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Sujet: Suis-je ce que j'ai conscience d'être?

Sujet: suis-je ce que j'ai conscience d'être?

(par Debele Mfoulou Ebwang Meye, l'Homme d'Engong)

Compréhension du sujet

Sens des termes.

"Je" : notion de sujet (pensant); désigne l'homme en tant que


connaissant.

"Etre"; "suis" : exister (être en général : réalité)

"Conscience" : esprit qui connaît par opposition aux choses à connaître;


on peut définir les différents niveaux de la conscience : conscience
immédiate; réfléchie (se saisir comme sujet pensant, comme conscience;
cf; introspection, faculté de rentrer à l'intérieur de soi pour se connaître).
Sorte de savoir immédiat. Mais ici, il s'agit de la conscience réfléchie.

Sens de la question (mise en rapport des termes).

Le sujet nous invite à réfléchir sur le problème du rapport entre la


conscience et l'être (qui se manifeste dans l'epérience du "je suis") et sur
les figures possibles de ce rapport :

Suis-je tout ce que j'ai conscience d'être? Y' a-t-il identité entre
conscience et être? (Descartes)

Suis-je moins ou plus que ce que j'ai conscience d'être?

Ou même tout à fait autre? (Freud)


3)Présupposé. La conscience pourrait être un obstacle à la
connaissance moi-même, et serait même, en ce qui me concerne, une
source d'illusions. Bref, la conscience me trompe. Nous sommes peut-
être tout à fait autre que ce que nous avons conscience d'être -du moins,
cela est ici présenté comme douteux

4) Enjeu : a) si oui alors la conscience est un savoir, elle est toute-


puissante

b) si non, alors, il existe autre chose qu'elle, il y a sans doute un


inconscient

5)Problématique : la conscience (réfléchie), qui depuis Descartes est


censée avoir un privilège (cf. le cogito) concernant l'accès à nous-
mêmes, ne serait-elle que la superficie de l'esprit? N'est-elle pas, plutôt
que la connaissance de nous-mêmes, illusion sur nous-mêmes? Ne nous
cache-t-elle pas tout de nous?

Pistes pour votre plan de rédaction

I- La transparence à soi de la conscience ou le cogito cartésien :

Je suis tout ce que j'ai conscience d'être; comment en serait-il autrement,


étant donné que la conscience, quand elle porte sur les contenus
propres de l'esprit, de mon "moi", ne peut par définition me tromper?

Je pense donc je suis : pas de différence entre être et penser être tel ou
tel (ie, ce qui apparaît et ce qui est réellement). Avoir conscience de soi
c'est se connaître avec certitude.

Développement : le monde extérieur est douteux mais moi, je suis


certain de me connaître tel que je suis grâce à ma conscience; cf. malin
génie.
Transition : que présuppose la thèse selon laquelle je suis tout ce que j'ai
conscience d'être? Que la conscience existe ou peut exister à part du
monde extérieur. On va montrer que ce présupposé ne va en fait pas de
soi.

II- Soit Hume, soit Kant : ainsi, peut-être ne suis-je pas exactement
tel que je m'apparais à moi-même à travers ma conscience?

Qui nous dit que la conscience bénéficie d'une telle immunité? Il faudrait
alors que la conscience soit pure intériorité, ie, que je puisse discerner
totalement "avoir conscience de soi" et "du monde". Or, ce n'est pas le
cas. On aboutit ici à une nouvelle déf de la conscience: elle est toujours
conscience de quelque chose. D'où : le postulat nécessaire au privilège
de la conscience étant détruit, on ne peut être sûr d'être tel que ce que
l'on a conscience d'être.

III-Ne suis-je pas même tout à fait autre que ce que j'ai conscience
d'être?

L'inconscient freudien

Les sciences humaines (primat du social sur l'individuel)

La conscience perd tout privilège; elle n'est plus que la surface du


psychisme. Son immédiateté est trompeuse (elle nous trompe sur nous-
mêmes). Bref, il y a quelque chose de plus profond qu'elle, qui est mon
être véritable, et à quoi je n'ai hélas pas accès directement.

IV - Mais finalement, ne puis-je pas partiellement prendre


conscience de ce que je suis?
Je peux en effet prendre conscience de cette méconnaissance de moi-
même, par les techniques de libération freudiennes. (On peut aussi partir
de la critique de Sartre, qui serait ici judicieuse). La conscience de soi
peut être conscience de l'illusion sur soi : ie, en prenant conscience que
je ne suis pas ce que j'ai conscience d'être, je peux mieux me connaître
(à une condition évidemment : que je ne sois pas fatalement détermién
par mon inconscient, que celui-ci ne soit pas un "destin" -d'où, encore,
l'intérêt de recourir à Sartre).

Sujet: Le domaine de la liberté commence-t-il là où s'arrête la


liberté ?

Sujet: Le domaine de la liberté commence-t-il là où s'arrête la liberté


?

(par Debe Mfoulou Ebwang Meye, l'Homme d'Engong)

Introduction

La liberté désigne, pour l’opinion commune, une absence totale de


contraintes, de limites. Etre libre, c’est pouvoir faire tout ce qu’on veut,
agir à notre guise, sans être empêché par quelque chose ou quelqu’un
d’extérieur à nous.

La question posée paraît donc bien n’avoir aucun sens : d’abord parce
que l’énoncé se contredit lui-même (la liberté s’arrête là où la liberté
commence ? ) ; ensuite parce que la liberté ne peut être, là où on pense
à quelque chose comme une limite.

A moins que la liberté ne soit justement pas absence de toute limite/


limitation ? Et à moins, peut-être, que la liberté ne se prenne en plusieurs
sens ? On pourrait alors donner un sens à l’énoncé qui nous est
proposé, et dire que la véritable liberté commence là où s’arrête la
fausse liberté, ou la liberté « inaccomplie »…
Piste de plan pour la rédaction

Première partie

Il faut d’abord aller dans le sens de l’opinion commune : le domaine de la


liberté ne peut pas commencer là où s’arrête la liberté, car, en plus du fait
que l’énoncé se contredit, la liberté est l’absence de toute limite, de toute
contrainte.

