le Roi devait la nourriture aux
nouveaux colons pendant 24 mois. Ni le Roi ni le trésor royal ni la marine n'étant en cause, sauf en ce qui concerne
la qualité des vivres, la faute ne pouvait être attribuée qu'à l'autorité locale.
Suite aux retards accumulés, au lieu de trouver des carbets commodes, pour se mettre à l'abri des rayons du
soleil et de la pluie, les colons furent reçus sous des tentes ne pouvant les garantir de la chaleur, de la piqûre des
insectes. Ils se protégèrent du soleil avec de l'huile de Carapa10.
L'eau saumâtre des puits était polluée, car la pluie délayait les immondices du camp, et s'infiltrait au travers
les sables, elle alimentait le bas peuple. Seul le puits de l'intendance fournissait de la bonne eau, il était gardé par
une sentinelle. Pour y puiser il fallait un ordre écrit. La soif poussa quelques personnes à s'approvisionner à une
fontaine situé à Pariacabo à une demi-lieue du camp, mais au bout de quelques jours il y fut mis aussi un gardien.
Des concessionnaires, profitant de l'absence du surveillant, risquèrent leur vie en y allant chercher quelques litres
d'eau la nuit en pirogue. Par contre madame de Chanvalon à son arrivée aura la jouissance d'un puits privé, elle
en faisait même prendre l'eau pour laver son linge.
Les malheureux, que Chanvalon avait fait débarquer aux îles du Salut étaient encore plus à plaindre. Ils
manquaient de tout. "Ils logeaient sous de lourdes voiles de vaisseaux, qui, pourries par l'abondance des pluies
et l'ardeur du soleil, les laissaient exposés à toutes les injures de l'air". Ne recevant la subsistance que de Kourou,
ils se trouvaient "réduits plus d'une fois à vivre de farines bouillies ou détrempées dans des sabots de bois faute
d'autres vases ou récipients. Par contre il y en avait dans les magasins de Cayenne et Kourou, Chanvalon ne
voulait pas qu'on les distribue".
D'après le chirurgien Chambon, chargé des soins aux îles du Salut et ensuite Deschamps : "Une partie des
malades étaient logée sous des tentes de fortune et les autres sous des cabanes en feuillages qu'ils avaient été
obligés de se construire eux-mêmes. L'hôpital ne possédait pas de remèdes, les tisanes ne pouvaient être
administrées faute d'ustensiles, alors qu'il y en avait à Kourou. Manquant de lits, les trois quarts des ces
malheureuses personnes étaient couchées par terre, dans la fange et sans le moindre soulagement. La fraîcheur
de l'eau qui bien souvent les inondait leur causait des douleurs rhumatismales, de vives coliques, et des coups au
ventre très opiniâtres". Pour remédier à toutes ces choses Chambon, fit prendre une quantité "de sabots, pour
servir d'écuelles, de gobelets, de pots à eau et de pots de chambre". Partout ces personnes exposées à l'humidité,
à la fraîcheur de la nuit, aux piqûres des macks, des moustiques et des maringouins, manquaient de tout ce qui
était nécessaires à leur existence et à leur santé. Pour se faire du bouillon, elles achetaient les rats jusqu'à 3 sols la
pièce. Jusqu'au mois de mai 1765 aux îles du Salut elles mangèrent que des biscuits moisis ou pourris, de la viande
salée et eurent du tafia pour boisson.
Une épidémie se déclara et vint aggraver la situation.
Cette funeste maladie n'épargna que 1200 personnes sur les 6.000 environ rassemblées au camp de Kourou et
autres lieux. Elle fut "précédée et accompagnée de la plus extrême des misères et de toutes les circonstances qui
peuvent la rendre plus cruelle. Les extrémités auxquelles les nouveaux habitants de la Guyane furent réduits
formèrent un tableau affligeant pour ses responsables et l'humanité".
L'hôpital de Kourou était surchargé. Les malades étaient trop nombreux ; beaucoup n'avait ni lit ni linge ; tous
manquaient des secours les plus nécessaires. On plaça 560 hamacs dans une pièce qui ne pouvait en contenir que
200. Il aurait fallu deux hôpitaux pour séparer les scorbutiques des dysentériques, ce ne fut pas possible,
l'épidemie pestilentielle fit des ravages dans l'hôpital et se répandit infailliblement au-dehors.
Elle gagna Cayenne où deux hôpitaux se trouvaient situés "au vent et sous la vue de la ville. Dans le premier
était entassé le peuple des vaisseaux et dans le deuxième les soldats, les matelots et les particuliers". Le juge
Boutin, resté presque seul, car les anciens habitants paniqués par l'épidémie, avaient déserté la ville rédigea un
La saison d'abattre les arbres était commencée. Préfontaine dit "qu'elle serait terminée avant que l'on
commença à s'établir si Chanvalon s'obstinait à placer lui-même les colons". Il se détermina malgré un premier
refus d'essayer de lui offrir de nouveau ses services, le conjura de ne plus temporiser, et proposa de s'engager à
conduire cette opération conformément à ses vues et suivant les plans qu'il lui aurait dressés. Son offre fut regardée
comme injurieuse et Chanvalon lui répondit: "Qu'on aurait autant de plaisir que lui à distribuer les habitations
et conduire les habitants, que vouloir lui ravir cette joie était enfoncer le poignard dans le sein d'un malade qui
avait droit par toutes sortes de raisons de se réserver cette satisfaction".
Fin juillet, Préfontaine sans l'autorisation de Chanvalon prit la décision de mener les habitants, sur les
concessions tracées par les ingénieurs, pour qu'ils construisent chacun leur ajoupa12. Il se fit aider par les Indiens.
11 Les navires des armateurs n'ayant pas de fret retour à charger à Cayenne avaient été autorisés à transporter pour leur compte du fret
aux îles pour se dédommager.
12 Hutte de pieux et de branchages.
Cela permettait de mettre les hommes et leurs effets à l'abri et de servir de modèle pour construire les carbets à
l'endroit que chacun choisirait plus tard pour former son établissement.
Chanvalon en prit ombrage. Les excuses de Préfontaine furent traitées de discours séditieux et de cabales.
Préfontaine dira "Apres avoir sacrifié mon repos, ma santé, mes intérêts, il eut fallu que je visse tranquillement le
fruit de mon labeur anéanti, et de par ma condition, que je ne paraisse approuver du moins ne pas blâmer une
indolence et une lenteur que j'avais pris la liberté de reprocher, et dont plusieurs fois, j'avais annoncé les suites
sinistres qu'elles ont eues. J'avais tant de plaisir à voir le camp s'élever, que je l'avais regardé avec satisfaction,
comme le premier pas dans une carrière que je comptais parcourir avec honneur, mais je ne pouvais plus soutenir
les calamités qui m'affligeaient".
Les plaintes et les murmures augmentèrent dans le camp. Ainsi le seigneur Marcenay de Guy qui manifestait
beaucoup d'empressement à travailler à son futur établissement, supportait mal les retards. Il osa présenter une
lettre à Chanvalon disant : " puisque sa maladie l'empêchait lui-même de distribuer les terres et d'y conduire les
concessionnaires, qu'il confie cette opération à quelqu'un d'autre et qu'il lui était aisé de trouver l'homme d'assez
bonne volonté capable de s'en charger". Chanvalon prit cette lettre comme une injure, il la jugea comme concertée
avec Préfontaine "à qui il en fit un crime". Il lui reprocha durement, en public, d'être jaloux de sa gloire et de
chercher à s'attribuer "tout l'honneur des établissements".
Désespéré, surchargé de travail, fatigué, Préfontaine tomba malade fin août. Comme sur le camp "il n'y avait
point de médecin, ni de remède, il voulut s'en aller à son établissement de Macouria". Chanvalon l'invita à rester :
"Quoi, dit-il, mon cher commandant, vous nous quittez au moment de l'ouvrage". Vexé, piqué au vif, Préfontaine
quitta le camp de Kourou. Il se remit rapidement et revint dix jours après, croyant pouvoir y être utile, mais il fut
occupé à tout autre chose que l'on peut qualifier de futilité.
Enfin l'installation des colons commença en septembre 1764. Il y avait un peu plus de 10 mois qu'ils avaient
quitté la France !
Par tirage au sort, 43 futures habitations furent attribuées. Chanvalon rendit compte par écrit du malheureux
retard de l'établissement des colons. Le 13 septembre, Mentelle montra le terrain aux concessionnaires. Cependant
comme le fractionnement des vivres semblait impossible, ils ne s'y établirent pas. Quelques jours plus tard, il
confia à Moreau le soin d'en installer 20 d'entre eux, auxquels on attacha environ 1.200 cultivateurs, dont 483 sur
la rive gauche du Kourou. Ils furent transportés sur leurs terres par les Indiens qui les aidèrent à construire leurs
carbets. Dans un premier voyage on en installa quatre, qui furent instruits sur la manière de travailler la terre. Il
fit un deuxième voyage qui dura trois jours avec 15 concessionnaires. Ils montaient et descendaient avec les
marées. On s'interrogea sur la promptitude des secours éventuels que pourraient recevoir les nouveaux
concessionnaires : ils n'avaient pas de pirogue.
Chanvalon fixait la surface de terrain d'après l'argent que possédaient les concessionnaires. Il n'en distribua pas
aux Allemands, pourtant certains disposaient d'une petite fortune. Peu de concessionnaires possédaient assez
d'argent pour monter une exploitation, pour la plupart, s'il avait dû payer les cultivateurs, leurs fonds auraient été
épuisés avant la première récolte.
De plus, malgré les conseils reçus de toutes parts, Chanvalon avait choisi des terres inondables. Le 8 octobre
1764, Legray, garde magasin le lui confirma par écrit.
Pendant ce temps, Préfontaine remontait le Kourou pour tenter d'atteindre le Sinnamary, puis redescendre par
ce fleuve. Il partit le 23 septembre et rejoignait Château Vert où de Broise devait construire "un moulin à
planches"". Il le trouva mort avec quatre de ses compagnons, les matériaux à l'abandon éparpillés au bord de sa
gabare. Sa maison avait été inondée sous trois mètres d'eau, jusqu'au premier étage. Il fit prévenir aussitôt
Chanvalon.
Arrivé à l'emplacement du futur village de Sinnamary, il étudia les travaux à faire pour s'établir sur cette
rivière. Il revint à Kourou pour rendre compte. Chanvalon le reçut à peine. Comme il était appelé à Cayenne,
Préfontaine fit part de tous ces griefs à Fiedmont, il détailla "les maux que la nonchalance de Chanvalon et sa
négligence avaient occasionnés".
Tentant une médiation, Fièdmont vint trouver Chanvalon pour installer les Acadiens de Kourou sur le
Sinnamary en souhaitant que Préfontaine les dirige. Après bien des détours, Chanvalon accepta mais refusa de
donner les vivres à Préfontaine qui, aidé des Indiens, construisit un quai avec dix hommes et put ainsi accueillir
les Acadiens et les Canadiens. Il attendit pour les déplacer, car les terres le long de la Sinnamary appartenaient
aux Indiens. Préfontaine en se les appropriant, les obligeait à se retirer plus haut sur le fleuve. Des plaintes avaient
été déposées auprès du Conseil Supérieur à Cayenne par les indiens, elles restèrent sans résultat.
Les tentatives faites au mois de septembre pour placer quelques personnes sur des terrains à défricher le long
de la rivière du Kourou, "n'aboutirent qu'à les faire périr éloignées de tous secours et plongées dans les horreurs
13 C'est à dire une scierie.
du désespoir". Les habitants du fleuve ne possédaient pas de pirogue. Une chaloupe "la Mignonne" faisait la
navette sur le Kourou pour le ravitaillement. Elle montait et descendait tous les 8 jours avec la marée, ce qui était
nettement insuffisant pour porter les ustensiles et les vivres nécessaires. Elle ne distribuait que 3 ou 4 jours
d'avance. Cela obligeait les habitants de la rivière à confectionner des radeaux pour venir chercher leur nourriture.
Mais il était interdit aux cultivateurs de descendre à Kourou sans la permission expresse du garde magasin Pezard.
Par contre, certains concessionnaires quittaient le fleuve durant 15 jours pour aller chercher de l'amusement à
Kourou en abandonnant les cultivateurs malades et sans soins. Les colons affamés tiraient avec leur fusil depuis
les berges sur les canots pour les obliger à accoster. Il est vrai que Chanvalon n'avait autorisé la chasse que pour
les habitants sages et modérés et interdit la pêche.
En octobre les matelots de la "Mignonne" firent grève. Chanvalon en avait employé à Cayenne pour décharger
les navires et il ne les avait pas encore payés. Ils ne voulaient "donner aucun coup de rame" avant d'avoir reçu leur
argent. Sur les concessions 450 habitants ne furent plus ravitaillés.
Des troubles apparurent dans l'ancienne et la nouvelle colonie. Chacun essayait par tous les moyens de tirer
un profit quelconque. Macaye dut remettre de l'ordre pour éviter la perte de l'ancienne colonie, il écrivit à ce sujet
: "Il est bon de rappeler la police déjà établie p a r la loi de 1685 et p a r les anciens règlements, notamment celui
de 1745. Cette loi était une règle qui commençait à être oubliée, il m'a paru nécessaire de rafraîchir les mémoires.
Il était tombé en usage p a r défaut d'officier qui fusse chargé de veiller continuellement à leur exécution, p a r la
négligence des maîtres, p a r la science des esclaves et l'ignorance des nouveaux arrivants, p a r l'entreprise hardie
des traiteurs, des monopoleurs et des receleurs, qui, souvent sous les noms supposés du commandant et des autres
chefs couraient les habitations, et à l'abri de ces noms empruntés enlevaient à tout prix et à l'insu des maîtres,
non seulement les volailles de ces esclaves, mais celles des maîtres même et d'autres denrées détournées, volées
et furtivement vendues p a r l'esclave qui vendait toutes sortes de choses. Le bruit en est arrivé au conseil supérieur,
il m'a fallu arrêter promptement le cours de ces brigandages et remettre l'ordre en vigueur. Mais afin que le peuple
qui prend souvent mal ce que l'on fait pour son plus grand bien ne put douter que ces défenses eussent été faites
en tout temps, afin qu'il ne put dire que c'étaient des lois nouvelles dont on lui imposait le joug".
Il adressa également une lettre à Chanvalon datée du 25 octobre 1764 : "Les circonstances où vous vous êtes
trouvé demandaient non seulement tous vos soins mais elles exigeaient de vous une fermeté d'âme supérieure à
des événements inattendus, une force d'esprit capable de résister aux accidents les plus imprévus et d'apporter un
remède prompt et efficace aux maux qui paraissaient les plus désespérés". Cette mise en garde ne fut pas plus
efficace que les précédentes.
Pourtant dans cette guerre des chefs qui faisait rage, Doucet fut le seul épargné. Et ce fut le seul qui resta fidèle
à Chanvalon, bien qu'il n'ait voulu lui donner qu'un emploi de garde-magasin. Doucet avait refusé pour l'accorder
à un ami malheureux. Puis il fut nommé adjoint à Boulogne, ingénieur en chef, pour aller reconnaître la rivière de
Kourou. Lui qui s'était dépensé sans compter avant l'arrivée de Chanvalon, en remplissant diverses fonctions fut
fortement déçu. Il avait en particulier remplacé Moyer, le chirurgien major de l'hôpital, qui tomba malade durant
45 jours. L'hôpital manquait de linge à pansements, il avait à cet effet tiré de ses malles des chemises et des draps
pour suppléer à ce besoin. Chanvalon lui offrit une gratification pour l'indemniser de ses remèdes, de son linge et
pour le récompenser de ses soins, il refusa. En janvier 1764, il demanda à repasser en France, Chanvalon,
Préfontaine, Fiedemont le retinrent malgré lui.
L'hôpital manquait de vivres frais, il alla à l'habitation de la Montagne sur la Montagne des Pères à Kourou
pour chercher des volailles et des légumes. Il établit un poulailler et repartit ensuite pour aller à la découverte
d'eau, de gibiers et de plantes botaniques car les remèdes manquaient à la pharmacie du Roi, il distribua ceux dont
il s'était muni en France pour une somme considérable et qu'il destinait aux besoins de ses propres cultivateurs.
Chanvalon le plaça ensuite à la tête des travaux des îles du Salut. Il fut en même temps nommé contrôleur et
commissaire des débarquements. Il se plaignait des Allemands qu'on ne pouvait faire travailler qu'en les menaçant
de les mettre aux fers et "des contretemps qu'il éprouvait de la p a r t des officiers de marine qui lui enlevaient ses
ouvriers p o u r faire des lests". Il témoigna combien il désirait l'arrivée du chevalier Turgot pour mettre fin aux
mauvais propos qu'on tenait sur la nouvelle colonie.
Doucet porta des plaintes contre le capitaine du vaisseau "l'Actif" qui voulait garder pour lui le vin du roi et le
biscuit de l'armateur, pendant qu'il n'avait à donner à ses passagers qu'un vin blanc coupé d'eau et du biscuit pourri.
Durant sa présence aux îles du Salut, il se contenta d'une simple ration de biscuit, de vin de Saintonge et de boeuf
salé. Il reçut la même ration pendant 8 mois sur les 21 qu'il resta dans la colonie, et lorsque le garde magasin lui
proposa son décompte, il le refusa.
Doucet rentra du Surinam pour rendre compte de la mission qui lui avait été confiée, il trouva une épidémie
meurtrière qui portait partout la mort et la désolation, il se sacrifia pour soulager par ses soins et ses remèdes tous
ceux qui étaient attaqués dans cette cruelle maladie. Il acheta auprès des Indiens un terrain à Karouabo, prit des
cultivateurs pour s'établir et le 10 septembre 1764 passa une convention avec eux, elle fit honneur à son
désintéressement et à son humanité.
Il reprocha à Laisné de Cambernon son ressentiment contre Chanvalon, et "les outrages qu'il lui suscita p a r
l'entremise d'un tiers, qui, loin de le servir, ne servit que sa passion".
Il témoigna pareillement à Groussou, membre du conseil supérieur la peine qu'il "ressentit des vivacités
auxquelles se livrait Préfontaine vis-à-vis de Chanvalon, il lui fit part de la nécessité où il fut de rompre avec ce
commandant, après les conseils qu'il lui donna".
Au mois d'octobre 1764, il prévient Chanvalon que Morisse, Préfontaine et Cambernon s'unissaient pour le
perdre.
Il redemanda son passage en France. Chanvalon le lui refusa et voulut qu'il accepte la subdélégation de
l'établissement de Sinnamary, destiné aux Canadiens qui avaient confiance en lui. Il le remercia, insista à
demander son retour en France, pria Gilbert, lieutenant de frégate, capitaine du vaisseau du roi "la Nourrice" de
le lui obtenir; mais l'un et l'autre le forçant d'accepter cette subdélégation; il l'accepta pour 6 mois.
Depuis juillet, Chanvalon était un homme seul. La rumeur publique l'accusait d'être l'auteur de tous les
malheurs survenus à Kourou. Certes on était loin du projet initial, né des conceptions des physiocrates "qui
prévoyaient de fonder les espérances d'une nouvelle société afin de procurer un revenu à chacun sur des
attributions de terrains proportionnés aux compétences et des vivres du roi distribuées gratuitement pendant deux
ans en attendant les premiers profits".
Mais Chanvalon croyait toujours que le temps jouerait pour lui. Il avait demandé à Turgot "de ne pas venir car
la besogne devait être continuée par ceux qui l'avaient commencée". Mais ce dernier avait déjà prévenu Choiseul
le 24 mai 1764 de l'engorgement à Cayenne, suite aux propos contenus dans les lettres qu'il venait de recevoir. Il
réitéra son appel le 7 juin 1764 par une nouvelle lettre à Choiseul et Acaron et à l'issue de la longue conversation
qu'il venait d'avoir avec Béhague où il demandait d'interrompre les embarquements.
Après sa démission, Béhague chercha désespérément un bateau pour retourner en France. Fin mars 1764, il le
trouva malgré Chanvalon, qui tentait de l'empêcher de partir seul. Un navire hollandais le prit à son bord, en
quittant Cayenne, il annonça clairement "qu'il reviendrait sur un autre ton". Chanvalon le voyant partir, dépêcha
en toute hâte un émissaire à Paris pour atténuer ses dires. Deux jours après Béhague, il envoya sur la "Comtesse
de Gramont" un ami sûr, le chevalier de la Tremblay, il lui confia des lettres pour le Roi et pour Choiseul, mais il
arriva juste après Béhague à la Rochelle, le jour de la Pentecôte 1764. S'affranchissant de la voie du gouverneur
Turgot, il porta les nouvelles de Kourou directement au Roi et à Choiseul. La vérité y était soigneusement
dissimulée. Dans le même temps, il était allé remettre le mémoire que Lainé de Cambernon adressait à Bombarde
au sujet du commerce que Chanvalon avait entrepris, ce mémoire quant à lui était plus réaliste et présentait les
choses dans leur état. Il eut pour conséquence immédiate de semer le trouble dans l'esprit de Bombarde.
De son côté, Béhague rendit compte immédiatement à Turgot, "en quelques heures de conversation, de l'état
de la colonie et des différends qui y régnaient". Il lui remit plusieurs lettres de personnes importantes appuyant
ses dires. Bien entendu les récits de Behague furent bien différents de ceux de l'envoyé de Chanvalon. Ils tendaient
à l'accuser de fautes très graves. Plusieurs circonstances de son récit ne s'accordaient que trop avec les soupçons
de Turgot, en particulier sur le projet de commerce et l'emploi des fonds des concessionnaires qui lui avaient
confié leur fortune.
Le 18 juin 1764, la Tremblaye se présenta enfin à Turgot. Plus tard, il dira avoir été mal reçu par Turgot et
Béhague puis accusera Acaron "d'être le plus grand fourbe qu'il n'ait jamais connu".
Etayant tous ses soupçons, "la Ferme" commandée par d'Amblimont rentra de Cayenne après 35 jours de
traversée. Arrivée à l'île d'Aix le 10 mai 1764, elle n'apportait aucune lettre de colons : Chanvalon avait empêché
qu'elles partent. Tout cela paraissait louche, il était impossible que, sur le nombre, personne ne donnât de ses
nouvelles, tant de l'ancienne que de la nouvelle colonie.
Une atmosphère d'intrigues, de soupçons et de cachotteries, enveloppa les milieux parisiens à la Cour et dans
les ministères. Différents clans se formèrent. Les querelles opposèrent les partisans de Chanvalon et ses
détracteurs, dont le gouverneur Turgot parmi les hostiles.
Déjà l'animosité entre Turgot et Bombarde avait débuté en avril 1764, à partir du moment où Turgot avait
soupçonné Chanvalon de mentir dans les rapports qu'il lui adressait. Pourtant Bombarde non plus ne manquait pas
d'être inquiet car il recevait peu de nouvelles de Chanvalon ; la lecture du mémoire de Laisné de Cambernon le
renforça dans son opinion. En effet il y était clairement dit que Chanvalon faisait du commerce avec les deniers
du Roi, ce que Cambernon avait refusé en tant que trésorier. Le beau-père de Chanvalon, Saint-Félix qui possédait
des lettres où des personnes importantes de Kourou se plaignaient violemment de sa cruauté, l'avait également
averti. Bombarde, que Saint-Félix avait intéressé aux affaires sous la forme d'aides financières prises sur ses fonds
personnels, retira son soutien financier.
Dès la fin mai, Turgot, de son côté, rendit compte à Choiseul, en ces termes : "Les nouvelles que j'ai reçues de
la Guyane sont des plus affligeantes, les vivres n'ont pas été envoyés en proportion des hommes. Ceux-ci sont
entassés les uns sur les autres, et abandonnés sans couvert aux îles du Diable, ils sont tombés malades par
centaines et morts par milliers ! L'entêtement de l'intendant est au-dessus de toutes expressions, toutes les lettres
arrivées de la colonie contiennent des plaintes de sa conduite".
Les vivres avaient bien été envoyés en quantité suffisante, mais les ordres et les contrordres faisant charger et
décharger les navires, les marchandises traînaient sur les quais, exposées aux injures du temps aussi bien à l'Ile
d'Aix qu'à Kourou ou à Cayenne. De plus ces vivres n'avaient pu être visités avant l'embarquement par les
capitaines des bateaux. Les préposés de la marine avaient donc pu faire ce qu'ils voulaient. Les tentes envoyées
étaient de mauvaise qualité, la plupart étaient hors de service. A Cayenne, personne ne se souciait des
déchargements, tout y semblait fait en dépit du bon sens. D'ailleurs, voyant cela, le capitaine de port Lavaud avait
demandé sa mise à la retraite, "pourtant il avait servi avec zèle et capacité".
Peu de temps après, Turgot s'adressa de nouveau à Choiseul : "Je suis bien loin de me croire assez instruit pour
asseoir un jugement fixé sur les accusations. Suivant vos arrangements je vais conduire à la colonie, un nouveau
? C A R T E D E %
L I S L E D E C A Y E N N E :
1 Cette instruction fait référence de (p.l) à (p.23) à un document d'une trentaine de pages donnant les ordres détaillés du Roi, aux Archives
Nationales. Cette instruction n'est, en fait, qu'un résumé officiel et une confirmation des ordres donnés.
où les autres se sont établis, des mariages, des enfants nés, de leur sexe, etc ... Il est autorisé à régler les
concessions déjà faites et celles à faire aux colons (p.6) à faire transporter (mais de leur consentement) les colons
du Kourou à Approuague ou ailleurs. Il doit faire un plan topographique du terrain des nouveaux établissements,
sur une échelle assez large pour que chaque habitation y soit marquée (p. 7). Il est autorisé à ordonner que tous
les colons qui doivent être nourris au frais du Roi ne touchent leurs rations que sur un certificat de travail (p. 8).
Instructions détaillées pour la formation des établissements (p. 9 et 10).
Sa Majesté accorde aux habitants réunis en communauté, ville, bourg, ou village le droit de nommer leurs
officiers municipaux ; à charge du gouverneur de former et de lui transmettre un projet à ce sujet ; l'autorise à
nommer provisoirement les chefs nécessaires au maintien du bon ordre. Lorsqu'il aura solidement établi toutes les
personnes qui sont passées à la Guyane, il s'assurera du nombre que l'on pourra y faire passer plus commodément
et en rendra compte à Sa Majesté (p. 10). A l'arrivée de chaque bâtiment, il sera fait un état des colons et des vivres
qu'il aura apportés à l'effet de prendre les mesures nécessaires sur les moyens d'existence, soit en les tirant du
pays, soit en les demandant en France ; le gouverneur devant prendre en considération, dans ses demandes l'objet
relatif aux subsistances, à l'agriculture aux défrichements et à la population avant ceux concernant la défense, la
commodité et le commerce de la colonie (p.11). Il ne doit pas perdre de vue que l'intention de sa Majesté est
d'établir la colonie en blancs, tant parce que cette population est plus compatible avec les vues de justice et
d'humanité qui anime Sa Majesté, que parce qu'elle est plus propre à procurer un état intégré de force capable
d'en imposer. Motif de cette recommandation (p. 12). Il lui est fait celle aussi de veiller à la propagation des
bestiaux, chevaux, volailles, etc... (p. 13). Il lui est expressément ordonné p a r le Roi de ne rien négliger pour
gagner à la nation française le coeur des Indiens. Détails philanthropiques à ce sujet (p. 14). Autorisation aux
anciens colons de la Guyane de garder leurs esclaves noirs, mais défense expresse d'établir une nouvelle
habitation en nègres.
Conduite à tenir avec les colonies voisines, portugaises et hollandaises (p. 15).
Droit d'attribution du gouverneur (p. 16) administration civile et justice (p. 17). La peine de mort restreinte aux
seuls crimes de lèse-Majesté divine et humaine, d'assassinat prémédité, de viol, de rapt, de violences de femmes,
de filles tant européennes qu'indiennes ; d'intelligence avec les ennemis de l'état (p. 18). Police et administration
spirituelle (p. 19). Tolérance des religions des étrangers (p.20). Autorité du gouverneur (p.21). Sa Majesté autorise
le gouverneur ainsi que l'intendant et les autres employés à former et posséder des habitations p o u r leur propre
compte, mais elle leur prohibe expressément toute opération de commerce autre que p o u r le compte direct du
gouvernement (p.22). Ils ne pourront taxer aucune denrée ou marchandise, ni mettre la moindre entrave à la
liberté individuelle. Sa Majesté ne voulant pas même qu'il soit établi de bac ou construit de pont à charge d'aucun
péage ou rétribution p o u r le passage (p22) Recommandation au gouverneur de rechercher de mettre en pratique
tous les moyens d'encouragement du commerce et de l'agriculture, se confiant en cela sur tous les points qui
n'auraient pas été prévus dans la présente instruction, aux lumières et à la prudence du Chevalier Turgot ( p. 23
et dernière)".
Choiseul ajoutera entre les articles 9 et 11 une copie où il lui recommande la plus grande prudence et
l'impartialité dans sa conduite vis-à-vis de Chanvalon.
Le Roi en personne remit à Turgot ce même jour des lettres de cachet autorisant à suspendre de leurs fonctions
tous ceux qui le méritaient.
Turgot quitta l'île d'Aix le 15 novembre 1764 accompagné de Behague, d'Haugwitz et de du Bellay. Son convoi
composé des flûtes "la Coulisse", "la Bricole" et du senault "le Saint Philippe" emmenait avec lui un peu plus
d'une centaine de passagers sévèrement sélectionnés, quelques-uns venaient de Samer et d'autres du camp de
Saint-Jean-d'Angély. On ne sait pourquoi, mais Choiseul lui imposa des contrebandiers et des faux-sauniers.
Turgot n'en voulait pas, ils partirent quand même de Nantes sur d'autres navires mais Turgot refusera leur
débarquement à Cayenne.
Turgot donna également un an de congé aux officiers de troupes nationales qu'il ne voulait pas embarquer. Il
préférait prendre avec lui 150 personnes laborieuses qu'il avait lui-même choisies à Saint-Jean et Samer. Cette
décision fut durement critiquée par Choiseul.
Enfin Choquet donna une appréciation du séjour de Turgot à Rochefort dans une lettre qu'il écrivit à Choiseul
: "Il est réservé sur les dépenses, attentif à tout, très capable, il dit aussi, les nouvelles qui se répandent de l'état
de la nouvelle colonie, indique qu'il ne faudrait pas y envoyer tant de gens en ce moment présent. Seulement, les
vivres, les remèdes et un homme solide à leur tête pour administrer le tout, sont premièrement nécessaires".
Ensuite les commentaires allèrent bon train. Son attitude "décidée à faire appliquer les directives du Roi"
inquiéta Choiseul et Bombarde. Ce dernier malgré les réticences de Choiseul envisageait déjà d'envoyer en
Guyane, le Baron Bessner, ancien prisonnier du Prince Ferdinand et gentilhomme alsacien. Pour le récompenser
de ses services dans le recrutement des colons, il envisageait de lui donner un commandement à Oyapock ou
Approuague dans un premier temps.
Avec lui Turgot emporta 80.000 livres plus 30.000 d'apport de dernière heure qu'il fit embarquer sur les deux
navires, "la Coulisse" et 'la Bricole".
3 Réf : Den Haag Holland, Kon. Bibl. sign n° 1638-A1 band n° X737502
de Turgot prit "Doucet au corps", 2 grenadiers le fouillèrent et s'en emparèrent. Celui-ci "était assis à côté de la
soeur de l'intendant, aussitôt elle fit des reproches à l'aide de camp pour l'avoir maltraité de coups". On mit les
scellés sur ses papiers. Doucet demanda s'il pouvait confier à l'aide de camp, son journal des événements pour ne
le remettre qu'à Turgot, en précisant "qu'il ne devait être vu que de lui seul". Le procureur général mit les scellés.
Durant cette arrestation la manière forte fut utilisée, le manque d'égards vis-à-vis des responsables fut flagrant.
Préfontaine ne fut pas arrêté, mais privé d'ordres et de fonctions, il erra dans la colonie en espérant un retour
en France pour se justifier.
On employa un grand zèle pour procéder aux arrestations, mais pas pour assurer la survie de Kourou. En effet,
il ne restait plus de responsables et presque plus de colons, puisqu' un certain nombre de cultivateurs avaient été
placés sur le fleuve et les autres se trouvaient encore aux îles du Salut. On oublia même de ravitailler ceux qui
étaient placés sur le Kourou. Lorsque l'on s'en aperçut, il était trop tard. La responsabilité sera portée par Turgot,
mais il ne sera pas jugé pour ce fait, bien qu'accusé par ses ennemis.
Le procès verbal de l'inspection sur le Kourou par le chevalier de Balzac donne une bonne idée de la situation.
Le 22 janvier 1765, il était accompagné par Préfontaine, Pezard subdélégué de la rivière de Kourou, Patris
médecin du roi et Drian chirurgien. Ce texte rapporte les tristes détails dont ils furent témoins, en voici les
principaux faits :
"Ils arrivent à 9 heures du matin au magasin de la rivière de Kourou, poste de la Fayencerie. Le chevalier de
Balzac se fait présenter les 46 personnes vivantes, dont la plus grande partie est malade. Ils passent de l'autre
côté de la rivière à l'instant p o u r faire la visite de plusieurs carbets construits vis-à-vis du magasin qu'on appelle
l'hôpital du lieu. Y étant arrivés nous avons été plongés dans la plus vive douleur de trouver 50 personnes éparses
ça et là sous de mauvais abris à moitié découverts et dans un terrain totalement noyé. La première personne qui
p a r ses cris me paraissait dans le dernier désespoir attirant notre regard fut une femme. Cette pauvre malheureuse
qui avait plus d'un pied d'eau sous son cadre était couchée avec une autre femme scorbutique qui paraissait
n'attendre que le moment de la mort. Celle qui nous avait appelés p a r ses cris était enceinte, ses cris venaient des
coliques et de la crainte de perdre son fruit en le mettant au monde. Elles n'avaient l'une et l'autre qu'un peu de
tafia pour nourriture. J'ai fait prendre la femme dans une pirogue pour la porter au magasin. Vers midi, nous
sommes partis pour remonter la rivière jusqu'à l'habitation du Sieur Beaumier, nous avons trouvé dans une des
cases un cadavre à moitié corrompu... nous avons trouvé 9 fosses et appris p a r une femme nommée Elisabeth
Zellande qu'il y était mort dix personnes sur onze, étant restée seule avec le dernier cadavre, elle s'était sauvée à
une habitation voisine aussi abandonnée. Elle y avait demeuré quatorze jours, manquant de vivres, elle s'était
résolue de courir à travers les bois, espérant trouver quelques secours, et qu'effectivement le nommé Girardeau
ayant été chassé, entendant les cris, fut à elle et l'emmena au magasin.
Sur l'habitation désertée de M. Lambert il y avait dix-sept morts sur vingt et une personnes. Sur celle de M.
Guyon sur seize il en est resté treize [...]. Sur l'habitation du Sr Mahony il y avait neuf fosses. Sur celle de M.
Chilleau, il s'est trouvé cinq personnes vivantes, reste de vingt et une, l'une était hydropique, les autres
dysentériques. Elles n'avaient été visitées, dit le procès-verbal, que trois fois depuis leur installation p a r les
chirurgiens. Leur nourriture était du biscuit qu'elles faisaient tremper dans l'eau. Ils ne disposaient plus de tafia,
ni de viande, depuis plusieurs jours, on n'avait pu leur en porter faute d'embarcations. Sur l'habitation du sieur
du Rasle, se trouvait une personne ; il en est mort quatorze. Sur l'habitation du sieur la Chapelle, il en restait neuf
de vingt-quatre personnes, il en était mort onze, quatre avaient déserté. Il y avait un garçon atteint de flux de sang
et une femme scorbutique à la dernière extrémité.
A l'habitation du sieur Coutard, nous avons trouvé un cadavre que nous avons cru être celui d'une femme, dans
une autre case plus éloignée nous avons trouvé les os d'un enfant mort. Dans un autre un peu plus loin, un homme
qui s'était pendu, la tête était séparée du corps, la corde avec lequel il s'était étranglé était encore là, sur le banc
qui avait servi à assouvir son désespoir tout contre son cadavre. Dans une autre case à côté un homme mort et
un enfant. dans une case à côté du magasin se sont trouvés sur des branches d'arbres pourries, une femme, son
mari et leur enfant, le tout corrompu. A l'habitation du sieur Fabre, de vingt-quatre personnes il en restait cinq,
dont deux étaient à l'extrémité et comme les autres réduites aux biscuits.
A l'habitation du Sieur de Marcenay, nous avons trouvé les mêmes horreurs que chez le sieur Malard, nous
n'avons pu compter exactement les cadavres, il y en avait au moins dix ! En examinant les cadavres, nous avons
vu une femme qui a remué deux fois le bras, nous lui avons p a r l é elle n'a pu nous répondre et comme le médecin
qui nous accompagnait a jugé qu'on ne pouvait la transporter sans hâter son dernier moment, on a été contraint
de la laisser. Sur les trois cents personnes laissées à Passoura il n'en restait que sept".
Les habitations "la Franchise" et "la Liberté", la première appartenant à Préfontaine et la seconde à Chanvalon,
n'ont pas été plus exemptes de la mortalité, bien que plus à portée des secours de Kourou. Dans la première il
restait cinq personnes sur cinquante-deux et la deuxième il y en restait vingt-sept. Les autres étaient morts ou
avaient été mourir à l'hôpital de Kourou.
