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Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis 

?
Introduction
(Accroche ->) « Je te connais comme si je t’avais fait », dit parfois une mère à son enfant,
sous-entendant qu’elle le connaît mieux qu’il ne se connaît lui-même. Cette phrase,
apparemment bienveillante, a quelque chose de scandaleux, de choquant, d’abusif : elle
cache même parfois une insupportable volonté d’emprise. Après tout, qui peut me
connaître mieux que moi-même ? Je suis en effet un être conscient de lui-même et c’est
cette conscience de soi qui constitue mon identité personnelle. (formulation de la
problématique -> ). Cependant, cela veut-il dire que je suis le mieux placé pour savoir
qui je suis ? (je répète ici le sujet) La conscience que j’ai de moi-même constitue-t-elle
un véritable savoir de ce que je suis (ici, je mets en évidence le terme « savoir ») ? La
conscience de soi est-elle nécessairement une connaissance de soi ? On admettra tous
en effet que la conscience de soi est un savoir implicite et immédiat de soi-même, mais
cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est un savoir explicite et objectif de ce que nous
sommes. C’est pourquoi la connaissance de soi apparaît à la fois comme quelque chose
de facile et comme une entreprise délicate. Quand nous employons le pronom « je »,
nous savons bien immédiatement ce qu’il signifie, et en même temps, le « connais toi toi-
même » des Anciens suppose qu’il s’agit là d’une forme de sagesse conquise de haute
lutte. (Annonce de plan ->). Pour résoudre ce problème nous allons examiner trois
points. Dans un premier temps, nous allons examiner en quoi la conscience que nous
avons tous de nous-même nous rend apparemment les plus aptes à nous connaître et
semble disqualifier le regard des autres sur nous. Cependant, nous nous demanderons
dans un second temps si cette conscience de soi est véritablement transparente à elle-
même ou bien si elle n’est pas au contraire une source d’illusions, auquel cas le
témoignage des autres sur moi constituerait un précieux secours dans la connaissance
que je peux avoir de moi-même. Enfin, nous tenterons d’évaluer d’une manière critique
la démarche qui consiste à vouloir se connaître soi-même : il se peut en effet que le moi
ne soi pas connaissable ni par les autres ni par moi-même. Nous nous demanderons
alors ce que peut bien signifier l’injonction : « connais toi toi-même ».

1. La conscience que j’ai de moi-même me rend apparemment le plus apte à me


connaître moi-même.

Argument 1 : la conscience de soi est l’expérience immédiate d’une intériorité inaccessible
aux autres (le « for intérieur »).
Quand j’ai une opinion, quand j’éprouve une sensation de plaisir ou de chaleur ou un
sentiment de tristesse ou de honte, je le sais immédiatement. Mes vécus subjectifs (qui
constituent mon intériorité psychologique) se manifestent directement et
immédiatement à ma conscience tels qu’ils sont. C’est pourquoi il faut à la suite de
Descartes opposer la conscience d’objets et la conscience de soi. La conscience que j’ai
des objets extérieurs à moi est douteuse : elle n’est sans doute pas adéquate à ce qu’ils
sont. Mais la conscience que j’ai de mes vécus est certaine : ils coïncident avec la
conscience que j’en ai car ils n’existent que dans la mesure où je m’en aperçois.
Descartes appelait « pensée » l’ensemble de ces vécus et il affirmait : « j’appelle pensée
ce qui se fait en moi de telle sorte que j’en ai une connaissance immédiate ».
Argument 2 : En revanche, la connaissance que j’ai des autres et que les autres ont de moi
est entièrement incertaine.
En effet, les autres n’ont pas accès directement à mon intériorité : ils n’en ont qu’un
accès indirect, c’est-à -dire par l’interprétation de signes extérieurs : les comportements
et les attitudes de mon corps, les expressions de mon visage et les signes du langage. Il
n’est pas abusif de dire alors que moi seul sais qui je suis : les autres se contentent de
m’interpréter à leur façon, c’est-à -dire en projetant leur subjectivité sur la mienne.
(Développement particulier sur le langage)

Argument 3 : Que suis-je ? Mon intériorité.


Il faut bien s’entendre sur le sens de l’expression « ce que je suis ». On distingue
habituellement l’identité physique (je suis un même corps au cours de ma vie), l’identité
sociale (mes différents rô les sociaux : ma place dans un système de parenté, ma
profession, ma place dans la hiérarchie sociale) et l’identité personnelle, ou le moi
proprement dit. Ce dernier se réduit à la pensée et c’est le sens de la fameuse thèse de
Descartes « Je pense donc je suis ». J’ai certes un corps et je joue certes différents rô les
sociaux, mais ce que je suis personnellement, c’est une « chose pensante ». Je suis une
même pensée, un même flux de conscience de ma naissance à ma mort. Et c’est pour
cette raison que je suis le mieux placé pour savoir qui je suis.

