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Voici quelques textes supplémentaires qui vous permettront de traiter le sujet de

dissertation suivant : « Ne suis-je que le produit de ma conscience ? » Ces textes sont là pour
compléter ceux que je vous ai distribués en classe, ainsi que le cours que nous avons eu
ensemble sur la conscience, intitulé : « La conscience nous permet-elle de tout
connaître ? ». Les idées de Freud peuvent évidemment êtres réemployées pour le sujet de
dissertation, je vous le conseille fortement d’ailleurs. Vous n’êtes pas obligés de vous servir
de tous les textes, ce sont simplement des aides qui vous permettront de réaliser votre
dissertation. Je remets également les deux textes de Sartre que j’ai distribués en classe car
certains ne les ont pas pris en partant.
Textes de Sartre donnés en classe :
TEXTE N°4 : SARTRE
Dostoïevski avait écrit : « Si Dieu n’existait pas, tout serait permis. » C’est là le point
de départ de l’existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n’existe pas, et par conséquent
l’homme est délaissé, parce qu’il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de
s’accrocher. Il ne trouve d’abord pas d’excuses. Si, en effet, l’existence précède l’essence, on
ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit,
il n’y a pas de déterminisme, l’homme est libre, l’homme est liberté. Si, d’autre part, Dieu
n’existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront
notre conduite. Ainsi, nous n’avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine
numineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses.
C’est ce que j’exprimerai en disant que l’homme est condamné à être libre. Condamné, parce
qu’il ne s’est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu’une fois jeté dans le
monde, il est responsable de tout ce qu’il fait. L’existentialisme ne croit pas à la puissance de
la passion. Il ne pensera jamais qu’une belle passion est un torrent dévastateur qui conduit
fatalement l’homme à certains actes, et qui, par conséquent, est une excuse. Il pense que
l’homme est responsable de sa passion. L’existentialiste ne pensera pas non plus que l’homme
peut trouver un secours dans un signe donné, sur terre, qui l’orientera ; car il pense que
l’homme déchiffre lui-même le signe comme il lui plaît. Il pense donc que l’homme, sans
aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à inventer l’homme.

Jean-Paul Sartre. L’existentialisme est un humanisme. Gallimard, « Folio essais », 1945, p.39-
40.
TEXTE N°5 : SARTRE
Dans l’interprétation psychanalytique, par exemple, on utilisera l’hypothèse d’une
censure, conçue comme une ligne de démarcation avec douane, services de passeports,
contrôle des devises, etc., pour rétablir la dualité du trompeur et du trompé. […] La censure,
pour appliquer son activité avec discernement, doit connaître ce qu’elle refoule. Si nous
renonçons en effet à toutes les métaphores représentant le refoulement comme un choc de
forces aveugles, force est bien d’admettre que la censure doit choisir et, pour choisir, se
représenter. D’où viendrait, autrement, qu’elle laisse passer les impulsions sexuelles licites,
qu’elle tolère que les besoins (faim, soif, sommeil) s’expriment dans la claire conscience ? Et
comment expliquer qu’elle peut relâcher sa surveillance, qu’elle peut même être trompée par
les déguisements de l’instinct1 ? Mais il ne suffit pas qu’elle discerne les tendances maudites,
il faut encore qu’elle les saisisse comme à refouler, ce qui implique chez elle à tout le moins
une représentation de sa propre activité. En un mot, comment la censure discernerait-elle les
impulsions refoulables sans avoir conscience de les discerner ? Savoir, c’est savoir qu’on sait,
disait Alain2. Disons plutôt : tout savoir est conscience de savoir. Ainsi les résistances du
malade impliquent au niveau de la censure une représentation du refoulé en tant que tel, une
compréhension du but vers quoi tendent les questions du psychanalyste et un acte de liaison
synthétique par lequel elle compare la vérité du complexe refoulé à l’hypothèse
psychanalytique qui le vise. Et ces différentes opérations à leur tour impliquent que la censure
est conscience de soi. Mais de quel type peut être la conscience de soi de la censure ? Il faut
qu’elle soit conscience d’être conscience de la tendance à refouler, mais précisément pour
n’en être pas conscience. Qu’est-ce à dire sinon que la censure doit être de mauvaise foi ? La
psychanalyse ne nous a rien fait gagner puisque, pour supprimer la mauvaise foi, elle a établi
entre l’inconscient et la conscience une conscience autonome et de mauvaise foi.
Jean-Paul Sartre. L’Être et le Néant (1943), chap. II : « La mauvaise foi ».