Partout, les effets avaient été laissés à l'abandon dans les cases ou dans les bois. Une partie de ces effets et
surtout "l'argent avait été volé p a r les survivants".
Ce qui avait aggravé de beaucoup l'infortune des gens du Kourou était "la nécessité de rester sur leurs
habitations sans pouvoir les quitter". Chanvalon avait défendu, dès les premiers temps, de descendre sans
permission. La minute écrite de sa main disait : "Il ne sera permis à aucun concessionnaire de venir à Kourou, si
ce n'est pour raison de maladie ou autre cause aussi légitime, dont il sera rendu compte auparavant à M. Pezard
qui jugera s'il y a lieu d'y venir". Pourtant aucun des concessionnaires ne figurera sur la liste des morts sur le
Kourou. Ceux qui décédèrent, le firent à Kourou ou à Cayenne. Ils avaient donc abandonné leur concession à leurs
cultivateurs et aux Allemands.
La mortalité fut moindre parmi les Canadiens et Acadiens placés sur la Sinnamary. En effet, conformément à
l'indication qu'en avait fait Préfontaine, ils n'avaient été installés qu'au mois de février 1765, sur des terres "moins
basses" donc moins inondables.
La liste des accusations portée par Turgot à l'encontre de Chanvalon était fort longue :
Il avait mis aux fers certains sujets et ils y étaient morts.
- L'eau était refusée aux sujets du Roi, ils étaient obligés de s'abreuver d'une eau boueuse qu'ils puisaient dans
les mares ou espèces de puits creusés dans le sable. Alors que madame Chanvalon possédait pour elle seule une
source d'eau claire.
- Les denrées étaient vendues à des prix exorbitants.
- Les hôpitaux étaient dans un état affreux, la mort semblait désirable, disait-on à ceux qui y rentraient.
- Les concessionnaires se plaignaient que l'argent qu'ils avaient consignés ne leur était pas rendu.
- Les successions vacantes avaient été dépréciées, des notaires sans caractère, non reconnus en la juridiction
royale, sans matricule, avaient été commis pour faire des inventaires incomplets, des ventes irrégulières et même
frauduleuses.
- Les magasins du roi étaient situés dans une zone marécageuse, mal couverts et mal fermés. Tous les effets y
étaient déposés confusément, ce qui facilitait la perdition et le dépérissement.
- Les gardes-magasins n'observaient aucune règle dans la distribution, on disait qu'ils étaient hors d'état de
rendre aucun compte.
- Les trésoriers avaient dissipé les finances sans tenir de comptabilité.
- Les concessionnaires avaient été placés sur des terres noyées de la rivière du Kourou. Ils étaient morts de
faim, de maladies, de misère. Totalement abandonnés, sans secours, certains s'étaient pendus de désespoir,
d'autres avaient été noyés dans leurs lits ou emportés p a r les eaux.
- Les bestiaux du Roi avaient été tués et servis sur la table de l'intendant et de ses protégés, les malades et les
malheureux en avaient été privés.
- Des ouvriers qui avaient travaillé n'avaient point été payés et bien souvent maltraités.
- Des vaisseaux et bateaux avaient été perdus.
- Des milliers de personnes dégradées sans presque aucun secours se trouvaient aux îles du Salut".
Dans un véritable réquisitoire Turgot dans plusieurs lettres l'accusa des actes suivants :
Chanvalon avait l'autorisation de faire du commerce par Choiseul, (autorisation qui lui sera retirée plus tard).
Il voulait faire le commerce des nègres avec M. Tuggles de Danky, commerçant à Dunkerque, il avait pris des
contacts avec lui, il était porteur de douze passeports ( lettres de créances) pour la traite en Guinée. C'est pour cette
raison que Chanvalon "voulait s'occuper de tout et me laisser les honneurs de gouverner. Il avait reçu, des
concessionnaires, des sommes d'argent remises en main propre en échange d'un simple billet. Cet argent a
disparu. Ainsi, Madame de Chazeron de Skezo a porté plainte car il lui a remis un reçu qu'il lui a retiré p a r la
suite. Monsieur Fabre se plaint également au sujet des sommes d'argent placées chez le notaire de Chanvalon à
Paris. Il avait fait à tort beaucoup de plaintes contre les officiers de l'intendance de Rochefort et de l'ancienne
colonie. Ce qui n'avait pas manqué de m'irriter". Aucun inventaire de ce qui avait été apporté d'Europe, ni de listes
de passagers débarqués dans la nouvelle colonie n'avaient été établis. Seules les lettres de Chanvalon étaient
arrivées en France au retour de "la Ferme", et il apparaît qu'il avait fait saisir toutes celles de particuliers.
Devant l'ampleur du désastre, sur ordre de Turgot, Montclua son secrétaire fit publier à Kourou "que ceux qui
voulaient déposés contre Chanvalon en fassent la demande, ainsi que tout ceux qui voulaient rentrer en France
avec les raisons".
Turgot s'installa dans la demeure du Père Supérieur des Jésuites à Cayenne, et dès janvier 1765, il prit toutes
les dispositions qui s'imposaient pour rétablir l'ordre, suivant la stricte application des ordres du Roi.
Celui que l'on surnommait déjà le "chevalier à la lumière blanche" était arrivé.
CHAPITRE 2
Prépaud écrivait à son père : "Turgot ne paraît pas content d'être venu ici, il dit que c'est un pays sans
ressource". Cette appréciation certainement exagérée, rend toutefois bien compte d'un certain malaise de Turgot
devant le désastre qui s'offrait à ses yeux. Courant février 1765, neuf-cent personnes survivaient aux îles du
Diable, c'était des familles à la charge de la colonie, les estropiés, les scorbutiques, les vieilles personnes les
inutiles et tous les orphelins, on était loin du nom sauveur des îles du Salut qu'elles portaient précédemment. "Une
trentaine d'ouvriers étaient passés à Sinnamary et 60 s'étaient engagés dans les troupes nationales. Des 810
personnes qui restaient, Turgot disait que la moitié était absolument inutile, elles se trouvaient dans un état de
prostration après tous ces événements, incapables de réagir et de travailler. Les familles démantelées erraient à
la recherche d'un parent. Des orphelins furent placés dans des familles capables de les accueillir".
A la Beaume, sur la rivière du Tour de l'Ile, il restait quelques centaines de personnes que l'on avait éloignées
de Cayenne par crainte de l'épidémie.
Turgot fut 35 jours malade et indisponible du 8 janvier au 15 mars, et sa maison compta 18 malades; six d'entre
elles moururent, c'est pour cette raison qu'il ne mit point les pieds à Kourou. Qui y aurait-il fait d'ailleurs ?
Bien que Fiedmont et Macaye en eussent éloigné la plus grande partie à la Beaume, sa présence à Cayenne
attira une foule de monde, venue réclamer justice,
La justice de Cayenne se mit en place. Mrs D'habac et Diderot, venus avec le premier convoi renseignaient
Turgot sur le trafic et les illégalités commises par Chanvalon et les siens. Les responsables la concevaient comme
un juste retour des choses. Les officiers de justice s'étaient bien transportés à Kourou en juin et juillet 1764 pour
y recevoir les plaintes des concessionnaires et prendre connaissance de l'abandon et du désordre dans lequel
avaient été laissé l'administration des successions vacantes et de l'utilisation des fonds au profit de tiers. Les effets
des morts avaient été portés au magasin du Roi d'où on les tirait sans inventaire pour les vendre. Les ventes étaient
faites par un notaire qui établissait des faux. Il avait ainsi été soustrait une somme de 12.000 livres, qui aurait dû
être versée normalement entre les mains de Nerman, mais elle avait disparu. Ces faits servirent pour
l'établissement d'actes d'accusation à l'encontre de Collier notaire, Nerman et Rique écrivains de la marine,
procureurs aux biens vacants qui signaient les inventaires des ventes.
Il n'est malheureusement pas possible d'énumérer toutes les plaintes reçues à cette époque, car Chanvalon ne
les faisait pas enregistrer et les colons ne pouvaient pas se déplacer à Cayenne. Les archives du greffe sont
illisibles ou bien souvent silencieuses à ce sujet.
Artur, doyen du conseil supérieur, Macaye procureur général furent nommés commissaires pour procéder aux
vérifications des actes de Chanvalon et de ses acolytes.
Hormis les affaires criminelles, certaines affaires commerciales, et surtout celles qui touchaient Chanvalon,
furent aussi portées devant la justice de France, malgré les réticences de Choiseul qui n'appréciait pas ce remue-
ménage.
Tout d'abord, Chanvalon faisait beaucoup de commerce avec Bordeaux. Son beau-père Saint-Félix lui
expédiait du vin qu'il faisait vendre à Saint-Domingue, avec la complicité de certains capitaines de bateaux.
Comme on l'a vu, il avait créé une société de commerce et il avait continué son activité, malgré l'interdiction du
Roi. Il est vrai que l'interdiction avait été faite durant son voyage et ne fut connue de lui qu'à l'arrivée du bateau
suivant, c'est-à-dire pas avant fin mars 1764. Mais il ne put ou ne voulut l'arrêter car il avait pris de tels
engagements vis-à-vis de certains armateurs que des finances étaient engagées des deux côtés. Puis Chanvalon fut
obligé de maintenir une situation de flou car l'argent des concessionnaires lui avait servi avant son départ à régler
ses dettes. Ce monopole de Chanvalon et de ses amis avait eu pour effet de dégoûter certains négociants en France,
et en particulier à la Rochelle, qui auraient bien voulu faire du commerce avec la nouvelle colonie.
Etaient impliqués dans tous ces trafics, deux amis de Chanvalon : Lainé de Cambernon et Pascaud.
Pascaud était arrivé de la Martinique en mai 1764 sur un brigantin nommé "L'Anna", chargé de "comestibles",
essentiellement du bétail. A son bord, il y avait également des esclaves achetés à Saint-Eustache. Après
l'interdiction, craignant la rumeur, Chanvalon fit repartir "l'Anna" à Philadelphie pour y attendre la suite des
événements. Dans leurs affaires, Chanvalon et Pascaud se faisaient appeler sous des noms d'emprunt,
respectivement : pour Chanvalon : "Marck" et Pascaud : "Antoine". En fait ce Pascaud, ancien Acadien, était
"député du commerce de la Rochelle", pour l'exploitation du commerce des îles. C'était un homme dont la
réputation n'était pas bien établie dans la marine. Il n'avait pas une "bonne renommée", pas plus que son associé
Langevin, habitant de l'île Royale, qui demandait à "passer" à Cayenne. La marine de Rochefort était réticente. Il
croyait pouvoir se servir d'une avance de fonds de 124.000 livres, qui lui avait été remise quelque temps
auparavant par Préfontaine pour ce commerce. Les marchés ayant été passés à des prix exorbitants, des lettres de
change établies par La Rivière à Cayenne au profit de Pascaud furent refusées, la marine ne voulut pas les payer.
Chanvalon en l'engageant à faire ce commerce lui avait donné, pour l'intéresser, des fonds d'avance en numéraire.
L'autre personnage était Laisné de Cambernon. Il y avait deux Laisné. Le premier Laisné commerçant honnête
et de bonne foi, était installé à Saint-Eustache, il organisait les voyages entre la Martinique et les différentes îles
dont Cayenne. Il était ancien fournisseur des magasins du Roi. Son épouse était une Duquesne, considérée comme
une femme d'esprit. L'autre, Laisné de Cambernon, avait été secrétaire du gouverneur en Martinique, où il avait
connu Chanvalon qui lui avait fait connaître son frère. Cambernon fut nommé inspecteur général du magasin de
Cayenne et trésorier de la nouvelle colonie. Il était couvert de dettes. Au début 1764, Chanvalon l'envoya en
Martinique pour sonder les habitants des Iles anglaises au Vent et les engager à venir s'établir à Cayenne.
Pour bien asseoir ce monopole, malgré l'interdiction formelle du souverain, Chanvalon avait fait recevoir une
partie des effets et marchandises provenant de ce commerce dans les magasins du Roi. Chanvalon aurait dû
dissoudre la société, et c'est de là que naquit sa brouille avec Laisné. Les deux Laisné sachant ce commerce illicite,
firent pression en vain sur Chanvalon. C'est à cette occasion que Laisné de Cambernon remit au Chevalier de la
Tremblay rentrant en France, le 1er mars 1764, un mémoire pour Bombarde dénonçant ce "commerce illicite".
Celui-ci fut considéré par Turgot "comme la trame de sa trahison envers Chanvalon suite à leur désaccord sur la
gestion des finances". Cambernon retourna en France, en avril 1765, sans "avoir remis son compte à Cayenne,
prétextant que c'était lui qui devait tout faire et instruire tout le monde". Par la suite, il fut arrêté le 18 mars 1767
et emprisonné quelque temps. Son frère resta à Cayenne comme agent de commerce de la Société de Paris à la
place de La Fourcade.
Au mois de juillet 1764 la société de trois personnes créée par Chanvalon périclita. Ceci tenait essentiellement
à sa brouille avec Cambernon qui n'avait pas apprécié d'être moins favorisé que Pascaud. Dans le procès de
Chanvalon chacun de ces personnages défendit ses propres intérêts, souvent au détriment de l'accusé principal.
En attendant le règlement judiciaire, de cette affaire, Turgot prit les mesures suivantes : les 2/3 des
marchandises furent prises en paiement pour le compte du Roi et l'autre tiers imputé à Chanvalon. Il s'agissait
"d'une fourniture de 60.000 livres !
Conformément aux ordres du Roi, Turgot, avec rigueur, développa son action dans plusieurs domaines.
Béhague lui présenta un projet d'installation de colons sur l'Approuague et l'Oyapock. En janvier 1765, il y
partit avec des Allemands. Mais compte tenu des difficultés dues à la maladie, il en limita le nombre et préféra
dans l'immédiat, la Comté et l'Oyac. Après le départ de Turgot, les projets d'Approuague et Oyapock furent repris.
Il fit établir un relevé des côtes jusqu'à l'Orénoque, puis fit commencer l'établissement des registres terriers.
Pour son compte personnel, il acquit auprès de Paul Tissier, enseigne d'une compagnie détachée de la marine,
une maison et un terrain qui étaient situés entre le chemin de Baduel et la crique du Pont. Il voulait établir sur le
Matarony, affluent de l'Approuague, un moulin à planches. Prépaud lui proposa d'acheter conjointement les biens
des Jésuites, mais Turgot en offrit une somme trop modique, l'affaire ne fut pas conclue.
En effet le dossier épineux des Jésuites, avait été réglé selon la volonté de Chanvalon, mais pas selon ses
intérêts. Au départ, il aurait aimé s'approprier les biens des Jésuites, mais tenu légalement de confier l'affaire au
Conseil Supérieur, il avait été contré par Macaye. Ce dernier, président du Conseil Supérieur, mit en place en la
personne du Père Ruel, un gardien des biens des Jésuites afin d'interdire à Chanvalon de prévariquer et en outre
de l'empêcher de s'écarter des formes qu'il avait lui-même prescrites. Ce fut très défavorable aux créanciers tandis
que les Jésuites conservaient la maîtrise de leurs biens.
A l'arrivée de Turgot, rien n'était réglé. Une main anonyme accéléra les choses. On fit courir le bruit que les
esclaves des Jésuites allaient être vendus à l'encan. Eux qui fiers de leur condition bien plus enviable que celles
de certains blancs, s'occupaient dans une semi-liberté des biens des Jésuites, allaient retomber au plus bas ! Ils se
soulevèrent et rejoignirent les bois, une partie étaient déjà marrons avec femmes et enfants. Cette révolte fut
apaisée dans le dialogue par Préfontaine !... Il ramena le calme. Pourtant une partie des esclaves avaient réussi,
avec des complicités, à passer dans d'autres îles !...
Devant cet état de fait et soucieux de régler ce problème, Turgot prit la décision le 3 avril 1765, de "saisir
conservatoirement au nom du Roi les biens des Jésuites". Il représenta, "que si lors de l'acquisition ferme il y avait
des objets que le Roi ne voulait pas, il pouvait toujours les revendre au profit des habitants de la colonie". Cette
initiative lui valut quelques reproches, entre autres celui d'avoir voulu s'emparer des biens des Jésuites.
Pendant ce temps, les officiers et les sous-officiers des troupes nationales cantonnées à Kourou étaient
partisans de Chanvalon. Celui-ci avait su attirer à lui un certain nombre d'officiers acadiens3. Leur état d'esprit était
défavorable à Turgot et à ses idées. On lui reprochait son hostilité envers Chanvalon. N'avait-il pas traité ce dernier
de despote ? Par contre ceux du régiment de Saintonge n'affectionnaient pas particulièrement Chanvalon. Ils
disaient qu'il était "inconstant par nature, décousu, uniquement attaché aux détails, impropre à gouverner".
Pas plus que Chanvalon, Turgot ne fit l'unanimité de ses troupes. Des rumeurs non justifiées, virent le jour en
France. Des lettres reçues ou fabriquées de toutes pièces, circulèrent sur son séjour en Guyane : lorsqu'il est venu
à Cayenne, il s'occupait à pendre, fusiller et préparer un cimetière, auxquels d'hypothétiques colons avaient donné
le nom de "jardin de Turgot". La tradition orale à Cayenne n'a retenu aucun de ces propos. Ils avaient dû naître du
fait que Turgot avait interdit d'enterrer les morts à l'église ou auprès d'elle à cause de l'épidémie, il éloigna le
cimetière de Cayenne hors de la ville, il l'installa dans les jardins du Roi au lieu où se trouve actuellement l'ancien
cimetière de Cayenne.
En fait les moeurs changèrent peu. Ne vit-on pas le maître d'hôtel de Turgot entreprendre un commerce de vin
et tenir un magasin de faïence dans la maison de Boudet où étaient entreposés 300 à 400 barils de boeuf
d'excellente qualité qu'il fit mettre dehors aux "injures du temps"!
3 voir annexe 14
La conduite de Turgot fut connue, voire déformée à Paris.
En mars 1765, la Tremblay, l'homme de main de Chanvalon était parti, en cachette, sur un baleinier anglais,
sans congé ni passeport, pour prévenir Choiseul et les partisans de ce dernier des agissements de Turgot.
Tous les envois de colons pour la Guyane, à partir de Rochefort, furent interrompus en février 1765 en
attendant des nouvelles du chevalier de Turgot. Le 9 mars 1765, le Roi décida de faire partir en avril, le Baron de
Bessner : à cette occasion, il obtint le poste d'inspecteur de la Guyane, car Choiseul inquiet, n'avait reçu aucune
nouvelle de Turgot.
Turgot devait d'urgence informer le Roi selon son désir sur les trois points majeurs qui lui avaient été
demandés. A savoir : l'état de la colonie à son arrivée, les mesures prises, et le parti à tirer de la colonie.
Il décida sans perdre un instant de rentrer pour lui rendre compte. Il dut attendre que son épouse accouchât et
il partit de Cayenne juste après la naissance, le 16 avril 1765, d'Etienne-François-Charles Turgot.
Il laissa Chanvalon en prison à Cayenne pour régler le problème des successions vacantes. Celui-ci venait en
plus d'être impliqué dans l'affaire des notaires. Les aveux faits par le notaire Collier avaient déclenché une
procédure criminelle.
En quittant Cayenne, il nomma Macaye intendant provisoire, Fiedmont commandant des troupes, mais par
contre il emmena Morisse avec lui pour rendre compte de la comptabilité, Cornic pour dire ce que la marine
pouvait tirer de la colonie, ainsi que des officiers en surnombre.
Le 25 mai 1765 "la Coulisse" commandée par M. Vauquelin entra en rade de Chesbois (chef de Baye), et
débarqua ses passagers à la Rochelle. A son bord se trouvait le chevalier de Turgot.
Un courrier abondant envoyé par des particuliers arriva en même temps. Ces lettres expliquaient toute l'affaire
de Kourou; et la commentait selon le clan auquel on appartenait.
Turgot racontera plus tard son arrivée et l'accueil difficile de Choiseul en ces termes :"Vous avez été instruit
alors en août 1764, il me fut ordonné par des instructions particulières de faire la vérification des imputations qui
avaient été faites à l'intendant ; et de le faire si la gravité des faits l'exigeait, par des instructions générales il
m'était ordonné de revenir en France rendre compte de tout au ministre, en l'état dans lequel j'avais trouvé la
colonie, pour aviser ensuite au meilleur parti à prendre. J'ai rempli exactement ce qui m'avait été prescrit [...] Je
suis revenu au mois de juin 1765, à mon arrivée j'ai trouvé le ministre prévenu, les bureaux déchaînés contre moi,
les Sieurs Dubucq et Laroque, premier et second commis du bureau des colonies, protecteurs déclarés de
l'intendant, et tous ceux dont j'avais dévoilé, ou arrêté les manoeuvres. Toutes les personnes tarées, tous les
fripons intéressés aux désordres se liguèrent, on rampa dans la boue des imputations, les plus absurdes et infâmes.
Un trait seul vous prouvera, Monseigneur, à quel point était porté l'acharnement : un officier était parti de la
colonie sans congé, il s'était embarqué nuitamment, sans passeport, dans un bâtiment anglais pour apporter au
bureau, un libelle diffamatoire contre moi, il fut accueilli au mieux, on lui fit payer une gratification. C'est sans
doute la première fois qu'une conduite est aussi contraire au service, et la subordination a été récompensée au
lieu d'être punie. Dans les entrefaites l'intendant débarqua à la Rochelle, quoiqu'il eut été arrêté en vertu des
ordres du Roi, quoiqu'il fut prévenu et convaincu des manoeuvres les plus simples, et les plus répréhensibles, il
fut mis en liberté, il en a même joui sur le pavé de Paris pendant deux ans. Il avait touché beaucoup plus que ses
appointements, il avait tiré du trésor du Roi plusieurs sommes qu'il avait employées à ses affaires personnelles,
on lui accorda une gratification de 15.000 livres. L'évidence des preuves que j'avais administrées obligèrent à le
faire arrêter. Il a été reconnu coupable et, comme tel, condamné par le Roi séant à son conseil. La conviction
acquise des délits de l'intendant devait naturellement me procurer au moins l'aveu que ma conduite était régulière,
exempte d'abus et d'autorité. L'examen ultérieur qui a été fait de mon administration et de celle de Morisse a été
fait avec les yeux de la haine et de la prévention".
Préfontaine "passa en France aussitôt pour réclamer justice", mais il n'intéressa personne.
Tous les concessionnaires et colons qui avaient demandé à rentrer en France purent partir, sous réserve de
fournir un certificat de mauvaise santé, sinon la colonie serait devenue un désert.
Macaye qui avait reçu l'ordre de prendre toutes les mesures et dispositions qui s'imposaient au sujet de
Chanvalon, le fit partir à l'issue de son procès, au mois de mai, sur "l'Eléphant" commandé par le capitaine Duler.
Dumont de Chateaufort et de Jacquesson, capitaines des troupes nationales, étaient chargés de l'accompagner.
Aussitôt arrivé, il fut libéré sur ordre de Choiseul.
Macaye, dans ses fonctions, fut amené à remettre de l'ordre, ainsi il fit faire les inventaires des magasins;
constata "qu'il y a eu les 4/5 de coulage du vin dans les dépôts du Tour de l'Ile, sur 299 barriques on ne peut en
faire que 59". Mais ce magistrat respectable, éprouva "les persécutions les plus dures pour avoir été l'adjoint de
Turgot" dans l'examen de la conduite de Chanvalon. On essaya "de le corrompre p a r la promesse du cordon de
Saint-Michel, on lui a fait restituer les appointements qui avaient été accordés sous le bon plaisir du Roi pendant
qu'il remplaçait, dans ses fonctions, Morisse venu en France pour éclairer le ministre. Macaye gémit actuellement
sous le poids de la persécution, il a en vain sollicité une place de sous-commissaire de la marine pour son fils, et
la restitution que l'on a exigé de lui, des esclaves des Jésuites que Turgot lui avait donnés pour avoir servi
dignement la colonie".
Le doyen du Conseil Supérieur Artur de son côté critiqua les termes de l'acte d'accusation de Chanvalon et bien
qu'il l'ait signé ainsi que Macaye et Turgot, il renia sa signature. Ses idées n'étaient-elles pas très proches de celles
des physiocrates ?
Turgot absent, peut-être définitivement, comme le laissaient entendre certaines rumeurs, il n'en fallait pas
moins r e m é d i e r aux suites funestes de ce projet, on reforma toutes les possibilités. On tira le meilleur parti qu'on
put des débris qui étaient restés, et l'on établit les choses dans l'état où elles étaient auparavant". Un grand
inventaire fut dressé, des solutions envisagées et des ordres donnés.
En effet la plus grande confusion régnait à Kourou, après le départ en France, d'un certain nombre de
concessionnaires et de cultivateurs. Il ne restait plus personne dans le village de Kourou. Depuis longtemps ceux
qui se trouvaient aux îles du Salut demandaient avec insistance à être placés sur la terre ferme, mais les magasins
et les hôpitaux avaient besoin de réparations convenables. "Les habitants refusaient de travailler si on ne les payait
pas, pour obtenir un moindre geste il fallait les contraindre !". Le 1er juin 1765, Macaye fit retirer des personnes
des Iles du Salut pour les mettre à Kourou, mais le fond du problème n'était pas réglé pour autant.
Béhague s'en occupa avec la détermination et le sens du commandement qu'on lui connaît. Le 16 août 1765,
il visita la partie nord de la Guyane, "il fallait tirer les familles de l'état d'oisiveté d'où elles se trouvaient, elles
croupissaient". Il fit évacuer les Acadiens des îles du Diable "pour occuper les carbets de Sinnamaribo". Il restait
encore trop de monde aux îlets. Il en fit passer à Kourou et Approuague, il fit venir des ouvriers à Cayenne où
leurs talents les rendaient nécessaires aux travaux publics.
Le 19 août 1765, il donna les ordres suivants au baron d'Haugwitz :
"Il est temps de tirer de l'état d'oisiveté dans lequel ont croupi jusqu'à maintenant les familles. Pour cela il
existe 3 moyens :
- 7° Les disposer sur les terrains dans le haut Kourou.
- 2° Les placer sur les chaînes de montagnes qui s'étendent de Pariacabo jusqu'à la dernière qui contourne la
savane et qui communique avec celle de Passoura.
- 30 En les répartissant sur les anses.
Des 3 moyens, celui à préférer est le premier en raison de la rivière pour servir de communication. Le premier
et le deuxième mettraient à l'abri d'un ennemi éventuel. Dans le troisième, les concessionnaires trouveraient le
long des anses des facilités dans la pêche, et l'élevage p a r la proximité des savanes, nous ferions l'avance du bétail
que nous nous efforcerons d'introduire dans le pays. Seules seront installées les familles dont sera reconnu la
bonne conduite et l'activité, il leur sera accordé 300 pas de front sur une profondeur indéterminée".
Ensuite il fit passer les familles qui se trouvaient au poste de la Beaume sur la rivière du Tour de l'Ile dans
divers lieux où ils allèrent rejoindre leurs parents.
La politique appliquée par Béhague fut claire : en priorité installer les familles, sans les dissocier, par petits
groupes capables de se subvenir à eux-mêmes. Chacun devait retrouver sa place dans la société selon ses désirs.
Il n'oublia pas de donner priorité aux concessionnaires porteurs de fonds. Mais il prit soin également du plus
humble des cultivateurs qui devait pouvoir devenir propriétaire d'un petit lopin de terre, avoir les moyens de
l'exploiter, en prévoyant qu'il puisse se mettre au service des concessionnaires qui en échange de son travail, lui
procureraient des fonds.
Les plus démunis recevaient de la nourriture à condition d'obtenir un certificat de travail remis par le chef de
la paroisse. Il faut noter "que beaucoup de colons étaient de dispositions lentes et paresseuses" le plus souvent à
cause des traitements inhumains dont ils avaient fait l'objet. Pour les sortir de leur prostration Béhague avait voulut
les aiguillonner par ces mesures.
Les Indiens habitaient le long des rivières. Choqués par la prise de leurs terres auxquelles les Jésuites ne les
avaient pas habitués, ils se retirèrent en masse vers la forêt. Béhague en fit revenir une partie qui furent employés
aux travaux, mais beaucoup s'enfuirent vers le Surinam.
Le dernier concessionnaire de l'expédition à rester sur le Kourou fut Vallet de Fayolles. Il écrivait le 8 octobre
1765 "qu'il avait essuyé la plus grande misère, qu'il avait construit une petite maison et demandé 2000 livres
d'avance". Il fut contraint et forcé de quitter son établissement.
Il restait à cette date 617 habitants de l'ancienne colonie et 1784 habitants de la nouvelle colonie. Les orphelins
des îles du Diable jugés aptes au travail furent placés chez les habitants blancs ou mulâtres, ils firent souche, ce
qui explique à notre époque la germanisation de certains noms Guyanais.
Les principaux lieux d'installation furent :
- Kourou où le Baron d'Haugwitz, le 7 novembre 1765, s'installa au pied des montagnes dominant le village il
avait avec lui quelques concessionnaires qui n'avaient pas voulu s'implanter sur ce fleuve. Ils craignaient de ne pas
être secourus. Parallèlement à cela il utilisa les compétences des indiens pour aider à l'installation de quelques
colons sur des concessions de 300 pas de front, tracées par Romme, ingénieur.
- Orapu, établissement d'un village de 10 familles, suivant le projet de Mahony du 27 juin 1765, mais elles
furent obligées de changer de concessions car le titulaire redemandait son terrain !
- Cayenne, où Fiedmont entreprit la construction de 25 maisons qui servirent à loger les officiers militaires et
civils venant de Louisbourg avec leurs familles. Cette construction fut assurée par des ouvriers qualifiés venus des
Iles du Diable.
- Le Maripa, ancienne habitation des Jésuites où l'on plaça quelques personnes.
- A l'Oyapock, où Béhague en envoya ce même mois rejoindre les familles de ceux qui y avaient été placés en
février 1765. Quarante moururent la première année, toutefois en 1775 il y avait toujours des survivants. En même
temps il envoya des soldats réformés pour faire des abattis sur le mont Lucas, les chenilles dévorèrent tout "au
point qu'il ne faut rien espérer en tirer, en plus un des bateaux qui apportait le ravitaillement s'échoua sur les
rochers et se brisa. Les soldats réformés, dégoûtés de ce séjour et de la production abandonnèrent leurs terres,
leurs travaux et demandèrent le retour en France".
- A l'Approuague, où Béhague fit de même qu'à l'Oyapock en 1765, mais il ne plaça pas de soldats. La
première personne décéda le 11 mars 1765. A la fin de l'année, il y avait 45 morts, tous allemands sur environs
300 placés.
- A Sinnamary, on continua le travail commencé par Préfontaine, sous l'oeil bienveillant et la protection de
Fiedmont et l'on installa4 327 Acadiens et Canadiens fin début 1765. Le refus de Chanvalon à Préfontaine de les
installer en août 1764 les sauva d'une mort certaine, comparable à celle des colons placés sur le Kourou. En 1765,
on recensa sur la Sinnamary les principaux métiers suivants : tonnelier et distribution, boulanger, cordonnier,
matelassier, armurier, menuisier, charpentier, scieur de long, maçon, charbonnier et bien sûr agriculteurs, mais en
petit nombre.
A la fin de l'année 1765, l'ordre était revenu dans tous les postes de la colonie, la confiance publique renaissait.
Béhague avait pris une part importante dans ce juste retour des choses. En quelques mois il avait réussi là où ses
prédécesseurs avaient échoué.
froid a u p r e m i e r abord".
il e x i s t a i t e n c o r e d e ses d e s c e n d a n t s à C a y e n n e .
C H A P I T R E 3
A quelques exceptions près, au milieu de l'année 1764 l'embarquement des colons pour la Guyane fut
interrompu. Au total huit mille trois cent trente colons étaient partis. Par contre, il en restait presque autant dans
les dépôts de Saint-Jean-d'Angély. Leur retour dans leur pays d'origine s'avérait impossible, en effet la plupart
avait tout vendu pour se lancer à l'aventure et ne voulaient en aucun cas une solution autre que l'expatriation.
Dès juin 1764, on envisagea d'autres destinations : d'abord les colonies qui nous restaient après le traité de
Paris. Choquet fut chargé d'organiser ce changement de destination.
Le 21 juillet 1764 il écrivait : "on a proposé aux familles le passage dans d'autres colonies, il n'a pas été
difficile de tirer parti de l'impatience que ces familles témoignent de passer à leur destination, on leur a assuré le
passage en d'autres colonies en les assurant que cela se ferait plus promptement. Ceux du dépôt de Saint-Jean-
d'Angély l'ont accepté au nombre de 1596 personnes à condition que leurs parents qui sont dans les autres
entrepôts passent avec eux. Le parti d'envoyer ces familles à Saint-Domingue est fort bon. Il y a dans les Mornes,
à ce qu'on m'a assuré, des personnes qui sont sorties du pays avec de la fortune et de la réputation, de quoi placer
beaucoup de petits habitants qui pouvant faire de 3 à 12.000 livres de revenus, peupleront la colonie et en
pourront faire la plus grande force et le nombre de bras, et la connaissance du local, de manière que des ennemis
débarqués ne pourraient tenir à une irruption de gens descendant des montagnes et sûrs de les regagner après
avoir harcelé et fait périr l'ennemi".
Le 11 août 1764 il annonça "je vais envoyer des gens à la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Domingue et
Sainte-Lucie, nous enverrons les bateaux à distance respective, avec une distance suffisante pour ne point causer
d'embarras dans la colonie, quoique j'ai l'honneur de vous demander si je dois les envoyer au Cap Français ou à
Port-au-Prince. Je vais faire des modèles de sortes de vestes, culottes d'ordonnances et à la matelote, guêtres,
bonnets, jupons et corsets pour les habillements de ces familles quand j'aurais examiné ces modèles, je ferai
passer un marché pour la façon d'une certaine quantité de ces habillements. Le surplus sera mis en pièces et les
femmes pourront elles-mêmes renouveler leur habillement, et faire par la suite celui des hommes et des enfants".
Il était temps qu'une solution soit trouvée car dans les dépôts et les ports la situation se tendait. Chaque jour
apportait son lot d'incidents, voici chronologiquement les principaux :
- 14 août 1764, envoi d'un détachement de 14 soldats dans les dépôts de Taillebourg et Saint-Savinien pour
contenir les Allemands.
- 23 août 1764, le Comte de Brilhac se plaint des dégâts commis sur ses terres situées aux environs de Saint-
Jean et Taillebourg. Il semble qu'il y eut autant de dégâts commis par les habitants qui logent les étrangers que par
les étrangers.
- 11 septembre 1764, les dépôts de Saint-Savinien et Taillebourg doivent fermer le 20 ou le 30 de ce mois.
- 30 septembre 1764, lettre adressée à Pelletier de Morfontaine, intendant de la généralité. "J'ai reçu ces jours
des plaintes du commissaire de marine préposé à la police des familles étrangères destinées pour les colonies, qui
sont en dépôt à Taillebourg et Saint-Savinien, il paraît que les officiers municipaux ne se porteraient pas avec
autant de zèle qu'il serait nécessaire pour en imposer aux habitants qui livrent à ces familles une guerre déclarée.
J'ai rendu un ordre qui tient les étrangers en respect, d'autant plus sûrement qu'il leur est annoncé qu'à la
première faute dont ils seraient convaincus même d'avoir seulement mis le pied dans le territoire des habitants de
ces quartiers, ils seront transférés ici et punis très rigoureusement, il conviendrait que les habitants de ces mêmes
quartiers fussent dans le cas de craindre le même traitement et je vous demande sur cela Messieurs les égards
possibles afin d'éviter de pousser les étrangers à bout, ce qui ne manquerait pas d'arriver. Si comme on l'a déjà
fait à Taillebourg sans obtenir de justice, ni des délégués ni des syndics, les filles étaient insultées et les hommes
chargés par la populace qui prend sur elle des prétextes pour faire querelles et frapper jusqu'à donner des coups
de couteaux. Si dans ces cas les officiers municipaux se contentent de dire aux accusés de se rendre en prison ou
de les y faire mettre, on ne viendra guère à bout de faire cesser les animosités réciproques".
- 4 novembre 1764, Delattre fait jeter en prison Joachmin Verrier pour "récidive du tapage qu'il avait commis
dans les casernes". Il perça le mur de la prison et s'évada. Importante animosité entre le juge Hery et Delattre.
En janvier 1765, des contrebandiers embarquèrent pour Cayenne dans 3 bateaux de Nantes. Pour ce premier
voyage, 272 furent sélectionnés par les fermiers généraux. Ils iront jusqu'à Cayenne mais Turgot les refusera.
- En février 1765, M. Ruiz voulait faire embarquer 1836 personnes pour Saint-Domingue, 212 pour la
Martinique, 280 pour la Guadeloupe et 979 pour Cayenne. Choiseul demanda de suspendre tout embarquement
de familles de peur de renouveler dans d'autres îles les erreurs de Kourou, et, pour la Guyane, il fallait attendre
des nouvelles de Turgot.
