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Cours, la liberté 1

Sommes-nous libres ou déterminés ?

Il faut distinguer la liberté de droit et la liberté de fait. La liberté de droit désigne la possibilité de faire tout ce que
n’interdisent pas les lois juridiques d’une société. La liberté de fait désigne tout ce que n’interdisent pas les lois de la nature. On peut
transgresser les lois juridiques, mais il est impossible de transgresser les lois de la nature. Nous limiterons notre enquête à la seconde
et examinerons ultérieurement les rapports entre loi, politique et liberté.
Le mot « liberté », du latin liber qui désigne l’état de celui qui n’est pas un esclave (servus en latin). La liberté est donc un
statut, une condition sociale et politique avant d’être considérée par les philosophes et les théologiens comme une caractéristique
individuelle psychologique et morale. Les Stoïciens seront les premiers à penser la liberté comme le pouvoir d’échapper à toute
contrainte extérieure, comme indépendance intérieure, comme la capacité à s’autodéterminer selon sa raison ou sa volonté. Dès lors,
toute une tradition philosophique a considéré que l’homme était, contrairement aux choses de la nature, un être doué de raison et de
liberté. Ainsi Descartes considère que l’homme possède un libre-arbitre absolu ( Texte 2), un pouvoir commander au corps et à
l’esprit selon notre volonté ( Texte 1 de Locke).
Or, pour Spinoza, nous avons le sentiment d’être libre, mais ce sentiment est une illusion : « les hommes se croient libres
pour cette seule cause qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes où ils sont déterminés » ( Texte 3 de Spinoza).
Anticipant les découvertes opérées par les sciences humaines du XIXème et du XXème siècle (la psychanalyse, la sociologie),
Spinoza pense que l’homme est déterminé, conditionné par une de multitude facteurs dont il n’a pas toujours clairement conscience :
déterminisme physique, socioculturel1, psychique. Loin d’être libre d’orienter son existence selon ses désirs et sa conscience,
l’homme ne serait pas plus libre qu’une pierre car il est le produit de la nature, de la société, de son passé.
Notre liberté est-elle aussi réelle que nous nous le figurons ? Ne faut-il pas distinguer le fait de la liberté et le sentiment de la
liberté ? Dans quelles mesures sommes-nous libres d’agir et même de penser ? L’existence d’un homme n’est-elle que
l’accomplissement d’un destin sur lequel il n’a aucune prise ? L’avenir est-il incertain parce que nous sommes libres ou parce que
nous sommes ignorants ?
Problématique : Existe-t-il un déterminisme absolu qui nie la liberté humaine ou bien l’homme dispose-t-il d’une marge de
manœuvre pour choisir lui-même librement son existence ? Notre existence est-elle nécessaire ou contingente ?

I/ La liberté des hommes est-elle une illusion ?

1/ Les déterminismes auxquels l’homme est soumis

 Déterminisme physique : comme tout corps dans la nature, l’homme est déterminé par les lois physiques de la nature
(apesanteur, chute des corps, lois génétiques, vieillissement, etc.). Selon les sociobiologistes, même les sentiments et les émotions
seraient déterminés par les lois de la chimie (prozac). Ne peut-on pas aujourd’hui agir chimiquement sur les émotions ? L’homme
serait-il le seul corps dans la nature à échapper aux lois de la matière ? Pour Spinoza, l’homme n’est pas « empire dans un empire » et
il obéit comme tout être aux lois de la matière.
Tout comme la pierre qui ne doit son mouvement qu’à une cause extérieure, les actions de l’homme seraient déterminées par
des forces dont il n’est même pas conscient.  Cf. Texte 4 de Spinoza.
Rq : l’inconvénient de cette conception est qu’elle fait de l’homme un être prévisible et prédestiné.  Texte 19, 20, 21 de
Laplace (19ème) et Popper (20ème).

 Déterminisme socioculturel : les hommes croient choisir librement leurs pensées, leurs désirs et leurs actions alors
qu’ils ne sont le produit des circonstances qui les ont forgées. Les opinions politiques, projets prof., désirs de consommation
(publicité), goût artistiques, vestimentaires, manières de parler sont le produit d’une histoire, d’une éducation, d’un contexte, en
particulier la classe sociale à laquelle les hommes appartiennent. Selon Marx « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine
leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience », Avant propos à l’économie politique.
Rq :  Cf. Texte 8 de Sartre : « Bien plus qu'il ne paraît " se faire ", l'homme semble " être fait " ».

 Déterminisme psychique : selon Freud, nos conduites sont déterminées par des pulsions et des désirs dont nous ne
sommes pas conscients2. Le passé, en particulier l’enfance, conditionne la personnalité de tout individu.

Tr. : l’idée d’un déterminisme absolu, qui réduit l’idée de liberté à une simple illusion pose deux problèmes : le
fatalisme, la responsabilité morale. L’homme n’a-t-il aucun pouvoir sur le cours des événements ? Les déterminismes peuvent-ils
devenir une excuse à un criminel ?