Transition. Cette théorie a le mérite d’être claire mais elle n’est pas à l’abri de tout
soupçon. D’abord elle semble réductrice : est-il si évident de réduire le moi à une pure
intériorité séparée du corps et du monde sociale ? Qui pensera réellement que ses
propres vécus sont indépendants de sa structure corporelle et de sa position sociale ?
Mon corps est là dans le moindre de mes sentiments de colère ou d’amour ; ma position
sociale influe sur mes opinions. Ensuite et surtout, il est sans doute abusif d’assimiler
pensée et conscience : je ne suis sans doute pas conscient de toute mon intériorité
psychique.

2. La conscience de soi peut cependant être source d’illusions et le recours au


témoignage d’autrui peut alors être un précieux secours dans la connaissance de
soi.

Argument 1 : l’amour-propre. Le moi est une prétention.


Il n’est pas du tout certain que nous soyons transparents pour nous-mêmes. Il est même
possible que la conscience que nous prenons de notre moi soit une conscience partielle
et déformée. Le propre de la connaissance de soi est en effet que je suis à la fois le sujet
de la connaissance et l’objet à connaître : l’objet c’est moi. Je suis donc difficilement
objectif dans ma démarche introspective. Je vais certainement être tenté de me
connaître tel que je veux être à mes propres yeux plutô t que tel que je suis réellement.
Les moralistes comme Pascal ou La Rochefoucault ont ainsi montré à quel point l’amour-
propre ou la logique de l’intérêt personnel déformait la conscience que nous avons de
nous-mêmes. La générosité, la modestie sont par exemple très souvent des attitudes
intéressées qui prennent à nos propres yeux l’aspect du désintéressement. « La pitié est
l’habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber », « Le refus des louanges est
le désir d’être loué deux fois », dit La Rochefoucault. Bref, je ne peux pas me connaître
objectivement car le moi n’est pas un objet neutre à mes propres yeux : être soi, c’est
être gouverné, souvent à son insu, par l’amour de soi. En ce sens, seul un autre que moi
peut démasquer ma mauvaise foi.
Argument 2 : l’intervention de l’inconscient dans la construction de l’identité personnelle.
Thème freudien des désirs refoulés et le rô le du psychanalyste.

Argument 3 : le moi est-il connaissable ? Critique de l’introspection.


La connaissance de soi introduit une distance irréductible entre moi et moi-même : je
suis à la fois le sujet qui connaît et l’objet à connaître. Ce dédoublement pose un
problème théorique car le « je » se retire toujours de l’objet connu pour se réfugier dans
le statut du simple sujet de la connaissance. En ce sens, Kant distinguait le moi
empirique (objet de la psychologie introspective) du sujet « transcendantal », simple
présupposé logique de l’entreprise de la connaissance. Le moi empirique est un moi
apparent (le moi tel qu’il m’apparaît) ; le moi réel est un pur sujet qui ne peut devenir
objet de la connaissance (c’est l’observateur qui n’est jamais observable). C’est pourquoi
Kant peut conclure : « la conscience de soi n’est pas une connaissance de soi ». Je pense
donc je suis, cela est certain, mais cela ne signifie pas que je puisse faire du je un objet de
connaissance.

Transition : les théories de l’amour-propre et de l’inconscient remettent en cause la


transparence du moi pour lui-même et réhabilitent le regard d’autrui. Mais il faut aller
plus loin : non seulement je peux me faire des illusions sur mon compte mais la volonté
de se connaître soi-même contient une contradiction interne. Dès que je me connais, je
me distingue de l’objet connu puisque je suis seulement le sujet connaissant. Que
devient dès lors le sens de l’injonction « Connais toi toi-même » ?

3. Se connaître soi-même est une tâche qui m’incombe, à moi et à moi seul. Mais
elle ne signifie pas que je doive m’identifier à une essence fixe et définitive. Se
connaître soi-même c’est en effet avant tout se débarrasser de ce qui n’est pas soi.

Argument 1 : se connaître soi-même ce n’est pas dire ce qu’on est, c’est se débarrasser des
illusions que l’on se fait sur soi-même.
« Connais toi toi-même » est une injonction socratique qui signifie deux choses : écarte
de toi tout faux savoir, tout préjugé et prends conscience que tu ne tires le savoir que de
ton propre fond. Ce n’est nullement une entreprise d’introspection psychologique mais
un appel à se délivrer de l’ignorance double.

Argument 2 : la tâche de la psychanalyse est avant tout de délivrer le sujet des affects qui
lui sont étrangers, elle ne consiste pas à définir le moi.

Argument 3 : le moi n’est pas un objet à connaître mais un projet à mettre en œuvre.
Le propre du sujet humain est qu’il n’est pas objectivement définissable, il n’a pas
d’essence dit Sartre. Le moi n’est pas, il a à être. Je suis pour moi même un appel, un
projet et non une nature fixe. C’est pourquoi Sartre voyait dans la conscience de soi une
puissance de néantisation et non d’identification. Avoir conscience de soi, c’est n’être
rien, c’est rejeter toute détermination objective, fixe, et « se faire ». La connaissance de
soi a donc une fonction essentiellement critique : rejeter toute essentialisation de mon
être pour faire de mon existence une aventure absolument singulière.

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