Dans le même temps, à partir du 26 mars 1765, il fut possible d'accorder un "conduit pour retourner dans leur
pays aux familles étrangères lorsqu'elles le demandent". Tandis qu'il ne devait "plus arriver personne à Saint-
Jean. Des ordres prompts et précis ont été donnés aux frontières pour ne plus qu'il entre personne sous le prétexte
de passer dans les colonies".
Les Iles saturées, des solutions de rechange en Europe furent étudiées. Par suite d'épidémie, de famines ou
d'autres calamités, le territoire entier manquait d'habitants.
Le 7 août 1765, Rothe et Clouard annoncèrent leur intention "de placer plusieurs familles étrangères dans les
terrains qu'ils sont sur le point d'acheter dans les Landes de Bordeaux et ils désirent qu'on permette à des familles
qui sont à Saint-Jean de venir s'installer sur leurs terres".
L'autre solution était bien évidement le retour pur et simple chez eux, ainsi le 18 juillet 1765, Ruiz demanda
"la conduite à tenir des familles qui reviennent journellement de Cayenne et en particulier à l'égard des
Allemands". On lui répondit : "Vous les gardez jusqu'à nouvel ordre dans les dépôts, à moins qu'ils ne témoignent
d'une envie de retourner chez eux. A l'égard des Français vous leur accorderez une conduite pour se rendre dans
les lieux du royaume où ils jugeront à propos de se retirer".
Le 26 octobre 1765, les familles acadiennes furent poussées à partir par la suppression des 6 sols par jour. On
envisageait pour eux une intégration dans une province française.
Un peu plus tard, Choquet signala : "J'ai reçu une demande du Marquis de Dars et du Sr de Saint Léger de
Boisrond qui possèdent des terres dans le voisinage de Saint-Jean-d'Angély et qui demandent une trentaine de
familles pour les y placer. J'ai également reçu un mémoire de M. l'Abbé de Saint-Légier qui me propose d'établir
150 personnes de tout sexe dans la paroisse de Bussac en Saintonge, mais il demande que le Roi donne 15000
livres pour les frais de ces établissements. S'il se trouve parmi les étrangers 150 personnes qui veulent s'arranger
avec l'Abbé de Saint-Légier, je me prêterai à lui faire payer cette somme, pourvu qu'il les loge et les nourrisse".
Le 10 juin 1766, plusieurs familles étrangères, de Saint-Jean, demandèrent à retourner dans leur pays. La
réponse vint le 27 octobre 1766 : "Sa Majesté veut que les familles des 336 laboureurs et mineurs ne jouissent
plus que de 5 sols pour la subsistance et 1 sol pour le logement, soit 6 sols par jour. Elle veut pareillement que
toutes les familles des gens d'arts et métiers au nombre de 253 prennent le parti de se retirer, on leur donnera 3
sols par lieue où elles voudront passer. Si elles veulent passer le Rhin, on leur donnera une somme équivalente de
6 lieues par jour pendant 6 mois, c'est à dire 54 livres par père et mère et autres personnes de 15 ans et au-dessus,
moitié pour chaque enfant. Ceux des Allemands qui voudraient passer et rester en Alsace auront indistinctement,
père, mère et enfants 6 sols par jour pendant un an, ils seront payés de 3 mois en 3 mois et il ne sera plus question
du roi pour eux. Je vous prie également de vérifier si parmi les Allemands notés comme ouvriers qui connaissent
bien leur métier, de savoir s'ils pourraient servir dans les colonies. Dans ce cas leur proposer un traitement
proportionné à leur talent et les engager. S'ils refusent, il faudra qu'ils prennent le parti au mois de janvier
prochain de quitter Saint-Jean. Il faut que la dépense occasionnée par ces familles finisse. Il y a longtemps que
le Roi les supporte en pure perte. Si vous prévoyez que le parti que vous aurez annoncé à ces familles put
occasionner quelque fermentation parmi elles et qu'il soit nécessaire pour les contenir d'y faire passer un
détachement de troupes vous pourrez vous adresser au Maréchal de Senecterre".
CARTE R E D U I T E
-DIT G O L P H E D U M E X I Q U E
ET DBS
ISLES DE L A 3 1 - L 1 1
"I - P d r - J ï B J n q r d f Li ..J.fQ77nt' . ,-
En juin 1767, un fait nouveau intervint : la possibilité pour certains colons de passer en Espagne.
En effet, le philosophe Pablo de Olivade, ami des économistes et philosophes français avait été chargé de
l'établissement d'une colonie modèle au Sud de la Sierra Morena dans une vallée déserte. Beaucoup d'Acadiens et
d'Allemands furent tentés. Mais ni les Français, ni les Acadiens n'eurent le droit de s'expatrier. Le motif avoué fut
que beaucoup d'entre eux désiraient partir pour la Louisiane qui appartenait depuis peu à l'Espagne.
Un officier espagnol fut envoyé par son gouvernement pour engager les familles. Il était arrêté que celles qui
partaient pour cette destination ne recevraient rien. 874 personnes s'enrôlèrent; mais plusieurs désirèrent rester
sous la domination du Roi et ne voulurent pas partir en Espagne "Il ne sera forcé personne pour les faire passer".
Pablo de Olivade fonda les colonies de Carolina et Carlotta entre 1767 et 1769.
Ce fut un véritable engouement.
Devant le départ de ces nombreux volontaires, le ministre Choiseul essaya de réagir. Dans une lettre adressée
à Messieurs les officiers de l'amirauté et aux classes il expliqua la situation.
A Compiègne le 13 août 1767 : "Il est nécessaire, Messieurs, de renouveler d'attention sur l'objet des
émigrations, en différents termes il a été donné des ordres à ce sujet qui ont été adressés tant aux officiers du siège
d'amirauté que ceux des classes pour que chacun y veille de son côté et en ce qui le concerne. Cependant je suis
informé qu'il y a encore un grand nombre de sujets qui trouvent le moyen de passer en pays étranger sans être
muni des passeports nécessaires à cet effet et c'est à quoi l'intention de sa Majesté est qu'on prenne garde, avec
la plus grande exactitude. Elle devient d'autant plus nécessaire actuellement que je suis informé qu'il doit être
embarqué dans les différents ports du royaume une très grande quantité de Flamands et Allemands qu'un ancien
officier1 au service du Roi de Prusse doit faire passer en Espagne, au moyen d'un traité qu'il a fait à cet effet avec
le ministre espagnol. L'intention de Sa Majesté est que ceux de ces émigrants qui n'auraient point de passeport
signé d'un secrétaire d'état pour sortir du royaume par mer soient arrêtés et que quand il s'en représenterait, on
examine pas moins si parmi eux, il ne se trouverait point quelques sujets de Sa Majesté que l'on devrait arrêter et
retenir jusqu'à nouvel ordre, vous voudrez bien agir en conséquence et me faire part de ce qui pourrait se passer
à ce sujet".
Les marins français prévenus, l'un d'entre eux vint spontanément témoigner.
Lettre du 10 octobre 1767 : "par-devant nous ont comparu en sa personne, Jean Messangeau maître de la
barque la Reine Ester de Royan au port de 25 tonneaux environs, lequel après serment de lui fait de dire la vérité
, nous a dit et déclaré qu'il aurait chargé à son bord à Royan en Saintonge 25 tonneaux de Mailly2, pour porter
les vendre en Espagne, que pour cela il serait parti de Royan le 28 août dernier et se serait rendu à Islons en
Espagne le 4 septembre, qu'il en serait parti le même jour pour se rendre à Lianne, aussi en Espagne où il est
arrivé le 5 dudit, que vers le 19 dudit, étant alors prés de son bord il aurait vu passer devant lui environ 1200
hommes tant Français qu'Allemands et Flamands. Fait qui lui a été rapporté par l'officier chef de la troupe, qui
Les solutions de rechanges furent variées, elles permirent non sans désillusions à la plupart des volontaires
pour l'exil d'aller au bout de leur rêve.
Ce fut le cas de la famille Stadeler qui termina son voyage à Saint-Domingue.
Mais l'histoire a retenu qu'un sur deux des 14.000 colons n'arriva pas en Guyane. Ce qui pour beaucoup fut
une chance !
Décès d a n s les d é p ô t s
Le nombre des morts de l'expédition de Kourou porte à contestation depuis deux siècles, certains n'ont pas
hésité à exagérer le nombre, d'autres à le minimiser. Aucun chiffre n'a paru dans les années qui ont suivi les
événements. Le Roi avait interdit d'en parler, ceux qui s'y sont risqués se retrouvèrent rapidement en prison. Le
duc de Choiseul abonda dans son sens ... et pour cause
Ceux qui désirent majorer les chiffres prétendent que les registres n'étaient pas tenus à jour. C'est faux. Malgré
le manque de sérieux de Chanvalon et de ses secrétaires, des personnes sensées se sont chargées de tenir les
registres, y compris Préfontaine, qui a coté et paraphé les cahiers. La multitude des camps a donné une multitude
de registres. Turgot a bien tenté de remettre de l'ordre mais il est resté trop peu de temps à Cayenne. Ce n'est
qu'avec l'arrivée de Maillart-Dumesle que les documents furent tous regroupés et qu'il fut possible d'en faire un
bilan pour rendre compte au Roi. Les archives regroupées à l'époque à Rochefort auraient permis comme nous
l'avons fait, d'établir un bilan, mais nous avons acquis la certitude qu'une volonté ministérielle l'avait interdit.
Ceux qui, par contre, désirent minorer les chiffres n'utilisent qu'une partie des documents. C'est relativement
simple du fait des multiples inscriptions de décès établies dans des lieux différents. Ainsi, lorsque la maladie se
déclarait; compte tenu de la diversité et de l'éloignement des lieux, du manque de papier, du manque de prêtre ou
dans l'incapacité où ils se trouvaient d'écrire leurs actes, "on fut obligé de confier les registres de baptêmes,
mariages et sépultures à toutes sortes de personnes commises à cet effet, bien souvent les gardes-magasins". Un
doute peut subsister dans le décompte du chevalier de Balzac, mais il ne porte que sur une centaine de personnes
installées le long du Kourou, alors qu'il y avait bien d'autres personnes en d'autres lieux. Quelquefois les
enregistrements firent double emploi et furent rectifiés par la suite car les personnes d'une même famille fuyant la
mort se trouvaient séparées elles annonçaient en différents lieux qu'un tel ou un tel était décédé, ainsi l'on inscrivait
le nom de la personne plusieurs fois. Les colons qui mouraient à bord des bateaux dans la rade de Cayenne ou à
l'hôpital de l'Hôtel-Dieu ainsi que les soldats étaient enterrés à Cayenne. D'autres cas particuliers sont à prendre
en considération : des personnes décédèrent à bord des bateaux durant la traversée, elles furent jetées à la mer. On
ne peut en trouver trace que dans les livres de bord des bateaux, la plupart sont introuvables. Certaines profitèrent
des passages des bateaux pour fuir et quitter clandestinement Kourou vers le Surinam ou la Martinique. A cet effet
des personnes en France s'inquiétèrent du sort de leurs familles et écrivirent à la Marine de Rochefort. On retrouve
dans ces archives certaines de ces demandes, s'adressant surtout aux passagers du bateau "La Baleine" échoué sur
la côte de Berbice. Une partie des passagers s'était enfuie à terre. Ils furent tués par des cannibales. Les autres,
furent conduits à la Martinique.
P r i n c i p a u x lieux d ' e n r e g i s t r e m e n t des décès :
Entre le 1er janvier et le 1er octobre 1765, sont décédées 782 personnes. Il devait rester 200 personnes sur les
bateaux.
Morts à Cayenne
Morts à Kourou
Morts aux îles du Salut
Morts à la briqueterie
Les morts étaient enterrés dans les cimetières de Kourou et de Cayenne, ce que connaissaient parfaitement les
familles rentrées en France car ayant besoin par la suite d'extraits ou de certificats de décès, elles le demandaient
à la marine en précisant les dates du décès et le lieu de la sépulture.
On peut considérer qu'il était arrivé à Cayenne avant le 4 août 1764 à peu de choses près 8330 personnes. Elles
avaient été rejointes par les 302 amenées par Turgot. Ce qui nous donne un total de 8632 personnes. A ce chiffre,
il faut ajouter les personnes non-inscrites et celles arrivées par des voies inconnues que j'estime à environ 400.
On peut également s'interroger sur le rôle joué par les prêtres, Jésuites ou non dans l'aide apportée aux
mourants, voire à l'enregistrement des décès.
L'enregistrement des actes d'état civil durant l'année 1763, était fait par le Père O'Reilly, Jésuite, chargé des
fonctions curiales au camp de Kourou. A cause de l'attitude critique de Préfontaine et de Doucet à son sujet afin
de régler une querelle personnelle, il dut abandonner sa mission à Kourou et se réfugier à Loyola vers la fin de
l'année. Il faut noter que par la suite aucun autre Jésuite ne prêta son concours à la nouvelle colonie1.
Les 9 premiers mois de l'installation, de juillet 1763 à mars 1764, on ne signala pas de maladies ni de mortalité
excessive. La première personne décédée est Marguerite Chouard, épouse du sieur Gironnet de Fromenteau,
écuyer et capitaine d'une compagnie d'habitants, morte en septembre 1763. Son époux mourut le 20 octobre à l'âge
de 42 ans. Il est quand même à noter que fin janvier 1764 il ne restait plus que quelques Irlandais sur les 45 amenés
par Préfontaine, on peut douter de leurs conditions de travail.
- Pierre Joseph Dubois, prêtre aumônier, 26 ans en 1763, fils de Pierre et de Thérèse Caillau, né à Colmar
Haute Alsace. Il s'occupa des Allemands et exerça pendant 15 mois, puis tomba malade au camp de Kourou.
Mourant, il fut transporté à Cayenne sur ordre de Turgot. Il y resta 6 mois dans un état déplorable. Il rentra en
France pour se soigner à Saint-Malo en 1765, puis revint à Kourou en 1771.
- Gourdel du Coudray, partisan de Chanvalon, à demander à Turgot son retour en France car il avait peur de la
maladie. Il fut mal reçu, mais partit. Il revint plus tard à Cayenne et en 1775 sitôt arrivé il a demandé à retourner
en France.
- Capelin, aumônier du roi, mourut durant l'épidémie en 1764.
- Nicolas Brouet, fils de Nicolas et de dame Carmille, âgé de 27 ans, né à Châlons, inscrit au camp de Saint-
Jean-d'Angely, est arrivé à Cayenne sur le navire la "Normande". Protégé de Turgot, il ne voulut pas rester, il rentra
lui aussi en France.
Dans le courant de l'année 1764 arrivèrent :
- Coquard, prêtre, missionnaire des Acadiens. Il mourut à Sinnamary l'année suivante.
- L'abbé Lair. Il vint et repartit avec Turgot.
- Anastase, Gabriel Fauclet, prêtre missionnaire de Besançon, qui mourut le 20 juillet 1764.
Le premier juin 1765, il ne restait plus dans la colonie que deux prêtres dont un "presque imbécile" et trois
Jésuites, tous âgés ou malades désirant y terminer leur vie, ainsi que le Père Ruel chargé d'une mission
particulière.
Devant la pénurie d'ecclésiastiques à Cayenne, quatre aumôniers du port de Rochefort furent donc envoyés le
21 octobre 1765. En effet, à cette époque et depuis 1687, il y avait huit à dix aumôniers, de l'ordre de Saint-Lazare,
pour le service sur les vaisseaux du Roi. On avait demandé à Ruiz de prendre les informations les plus exactes à
leur sujet, sur leurs moeurs et leur conduite, d'en choisir également un ou deux qui parlaient allemand. Il annonça
même qu'ils seraient payés 1200 livres d'appointements chacun. Ainsi furent désignés :
- Le père Villemain aumônier cordelier de la "Nourrice" débarqué à Sinnamary. Mais c'était un mauvais sujet
et par la suite il dut être retiré de Sinnamary, il quitta la Guyane en 1769.
- L'abbé Duvilard, aumônier, de la "Garonne".
- Les deux autres désignés n'arrivèrent jamais.
En 1765, arriva comme curé de la paroisse St-Sauveur-de-Cayenne, l'abbé Destable Charles, Louis, Joseph
prêtre et docteur en théologie, curé de la paroisse de Saint-Bruys-les-Reins. Il fut envoyé à l'intérieur de la Guyane
pour visiter les différentes missions. Les ayant trouvées dépourvues de prêtres pour la plupart, il certifia "que l'on
avait été obligé de confier les registres de baptêmes, mariages et sépultures à toutes sortes de personnes, à cause
de la maladie qui ne permettait pas, même aux prêtres d'écrire leurs actes et que le présent extrait était exactement
copié sur les registres qu'on fait différentes personnes commises à cet effet, en foy de quoi il a signé pour servir
au besoin sera de raison à Cayenne le 7 avril 1766". Il certifia que les actes et les extraits étaient conformément
copiés à partir des registres qu'on avait tenu, en particulier par Pellerin, directeur de l'hôpital et aux notes
personnelles de Chanvalon. Le 6 avril 1769 il fut nommé préfet apostolique de Cayenne au départ du Père Ruel,
Jésuite.
Il faut signaler trois autres affectations en Guyane.
- L'abbé Bofsaux, prêtre du diocèse de Lausanne, Aumônier particulier des frères Prépaud, il désirait rester
dans la colonie et s'était vu confier la desserte de l'hôpital, il décédera peu de temps après.
- L'abbé Monestier n'eut pas le temps de voir les côtes de Guyane, il mourut en mer.
- L'abbé Bordier du Rouet, prêtre au diocèse de Cousseraud, fut envoyé à Cayenne en août 1769 en qualité de
missionnaire et repartit juste un an plus tard.
L'année 1770 verra l'arrivée de deux prêtres Duhamel et Barseur qui étaient vicaires.
2 Les prêtre venus avec Chanvalon exerceront sans pouvoir. Il avait empêché qu'ils s'adressent au prefet apostolique de Cayenne, qui était
le père Ruel, jésuite, pour prendre leur pouvoir.
Le manque cruel d'ecclésiastiques dans un temps où la religion occupait une place privilégiée dans la vie
quotidienne de chacun, fut très mal ressenti par les nouveaux colons comme par toute la population de Guyane.
Ils n'admirent pas d'être privés du secours spirituel.
Devant tant de dégâts humains et financiers il serait naturel de parler du prix de la bêtise humaine, mais était-
ce de la bêtise ou de l'incompétence ...?.... A moins que ce ne soit de la mauvaise volonté.
A q u i la f a u t e ...?.
Récapitulatif des morts et vivants sur le Kourou*
3° Autres lieux :
Désignation Vivants Observations
Tour de l'Ile 229 Allemands et Français
Sinnamary 282 Acadiens, Français, Allemands
Iles du Diable) Soit 199 orphelins et 167 infirmes estropiés,
Le 24 février 1765 1 366 scorbutiques, inutiles et vieilles femmes.
TOTAUX 1 877 1
A qui la faute ?
Lemoine écrivait au Ministre Choiseul1. "Tout le projet pour Cayenne a été faux dans tous les points, parce qu'il
a été établi avec des faussetés exposées comme des vérités, à qui ?... A des personnes qui devaient être p a r leur
état, entièrement persuadées que la vérité la plus exacte leur était due. Ces mêmes personnes, trop préoccupées de
principes physiques politiques admis en France, d'agriculture et d'établissement, principes consolidés p a r
l'expérience journalière ont cru l'application de ces principes indubitables pour l'Amérique. Mais la nature n'est
pas vue, les accessoires d'ailleurs deviennent, en pareille matière, toujours prédominants, le principe : 500 ou 1000
hommes en France doivent faire tel ouvrage, en telle quantité, il faut tels moyens, pour les faire subsister. Les vivres
sont d'une nature également utile en santé et aux maladies, [...], mais ils sont certains qu'en Amérique rien de tout
cela. Ce n'est point ni un homme ni tant d'hommes quelconques, c'est un tel homme et tant de tels hommes, [...] Les
remèdes aux inconvénients s'annoncent d'eux mêmes, qu'on reprenne la vérité pour guide [...] ".
O ù était la vérité ?
Les hommes de l'époque ne la connurent pas, malgré un procès retentissant. Trop d'intérêts étaient en jeu, trop
de passions avaient été déchaînées. Nous ne ferons pas ici un exposé des instances. Le lecteur est renvoyé pour
son information à l'excellent ouvrage de Jacques MicheP.
" Une procédure criminelle avait été commencée contre Jean Baptiste Thibault de Chanvalon, intendant des
colonies de Cayenne et de Guyane, sous l'inculpation de déprédation, de divertissement d'effets appartenant à
l'état et de denrées provenant des successions vacantes dans les colonies"]. D'autres personnes furent poursuivies
telles que Derique, Nermand, Veyret, Doucet, Lainé de Cambernon, Pascaud.
Même Turgot eut à rendre des comptes comme en témoigne cet échange de lettres, entre son frère l'intendant
de Limoges et Madame la Duchesse d'Enville
Le 22 juin 1765.
"J'ai appris le débarquement de mon frère à la Rochelle. J'avais trouvé à Paris une espèce de cri public excité
.... contre mon frère qui m'inquiétait beaucoup. Depuis que j'ai vu le détail des faits et des preuves qu'il en apporte,
je suis très tranquille. [...] Dans la forme, mon frère a exactement suivi ses instructions, et dans le fonds les
circonstances sont telles que, quand il n'aurait pas eu d'instructions particulières, je ne sais s'il n'eut pas été
excusable d'avoir pris sur lui ce qu'il a fait".
Le 23 juin 1765.
"Malgré la justice qui a déterminé sa conduite. Il (Chanvalon) a été reçu p a r le Ministre Choiseul avec
beaucoup d'honneurs. Ce n'est pas que celui-ci prenne beaucoup d'intérêts à M. de Chanvalon, mais le mauvais
succès de l'opération l'aigrit d'autant plus que ce mauvais succès, et surtout la grande mortalité est autant l'effet
des fautes des bureaux et de l'engagement forcé des hommes dans un pays où rien n'était préparé, que la mauvaise
administration et des machinations de l'intendant".
Le 27 septembre 1765.
"Je suis bien touché de l'intérêt avec lequel vous me demandez des nouvelles de Cayenne. Mais voyant le
ministre aussi pressé qu'il était, j'ai voulu prendre connaissance par-moi même de toute l'affaire, discuter les
preuves des faits et les mettre dans une évidence qui ne souffre point de répliquer, grâce à la sottise qu'a eu cet
homme (Chanvalon) de garder tous ses papiers. J'y suis parvenu, mais c'est un très long travail, dont j'en vois à
peine la fin [...] Choiseul sera fort étonné quand il verra l'affaire telle qu'elle est".
Turgot s'était porté en "défenseur de l'intérêt de l'humanité".
Choiseul ordonna en août 1765 la suppression des lettres de change que Turgot avait tirées à Cayenne.
Choiseul implicitement avait choisi son camp dans la lutte d'influence entre Chanvalon et Turgot. Chanvalon avait
une partie de la marine pour lui et les amis de son beau-père Saint-Félix. Turgot avait toute sa famille.
1 Ref C 14 R 28 F 73.
2 "La Guyane sous l'Ancien Régime". Le désastre de Kourou et ses scandaleuses suites judiciaires, 1989, l'Harmattan.
3 Etienne Dupont. La bastille des mers. Les exilés de l'ordre du Roi au Mont-Saint-Michel (1685-1789).
A ce sujet, la même correspondance de son frère, intendant de Limoges avec la Duchesse d'Enville nous éclaire
pour la suite des événements.
Le 13 octobre 1767.
"Je crois qu'on va faire sur M. de Chanvalon bien des histoires sans fondement : c'est pourtant bien assez de
la vérité".
Le 26 mai 1768.
"Je vous dirai Madame que je suis fort mécontent de la tournure que prend l'affaire de mon frère. On est décidé
de lui trouver des torts. Heureusement qu'il (Chanvalon) ne peut attaquer ni l'honneur ni la probité. Le pot de
terre a du se casser contre le pot de fer. J'avais vu la rancune de celui ci moins durable. Il n'y a rien de terminé
mais cela ne tardera pas".
Le 30 mai 1768
"J'ai Madame rendu compte au roi de l'affaire de mon frère. M. de Praslin en a fait le rapport et le résultat à
été d'exiler mon frère à 20 lieux de Paris et M. Morisse à dix.
Je n'ay pas imaginé que la rancune peut-être aussi longue il faut bien céder à la toute puissance".
En effet, le 30 mai 1768 le chevalier Turgot recevait une lettre du Roi lui demandant de se tenir éloigné à 20
lieues de Paris, châteaux et maisons "où je fais et ferai ma résidence". La vengeance de Choiseul qui voulait faire
envoyer Turgot au château de Saumur avec Morisse, ou de l'exiler dans ses terres ne fut donc pas complète. Le roi
dira même : "il ira où il voudra". D'ailleurs le 16 mars 1769, le Roi révoquait les ordres qu'il avait donnés
concernant l'éloignement de 20 lieues de sa résidence.
Quelques années après, Louis XVI lui proposera une pension de douze mille livres pour le dédommager de
son gouvernement. Turgot refusera l'offre du souverain et ajoutera : "Je ne l'accepte pas, n'ayant pas eu le temps
de la mériter". Il vécut dès lors très loin de la cour dans ses propriétés de Normandie dans une retraite absolue.
"Il ne participa pas à l'élévation de son frère".
Chanvalon, Nermand, Rique, Veyret et Majorel, après un séjour à la Bastille et d'autres lieux obtinrent
réparation en 1781 du préjudice qui leur a été causé par les lettres patentes du 13 sept 1767 "et qui exprimaient
un jugement illégal et désignaient Lacroix procureur du parlement, chargé de réviser l'affaire".
Au plus haut niveau, celui des idées, il faut bien admettre que la théorie des physiocrates en matière de
colonisation ne reposait sur aucune expérience concrète. Il aurait fallu un peu plus de prudence ou tout au moins
plus de réflexions. Il est vrai que face aux événements de la Guerre de Sept Ans, Choiseul était pressé, mais
d'autres projets plus concrets lui avaient été présentés engageant moins de personnes et à moindres frais.
Résolument il choisit l'utopie.
Pourtant, bien que l'expérience soit démesurée, pour les moyens de l'époque, elle aurait pu réussir, car la
Marine Royale se surpassa, et l'infrastructure se révéla particulièrement efficace tant dans le domaine matériel que
dans celui de l'exécutant de base. Même au niveau des négociants, qui devinaient les risques financiers de
l'aventure, on ne nota que très peu de défaillances. Enfin la passion de réussir anima une grande partie des colons,
en particulier ceux issus de l'armée qui possédaient une certaine expérience et que le roi entendait récompenser
par la promesse d'un établissement en Guyane.
Quelles sont les causes de cet échec malgré un élan exceptionnel ?.
On a noté tout au long de ces pages l'importance prise par les Jésuites dans le développement de la Guyane.
Etait-il raisonnable de décider leur expulsion au moment même où se forgeait le projet d'une extension importante
de la colonisation en Guyane. Etait-il raisonnable de se priver, dans un but de vengeance, d'une expérience
séculaire et d'une connaissance des Indiens et des Noirs dont la renommée nous parvient encore ?... En effet il
apparaît clairement que l'intégration des Noirs, était inscrite dans les actions des Jésuites avec l'adhésion de
nombreux colons de l'ancienne colonie. Etait-il raisonnable, sous le prétexte de moraliser l'administration en
Guyane, de réduire à néant des établissements créés par les Jésuites qui auraient pu servir de modèles à la nouvelle
colonie ? Bien au contraire sous la pression obscurantiste des Jansénistes, on décida l'élimination des Jésuites et,
par là même, de ce qu'ils représentaient dans le monde.
Si la cupidité ne fut pas étrangère à l'expulsion des Jésuites, elle se manifesta tout au long de l'expédition et à
tous les niveaux du pouvoir : de la concussion jusqu'aux avantages mineurs, la recherche du profit personnel fut
une des plaies les plus courantes. Même les effets des morts furent l'objet de négoce !...
- Choiseul ministre, s'était réservé une terre de rapport.
- Bombarde et Saint-Félix avancèrent des fonds en voulant se faire rembourser à des taux usuraires.
- Chanvalon paya ses dettes personnelles avec l'argent des concessionnaires et envisagea, par son commerce
de grands profits. Saint-Félix avait encouragé la prévarication.
- et toute une kyrielle de responsables de tous niveaux dont nous avons déjà dénoncé les agissements.
"Les négociants qui travaillent avec Cayenne en général, portent leur attention sur des intérêts particuliers ou
de sociétés privées. Ils ne pensent pas pour l'instant à les concilier avec celui de l'état et des opérations actuelles.
Ces établissements nouveaux ne les intéressent pas, ils ne pouvaient en tirer une utilité avantageuse pour le
moment [...] Quand on a su que le ministre pensait très sérieusement à faire un nouvel établissement à Cayenne,
que l'on a vu des opérations en conséquence, on s'est révolté contre. Que voulait-on faire ! employer des sommes
immenses pour un pays malsain, des mauvais terrains non susceptible de productions, point de port, c'est pour
les Anglais que l'on travaille ! la France se dépeuplera ...!. Si l'on veut faire de grandes dépenses pourquoi ne pas
les faire à Saint-Domingue, qui est un pays tout fait et que l'on peut considérablement augmenter et ignorer la
Guyane "4.
Sans parler de cupidité, il faut tout de même considérer la démarche aventureuse d'un grand nombre de colons
et de concessionnaires dont certains, poussés par la misère s'engagèrent dans l'aventure, guidés par le seul espoir
de jours meilleurs.
"Lorsque les hommes guidés par l'intérêt personnel et l'appât du gain des richesses ne réussissent pas, il faut
qu'ils soient empêchés par des obstacles qu'il n'est pas possible à l'humanité de surmonter".
L'exemple de Béhague après le départ de Turgot, l'exemple de Turgot, même si son séjour fut trop court,
prouvent que le désastre aurait été bien atténué si les chefs en place avaient été capables. Les graves erreurs dans
le recrutement des chefs de l'expédition apparaissent comme le comble de l'incompétence aux yeux des
spectateurs du 20e siècle, habitués à d'autres critères de choix des responsables, même si ceux ci sont parfois
contestables. Préfontaine comme Chanvalon et dans une moindre mesure Turgot, n'étaient pas, de toute évidence,
les hommes de la situation. Choiseul privilégia les intrigants au détriment des hommes du terrain qui s'étaient
manifestés par des projets beaucoup plus réalistes.
Incompétence aussi dans l'exécution par des orgueilleux qui refusaient tout conseil surtout des spécialistes
ayant été confrontés ailleurs à des problèmes similaires. Que dire de l'esprit courtisan de Préfontaine qui admet
que son plan soit dénaturé et qui se laisse imposer des vues auxquelles il n'adhérera pas ? Que dire du manque
d'esprit de discipline d'Acaron qui n'exécute que le volet des ordres qui lui convient ? Que dire de Malherbe
responsable des départs à l'île d'Aix, incapable de réagir face aux désordres créés par Chanvalon ? Que dire de
l'attitude de Chanvalon refusant une remise en question du plan alors que l'épidémie était à son comble ?
Orgueil enfin de toute une caste qui veut profiter d'un nouveau système sans abandonner ses privilèges.
Et pourtant le peuple de France à qui l'on avait soigneusement caché la vérité, crut qu'il y avait un seul
coupable : la Guyane.
N'était-elle pas un lieu malsain où les effets conjugués du climat, de la végétation, des animaux sauvages voire
de la population indigène interdisaient toute présence humaine civilisée ? On parla même d'elle comme "un fléau
moissonnant les colons". Cette réputation se propagea jusqu'au 20e siècle puisqu'il y a quelques décennies on lisait
dans certains livres de géographie "Guyane Française, capitale Cayenne. Pays malsain. Cimetière des
Européens".
Certes, quelques auteurs de mémoires tentèrent de réhabiliter l'image de la Guyane.
"Au nom de l'île de Cayenne, le sieur Pautier sent bien que la prévention va s'élever contre lui, déjà il lui
semble entendre toutes les parties de la France réclamer, en poussant de profonds soupirs mais qu'elles
suspendent un moment leurs jugements. Bien loin de condamner un trop juste sentiment de douleur, témoin des
larmes, du désespoir des français à Cayenne, sa sensibilité en a gémi, hélas ! il ne pouvait alors que gémir, sous
un projet conçu au hasard et exécuté par des chefs peu éclairés, ou mals intentionnés. Il serait en effet plus facile,
en France, de faire bientôt peur à la moitié des citoyens si on les traitait comme les nouveaux colons envoyés à
Kourou, si comme eux, ils n'avaient que des aliments malsains, et pour boisson que de l'eau purulente et d'un
mauvais tafia de la Martinique.
Ce n'est pas la faute du climat, puisqu'il est reconnu et prouvé que des productions sont bien au-dessus de
celles des autres colonies. Le vice est venu d'une mauvaise administration d'où il ne faut pas conclure que ce pays
soit sans ressources; il faut au contraire profiter de la première faute, éviter de tomber dans une seconde, et par
de sages précautions se dédommager des pertes que la France y a subies"5.
A q u i la f a u t e ?
4 De Saint-felix.
5 Extrait du mémoire de M. Pautier en 1791.
Suites j u d i c i a i r e s :
En 1765, Turgot intenta un procès à Chanvalon et Chanvalon à Turgot.
Le bureau des colonies hésita sur la façon d'arbitrer le conflit. Turgot voulait le porter à la connaissance
du Parlement de Paris, mais cette assemblée ne pouvait s'occuper d'affaires politiques du Royaume et devait
se limiter au judiciaire.
Fin 1765, Choiseul face à de nombreuses attaques, commençait son autocritique auprès du Roi.
Dans cette affaire, seul le Conseil du Roi pouvait juger.
L'intérêt était de régler l'affaire par la voie administrative, de manière discrète, au lieu de la voie
judiciaire en portant l'affaire devant le public.
Des membres du bureau de la législation des colonies, avec Chardon comme rapporteur, siégèrent, en
commission extraordinaire. Ils accusèrent Chanvalon et Préfontaine /1 d'ignorants, d'imposteurs et de
faussaires" et diront "qu'il avait été forcé d'y avoir recours pour les démasquer comme ils méritaient de
l'être".
Les sanctions furent prononcées par lettres patentes du 13 septembre 1767 et le silence fut imposé sur
tout ce qui s'était passé à Cayenne durant les années 1763 et 1764.
- Le 3 décembre 1766 Derique fut arrêté et emprisonné à la Bastille, suivi le 23 février 1767 par
Chanvalon, Nermand et Veyret, puis le 18 mars ce fut l'arrestation de Laisné de Cambernon avec Legrand de
Campeaux.
- Le 2 octobre 1767 Derique fut transféré au château d'If, Nerman au château de Laon, puis au château
de Ham.
- Le 12 octobre 1767, Pascaud fut arrêté.
- Le 14 janvier 1768, Chanvalon fut envoyé en prison au Mont Saint-Michel. A cette date, Pelletan son
secrétaire fut également arrêté et incarcéré.
- Saint-Felix, fut condamné à se tenir à 50 lieues de Paris.
Le 15 décembre 1767, "un des messieurs de la deuxième chambre des requêtes du Palais, fit un rapport
au Parlement, toutes chambres assemblées sur des lettres patentes datées du 15 septembre précèdent et qui
avaient trait aux affaires de la Guyane. Ces lettres, insérées dans les papiers publics, avaient révélé de
nombreuses malversations commises par les administrateurs de cette colonie [...] Les lettres patentes disaient
que Sa Majesté avait voulu user de sa clémence à l'égard de cet intendant infidèle, dont la carrière avait été
honorable jusqu'ici. Cependant le Roi, dans sa justice ne pouvait priver de la réparation complète qui leur
était due les sujets victimes des fraudes ou des exactions de M. de Chanvalon. Il s'était donc contenté de
suspendre, d'une part, la marche de la procédure criminelle et d'ordonner, d'autre part le séquestre des biens
des autres accusés [...]. La remontrance du parlement était conçue en termes respectueux : [...] votre
parlement, était-il dit, ignore si le sieur Chanvalon est innocent ou coupable, peut-être Votre Majesté a-t-elle
usé de clémence à son égard [...]". La suite de cette remontrance resta vaine, la mort de la Reine, le 25 juin
1768 étouffa l'affaire.
CHAPITRE 6
A la fin de 1765, "on chercha à remédier aux suites funestes de ce projet, on reforma toutes les possibilités,
on tira le meilleur parti qu'on put des débris qui étaient restés, et l'on établit les choses dans l'état où elles étaient
auparavant".
En septembre 1765, Fiedmont fut nommé gouverneur, il le fut jusqu'à sa mort en 1781. Son administration fut
caractérisée par la consolidation d'une colonie qui conserva pendant plusieurs années les marques de l'aventure de
Kourou. Il affectionna plus particulièrement les Acadiens, il passait, malgré les reproches du gouvernement, 6
mois de l'année dans l'ouest du pays.
On peut estimer à quelque 500 personnes le nombre de ceux qui survécurent et s'intégrèrent après le désastre
de Kourou. La population comptait alors environ un millier de blancs et 7000 esclaves. A chaque départ de bateau,
quelques colons traumatisés ou à la santé déficiente quittaient la Guyane. En retour quelques autres arrivaient car
plusieurs tentatives de colonisation se poursuivirent sous la pression de Choiseul-Praslin.