2/ Le problème moral de la responsabilité

Nier l’existence de la liberté empêcherait de juger quiconque moralement ou juridiquement et tout homme pourrait alors
invoquer la nécessité de certains déterminismes psychiques ou sociaux pour se disculper de ses crimes.
Selon Descartes, il existe bien des circonstances qui favorisent un acte, mais elles ne sont jamais absolues au point qu’elles
puissent ôter à un homme la responsabilité de ses actes.  Cf. Texte 9 de Descartes.

1
En France, un jeune issu des milieux populaires a 27 fois moins de chances d’intégrer une grande école (ENS, ENA, HEC, Polytechnique) qu’un
jeune issu de catégories socioprofessionnelles dites « favorisées ».
2
L’idée d’inconscient psychique exclut-elle l’idée de liberté ?
Cours, la liberté 2
Même si, en droit, les passions, les pulsions ou les circonstances socioculturelles peuvent constituer des « circonstances
atténuantes », mais elles ne sont jamais reçues comme des motifs de déresponsabilisation, sauf folie (art. 122).  Texte 10 bis.
De même, l’excuse « c’est plus fort que moi » n’est pas moralement acceptable car elle équivaut à une négation de la
responsabilité et réduit l’homme à un animal ou une machine (une chose). Ne suis-je pas toujours capable d’opposer la force de ma
volonté à mes instincts et à mes pulsions conscientes ?  Texte 10 de Kant
Il possèderait un pouvoir spécifique – la volonté – qui lui permet de s’autodéterminer à partir des principes que sa raison lui
commande (principes moraux, idéaux) indépendamment de toute contrainte, qu’elle soit interne (impulsion, passion) ou externe
(influence du milieu). Ex : jeûne, grève de la faim, maîtrise de soi, résistance à la torture, respect de ses principes.
Selon Kant l’homme a une double nature : il est à la fois corps et esprit ; son corps est soumis aux lois de la nature, mais
son esprit en est, dans une certaine mesure, indépendant (causalité « selon la nature » ou « empirique » et causalité « de la raison » ou
« par liberté »,  Cf. Texte 11).
Rq : on peut considérer que cette conception relève de la métaphysique puisqu’elle reconnaît à l’homme le pouvoir d’être,
comme le disait Spinoza, « un empire dans un empire ».  Cf. Spinoza, texte 12.

Tr. : si la notion de liberté doit être conservée et défendue contre la thèse d’un déterminisme absolu, c’est essentiellement
pour des raisons morales. En effet, renoncer à l’idée de liberté, c’est considérer l’homme comme un automate irresponsable.

3/ L’homme est condamné à être libre malgré les déterminismes

Sartre définit la liberté de l’homme comme une « liberté en situation », càd une liberté toujours située dans un contexte, mais
toujours absolue de par le choix de la volonté. Ex : je ne choisis pas d’avoir 20 ans sous pendant la guerre, mais je suis responsable de
tout ce que j’accomplis dans cette situation. « Chaque personne est un choix absolu de soi » et un individu ne peut jamais s’abriter
derrière les circonstances pour dire que son existence est un « destin » qu’il ne peut pas changer  Cf. Texte 13 de Sartre.

Sartre observe de plus que les obstacles n’apparaissent que par un choix initial de l’homme. Ex : le rocher ( Texte 8, 2ème
§). C’est mon projet de faire une Tle S qui fait des maths un obstacle sur le chemin que j’ai choisi. « L’homme ne rencontre
d’obstacles que dans le champ de sa liberté » ( Texte 8bis)
Rq : être libre, est-ce ne rencontrer aucun obstacle ? Imaginer une liberté sans obstacles, par ex. ceux des lois de la nature,
c’est vouloir un homme surhumain et rêver une liberté illusoire, voire absurde. Les lois de la nature ne sont pas des obstacles, puisque
sans elles il n’y aurait pas d’homme, et donc pas de liberté. Même idée pour les lois politiques.

Tr : la liberté ne consiste pas à rêver un monde sans obstacles, mais à augmenter sa puissance d’agir par la maîtrise des
obstacles. Or cette maîtrise suppose la connaissance.

II/ La liberté réside dans la connaissance des déterminismes

1/ « On ne peut vaincre la nature qu’en lui obéissant » ( Texte 15 de Bacon, 17ème)

Déterminisme : relation nécessaire entre une cause et un effet


Science : connaissance de ces relations.