AUTRES TEXTES SUPPLÉMENTAIRES :


TEXTE N°1 : ALAIN
Il est assez évident que l’idée du Moi se forme corrélativement à l’idée des autres ; que
l’opposition la modifie tout autant que l’imitation ; que le langage, le nom propre, les
jugements, les sentences, tout le bruit propre à la famille, y ont une puissance décisive ;
qu’enfin c’est des autres que nous tenons la première connaissance de nous-mêmes. Quelle
application de tous pour me rappeler à moi-même, pour m’incorporer mes actes et mes
paroles, pour me raconter mes propres souvenirs ! La chronologie est toujours élaborée,
discutée, contrôlée en commun ; j’apprends ma propre histoire ; tout ce qui est rêverie ou rêve
est d’abord énergiquement nié par le bavardage quotidien ; ainsi mes premiers pas dans la
connaissance de moi-même sont les plus assurés de tous. Aussi cette idée de moi individu, lié
à d’autres, distinct des autres, connu par eux et jugé par eux comme je les connais et les juge,
tient fortement tout mon être ; la conscience intime y trouve sa forme et son modèle ; ce n’est
point une fiction de roman ; je suis toujours pour moi un être fait de l’opinion autour de moi ;
cela ne m’est pas étranger ; c’est en moi ; l’existence sociale me tient par l’intérieur ; et, si
l’on ne veut pas manquer une idée importante, il faut définir l’honneur comme le sentiment
intérieur des sanctions3 extérieures.
Émile Chartier dit ALAIN, Études
TEXTE N° 2 : BERGSON
Radicale est la différence entre la conscience de l’animal, même le plus intelligent, et la
conscience humaine. Car la conscience correspond exactement à la puissance de choix dont
l’être vivant dispose ; elle est coextensive à la frange d’action possible qui entoure l’action
1
Instinct : Sartre utilise ce terme, parfois utilisé pour traduire « Trieb », mais il s’agit ici de la « pulsion » au
sens freudien.
2
Émile Chartier, dit Alain : philosophe français (1868-1951).
3
« Sanctions extérieures » : ici, cela signifie simplement des « jugements extérieurs », et cela ne connote pas la
punition.
réelle : conscience est synonyme d’invention et de liberté. Or, chez l’animal, l’invention n’est
jamais qu’une variation sur le thème de la routine. Enfermé dans les habitudes de l’espèce, il
arrive sans doute à les élargir par son initiative individuelle ; mais il n’échappe à
l’automatisme que pour un instant, juste le temps de créer un automatisme nouveau : les
portes de sa prison se referment aussitôt ouvertes ; en tirant sur sa chaîne, il ne réussit qu’à
l’allonger. Avec l’homme, la conscience brise la chaîne. Chez l’homme, et chez l’homme
seulement, elle se libère.
Henri BERGSON, L’Évolution créatrice
TEXTE N°3 : FOUCAULT
En somme, une action pour être dite « morale » ne doit pas se réduire à un acte ou à une série
d’actes conformes à une règle, une loi ou une valeur. Toute action morale, c’est vrai,
comporte un rapport au réel où elle s’effectue et un rapport au code auquel elle se réfère ;
mais elle implique aussi un certain rapport à soi ; celui-ci n’est pas simplement « conscience
de soi », mais constitution de soi comme « sujet moral », dans laquelle l’individu circonscrit
la part de lui-même qui constitue l’objet de cette pratique morale, définit sa position par
rapport au précepte qu’il suit, se fixe un certain mode d’être qui vaudra comme
accomplissement moral de lui-même ; et, pour ce faire, il agit sur lui-même, entreprend de se
connaître, se contrôle, s’éprouve, se perfectionne, se transforme. Il n’y a pas d’action morale
particulière qui ne se réfère à l’unité d’une conduite morale ; pas de conduite morale qui
n’appelle la constitution de soi-même comme sujet moral ; et pas de constitution du sujet
moral sans des « modes de subjectivation » et sans (...) des « pratiques de soi » qui les
appuient.
Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité.
TEXTE N°4 : SARTRE
Le secret d’un homme, c’est la limite même de sa liberté, c’est son pouvoir de résistance aux
supplices et à la mort. À ceux qui eurent une activité clandestine, les circonstances de leur
lutte apportaient une expérience nouvelle : ils ne combattaient pas au grand jour, comme des
soldats ; traqués dans la solitude, arrêtés dans la solitude, c’est dans le délaissement, dans le
dénuement le plus complet qu’ils résistaient aux tortures : seuls et nus devant des bourreaux
bien rasés, bien nourris, bien vêtus qui se moquaient de leur chair misérable et à qui une
conscience satisfaite, une puissance sociale démesurée donnaient toutes les apparences
d’avoir raison. Pourtant, au plus profond de cette solitude, c’étaient les autres, tous les autres,
tous les camarades de résistance qu’ils défendaient ; un seul mot suffisait pour provoquer dix,
cent arrestations. Cette responsabilité totale dans la solitude totale, n’est-ce pas le dévoilement
même de notre liberté ?
Jean-Paul SARTRE
TEXTE N°5 : BERGSON
Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils
l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois
entre l’œuvre et l’artiste. En vain on alléguera que nous cédons alors à l’influence toute-
puissante de notre caractère. Notre caractère, c’est encore nous ; et parce qu’on s’est plu à
scinder la personne en deux parties pour considérer tour à tour, par un effort d’abstraction, le
moi qui sent ou pense et le moi qui agit, il y aurait quelque puérilité à conclure que l’un des
deux moi pèse sur l’autre. Le même reproche s’adressera à ceux qui demandent si nous
sommes libres de modifier notre caractère. Certes, notre caractère se modifie insensiblement
tous les jours, et notre liberté en souffrirait, si ces acquisitions nouvelles venaient se greffer
sur notre moi et non pas se fondre en lui. Mais, dès que cette fusion aura lieu, on devra dire
que le changement survenu dans notre caractère est bien nôtre, que nous nous le sommes
approprié. En un mot, si l’on convient d’appeler libre tout acte qui émane du moi, et du moi
seulement, l’acte qui porte la marque de notre personne est véritablement libre, car notre moi
seul en revendiquera la paternité.
Henri BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience.
TEXTE N°6 : SCHOPENHAUER
On admet généralement que l’identité de la personne repose sur celle de la conscience. Si on
entend uniquement par cette dernière le souvenir coordonné du cours de notre vie, elle ne
suffit pas à expliquer l’autre. Sans doute nous savons un peu plus de notre vie passée que d’un
roman lu autrefois ; mais ce que nous en savons est pourtant peu de chose. Les événements
principaux, les scènes intéressantes se sont gravés dans la mémoire ; quant au reste, pour un
événement retenu, mille autres sont tombés dans l’oubli. Plus nous vieillissons, et plus les
faits de notre vie passent sans laisser de trace. Un âge très avancé, une maladie, une lésion du
cerveau, la folie peuvent nous priver complètement de mémoire. Mais l’identité de la
personne ne s’est pas perdue avec cet évanouissement progressif du souvenir. Elle repose sur
la volonté identique, et sur le caractère immuable que celle-ci présente. C’est cette même
volonté qui confère sa persistance à l’expression du regard. L’homme se trouve dans le cœur,
non dans la tête.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et représentation
TEXTE N°7 : SCHOPENHAUER
Interrogez un homme tout à fait sans préjugés : voici à peu près en quels termes il s’exprimera
au sujet de cette conscience immédiate que l’on prend si souvent pour garante d’un prétendu
libre arbitre : « Je peux faire ce que je veux. Si je veux aller à gauche, je vais à gauche ; si je
veux aller à droite, je vais à droite. Cela dépend uniquement de mon bon vouloir : je suis donc
libre. » Un tel témoignage est certainement juste et véridique ; seulement il présuppose la
liberté de la volonté, et admet implicitement que la décision est déjà prise : la liberté de la
décision elle-même ne peut donc nullement être établie par cette affirmation. Car il n’y est fait
aucune mention de la dépendance ou de l’indépendance de la volonté au moment où elle se
produit, mais seulement des conséquences de cet acte, une fois qu’il est accompli, ou, pour
parler plus exactement, de la nécessité de sa réalisation en tant que mouvement corporel.
C’est le sentiment intime qui est à la racine de ce témoignage qui seul fait considérer à
l’homme naïf, c’est-à-dire sans éducation philosophique (ce qui n’empêche pas qu’un tel
homme puisse être un grand savant dans d’autres branches), que le libre arbitre est un fait
d’une certitude immédiate : en conséquence, il le proclame comme une vérité indubitable, et
ne peut même pas se figurer que les philosophes soient sérieux quand ils le mettent en doute.
SCHOPENHAUER, Essai sur le libre arbitre
TEXTE N°8 : ARENDT
Il semble qu’on puisse affirmer que l’homme ne saurait rien de la liberté intérieure s’il n’avait
d’abord expérimenté une liberté qui soit une réalité tangible dans le monde. Nous prenons
conscience d’abord de la liberté ou de son contraire dans notre commerce avec d’autres, non
dans le commerce avec nous-mêmes. Avant de devenir un attribut de la pensée ou une qualité
de la volonté, la liberté a été comprise comme le statut de l’homme libre, qui lui permettait de
se déplacer, de sortir de son foyer, d’aller dans le monde et de rencontrer d’autres gens en
actes et en paroles. Il est clair que cette liberté était précédée par la libération : pour être libre,
l’homme doit s’être libéré des nécessités de la vie. Mais le statut d’homme libre ne découlait
pas automatiquement de l’acte de libération. Être libre exigeait, outre la simple libération, la
compagnie d’autres hommes, dont la situation était la même, et demandait un espace public
commun où les rencontrer - un monde politiquement organisé, en d’autres termes, où chacun
des hommes libres pût s’insérer par la parole et par l’action.
Hannah ARENDT, La Crise de la culture

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