Ainsi le baron de Bessner ne resta pas inactif. A Cayenne entre 1765 et 1766, en 18 mois, il fit deux tentatives
d'établissements : une sur la rivière de Kourou et l'autre sur l'Oyac. Au début ce fut un succès, mais la mésentente
entre les colons régna rapidement. En effet, avec Choiseul, ils avaient voulu instaurer un régime féodal, dit "de
baronnie" totalement inadapté pour le pays. Les colons en désaccord, se dispersèrent. En 1768 il ne restait plus
aucun vestige de ces essais.
En 1767, il tenta une nouvelle expérience avec des soldats de la garnison. C'est à cette date que fut créé
Tonnegrande. Ce village était composé d'un caporal, d'un appointé, et 12 fusiliers. Il était placé sous la
responsabilité du lieutenant Tournay. Les hommes devaient travailler 4 jours par semaine et construire 12
habitations. Au début, ce fut une réussite mais le 29 septembre 1768, le lieutenant mourut et tout s'écroula.
"Il se présente continuellement un grand nombre de soldats pour demander la permission de s'établir en
qualité d'habitants. On est par conséquent maître de choisir et de ne composer les nouveaux établissements que
de sujets acclimatés et propres à la culture. Les terrains qu'on leur donnera seront éloignés du terrain des nègres,
la fréquentation de blancs à nègres serait purement nuisible. Ces terrains sont bien placés à 10 ou 12 lieues de
Cayenne. Il sera formé par les Indiens avant installation, de grands abattis proportionnés au nombre d'hommes
et construit de grands carbets. Chaque colon pourra cultiver comme il voudra le terrain qui lui aura été concédé
en propre pendant les trois jours qu'il ne doit pas à la commune. Les soldats qui s'y établissent jouissent de la
ration et de la paye pendant 18 mois et se voient attribuer les outils nécessaires. Ils doivent s'assembler tous les
dimanches pour être exercés au maniement des armes, et un caporal devra marcher à leur tête partout où le
service du Roi l'exigera; les paresseux seront renvoyés dans la garnison. Le caporal sera chef de village". Ce
projet a été jugé un peu trop militaire pour réussir1. Le comte d'Ennery fut envoyé de la Martinique pour une
inspection. Il ne fut pas convaincu par les réalisations de Bessner. Il tenta lui même une expérience : installer des
blancs à Chanflor, à la Martinique, certains venaient de Cayenne. Plusieurs listes nominatives nous le précisent,
on les retrouve par la suite à Cayenne. Cet essai de colonisation fut également un échec.
En 1776, Bessner qui visait le poste de gouverneur se lia avec des savants, des financiers, des gens de cour et
affabula sur la Guyane, pour obtenir des crédits, afin de rééditer, sous une forme peu différente l'intégration des
nègres marrons du Surinam à Counamama. Ce fut un nouvel échec pour cet éternel faiseur de projets.
Toujours sous l'impulsion du duc de Choiseul-Praslin, Dubuq avait dirigé en tant que directeur de
l'administration des colonies, une nouvelle compagnie pour créer un établissement à l'Approuague. Avec des
reliquats du matériel de l'expédition de Kourou ils tentèrent de rééditer la même expérience. Le plan n'était pas
déraisonnable mais fondé sur beaucoup trop d'hypothèses. Le gouvernement y perdit 800.000 francs.
Une autre tentative d'installation visa les habitants du Sénégal. En effet, à l'issue de la prise de ce pays par les
Anglais, les habitants (créoles français et leur descendance métissée ) du fleuve Sénégal et de Saint-Louis se
réfugièrent dans l'Ile de Gorée restée française. Pour échapper à la misère, David, un ancien gouverneur du
Sénégal, avait émis le souhait auprès de Turgot de venir planter et cultiver des gommiers du Sénégal à Cayenne.
1 Voir annexe 17, le plan de Bessner pour l'établissement à Tonnegrande d'une peuplade de cultivateurs blancs composée de soldats de la
garnison de Cayenne.
Suite à l'échec de Kourou, le projet ne put avoir lieu. David tenta malgré tout sur ses propres deniers d'en faire
venir un petit nombre qui, si l'entreprise réussissait, serait suivi de nombreux autres.
Un premier voyage eut lieu en 1766 à bord du bateau "la Gelinotte". Il devait transporter de nombreux vivres
et des arbustes grâce à un troc effectué au Sénégal. Malheureusement, l'île de Gorée était ruinée, les vivres y
coûtaient fort chers et il devenait difficile d'acheter des esclaves. C'est donc démuni de tout qu'arrivèrent, le 24
septembre 1768, les 11 premiers colons et leurs 95 esclaves dont 20 pour David. Son agent, le Bruis, les installa
en face de 1 'habitation de David au Pardon, sur l'Oyac. Aucune construction n'avait été prévue. Ils réussirent
cependant à survivre en s'installant tant bien que mal. Un deuxième convoi arriva le 18 mars 1769, avec 9 hommes
libres et 107 esclaves dont 67 pour David et 12 pour être vendus. Les libres demandèrent à être assimilés aux
blancs vis-à-vis de la loi, on leur refusa en les assimilant aux mulâtres et nègres libres de la Guyane. Suite à leurs
plaintes et aux correspondances échangées avec ceux restés à Gorée, il ne vint qu'un autre contingent de 6 libres
et 47 captifs. En 1771, Marianne Vergesse, de la paroisse Notre-Dame de Roura, fille de dame Loeillet, de Gorée,
demandait une concession sur un terrain situé au carrefour de l'Orapu et la Counana. Ainsi plusieurs firent souche.
En 1765, les habitants de Saint-Vincent voulaientt fuir la domination anglaise, plusieurs essayèrent de
rejoindre la Guyane, certains réussirent.
En 1766, le roi nègre Guiguin de Badagrie, ancien royaume sur le fleuve côtier de Osso, dans l'ancienne
Guinée Anglaise, écrivit à la Cour de France pour proposer un traité de commerce et s'engagea à fournir 1.500 à
2.000 esclaves par an. Le projet ne fut pas pris au sérieux.
Les seuls essais de colonisation qui réussirent à Cayenne furent ceux de particuliers. Il restait à Kourou en
1771, 29 blancs et 114 esclaves. En 1773 des colons guadeloupéens s'y installèrent pour monter des sucreries. Ce
furent des entreprises individuelles. Ainsi en 1776, Mercier, émigré de la Guadeloupe cultivait du coton et de
l'indigo avait 56 nègres. Brouilhet de Laforest, installé à Sinnamary depuis le 15 septembre 1766 avec 7 esclaves,
faisait de l'élevage ; devant de nombreux tracas, en 1784 il partit pour la Trinité avec sa belle maîtresse créole. A
cette époque à Sinnamari on comptait plus de 1000 têtes de bétail.
En 1777, Madame Adélaïde de France, fille aînée de Louis XV, née à Versailles en 1732, morte à Trieste en
1800, joua un rôle important dans la politique sous le règne de son père. Elle fit obtenir des concessions sur la rive
droite du Mahury, à côté de l'habitation la Marianne, par l'intermédiaire de son représentant Loeffler. Malouet,
intendant de la Guyane de 1777 à 1779, fut chargé de mettre à exécution les vues personnelles de Madame
Adélaïde sur la colonisation de la Guyane. Sa désignation ne fut pas innocente : il avait été son chef de cabinet
autrefois. Dans ce cadre avaient demandé et obtenu des terrains : le comte de Broglio, la marquise de Roneei, la
princesse de Bergues, le comte Charles du Luc, le comte de Merle, le marquis de Lambet, la comtesse de Narbone,
la vicomtesse de Castellane, l'abbé Bon, le marquis d'Ambor. Ces concessions se trouvaient en terre basse. En effet
leur culture étudiée par Kerkove depuis 1750, et après des essais en 1769, s'avérait rentable, la canne à sucre, le
riz etc... y poussaient abondamment. Macaye, Patris, Prépaud s'y livrèrent également. Mais cette culture
demandait des dépenses considérables. Elle ne fut vraiment commencée à Cayenne qu'en 1780 et par les habitants
de l'Approuague en 1782. En 1786, le roi annonça des récompenses et le titre de premier colon à ceux qui s'y
livreraient.
En 1787, Terrasson qui venait de la Guadeloupe, très actif et intelligent, cultiva du coton et aussi éleva du bétail
avec beaucoup de succès. Il adopta une petite tribu de 59 indiens à laquelle il permit de rester sur ses terres à
Courouabo et il leur enseigna la culture.
En 1788, "le gouvernement voulait dessécher les terres basses de l'Approuague, c'est ce qui a fait tomber le
Duc de Castries". Des rapports, des plans des plus complets furent adressés au ministre de la marine, on lui montra
le beau côté des choses, mais on eut soin de lui cacher ce qui était défectueux. Sans examen préalable, le ministre
pensait que cette colonie allait devenir intéressante et qu'il n'y avait plus qu'à planter, semer et recueillir. Persuadé
de cette vérité, il adressa une lettre officielle au commissaire des ports et arsenaux de la marine tendant à inviter
les capitalistes d'Europe à passer à Cayenne pour y faire valoir les terres basses de l'Approuague, d'Oyapock qu'ils
trouveraient toutes nivelées. Ce nivellement pris au sens strict du mot fit croire aux étrangers que ces terres étaient
déboisées, essouchées et desséchées, préparées et n'attendant plus en un mot que des cultivateurs courageux. Rien
n'était en état sauf la rive droite de l'Approuague, les terrains attendaient la hache du cultivateur pour être dégarnis
des palétuviers et des palmiers pinots, ce qui aux yeux d'un nouveau débarqué "représentait l'hydre qu'il désespère
d'anéantir". Cette invitation amena quelques spéculateurs, qui demandèrent les avances et les encouragements
promis à ceux qui tenteraient l'aventure, et des concessions de terrains nivelés, mais il fut impossible de répondre
à leur demande ...
Cette période vit également le retour et l'implication de certains des acteurs de l'expédition de Kourou. C'est
Fiedmont qui demanda le retour et la présence de Préfontaine en Guyane. Il désirait que "Préfontaine fut à
Cayenne pour l'aider à tirer parti des débris de la nouvelle colonie". Il pensait que "Préfontaine sacrifierait sa
fortune, sa santé et même sa vie pour le succès de ces nouveaux établissements, il a l'expérience nécessaire pour
1E n t r é e d e s R i v i e r e s
)D'ODYAPOCO E T D E
COURJPI.
Durant la même période se posa de nouveau le problème cher à Préfontaine et qui avait été à l'origine de
l'affaire de Kourou : le devenir de noirs marrons du Surinam.
Depuis longtemps, les Hollandais étaient confrontés aux désertions de leurs esclaves. Regroupés en bandes
armées très dangereuses. Chez eux, les conditions de vie des esclaves étaient beaucoup plus dures car ils étaient
Ê K T m D E LARiVIERE
B D ' À P R O U A K 1
p. Situer d a n f la Guyane , 1
Les trois acteurs principaux, Turgot, Chanvalon et Préfontaine, moururent tous avant la Révolution
Turgot décéda en 1788. Peu avant sa mort il dit en s'adressant à ses enfants : "Surtout recommandez bien qu'on
ne fasse pas mon éloge". Son château de Bons fut détruit pendant la Révolution, sa tombe en France fut profanée
et violée. Cependant les habitants de la région protestèrent. Le Comité de Salut Public ordonna la restitution de
ses biens confisqués à son épouse, "pour permettre à sa famille de faire le bien comme elle l'avait fait
auparavant".
On peut dire de Turgot qu'il vécut en faisant le bien sans faiblesse et sans reproche.
Chanvalon jugé et emprisonné par ordre du Roi en 1767, élargi en 1776, sera réhabilité en 1781. Il est mort à
Paris le 21 janvier 1788, dans un hôtel modeste "l'hôtel des trois Cantons" paroisse de Saint-Roch. Pour vivre il
percevait une pension annuelle de 10.000 livres payable de six mois en six mois par le département de la marine.
Seul Préfontaine fut inhumé en Guyane sous les décombres de l'hôpital de Kourou où avait été construit une
chapelle. Le registre des décès porte la mention suivante.
"En l'an 1787, le vingt-sept août, à été inhumé au cimetière de ce poste dans la Chapelle ci enfermée du Saint
Sépulcre, p a r nous prêtre servant le dit poste, soussigné, le corps de Jean Anthoine Brûletout de Préfontaine,
décédé à son habitation de Préfontaine sur la rivière de Kourou, âgé de 70 ans environ, chevalier de l'ordre royal
de Saint Louis, ancien Lieutenant-colonel d'infanterie, ancien commandant en second de la partie Nord de la
Guyane Française et commandant au poste entier de Kourou, en présence de M. Joseph aimable Rondeau
capitaine d'infanterie, chevalier de Saint Louis, François Gallet conseiller au conseil supérieur de Cayenne, Jean
François Michon garde magasin général de la colonie, qui ont signés avec nous et Godin curé".
Sur les murs entourant son tombeau sera peint une fresque2 représentant le jugement dernier. Louis Ange Pitou
dans son livre "Voyage forcé à Cayenne" écrit :
"Nous n'avons qu'un pas à faire pour voir la grandeur des tombeaux que l'on creusa. Rendons visite aux morts.
Au milieu de l'asile de silence est une chapelle très solidement bâtie des débris de l'hôpital de la colonie de 1763,
et couvert de palmistes ; l'obscurité que le hasard y ménage, imprime le respect et fixe l'attention. Nous y entrons
après avoir lu sur les deux battants de la porte : "Temple dédié à la bonne mort ". Un autel fait face ; à droite un
vieux guerrier, grossièrement modelé en terre, laisse tomber son casque et parait s'ensevelir, en disant aux curieux
: <Vous viendrez ici avec moi>. A gauche une femme modelée de même, joint les mains, et bénit le moment qui la
délivre de la vie. Le jugement dernier est grotesquement barbouillé sur les murs ; Dieu y descend au milieu d'un
nuage de lumière, précédé de l'ange qui sonne de la trompette : <Morts levez-vous>. L'enfer à la gauche de Dieu
est représenté p a r un feu ardent où la justice divine précipite les prêtres, des cardinaux, des papes, quelques rois,
et très peu de militaires. Ainsi chacun se fait une idée de Dieu suivant son intérêt. Qui repose ici ... ?.... C'est M.
de Préfontaine et son épouse.... L'admirateur de Voltaire, le bel esprit de Cayenne, l'auteur du plan de la colonie
de 1763".
Sur la tombe de Préfontaine aurait été inscrit par une main anonyme, mais combien réaliste :
" E n v a i n p o u r la f o r t u n e o n v e u t t o u t h a s a r d e r ,
L a m o r t v i e n t et l ' o n p e r d d a n s ce m o m e n t f u n e s t e ,
T o u t ce q u ' o n a v a i t c r u g a r d e r ,
M a i s t o u t ce q u ' o n a d o n n é r e s t e . "
2 On appelle généralement ces peintures les "danses macabres", il en existait dans beaucoup d'églises à cette époque.
CONCLUSION
L'expédition de Kourou, fruit d'une idée généreuse, fut confiée "à des hommes, guidés par l'intérêt personnel
et l'appât des richesses sans qu'ils soient limités par des obstacles qu'il est pas possible à l'humanité de
surmonter".
En effet, ignorée par le traité de Paris, précédée par sa renommée d'Eldorado, suffisamment vaste pour pouvoir
accueillir de nouveaux colons, la GUYANE apparut dès 1762 comme un champ d'expérience idéal. Selon Louis-
Ange Pitou "Le sol de la Guyane renommé depuis un siècle, servit à faire revivre le système de Law sous une autre
forme". En fait elle fut la victime de deux volontés parfois contradictoires : l'une cherchant à obtenir une revanche
contre l'ennemi anglais en créant une colonie française puissante au coeur des Amériques, l'autre visant à
l'expulsion des Jésuites dans le cadre d'une offensive générale des Jansénistes.
"Les malheurs arrivés à la Guyane en 1763, 1764, 1765 prouvent combien on doit se méfier de tout nouveau
projet en matière d'administration. Ce qui semble promettre le plus d'avantages est souvent celui qui mérite
l'examen le plus sérieux et rien n'est si à craindre que l'enthousiasme des auteurs de projets. Même sous le couvert
du patriotisme, leurs manières de voir restent dans le cercle de leurs idées sans jamais le franchir pour en voir
les suites dangereuses"l.
En 1763 ce fut le projet d'un habitant nommé Préfontaine utilisé comme prête-nom, qui fut choisi avec de
profondes modifications. Mais "l'impéritie, l'imprévoyance dans les détails de l'exécution surpassa encore
l'extravagance du plan".
Pourtant ce plan qui bénéficia de moyens suffisants, voire extraordinaires pour l'époque, aurait pu réussir, si le
choix des hommes pour l'exécuter avait été plus judicieux. On y vit tout à la fois :
- Un chef timoré bien que compétent qui débarqua 18 mois après le premier colon : TURGOT.
- La désignation d'un responsable chargé de préparer l'arrivée de l'expédition. Honni par l'ancienne colonie, sa
présence détourna du projet toute la population : PREFONTAINE.
- Le choix d'un intendant faisant illusion par ses travaux en Martinique, par sa participation active au projet et
par ses capacités intellectuelles. Il s'avéra plus apte à la concussion qu'à la gestion, à l'atermoiement qu'à la
décision : CHANVALON.
"Ainsi le gouvernement français voulut agir plus en grand afin de recueillir tout de suite le fruit de son
entreprise. Il ouvrit un champ vaste à l'ambition et à la cupidité... La colonie de KOUROU coûta trente-trois
millions. Tout échoua par la mauvaise administration des chefs et le brigandage des commis et des fournisseurs,
et plus encore par la mésintelligence de Turgot et de Chanvalon... Mais comme on avait été pris au dépourvu... la
peste commença ses ravages, les fièvres du pays s'y joignirent et la mort frappa indistinctement." (Louis-Ange
Pitou)
Pouvait-on honorer les victimes sans accuser les coupables ?
Les leçons du passé devraient servir à édifier le présent. Les victimes gisent en terre guyanaise, rien ne rappelle
leur présence : elles furent des milliers, mais n'eurent pas de sépultures décentes !
Habitant la Guyane depuis des années, j'ai acquis la conviction que l'histoire de l'expédition de KOUROU ne
nous est parvenue que partiellement. Sortis de leur contexte, certains faits ont pu être différemment interprétés.
Sans prétendre au monopole de la vérité historique, j'ai tiré mes arguments d'une connaissance précise des lieux.
Une étude des documents officiels, dont les dossiers personnels des acteurs, même les plus modestes, conservés
à la Bibliothèque Nationale, aux dépôts d'Archives Nationales, Départementales, de l'Outre-Mer, de la Marine, de
l'Armée de Terre et des Jésuites m'ont été très utiles.
Mes conclusions diffèrent sensiblement de tout ce qui a pu être dit sur ce sujet. Elles portent tant sur les
victimes, que sur les rescapés et sur l'impact qu'eut cette affaire sur la Guyane.
Dans la société comme au spectacle, on s'attendrit toujours sur qui tombe le malheur. L'humanité a été bafouée.
Huit mille colons sont morts. Certes, ils ont été victimes de leur crédulité. Au Siècle des Lumières, il faut bien le
reconnaître que certains croyaient encore à l'Eldorado... Mais la misère était et reste mauvaise conseillère.
1 Mémoire sur les établissements exclusifs des épiceries à la Guyane 1775. (DFC carton 62 N° 108).
L'affaire fut dissimulée au peuple. Pourtant ceux mis au courant ne furent pas autrement choqués car à cette
époque on faisait encore peu de cas de la vie humaine... surtout de celles des gens de modeste condition. Il y eut
peu de morts parmi les colons les plus aisés. Quant aux responsables civils et militaires, non astreints par une
fonction officielle, ils avaient depuis longtemps pris le large. Souvent on chercha vainement prêtres, médecins,
notaires... et personnes de bonne volonté. Il y en eut, mais peu.
Heureusement tous les colons ne moururent pas. Les mille survivants relancèrent la colonisation sous une
forme plus adaptée.
Les Indiens furent aussi les victimes indirectes de cette catastrophe. Habitués par les Jésuites à un mode de vie
à l'européenne, ils refusèrent la spoliation de leurs terres par la fuite au Surinam et certains se livrèrent aux pires
excès.
Contrairement à ce qui fut avancé, le projet ne prévoyait pas la suppression de l'esclavage par intégration des
nègres dans la société mais par la mise à l'écart de cette population jugée asociale. Curieusement, devant la
débandade des blancs, ils prirent bien souvent la direction des affaires... au moins temporairement. Je rejoindrai
ici les conclusions de Macaye dans un mémoire rédigé le 10 avril 1772 :
"Le trouble et la confusion qui ont accompagné l'expédition de Kourou ont dérangé l'harmonie de l'ancienne
colonie, et cette harmonie ne s'est jamais rétablie. Depuis la destruction des Missions lors du départ des Jésuites,
l'église de Cayenne s'est retrouvée sans prêtre, de tous ceux qui étaient venus il n'en est resté qu'un, il a rempli
les fonctions ecclésiastiques dans toute la colonie, cependant les peuples demeuraient partout sans culte, sans
instruction, sans pasteur. La religion, négligée, a comme disparu, et parallèlement est apparue chez les esclaves
la superstition. La perte de la religion amène la perte des moeurs et la perte des lois"2.
On aurait pu croire que l'administration française, forte de cette expérience douloureuse, tirerait les
enseignements et engagerait la Guyane dans une autre politique. Cela aurait été possible s'il n'y avait pas eu
l'ambition et l'orgueil. Sous d'autres formes et avec d'autres financements, on réédita les mêmes erreurs... Même
si les vies furent mieux préservées les rivalités des chefs engendrèrent la gabegie...
Plus généralement dans la conception même de la colonisation une faute grave fut commise. Alors que dans
ce pays vierge il était dès le départ bien évident que seul le travail apportait l'argent, on a continué à prétendre que
seul le pouvoir de l'argent apportait l'argent. La seule et véritable victime de ce contre sens fut la Guyane elle-
même.
Les Jésuites, avant 1763, avaient dû leur réussite à leur intelligence de ce principe. L'histoire leur donna raison
en la personne de Louis XV qui signifia le 24 décembre 1770 au duc de Choiseul "Le mécontentement que me
causent vos services me force à vous exiler". Le duc fut remplacé dans son ministère aux affaires étrangères par
le duc d'Aiguillon, ami des Jésuites et il avait de nombreux partisans, nobles affiliés et membres de la Compagnie
de Jésus.
Depuis plus d'une vingtaine d'années le nom de KOUROU est à nouveau présent à l'esprit de tous les Français
par l'épopée spatiale de la fusée Ariane. Belle revanche de l'histoire dont on ne peut pas feuilleter trop vite les
chapitres.
Il était de la destinée de la Guyane d'être une terre d'expériences. "Le charme maléfique semble rompu."
KOUROU et la GUYANE - carrefour pluri-ethniques - sont désormais les sentinelles avancées de l'Europe.
Tous les atouts sont réunis pour restaurer un nouvel Eldorado ...
2 C 14 R 40 F0236
Annexes
ANNEXE 1
Approuague
Le début de l'implantation des Européens sur l'Approuague remonte au 17e siècle. Les Hollandais sous les
ordres de Spranger y avaient installé "le fort des flamands" au confluent du Matarony sur la rive droite de
l'Approuague. Ils utilisaient, durant leur occupation, un chemin qui partait d'Oyapock, passait par le haut de la
rivière et par le fort pour se rendre à Cayenne. Mais ce sentier utilisé autrefois par les indiens ne fut plus fréquenté
après leur départ. La végétation reprenant ses droits, une dizaine d'année plus tard on n'en connaissait plus le tracé.
Il s'avérait particulièrement nécessaire d'établir un poste en bordure de l'Approuague. L'accès du fleuve
Oyapock par mauvais temps devenait impraticable, il fallait bien souvent attendre dans l'estuaire de l'Approuague,
lui aussi difficile d'accès. De nombreuses embarcations chargées des liaisons avec Cayenne sombraient juste après
la pointe Ouest à l'entrée de ce fleuve, appelée actuellement pointe Béhague. On donna à cette côte le nom de
"cimetière des Français". En 1737, pour pallier ces inconvénients, un projet de canal reliant l'Approuague à
l'Oyapock par Ouanari fut proposé par Folio des Roses, commandant à l'Oyapock.
Durant le début du 18e siècle, deux ou trois maisons de traiteurs et colons, soit une dizaine d'habitants, se
trouvaient établies là mais les propriétaires n'y demeuraient pas. En 1763 un chemin, qui menait à l'Approuague
passait par la crique Koura et Siony.
En 1763, Béhague y envoya des soldats pour faire des plantations afin de subvenir au besoin de la colonie de
Kourou. Fusée d'Aublet dans ses voyages se rendit à l'Approuague et écrivit à ce sujet : "Les soldats envoyés à
Approuague ont besoin d'un chef rude. Ils mangent toute la nourriture et vendent leurs effets aux Indiens et se
tiennent toute la journée dans leur hamac. Tant qu'ils auront à manger ils resteront et déserteront quand ils n'en
auront plus".
A l'issue de l'échec de l'expédition de Kourou, Béhague fit placer une trentaine de familles allemandes sur le
Matarony. Le premier commandant des travaux se nomma Jean Marie. Cette colonie réussit, puisque entre 1765
et 1772, les registres paroissiaux conservent la trace de 327 actes de naissances, mariages et décès. Le dimanche
22 juillet 1765, un mariage collectif de 16 couples fut célébré par l'abbé Destable qui desservait occasionnellement
la paroisse. La première personne décéda le 11 mars 1765. Jusqu'à la fin de l'année on enregistra 45 décès, tous
étaient des Allemands. En 1766 les naissances et mariages redevinrent normaux en fonction de la population, et
l'on constata qu'à leurs côtés vivaient beaucoup d'indiens baptisés. Par contre entre 1767 et 1773, beaucoup
moururent.
Pour réussir à retenir et encourager cette petite colonie, le quartier fut organisé, Rousseau capitaine en fut
nommé premier commandant ; Andress Carrerot lui succéda. Barjon et Joubert en étaient les chirurgiens et
Benoist le garde-magasin ; c'est lui qui tenait les registres paroissiaux. Cependant les administrateurs se
plaignaient du manque de courage des nouveaux colons.
En 1783, les registres dénombrent la présence de beaucoup d'indiens et de personnes originaires de la
Guadeloupe.
Macouria
La première implantation de colons remonte également au 17e siècle. De belles sucreries y furent recensées.
En 1749 un projet d'un canal de jonction entre les rivières de Macouria et de Timouthou pour rejoindre Cayenne
vit le jour. On commença les travaux, mais un gros rocher dont on ne put venir à bout les interrompit.
Ce fut seulement vers l'année 1750 que d'Orvilliers et Lemoine envisagèrent le projet d'établir une paroisse
dans un des quartiers de Macouria, Kourou, Timoutou ou Montsinéry, compte tenue des difficultés d'éloignement
et de communications. Le choix fut porté sur le projet d'un établissement au centre de la paroisse de Macouria, au
pied du Morne Le défaut de prêtre en fit suspendre l'exécution. A cette époque 40 habitants et 200 esclaves
peuplaient la région.
Le 18 août 1770, Préfontaine proposa de céder un terrain situé au pied du Morne pour la fondation de la
paroisse Saint Jean-Baptiste1. La côte à l'ouest de Cayenne à cette époque n'avait pas subi l'envasement qu'elle
connaît actuellement.
Tonnegrande
Fut créée en 1765 par le baron de Bessner2, lors de ses tentatives d'implantation de soldats paysans.
Matoury
En 1677 des colons habitaient la "côte de Matoury" entre la montagne et le long de la rivière de Cayenne ainsi
que sur le mont Paramana. Ils communiquaient par le Mahuri appelé autrefois Oyac. Ils accédaient à leurs
propriétés par des criques. Ainsi, Dunezat habitait en face du petit-Cayenne sur la rivière du même nom. La pointe
Mercier sur le Mahuri était appelée vulgairement la Descoublandière du nom du propriétaire M.d'Escoublanc de
la Rougerie. Ce capitaine d'infanterie était chargé de défendre l'entrée de la crique Fouillée. L'origine de la
propriété venait d'une concession donnée par Lamirande et Lefevbre d'Albon au nommé Pierre Burgos en date du
16 décembre 1733. Elle avait 1000 pas sur 800 de large, délimitée par la crique Cabassou, l'Oyack, la crique Torse,
soit 80 carrés, non compris les 50 pas du Roi, occupés par les batteries de défense. M. et Mme Descoublanc la
vendirent à Guisan, ingénieur agronome et Couturier, sous-ingénieur agronome et de la Rivière. Ils appelèrent leur
habitation le "Trio" qui donnera plus tard le nom au fort Trio. Pour s'y rendre ils empruntaient le chemin de la
levée, à Matoury, qui existait en 1740.
Le chemin qui partait de Cayenne pour rejoindre la rivière du tour de l'île passait par la montagne du Tigre,
Cabassou, l'ancienne briqueterie Gibelin, puis la montagne de Matoury.
Stoupan
tire son origine de Monsieur Boulard dit "Estoupan" qui acheta en 1813 un terrain sur la gauche du Mahuri.
Oyapock
Occupée depuis le début de la colonisation du 17e siècle, voire au l6e, l'Oyapock attira toujours les conquérants.
Des plaines immenses bordent cette large rivière. Le gouverneur d'Orvilliers portait le jugement suivant sur
l'Oyapock L'établissement d'Oyapock n'est point à négliger, il serait même à désirer qu'on y eut travaillé
efficacement depuis des temps. Ce poste est la clef de la colonie, si dans des temps troubles l'ennemi s'en saisissait,
Cayenne succomberait infailliblement. J'ai eu l'honneur de vous faire cette observation plusieurs fois. Elle m'a
paru si évidente, que ne doutant pas de votre approbation à un établissement si nécessaire, je pris le parti l'année
dernière, comme j'ai eu l'honneur de vous en rendre compte, d'y faire passer une compagnie. En conséquence,
bâtiments, casernes, maisons d'officiers, magasins pour les approvisionnements et hôpital y ont été construit".
En 1725 un détachement, composé du capitaine Résigny, de l'enseigne Portal accompagnés d'un sergent et de
23 soldats, y construisit des maisons. Puis en 1726 des engagés venus de la Martinique, accompagnés de Scanlam,
aumônier irlandais du navire le "Portefaix" s'y installèrent. L'implantation des Jésuites remonte à l'année 1727.
Ensuite vinrent une dizaine de soldats qui prirent des indiennes pour épouses, mais ce fut un échec. En 1737 le
Père Fauque, curé du lieu, avec quatre autres pères avait construit une église et installé deux missions. Les pères
Dayma et Besson desservaient la première, "sous l'invocation de Saint-Paul", le père Dauzillac la deuxième sous
"l'invocation de Saint-Joseph". Dans l'ensemble on y dénombrait 23 indiens, 10 femmes, 10 garçons, 7 filles, 102
nègres ou indiens esclaves et 15 négrillons. Les indiens qui venaient, s'installaient, recevaient le baptême et
repartaient aussitôt au Brésil chez les Portugais. Les Jésuites réussirent à les protéger contre l'alcoolisme que les
blancs leur amenaient, mais ils ne purent réussir à empêcher les blancs d'aller en chercher pour faire des travaux.
Ils restaient ainsi à leur service de manière saisonnière, quelquefois six mois, mais n'étaient payés que deux ou
bien souvent pas du tout.
Du 26 août au 6 septembre 1738, Régis, commandant le poste, fit ouvrir une piste vers l'Approuague par les
indiens.
Les registres paroissiaux de ce lieu débutent en 1738. L'ancien fort Saint-Louis de l'Oyapock se trouvait avant
l'entrée de la crique Tokoyenne, devant l'emplacement de hôpital. Comme sa position ne permettait pas de voir
l'entrée de l'embouchure du fleuve, des soldats se tenaient dans un petit poste, détaché en aval au lieu-dit pointe
Vigie, ce qui permettait d'observer l'entrée de la rivière. Le poste d'Oyapock construit "fourche en terre", avec du
bois coupé sur place, fut tenu pendant dix neuf ans. En 1740, ce fort devait être transféré sur le mont Lucas, mais
cela n'eut pas lieu.
En 1744, un corsaire anglais attaqua le poste. Le fort et les habitations furent détruits et le Père Fauque alors
recteur fut fait prisonnier et emmené. Il fut relâché à hauteur de Macouria, après que les Anglais eurent incendié
la sucrerie Gillet.
Rémire
Considérée comme le berceau de l'implantation coloniale en Guyane, par la position fortifiée de sa montagne,
Rémire attira de tous temps les colons. Malheureusement, le manque de profondeur d'eau et la qualité de son
mouillage le long des côtes ne permit pas de créer un port.
La Compagnie de Paris fut à l'origine de la création de l'ancien village de Rémire en 1652. Des juifs bâtirent
un fort durant l'occupation hollandaise4. Par la suite ce fut le domaine réservé des riches colons et des Jésuites.
C'est ici que la première église du pays fut construite sous le vocable de "Notre Dame de l'annonciation de la
Vierge Marie". En période de troubles, sur l'habitation le "Diamant" de la famille Drouillard, une plate-forme
servait à placer quelques canons. Après la Révolution, il y sera construit un fort "Diamant".
Roura
Il fut créé vers la fin du 17e siècle. Il semble possible que l'appellation de ce quartier provienne de la
déformation du nom d'origine d'une peuplade indienne, "les Arouas" qui y vivaient alors. La localité fut érigée en
paroisse en 1725. Un chemin partant vers l'Est, auparavant fréquenté par les Indiens, permettait de se rendre à
l'Approuague et l'Oyapock sans passer par le fleuve. Il portait le nom de "chemin du Roi". Il en existait un autre
en dessous de la montagne des Anglais qui allait de la Jubilation à Tourémé puis la Marée. Le nom de montagne
des Anglais provient de son premier habitant, Antoine Langlais, major à Cayenne, marié à Marie Margot dans les
années 1700. Les Indiens nommaient cette montagne "Manoumary", elle servait de retranchement dans leurs
guerres fratricides. C'était une montagne dite "couronnée". De nombreux polissoirs sont visibles dans les roches
environnantes. Sur un rapport de bornage, Molinié arpenteur, notait vers 1740 "que la montagne de Langlais
possédait 3 roches sur lesquelles avaient été gravées par les indiens des visages humains.
Dupas de la Manceliere, major de la place à Cayenne entre 1750 et 1760, possédait les terres de la Gabrielle,
de la Marée, ainsi que les terrains de la crique Miriacca.
En suivant le Mahuri, sur sa droite, la Marianne, une immense bande de sable marécageuse fut de tout temps
convoitée. On l'appelait indifféremment Marianne ou terrain de l'Islet, elle appartenait à Gaspard Poulin, mais une
partie fut longtemps occupée par Macaye et Duchassis sur simple permission de Claude d'Orvilliers du 30 juin
1722. Une importante sucrerie y était établie. Cependant après le décès du propriétaire les héritiers revendiquèrent
leurs parts, ce qui en provoqua le déclin. En 1764, on y dénombrait 60 chevaux.
Le seigneur Sonnini, cadet des troupes nationales, trouva un chemin pour se rendre de Marianne à la Gabrielle
et, en 1774, on y creusa un canal de trois pieds de large sur 2,5 de profondeur mais il ne fut jamais utilisé.
On s'aperçut que la culture en terre basse devenait d'un bon rapport, alors on entreprit le dessèchement des
terres entre la Marianne et l'océan. Il fut commencé par Neuville. Ensuite le terrain fut réservé au Roi pour faire
un établissement pour sa fille, Madame Adélaide de France.
Depuis longtemps les gouverneurs qui se succédaient voulaient relier Cayenne à l'Oyapock par un canal
parallèle à la côte. En mars 1789 eut lieu l'ouverture du canal de Mahury à Kaw, le canal d'Alais et le canal de
Varenne, de Kaw à l'Approuague. Jacques Martin de Bourgon, colonel d'infanterie, puis gouverneur de la Guyane
et M. Pierre d'Huinet de Varennes, commissaire des colonies et ordonnateur, annoncèrent, "Ce sera un canal de 14
lieues, il y aura un grand nombre d'habitations considérables pour la culture du coton. Le canal sera ouvert par les
ateliers du Roi, vis-à-vis et dans l'aire du vent Est et l'embouchure de la rivière de Cabassou. Il rejoindra la rivière
Sinnamary
Les Anglais demeurèrent entre 1654 à 1664 à Sinnamary, et en 1677 les Hollandais en furent chassés après
une courte occupation. Ils eurent cependant le temps d'y construire un fort à quelques lieues de l'embouchure du
fleuve.
Les Indiens évangélisés occupaient des terrains le long du fleuve Sinnamary et cultivaient l'abattis sur une
longueur assez importante en amont de la mission de Saint-Mathieu-des-Apôtres. Fin 1764, trois cents colons de
l'expédition de Kourou, s'installèrent à Sinnamary. Ils furent suivis en mars 1765 par des Acadiens, des anciens
habitants de l'Ile Royale, accompagnés de quelques Allemands alliés avec eux par le mariage et de quelques
orphelins recueillis par ces familles. Certains de ces Acadiens étaient nés en Angleterre mais beaucoup à
Louisbourg ou à l'intérieur de l'Ile Royale. Les familles allemandes installées début 1765 retournèrent à Cayenne
dès le mois de mars. Des Acadiens partirent en France sans permission, ou furent enlevés avec leur consentement
par les Anglais. Le Père Ruel, curé itinérant pour la colonie, tenait les registres paroissiaux. Quelques décès furent
constatés la première année, treize morts en mars, quatre en avril, quatre en mai, six en juin, six en juillet. Ces
décès n'étaient pas dus à une épidémie, mais uniquement au grand état de fatigue dans lequel se trouvaient ces
nouveaux habitants. Le 28 novembre 1765 il y eut cinq mariages groupés. En 1766, dix mariages, douze
naissances, et dix-sept morts.