Etre libre, c’est faire tout ce qu’on veut, tout ce qui nous plaît : vous
pouviez vous aider, pour démontrer une telle thèse, du texte de Platon
tiré du Gorgias, et aller dans le sens de Calliclès.

Deuxième partie

Il fallait ensuite passer à la critique de cette thèse, et développer une


nouvelle thèse, contraire à la thèse précédente : être libre, ce n’est pas
faire tout ce qu’on veut au sens de faire tout ce qui nous plaît ; la liberté
ne se pense donc pas comme absence de toute limite/ contrainte.

Vous pouviez ici vous contenter, pour démontrer la difficulté de la


première thèse, et développer la nouvelle thèse, de développer la
réponse que Socrate fait dans ce texte à Calliclès. La liberté n’est pas
absence de toute limite : il faut faire preuve de discipline, en utilisant
notre raison, qui triera nos désirs : quels sont ceux qui mènent vraiment
à faire ce qui est bien pour nous… Il fallait développer ici la thèse selon
laquelle c’est finalement la limitation de notre liberté initiale qui nous fait
découvrir ce qu’est véritablement la liberté. Cf. distinction, étudiée en
cours, entre faire ce qui nous plaît/ faire ce qui est bien.

On peut ici donner un sens à l’énoncé : oui, on peut dire que le domaine
de la liberté commence bien là où s’arrête la liberté, puisqu’on voit
maintenant qu’il y a une fausse liberté (liberté illimitée) et une vraie
liberté (une liberté limitée). La vraie liberté commence là où s’arrête la
fausse liberté… Ie, là où on commence à mettre des limites à notre
liberté « naturelle », impulsive.

Troisième partie

Ce qui est étrange, c’est qui si on développe cette thèse jusqu’à ses
ultimes conséquences, il semblerait qu’on doive alors soutenir que l’on
est libre quand on obéit aux lois, car les lois sont des limites objectives,
au sein de l’état civil, de nos libertés. Sommes-nous le plus libres là où
nous sommes contraints à agir ? On dira alors ici que la liberté véritable,
la liberté civile, commence là où s’arrête la fausse liberté, la liberté
naturelle…

Vous pouviez ici faire un parallèle entre les lois et la discipline de la


raison, en vous aidant de :

- la critique de l’état de nature opérée par Hobbes (c’est parce que les
libertés individuelles, à l’état de nature, s’entr’empêchent, qu’il faut limiter
la liberté naturelle, négative)

- la distinction contrainte et obligation opérée par Rousseau (+ sa notion


de volonté générale)

On finissait alors par dire qu’il n’y a finalement rien d’étonnant à dire que
l’on est le plus libre quand on obéit aux lois, car les lois ne sont pas une
contrainte à proprement parler, mais une obligation.

Sujet: Le développement technique peut-il être un facteur


d'esclavage?

Sujet de dissertation philosophique proposé aux élèves de section


S en Baccalauréat blanc le 31 mars 2007
1. Détermination du problème

1.1. Définitions

D’une manière générale, les copies comprennent bien la notion de «


développement technique ». Souvent assimilé au « progrès
technologique » (identification contestable, mais qu’on peut admettre en
Terminale), il s’associe correctement, dans l’esprit des élèves, à
l’ensemble des productions humaines, notamment les machines, les
outils, les appareils électroménagers ou encore les équipements
électroniques. En revanche, il n’est jamais fait mention des techniques
au sens littéral du terme, c’est-à-dire des savoir-faire (sans « s », même
au pluriel) qui ne se concrétisent pas dans un objet matériel. Personne
par exemple n’a évoqué la « technique » du chirurgien, ni celle du
rémouleur, encore moins celle du peintre ou de la dentellière. Il s’ensuit
déjà une réduction assez regrettable, mais excusable, de l’horizon des
copies.

L’esclavage désigne la condition d’une personne humaine lorsqu’elle se


trouve sous l’autorité absolue d’un maître, donc entièrement privée de
droits et de libertés. Aucune gratification salariale ni politique ne s’ensuit
du labeur souvent éreintant auquel l’esclave se voit attelé par le caprice
du maître. Aussi la servitude paraît-elle aujourd’hui incompatible avec la
dignité humaine. Il fallait se rappeler le crime odieux que constitue la
traite des êtres humains pour saisir le sujet dans toute sa dimension.

Parce qu’il n’existe officiellement plus d’esclavage en France (les faits


sont moins riants, voyez ici), ce préalable requerrait sans doute, pour des
élèves de Terminale en 2007, un réel effort d’imagination. Le plus
souvent, il n’a pas été fourni. De là, un affaiblissement, voire une
dissipation du problème, en raison de transcriptions brouillonnes et
d’approximations impardonnables, qui ont versé, sans coup férir, jusque
dans le ridicule et dans l’atroce.
La plus courante confondait esclavage et dépendance « simple ». J’ose
espérer que, si vous êtes dépendants de vos parents sous les rapports
financiers et moraux, ils se distinguent quand même des Thénardier et
que vous ne subissez pas les mêmes humiliations que Cosette ! D’autres
confondaient esclavage et fatalité, ou destin. Une autre confusion
fréquente identifiait l’esclave et le prisonnier, l’esclave et le malheureux,
voire l’esclave et le dépressif ! Dans un cas au moins, l’esclave a été
identifié à l’égoïste au motif que celui-ci est « esclave » de ses passions.
Enfin, comble du délire, au moins six copies ont affirmé ou laissé
entendre que, dans la mesure où ils sont privés de la liberté de travailler,
le chômeur et l’inactif sont des esclaves ! On croit rêver ! Peignez-vous
un instant un champ de coton en Alabama en 1830. Voyez-vous
vraiment beaucoup d’oisifs parmi les esclaves ? Enfin, dans le pire des
cas, une lecture complètement viciée du problème a atteint l’obscène :
en assimilant hâtivement la liberté à la recherche du bonheur, entendu
comme Souverain bien, une copie a fini par suggérer que nous étions
esclaves du bonheur. Je souhaite à ce candidat de ne jamais connaître
la servitude : il risque d’être surpris.

