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Corpus - Chapitre III

Liberté et déterminisme – que vaut le sentiment d'être libre  ?

Voici plusieurs textes que nous allons étudier avec un petit paragraphe qui en résume la thèse.

Vous devez remettre dans l'ordre les textes (sauf celui de H. Arendt qui introduit la question) selon
leur utilisation comme références dans un plan de dissertation qui réponde au sujet  : « que vaut le
sentiment d'être libre  ? » à raison d'une référence par sous-partie. Ainsi le texte numéro 1 sera
étudié en I) A), etc.

Texte introductif :

Arendt résume ici le débat philosophique entre déterminisme et liberté. Les partisans du
déterminisme pensent que l'homme est comme tous les êtres naturels en obéissant à la loi de la
causalité, c'est à dire qu'une cause produit et précède un effet. Une pierre tombe car est déterminée
par les lois du mouvement et de la gravité à tomber cers la terre. Une rose fleurit car est
déterminée par les lois biologiques à se reproduire, etc. à l'infini. Pour les adversaires du
déterminisme, l'homme a une faculté spéciale, la liberté ( ou libre-arbitre) qui lui permet dans ses
choix conscients d'échapper au déterminisme. Certes, biologiquement, chimiquement, le corps de
l'homme est déterminé à subir les effets des causes dans lesquelles il est pris. Mais puisqu'il est
conscient et conscient de lui-même, l'homme a aussi la faculté de s'auto-déterminer, de faire en
sorte que sa volonté soit la cause de son action.

"Sous sa forme la plus simple, la difficulté peut être résumée comme la contradiction entre notre
conscience qui nous dit que nous sommes libres et par conséquent responsables, et notre expérience
quotidienne dans le monde extérieur où nous nous orientons d'après le principe de causalité. Dans
toutes les choses pratiques et spécialement dans les choses politiques, nous tenons la liberté
humaine pour une vérité qui va de soi, et c'est sur cet axiome que les lois reposent dans les
communautés humaines, que les décisions sont prises, que les jugements sont rendus. Dans tous les
champs de travail scientifique et théorique, au contraire, nous procédons d'après la non moins
évidente vérité du nihil ex nihilo [rien ne vient de rien], du nihil sine causa [rien sans cause], c'est-
à-dire en supposant que « même nos propres vies sont, en dernière analyse, soumises à des causes
»."
  

 
Hannah Arendt, "Qu'est-ce que la liberté ?", in La Crise de la culture, Éd. Gallimard, trad. P. Lévy,
Folio, 2007, p. 186-187.

Texte :

Spinoza, philosophe post-cartésien du XVIIe siècle prend ici un exemple clair pour illustrer l'idée
commune de notre liberté. Il fait une analogie avec une pierre en mouvement. La pierre est lancée
sur sa trajectoire en sorte que l'on comprend qu'elle n'est pas à l'origine, elle n'est pas la cause de
son propre mouvement. Or, si cette pierre s’éveillait à la conscience dit Spinoza, elle aurait
naturellement l'illusion d'être la cause de son mouvement. La pierre figure notre corps, le
mouvement figure les causes qui déterminent nos désirs et le tout illustre notre rapport à notre
prétendue liberté. Nous croyons avoir une faculté spéciale ( le libre-arbitre) permettant de nous

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déterminer nous-mêmes et ainsi d'échapper à la causalité. Cette faculté mystérieuse n'est en réalité
que l'effet de notre ignorance des véritables causes qui nous déterminent. Pour Spinoza, nous
n'échappons pas à la causalité , nous croyons y échapper mais c'est encore l'effet d'une cause  :
notre ignorance. Rien ne peut en fait échapper au déterminisme pour Spinoza car c'est la loi même
du réel.

« Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple
reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvements et, l'impulsion de
la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance
de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, mais parce
qu'elle doit être définie par l'impulsion d'une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut
l'entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui attribuer, si
nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement
déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d'une certaine manière déterminée.
Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir,
pense et sache qu'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément,
puisqu'elle a conscience de son effort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira
qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut.
Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les
hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit
librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s'il est poltron, vouloir fuir. Un
ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu'ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu
taire. De même un délirant, un bavard, et bien d'autres de même farine, croient agir par un libre
décret de l'âme et non se laisser contraindre. »
Spinoza, Lettre à Schuller
Texte 2 : D'où provient la conception commune de la liberté ?
Dans le sillage de ce qui précède, Spinoza définit la conception commune de la liberté, l'idée que
tout le monde s'en fait ; idée nécessairement partielle et partiale. En effet, nous ne sommes
conscients que de la moitié de nos actes libres ou choix. Nous savons que nous voulons tel objet,
telle entreprise ( avoir de l'argent, être avec telle personne, etc.) mais ne savons pas pourquoi. Or,
ce «  pourquoi » est la cause de notre désir nous l'ignorons parce qu'elle n'est pas consciente. Ces
causes multiples, qui dépendent de l'histoire et de la constitution de chacun nous déterminent.

Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les
hommes ont conscience de leurs appétits (1) et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant
croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s’il est poltron, vouloir
fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait
voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien d’autres de même farine, croient agir par un
libre décret de l’âme et non se laisser contraindre. Ce préjugé étant naturel, congénital parmi tous
les hommes, ils ne s’en libèrent pas aisément. Bien qu’en effet l’expérience enseigne plus que
suffisamment que, s’il est une chose dont les hommes soient peu capables, c’est de régler leurs
appétits et, bien qu’ils constatent que partagés entre deux affections contraires, souvent ils voient le
meilleur et font le pire, ils croient cependant qu’ils sont libres, et cela parce qu’il y a certaines
choses n’excitant en eux qu’un appétit léger, aisément maîtrisé par le souvenir fréquemment rappelé
de quelque autre chose.
Spinoza – Lettre 58, à Schuller
(1) Appétits : désir, ici.

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Texte 3 : Les déterminations sociales limitent- elles notre liberté ?

Pierre Bourdieu, sociologue français, nomme habitus l’ensemble des influences qui détermine nos
perceptions, nos actions et nos pensées en raison de notre éducation, de la vie en société et de
l’histoire collective. Nous ne pouvons pas les changer, mais seulement en prendre conscience. Ces
influences viennent de l'éducation et du milieu social dans lequel on a baigné et évolué. L'habitus
c'est une sorte d'inconscient social intériorisé et dissimulé en nous, produit par des années
d'éducation et de fréquentation d'un milieu social donné. Ainsi, pour donner un exemple
caricatural, un fils d'ouvrier ou d'employés n'aura pas le même rapport aux livres qu'un fils de
professeurs. Or, ce complexe détermine une position dans la société et la tendance à la conserver
par le biais d'habitus dominants et dominés. Par exemple : le rapport à la culture dominante ( celle
des classiques, celle de l'école, celle reconnue et entretenue par les élites) est inégalement
distribué ; très présent chez les enfants de professeurs, quasiment inexistant chez les enfants
d'ouvriers. Nous sommes donc pour Bourdieu marqués par un déterminisme social qui nous élève
au rang de dominants ou nous abaisse à celui de dominé.
 Produit de l’histoire, l’habitus produit des pratiques, individuelles et collectives, donc de
l’histoire, conformément aux schèmes engendrés par l’histoire ; il assure la présence active des
expériences passées qui, déposées en chaque organisme sous la forme de schèmes de perception, de
pensée et d’action, tendent, plus sûrement que toutes les règles formelles et toutes les normes
explicites, à garantir la conformité des pratiques et leur constance à travers le temps. Passé qui
survit dans l’actuel et qui tend à se perpétuer dans l’avenir en s’actualisant dans des pratiques
structurées selon ses principes […].

 La sociologie traite comme identique tous les individus biologiques qui, étant le produit des
mêmes conditions objectives, sont dotés des mêmes habitus : classe de conditions d’existence et de
conditionnements identiques ou semblables, la classe sociale (en soi) est inséparablement une classe
d’individus biologiques dotés du même habitus, comme système de dispositions commun à tous les
produits des mêmes conditionnements. S’il est exclu que tous les membres de la même classe (ou
même deux d’entre eux) aient fait les mêmes expériences et dans le même ordre, il est certain que
tout membre d’une même classe a des chances plus grandes que n’importe quel membre d’une autre
classe de s’être confronté aux situations les plus fréquentes pour les membres d’une même classe :
les structures objectives que la science appréhende sous la forme de probabilités d’accès à des
biens, des services et des pouvoirs, inculquent, à travers les expériences toujours convergentes qui
confèrent sa physionomie à un environnement social, avec ses carrières « fermées », ses « places »
inaccessibles ou ses « horizons bouchés ».