"La Bienvenue", pirogue du Roi faisait la navette le long du fleuve pour ravitailler les colons.
En 1788, des habitations bordaient le fleuve depuis son embouchure et jusqu'à trente kilomètres en amont. Les
Européens occupaient les dix premiers kilomètres. Les Indiens, au milieu desquels se trouvait installé Guy de
Marcenay, étaient au-delà. En 1787, on y dénombrait 289 habitants.
L'attitude des Jésuites vis-à-vis de la population blanche pendant la première moitié du 18e siècle, permet de
mieux comprendre son implantation en Guyane. En effet, au début du siècle, l'origine des colons changea, on vit
apparaître des habitants issus de bonnes familles, anciens officiers ayant servi bien souvent dans le pays. Ils
s'associèrent. S'ils ne possédaient pas assez d'argent, ils empruntaient à la caisse du roi. Ils venaient s'ajouter aux
anciennes familles de Hollandais et aux quelques trafiquants ou anciens flibustiers reconvertis. Mais certaines
habitudes avaient été prises et quand les Jésuites voulurent arrêter le commerce entre les Français et les Indiens,
ils y perdirent momentanément leur popularité.
Petit à petit, les Jésuites firent tout pour pallier le désordre de l'administration en place. Ils allèrent jusqu'à
exploiter les ressources de la nature environnante en mettant en oeuvre leur génie pour la survie de leurs missions.
Ils servirent d'exemple aux colons les plus laborieux et allèrent même jusqu'à leur prêter de l'argent, et les associer
en leur confiant la gérance.
Cette organisation adaptée au pays était nécessaire pour un juste équilibre. Ils détenaient le pouvoir spirituel
et possédaient l'argent d'où leur très grande influence. A partir du moment où ils atteignirent un niveau d'aisance
et de stabilité, ils dirigèrent par personnes interposées et définirent les règles. Il ne leur restait plus qu'à s'emparer
1 la montagne des Pères, était nommée par les indiens "Ouibou", et la crique des pères "Ereouarou".
2 Truies.
du commerce. Déjà ils "avaient obtenu que les blancs n'aillent plus chez les Indiens que pour leur demander de
prêter la main aux travaux".
Durant l'année 1764 la plupart des esclaves des missions se trouvèrent réquisitionnés et travaillèrent au profit
de la nouvelle colonie. Une "rumeur" leur ayant appris qu'ils allaient être vendus à l'encan fit gronder la révolte.
Certains partirent dans les bois, d'autres s'embarquèrent pour les îles non sans complicités.
Plus tard, les Prépaud donnèrent leurs biens à exploiter à des marchands: Dugenouiller et d'autres. Grimaud puis
Charpenel furent leurs représentants fondés de pouvoir. Puis un des frères Prépaud en 1778 vint pour gérer
l'habitation Beauregard. Mais sa mauvaise gestion obligea sa mère, veuve entre temps, à porter plainte auprès de
Malouet par l'intermédiaire du Prince de Conti. Afin de redresser sa mauvaise gestion, Malouet fit venir de Saint-
Domingue deux bons économes raffineurs, mais il les chassa au bout de deux mois et reprit les errements
antérieurs. Le domaine tomba. Charles de Beauregard, marchand à Cayenne, l'acheta quelque temps avant la
Révolution. Il en fit le "Grand Beauregard".
Le 29 décembre 1785, Marie Joseph Motier, Marquis de la Fayette, acheta l'habitation Saint-Régis et Maripa et
48 nègres qui seront transférés sur l'habitation de Beauregard. Gratepain-Morizot, son fondé de pouvoir remit
l'argent à Doillot notaire, séquestre de l'union des créanciers des Jésuites.
ANNEXE 3
1 Ces lettres traduites en Français sont issues de copie d'archives de la Province Belge Méridionale de la Compagnie de Jésus à Bruxelles,
réf :.ms 114 VAP, boîte 3. Les originaux en Flamand sont conservés à la Bibliothèque Royale Albert 1er à Bruxelles (n 16689).
Arrivé en vue de Cayenne nous avons eu à redouter de nouveaux dangers : tout à coup le ciel se couvrait de
nuages, les vents fouettaient la mer avec tant de violence que le gouvernail céda à l'effort des vagues et se détacha
du navire. Du reste nous n'avons pas seulement souffert de la mer, des vents et des tempêtes, mais aussi de la
mauvaise odeur qu'on respirait dans le navire et qui provenait des maladies contagieuses dont un grand nombre
étaient atteints. Comme d'ordinaire on jetait à la mer les cadavres de ceux qui mouraient. Mes deux compagnons
ont été dangereusement malades; nous croyions que l'un d'eux ne verrait jamais les rivages de l'Amérique. Quand
à moi depuis mon départ jusqu'à ce j o u r je me suis toujours bien porté, grâce à Dieu; tout le monde en a été
étonné. Je dois avouer cependant que mes grosses joues brabançonnes ont beaucoup souffert et se sont fondues
en partie sous l'action d'une transpiration incessante; car ici je crois avoir plus transpiré en deux jours que je ne
l'avais fait pendant toute ma vie; de cette sorte nous n'avons pas besoin d'eau pour nous laver. Permettez-moi
encore deux particularités; la première concerne les soldats et autres (condamnés) qu'on transporte en Amérique.
Au début du voyage ces gens vivaient plutôt en brutes qu'en hommes, les soldats étaient de vrais démons, sans
religion, aucune. C'était la lie des plus indignes vauriens de toute la France que le roi envoie ici à cause de leurs
forfaits. Notre capitaine craignait, non sans raison, que ces bandits ne se rendissent maîtres du navire, supérieurs
qu'ils étaient à nos soldats en nombre et en résolution. S'ils y étaient parvenus, ils seraient allés rejoindre les
corsaires Africains, comme ils l'ont avoué après la découverte du complot. Peu à peu nous avons amené ces gens
à une vie meilleure et après une préparation suffisante, nous avons entendu leurs confessions. La seconde
particularité est relative aux poissons que nous avons vu voler, ils ne ressemblent pas mal à des harengs et
exécutent leurs vols en bandes de 20, de 60 et même de 100. Ils se soutiennent en l'air tout autour du vaisseau
tant que leurs ailes sont humides, et finissent p a r tomber sur le pont : ils ont formé un de nos plats.
Les images et les chapelets que j'ai apporté sont sans valeurs, parce-qu'on ne sait p a s les porter, car il f a u t
savoir que les néophytes portent leurs chapelets autour du cou. J'espère donc que vous enverrez d'autres plus
longs et à grains plus épais, ainsi que des écrins en cuivre, à Dunkerque pour être remis à Mme Ranjard à la
Rochelle, qui se chargera de me les faire parvenir. Sur ce je me recommande aux prières de tous.
Votre frère chéri
(Signé) Philippe O'Reilly, missionnaire de la Compagnie de Jésus.
Lettre de Cayenne du père O'Reilly du pays du diable, en Amérique, ou côte du diable vis-à-vis des îles du diable,
qui sont inhabitées, du 25 septembre 1751
Très cher frère,
Votre lettre datée du 10 mars 1751 m'est parvenue de Cayenne hier le 24 septembre. Je ne sais m'expliquer
comment mes sauvages me l'ont remise avec tant de promptitude. Je me réjouis du bon état de votre santé; pour
ce qui me regarde, Dieu merci, je me porte à souhait; je vis très heureux et très content parmi mes sauvages qui
m'aiment beaucoup, bien qu'ils me nomment balannakiri c à-d. monstre marin, j'ignore pour quel motif; peut-être
s'imaginent-ils que je suis venu ici que vomi par la mer. Je possède déjà parallèlement bien une de leurs langues
(qu'ils appellent courangalinagor hinschetacle).
Jusqu'ici cependant je ne puis pas faire grand chose car d'abord je dois tâcher de faire des hommes de mes
sauvages avant de les amener à la foi; toute leur conduite tient plus de la brute que de l'homme; en second lieu,
ils n'ont aucune connaissance de Dieu, à tel point que leur langue ne fournit pas de mot pour exprimer l'idée de
Dieu, jugez de là quelle difficulté il y aurait à amener ces pauvres gens sur la voie de la vérité. Il est vrai de dire
que j'aurais déjà pu en baptiser un bon nombre s'ils savaient ce qui est nécessaire pour recevoir ce sacrement :
j'ai baptisé quatre enfants du consentement des parents.
Vous savez que je suis arrivé à Cayenne avec deux frères et un Coadjuteur; ce dernier est mort trois mois
après; un des pères, nommé d'Averdoing après avoir reçu les derniers sacrements a eu une agonie de (12 jours)
actuellement il va un peu mieux; l'autre de nom Le Just outre qu'il a reçu un coup de soleil sur le bras à été trois
fois dangereusement malade. Quant à moi depuis mon départ des Pays-Bas je n'ai eu bien merci, rien de grave,
ce qui surprend tout le monde; je dois vous avouer toutefois que je ne me sens plus aussi fort qu'aupparavant; ce
qui n'est pas étonnant car la chaleur est excessive et souvent je suis obligé de parcourir des endroits malsains et
même de traverser des rivières; en outre ma nourriture est loin de valoir la vôtre : car au lieu d'oiseaux sauvages
ou de quelques autres mets nourrissant, il a fallu souvent me contenter d'un morceau de chien sauvage. Peu
importe du reste. Tout pour la plus grande gloire de Dieu.
Comme nos sauvages diffèrent de nous par leurs habitudes et de même ils ont une façon toute spéciale
d'exprimer l'oraison dominicale, qu'ils ne sauraient rendre que de la manière suivante.
Baba kabou ta no
Père leciel dans habitant
a yonkonce pappouroy a pouinate larba
que vous connaisse chacun, qu'il vous aime aussi
kabou a patigon, anna rombouissante
que le ciel votre maison à nous décédés
anna patigonne neigne
notre maison soit !
kabouta a, yamouigatacigne, irouara nono touppo
que dans le ciel ils nous obéissent, aussi la terre sur chacun
anna oupari aninonda ouate iteguece
de nous nourrir cessant ne soyez pas été
Il y a peu de temps le révérend père supérieur général m'a écrit et ordonné de partir dans deux ou trois mois
p o u r la rivière Maroni, ajoutant qu'un missionnaire nouvellement arrivé à Cayenne viendrait prendre ma place.
Vous me demanderez peut-être quel sera le lieu de mon séjour; je l'ignore absolument. Dieu arrangera tout pour
le mieux : et en outre c'est la sainte obéissance qui m'envoie: il ne m'en faut pas davantage. Ce que je sais c'est
que j'y serai continuellement dans le prochain danger d'être massacré p a r les sauvages; car je serai le premier
missionnaire qui ait jamais pénétré jusque là pour annoncer l'évangile : cet honneur ne me sourit pas plus que la
mort; grâce à Dieu, je suis prêt à tout. Je vous écrirai en détail sur cette nouvelle mission quand j'y serai parvenu.
Il y a un mois j'ai dû me rendre à Cayenne pour entendre les confessions d'un certain nombre de Flamands,
d'Allemands, d'Anglais et d'Irlandais qui faute de confesseur, avaient passé plusieurs années sans se confesser. Je
n'aurais jamais cru que ces langues puissent m'être utiles dans ces pays éloignés. Vers le même temps un navire
hollandais entrait au port de Cayenne : à peine en eus-je été informé que je me rendis au port; j'étais heureux
d'avoir enfin l'occasion de m'informer s'il y avait des missionnaires catholiques à Curaçao et de quelle manière
les fidèles s'y comportent. J'ai rencontré le capitaine, nommé Gravai, qui ma reçu très poliment; et me demanda
d'où j'étais venu et quelles étaient mes occupations. Il n'eut pas plutôt appris que j'étais des Pays-Bas, qu'il me
demanda avec un accent d'étonnement pourquoi les prêtres romain nommés jésuites (il ignorait que je l'étais) ne
venaient plus à Curaçao; les catholiques de l'île, dit-il, les attendent tous les jours; les pauvres gens sont depuis
longtemps sans pasteur. Pour moi ajouta-t-il, je suis né à Curaçao et je sais bien que les pères sont mort depuis
longtemps. Il me nomma ensuite plusieurs de nos pères (pères Pierre Picquene, Langemand, Corn Cloots, Bruno
Pauwels) qui avaient jadis habité cette île, et finit p a r m'inviter instamment à venir avec lui à Curaçao afin d'y
aider les catholiques m'assurant qu'il m'y serait fait aucun mal et qu'il me transporterait gratis. Je ne pouvais
assez admirer la politesse et la bonté du capitaine; mais lui demandais-je, monsieur Isaac Vaes Gouverneur de
l'île, ne m'en chasserait-il pas. Et Raspelt le ministre protestant me poursuivrait-il pas à toute outrance? Non,
reprit-il aussitôt, ces deux personnages ne sont pas à craindre p o u r les missionnaires venus de la Flandre ou de
la Hollande, mais uniquement p o u r les étrangers, comme il est arrivé dernièrement à un prêtre Romain qui avait
demeuré longtemps à Curaçao ; Sa vie licencieuse l'a fait chasser de l'île.
Le sous-capitaine ne se donna pas moins de peine p o u r m'entrainer à Curaçao. Après avoir entendu toutes
leurs raisons je leur répondis que je le ferai dès que mes supérieurs m'enverraient. Je pris alors congé du
Capitaine et allais rendre compte de ma conversation à mon supérieur : celui-ci s'intéressant vivement à la
mission me dit qu'il me procurerait des habits séculiers pour me permettre de partir; mais le navire allait quitter
Cayenne dans quelques heures, le projet échoua donc; et du reste quand même je serais parti, je n'aurais pu
séjourner à Curaçao que trois ou quatre mois; car mon supérieur qui m'aime tendrement ne voulait pas être
entièrement privé de moi. Enfin je vous détaillerai dans quelques mois cette affaire et toutes celles qui concernent
ma mission; en attendant contentez-vous de ce que je viens de relater et présentez mes meilleurs saluts à N.N. aux
prières desquels je me recommande ainsi que ma mission
Du pays du diable en Amérique, le 25 sept. 1751 Mon très cher frère
Votre frère très affectionné (signé) Philippe Joseph O'Reilly missionnaire de la Cie de Jésus
Lettre de Cayenne du père O'Reilly, de l'Amérique, près de la rivière Sinamari, le 19 juin 1753
Mon très cher frère.
Le 8 de ce mois j'ai reçu vos deux lettres dont l'une est datée du 17 janvier 1752 et l'autre du 6 janvier de
l'année courante; ainsi que les chapelets demandés: tout m'est arrivé en parfait état de conservation, ce dont je
ne puis assez remercier les bienfaiteurs et les bienfaitrices; car cette pieuse largesse m'aide puissamment à
annoncer la loi de J-C à ces peuplades barbares : je suis persuadé que Dieu leur paiera libéralement le centuple
promis dans l'évangile ; j'espère également que ce même Dieu leur inspirera encore d'appliquer leur libéralité au
soutien de ce peuple abandonné. Rien en effet n'est plus capable d'attirer au commencement ces barbares et de
les amener aux premières notions de Dieu que de semblables objets. Je vous prie donc de communiquer aux
bienfaiteurs et bienfaitrices les nouvelles que je vous transmets et de les remercier vivement en mon nom de leur
générosité.
Vous désirez sans doute savoir comment je me porte : grâce à Dieu, ma santé est aussi bonne qu'elle ne l'a
jamais été. Il est bien vrai que l'année dernière j'ai eu une légère fièvre qui m'est restée deux mois entiers;
cependant cela ne m'a pas empêché de traiter avec mes chers barbares et de remplir la tâche qui m'était imposée.
Pendant cette petite indisposition je me suis saigné jusqu'à 13 fois et à chaque fois je me tirais au moins 10 onces
de sang. Vous voyez que je suis mon propre médecin et chirurgien. Vous vous en étonnez peut-être; c'est pourtant
ainsi; et ce qui en plus, mes barbares me regardent comme le plus habile des médecins et des chirurgiens, et je le
suis en effet, comme l' expérience me l'a appris. Ces fièvres américaines ont singulièrement fait pâlir et maigrir mes
traits. Jusqu'ici je n'ai changé que trois fois de peau, en prenant une nouvelle et charmante couleur qui diffère peu
de celle des nègres; si vous me voyiez, vous ne pourriez vous empêcher de rire; et cependant mon changement de
teint m'a valu un renouvellement de vénération de la part de mes gens; ils me regardent pour ce que je ne suis pas.
Quant à ma mission, c'est le 27 août 1751 que je suis arrivé de Cayenne près de la rivière Caourou non loin
des îles des diables, comme on les appelle ici, et je me suis mis à y apprendre la langue commune du pays : je n'ai
recueilli là que peu de fruits ; mais j'ai mieux réussi auprès des nègres qui demeurent près de la mer entre cayenne
et Caourou. Tous ces nègres ont été baptisés; ils n'en mènent pas moins une vie méchante et désordonnée, plus
semblable à celle des bêtes qu'à celle des hommes . Là il m'a fallu recourir à tous les moyens et à tous les
expédients pour ramener peu à peu ces hommes égarés sur la vie du salut; et la grâce de Dieu aidant je suis
parvenu à leur faire embrasser à tous une vie meilleure. La fièvre dont j'ai p a r l é déjà a eu pour cause l'excessive
ardeur du soleil qu'il me fallait braver pour aller sans cesse instruire mes barbares et entendre leurs confessions;
plusieurs d'entre-eux demeurant à plus de 5 lieues de ma maison. Sur ces entrefaites le P. Supérieur des missions
me donna l'ordre de quitter. Il eut fallu voir ces bons nègres éclatant en gémissement, quand je pris congé d'eux
: ils me dirent dans leur meilleur français : nous pas vouler, mon Père, li courir sauvages (que vous alliez chez
les sauvages). Mon Père coeur brûler trop contre mon Père le pas fica conte nous (c-à-d nous sommes irrités
contre vous, parce que vous ne voulez pas rester auprès de nous). Mon père, vrai nous dire, sauvages tuer tout
plein mon père Caba (c-à-d nous disons en vérité que les sauvages vous tuerons certainement). Fica dont he conte
nous (c-à-d restez donc auprès de nous). Néanmoins mettant l'obéissance au dessus de moi-même je partis le 1 er
mars 1752 accompagné de quelques sauvages dans un canot formé d'un tronc d'arbre, p o u r me rendre auprès de
mes barbares au milieu desquels je vis maintenant; je courus de grands dangers sur mer et sur terre : deux fois
je faillis me noyer pendant la traversée : en débarquant je remarquais que de toutes parts un grand nombre de
barbares sortaient de leurs huttes et de leurs trous p o u r se réunir en assemblée; cette vue me fit grandement
craindre pour mes jours. En effet les barbares ayant appris l'arrivée d'un balannakiri, un monstre marin comme
ils se figuraient que j'étais, se sont aussitôt concerté sur les mesures à prendre. Une vieille femme se détacha du
groupe principal et vint à moi et se mit à boire ou du moins elle feignit de boire; la dessus elle pirouetta (c'est une
politesse des femmes du pays) et me présenta à mon tour quelque chose à boire, prévenu p a r nos Pères contre les
tentatives d'empoisonnements je refusai de goûter en prétextant que les monstres marins se contentaient d'eau
toute pure. Cette réponse la satisfait et elle se retira. Vinrent alors auprès de moi quelques vieillards que me
parlèrent de chasse et de pêche et me demandèrent en finissant ce que j'allais faire dans leur pays; vous
apprendre, leur dis-je, une foule de choses que vous ignorez; à ces mots tous le regards se fixent sur moi, et ils me
disent en ricanant : Comment, vous jeune homme, vous avez la prétention d'instruire des vieillards ! voulez-vous
donc savoir plus que les autres hommes ? Vraiment vous vous moquez de nous. Cette réplique me déconcerta un
moment, ne voyant pas trop le moyen de les convaincre de leur infériorité en fait de connaissances. Vouloir les
persuader p a r le raisonnement ou leur parler des lois de Dieu c'eût été en pure perte. Que dis-je j'aurais ainsi
exposé ma vie ou du moins ils ne m'auraient pas écouté. Que faire ? Nos Pères m'avait dit que ce peuple aime
singulièrement à jouer de la flûte, mais non pas à la façon européenne leur jeu ressemblant plutôt aux
beuglements des vaches. Par hasard j'avais sur moi une petite flûte et après en avoir j o u é quelque temps au grand
étonnement des assistants, je la présentai aux vieillards; Voyons leur dis-je, si vous êtes en état de faire autant que
moi. Un des principaux prend l'instrument et se met à y souffler de toutes ses forces, mais en vain; aucun son n'en
sortait, ce qui le rendit la risée des autres. Tous, voyez bien, leur dis-je alors, que j'en sais plus que vous. Cette
scène terminée à la satisfaction des barbares, ils me questionnèrent sur la médecine et après que j'eus répondu à
tout et que j'eusse beaucoup exalté cette science, ils me conduisirent chez un individu travaillé p a r la fièvre; je lui
tatais le pouls et le saignai ce qui dans ce pays-ci est le meilleur remède, sinon le seul, au dire d'un médecin de
Cayenne; en peu de temps le malade fut guéri et ma réputation était faite.
Disons quelques mots du genre de vie et des habitudes de ces barbares avant que je les eus réunis dans un
même endroit : leur plus grand défaut, défaut en quelque sorte inné, était l'ivrognerie qui était pour eux comme
un titre à l'estime de leurs semblables. Ce défaut était si commun que souvent ils restaient ivres trois jours durant.
Ajoutez à cela la paresse et l'insouciance : boire, chasser, pêcher, rire, chanter, et dormir voilà leur principale
besogne et l'idéal de leur bonheur. Ils ne sont ni avares ni orgueilleux : ils n'ambitionnent ni les honneurs ni les
richesses; ils ignorent même en quoi les choses consistent : ils demeuraient généralement dans les bois, divisés
en groupes ; ils n'avaient d'ailleurs aucune demeure fixe, mais erraient çà et là emportant avec eux tout leur avoir,
je veux dire rien. Jugez maintenant de tout ce qu'il en coûte de peines et de difficultés aux missionnaires p o u r
réunir ces peuplades errantes car quelques uns étaient éloignés de 10, d'autres de 15, d'autres enfin de 20 milles;
et cependant ce point est indispensable si difficile qu'il soit. Je m'imaginais d'abord que je n'en viendrais jamais
à bout ; confiant néanmoins sur le secours d'En Haut et dans la haute réputation dont je jouissais auprès des
notables, je me suis rendu auprès des vieillards de chaque groupe : partout cependant je devais commencer p a r
jouer de la flûte et rire joyeusement avec eux avant d'aborder mon sujet. Après avoir ainsi gagné leur
bienveillance, je leur parlais en ces termes : Plut à Dieu que vous vous trouviez tous en un seul lieu près de la
mer, car p o u r moi je ne puis guère m'éloigner de là ni surtout vivre dans les bois étant un monstre marin : venez
donc avec moi et là nous vivrons toujours ensemble dans la joie. Admirez comme le Seigneur sait ébranler quand
il lui plaît le coeur des hommes, ils approuvèrent aussitôt ma proposition et fixaient le jour du départ et le lieu de
la résidence commune. Nous nous réunissons le j o u r convenu et nous nous rendons dans une vaste plaine ou je
demeure encore aujourd'hui; cette plaine à 40 lieues en longueur et à partout à peu près la même largeur elle est
baignée p a r le Sinamari fleuve aussi considérable que l'Escaut; de sorte que cette situation est des meilleures
pour mes chers barbares.
Aussitôt réunis, les gens se sont mis à construire des huttes pour eux-mêmes ; je leur en témoignai toute ma
satisfaction et leur demandai de vouloir bien construire une grande hutte où j'allais les instruire, et une petite
p o u r moi. Quelques uns parmi eux avaient vu l'église de Cayenne, et ceux-là dirent aux autres faisons une hutte
semblable à celle de Cayenne. Ils se mettent aussitôt à l'oeuvre avec un grand zèle, en 15 jours la nouvelle église
était achevée, je l'ai bénite l'année dernière la vieille de la Pentecôte sous l'invocation de la Bienheureuse Vierge
Marie et de Saint Joseph, et j'y ai célébré pour la première fois le jour même de la Pentecôte.
Depuis cette époque jusqu'à ce j o u r tous viennent régulièrement matin et soir, sans en excepter un seul, pour
y faire leurs prières et y entendre mes instructions ; j'en compte plus de 230 qui ne manquent jamais aux réunions
et vivent ici ensemble. J'en ai baptisé quelques uns qui étaient bien instruits, un grand nombre qui était à la mort,
et un bon nombre d'enfants qui aussitôt après la réception du sacrement, sont morts et ont ainsi partagé le
bonheur des derniers.
Du reste je suis éloigné de Cayenne de 60 milles, et de 32 du missionnaire le plus voisin, en outre je ne
pourrais rejoindre celui-ci qu'en traversant 5 rivières rapides.
Je vous prie en finissant de remercier de ma part les bienfaiteurs et bienfaitrices qui ont montré tant de
sympathie pour ma mission et de leur faire p a r t des nouvelles contenues dans cette lettre, soyez assuré que
j'écrirai dès que j'aurai quelques nouvelles importantes à raconter. Je reste. Mon très cher frère. Votre
serviteur et frère tant obéissant
Lettre du Père Philippe O'Reilly, de l'Amérique Occidentale, près de la rivière Sinnamari, le 10 sept. 1754.
Très cher Frère.
Votre lettre datée du 16 janvier 1754 m'est arrivée le 13 août. C'est le 16 que je l'ai lue, dieu sait avec quelle
satisfaction je terminais alors les services spirituels de notre S. F. Ignace bien que je sois pour ainsi dire
constamment dans l'isolement et sans aucune compagnie humaine, je n'en ai pas moins de peine à trouver
annuellement huit jours pour me recueillir. Les derniers avertissements du Père Amelot qui m'a fait la faveur de
m'envoyer aux missions, me reviennent constamment à l'esprit, à savoir que je ne puis m'oublier moi-même il me
semble aussi entendre encore les exhortations du Père Dolmans d'heureuse mémoire, ainsi que notre S. R. P
général qui m'a honoré d'une lettre il y a quelque mois. Vous voyez par là quel compte j'aurai à rendre à notre
Seigneur si je ne réponds pas à ses Grâces.
Vous désirez savoir comment nous nous portons, mes sauvages et moi. Dieu soit loué, notre santé à tous est
bonne et quoique l'excessive chaleur du soleil m'ait brûlé le nez, cela ne m'empêche pas de travailler à ma mission;
toutefois mes pieds brûlés me gênent parfois : il m'est arrivé de n'en pouvoir faire usage 3 semaines durant, la
chaleur du sol et les rayons du soleil les ayant gonflés de trois pouces au-moins ; j'en arrachais la peau supérieure,
mais sans avance : peu importe la souffrance, si seulement je pouvais marcher : voilà ce que c'est que de marcher
sans souliers. Mais pourquoi faire ainsi ? Pour bien des raisons dont la première est que souvent je n'ai pas de
chaussures; je vous fais grâce des autres raisons; Aujourd'hui, Dieu merci, pieds, mains et visage, tout est un peu
endurci et est mieux à l'épreuve d'un coup de soleil; on a le plus à craindre pour la tête : il s'agit ici d'appliquer le
proverbe : Coer wacht un ganzen; un coup de soleil sur la tête est mortel : plus d'un d'entre nos pères en est mort
: quand à moi je suis aussi armé qu'on peut l'être : je porte toujours sur mon chef deux bonnets de gros drap
surmontés de mon chapeau : cette coiffure me donnait d'abord de légers maux de tête; si vous me voyiez, vous me
prendriez pour un des bons vieux de l'hospice. Quand je vous écrivais l'an dernier je croyais que ce serait la
dernière fois, et ma crainte était fondée ; car en dehors des autres embûches dressées par mes indiens, ils m'ont
fait avaler jusqu'à 6 fois du poison sans que j'en aie rien su. Sinon un mois après et cela de la bouche de mon petit
nègre qui avait aussi joué son rôle dans cette comédie. Ce curieux négrillon m'a été envoyé de cayenne l'année
dernière, par notre Père Supérieur pour être mon cuisinier et mon Jean fait tout. Il faut être pourvu d'une bonne
dose d'appétit pour pouvoir manger ce qui passe par ses griffes ; on n'oserait le toucher même de loin au moyen
de pincettes. Toutefois il paraît être dans ses propres bonnes grâces; il a grand soin de l'enfant de sa mère; il dit
qu'il doit goûter pour s'assurer que tout est bien cuit; mais souvent il goûte si bien qu'il mange tout le morceau.
J'ai raconté cette histoire à notre Père Supérieur qui ne put me répondre que par ces paroles de Notre-Seigneur :
Si mortiferum quid biberint nen cit noubit; s'ils avalent du poison, ils n'en serons point incommodés. Il est
néanmoins à craindre que tôt ou tard leur poison ou leurs flèches aussi n'aient raison de ma vie; et quoique je sois
déjà passablement fondu, ils trouveraient encore dans mon corps de quoi se mettre quelque chose sous les dents; et
je pense que ce met serait de leur goût. Du reste je me porte bien maintenant, comme je l'ai dit. L'an dernier j'ai eu
une petite fièvre dont je me suis débarrassé moyennant trois saignées au bras et une au pied : c'est ici un méchant
métier que d'être malade, et on l'est souvent car d'abord on n'a pas de lit pour reposer ses membres malades; mais
comment dormir alors ? On dort et on est malade dans son akkado; vous ne savez pas ce que c'est qu'un akkado, je
vous l'expliquerai; peut-être après mon explication serez vous tenté d'employer à votre tour un akkado pour vous
reposer : prenez donc un de vos drap de lit; allez au jardin, attachez les deux extrémités à deux arbres de manière
à former la figure suivante2, je pense que vous avez compris; si toutefois vous voulez vous reposer à la façon des
Indiens, il vous faut encore du feu et une flûte : la flûte sert à égayer vos insomnies dans les ténèbres; le feu à pour
but d'écarter les tigres qui sont très nombreux dans ce pays-ci et qui craignent le feu comme le diable la croix. Vous
voyez que mon lit est facile à porter : mon lit, mes ornements sacerdotaux et tout mon nécessaire ne pèsent pas
autant que les habits que vous portez journellement en hiver : quand je suis en pays sauvage mon lit est bientôt fait :
il n'en est pas de même sur le rivage de la mer où il n'y a pas d'arbres : je suis obligé alors de ficher en terre deux
pieux, et comme le sable est peu solide, je tombe parfois avec mon akkado et les deux pieux se renversent sur moi :
voilà le cavalier p a r terre. Nous dormons dans ce drap de lit sans couverture ni oreillers et très souvent sous l'azur
du ciel : vous connaissez maintenant notre attirail de nuit.
Parlons maintenant de ma mission sauvage; elle mérite bien ce nom; parcourez là en tout sens vous ne
trouverez aucun individu qui mérite le nom d'homme : dans les Flandres et le Brabant, un enfant de quatre ans
est plus raisonnable que le plus ancien des sauvages : vraiment ces belle âmes douées d'immortalité et qui ont été
rachetées aussi bien que les nôtres, au prix du sang de J-C, sont mille fois à craindre enfermées qu'elles sont dans
ces prisons sauvages. Ce qui me réjouit davantage c'est qu'ils demeurent assidus auprès de moi et ne retournent
plus dans leurs forêts, c'est qu'il viennent tous les jours si exactement avant le lever du soleil et le soir à la prière
commune que vous diriez qu'en vérité ils n'ont rien à envier à des novices et qu'ils prennent la religion à coeur.
Ils ont renoncé à manger de la chair humaine; et dans toute ma mission je n'ai plus un seul qui à plus d'une
épouse. Ma chapelle tout en ayant 45 pieds de long et 36 de large, devient trop petite : on en construira sous peu
une autre : il ne faudra pas un mois pour l'achever : mes sauvages sont expéditifs et le manque d'outils ne les
arrête pas. Mes gens semblent vouloir honorer et aimer la Sainte Vierge tous les dimanches, au voir, dans la
chapelle ils récitent à haute voix le chapelet en son honneur, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, après
cela viennent les litanies de la Vierge, les 10 commandements de Dieu, les 5 commandements de l'Eglise, les actes
de foi, d'espérance, de charité et de contrition : tout cela est chanter p a r mes sauvages qui crient comme des
aveugles et je fais comme eux.
Les fruits les plus sûr que je recueille ici p o u r le ciel sont les baptêmes des enfants dont un grand nombre s'en
vont immédiatement au ciel; impossible de trouver ici des gens bossus, difformes ou mal bâtis : ma plus grande
préoccupation est de découvrir et de baptiser ces pauvres innocents nés avec quelque défaut corporel, car ces
petits êtres sont impitoyablement tués.
J'ai dans ma mission les enfants les plus charmants du monde, à p a r t l'instinct sauvage qui leur est inné. Ils
ont beaucoup plus d'esprit et de mémoire que leurs parents : ils m'ont beaucoup aidé dans l'instruction de leurs
parents : j'ai d'ordinaire une bande de ces choux-choux auprès de moi; ils se confessent comme des hommes faits
et sont toujours les premiers à remplir ce devoir quand le temps en est venu; il y en a qui viennent quand ils
peuvent à peine parler. Vous me demanderez peut-être ce que je leur donne pour les attirer. Tantôt je leur joue un
air de flûte, plaisirs dont ils raffolent; tantôt je leur fais voir de loin un petit miroir d'un patard ou de 6 liards;
d'autres fois je montre cela de près, ou bien je permets à deux ou trois des plus sages de s'y mirer, mais je ne leur
donne pas encore le bel instrument; les autres ont aussi leur tour p o u r venir s'y admirer : quand j'ai ainsi exploité
mon miroir pendant un mois ou deux, je le donne généreusement à l'un des petits : tous alors de se précipiter pour
aller se mirer, et avant que la moitié aient leur image, le miroir est cassé. Avec de charmants enfants comme ceux-
ci il faut avoir quelque chose à leur mettre dans la main; c'est le moyen de les attirer.
Vous désirez savoir si dans ces contrées de l'Amérique Occidentale se trouvent d'autres missionnaires que ceux
de notre Compagnie; je réponds que non. A partir de l'Amazone jusqu'à /' Orénoque, fleuves près desquels se
trouvent aussi des Jésuites, vous ne trouveriez pas un seul missionnaires appartenant à un autre ordre. Il est
probable que je serai envoyé à mon tour sur les bords du premier fleuve auprès de quelques nations barbares qui
n'a pas encore entendu la bonne nouvelle : les langues sauvages que je possède déjà ne me seront là d'aucun
secours; il m'en faudra apprendre d'autres, entièrement différentes de celles que j'ai étudiées : je suis le plus jeune
et le mieux portant de tous les missionnaires de ce pays : plaise à Dieu que cela dure longtemps p o u r sa plus
grande gloire; vienne l'ordre de mon supérieur, mon trousseau sera bien vite chargé sur mes larges épaules et je
partirai; y aller sera un voyage de plaisir, y rester une kermesse; donc tout ira à souhait.
Pour finir je remercie mille fois notre chère province et toutes les bonnes âmes de ce qu'elles prient p o u r moi
je prie aussi pour elles afin qu'elles continuent à prier p o u r moi. Je vous embrasse et vous salue tous en N.S.J.C.
Très cher Frère .... De l'Amérique Occidentale ... Votre etc ... près de la rivière Sinamari ... Signé Philippe
Joseph Ô Reilly le 10 sept. 1754 ... missionnaire de la Compagnie de Jésus ... Reçue à Louvain le 21 juin 1755.
Situer les Indiens dans le contexte de ce début du 18e siècle, n'est pas une chose simple. Ce qui nous importe
est leur devenir à partir de la Guerre des Arouas. Un bref rappel est cependant nécessaire pour comprendre leurs
différents déplacements durant le 16e siècle.
Les premiers navigateurs flibustiers qui abordèrent les côtes de la Guyane rencontrèrent certaines tribus
hostiles à leur venue. La disproportion des forces et des moyens de lutte fit de nombreux massacres d'indiens et
de blancs, suivis de pillage. Les Indiens se défendirent en tuant et volant à leur tour les Européens nouvellement
installés. Mais affaiblis par le manque de vivres ils se virent décimés. Lorsque les blancs revenaient, ils étaient en
nombre de manière à faire "un grand carnage".
Dès lors, les tribus les plus proches de la côte commencèrent à s'éloigner. Au 17e siècle, des contacts se
nouèrent sous le couvert de la traite et du commerce. Les Portugais, Anglais, Hollandais et Français s'implantèrent
le long des côtes et firent alliances avec eux.
Certains mêmes prirent part à leurs expéditions guerrières, profitant de l'occasion pour faire des prisonniers
vendus par la suite comme esclaves. Indolents par nature et manquant de caractère, les Indiens préférèrent
s'éloigner et vivre de petits moyens selon leurs traditions et coutumes, plutôt que de combattre à armes inégales
contre les blancs. Cependant lorsqu'ils étaient poursuivis par les Portugais ils recherchaient la protection des
Français et vice versa.