Il est clair qu’un usage dérivé du mot « esclave » explique, au moins en


partie, ces dérapages : on peut parfois dire de quelqu’un, par
exagération, qu’il est « esclave du tabac » ; mais on sent bien qu’il s’agit
d’une hyperbole car le fumeur n’est tout de même pas privé de son droit
de vote, de son droit à une rémunération, de son droit de grève.

Il était tout à fait légitime de traiter la question dans ce sens « dérivé » du


mot ; mais dans ce cas, il fallait au moins signaler cet emploi « second »
ou « métaphorique » (la meilleure copie a pris cette précaution). Je veux
signaler cependant, même si aucune copie ne s’y est risqué, qu’on
pouvait aussi traiter le sujet en prenant « esclavage » dans son
acception première, et réussir de la sorte une dissertation très différente
de ce qui m’a été donné de lire.

Une dernière remarque : sept copies ne définissent explicitement aucun


des deux termes. Dans de tels cas, cerner le problème se présente
presque comme une mission impossible. Voyez pourquoi dans les
conseils de méthode.

1.2. Forme de la question

« Facteur » d’esclavage. La question était précise. Il ne s’agissait pas de


prouver par a + b que le développement technique induit nécessairement
l’esclavage (ce n’est évidemment pas le cas), mais bien de savoir s’il
pouvait, combiné à d’autres éléments, déboucher à terme sur
l’esclavage. La meilleure copie a distingué « facteur » et « cause » : elle
était la seule. On était pourtant en droit d’attendre de scientifiques que de
telles distinctions fussent parfaitement maîtrisées.

1.3. Relations entre les termes

La double signification du mot « esclave » autorisait deux types de mise


en relation entre les termes.

- dans la lecture « extensive », où « esclave » s’entend au sens de «


totalement soumis à une personne, une chose ou une passion », il
s’agissait de se demander si le citoyen normal peut, tout en conservant
ses droits, se retrouver dépendant de son environnement technologique
quotidien. Dans la mesure, pourtant, où des générations entières ont
vécu (et bien vécu) en se passant fort bien de ces machines, on ne voit
pas à première vue ce qui pourrait menacer la totale liberté de l’humain
dans un choix éventuel de renoncer en bloc à toute la « technosphère ».
La seule raison qui pourrait laisser suspecter une difficulté serait à
rechercher dans l’hypothèse où, insidieusement, l’humain aurait perdu
malgré lui la possibilité effective de couper l’alimentation des machines.
En somme, que l’habitude aidant, le renoncement à la technologie ne
soit plus une éventualité envisageable pour lui. On voit ainsi que le
problème se situe moins au niveau du besoin physiologique qu’au niveau
de l’autonomie de la pensée.
- dans la lecture « rigoureuse », où « esclavage » s’entend stricto sensu
comme « privation de tous les droits », la relation s’entendait de manière
un peu différente ; car à l’évidence, un tel esclavage se présente
exclusivement comme une relation interpersonnelle entre deux individus
humains, l’un prenant la figure du maître, l’autre celle de l’esclave. Un
ensemble de machines ne paraît pas apte à entrer dans une relation
d’esclavage (même à titre d’esclave), puisqu’il n’est pas une personne
(une copie s’en est avisé : bonus !). Le seul moyen de comprendre le
sujet était alors de recentrer la question sur le mot « facteur », en
indiquant qu’il n’est bien sûr pas question de nous demander si les
robots vont se révolter contre nous, mais plutôt si les machines
constituent une pièce maîtresse dans les rapports de force entre des
nantis « maîtres » et leurs « esclaves » modernes. Il convenait alors de
situer le problème au niveau des conditions de travail en tant que
génératrices (ou non) de droits politiques convenables. Je ne proposerai
pas de corrigé intégral de cette lecture « serrée » du sujet : j’en dis
seulement ici quelques mots.

2. Réponse spontanée et réponse paradoxale justifiées

Par définition, le progrès technique libère. Cette libération est même son
motif, son but, et son moteur. On ne voit pas comment il peut être facteur
d’esclavage.

La réponse paradoxale consiste à montrer que cette libération s’effectue


par le biais d’une puissance technologique accrue ; l’habitude de cette
puissance pourrait nous empêcher d’imaginer ce qui se passerait si nous
devions nous en passer.

3. Argumentation de la thèse et de l'antithèse

3.1. Thèse : la technologie nous libère


Le plus souvent, les copies ont assez bien argumenté cette partie. Je
passe donc sans m’y appesantir : il était en effet assez simple de
montrer que la technique a permis de supprimer les tâches les plus
ingrates et les plus dures, les réservant aux machines, pendant que
d’autres outils nous permettent aujourd’hui des prouesses qu’on n’aurait
même pas imaginées voici seulement cent cinquante ans (personne n’a
cité l’avion, et je le regrette, tant cette invention avait été jugée «
impossible »). Plusieurs copies ont mentionné le lave-linge et Internet.
Soit ; mais d’autres exemples pouvaient aussi venir à l’esprit, plus
parlants peut-être, et moins banals. Ainsi l’assolement triennal, le
tournevis, le moulin à eau, la boussole, le joug à bestiaux, le métier à
tisser, l’imprimerie, le marteau-piqueur, la grue, le tout-à-l’égout… (Je
déplore quand même que cinq copies n’aient mentionné aucun exemple
de technique.)

Deux copies seulement se sont avisées d’une remarque ô combien juste


: ce sont justement les sociétés industrialisées qui ont aboli la traite des
êtres humains, et qui l’ont incriminée de manière sévère. Cette idée leur
a valu un bonus.

Je tiens encore, ici, à signaler la meilleure copie qui a su préparer


l’antithèse dès la première partie du devoir, en situant le problème au
niveau pertinent. En effet, ce candidat a signalé tout de suite que, non
contente d’amoindrir nos fatigues, la technique nous libère l’esprit. Aussi
par la réflexion gagnons-nous en sens critique et en culture générale,
donc en faculté de choix, En posant en préalable à la pleine liberté
l’existence d’une pensée elle-même nuancée, informée et libre, ce
candidat s’assurait tout de suite une antithèse solide.