 […] Le poids particulier des expériences primitives résulte en effet pour l’essentiel du fait que
l’habitus tend à assurer sa propre constance et sa propre défense contre le changement à travers la
sélection qu’il opère entre les informations nouvelles, en rejetant, en cas d’exposition fortuite ou
forcée, les informations capables de mettre en question l’information accumulée et surtout en
défavorisant l’exposition à de telles informations.

Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Éditions de Minuit, 1980.

Texte :

Descartes ici explore le concept de libre-arbitre qui désigne la faculté de pouvoir choisir sans être
influencé par une cause extérieure ( une opinion par exemple) ou une cause intérieure ( un désir ou

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une pulsion par exemple). Le libre-arbitre est cette faculté que l'homme possède de se déterminer
soi-même, d' échapper à la causalité naturelle à laquelle tous les êtres sont soumis. Pour
Descartes, il est évident que nous possédons cette faculté, ne serait-ce que dans notre volonté qui a
la capacité de choisir sans que ce choix ne soit déterminé par rien. Cependant, ce genre de choix
totalement indéterminés et immotivés constitue le plus bas degré de liberté, car, selon lui, un choix
véritablement libre est un choix dont on connaît le motif, dont on est parfaitement conscient au sens
où l'individu sait pourquoi il choisit ce qu'il choisit. Descartes introduit l'idée de connaissance ou
de conscience dans la liberté : je suis libre non pas parce que je peux faire n'importe quoi et ce
que je veux mais parce que je sais pourquoi vouloir ce que je veux.

Pour ce qui est du libre-arbitre, je suis complètement d’accord avec ce qu’en a écrit le Révérend
Père. Et, pour exposer complètement mon opinion, je voudrais noter à ce sujet que l’indifférence me
semble signifier proprement l’état dans lequel est la volonté lorsqu’elle n’est pas poussée d’un côté
plutôt que de l’autre par la perception du vrai ou du bien ; et c’est en ce sens que je l’ai prise lorsque
j’ai écrit que le plus bas degré de la liberté est celui où nous nous déterminons aux choses pour
lesquelles nous sommes indifférents. Mais peut-être que d’autres entendent par indifférence une
faculté positive de se déterminer pour l’un ou l’autre des deux contraires, c’est-à-dire pour
poursuivre ou pour fuir, pour affirmer ou pour nier. Cette faculté positive, je n’ai pas nié qu’elle fût
dans la volonté. Bien plus, j’estime qu’elle y est, non seulement dans ces actes où elle n’est pas
poussée par des riasons évidentes d’un côté plutôt que de l’autre, mais aussi dans tous les autres ; à
ce point que, lorsqu’une raison très évidente nous porte d’un côté, bien que, moralement parlant,
nous ne puissions guère aller à l’opposé, absolument parlant, néanmoins, nous le pourrions. En
effet, il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou
d’admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre
libre-arbitre.
De plus, il faut remarquer que la liberté peut être considérée dans les actions de la volonté avant
l’accomplissement ou pendant l’accomplissement.
Considérée dans ces actions avant l’accomplissement, elle implique l’indifférence prise au second
sens, non au premier. Et bien que nous puissions dire, quand nous opposons notre propre jugement
aux commandements des autres, que nous sommes plus libres de faire les choses pour lesquelles
rien ne nous a été prescrit par les autres et dans lesquelles il nous est permis de suivre notre propre
jugement que de faire celles qui nous sont interdites, nous ne pouvons pas dire de la même façon,
quand nous opposons les uns aux autres nos jugements ou nos connaissances, que nous sommes
plus libres de faire les choses qui ne nous semblent ni bonnes ni mauvaises, ou dans lesquelles nous
voyons autant de bien que de mal que de faire celles où nous voyons beaucoup plus de bien que de
mal.Une plus grande liberté consiste en effet ou bien dans une plus grande facilité de se déterminer ,
ou bien dans un plus grand usage de cette puissance positive que nous avons de suivre le pire, tout
en voyant le meilleur. Si nous prenons le parti où nous voyons le plus de bien, nous nous
déterminons plus facilement ; si nous suivons le parti contraire, nous usons davantage de cette
puissance positive ; ainsi, nous pouvons toujours agir plus librement dans les choses où nous
voyons plus de bien que de mal, que dans les choses appelées par nous indifférentes. En ce sens on
peut même dire que les choses qui nous sont commandées par les autres et que sans cela nous ne
ferions point de nous-mêmes, nous les faisons moins librement que celles qui ne nous sont pas
commandées ; parce que le jugement qu’elles sont difficiles à faire est opposé au jugement qu'il est
bon de faire ce qui est commandé, et, ces deux jugements, plus ils nous meuvent également, plus ils
mettent en nous d’indifférence prise au premier sens.
(…) C’est en ce sens que j’ai écrit que je suis porté d’autant plus librement vers quelque chose que
je suis poussé par plus de raisons, car il est certain que notre volonté11  se meut avec plus de facilité
et d’élan.
Descartes, Lettre au Père Mesland, 9 février 1945