Vers le milieu du 17e siècle on vit apparaître sur les côtes de la Guyane Française les premiers Pères Capucins
chargés d'évangéliser les Indiens. Ils avaient à peine débarqué que les Indiens les harcelèrent. Ils durent sans cesse
se déplacer puis se retirer. Cependant quelques Européens, encore enfants, abandonnés sur le littoral, réussirent à
vivre avec eux et apprirent leur langue. Les rapports de forces augmentèrent, le comportement des colons vis-à-
vis des Indiens s'améliora, ils ne virent plus les blancs comme leurs ennemis et s'allièrent avec eux. Ils acceptèrent
l'offre de la Barre leur signifiant de ne plus s'établir dans l'île de Cayenne mais sur les rivières des alentours. La
plupart furent décimés par les maladies et la guerre entre tribus indiennes prit fin en 1691. A partir de 1685, des
Indiens Arouas de l'estuaire de l'Amazone, fuyant la conquête portugaise, vinrent se réfugier en Guyane française
et s'installèrent le long des fleuves durant une période d'une vingtaine d'années.
En 1704 quatre français qui se rendaient dans la rivière des Amazones (Brésil) pour y travailler furent tués par
des Indiens soi-disant Arouas. A Cayenne, les frères de ces Arouas s'y trouvaient réfugiés depuis quelques années.
D'un caractère indépendant, ils n'aimaient pas être gênés dans leurs actions, ils avaient voulu tuer un marchand
sucrier en 1705, pour des raisons de principe. Une plainte déposée auprès du gouverneur de Férolles, le décida à
faire prendre par ses soldats les deux groupes d'indiens présents à proximité de l'île de Cayenne, pour les vendre
esclaves aux habitants. Les Jésuites apprenant la chose encouragèrent les Indiens baptisés à déserter et à s'enfuir
au Surinam. Certains se réfugièrent dans leur mission de Kourou. Cette action fut la cause d'une discorde entre
habitants, et d'une longue rivalité entre les Jésuites et Lefebvre d'Albon alors ordonnateur. L'histoire l'a retenue en
1706 sous le nom de "guerre des Arouas".
Les Jésuites portèrent plainte auprès du Roi. Son ministre Pontchartrain fit relever Férolles mais entre temps
il mourut. M. Rémy d'Orvilliers lui succéda et répara ses torts en faisant libérer les Indiens réduits en esclavage
pendant de cette guerre.
Le tableau ci-après donne une idée de ce qu'a pu être le nombre d'esclaves indiens en Guyane au début du 18e
siècle. Les Indiens libres n'ont jamais été recensés, ou il ne reste plus d'écrit. Il nous montre qu'une centaine
d'Indiens sont demeurés esclaves jusque en 1720 et peut-être un peu plus longtemps quoique les recensements n'en
fassent plus mention. Ils provenaient, d'une part des prisonniers faits dans leurs luttes entre tribus et achetés à nos
alliés indiens, et d'autre part de chez les habitants qui allaient en acheter dans l'île de Maranhâo.
La confiance revenant, en 1717, les Indiens demandèrent des concessions de terrains pour s'installer près de
Cayenne. Ce qui les attira dans les premiers contacts avec les Français fut l'utilisation des outils en fer. Des
Nouragues s'installèrent sur la rivière Orapu et Counana.
Cependant en 1732 il restait encore quelques femmes esclaves, elles avaient été données en mariage aux
blancs, ils les considéraient comme esclaves. Quelques hommes retenus comme travailleurs étaient considérés de
même.
L'arrivée de l'expédition de
Kourou mit fin aux Missions. Les Indiens à Kourou lors de l'installation des Jésuites en 1734
Indiens, prévenus par les habi- sur l'emplacement' de la Montagne des Pères.
tants montés contre Préfontaine,
s'enfuyaient pour ne pas devenir
esclaves. Fusée d'Aublet disait à
l'arrivée de Préfontaine : "Les
Indiens s'éloignent et s'en vont
tous, donnez-leur des babioles,
ils seront utiles car il connaissent
l'usage des plantes et des arbres, la nature des terres et des pierres. On les a épouvantés en leur tenant de mauvais
propos. Avant et au moment de l'arrivée de Préfontaine, Béhague fit dire aux indiens de la Comté que Préfontaine
allait les rendre esclaves. Ils avaient déjà pris la fuite et étaient chez Boudet, au confluent de la rivière la Counana
et de l'Orapu, pour aller vers Camopi. Je suis témoin de cela et du dire des Indiens, ainsi que le Sr Germain".
Préfontaine envoya Meteraud, créole indien de la colonie, pour les rechercher. Il l'avait mis à leur tête pour faire
les travaux d'installation sur le Kourou.
Il est certain que depuis le départ des missionnaires, les colons aussitôt arrivés avaient maltraité les Indiens
évangélisés qui vivaient au contact de la mission des Jésuites. Ils s'étaient jetés du côté des Hollandais ou s'étaient
réfugiés sur la Sinnamary, car les terres situées le long du fleuve étaient très fertiles et propices à l'élevage et aussi
beaucoup plus giboyeuses.
Les terres de Sinnamary appartenaient aux Indiens. Préfontaine en installant le futur village acadien se les était
appropriées. Les Indiens se retirèrent de nouveau vers le haut du fleuve Sinnamary. Des plaintes furent portées à
Cayenne : sans résultat. Là encore, leurs terres amont du fleuve furent occupées par des colons malgré leurs abatis
entretenus.
Las, les Indiens se dirigèrent vers le Surinam. Les marchands hollandais faisaient des créances aux indiens à
condition qu'ils amènent pour les payer de jeunes Indiennes, dont ils faisaient de bonnes domestiques pour la
maison. Les Galibis et les nègres marrons du Surinam firent ainsi des préparatifs pour attaquer les Emerillons en
territoire français afin de se procurer des esclaves. Les Emerillons se plaignirent à Patris lors de son premier
voyage à l'intérieur des terres en 1766. Les menaces faites aux Galibis par Brisson de Beaulieu en 1768, sur
l'estuaire du Maroni, de cesser cette chasse aux esclaves, n'y firent rien et les Emerillons durent abandonner l'Inini
pour s'installer sur les affluents de l'Approuague et sur l'Oyapock.
C'était là leurs motifs de guerre injuste et barbare avec les nations du Haut Maroni. Les hommes et les vieilles
femmes étaient massacrés, les filles et les enfants enlevés et échangés. Ils servaient à payer leurs frais de débauche.
Les Galibis et les nègres marrons du Surinam avaient fait un traité. Défense était faite aux Indiens de les
inquiéter, et ils resteraient tranquilles sur leurs établissements. Fiedmont alors gouverneur en 1776 dit :" Les
Galibis établis dans la partie nord de la Guyane se trouvaient sans missionnaire, sans culte, livrés à l'oisiveté, à
l'ivrognerie et à la débauche. Ils sont ennemis du travail, ils font de fréquents voyages au Surinam pour se
procurer de l'eau-de-vie et quelques outils nécessaires à la vie, meilleur marché que chez nous".
Par rapport aux Hollandais, la Guyane avait encore un avantage, les nations indiennes qui les environnaient
semblaient propres à chasser et à ramener les nègres fugitifs sous la promesse d'une récompense, elle fut toujours
fidèlement observée. Si les Hollandais au moment du besoin n'ont reçu aucun secours de ces nations indiennes,
c'est qu'ils les avaient éloignés de leurs possessions par des vexations. Ils s'en étaient fait des ennemis personnels,
en achetant les prisonniers que les nations faisaient les unes sur les autres.
Des Nouragues hollandais avaient demandé à venir s'installer à Sinnamary, mais il était à craindre qu'ils soient
débauchés par les Galibis. Ce fut refusé car la considération allait aux nations de la partie Sud dont on pouvait
tirer du service pour la chasse et la pêche. Avec eux on pouvait former des équipages de pirogues, obtenir des
guides aptes à conduire les détachements qui poursuivaient les nègres marrons des habitations.
En 1787, il restait 269 Indiens au Maroni. Ils étaient nombreux entre Organabo et Mana, ils parlaient français
1 C14R 16 F 21
2 Dépendant des Marones.
Les textes officiels ne nous ont laissé que très peu d'écrits sur les sangs mêlés, c'est le nom que porte le fruit
des amours d'une indigène d'Amérique du Sud, soit indienne soit noire, et d'un blanc. Il est certain que ces
hommes n'ont pu accéder à des postes élevés et se sont contentés des tâches subalternes, bien que Metteraud,
créole indien, ait été reçu officier de milice. Quant aux femmes, leur situation a dû rapidement s'améliorer, le fruit
de ces unions donnait généralement de belles filles qui trouvaient mari et richesse rapidement.
Le tableau ci joint nous montre la progression des mulâtres recensés :
3 Ref C 14 R 16 F 263.
ANNEXE 5
Le 10 novembre 1774, Macaye avait établi l'état des sucreries qui existaient à Cayenne en 1732, ainsi que les
raisons de leur disparition.
D a n s l'île d e C a y e n n e :
Mahury : cette sucrerie a été partagée par moitié entre les frères de Calvitre et Beaudouin des Petit Bois,
chacun des copartageants a vendu les terres, les esclaves et les meubles qui leur étaient échus en partage et la
sucrerie a cessé d'exister.
Loyola : cette sucrerie a été transportée sur la rivière de la Comté, au lieu-dit Saint-Régis, par les frères
Prépaud.
Montjoly : cette sucrerie appartient au Sr Boulanger de Rouen et à la dame du Chassis. Elle a été partagée
entre ces deux propriétaires. Le Sr Boulanger a vendu sa part de nègres aux Jésuites, ce qui a détruit la sucrerie.
Rémire : cette sucrerie a cessé d'être par le fait du propriétaire, le Sr Billy.
Le Pont : a cessé d'être une sucrerie par le fait de son propriétaire, lequel a vendu une partie de ses nègres et
tous les ustensiles à la dame Gillet.
Cabassou : Il en est de même de Cabassou, par le fait du Sr Picard qui s'est retiré en France et a ordonné la
vente du terrain, des esclaves, des ustensiles et des bestiaux.
La Mothe : cette sucrerie a été abandonnée pour en former deux : l'une sur la rivière de la Comté sur la Crique
de Chourou, l'autre dans la crique d'Aricamont ou de Tourémé, par feu dame de la Mothe Aigron, qui n'était
qu'administratrice des biens de feu son mari, et a "plus fait qu'elle ne pouvait faire". On a rétabli sa sucrerie à la
Mothe, mais pas dans l'état où elle était du vivant de la Mothe Aigron mort en 1733.
Paramana : était en société entre les Srs du Chassi et Macaye. Elle fut partagée et la partie échue à Madame
Duchassy, après avoir existé quelques années en petite sucrerie, a été abandonnée pour former une société avec le
Sr Coutard sur la petite rivière d'Agamy.
S u r la r i v i è r e d ' O y a c :
Tourémé : cette sucrerie a existé jusqu'en 1736, ensuite elle a été partagée entre les onze enfants de feu Tisseau
elle a été détruite par le partage.
Le Saouary : formée par les biens particuliers du Sr Courant, mais une partie des biens qui formait la sucrerie
de Cabassou qu'il avait affermé, n'a pu se maintenir.
La Comté : fondée par feu Dame de la Mothe Aigron, avec une partie des esclaves de la Mothe en société avec
feu Sr Mitifeu, a été abandonnée, et tous les effets transportés à Aricamont.
Aricamont : cette sucrerie composée de tout ce qui appartenait à celle de la Mothe et des "effets" de Mitifeu
a duré en société pendant quelques années "après l'expiration de la société, cette sucrerie composée des effets seuls
de la Mothe a existé assez longtemps en régie et a été enfin transportée à la Mothe", où elle existe encore en 1774.
L a r i v i è r e d u t o u r d e l'île :
Le Gallion : sucrerie formée des "effets" de feu Brémond et de ceux de la sucrerie Pagamon, qui appartenait
aux mineurs Bourdet. Elle a existé jusqu'en 1735, ou les "effets" des mineurs Bourdet en furent retirés, et ceux de
Brémont partagés entre ses deux enfants, d'où elle a cessé d'exister.
Tonnegrande : formée en société entre feu Sr Monsigot et la demoiselle Rollé, elle a été ensuite partagée entre
ces deux propriétaires, ce qui l'a détruite.
Timoutou : sucrerie en société entre feu Sr Tissier et la dame de Rionville. Elle a été transportée par les
héritiers Tissier à la montagne de Matoury, ensuite partagée entre les héritiers Tissier, ce qui l'a détruite.
Montsenneri : cette sucrerie existe.
Petit Cayenne : société entre Leroux et les Audiffreddy. A l'expiration de la société ils retirent leurs "effets".
Elle a été détruite.
Mapéribo : en société entre feu Kerkove et Delajard. A l'expiration de la société, la sucrerie cesse et ils se
partagent les "effets".
Saint-Pierre : appartenait à feu Gras, ses biens furent décrétés libres et vendus à différents particuliers. Les
esclaves et les "effets" ont été enlevés.
L'agamy : en société entre le Sr Coutard et Madame du Chassis. Elle cesse d'exister par le partage des effets
des associés.
S u r les anses :
Bougran et Morcan : cette sucrerie, en société a été partagée pour en former deux autres, dont une a été
détruite par les Duchassis, et l'autre transportée à Kourou par le sieur de Préfontaine. Le Sieur Molére relève celle
de Duchassis.
Gillet ou Groussou : cette sucrerie très affaiblie par le partage qui en avait été fait avec la veuve Gillet, a existé
par les soins du sieur Groussou grâce au moyen d'une société qu'il avait contracté avec le sieur Ménard. A la fin
de la société la sucrerie n'a pu être continuée.
Macouria : cette sucrerie existait encore en 1774.
En 1738 il existait 13 sucreries très médiocres. Entre 1772 et 1773, les sucreries ne produisant plus assez en
Guyane, il fallut faire appel au sucre étranger, et l'on fit venir de la Guadeloupe des sucriers.
En ce qui concerne les autres cultures, le roucou était bon mais les mauvais mélanges qu'on y préparait fit
tomber le commerce. Le café avait trop de concurrence avec celui des Iles du Vent. La culture du cacao n'était pas
aisée, la pluie faisait couler les fleurs.
Il n'existe aucun écrit concernant ces mesures, les tableaux ci-après ont été établis à partir d'extraits d'actes
notariés, de différents registres, de cartes, plans et documents divers, bien souvent par comparaison avec des cartes
récentes.
Les décrets du 31 mars 1791 et du 18 germinal an III (7 avril 1795) ont institué le système métrique.
Les anciennes mesures françaises présentaient deux graves inconvénients :
1° - Des unités portant le même nom variaient d'une province à l'autre.
2° - Les subdivisions des différentes mesures n'étaient pas décimales, il en résultait de grandes complications
dans les calculs.
Nota: La longueur du mètre par rapport aux anciennes mesures françaises est de 0,5130740 toise ou 3 pieds
11 lignes 296 millième de ligne.
Le mètre est la 40 millionième partie du quart du méridien terrestre.
Les Lieues:
C'était des mesures de distances utilisées autrefois que l'on appelait communément "lieue française à 20 ou 25
au degré ou plus". Elles variaient en fonction de la latitude à laquelle on se trouvait et suivant la valeur du degré.
Plusieurs types de lieues étaient en service en France et dans les colonies. En voici les principales valeurs pour
Cayenne :
2° Mesures de superficie:
Argent et monnaies
Au 18e siècle très peu d'argent circulait dans la colonie, les lettres de changes avaient cours entre les
commerçants et la marine pour le compte du Roi. Entre particuliers et la caisse du roi circulaient des billets
d'ordres, sorte de reconnaissances de dettes envers les créditeurs. Ils permettaient bien souvent l'achat des esclaves
ou de marchandises, ces dettes étaient honorées au moment de la vente des produits récoltés. Les seules sommes
d'argent qui circulaient correspondaient aux salaires occasionnels ou au prêt du soldat. Parfois lorsqu'un bateau
étranger entrait au port, les piastres sortaient miraculeusement des tiroirs. Souvent l'ordonnateur se plaignait du
manque d'argent dans la colonie qui empêchait le commerce et faisait repartir les bateaux sans avoir rien vendu.
500 livres, valeur de Cayenne en 1764, en valaient 300 en France à la même époque.
ANNEXE 8
Monsieur
"Plus d'une raison aurait du m'engager plutôt à vous assurer de mes civilités très humbles, j'eus le plaisir pour la
première fois d'entendre prononcer de votre nom, entre Le Bourget et la Villette ou j'ai rencontré vos esclaves qui
suivaient le cocher de Bruxelles au devant duquel j'allais p o u r y saluer une personne de mes amis : Le séjour que
j'avais fait à Cayenne me poussa à m'informer d'où il venait, aussi suis-je très charmé quand votre indien me dit
qu'il y avait séjourné que vous étiez arrêté derrière, et sur ce qu'il me dit de votre voyage, j'ai j u r é qui vous pouviez
être. Je pris dessein de vous attendre p o u r vous saluer, lorsque nous arrivâmes à la Villette, comme il était déjà
tard, je fis entrer vos gens dans la première auberge, ou je leur recommandais de rester, jusqu'à ce qu'ils vous
vissent passer ; p o u r moi je rentrai à Paris, me promettant bien de vous y assurer de mes devoirs. Monsieur D'Alay
que vous connaissez bien et est mon protecteur me parla de votre retour. Je ne pus malgré tous mes efforts, avoir
l'honneur de vous voir, cela me fit d'autant plus de peine que Madame Delajard, à présent Préfontaine, ma femme
m'a dit plus d'une fois que vous l'aviez honoré de votre présence, pendant votre séjour à Cayenne. Je ne sais si
elle conservera la pureté, après le mariage qu'elle vient de faire avec moi qui suis à peine né, je me suis bien
aperçu que vous doutiez de son honneur puisque vous le doutiez plus certain en ne me prenant qu'à la tache, j'en
dirais donc que vous aviez raison puisque la besogne ne m'a pas semblé forte ; malgré tout je travail à lui rendre
la vie la plus agréable qu'il m'est possible ; l'hiver de ses ans n'ont p a s glacé le mérite qu'on ne peut lui refuser
et c'est ce qui m'attache; nous comptons vous voir au mois d'août à Paris, ou elle veut finir ses jours ; M r de l'Isle
Adam (Villiers) mon ami particulier m'entretenant de votre mérite peu commun : me dit qu'il venait de vous
esquisser quelques circonstances de mon détachement dans une lettre qu'il vous écrivait. Il m'a demandé de le
faire moi même, que cela ne vous déplairait peut être pas ; Je risque de vous ennuyer pour la première fois, que
j'ai l'honneur de vous écrire, et j'espère que malgré cela que vous me pardonnerez.
Depuis 1723 un nègre appelé Maongue, je prends les choses de si loin pour vous mettre au fait, d'une négligence
dont peut être vous avez été témoin vous même à Cayenne à l'occasion de faits qui se déroulèrent pendant que
vous y étiez. Le Maongue donc plein de courage, secoua le joug et s'empara des bois du Monsinnery que vous
connaissez bien, il était esclave de la sucrerie, il n'est rien que l'on ne mit en usage pour le traquer ; il faisait
[.. ?..J recrue tous les jours, et tous les jours la crainte que les autres avaient de lui empêchait qu'ils restassent
longtemps sous sa domination, il était rusé et n'habitait pas le même soir dans le même carbet, il avait un abatti
de vivres, une lieue plus loin était son bagage, il avait à deux lieues de là un refuge assuré en cas de surprise,
enfin cette façon de vivre lui à sauvé la vie pendant plusieurs années. Il trompa tant de détachements, prit les
vivres aux uns, donnant des alertes aux autres, qu'on avait entièrement abandonné le besoin de le poursuivre.
Cependant un autre plus méchant et plus rusé que lui encore, nommé Leveillé appartenant à mon épouse autrefois,
fut marron, sa fille et sa femme aussi, il était d'une taille plus avantageuse, tirant parfaitement, courageux, et plus
méfiant encore, plusieurs marrons écartérent le Maongue, préfèrent Leveillé p o u r leur commandant, il était dans
l'intérêt du nouveau maître de détruire l'autre, mais comme il était plus caché il se dissimula tandis que l'autre le
cherchait p o u r le tuer, on avertit Leveillé qui fut même à la rencontre p o u r le détruire l'autorité, ce qui calma ,
mais il fut cependant décidé que personne qu'eux deux seulement sortiraient sur les habitations, pour cet effet on
faisait faire au nouveau venus un tour si grand que épuisés ils ne pouvaient retourner sans courir le risque de se
perdre ou de mourir de faim.
Je ne sais Monsieur si vous vous souviendrez d'une négresse qui vous amusa beaucoup chez Madame Du Chassis,
elle était née dans le bois et fille de ce Maongue là : Maongue et Leveillé ne purent vivre sans jalousie, ils se
battirent plus d'une fois, à coups de couteaux, notre Leveillé enfin s'en défit à la chasse. Cette nouvelle, rempli les
autres de plaisirs, ils se soumirent entièrement à Leveillé et vécurent plus de sept à huit ans dans une espèce de
liberté. On se gardait de manquer en quelques choses au nouveau chef, car la mort parait la plus petite faute. Un
En marge de l'entête:
M. de Préfontaine me marque qu'elle va m'amuser.
Je n'ai pu lui faire réponse
En 1751 je n'ai pas eu de ses nouvelles de son arrivée.
Je l'ai vu depuis et en 1752 où il se charge de mes lettres livres pour Cayenne.
En fait c'est surtout la vaillance de, de Villiers qui permit l'arrestation des nègres marrons.
ANNEXE 9
BAJON, Bertrand :
Fit de longues études médicales à Toulouse et à Montpellier puis à Paris. Il servit comme aide chirurgien dans
l'armée du Rhin de 1760 à 1762. Après avoir passé différents examens il fut reconnu par Tenon apte à remplir les
fonctions de chirurgien des armées et des hôpitaux en Guyane. Il arriva en Guyane, par le même vaisseau que
Turgot en décembre 1764, il fut désigné pour servir à l'Approuague où l'épidémie sévissait. Il n'établit aucun
rapport durant son séjour en Guyane.
Maillard-Dumesle eut à se plaindre de son insubordination comme chirurgien major, au sujet des familles libres
venues de Gorée pour s'installer à Cayenne en 1770.
BENOIST, Jacques :
Greffier et notaire royal à C a y e n n e , 1715 -1766, puis conseiller au conseil supérieur, il habitait à R o u r a , s u r les
deux habitations qu'il y possédait. 87 esclaves, cultivaient le rocou, le cacao, le coton. A v e c le c o n s e n t e m e n t de
J o s e p h Boudet, chirurgien de cette île, son b e a u - f r è r e et tuteur, il s'était m a r i é avec J e a n n e B r o s s a r d , fille d e Louis,
a r m u r i e r du roi et de M a r i e M a g d e l e i n e Baron. Il n'avait pas d ' e n f a n t vivant.
L e s t é m o i n s du m a r i a g e furent: Pierre de M o r t h o n S e i g n e u r de G r o m e l L i e u t e n a n t d u roi, A n n e F r a n ç o i s e de
C h o u p p e s , A l e x a n d r e M o r e a u s e i g n e u r de C h a m p et l i e u t e n a n t de la garnison, G a b r i e l d e Folies é c u y e r des R o s e s
et lieutenant, d a m e Tissier Olive, B a d u e l Victor conseiller d u roi et F r a n ç o i s e L e b r u n s o n é p o u s e , J a c q u e s Marot.
D u côté de sa f e m m e A n t o i n e M a c a y e (son parrain) et F r a n ç o i s e le Vergne son é p o u s e .
Il était fils de J a c q u e s , sieur des Petitpas, avocat au p a r l e m e n t de Paris et l i e u t e n a n t particulier au siège de M e l u n ,
et de d a m e M a r g u e r i t e C h e n a u .
B E S S N E R , ( C h e v a l i e r de) :
Frère d u b a r o n de Bessner, était officier d u génie à C a y e n n e de 1765 à 1781. Puis s o u s - l i e u t e n a n t sans
a p p o i n t e m e n t s à la suite des t r o u p e s de la c o l o n i e le 15 m a r s 1765. Il fut p r o p o s é par son frère en 1774 p o u r f o r m e r
u n e collection c o m p l è t e d'histoire naturelle et en a o û t 1776 p o u r la c o n d u i t e d'opérations de r e c h e r c h e s de bois
p r é c i e u x en forêt. E n 1777, o c c u p a les f o n c t i o n s d ' i n g é n i e u r c o m m e officier d'infanterie.
E n 1780, d e v e n u capitaine d u génie sans a p p o i n t e m e n t s , il servit sous les ordres de D e s p r e t c o m m e ingénieur. Il
d i s p a r u t par n o y a d e lors du d é b a r q u e m e n t d'un navire n é g r i e r le 3 avril 1781.
BODELSCHWINGS :
G e n t i l h o m m e prussien, né à R e n n e s le 10 a o û t 1721 dans la p a r o i s s e de S a i n t - G e r v a i s , d'origine a l l e m a n d e d u
c o m t é de la M a r k . Sous l i e u t e n a n t r é f o r m é en 1734 au r é g i m e n t d'infanterie a l l e m a n d e de la M a r c k , 1742 s e c o n d
lieutenant, 1743 capitaine e n second, 1747 capitaine de la levée d'une n o u v e l l e c o m p a g n i e de 170 h o m m e s , 1747
chevalier de S a i n t - L o u i s , 1759 c o m m a n d a n t e n s e c o n d d u B a t a i l l o n après 2 c a m p a g n e s . E n j u i n 1762, il quitta son
r é g i m e n t lors de la r é f o r m e et fut e m p l o y é par o r d r e de S a M a j e s t é p o u r être c h a r g é de l ' é m i g r a t i o n des familles
a l l e m a n d e s à destination de C a y e n n e . Il fut e n v o y é d e u x fois par C h o i s e u l à S t r a s b o u r g , en j u i n 1763 et m a r s 1764
p o u r r e c r u t e r des A l l e m a n d s p o u r la G u y a n e . L e 31 août 1764, fut n o m m é p r e m i e r m a j o r de la milice a l l e m a n d e
de C a y e n n e avec le p r e m i e r b r e v e t de l i e u t e n a n t - c o l o n e l h o n o r a i r e , son p o s t e de m a j o r fut s u p p r i m é e n s e p t e m b r e
1765.
D e p u i s sa retraite, en 1765, il sollicita c h a q u e a n n é e des gratifications p o u r services rendus. Il p r é s e n t a en m ai
1765 le c o m p t e de toutes les d é p e n s e s q u e la m i s s i o n lui avait o c c a s i o n n é e s . U n e a t t a q u e d'apoplexie, le rendit
infirme et il se retira e n A l s a c e p o u r y vivre avec s a famille. E n 1780, il d e m a n d a q u e sa p e n s i o n d e 12.000 livres
soit réversible sur la tête de sa fille. M a r i é à D e n i s e R o y e r en 1765, vingt-trois ans, qui d e m e u r a i t à l'Hôtel des
Invalides à Paris.
B O U L O G N E , Philippe :
I n g é n i e u r g é o g r a p h e en chef, il leva les plans de la rivière de K o u r o u en 1764 à la b o u s s o l e et p a r l'estime. Il traça
les limites des terrains p o u r q u e C h a n v a l o n p u i s s e les affecter aux c o n c e s s i o n n a i r e s p a r tirage au sort.
B R E C O U R T , C h a r l e s , D E S G O U T I N (de) :
E n 1755 cadet à l'Ile Royale, n o m m é en 1758 e n s e i g n e en second, 1764 s o u s - l i e u t e n a n t des t r o u p e s n a t i o n a l e s et
en 1775 lieutenant. E n 1758 il fut volontaire au siège d e l'Ile Royale, o ù il reçut u n c o u p d e feu à la j a m b e g a u c h e
et fut fait p r i s o n n i e r par les A n g l a i s lors d e la reddition de L o u i s b o u r g . Il fut libéré e n 1759 à R o c h e f o r t , é c h a n g é
contre des prisonniers anglais. E n 1760 avec 4 0 0 h o m m e s il partit de R o c h e f o r t au secours du C a n a d a , m a i s il fut
pris au large p a r u n corsaire anglais et libéré aussitôt. E n 1762, e n v o y é à S a i n t - D o m i n g u e , il fut repris p a r les
A n g l a i s au large de B o r d e a u x , o u il r e ç u t u n n o u v e a u c o u p de feu cette fois ci d a n s le talon gauche.
E n 1764 il vint à C a y e n n e sous les ordres de M. de Villiers. E n 1765 fut n o m m é c o m m a n d a n t à O y a p o c k , m a i s
m a l a d e il rentra la m ê m e année. E n 1766 à C a y e n n e , il p o u r s u i v i t les n è g r e s m a r r o n s d a n s les g r a n d s bois. E n
1767, il a p a i s a la révolte à la m o n t a g n e de Ko u r o u . E n 1768 il p o u r s u i v i t trois d é s e r t e u r s j u s q u ' a u S u r i n a m . E n
1769, il d é s a r m a les n è g r e s d a n s différentes habitations. Puis en 1770, il r e c h e r c h a les nègres m a r r o n s d a n s le
quartier de Matoury, en 1771 dans le quartier de la côte, en 1773 dans celui de Macouria, et enfin en 1775 dans
le quartier de la côte et de Macouria, puis il tomba gravement malade.
En 1779, il empêcha l'ennemi de débarquer, enfin en 1782 il lutta contre les nègres révoltés de l'habitation du
collège. Lorsqu'il demanda sa retraite, il avait effectué 24 ans de services comme officier.
Il était marié à Marie Rose Elisabeth Bouteiller.
BRODEL:
Il fut nommé arpenteur par commission du 1er avril 1763 et ingénieur géographe du roi en Guyane en 1768, il
reçut une commission de lieutenant d'infanterie en 1770.
CAMPET :
Il était né le 1er avril 1726 à Lyon. Il exerça comme chirurgien à Saint-Domingue. Appelé par Chanvalon quand
l'épidémie éclata à Kourou, il s'y rendit et rédigea sur place un rapport. Il s'installa en Guyane comme chirurgien
major et y resta plus de 10 ans. En 1769 il fut révoqué pour avoir maltraité et renvoyé en France trois soldats soi-
disant flétris de la fleur de lys. Il prit sa retraite en 1771.
CHAMBON, Pierre :
Chirurgien, né à Arnay en Lorraine, oncle de Rouelle, apothicaire.
CHOQUET, Jean-Joseph :
Né à Brest le 18 mars 1707, il fut nommé commissaire général de la marine et ordonnateur à Rochefort en 1762,
puis à Brest en 1766, puis Lorient en 1767. Il fut révoqué en 1773 à la suite de désordres dans son administration
et fut excusé par son âge et ses infirmités. Il avait épousé la soeur de Dupleix. Il mourut le 23 novembre 1781.
N'aimait pas Rochefort en raison de son climat. Il remplaçait souvent Ruiz Embito.
DEBROISE :
Acadien de Louisbourg, réputé mécanicien habile. Il offrit au Roi en 1763 de transporter sur son vaisseau "la
Marie Françoise", commandé par son gendre, au port de 70 tonneaux, un premier contingent de réfugiés Acadien,
de Saint-Malo à Cayenne. Il partit le 12 octobre 1763 avec un moulin à planche et des passagers. Il emprunta
14.000 livres au Roi. Il s'installa à Château Vert sur le Kourou et fut trouvé mort par Préfontaine en octobre 1764.
Sa veuve implorera le Roi pour ne pas rembourser son crédit.
Son gendre savait faire cette bière qu'on appelle la Sapinette, certainement originaire du Canada.
DE.LATTRE, francois-marie :
Fils d'un capitaine d'infanterie, il est né à Guignes généralité d'Amiens le 27 oct. 1715. Il se disait allié aux familles
d'Esporbes de Lussan et au Président du Henault. Ecrivain de la marine en 1738 (Calais et Dunkerque), puis
écrivain principal en 1751, il fut nommé à Rochefort en 1754 et promu commissaire aux classes le 1er avril 1762.
Affecté à Saint-Jean-d'Angély, il reçut la responsabilité des entrepôts du 9 avril 1763 au 31 décembre 1767. Il fut
mis à la retraite le 1 septembre 1773 avec 1200 livres de pension. Il vivait encore en 1790.
DELISLE-DESPOTS Alexandre :
A vécu à Cayenne de 1740 à 1756. Notaire et greffier de la juridiction et de l'amirauté de Cayenne de 1740 à 1745,
il s'est retiré par démission. Il essuya des revers fâcheux dans la colonie et se fit une mauvaise renommée dans le
public. Lemoyne de Chateaugué, gouverneur de l'époque, lui portait une haine féroce. Ce dernier, régnant en
maître à Cayenne, faisait le bien et le mal, il avait imposé Ardibus, son protégé, comme notaire non titulaire à la
place de Delisle. Son mariage avec Marie Anne Tisseau en 1743 lui causa bien des ennuis. Il se trouva de fait
cohéritier d'Anne Nazereau, née à Bordeaux (St André), morte le 28 novembre 1733 à 46 ans église Saint Sauveur
à Cayenne. Veuve en premier mariage de Jean Lean et mariée le 25 mai 1716 à Michel Tisseau conseiller au
conseil supérieur de Cayenne en 1730. C'est en prenant la défense d'une indienne esclave se disant libre, fille
naturelle de Jean Lean et d'une esclave indienne qu'il s'attira les foudres de Chateaugué. Il dira de lui : "Depuis 2
ans notaire greffier du juge royal et de celui de l'amirauté, s'est donné un grand air. On se plaint de son arrogance
de son inutilité et de ses mauvaises discussions. Il a été jusqu'à me demander que soit nommé un second notaire
pour la commodité et la liberté de chacun à quoi nous n'avons pas jugé devoir entendre avant qu'il nous apparut
d'une réelle nécessité". Il démissionna de sa charge de greffier le 3 mars 1748 mais demanda à conserver celle de
premier notaire.
Delisle intenta de nombreux procès à ce sujet mais aucun ne put aboutir. De même que circulèrent dans Cayenne
de nombreux pamphlets, comme 'l'amitié trahie par Beaudouin", où les faits et gestes de chacun étaient
chansonnés, malheureusement aucun de ces écrits n'a pu être retrouvé.
Le 26 janvier 1756, "il se desséchait de chagrin et d'ennui", il demanda l'autorisation de partir dans le terroir du
Mississipi et d'emmener avec lui 20 de ses esclaves (il en avait plus de 80), là où il aurait le repos et la tranquillité,
il était alors âgé de plus de 50 ans. On n'entendra plus parler de lui. Cependant un Delisle fut secrétaire dans
l'affaire de la Louisiane en 1770, il se pourrait que ce soit lui.
DESSINGY :
Arriva en Guyane en 1762, géographe en 1763, il refusa de donner ses relevés à Béhague.
DORIEN-DUMON :
Femme importante à Kourou, mais sur laquelle on ne possède que très peu d'informations.
D'ORVILLIERS-GUILLOUET, Gilbert :
Petit-fils de Rémy Guillouet d'Orvilliers, capitaine de frégate en 1712, qui fut gouverneur de Cayenne de 1706 à
1713 l'année de sa mort. Fils de Claude Guillouët seigneur d'Orvilliers, gouverneur de 1715 à 1728.
Enseigne en 1715, lieutenant en pied en 1716, lieutenant en 1720, capitaine en 1727, major en 1729, lieutenant
du roi en 1737. Le gouvernement de la Guyane était vacant depuis 1747 (départ de Chateaugué pour l'Isle Royale).
D'Orvilliers commandait en qualité de lieutenant du roi (lettre du 14 juillet 1749). Il commanda deux fois la
colonie en 1730 (3 mois), puis du 12 décembre 1736 à juillet 1738 et de 1747 à 1749. Il obtint l'approbation de
M. de Maurepas, ministre de la marine. Le 1er juillet 1749 il fut nommé gouverneur de Cayenne. Le 25 mars 1763,
il demanda un congé pour aller se soigner en France.
Le 8 mai 1763 d'Orvilliers apprit par une lettre de Choiseul, datée du 18 février, qu'il devait remettre à Béhague
le commandement de la colonie, en attendant l'arrivée de Turgot. Il affréta un bâtiment pour rentrer en France le
14 sept 1763 car Béhague et Morisse refusaient de le faire embarquer sur la "Comtesse de Gramont3". M. de
Malthéré, les deux demoiselles du Chassy et 12 autres officiers rentrèrent avec lui, ainsi qu'un certain nombre
d'habitants, ils avaient fait fortune et voulaient se retirer avant l'arrivée de la nouvelle colonie.
A son retour en France il se présenta au duc de Choiseul et à Turgot pour déconseiller l'envoi massif d'immigrants
et faire connaître les agissements de Préfontaine. Il était du côté de Turgot.
Il se maria avec Renée Justine de Brach, née le 26 sept 1726 prés de la Rochelle à Saint-Martin d'Esnandes, ils
eurent cinq enfants dont une fille d'un premier lit, la future madame de Pongibault.
DROS :
Brigadier de gendarmerie, protégé de Turgot, rentra de Cayenne le 8 juin 1766, son poste fut supprimé à Kourou
le 1er février 1766.