Un point d’érudition philosophique. Il n’existe rien de tel que des «


références obligatoires » ; mais Descartes (Discours de la méthode, VI)
et son idée de devenir par la technique « comme maîtres et possesseurs
de la nature » pouvait ici fournir un coup de pouce appréciable ; de
même Bacon et son utopie scientiste (La Nouvelle Atlantide) qui imagine
les OGM dès le XVIIè siècle. Ni l’un ni l’autre n’ont été mentionnés, à
mon grand regret.

3.2. Antithèse : la dépendance à la technique

La fallacieuse impression de puissance que donne le progrès technique


comporte un risque « d’acclimatation » à l’existence de ce progrès.
S’ensuit alors un étrange phénomène que Rousseau (cité par une seule
copie, hélas !), en son temps, avait déjà signalé : les commodités
dégénèrent en « vrais besoins, si bien qu’on [est] malheureux de les
perdre sans être heureux de les posséder. » (Discours sur les
fondements de l’inégalité parmi les hommes, voir ce cours).

Bien des copies ont mentionné ce risque, mais sans jamais élucider les
problèmes suivants, tout de même très gênants.

- Comment un « nouveau besoin » peut-il apparaître ? Au point de vue


physiologique, nous n’avons pas évolué depuis l’époque de Rousseau, ni
même depuis l’époque de Lascaux. La ration calorique quotidienne n’a
guère varié depuis le Moyen-Age (autour de 2900 kcal), nous respirons
toujours à peu près une quinzaine de fois par minutes et notre cœur bat
à peu près à 80 pulsations par minute. Dès lors, la notion de « besoins
secondaires » chère aux économistes et aux sociologues a-t-elle le
moindre sens ?

- Supposé même que de « nouveaux besoins » puissent naître, il est


clair qu’ils nous obligent à les satisfaire ; mais ce souci nouveau peut-il
vraiment apparaître comme un « esclavage » ? Les copies qui
prétendent abruptement que « nous ne pouvons pas nous passer de la
technique » vont un peu vite en besogne car d’une part cela n’est
vraisemblablement pas vrai (il suffit d’essayer, et l’on se passe fort bien
de presque toutes les « commodités », si l’on accepte de vivre de
manière un peu spartiate ; du reste, à brève échéance, nous n’aurons
peut-être pas le choix : voyez ici) ; et d’autre part, même si c’était vrai
(par exemple pour un malade dans un poumon d’acier), le fait que nous
soyons sous la dépendance physique d’un objet technique sous risque
de mort ne nous rend pas pour autant son esclave (ainsi les porteurs de
pacemakers).

Un autre choix d’argumentation fréquent a été relevé : il s’agissait, Marx


à l’appui, de dénoncer la « chaîne » industrialisée de Taylor et Ford, où,
prétendait-on, l’ouvrier devenait le serviteur de la machine, laquelle
commandait son rythme de travail et ses moindres gestes. La référence
méritait sans doute de figurer dans les copies ; mais il fallait tout de
même se demander si la chaîne elle-même était effectivement en cause,
ou s’il ne fallait pas plutôt en vouloir à l’inventeur (humain) de telles
conditions de travail ; car dans ce cas, la chaîne n’est (comme tous les
autres objets techniques) que le moyen de l’exploitation, et non son
organisateur ; mais à ce stade on retrouve le problème posé par une
lecture « serrée » du sujet (voir ici). Pour rappel, chez Marx, le travail
constitue une activité normalement épanouissante : ce n’est que dans
certaines conditions précises d’exploitation qu’il devient aliénant (voyez
ce cours, et ce cours).

La plupart des copies livrèrent des antithèses superficielles, et surtout


hors sujet puisqu’elles ne répondaient pas à la question, faute d’avoir
clairement établi un lien solide entre progrès technique et esclavage.

Le seul moyen de relier l’un à l’autre supposait qu’on ait préparé le


terrain dès la thèse et qu’on ait prévu dès la thèse que l’antithèse allait
se jouer au niveau de la pensée ; car en effet on pouvait argumenter en
signalant que si la liberté requiert d’abord une pensée libre, alors la
technique, en exigeant que nous accumulions des connaissances et des
compétences techniques spécifiques (l’informatique est devenu en
quelques dizaines d’années un corpus de connaissances gigantesque),
la technique nous « force l’esprit »… et cela prélude à nous « forcer la
main ».
4. La synthèse

Le sujet autorisait en III plusieurs pistes de recherches assez différentes


les unes des autres.

1) Une copie a eu l’excellente idée de montrer les limites inhérentes à la


technique : ainsi, puisque l’humain a inventé la technique, dans un sens
il dispose toujours d’un « coup d’avance » sur elle, et peut
vraisemblablement garder son indépendance face à elle (bonus !). Cette
même copie s’avisa de ce paradoxe que l’humain crée la technique pour
moins travailler, et qu’il est prêt à travailler très dur pour cela ! Elle
finissait enfin en montrant que seule l’intelligence et l’ingéniosité peuvent
nous permettre de nous soustraire à un esclavage… et l’auteur s’arrêta
net, à mon extrême désespoir ! car l’existence même de la technologie
prouve par l’évidence que l’humain jouit de cette intelligence et de cette
ingéniosité ! Pour ces pistes de recherche originales et pertinentes, j’ai
mis une bonne note à cette copie alors qu’elle ne citait aucune référence
philosophique (comme quoi, c’est possible !).