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Texte : La conception Sartrienne de la liberté.

Dans cet extrait issu de sa conférence «  l'existentialisme est un humanisme » Sartre définit sa
conception de la liberté humaine et se place résolument du côté des partisans d'une liberté totale de
l'homme, échappant radicalement au déterminisme qui caractérise les autres êtres en ce monde. En
effet, pour Sartre, l'homme est radicalement libre au point même où il est « condamné à être libre  »
ne piuvant jamais se décharger de cette faculté en lui qui le rend libre à chacun de ses choix, dans
chacun de ses actes. Comment Sartre arrive-t-il à cette idée ? L'homme n'a aucune nature, aucune
essence humaine, il n'a pas à se définir. Contrairement à l'animal qui n'est qu'un corps biologique,
l'homme est cela et en plus sa conscience, ce qui change tout. N'étant défini par rien, n'étant créé
pour aucune finalité, comment définir l'homme ? C'est à lui seul, à chaque individu de répondre à
cette question puisque nous ne sommes par conséquent rien d'autre que nos actes. Or, nous
décidons de chacun de nos actes. Certes, nous pouvons être pris dans tout un tas de causes
extérieures qui nous poussent à agir de telle ou telle façon, mais c'est encore nous qui décidons du
poids de ces déterminismes, ne serait-ce qu'en leur donnant un sens qui relève de notre conscience
et de notre volonté. Ainsi, le criminel poussé au vol par la faim a décidé de représenter et de se
représenter face aux autres comme un voleur, laissant ses déterminismes gouverner sa vie à sa
place. Mais c'est encore lui qui en fait le choix, qui a décidé de la marque que les déterminismes lui
imposeront.

Dostoïevsky avait écrit : “Si Dieu n'existait pas, tout serait permis.” C'est là le point de départ de
l'existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est
délaissé,parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher. Il ne trouve
d'abord pas d'excuses. Si, en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par
référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n'y a pas de déterminisme,
l'homme est libre, l'homme est liberté. Si, d'autre part, Dieu n'existe pas, nous ne trouvons pas en
face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n'avons ni
derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des
excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est
condamné à être libre. Condamné, parce qu'il ne s'est pas créé lui même, et par ailleurs cependant
libre, parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait. L'existentialiste ne
croit pas à la puissance de la passion. Il ne pensera jamais qu'une belle passion est un torrent
dévastateur qui conduit fatalement l'homme à certains actes, et qui, par conséquent, est une excuse.
Il pense que l'homme est responsable de sa passion.
L'existentialiste ne pensera pas non plus que l'homme peut trouver un secours dans un signe donné,
sur terre, qui l'orientera ; car il pense que l'homme déchiffre lui-même le signe comme il lui plaît. Il
pense donc que l'homme, sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à
inventer l'homme.

Sartre, L’existentialisme est un humanisme.

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