DUBOISBERTHELOT, Pelime :
Enseigne des troupes du régiment suisse de Hallwyl réformé.
DUGEE:
Demoiselle créole, dessinatrice. On possède peu de renseignements sur elle.
FONTAINE :
Il fut désigné pour s'occuper des contrebandiers et faux-saulniers que l'on devait envoyer à Cayenne en 1765, avec
Duval comme adjoint. Il semble que cette mission n'eut pas lieu, Turgot refusa à l'arrivée des navires le
débarquement des passagers.
GERMAIN :
Commis de Laborde avant 1763, il habitait Cayenne. Il prit part à l'expédition de Kourou et à son issue s'installa
commerçant à Cayenne.
GILBERT :
Capitaine de navire, servait d'intermédiaire entre Chanvalon et son beau-père Saint Felix pour les transports de
fonds. Un autre Gilbert était négociant à la Rochelle il commerçait depuis longtemps avec la Guyane.
GIRAUD :
Natif de Mou en Provence, diocèse de Sisteron, il était le fils de Marie Giraud et de Claire Roux. Second capitaine
de prise à bord du vaisseau "la Catherine". Il s'installa en Guyane le 25 août 1762, il épousa Marie Rose
Lablanche, veuve en première noce du Michel Augé, habitant l'Oyac et créole de cette colonie. Elle était la fille
de Pierre Lablanche et de Marie Lombardier.
Il fut condamné pour sévices en 1774, et partit pour Saint-Domingue.
HAUMONT :
Ingénieur du roi, il arriva en Guyane en 1763 avec sa femme et son beau frère. A Saint-Jean-d'Angély, il eut des
démêlés avec la justice de Rochefort pour des affaires de chasse. Il mourut 3 ans plus tard.
KERKOVE:
C'était une vieille famille des Pays Bas restée à l'issue de l'occupation hollandaise et installée à Roura. En 1746
un Hollandais M. Geoffroy s'étonnant du peu de rapport des terres basses avait expliqué à Kerkove père la manière
de les mettre en valeur. En 1750, il obtint un premier résultat. C'est à lui que l'on doit attribuer les premiers essais
de culture des terres basses et non à Guisan. Vers 1850 le nom de famille sera changé en Van Den Kerkove.
Le 2 janvier 1760, François Kerkove fils de Jean Louis et de MarieTherese Courant intente un procès à Préfontaine
au sujet d'un héritage car sa fille Elisabeth était héritière de feu sa femme Rose Gabrielle André, décédée avant le
2 janvier 1760. Elle était fille de feu François André et Roze Dufour, alors Madame Préfontaine, veuve en
première noce de Pierre Moreau. L'héritage laissé par le deuxième mari de sa deuxième épouse, avait rapporté à
Préfontaine de fortes sommes d'argent et des terres du Morne de Macouria.
Ils eurent plusieurs enfants dont :
- Marie Rose Kerkove, mariée à Michel Ange d'Audiffredy
- Rose Kerkove, mariée à Daillebout de Saint Philippe.
LABORDE:
Il fut le successeur d'Artur le 28 mars 1769.
Il y avait aussi un Laborde négociant à Cayenne, qui en 1762 assurait la fourniture de farines et de boeuf par
l'intermédiaire des Hollandais.
LAISNE :
Frère du précèdent. Commerçant, après la prise de Louisbourg en 1758, il s'installa dans l'île de Saint-Eustache.
Durant la guerre contre les Anglais, il fit venir, par l'intermédiaire des navires hollandais, en accord avec les
responsables de la marine de Rochefort, de la farine pour ravitailler les colonies. Durant ces transports,
d'importants détournements furent constatés. Découvrant la supercherie de ces ravitaillements, les Anglais
bloquèrent dans le port d'Antigua, 40 de ces navires. Le marché d'approvisionnement conclut par la Martinique à
Saint-Eustache fut interrompu en 1761. Laisné reçut en récompense de ses services, un brevet de commissaire de
marine et de commerce.
Il fit la connaissance de Chanvalon par l'intermédiaire de son frère qui l'engagea à venir faire le commerce à
Cayenne. Il fit le projet de faire venir des habitants de St-Vincent, soumis à la domination anglaise et voulut les
installer à Cayenne.
Chanvalon l'encouragea à faire le commerce à Cayenne en société avec lui. Pour l'intéresser, il lui donna des fonds
provenant de l'argent des concessionnaires. Cependant il arriva trop tard en Guyane, Pascaud avait déjà obtenu le
marché principal.
Malgré tout, la cargaison de plusieurs navires de marchandises de cette société furent reçus dans les magasins du
Roi. Mais le plus grave et qui sera retenu plus tard contre Chanvalon, fut, qu'il ne fit pas part à Laisné de la
restriction mise à la permission de faire le commerce. Le Roi avait interdit de faire entrer des marchandises de
particuliers dans ses magasins, à moins d'une nécessité absolue et bien reconnue. Normalement, au reçu de cet
ordre, Chanvalon aurait dû dissoudre la société, mais il s'en garda bien.
La justice régla le problème de la manière suivante, les 2/3 des marchandises furent prises en compte pour le Roi
et un tiers imputé à Chanvalon ; il s'agissait d'une fourniture de 60.000 livres.
Laisné était un commerçant honnête et de bonne foi. En 1773, il était reconverti en agent de commerce de la
société de Paris à Cayenne à la place de Lafourcade.
Son épouse était une Duquesne : considérée comme femme d'esprit, elle tenait salon dans l'île de Saint-Eustache.
LARTIGUE :
Nommé greffier à Cayenne à la place de Boutin en 1764, il était à Louisbourg en 1758. Marié à Madeleine Leblanc
morte en couche le 28 mai 1765.
Un Antoine Lartigue fut procureur du roi et Jacques Lartigue greffier au siège.
instruits d e s lois
L E T E N N E U R , B e n o i t :
L E V R A U D :
F e m m e i m p o r t a n t e à K o u r o u .
L U C E - L E E T h é r è s e , M a r i e - r o s e o u ( L U C I L E - L E E ) :
M A H O N A Y :
E n juillet 1765, le Sr M a h o n a y installa u n village d e 10 familles sur l'Orapu. Il devait être a n c i e n officier des
b r i g a d e s irlandaises.
M A I L L A R D - D U M E S L E , J a c q u e s :
et d e B o u r b o n d e 1 7 7 2 à l 7 7 7 . Il f u t m i s à la retraite, et m o u r u t le 9 o c t o b r e 1782.
M E N T E L L E , S i m o n :
M E R C E N A Y (de) G U Y , M i c h e l , F r a n ç o i s , C l a u d e , M a r i e , E d m é :
d ' A n g é l y le 6 o c t o b r e 1 7 6 3 et e m b a r q u a p o u r C a y e n n e le 8 n o v e m b r e 1 7 6 3 s o u s le n ° 3 0 0 5 . Fils d e M a r c e n a y et
d e d a m e B o u d r a y , â g é de 31 ans, n é à T o n n e r r e . Il partit à C a y e n n e d a n s le c o n v o i d e C h a n v a l o n c o m m e
6 Ref : C 14 R 28.
de l'embouchure du fleuve Sinnamary. Nommé commandant de ce quartier en remplacement de Pradines, il y fit
d'énormes travaux. Au bout de 3 ans, un glissement de terrain détruisit toute sa plantation et l'obligea de
l'abandonner. Il obtint un autre terrain près de la mer. Au bout de 13 ans de Guyane, il demanda des secours à sa
femme, qui était en France. Il fut nommé, major des milices à Kourou le 1er octobre 1779. Il mourut à Cayenne le
2 juillet 1791.
MESNARD :
Garde magasin principal à Kourou.
METERAUD:
Créole Indiens de la colonie. Il avait été mis par Préfontaine à la tête des Indiens pour faire les travaux sur le
Kourou. C'est lui qui, en juillet 1763, alla chercher les Indiens qui s'enfuyaient sur l'Orapu.
MOLINIE, Denis :
Premier arpenteur affecté en titre à Cayenne. "Sa Majesté voulait commettre une personne capable de faire
fonction d'arpenteur dans la colonie de Cayenne". Il fut nommé le 1er janvier 1740 par le Roi, et enregistré au
conseil supérieur le 28 juillet 1740. Il remplaça Lavaud, capitaine de port qui occupait les fonctions. Ce dernier
avait remplacé Taillasson également maître de port à son départ. (Avant 1740, bien souvent l'arpenteur était marin
car le maître de port possédait la qualification de jaugeur-étalonneur.) Molinié établissait ses cartes "sans avoir
égard à la variation de l'ayman, attendu que nous aurions été obligés de nous servir de 2 différentes boussoles",
disait-il. Au début de ses fonctions après la délimitation du terrain, il implantait des bornes gravées au nom du
propriétaire, la marque, sur le côté faisant face à son terrain. Il démissionna en 1749, ses successeurs le
contestèrent souvent car Molinié s'avéra peu sérieux dans son travail. Cela provenait du fait qu'il faisait éffectuer
la pose des bornes par son porte-chaîne esclave. Mais il ne contrôlait jamais son travail, et des erreurs de quelques
mètres sur l'implantation d'une borne amenaient toujours la contestation entre les différents propriétaires.
Il se maria à Jeanne Rose Marot en 1745.
MOREAU du CHASSIS :
Jeune cadet à Rochefort en 1737, il fut lieutenant à Cayenne en 1745 et en 1753 capitaine directeur de l'artillerie.
Il fut envoyé en 1753 au Para pour l'échange des nègres fugitifs. Il habitait Kourou à la pointe du Chassis. Un
service de mulâtre assurait la circulation du courrier entre sa maison à Kourou et celle de Préfontaine pour
Cayenne. Il rentra en France pour raison de santé le 20 juillet 1764 avec beaucoup de concessionnaires de Kourou.
Il revint à son poste en juillet 1765. Le ministre mit fin à sa charge le 21 mars 1766.
NAU :
Négociant de la Rochelle, il fit un projet de colonisation de la Guyane avec une importation massive de noirs.
NERMAND :
Il fut nommé par Chanvalon curateur aux biens à Kourou. Il fut rappelé par le Roi le 21 décembre 1766 et
emprisonné. A son départ, il fut remplacé par Brémont, qui décéda peu de temps après et fut remplacé par Corbin.
Cambernon lui reprocha de gouverner à la place de Chanvalon. C'était le garde-magasin Dupuis qui commettait
les malversations, en sous-main, sur les ordres de Nermand et Chanvalon.
PASCAUD:
Négociant à Saint-Eustache, il fut député du commerce de la Rochelle dans l'exploitation des îles, mais n'avait pas
une bonne renommée. Langevin ancien habitant de l'Ile Royale était en société avec lui. Pascaud arriva Cayenne
en 1764, il avait obtenu de Chanvalon le principal marché du commerce. Une avance de fonds de 124.000 livres
lui fut faite par Préfontaine. Les contrats furent passés à des prix exorbitants. Pascaud sur ordre de Chanvalon
acheta et envoya des nègres de Saint-Eustache à Cayenne. Il acheta également un bateau pour le compte du roi,
"l'Anna". Mais ce bateau resta à Philadelphie en attente de faire le commerce de transport d'animaux. Il passa
également des marchés pour envoyer du bétail dans la colonie. Les lettres de change délivrées par de la Rivière
trésorier à Cayenne pour le compte de Pascaud, furent refusées pour payement par la marine sur ordre du Roi, en
octobre 1764.
PASCAUD, Jean :
Était à Louisbourg en 1758. Il fut nommé procureur à Cayenne pour succéder à Gallet en 1764. Puis il fut nommé
aussi juge royal civil criminel et de police et lieutenant général au siège de l'amirauté de Cayenne. Il était marié à
Elizabeth Hertel de Cournoyer. Il mourut le 22 novembre 1791 à l'âge de 60 ans à Cayenne.
PATRIS, Jean-Baptiste :
Botaniste, il prit part à la préparation de l'expédition de Kourou, et prit position pour Turgot. Il participa avec le
chevalier de Balzac à l'inventaire des morts sur le Kourou. Ensuite il resta en Guyane et occupa le poste de
médecin du Roi, et fut nommé membre du conseil supérieur.
PELLETAN :
Secrétaire de Chanvalon, il semblerait que sa femme fut la maîtresse de ce dernier
POULIN, Gaspard :
Marié en 1695 avec Suzanne Beliard, ils eurent 2 enfants, Marie Magdeleine en 1695 et Gaspard.
Gaspard épousa Anne Françoise de la Tour. De ce mariage naquirent :
- Marie Anne en 1717, elle donna le nom à la sucrerie;
- Françoise en 1718:
- Gaspard en 1720, mort en bas âge;
- Joseph en 1724, mort en bas âge;
Marie Madeleine Poulin possédait sur la rive droite de l'embouchure du Mahury une immense "savane". La saline
était transformée en ménagerie7. En 1756 une lettre de Lemoine dit qu'elle avait épousé, alors âgée de 63 ans, un
certain Courant âgé de 18 ans. "Au lieu de lui être reconnaissant il la laissait manquer du nécessaire, la maltraitait
et l'obligeait en quelques sortes à favoriser sa débauche". Dedon procureur qui était son beau-frère disait "Sa
mauvaise conduite a fait sa fortune".
En 1750 Gaspard Poulin, accéda à la dignité de doyen du conseil supérieur de Cayenne. Il était très actif sur ses
terres de Roura. En 1761 sa seconde épouse Marie Rose de Varennes mourut. Elle lui avait donné 10 enfants dont
6 mort avant d'être adultes.
- Marie Thérèse, épousa le capitaine d'infanterie de Villiers, et hérita de la Marianne;
- Gaspard dit le jeune, magistrat et membre du conseil supérieur, reçut la propriété de la crique Racamont;
- Marie Roze, reçut la Cordeliére à la crique Coromonbo, elle épousa Desmontis négociant à Cayenne;
- Gabriel Antoine reçut le terrain de la saline et des "trois soeurs";
Gaspard décéda en 1763.
La propriété de Bel Air au Mahury était à sa tante Louise Courant.
PRADINES :
Commandant à Sinnamary, il fit du bon travail et fut félicité pour la bonne tenue de son quartier. En 1746 il fut
volontaire au régiment de Montboisin. Militaire au passé glorieux il accumula les faits d'armes. Ensuite nommé
commandant de l'Approuague, il revint à Sinnamary, pour ensuite s'installer à Kourou commandant de quartier. Il
fut remplacé par Préfontaine en 1772.
Rentrer en France en 1787, avec sa femme et ses 3 enfants, il revint mourir à Cayenne le 4 avril 1792.
PREVOST :
Il remplaça en 1749, Molinié. A la suite de graves prévarications il démissionna en 1760.
Q U E R D I T I E N , (Pichot de) :
Commissaire de la marine, il y avait servi 35 ans. Il fit campagne aux Indes dans l'escadre du comte d'Aché. Il
sollicita une place auprès du Roi car il était couvert de dettes. Il fut nommé contrôleur de la marine à Kourou, il
se plaignit d'être obligé d'instruire tout le monde et de redresser les erreurs des autres commissaires et contrôleurs.
Il demanda en 1765 à repasser en France car il ne se considérait pas payé en proportion de son travail et ne pouvait
rembourser ses dettes.
Chanvalon disait de lui : "Il n'est pas fait p o u r être contrôleur, il était jaloux tracassier et inquiet, il a mauvais
caractère et il se plaint de son inaction, demande son rappel".
ROUELLE :
Il était apothicaire à Kourou. Nommé par le Roi le 1 er janvier 1763. Il était le neveu de Chambon. Il devait rendre
compte de ses découvertes au sieur Poissonnier, médecin de la faculté de Paris. C'était un homme "capable dans
la pharmacie galénique et chimique, la botanique et dans la connaissance des objets relatifs à l'histoire naturelle".
Il mourut en 1764 dans l'épidémie.
ROUSSEAU, Philippe :
Lieutenant réformé à la suite du Royal Infanterie en 1722, il était venu à Cayenne en 1726 comme enseigne. Le
8 avril 1727, il fut nommé ingénieur pour remplacer Gabaret, en 1729 lieutenant et puis capitaine en 1741. Il sera
fait chevalier de Saint-Louis en 1752 et major honoraire en 1764.
Sages f e m m e s :
Ces personnes firent souvent le sacrifice de leur vie. Elles méritent de voir citer leur nom :
Madame Viet de Rochefort, qui mourut à son arrivée.
Madame Hervé, veuve d'un officier du Canada, qui arriva très malade.
Madame Guillou, très âgée, et presque aveugle.
ROMME :
Délimita des terrains pour le compte du baron d'Haugwitz sur le Kourou en 1765.
TISSEAU, (famille) :
En 1681, Louis Tisseau dit Poitevin, scieur de long, natif de Niort en Poitou épousa Marie Le Jambe. Ils eurent
deux fils, Louis qui se maria avec Marie Gervais en 1707 et Michel avec Anne Nazereau en 1716, qui était veuve
de Jean Lean épousé en décembre 1707.
Au début du 18e siècle, ils possédaient à eux tous presque toute la montagne à Langlais. Suite à un litige de
succession de cette nombreuse famille, il sera décidé le partage des biens. Mais il sera contesté par les héritiers
des le, 2e et 3e lit. Des procès sans fin et de nouveaux partages toujours contestés entraînèrent la ruine de l'héritage.
Famille de Michel Tisseau lors du partage en 1744 :
- enfants du 1er lit (mariage avec Marie Hervé) :
Michel Tisseau, dit l'aîné, né en 1711, Marié à Bagot Marie Anne ;
Etienne Tisseau, né en 1712 ;
Françoise Tisseau née, en 1714 ;
Pauline Tisseau ;
Marguerite Tisseau, née en 1715, mariée à Fabreguette en 1737 ;
- enfants du 2éme lit (mariage avec Anne Nazereau) :
Jean-Baptiste Tisseau né en 1717 ;
Marianne Tisseau, née en 1719 épouse Delisle notaire en 1736, ayant pour tuteur Fabre ;
Catherine Anne Tisseau, née en 1726 ;
Anne Tisseau, née en 1728 ;
Cadet Tisseau ;
Un feu Tisseau qui avait épousé Agate Grim ;
Agathe Tisseau, en 1738 mariée à Jouin Charles ;
- Enfant du premier lit d'Anne Nazereau :
Jean François Lean, sergent de milice et habitant.
Lors des différentes tentatives de partage de cette succession, Denis Molinier, premier arpenteur en titre à
Cayenne, implanta sur le terrain des bornes gravées aux noms des propriétaires, sur la face tournée vers l'intérieur
du terrain. On peut ainsi trouver sur la montagne à Langlais des bornes inscrites au nom de DL voulant dire Delisle
ou T, Tisseau.
VALLIERE, (la) :
Il arriva en Guyane en 1764 à la tête d'une "levée de soldats", et il commanda les troupes nationales. Parent de
Fiedmont et beau-frère de madame Thierry de Chassin, il fut nommé colonel d'infanterie et lieutenant du roi en
1777, puis gouverneur par intérim à la mort de Besner. Il décéda en 1787.
VANDERMEERECH :
Il était lieutenant d'une compagnie détachée de la marine en 1754. Ancien arpenteur il exerça peu de temps. Le 14
avril 1757 il prononça des insultes contre les habitants de Cayenne, "eut des violences sur la personne d'Ardibus,
et se vit obliger de s'en aller en France la même année".
VEYRET:
Secrétaire de Chanvalon.
Cette liste n'est pas complète, y figurent seulement ceux qui se trouvaient à Kourou à la date de ce recensement.
Les concessionnaires étaient libres d'aller et venir à leur guise. Chanvalon ayant toujours laissé planer un doute
sur leur nombre, il est très difficile de distinguer ceux qui ont remis des fonds en France pour le compte des
personnes qui les représentaient à Kourou.
Nous avons conservé l'orthographe des noms de personnes et de lieux comme sur l'état.
A N N E X E 11
Vorinotespage223.
Nota : Le Fier, bateau qui venait d'une autre colonie s'était trouvé en contact en rade de l'île d'Aix avec des navires en partance
pour Cayenne. La rumeur avait couru à Rochefort que c'était lui qui avait communiqué la maladie à Cayenne, (fièvre jaune).
Divers :
- Début 1764, deux bateaux se trouvaient échoués à Cayenne entre la terre et l'îlot de l'Enfant Perdu.
- Des navires de Nantes avec 330 personnes à bord, envoyés à Cayenne en janvier 1765, ne débarquèrent aucun
passager. Il y avait à bord 100 contrebandiers, 150 ouvriers pour Turgot, 10 officiers et 70 hommes des troupes
nationales, accompagnés de leur famille.
- Les bâtiments frétés ne dépassaient pas 400 tonneaux, pour permettre l'accès au port de Cayenne et la rivière de
Kourou. A Brest, le prix du tonneau de fret valait 80 livres, alors qu'à Rochefort il en était demandé 100, voire 110
livres par tonneau. Il était assez facile de se procurer des navires dans les ports du nord de la France. Par la suite
les armateurs se montrèrent réticents car ils n'étaient pas payés.
- Le 5 juin 1764 un envoi de nourriture pour Cayenne fait état de "2600 boisseaux de bled de Turqui ou bled
d'espagne, et 150 boisseaux de mil". Le lest de ces bateaux était de la pierre de taille.
- Une rotation de paquebots pour Cayenne était prévue mais ne se fera pas.
- Certains navires restaient en rade, parfois 4 ou 5 mois. La plupart des passagers avaient le ventre tordu par la
dysenterie et le scorbut ; les corps étaient couverts de vermine et ils souffraient de maladies vénériennes
contractées au cours de la traversée. Il fallut pour certains, user de la force pour les faire descendre.
- Les bateaux attendaient avant d'entrer dans le port de Cayenne car il n'y avait pas beaucoup de pilotes disponibles.
- Les bateaux du premier convoi rentrèrent en France quelques mois après le retour du deuxième convoi. Au
moment de les désarmer les capitaines des navires constatèrent qu'ils étaient piqués par les vers ; pour certains, il
fallut 8 épaisseurs de doublures de cuivre pour renforcer la pointe avant, ce qui les alourdit énormément.
(1) Un trafic de 10 tonneaux de marchandise au profit du capitaine et de l'écrivain du bord avait été découvert dans une cache à l'intérieur du
bateau. A été longtemps retenu à Cayenne pour servir de magasin, ses cordages étaient rongés par les vers.
(2) La Ferme: "Ce bâtiment n'avait jamais pu rentrer dans le port de Cayenne car il avait un trop fort tirant d'eau, il avait mouillé à la rade
extérieur. Dans le peu de séjour qu'elle avait fait, elle avait été si tourmentée par la mer, que sa chaloupe avait été fracassée, un de ses câbles
tout neuf cassé. Elle avait perdu une ancre et l'on avait vu le moment que ne pouvant s'y soutenir, elle aurait été obligée de prendre le large
et de relâcher à la Martinique. C'est dans ces circonstances qu'elle a appareillé pour les îles du Salut. M. d'Amblimont était très content de
ce port. Le déchargement de son bateau avait été un prodige, ce qui étonnait tout le monde, c'était sa rapidité qui s'était faite avec la plus
grande vivacité en cinq à six jours. Les flûtes qui étaient arrivées avec le convoi de Chanvalon étaient enchaînées comme en prison dans le
port de Cayenne d'où on espérait qu'elles pourraient sortir, si les vents et les hautes marées ne se rencontraient pas ensemble. "La Garonne"
avait suivi "la Ferme" et avait mouillé également. Par contre "la Légère" qui la suivait avait été confiée à Cayenne, je ne sais par quelle
imprudence à un jeune mulâtre, pour la conduire à la suite des autres. Cette espèce de pilote sans expérience au lieu de rentrer dans le port
avait mouillé ce navire à une lieue au large en le laissant affaler sous le vent des îles. Le vent et les courants qui étaient très rapides ne lui
permirent que très difficilement de remonter pour entrer dans le port. Pour le tenter il fallait encore attendre 3 ou 4 jours, que les grandes
marées finissent. S'il ne peut pas regagner au vent, il sera dans le cas d'aller à la Martinique, d'autant plus qu'il fait 15 pouces d'eau à l'heure,
ce qui nous alarme pour sa situation".
Le 10 mai 1764 "la Ferme" mouillait à l'île d'Aix venant de Cayenne après une traversée de 37 jours. L'état major était en bonne santé, mais
il y avait 26 hommes de malades. Elle devait faire un autre voyage, par suite du scorbut, l'équipage fut congédié et "la Ferme" désarmée.
(3) Il a été découvert un trafic de 300 boucauds de morue, cachés dans cette flûte, pour être vendus aux Canaries.
(4) "la Bergère partie le 6 décembre 1763 avait été obligée par les vents contraires après 20 jours de navigation de revenir à l'île d'Aix, elle
avait essuyé diverses avaries. Repartie, elle avait voulu faire son atterrage à Cayenne trop avant. Elle avait été portée par les courants jusque
dans l'Amazone et avait eu de la peine à se tirer. Le 13 avril 1764, elle arrivait aux îles du Salut, ses passagers mécontents de leur destination
même avant d'arriver et qui l'étaient encore davantage en débarquant sur les îles où il y n'avait presque rien pour les recevoir et les mettre à
l'abri de l'injure du temps, ont troublé le repos de ceux qui avaient encore le plus d'espérance et de patience. Ils avaient exécuté des séditions.
Ils avaient mis le désordre parmi les ouvriers et ceux qui étaient employés aux travaux et à la conservation et distribution des vivres. Afin de
prévenir tout autres incidents qu'il y aurait sujet de craindre et dont on avait fait courir les bruits, M. Fiedmont s'était porté à la tête d'un
détachement de 25 soldats pour rétablir l'ordre, commandé par un officier prudent et sage. Il avait relevé la garde que les vaisseaux
fournissaient à terre compte-tenu que la troupe entretenue pour la nouvelle colonie n'était pas en état de fournir ce poste".
(5) "Le 12 janvier 1764, le navire "la Baleine" quitte le port de Rochefort commandé par le capitaine Buys. Ce navire après une traversée d'une
quarantaine de jours, manque son atterrage à Cayenne et va s'échouer à la côte de Berbiche. Les passagers se sont sauvés à terre, sauf une
vingtaine qui se sont noyés. M. Germain négociant à Cayenne s'est occupé du radoub de ce bateau à Berbice au Surinam. Les passagers ont
été reconduits à la Martinique. Compte-tenu des mauvais renseignements sur la colonie de Cayenne, sept ont voulu y venir, les autres ont
demandé à rester à la Martinique".
(6) Ces deux bateaux sont partis du Havre en transportant des familles acadiennes et allemandes qui étaient en Normandie avec 600 barils de
boeuf et un approvisionnement de farine pour suppléer à la cherté des farines de Mérac et Moissac.
(7) "Etait depuis deux mois prêt à prendre la route avec ses passagers en dehors, mouillé à la flotte, au moment de partir ses passagers étaient
tous malades et ont du être remplacés, était chargé de denrées et d'effets pour l'ancienne colonie pour 2000 hommes pendant 6 mois soit 275
tonneaux et avait reçu 300 passagers environ".
(8) Etait chargé d'animaux, mais vu le mauvais état du bateau, a été déchargé à Rochefort.
(9) Ces bateaux partent sans passager, l'ordre étant arrivé de ne plus envoyer de colons à Cayenne. Mais, on ne pouvait enlever l'eau prévue
pour les passagers sans déséquilibrer le bateau, donc il fallait continuer à les charger.
(10) Durant la traversée, il mourut 7 grandes personnes et 7 enfants. Au retour les navires passèrent par Saint Domingue où ils relevèrent et
chargèrent du sucre, du café et de l'indigo.
ANNEXE 12
En 1764, les malades de l'expédition de Kourou furent nourris de tortues, on reconnaissait à cette chair la
qualité de purifier le sang et surtout elle permettait de pallier la pénurie de viande. Chanvalon en personne ou son
représentant distribuait les billets donnant droit à la tortue. A l'époque il "montait sur la plage de Kourou" environ
4 à 500 tortues par an. La plus prisée s'appelait la "caoüâne", connue depuis longtemps par les anciens navigateurs,
qui l'appréciaient pour ses oeufs et sa chair fraîche. Elle se conservait en salaison, parfois au bout de quelque
temps devenait fort insipide ; elle servait alors de nourriture aux esclaves. Par sa qualité, elle approchait du boeuf
salé d'Europe. Avec les carcasses de tortues, les habitants de Sinnamary firent plus tard de l'huile qui servit à
protéger et radouber les pirogues.
Des écrits en donnent les descriptions suivantes. "La caoüâne est une tortue de très grande taille qui se
caractérise par sa carapace allongée, brun clair, portant 3 carènes longitudinales chez les jeunes et unies chez
les adultes. Elle atteint 1,50 m de long. Elle possède des mâchoires recourbées en bec et des pattes à deux ongles.
Il ne faut pas la confondre avec la tortue dite caret ayant 1 m de long et la carapace en forme de tuiles de couleurs
jaune et brun, ou la tortue luth qui peut atteindre 2 m de long et recouverte d'une enveloppe à 7 carènes
longitudinales sur le dos, en forme de coeur et pointue".
La pêche à la tortue caoüâne se pratiquait durant 8 mois de l'année. Elle était fort abondante dans la région de
Sinnamary et "offrait en 1770 pour toute la colonie naissante l'avantage de fournir de la subsistance et l'objet
d'un commerce d'huile pour préserver les vaisseaux de la piqûre des vers". Avec 8 tortues - les plus grosses
allaient jusqu'à 900 livres - on faisait en moyenne une barrique d'huile (tortues de 800 livres environ).
La pêche à la tortue devenait une source de commerce, il fallait donc en réglementer la capture. En 1773 devant
la disparition de ces tortues, Fiedmont proposa un règlement.
"La prise s'effectuera de la manière suivante :
- Il est interdit de retourner les tortues lorsqu'elles vont pondre, seulement lorsqu'elles redescendent vers la
mer.
- Il est interdit d'avoir un enclos et de garder des tortues entre le 15 mars et le 31 août de chaque année.
- Il est interdit de détenir des chiens même attachés, durant cette période, le long des anses entre Kourou et
Sinnamari, car ils sont friands d'oeufs de tortue."
Dans ces lieux, la mission essentielle des postes de soldats consistait à surveiller la côte et à retourner les
tortues lorsqu'elles avaient terminé de pondre, en particulier à Carouabo.
Des gardes-tortues placés le long des côtes surveillaient la pêche, ils faisaient appliquer le décret et gardaient
les tortues du Roi. A cet effet, chaque pêcheur devait leur remettre la 5e tortue pêchée pour le compte du roi, au
cas où il n'en était pêché que 3 ou 4 c'était la troisième qui était remise. Il existait 2 parcs pour le Roi, un à
Sinnamary, l'autre à Malmanoury.
En 1786, il fut pêché dans l'année 372 tortues, 50 au Maroni, 78 à Iracoubo, 44 à l'Anse Corossony, 73 à
Sinnamary, 97 à la crique à la vase et Carouabo, 30 à Kourou qui se vendaient 40 livres la pièce, (ne sont pas
comptés celles qui s'échappaient en forçant les parcs, ou qui sont mortes). Les bateaux étrangers venaient faire la
pêche aux tortues sur les côtes et Fiedmond les faisait chasser.
Entre 1940 et 1945, le père Yves Barbotin, devant la pénurie d'huile, due à la guerre, fit récupérer les carcasses
de tortues restées le long des plages et les fit fondre pour en récupérer l'huile, une bonne huile pour moteurs.
A N N E X E 13
L e s n o t a i r e s à C a y e n n e a u d é b u t d u 1 8 siècle:
Nota :
Le poste de troisième notaire fut créé à Cayenne en 1756, bien que demandé depuis 1740 pour plus de liberté à la
confiance des particuliers. Avant cette époque, les notaires greffiers se dessaisissaient fréquemment de leurs actes.
Un minimum de deux notaires s'avérait alors nécessaire à la colonie. Ils exerçaient en même temps et les actes
n'étaient reconnus valides que s'ils portaient deux paraphes de notaire. Bien souvent, l'un occupait les fonctions
de greffier du conseil et l'autre de greffier de la juridiction. Par la suite, il fut nécessaire d'établir des notaires
particuliers dans les lieux où le nombre d'habitations l'exigeait, les habitants ne pouvaient pas toujours supporter
les frais de voyage pour établir leurs actes, en particulier en ce qui concernait Oyapok.
(1) D'abord garde-magasin à Oyapok, il fit naufrage en s'y rendant. On disait de lui : "Je lui connais du mérite et de la probité, tout ce que je
crains est sa condescendance pour MM. les commandants".
(2) Remplaça Delisle comme greffier.
(3) A sa mort, M. Corbin le remplace dans son poste de curateur aux biens, et d'Autreville comme greffier du conseil.
(4) Choiseul avait procuré une place de notaire à Cayenne au fils de l'un de ses fermiers. Un de ses frères l'accompagnait.
(5) Veuf, à l'époque âgé de 47 ans, né à Princ diocèse d'Agen, il était accompagné de sa fille Marie de 22 ans.
(6) Habitait l'Ile d'Albe en France, 50 ans, notaire véreux, ami de Pascaud négociant. A sa mort, son minutier fut remis à Collier.
(7) Le seigneur Collier Eustache était notaire en France. Breveté de la cour, il fut présenté par Turgot et recommandé par M. le duc de Saint
Pau et bien d'autres personnes. Né à Orléans, 36 ans en 1763, il avait épousé en premières noces Marie Lambert, morte à Kourou en juillet
1764 à l'âge de 26 ans ainsi que deux de ses quatre enfants. Il se remaria avec Marie Anne Gaumont qui décédera peu après.
Lors de l'expédition de Kourou, 3 notaires brevetés de la cour furent désignés, les seigneurs Godeau, Collier, de Jouy. Sur ces trois, seul de
Jouy se fit immatriculer en la justice de Cayenne, les deux autres, sur ordre de Chanvalon négligèrent ces formalités. Immatriculés dans aucune
juridiction, ils exerçaient par conséquent sans pouvoir, et leurs signatures ne pouvaient donner lieu à aucune authenticité des actes.
A l'issue du contrôle que fit Turgot et sur plainte de nombreux concessionnaires, le 25 janvier 1765 le juge, sur les ordonnances du procureur
du roi, se rendit à Kourou. Il ordonna à Collier de cesser sur-le-champ toutes fonctions. Ils établirent l'inventaire des actes passés, et dressèrent
un procès-verbal, en présence de son successeur, M. de Jouy. Une procédure criminelle fut intentée à l'encontre de Collier, Chanvalon s'y trouva
impliqué de fait. Collier y fit des aveux sur ses agissements. L'inventaire dressé de l'état de ses papiers confirmait ce que le rapport établit par
Lethier qui prouvait, qu'outre le défaut de pouvoir, l'ensemble des actes de toutes espèces passés par ce notaire était imputé de nombreuses
nullités. D'ailleurs ils furent en partie retrouvés entassés dans le plus grand désordre. Il fut mis en examen par Macaye et emprisonné à
Cayenne. Il se sauva de la prison. Quelque temps après, il écrivit de très belles lettres pour implorer sa grâce auprès de la cour.
A N N E X E 14
Les militaires
Jusqu'à l'année 1762 la garde des colonies était assurée d'une manière assez peu régulière.
L'ordonnance du 15 avril 1689 sur le service des armées navales avait prévu la possibilité de débarquer
temporairement des compagnies de bombardiers et de soldats faisant partie de l'équipage des navires de guerre.
Ce fut rarement le cas et toute la population organisée en milice participait à la défense du pays, aidée par des
compagnies franches, bien souvent recrutées et payées par les sociétés commerciales.
A Cayenne à partir de 1698, quatre compagnies détachées de la marine assuraient la garde. L'effectif de chaque
compagnie variait entre 44 et 46, mais n'atteignait jamais 50 soldats.
En 1750, trois compagnies de milices furent créées, une dans chaque paroisse, Cayenne, Roura et Macouria.
En 1758, une compagnie d'artillerie y a été ajoutée.
En outre, des milices composées de tous les hommes blancs et libres de 14 à 60 ans, bien souvent anciens
militaires, participaient à la défense de la colonie. Un règlement concernant cette milice et les compagnies
franches du 28 octobre 1695 précisait qu'elle faisait fonction de maréchaussée, elle réclamait le concours des
habitants pour le maintien de l'ordre et participer au besoin de la défense avec la troupe. Il y était dit :
1° A chaque soldat il sera délivré un mousquet, un fusil boucanier, une baïonnette et un fourniment aux
capitaines commandants.
- 2° Les compagnies seront envoyées d'un lieu à l'autre et marcheront en bon ordre, tambour battant, les
officiers à leur tête et les soldats en armes.
- 3° Le logement sera fourni par les habitants.
- 4° L'exercice du mousquet aura lieu deux fois par semaine et la grenade une fois.
Ce règlement semblait difficile à appliquer à la Guyane.
Pour défendre la ville de Cayenne en 1724, on comptait 5 bastions détachés dans le pourtour. Le fort Louis
irrégulier avait été bâti par les Hollandais, la forteresse était garnie de bons canons et entourée de remparts de terre.
La garnison possédait 200 hommes environ. Les soldats par petits détachements visitaient les habitations pour
assurer la police des noirs.