2) Dans un esprit similaire, mais à rebours de cette vision optimiste, on


pouvait s’interroger sur l’étrange statut de la technique qui se propose
toujours de libérer l’humanité et de facto échoue toujours, voire dévie
très loin de cet objectif initial. Comment interpréter ce ratage complet ? Il
existe un paradoxe dans la mesure où l’on peine à comprendre comment
un développement quelconque peut nous réduire en esclavage ; l’un des
moyens pour l’expliciter consistait à noter, dans une perspective quasi
hégélienne, que l’objet technique apparaît à une certaine époque, pour
répondre à certaines exigences ; s’il perdure au-delà de cette époque, il
contraint en quelque manière les générations nouvelles à penser « à la
manière » des générations précédentes. Dans l’objet technique, en
condensé, c’est les époques passées qui s’imposent sous nos yeux.
Elles nous rattrapent in concreto ; or une telle puissance du passé dans
le présent réduit la liberté, toujours tournée vers le futur (voyez les
thèses de Bergson et, contra, celles de Sartre).

3) Une piste de recherche très différente pouvait remarquer une fine


distinction entre liberté authentique et sentiment de la liberté… qui n’est
peut-être pas incompatible avec un esclavage réel. Se sentir libre
n’implique pas qu’on le soit : n’importe quel adolescent le découvre
lorsqu’il repense à son enfance et remarque soudain le poids de l’autorité
parentale dont il ne s’était jusque-là pas rendu compte. On pouvait
montrer que la technique, tout en favorisant l’esclavage, provoque en
même temps ce sentiment fallacieux de libération.

Faut-il s'abstenir de penser pour être heureux?

Sujet: faut-il s'abstenir de penser pour être heureux?

(par le Professeur Debele Mfoulou Ebwang Meye, l'homme d'Engong)

Le corps ne pense pas : il ressent le plaisir et éprouve la douleur. Dès


lors, la pensée ne peut rien avoir avec le bonheur, essentiellement
corporel.

Pourtant, le bonheur touche à l’éternité. Pour le distinguer du plaisir, il


doit durer. Dès lors, la pensée, seul moyen pour nous d’accéder à
l’intemporel, constitue la voie royale pour atteindre le bonheur.

1. Argumentation de la thèse et de l'antithèse

1.1. Thèse : le bonheur comme excellence du corps

Défini comme « plaisir durable », le bonheur se présente d’abord comme


un plaisir, c’est-à-dire comme une action agréable par elle-même ; or le
plaisir relève des sensations, donc forcément du corps (pour les Grecs,
la pensée ne « sent » rien). Quel est ce plaisir ? Il s’agit de la jouissance
ressentie lorsqu’un besoin est satisfait. (Au passage, qu’il me soit permis
de dire ma consternation qu’aucune copie ne mentionne la jouissance –
y compris dans son acception « extrasexuelle ». Vous avez dix-huit ans,
sacrebleu ! A lire vos copies, on a souvent l’impression d’entendre
radoter un petit vieux rabougri.)

Les premiers cyrénaïques (notamment Aristippe de Cyrène, que j’ai eu le


plaisir de croiser dans deux copies, bonus !) prônaient l’absence
complète de pensée pour se livrer entièrement, de tout cœur, de tout
corps, aux plaisirs matériels. Bonheur enfantin insouciant (comme l’ont
noté deux copies, bonus !) ? Bonheur de bête ? Oui, mais bonheur
authentique, intense, vécu dans son intégralité dans une complète
adhésion au réel, une acceptation totale du cosmos, qui surmonte le «
drame de la conscience », cette première misère qui vient dès le début
de la pensée (voir ce cours). Imbéciles heureux ? Non : imbéciles donc
heureux.

Malheureusement, à se dégrader jusqu’au niveau du chien ou du porc,


on s’aperçoit d’un point assez gênant : à supposer même qu’elles soient
heureuses, ces braves bêtes n’en ont pas la moindre idée, et pour cause
! Elles ne pensent pas. Voilà qui est tout de même rageant : au sommet
de la félicité, nous voilà incapables de nous rendre compte ! (Pour info,
pris dans ce paradoxe indémêlable, les derniers cyrénaïques ont préféré,
pour la plupart, se suicider, jusqu’à ce que Ptolémée intervînt pour
fermer l’école.)

Quitte, alors, à penser, on peut essayer de la réduire à un niveau


accessoire ou instrumental. Quand Epicure écrit : « Le plaisir est pour
nous le début et la fin de la vie heureuse », il a, dans un sens, tout dit :
pour l’épicurien, le travail mental peut se résumer au « calcul » des
plaisirs (voir la Lettre à Ménécée), afin de distinguer quels désirs
constituent à proprement parler des besoins naturels et nécessaires, et
lesquels, vains ou non-naturels, doivent être suspendus temporairement
(ou définitivement), pour conserver la santé – c’est-à-dire ce qui permet à
notre corps de ressentir correctement du plaisir.

1.2. Antithèse : le bonheur s’éternise

La pensée, vous lui donnez le doigt, elle prend le bras !

Epicure lui-même l’affirme : avant d’adhérer à la doctrine du calcul des


plaisirs, il faut s’être débarrassé des problèmes faux, certes, mais
sources d’angoisse, que sont notamment la perspective de la mort et la
crainte des dieux. Comment y parvenir ? En adoptant la conception
atomiste du monde, c’est-à-dire une théorie physique. Sitôt qu’on
entrouvre la porte à la pensée, aussitôt c’est tout l’Univers qui entre avec
elle.

Par ailleurs, « calcul des plaisirs » ? interrogerait Socrate. Calcul par


rapport à qui ? Par rapport à la personne qui calcule, bien sûr. Du coup,
avant de « calculer » quoi que ce soit, la personne en question doit
mener une belle introspection. « Gnôthi seauton » : connais-toi toi-
même. Inspecte-toi. (Voir aussi, pour comparer, la première partie du
corrigé « moderne ».)

Socrate, lors de son procès (voir ce cours), déclare à ses juges : « Moi,
je vous rends vraiment heureux » (36d), par opposition aux athlètes
vainqueurs et, voudrait-on ajouter, aux plaisirs du corps. Pourquoi ?
Parce qu’en les obligeant à examiner avec lui les concepts, il leur
améliore l’âme. Une telle amélioration, bien sûr, ne peut s’accomplir
qu’au terme d’une pensée, laquelle apparaît donc comme la condition du
bonheur.