 Texte 14 d’Engels : « La liberté n’est pas dans une indépendance rêvée vis-à-vis des lois de la nature » car elles sont
nécessaires (ex : je ne peux me soustraire aux lois de la pesanteur ou empêcher le soleil de se lever). Toutefois, si l’homme connaît
les relations de causalité, il peut prévoir certains effets, soit pour les éviter, soit pour s’en servir. Ex : la météo, le surf, l’éclipse de
Tintin.
L’homme peut même agir sur la cause pour modifier l’effet en vue d’un résultat plus conforme à ses désirs. Ex : le
médicament, le vaccin. La connaissance des lois de la nature donne le pouvoir d’agir sur elle et permet à l’homme de dépasser des
limites qui semblaient indépassables, comme voler, cloner (bientôt repousser la mort ?).
De la même façon, la connaissance des déterminismes sociaux permet d’en corriger les effets négatifs. Ex : les politiques de
discrimination positive (ZEP, quotas).  Texte 16 de Bourdieu.

Tr. : alors que le déterminisme est le principe fondateur de la science, le fatalisme est une croyance infondée.

2/ Le déterminisme n’est pas le fatalisme

Alors que le fatalisme affirme la nécessité de l’événement lui-même, quelles qu’en soient les causes, le déterminisme
affirme la nécessité, non pas de l’événement lui-même, mais du lien entre une cause et un effet. Le déterministe affirme que
l’accident de voiture aura lieu si et seulement si certaines causes se produisent (inattention du conducteur, route mouillée, voiture en
mauvais état, vitesse trop grande). De même, la maladie se déclenchera si et seulement si le virus se développe à l’intérieur du corps
et si rien ne l’en empêche. Aucun événement n’est une fatalité si l’on peut agir sur sa cause et l’idée qu’une force mystérieuse et
impersonnelle (le destin) gouverne les événements relève de la croyance.  Texte 18 d’Alain.
Rq : il existe une dimension psychologique qui permet de comprendre la croyance en la fatalité malgré son irrationalité : elle
apparaît comme un moyen de consolation et évite de culpabiliser à l’égard d’événements qu’on a pu empêcher.
Cours, la liberté 3
Tr. : si la connaissance des déterminismes permet d’atténuer ou de modifier leurs effets, alors l’homme est d’autant plus libre
qu’il est savant.

3/ L’ignorance aliène et le savoir libère

Comme le rappelait Spinoza, le déterminisme s’opposent à la liberté lorsque les hommes sont « ignorants des causes qui les
déterminent » ( Texte 4). Dans le domaine de la physique, l’homme subit les aléas de la nature tant qu’il en ignore les lois. Dans le
domaine psychologique et social, l’homme est le produit impuissant de son passé tant qu’il l’ignore, par exemple lorsqu’il ignore son
identité héritée où les circonstances qui ont forgé ses opinions, ses croyances, ses valeurs. L’homme n’est pas totalement maître de
son existence lorsqu’il n’est pas conscient des conditions qui déterminent ses pensées, ses désirs, ses actions. L’ignorance est donc
une cause d’aliénation (du latin alienus : « qui appartient à un autre »).
En affirmant qu’on « la science et la puissance humaine se correspondent dans tous les points » ( Texte 15), Bacon,
souligne le lien existant entre le savoir et la liberté. Le développement des sciences et des techniques nous montre en effet que
l’homme s’affranchit des contraintes de la nature à mesure qu’il la connaît mieux. Si le progrès de la liberté humaine est
proportionnel au progrès de la science, alors la liberté est, comme le dit Engels, « un produit du développement historique », ce qui
signifie qu’il y a une histoire de la liberté.
Rq : c’est particulièrement visible dans le domaine des sciences et des techniques : les hommes sont plus libres aujourd’hui
qu’au moyen-âge parce qu’ils connaissent mieux les lois de la nature. Peut-on observer le même progrès dans le domaine des libertés
politiques ? Les hommes (et les femmes bien sûr…) sont-ils plus libres aujourd’hui ? Sans doute. Mais alors qu’il n’y a pas de retour
en arrière dans le domaine des sciences et des techniques, il arrive qu’il y ait des rechutes dans le domaine des libertés politiques (ex :
les guerres mondiales du XXème siècle).

CONCLUSION

Il faut se défaire de deux illusions :

- La liberté ne peut se définir par l’absence d’obstacles, puisqu’elle surgit à partir des obstacles et est donc conditionnée
par eux. Si donc une liberté est possible, ce ne peut être que dans la confrontation de mon libre-arbitre avec ce qui lui fait résistance.
Elle suppose l’opposition à quelque chose qui la défie et contre quoi l’homme peut affirmer sa puissance d’action. En ce sens, la
liberté est toujours en fait une libération à l’égard d’un obstacle qui s’oppose d’abord à son affirmation. En ce sens, la liberté serait
une conquête et non pas seulement un pouvoir donné par la nature une fois pour toute.
- La croyance en un libre-arbitre absolue. Si la connaissance des déterminismes permet à l’homme d’agir, il n’est pas tout
puissant. Comme le rappelait Spinoza « l’homme n’est pas un empire dans un empire ». Comme le disait Pierre Bourdieu ( Texte
17), « la sociologie libère en libérant de l’illusion de la liberté, ou, plus exactement, de la croyance mal placée dans des libertés
illusoires ».

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