Les soldats s'engageaient pour 6 ans. Mais les mauvaises conditions de vie, causaient des décès et des maladies
dans la troupe, ce qui réduisait énormément les effectifs de la garnison. Rochefort n'envoyait que très rarement des
troupes pour remplacer ces défections.
A l'issue des 6 ans, quelquefois avant, ils pouvaient demander un congé spécial ou un congé absolu pour être
libères des engagements pris. Bien souvent ce congé absolu n'était donné qu'aux soldats hors d'état de servir, donc
inutiles. Ils voulaient parfois s'installer dans la colonie, ce qui en faisait souvent de mauvais habitants. Vers 1730,
la négligence d'officiers, trop complaisants avec les soldats, permettait les désertions. Mais ils désertaient surtout
parce qu'ils avaient des conditions de vie trop dures et étaient mal nourris (ils ne mangeaient que de la cassave). Ils
rejoignaient le Surinam où ils étaient sûrs de trouver un emploi d'économe ou d'intendant sur les plantations. Il n'est
pas inutile de rappeler qu'à cette époque beaucoup de Français appartenant à la "Religion Prétendue Reformée",
venus de Hollande, participèrent à la fondation et à la construction de la ville de Paramaribo, capitale du Surinam.
En 1755, Cayenne comptait 10 compagnies d'infanterie. Neuf résidaient à Cayenne, d'Audiffredy, Rousseau,
Tillasceau, Descoublant, Saint Michel de Dunezat, Prefontaine, Desratier, La Hayrie, Mouchard et celle de
Duchassy à Oyapock. Certaines n'étaient pas à l'effectif complet.
Lors de la réforme en 1762, 23 régiments comptant 40 bataillons, furent désignés pour le service de la marine,
des colonies et des dépôts de la métropole. En août 1763, servaient en Guadeloupe les régiments Beauvaisis et
Royale la Marine, à Saint-Domingue, les régiments d'Angoumois et de Forest, à Cayenne le régiment de
Saintonge. Ce régiment fut muté en Martinique fin 1764 et devant la défection de ses effectifs par décès il fut
remplacé en 1765 par le régiment de Vexin.
L'ordonnance du 26 mars 1763 prévoyait la réforme des troupes de Cayenne. Le 8 mai 1763 arriva le régiment
de Saintonge. Devant la pénurie de bâtiments, une compagnie fut logée dans la nouvelle église de Rémire, une
autre à Loyola chez les Jésuites, les deux autres furent envoyées à Kourou. Les officiers logeaient chez
l'habitant.Le 27 septembre 1763, il fut envoyé pour renforcer Cayenne huit pièces de canons de 24, huit de 12 et
huit de 14. Le 23 mai 1764, il fut fait pour ce régiment une nouvelle levée de 200 soldats en France, en attendant
la formation des troupes nationales.
Les Compagnies Franches de la marine furent supprimées par la lettre du Roi du 29 juin 1764. Le ministre de
la guerre désigna des corps de troupes pour rester en permanence dans les colonies. Ainsi fut créé la légion de
Saint-Domingue, les troupes nationales pour Cayenne avec une compagnie d'ouvriers. Elles ont contribué à
l'agrandissement de la ville de Cayenne en 1765, ordonné par Turgot et réalisé par Fiedmont. Quelques années
plus tard sera formée une compagnie de dragons, le manque de chevaux se faisant sentir, seuls ceux qui en
possédaient y seront désignés. Ce dispositif resta en place jusqu'à la création du bataillon de Guyane à la
Révolution.
Bien souvent à Cayenne les soldats étaient plus nombreux que les habitants blancs, comme ils leur devaient la
nourriture dans leurs déplacements, cela posait de nombreux problèmes. La condition misérable de ces soldats,
marchant nus-pieds, les poussait dans l'oisiveté, la paresse, l'ivrognerie, le tout se terminait par des bagarres. Ils
fréquentaient les cabarets de la ville en dépensant le maigre prêt qu'ils percevaient. Ils devaient payer leurs habits,
car si la marine leur en donnait ils les vendaient. Pour se sortir de cette condition, les plus instruits se louaient
comme commandeur. Ceux qui possédaient un métier, devenaient, ouvriers en dehors des heures de service, et les
meilleurs s'établissaient comme artisans. Les désertions vers le Surinam et le Brésil étaient nombreuses. En
désertant, généralement par petits groupes, ils volaient toujours un canot, quelquefois leur fusil ou un canon qui
leur servaient dans le pays d'accueil de monnaie d'échange. Ils volaient les canots des habitants de la grande terre
lorsqu'ils venaient à Cayenne, d'où l'obligation avait été faite à ces habitants de mouiller les embarcations en vue
des sentinelles du port. Des accords avec le Surinam avaient été passés pour l'échange réciproque des déserteurs
mais si l'intéressé possédait un bon métier il était conservé par ses nouveaux dirigeants qui le cachaient aux
autorités, c'est une des causes de la présence de beaucoup de Français au Surinam. Les Indiens prévenus par le
canon arrêtaient les déserteurs. Le gouverneur les payait 10 écus par fuyards ramenés. En principe tout déserteur,
même en temps de paix était passible de la peine de mort ; c'est pourquoi, pour faire un exemple, le 2 septembre
1766, à Cayenne, 17 déserteurs furent passés par les armes.
En 1764 Fiedmond proposa "de constituer une compagnie de 100 ouvriers pour le service de la place, voire
deux, ou alors cette compagnie se dédoublerait en cas de besoin. Les officiers seraient choisis parmi les habitants
les plus méritants et astucieux qui servaient à Louisbourg ou dans l'île Mulon".
Voici la composition de cette compagnie: 1 capitaine, 1 lieutenant, 2 sous-lieutenants, 4 sergents dont 1
mineur, 1 ouvrier en bois, 1 ouvrier en pierre, 1 ouvrier en fer, 4 caporaux dans la même répartition, 4 anspesades,
2 tambours 80 fusiliers. Cette compagnie, sera divisée en 4 escouades :
- la lére de 4 mineurs, 4 tailleurs de pierres, 12 maçons.
- la 2éme de 40 charpentiers de marine.
- la 3éme de 2 scieurs de long, 4 charrons, 6 mineurs, 2 tourneurs, 2 fraiseurs.
- la 4éme de 6 forgerons-taillandiers, 8 compagnons sachant faire le charbon, 4 armuriers, et 2 ferblantiers.
La tenue était : veste et culotte bleue ou grise en toile légère, manteau bleu à capuchon.
L'armement : fusil à garniture en cuivre avec baïonnette de 18 pouces non compris la garde.
Traitement : il a été proposé le même salaire que ceux de la profession pour y retrouver l'émulation.
Cependant en 1764 le "mauvais état des troupes nationales qui ont relevé le régiment de Saintonge, le nombre
des valides est bien au-dessous du nécessaire pour le service journalier de cette place. Les maladies les ont encore
affaiblis et la liberté donnée aux nouveaux habitants de repasser en France a été contraire aux levées qu'on aurait
pu faire parmi eux. Ils préfèrent la condition la plus vile en Europe aux engagements les plus avantageux qu'on
puisse leur faire dans ce pays, dont ils sont fort dégoûtés".
Cependant Fiedmont venant d'être nommé gouverneur dira: "Il faut que les officiers de cette colonie soient des
hommes de bois et de canot et non des officiers de fortune. Plusieurs se sont mariés à des filles ou à des veuves
fortunées de l'ancienne colonie". En 1764 il n'était pas possible de loger les officiers des troupes nationales à
Cayenne ; c'était pour cela que certains étaient restés à Rochefort. En 1765 Turgot renvoie en France par le "Fils
Unique", le détachement d'artillerie venu à Cayenne l'année précédente et qui n'avait plus son utilité.
Le 13 sept 1765 arriva à bord de la "Nourrice", à Cayenne, après 54 jours de traversée sans aucun malade, un
détachement des Troupes Nationales composé de 11 officiers 107 hommes.
La première installation du poste de l'Approuague remonte à 1766, son premier commandant fut Andress
Carrerot. Pour celui du Maroni, en 1768, son premier commandant fut Charles François Hertel de Cournoyer de
Chambly, mais ce ne sera qu'au mois d'août 1776 que Fiedmont commencera à installer et fortifier le poste.
Les compagnies de milice à Cayenne en 1767 étaient commandées par Fiedmont, Kerkove, Sautereau, Lautier
et Gelin. Une compagnie de nègres libres fut incorporée dans la maréchaussée et sa mission était de rechercher
les soldats déserteurs.
En 1767, il y avait à Cayenne 600 soldats, 2000 à Saint-Domingue, 2200 à La Martinique, 1700 à la
Guadeloupe, et 51 à Saint-Pierre et Miquelon.
En 1770, seront formées à Cayenne, des compagnies d'infanterie, de dragons, de chasseurs et de milices
suivant le nombre d'habitants libres de la colonie âgés de 15 à 55 ans et les gens de couleur de 13 à 60 ans. Chaque
compagnie sera composée d'un capitaine ou lieutenant, un sous-lieutenant, quatre caporaux, quarante- quatre
fusiliers soit quatre escouades de douze hommes. Les compagnies de chasseurs étaient composées par les mulâtres
et nègres libres. Ils étaient astreint à deux revues chaque année, passées en janvier et juillet.
Lors de la réforme de 1771, les officiers durent partir à Saint-Domingue pour être incorporés dans la légion ;
s'ils restaient à Cayenne, ils ne percevaient pas de pension.
En 1763 ce régiment était à Rochefort, composée de deux compagnies, la compagnie colonelle, et la seconde
compagnie, auparavant elles avaient stationné à Saint-Domingue et en Louisiane.
Liste des officiers que le roi nomma pour servir à la Guyane et composer
les troupes nationales de cette colonie:
De la Valliére actuellement major de cette colonie
Etat-major: De la Forest major des troupes, Hertel de Cournoyer aide major, Daillebout de Perigny aide
major, De Villery sous aide Major.
Compagnie d'artillerie: Vallée, Benoist, Audiffredy.
Commandant les 12 compagnies des troupes nationales: de Verteuil, Le Neuf de Boisneuf, Trion,
Dupont Duchanbon Dumaine, Chaussegros de Lery, Pommeroy, Desgoutins, Le Neuf de la Poterie, Dumont
de Chateaufort, Dreux Constant, d'Aillebout de Saint Vilmé, le Chevalier de la Tremblaye, Dugrez pour servir
à la suite.
Les Lieutenants: Michel Hertel de Cournoyer de Chambly, Decoux, Sabattier, le Chevalier
Duboiberthelot, Andress Carrerot, Le chevalier d'Aillebout de Saint Vilmé, Pierre Rousseau, le Chevalier
d'Escoublant de la Rougerie, de Régis, Poupet de la Boulardiére, de Bonnaventure, de Fermanel, de La
Rochehercule pour servir à la suite.
Sous-Lieutenants: Le Poupet de Bonneville, André Carrerot, Villeray de la Cardonniére, Tournay.
Pendant la présence des 20 compagnies des troupes nationales, entre 1763 et 1769 les milices furent
supprimées.
Le nombre des soldats à Cayenne était très important car, pensait-on, que c'était le seul moyen de doubler le
peuplement de la colonie, "cela faisait de loin les meilleurs habitants".
A N N E X E 15
A propos des colons pour Saint Domingue, le 28 novembre 1764, Choiseul décidait "ce nombre est trop
considérable, il faut suspendre tous les envois pour cette colonie". Depuis le 26 juillet 1764, avaient été transportés
aux îles 3276 personnes sur 21 navires.
A N N E X E 16
Il s'avère très difficile de dresser l'état des bateaux ramenant les débris de cette tentative de colonisation. Les
navires qui transportaient les personnes rentrant de Cayenne ou de Saint-Domingue, étaient tenus de revenir dans
leur port de départ. L'intendant de la généralité de ce port devait alors congédier les familles ou les faire passer au
dépôt de Saint-Jean-d'Angély. Parfois ces personnes logeaient quelque temps, généralement dans des hôpitaux,
pour rétablir leur santé. A Marseille, elles logeaient dans l'ancien hôpital du bagne. Il est possible de retrouver le
nom de certaines personnes renvoyées par groupe dans leurs foyers. En général, elles rentraient chez eux par
groupes de 25 à 30 personnes munis d'un ordre de route. Les malades demeuraient à l'hôpital quelque temps et
partaient plus tard à l'issue de leur guérison. Il leur était versé une somme d'argent pour survivre. Toutes
percevaient 6 sols par jour pour la subsistance et le logement.
Les personnes rentrés par Rochefort débarquaient à l'île d'Aix, elles y restaient quelques jours et ensuite
rejoignaient le camp de Saint-Jean-d'Angély. Les infirmes et les orphelins isolés rentraient seulement s'ils étaient
réclamés par les familles. Les autres, jugés en bonne santé et aptes au travail, restèrent dans la colonie et furent
confiés à des familles de blancs et ou de libres. Ils s'intégrèrent par la suite dans la population.
Etat des bateaux partis de Cayenne pour ramener les colons en France :
"La liberté donnée à tous les nouveaux colons de retourner en France aux frais du Roi, a donné lieu à plusieurs
embarquements dans le port de Cayenne". Il a donc été frété divers bâtiments à cet effet par Turgot, avant son
départ, ainsi que par ses successeurs.
1A l'arrivée à Marseille 15 sont morts à l'hôpital, les autres furent stationnés dans les locaux du bagne. Des personnes furent conduites
par Lyon, d'autres par Montpellier et en particulier des Acadiens renvoyés pour cause d'infirmité.
Nota:" Le 20 juin 1765, un navire marchand chargé de cultivateurs et de concessionnaires est arrivé à la Rochelle,
un autre à Nantes".
On doit trouver, dans les bureaux, un projet d'établissement à la Guyane, donné en 1767 ou 1768, par M. Le Baron
de Bessner.
Il était question de former douze villages, dans l'intérieur des terres, avec des blancs, pour arrêter le marronage
des esclaves.
L'auteur obtint de mettre ce plan à exécution.
Le Ministre assigna pour cet objet soixante mille livres de dépenses annuelles, et donna la permission de prendre
cent soldats de la garnison, que le Roi entretiendrait de tout, pendant dix-huit mois, tems que fixait le projet pour
mettre les nouveaux habitans en état de se passer des secours du Roi.
L'auteur retourna à Cayenne, au mois d'août 1768; mais les dispositions, qu'il fit pour son établissement,
démontrèrent qu'il n'avait pas acquis des connaissances bien sûres de ce pays, pendant son premier séjour; il était
parti la première fois avec le chevalier Turgot.
Il choisit la rivière de Tonnegrande pour son établissement, qu'il plaça au-dessus du saut, à environ six lieues de
Cayenne, sur un plat pays, où l'on plaça cent soldats, avec un officier de la garnison, des cases, un magasin avec
un commis aux vivres chargé de la distribution.
Les nouveaux habitans firent des abattis de bois, pour planter des vivres et du coton, dont le produit devait être
partagé ent/eux, mais tout devait rester en commun jusqu'à ce qu'on pût diviser le fonds cultivé.
Ces travaux rudes et trop pénibles pour des blancs, le choix du local, ingrat, humide, mal-sain et noyé par les
pluies, pendant l'hiver, accablèrent ces malheureux.
On les renvoyait à Cayenne à mesure qu'ils tombaient malades, et l'on en tirait de la garnison autant qu'il en
fallait, pour toujours tenir complet le nombre de cent, par ce moyen, on épuisait la garnison, et l'établissement au
bout de dix-huit mois se trouva réduit à des malades qui, dès que le Roi cessa de les nourrir, demandèrent à
retourner à Cayenne, ne pouvant fournir eux-mêmes à leur subsistance.
Cependant on demanda et on obtint encore dix-huit mois de nourriture; le résultat fut le même, en observant que
les dépenses extraordinaires, au lieu de soixante mille livres par an, furent portées à quatre-vingt mille. On vint
cependant à bout de continuer jusqu' en 1773; mais enfin on fut obligé de céder. L'entreprise, après avoir coûté
beaucoup d'hommes et d'argent tomba, sans qu'il soit resté un pied de coton.
M. De Besner crut qu'il serait plus heureux p o u r son compte; il s'associa avec M. le Marquis de Caulincourt, et
acheta l'habitation de M. De Chassy, appelée le Mont-Joly, située sur la côte de l'île, vers la mer. Une dépense de
cent cinquante mille livres en nègres et ustensiles n'a pas monté cette habitation au-dessus de sept à huit mille
livres de revenu.
Dans cet état, Mr. Bessner est revenu en France imaginer le projet des Epiceries, pour parvenir au
Commandement de Cayenne.
Cet extrait est curieux, parce qu'on y voit ce qu'alléguait le Baron de Bessner à la défense de ses projets. Il passa
néanmoins condamnation et donna gain de cause à ses adversaires, lorsque, devenu Gouverneur de la Guyane
française, en Décembre 1781, il ne reprit point le cours de ses entreprises on ne chercha p a s à les relever avant
sa mort arrivée le 13 juillet 1785.
D e s E t a b l i s s e m e n s d e u r o p é e n s cultivateurs, f o r m é s p a r le B a r o n d e B e s s n e r à la G u y a n e
Française, de 1 7 6 5 à 1772,
R é d i g é e n 1 7 7 2 d a n s l e s b u r e a u x d u M i n i s t r e d e l a M a r i n e p o u r le M i n i s t r e .
L'histoire qui suit est un compte rendu au Ministre, des établissemens du Baron de Bessner, à l'occasion
probablement et à la suite de la lettre qu'on vient de lire et en opposition à ses assertions.
M, de Bessner avait déjà proposé, en 1765, d'établir à Cayenne des Européens uniquement occupés de la culture
sans 1-e secours des esclaves. Ces établissemens devaient se faire p a r seigneuries : chaque seigneurie devait être
composée de dix villages et chaque village de dix familles. Tous les habitants de chaque village devaient travailler
en commun et leur récolte se partager entr'eux et le seigneur, à qui il en devait appartenir le tiers, au moyen de
ce qu'il fournissait à ces nouveaux Colons les vivres, outils et bestiaux, dont ils avaient besoin p o u r former leur
établis s emen.
M. Bessner se rendit en 1765 à Cayenne p o u r mettre son projet à exécution. Il y resta 15 à 18 mois. A son retour,
il assura que deux de ces établissemens qu'il avait formés sur les rivières de Kourou et d'Oyack avaient eu le plus
grand succès. M. de Fiedmont manda au contraire p a r sa lettre du 10 mai 1766, que quoique M. de Bessner eut
fait avec soin le choix du terrain et des hommes et que l'on eut favorisé ces nouveaux Colons de tous les moyens
propres à les faire réussir, ils n'avaient cependant p a s été plutôt rassemblés p a r village, que le travail et les
intérêts communs avaient excité parmi eux la dissention et qu'ils s'étaient dispersés. Il ne reste p a s actuellement
vestige de ces deux établissemens.
M. de BessMer a encore proposé en 1768 de faire une nouvelle tentative avec des soldats de la garnison, de les
établir p a r villages composés d'un caporal, d'un appointé et de dix fusiliers. Suivant le plan, ces nouveaux Colons
ne peuvent avoir d'esclaves. Tous les habitans d'un village doivent travailler en commun pendant quatre jours de
chaque semaine à former douze habitations et ces habitations lorsqu'elles seront en valeur doivent être partagées
entr'eux p a r la voie du sort. Enfin le Roi doit fournit à ces nouveaux Colons les vivres, habillement et outils qui
leur seront nécessaires, jusqu'à. ce qu'ils s'en puissent passer p a r le produit de leur travail.
On objecta dans -le tems que ce projet, qui coûterait beaucoup au Roi, ne pourrait avoir de succès, parce que le
travail de la terre est pernicieux p o u r les Européens dans les colonies chaudes ; que quand ils pourraient
supporter ce travail, ils n'en retireraient jamais de quoi suffire à leurs besoins. Néanmoins, il fut décidé que M.
Bessner en irait faire l'essai sur les lieux. Il fut à cet effet nommé Commandant des troupes et Commandant en
second de la Colonie aiïecJSOOO livres de traitement. On envoya, p a r une dépêche du 8 août 1768, copie de ce
projet aux administrateurs de Cayenne, en leur ordonnant de faire délivrer, des magasins du Roi, les outils et effets
nécessaires pour cette entreprise. On donna en même tems ordre à Rochefort de fournir à M. de Bessner tous les
outils aratoires, qui s'y trouveraient dans le magasin des Colonies.
M. de Bessner se rendit dans la Colonie vers le commencement de septembre 1768, et choisit pour placer ses
établissements le lieu de Tonnegrande, qui est à environ six lieues de Cayenne en remontant la rivière.
Tout ce que M. de Fiedmond, Maillard et M. le Comte d'Ennery ont écrit depuis annonce l'impossibilité du succès
de cette entreprise. MM. de Fiedmont et Maillard le jugèrent ainsi, lorsqu'ils en reçurent le plan et le mandèrent
p a r leur lettre commune du 28 septembre 1768.
M. de Fiedmond, p a r une lettre du 29 novembre 1768, en annonçant la mort du Sr. Tournay, sous-lieutenant, qui
commandait Tonnegrande, et de plusieurs des soldats qui y étaient employés à la culture, mande que cet
établissement en fera encore périr d'autres sans succès ; que ceux qui pourront résister épuiseront bientôt leur
santé p a r le travail, sans se mettre à leur aise ; qu'ils deviendront infirmes et retomberont à la charge du Roi ;
qu'enfin cette entreprise enlèvera à la garnison les meilleurs sujets.
M. Maillard, p a r sa lettre du 14 février 1769, mande qu'il n'est pas possible de former des établissemens de
culture à Cayenne sans esclaves ; qu'en supposant que les soldats employés à Tonnegrande fussent tous jeunes,
vigoureux et exempts de maladies, leur travail pourrait à peine suffire à leur simple et modique existence ; qu'une
fois affaiblis p a r l'âge, ils retomberont nécessairement à la charge de la Colonie.
M. le Comte d'Ennery, qui avait eu ordre, en retournant à la Martinique, de passer p a r Cayenne, p o u r examiner
la situation de cette colonie, mande, p a r sa lettre du 18 février, qu'il a été voir l'établissement de Tonnegrande ;
qu'il ne croit pas que cette entreprise puisse réussir ; qu'il croit même que M. Bessner, malgré les soins qu'il se
donne, est convaincu, de cette vérité ; que ce projet coûtera au Roi beaucoup d'hommes et d'argent,
indépendamment du tort qu'il a fait à la discipline des troupes.
M. d'Ennery pouvait mieux en juger que personne : il avait fait infructueusement toutes sortes de tentatives pour
établir des blancs à Champflor de la Martinique, où il avait beaucoup plus de moyens de réussite qu'à Cayenne.
M. Maillard, p a r une lettre du 4 juin 1769, entre dans le détail des obstacles qui s'opposent invinciblement au
succès de cette entreprise.
Il a été rendu compte, au mois d'août 1769, au Ministre, qui décida que les choses resteraient in statu quo jusqu'à
nouvel ordre. Cependant il s'est écoulé plus de 18 mois depuis cette décision : il en coûte toujours beaucoup au
Roi, tant en hommes qu'en argent, sans qu'il paraisse en résulter le moindre succès. Au contraire, tous ceux qui
reviennent de Cayenne annoncent que cet établissement s'anéantit de lui-même, et que, s'il reste encore quelques
soldats, ce n'est que p o u r jouir de leur paye et de leurs rations sans être assujettis à la discipline du corps.
A N N E X E 18
Référence C 14 r 28 f 331
Référence C 14 r 28 f 331
"Archives nationales - CAOM. Tous droits de reproductions réservés."
0 "Emplacement du vieu?c bourg de Kourou, emplacement où était fa statue. Photo ESA/CNES
Les registres de l'Expédition de Kourou
Note explicative
Le 10 mai 1763 le duc de Choiseul écrivait en ces termes à Ruiz, intendant à Rochefort :
"Quoique fe port de Rochefort, n'ait pas [a facufté de faire directement fe commerce des cofonies, mais qu'il y a
souvent des navires marchands frétés pour fe Roi et qu'il peut y être accordé des passages, je vous prie de m'envoyer
exactement des notes de passagers qui seront embarqués à Rochefort à fa place d'engagés, c'est dans fa vue de procurer
plus facilement de feurs nouveffes au^personnes qui viendraient en demander en mon bureau des cofonies, que j'y fais
tenir un registre de tous fes passagers emè arqués sur fes navires marchands, soit en pface d'engagés soit de gré à gré avec
fes armateurs, soit des ouvriers ou des gens de métiers qu'ifs sont tenus d'envoyer dans fes cofonies et de feursfami lles".'
Malgré cette mesure, il est très difficile de connaître le nombre exact de colons enrôlés pour l'expédition de
Kourou. Beaucoup de Français se portèrent volontaires. Mais le Roi ne voulait pas dépeupler la France, il limita
l'expatriation de ses sujets en exigeant l'obtention d'un passeport de la cour. Certains crurent, en se présentant à
Saint-Jean-d'Angély, Rochefort où la Rochelle qu'ils pourraient partir. "L'Eldorado" était un mythe ! La réalité
était tout autre ! Les aventuriers en furent pour leurs frais et éconduits !
Devant cet engouement, le Roi décida de ne faire partir que les étrangers et les Acadiens. Les conditions
d'embarquement furent sujettes, comme nous l'avons vu, à beaucoup de péripéties. Bien que certains aient exprimé
quelques doutes (Chanvalon) sur la compétence de Malherbe qui tenait les listes de départ à l'Ile d'Aix, il apparaît
que la crédibilité des registres de Saint-Jean-d'Angély est intacte. Malgré une certaine improvisation, la marine à
toujours scrupuleusement enregistré les départs, ne fallait-il pas que ces listes soient à jour pour les
remboursements auprès des trésoriers généraux !.
En ce qui concerne les autres lieux de départ, les listes ne revêtent aucun caractère officiel hormis le registre
conservé à la Bibliothèque Nationale à Paris.
Le présent document est un état des départs quasiment complet. Pourtant, après janvier 1765, les bateaux
envoyés à Cayenne ont quelquefois changé de destinations. On est donc fondé à émettre quelques doutes sur le
débarquement éffectif de certains passagers à Cayenne. Ils ont pu, soit débarquer, soit avoir été dirigé vers d'autres
colonies, soit revenir en France. On se souviendra en effet que Turgot refoula une partie des contrebandiers qu'on
tentait de lui imposer.
- Le premier registre 7 P4 22 : Les personnes inscrites sur ce registre sont arrivées à Saint-Jean-d'Angély,
entre le 13 mai et le 3 novembre 1763. Il comporte 790 pages et 5464 numéros y sont enregistrés, il y a cependant
5555 noms d'inscrits.
Premier registre qui contient trois cent quatre-vingts di^-septfeui[[ets non compris six en èlancs
Signé LT,MO<y9^E
Autre page,
Instructions pour [a présente matricufe.
Jtrticfe premier: Le dépôt de Saint-Jean-a'Jtngéfy, était le chef [ieu où fes fami[fes françaises et étrangères étaient
enregistrées à leurs arrivées sur [es passeports qu'erfes présentaient, soit de Versailles, Strasbourg ou (Bordeaux ily a
eu aussi plusieurs familles qui ont été acceptées sans passeport fe commissaire ayant été autorisé.
Article 2: La viffe de Saint-Jean-a'Jtngéfy n'étant pas en état de pouvoirfournir des [ogements à toutes fes famiffes
on f u t ob[igé d'avoir recours à d'autres [ieU{ circonvoisins; en conséquence i[ fut étaè[i des dépôts à Saintes, Cognac,
Taillebourg et Saint-Savinien, lesquels dépendaient de ce[uy de Saint-Jean-a'Jtngéfy, [es dépenses de ces divers
entrepôts sont toutes entrées dans un seulet même compte.
Article 3: I[ fut aussi établi un dépôt à ['isfe d'Oleron fequer aépôt ne dépendait aucunement de cetui de Saint-Jean-
dangély, ['officier d'administration qui en a été chargé a rendu un compte particutier des dépenses par lui faites à
['occasion desfamiffes dont [a [..] lui a été confié.
Article 4: La subsistance a été payée à ces familles à raison de sixsols par jours et deuxso(s aussy par jour pour
le [ogementjusqu'à y compris le 31 décembre 1766 conformément auX lettres de Monseigneur le !DMC de Cfwiseu[ au 4
aviil 1763 et 30 novembre 1764.
Jtrticfe 5: A compter du premierjanvier 1767 jusqu'en, compris [e 31 décembre de la même année, [a subsistance n'a
été payée qu'a raison de cinq sols par jour et d'un so[ aussi par jour pour le [ogement conformément à [a lettre de
Monseigneur le D ' MC de Prasfin du 27 octobre 1766.
Article 6: I[ a été payé à plusieurs familles des conduites [..] payement de conduite tant de Versait [es, que de
BordeauX ou Strasbourg à Saint-Jean-dAngély, lesquels payements ont été faits conformément à leurs passeports au
bas desquels les sommes étaient énoncées.
Article 7: l i a été payé au\^fami[[es parties des différents dépôts pour passer aux colonies, une gratification accordée
à ['embarquement, de [a somme de vingt livres aux pères, mères et orphetins, et de diX livres à chaques enfants,
conformément auX lettres de Monseigneur le (Duc de Choiseul des 4 aviill 763 et 26 avri[1764.
Artick 8: S'il avait été payé pendant (es années 1763 et 1764 à plusieurs familles dans les différents dépôts des
sommes en argents à compte des gratifications qu'elles devaient toucher avant de s'embarquer, Mais [a méprise de ses
avances n' ayant pu être faite puisque [eur embarquement n'a pas eu fieu; cette dépense a été approuvée par [a [ettre de
Monseigneur [e (Duc de Praslin du 19 décembre 1768, cette dépense est passée comme secours à ces familles.
Artick 9: Les fami[fes congédiées en 1765 et 1767 qui ont reçus [eur conduitejusqu'à Strasbourg n'ont été payée qu'à
raison de 24 [ivres pour cfiaques personne conformément à [a [ettre de Monseigneur [e Duc de (Prasfin du 26 Mars 1765.
Articte 10: Les fami[[es étrangères congédiées en 1766 pour retourner dans [eur pays ont reçu pour [eur conduite (a
somme de 30 [ivres par chaque personne conformément à la [ettre de Monseigneur [e duc de Trastin du 30 jui[[et 1766.
ftrticte 11 : Lesfami[[es congédiées en 1766 et 1767 pour passer en fttsace s'y étab[ir n'ont reçues que 4 [ivres 7 sols
pour [eur conduite jusqu'à Poitiers à raison de 3 sols par lieue. Si Uy a eu des ordres données pour les faire payer sur
[e même pied degénéra[ité engénéra[ité jusqu'à Strasbourg; cette dépense n'a point été connue dans les ports et n'a pu
entrer dans fes comptes.
Ces registres sont riches en renseignements. On y trouve dans l'ordre: La destination, la date d'arrivée au dépôt,
les prénoms, le nom de l'intéressé (le prénom du père et le nom de la mère) son métier, son âge, parfois son lieu
de naissance, sa paroisse, sa province, et dans une rubrique "divers" fort intéressante, bien souvent les sommes
reçues à diverses occasions. Parfois les dates de retour des colonies, les mariages, les déplacements à l'intérieur
des différents dépôts, les dates de naissance pour les nouveaux nés, et des renseignements d'ordre particulier sont
indiqués. On peut parfois y trouver une famille sur quatre générations.
Toutefois les renseignements sont moins complets pour les autres registres :
- Les listes des colons partis de Marseille ont été établies à partir des registres de paiement de l'intendance
conservées aux archives départementale de Marseille. Au total 2205 personnes, y compris 738 enfants sont parties
de ce lieux, dont 1941 sont passées par Brue et 264 par Aix. On retrouve les listes détaillées des familles dans le
registre de la mairie de Lambesc (références 129 E/ FF61), mais elles sont pratiquement illisible.
- Les listes de Paris fournissent des renseignements d'ordre divers plus complet, mais moindres pour l'identité
des individus. Attention les numéros allant de 268 à 343 sont doubles. Ces personnes furent recrutées par le
chevalier Turgot et quelques particuliers. Au total, 875 noms sont enregistrés, dont 307 enfants.
Nota: Certaines personnes ne sont pas enregistrées car Choiseul ordonnait parfois des embarquements de
particuliers qui ne passaient pas par les dépôts.
Plutôt que de livrer les registres dans l'ordre des arrivées des personnes mous avons préféré, afin de faciliter les
recherches de noms, établir un ordre alphabétique pour la colonne qui correspond au nom du volontaire au départ.
Ceci permet de retrouver les noms de familles plus facilement. On y trouve dans l'ordre les listes des personnes.
Inscrites à Saint-Jean-d'Angély et envoyées pour :
- Cayenne de la page 248 à la page 334
- Saint-Domingue de la page 335 à la page 369
- La Guadeloupe de la page 370 à la page 375
- Sainte-Lucie de la page 376 à la page 377
- La Martinique de la page 378 à la page 381
Passées par Aix en Provence, Marseille et envoyées pour:
- Cayenne page 382
Passées par Brue, Marseille et envoyées pour :
- Cayenne de la page 383 à la page 389
Inscrites à Paris et rassemblées à Samer et envoyées pour :
- Cayenne de la page 390 à la page 398
Inscrites à Saint-Jean-d'Angély et dont la destination est :
- congédiées de la page 399 à la page 432
- désertées de la page 433 à la page 441
- destinations diverses page 442
- décédées de la page 443 à la page 462
- Oléron de la page 463 à la page 484
- restées à Rochefort page 485
- l'Espagne de la page 486 à la page 500
Inscrites au dépôt de Saint-Jean-d'Angély et rentrées de :
- Cayenne de la page 501 à la page 504
Nous attirons l'attention des lecteurs sur le fait que les écrivains de la marine ou de l'intendance inscrivaient
phonétiquement les noms en particulier ceux des Allemands. Plusieurs interprétations sont donc possibles.
Exemple, un B peut être interprété P.
Afin d'en permettre la lecture sur une seule ligne, nous avons parfois utilisé des abréviations lorsque les
renseignements étaient trop long.
En voici les explications:
CONG = Congédié = Renvoyé chez lui.
Dans la colonne âge, 0,8 veut dire: âge 8 mois
HOP = Hôpital
M.N°5671 = Marié à la personne portant le numéro 5671 et marié depuis son arrivée dans le dépôt.
NG = Naufrage Gigeon. Le 18 août 1763 le bateau "le Maillart" qui partait pour la Guadeloupe coula dans la
port de Gigeon ou Guyon en Espagne. Les naufragés retournèrent à Saint-Jean-dAngély le 24 mars 1764, et
certains repartirent en Guadeloupe le 14 mai 1764.
F.N°5540 = Femme du numéro 5540. Etait déjà mariée à l'arrivée à Saint-Jean.
R. Cay le 19/10/65 = Retour de Cayenne le 19/10/65.
R.Domingue = Retour de Saint-Domingue le ....
REG = Registre
RM = Remarié
OFF = Officier
OLE = Oléron (en particulier dans la rubrique divers, cela veut dire que les personnes sont passées à Oléron
sans toutefois y rester).
ORPH = Orphelin.
TN = Troupe nationale
VVE. ou VF = Veuve ou Veuf.
Cependant, ce classement par ordre alphabétique offre quelquefois un inconvénient pour la recherche des
couples. Deux cas peuvent se présenter :
- le couple était marié avant son arrivé à Saint-Jean-d'Angély, et il n'est pas toujours fait mention du mariage.
L'inscription sur le registre se faisait dans l'ordre suivant, l'homme, la femme et les enfants. Si une recherche doit
être éffectuée, il est facile de trouver le numéro précédent en le recherchant dans la colonne numéro
d'enregistrement (exemple, pour le numéro 5343, rechercher le numéro 5342. Rechercher également dans le 3éme
et 4éme registre pour les numéros inférieurs au n° 1966).
- le couple s'est marié durant son séjour dans les dépôts, le numéro du conjoint est inscrit dans la colonne
observation.
Dans tous les cas ne pas oublier de rechercher dans les listes des morts.
Complément de la liste des personnes rassemblées à Samer et dirigées sur Cayenne par le chevalier T
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély an
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
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Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes congédiées à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes ayant déserté dans les dépôts de Saint-Jean-d 'Angély année
Liste des personnes ayant déserté dans les dépôts de Saint-Jean -d 'Angély anné
Liste des personnes ayant déserté dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes ayant déserté dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes ayant déserté dans les dépôts de Saint-Jean-d 'Angély année
Liste des personnes ayant déserté dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes ayant déserté dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély ann
Liste des personnes ayant déserté dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes ayant déserté dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Destinations diverses de personnes des dépôts de Saint-Jean-d'Angély an
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d 'Angély anné
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d 'Angély anné
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean -d 'Angély année
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean -d 'Angély années
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
Liste des personnes décédées dans les dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély anné
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
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Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély année
Liste des départs pour Oléron à partir des dépôts de Saint-Jean-d'Angély années
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1 7 6 3 - 1 7 6 4 : Le duc de Choiseul voulut faire de la Guyane un établissement "solide et brillant". Les annales
de l'histoire conservent la mémoire d'un tableau affligeant pour l'humanité et nous prouvent à quel point
l'incompétence et la rivalité de certains dirigeants s'affirment devant l'ambition du pouvoir !
1995 :
Kourou
est devenu
le port spatial
de l'Europe.
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