A sa suite, monumental, monolithique : Platon. Combien je regrette


qu’aucune copie ne lui ait donné la dimension qu’il méritait ! Le monde
sensible présente pour caractéristique première la temporalité, le
changement, le passage. Au contraire, le monde intelligible, éternel,
intangible, ne « passe » pas. Si l’on veut un bonheur durable, il est
certain que ce n’est pas ici-bas qu’il faut chercher, mais bien là-haut,
hors de la caverne, dans la contemplation des Idées éternelles, dans
l’Amour du beau. Non contente de se présenter comme la condition du
bonheur, la pensée est le seul bonheur possible. Non contente de se
poser comme un avantage pour la conduite de la vie, philosopher
apparaît comme la seule vie digne d’être vécue.

On pouvait aussi, à l’appui de cette antithèse, mentionner les stoïciens,


et notamment Epictète, qui réduit notre seul bonheur possible à une
section précise de notre pensée, celle « d’acquiescer » ou de « ne pas
acquiescer » à nos propres représentations du monde (voir le Manuel).

2. La synthèse

A l’issue de ces deux premières parties, une question assez étonnante


surgit : non pas « qu’est-ce que le bonheur ? » mais « quand est-ce, le
bonheur ? »

Pour les uns, c’est ici, maintenant, tout de suite, de tout cœur, carpe
diem ! Pour les autres, c’est là-bas, au loin, nulle part, nulle quand, dans
ce monde statufié des Idées éternelles.

Peut-on trouver un moyen de réconcilier la chair et l’esprit, le corps et la


pensée ? Faut-il penser que le bonheur ne peut s’imaginer que sous le
visage d’une guerre permanente entre le corps et la tête (une copie
posait cette question : bonus !) ? Le bonheur est-il de ce monde ? Bien
des candidats pensent que non, qui ont cité Larigaudie : « Notre soif de
bonheur est telle qu’elle ne peut être rassasiée que dans l’au-delà. »

Je regrette beaucoup que ces candidats n’aient pas eu la curiosité


d’esprit d’ouvrir l’Ethique à Nicomaque d’Aristote, car ils auraient pu y lire
ceci presque dès le début (I, p. de Bekker 1100a l.10-15) : « Irons-nous
jusqu’à dire qu’on n’est heureux qu’une fois qu’on est mort ? Ou plutôt
n’est-ce pas là une chose complètement absurde […] ? » Et Aristote
d’expliquer.

Le bonheur se définit comme une vie excellente, c’est-à-dire pleinement


conforme à sa nature (il est clair que le bonheur d’un athlète ne
ressemble pas à celui d’un employé de bureau ; il fallait noter ici la
différence avec la définition « plaisir durable »). A ce titre, il s’agit d’une
manière d’agir, d’une forme d’activité – ce qui exclut donc qu’elle ne se
trouve que dans la mort, l’au-delà ou le monde des Idées ; mais cette vie
excellente ne peut pas non plus se résumer à un « tout, tout de suite,
maintenant, comme une brute » pour la bonne raison que nous sommes,
nous autres humains, doués de pensée par nature. Aussi ne pouvons-
nous pas supprimer notre pensée pour atteindre le bonheur (pour une
opinion proche, on pouvait aussi penser à Pascal, voir le texte proposé
dans ce cours ; il était d’ailleurs possible de réaménager toute cette
dissertation sur le thème : I/ la bête en nous ; II/ notre part angélique ; III/
l’humain, un composé).

Il faut par conséquent que notre pensée soit en quelque manière incluse
dans notre action (une action excellente, s’entend), et unie à elle, pour
que nous en tirions un bonheur complet ; et pour Aristote, cela ne se
peut que dans deux cas. Premièrement, la poursuite de la sagesse (à la
manière de Socrate). Deuxièmement, la poursuite de la vertu, c’est-à-
dire de l’action à la fois excellente et délibérée.

Pourquoi seulement ces deux cas ? Parce qu’il s’agit d’actions tout à fait
bizarres, par rapport aux autres actions humaines, pour deux raisons
frappantes. Primo, elles procurent du plaisir par elles-mêmes, et pas
seulement quand elles atteignent leur but. Ensemencer un champ, placer
une somme, réparer un objet, bref, tous les travaux, peuvent procurer du
plaisir mais seulement lorsqu’ils atteignent leur fin (au moment de la
récolte, de la perception des intérêts, ou de la réparation de l’objet). La
vertu et la poursuite de la sagesse, parce qu’elles visent toutes deux à
notre amélioration personnelle (et non un objet intérieur à nous)
s’animent d’une bonne intention qui nous réjouit à elle seule.
Secundo, ces deux actions se présentent, en droit sinon en fait, comme
perpétuelles : on n’a jamais fini d’agir vertueusement, on n’a jamais fini
de poursuivre la sagesse. On peut toujours « s’y remettre », alors que
toutes les autres actions connaissent une fin naturelle : quand un objet
est réparé, il est réparé. Seul un fou irait le re-réparer. Aussi quand ces
actions sont finies, elles sont belles et bien finies et le plaisir que nous en
avons retiré, en atteignant leur fin, ne reviendra plus.

Il était alors possible de conclure, comme le fait Aristote dans l’Ethique à


Nicomaque, que l’action vertueuse et la poursuite de la sagesse sont
peut-être des idéaux de conduite trop élevés pour nous seuls, pauvres
humains. Dans ce cas, c’est seulement en s’y mettant à plusieurs, par
l’amitié et par le dialogue, qu’on peut espérer y parvenir.

Une remarque pour finir : d’ordinaire, les sentences du genre « de tous


temps les Hommes » doivent être soigneusement écartées, parce
qu’elles sont non seulement contestables, mais banales, creuses,
laborieuses, bref, nulles. Dans le cas du bonheur, cependant, il est peut-
être exact que tous les humains le recherchent tout le temps (c’est ce
qu’Aristote soutient, en qualifiant le bonheur de Souverain bien) ; mais
alors, il fallait justement montrer, si l’on employait cette locution, qu’il ne
s’agit pas du tout d’un cliché (et le cas échéant, citer Aristote lui-même
n’aurait pas juré avec le décor).

Histoire de la philosophie

Histoire de la philosophie

I. Les systèmes et les écoles philosophiques

L'histoire de la philosophie est l'histoire des grands systèmes et des


grandes écoles philosophiques. Elle a pour but de nous les faire
connaître, d'en expliquer la succession et d'en apprécier la valeur.
On entend par système philosophique un ensemble de doctrines fondées
sur un ensemble de principes ou même sur un principe unique, et qui
donnent la solution des principaux problèmes philosophiques, tels que la
nature de l'homme, l'origine des choses, la règle de la vie, etc.

On appelle école philosophique un ensemble d'hommes qui, professant


le même système, suivent la tradition d'un même chef. Un même
système peut donc être commun à plusieurs écoles différentes. Ainsi le
matérialisme a été tour à tour professé par l'école d'Abdère, par l'école
épicurienne, par les encyclopédistes (d'Holbach, Helvétius, Lamettrie,
etc.).

II- Classification des systèmes philosophiques

On pout ramener tous les systèmes philosophiques à un petit nombre de


systèmes fondamentaux.

Ils convient de classer les systèmes d'après la solution qu'ils donnent au


problème métaphysique de la nature et du principe de l'être.

À ce point de vue, on distinguera :

Le scepticisme, qui déclare le problème insoluble et réduit toute réalités


aux phénomènes ;

Le matérialisme, qui enseigne que la matière est le premier principe de


toute existence ;

Le panthéisme, qui admet comme premier principe une substance


unique dont toutes choses ne sont que des modes, à la fois Dieu et
Nature, identité de la matière et de l'esprit ;

L'idéalisme, qui nie la réalité de la matière ou la dérive de celle de


l'esprit, et dans lequel on peut distinguer l'idéalisme proprement dit et le
spiritualisme : Le premier n'admet pas que la conscience et la
personnalité soient des attributs nécessaires de l'esprit ; le second
explique toutes choses par un esprit analogue en essence à l'esprit
humain, c'est-à-dire conscient et personnel.

Cependant quelques philosophes, exclusivement logiciens et


psychologues, ne peuvent entrer dans les cadres de cette classification ;
tels sont, par exemple, Locke et Condillac. On les distinguera en
rationalistes et empiriques selon qu'ils attribuent à l'expérience ou à la
raison l'origine des connaissances humaines.

III- Les grandes divisions de l'histoire de la philosophie

1. Aperçu général

L'histoire de la philosophie se divise, comme l'hisloire générale, en trois


grandes périodes: l'Antiquité, le moyen âge et la Renaissance et temps
modernes :

La philosophie ancienne va de Thalès (environ 500 ans avant J: C.)


jusqu'à la fermeture de l'école d'Athènes par l'empereur Justinien (529
apres J.-C.).

La philosophie du moyen âge s'étend du IXe au XVIe siècle.

La philosophie moderne, préparée par la Renaissance au XVIe siècle, se


continue jusqu'à nos jours.

Dans ces trois périodes, la philosophie est marquée d'un caractère


différent.

Elle est surtout métaphysique et morale dans la première; théologique ou


religieuse et logique dans la seconde; scientifique et sociale dans la
troisième.
2. La philosophie ancienne

La philosophie ancienne comprend elle-même trois périodes : avant


Socrate, de Socrate à l'ère chrétienne et de l'ère chrétienne au moyen
âge :

Dans la période qui précède Socrate, l'objet presque unique de la


philosophie est la nature. On s'efforce de découvrir la substance et
l'origine des choses, sans autre méthode que l'hypothèse.

De là un grand nombre de doctrines métaphysiques où s'ébauchent en


quelque sorte les systèmes qui se développeront plus tard :

• Panthéisme naturaliste des Ioniens (Thalès, Anaximandre, Anaximène,


Diogène d'Apollonie; Héraclite, Empédocle, Anaxagore) ;

• Matérialisme de l'école d'Abdère (Dérnocrite) ;

• Idéalisme mathématique de l'école d'Italie (Pythagore, Philolaus, etc.) ;

• Idéalisme absolu de l'école d'Élée (Xénophane, Parménide, Zénon


d'Élée).

Du conflit de ces doctrines sort la sophistique (Protagoras et Gorgias),


qui est l'antécédent du scepticisme et qui commence la réflexion de la
pensée sur elle-même.

Au début de la seconde période, Socrate donne à la philosophie une


méthode, l'analyse des concepts, un objet, la nature humaine, un but, le
règlement de la vie morale et sociale. Malgré les tendances
métaphysiques de ses successeurs immédiats (Platon et Aristote), la
philosophie ancienne reste fidèle à la direction morale de Socrate, et
l'homrme demeure son principal objet.

Cependant les systèmes de la période précédente reparaissent, mais


transformés. Platon s'efforce de concilier l'idéalisme de Pythagore et de
Parménide avec la doctrine de Socrate. À l'idéalisme platonicien Aristote
substitue un spiritualisme qui fait en même temps une plus large part au
naturalisme. Après lui, le panthéisme des Ioniens renaît dans l'école
stoïcienne, et le matérialisme de Démocrite dans l'école d'Épicure, tandis
que Pyrrhon et ses eontinuateurs (Énésidème, Agrippa, etc.) et la
nouvelle Académie (avec Arcésilas et Carnéade) à tous les systèmes
dogmatiques opposent le scepticisme.

La troisième période est la transition de la philosophie ancienne à la


philosophie du moyen âge. Sous l'influence des religions orientales, Dieu
devient le principal objet des recherches philosophiques. De là le
mysticisme de l'école d'Alexandrie (Plotin) et de l'école d'Athènes
(Proclus).

3. La philosophie du moyen âge

La philosophie du moyen âge se développe à peu près exclusivement


dans les écoles. Aussi l'appelle-t-on la scolastique.

Enseignée par des religieux, elle est essenliellemenl théologique et


fondée sur l'autorité (de l'Église et des anciens, en particulier d'Aristote).
La logique formelle y tient une très grande place, et on y discute
passionnément le problème des universaux.

Cependant on distingue dans l'histoire de la scolastique trois périodes,


selon les rapports que la philosophie entretient avec la théologie:

Dans la première, qui s'étend du IXe siècle à la fin du XIIe, la philosophie


est subordonnée à la théologie: philosophia theologiæ aucilla (Scot
Érigène, saint Anselme, Guillaume de Champeaux, Roscelin, Abélard,
saint Bernard).

La seconde, l'âge d'or de la scolastique, comprend tout le XIIIe siècle. La


philosophie et la théologie y sont distinctes, mais alliées (saint Thomas,
Duns Scot, Roger Bacon, Raymond Lulle).
Dans la troisième, du XIVe au XVe siècle, la philosophie et la théologie
se séparent et se combattent: les logiciens nient l'accord de la raison et
de la foi; les mystiques nient la valeur de la logique (Guillaume d'Okkam,
Jean Gerson).

4. La philosophie de la Renaissance

La philosophie de la Renaissance (XVe et XVIe siècles) est une réaction


contre la scolastique, au nom des anciens mieux connus et de
l'observalion de la nature. Presque tous les systèmes de l'antiquité
reparaissent, le platonisme dans l'école de Florence (Marsile Ficin, Pic
de la Mirandole, etc.), le péripatétisme dans l'école de Padoue
(Pomponat, Césalpini, etc.), le pythagorisme avec Nicolas de Cuss, le
pyrrhonisme avec Montaigne, etc.

5. La philosophie moderne

Les fondateurs de la philosophie moderne sont Bacon et Descartes, qui


l'ont complètement affranchie de l'autorité des anciens et lui ont donné
sa double méthode, à la fois expérimentale et rationnelle.

Cette philosophie occupe trois siècles. Son histoire est celle des luttes et
des compromis de l'idéalisme et de l'empirisme.

Au XVIIe siècle, l'idéalisme triomphe avec la philosophie de Descartes.


L'empirisme n'est représenté, en France, que par Gassendi, en
Angleterre, par Bacon el Hobbes.

Au XVIIIe siècle, l'empirisme, transporté d'Angleterre en France par


Voltaire avec la philosophie de Locke, remplace peu à peu l'idéalisme
cartésien. Parmi les principaux noms de cette époque, il faut citer
Condillac, Helvetius, d'Holbach, Lamettrie, Diderot, d'Alembert, etc.
Cependant l'idéalisme ne disparaît pas complètement, mais subsiste et
se transforme, en Allemagne, dans la philosophie do Leibniz.
Vers la fin du XVIIIe siècle, une réaction se fait contre l'empirisme. En
Anglelerre, avec l'école écossaise (Reid, Dugald-Stewart, Hamilton) ; en
Allemagne, aver Kant et ses continuateurs (Fichte, Schelling, Hegel) ; en
France, avec Maine de Biran, Royer-Collard et l'école électique (V.
Cousin, Jouffroy, Garnier, etc.).

Cette réaction dure environ jusq'à la moitié du XIXe siècle, puis


l'empirisme reprend l'offensive, en Angleterre, avec Stuart Mill, Herbert
Spencer, etc. ; en France, avec Auguste Comte et toute l'école
positiviste.

De part et d'autre, cependant, les systèmes opposés se font des


concessions réciproques, et semblent tendre à une conciliation finale.
Bien des signes permettent de prévoir l'avènement d'une philosophie
compréhensive, dans laquelle s'harmoniseront enfin tous les divers
aspects de la vérité.

Quelques citations sur la philosophie

"La prise de conscience ne désigne pas un acte distinct, mais une


fonction où l'âme totale figure à quelque degré, ce qui est propre à
l'attitude philosophique". (Jankélévitch)

"Une maladie est pour un philosophe une école de physique". (Frédéric II


[roi de Prusse])

"Finalement la philosophie de la science physique est peut-être la seule


philosophie qui s'applique en déterminant un dépassement de ses
principes. Bref, elle est la seule philosophie ouverte. Toute autre
philosophie pose ses principes comme intangibles, ses premières vérités
comme totales et achevées. Toute autre philosophie se fait gloire de sa
fermeture". (Gaston Bachelard, La philosophie du non)
"Peu de philosophie mène à mépriser l'érudition; beaucoup de
philosophie mène à l'estimer". (Chamfort, Maximes et Pensées)

"La poésie n'a de rôle à jouer qu'au-delà de la philosophie". (André


Breton)

"Un vieux philosophe a dit que si on note exactement ce qui vous arrive
dans la vie, on devient, sans s'en douter, philosophe". (Sören
Kierkegaard)

"Les beautés ont dans les arts le même fondement que les vérités dans
la philosophie". (Denis Diderot, Discours sur la poésie dramatique)

"La philosophie, elle nous fait vivre sans une femme ou nous fait
supporter celle avec qui nous vivons". (Jean La Bruyère)

"L'âme du philosophe veille dans sa tête, l'âme du poète vole dans son
coeur,l'âme du chanteur vibre dans sa gorge, mais l'âme de la danseuse
vit dans son corps tout entier". (Gibran Khalil Gibran)

"Toutes les doctrines philosophiques briseront leurs fausses dents sur


les réalités coriaces de la science". (Jean Rostand, Carnet d'un
biologiste)

"Point d'attitude philosophique qui, à la longue, ne produise une crampe".


(Jean Rostand, Carnet d'un biologiste)

"En philosophie, il faut se défier de ce qu'on croit entendre trop aisément,


aussi bien que des choses qu'on n'entend pas". (Voltaire, Lettres
philosophiques)

"Je fais cas d'un philosophe dans la mesure où il est capable de fournir
un exemple". (Friedrich Nietzsche, Considérations inactuelles)

"Les naturalistes disent que, dans toutes les espèces animales, la


dégénération commence par les femelles. Les philosophes peuvent
appliquer au moral cette observation, dans la société civilisée".
(Chamfort, Maximes et pensées)

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