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Lorsqu’on obéit, par définition, on se soumet.

À première vue, la liberté suppose donc


l’absence d’obéissance. Mais cette définition de la liberté, on le voit tout de suite, est trop
restrictive et se retourne en son exact contraire car, sans obéissance aucune, les individus ne
pourraient s’entendre et seraient plongés dans un état de crainte permanente et de soumission
à la loi plus fort – donc dans un régime qui, par définition, exclut la liberté. Par conséquent, il
faut limiter la liberté pour que la liberté existe effectivement. Mais jusqu’où l’obéissance
peut-elle garantir la liberté ? Pour le savoir, explique Frédéric Manzini, professeur de
philosophie, il convient de distinguer trois acceptions de la liberté, entendue comme
indépendance, responsabilité et autonomie, pour faire voir que l’homme libre obéit toujours
au moins à lui-même, c’est-à-dire à ses valeurs et à ce qu’il s’est lui-même prescrit.

Proposition de correction : il s’agit ici de pistes possibles de traitement du sujet et non de la


copie-type attendue par les correcteurs !

 Principales notions mobilisées par le sujet : liberté, État, devoir


 Auteurs : Épictète, Thomas Hobbes, Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau

Introduction/problématisation
Obéir à quelqu’un, c’est accepter de se soumettre à lui et d’accomplir les ordres qu’il impose,
que ce soit sous la contrainte, par crainte des sanctions qui pèsent, ou tout simplement par
intérêt et par choix. Mais cette obéissance est souvent vécue comme un renoncement à soi-
même et à sa propre volonté. La liberté consiste-elle à n’obéir à personne, à ne rendre jamais
aucun compte de ce que l’on fait ? Peut-on, au contraire, concilier l’idée de liberté avec celle
d’obéissance ? Pour répondre à ces questions, nous allons explorer trois sens différents de la
liberté : comme indépendance d’abord, comme responsabilité ensuite et enfin comme
autonomie.

1) La liberté comme indépendance absolue : obéir, c’est


renoncer à sa liberté
1) Parents, autorité, État, nous faisons régulièrement l’expérience de devoir nous soumettre
aux injonctions d’autrui, de ne pas pouvoir faire ce que nous voulons personnellement et donc
de renoncer à notre propre volonté. Il peut même arriver que nous éprouvions l’envie,
soudaine ou longuement mûrie, de nous rebeller, à l’image des mouvements de révolte
populaire comme, par exemple, la Révolution française : à cette occasion, le peuple français a
décidé de rompre avec l’Ancien Régime pour ne plus obéir au roi, qui représentait à ses yeux
une entrave à sa propre liberté.

2) Il est donc très tentant de définir la liberté par l’insoumission ou la désobéissance,


autrement dit de considérer la liberté comme une propriété personnelle de chaque individu,
une disposition naturelle qu’il faudrait préserver contre les menaces qui viendraient la limiter.
Mais est-ce ainsi que nous sommes libres ? Que la désobéissance exprime un sentiment de
libération n’implique pas que ce soit en elle que consiste la nature même de la liberté. Dans le
Léviathan (1651), Thomas Hobbes définit par exemple la liberté comme l’absence
d’opposition ou d’entrave que l’on pourrait rencontrer ; mais la liberté dont il s’agit n’est
toutefois qu’une liberté de mouvement et Hobbes se demande si ce concept de liberté a encore
un sens quand il s’applique à autre chose qu’un corps, si ce n’est pas un « abus de langage ».

2) La liberté comme responsabilité dans la vie sociale


1) On pourra objecter dans une deuxième partie qu’une telle conception de la liberté risque de
rester théorique et d’être inapplicable – ce qui ne signifie pas qu’elle soit fausse, mais
seulement qu’elle conduise à estimer que la liberté n’existe qu’à l’état d’idée introuvable en
pratique ou d’utopie irréaliste. « Je veux que tout arrive comme il me plaît » a beau déclarer
un personnage fictif qu’Épictète imagine dans ses Entretiens lorsqu’il cherche à définir
l’homme libre : précisément, Épictète explique qu’un tel homme n’aurait rien de libre : ce
serait un fou qui n’a pas compris que la liberté est aussi belle que raisonnable, et qu’elle doit
se fonder sur la réalité des choses et non sur le désir individuel.

2) Dans une société humaine en effet, où nous coexistons les uns avec les autres au moyen de
règles de vie communes, il est impossible de n’obéir à personne ou à rien. Ces règles, ou plus
généralement ces lois, définissent un cadre politique qui font écrire à Montesquieu, dans De
l’esprit des lois, que « la liberté consiste à faire ce que les lois permettent ». Autrement dit, la
liberté n’est pas le pouvoir et n’existe que par les lois : elle est réglée par les lois qui
permettent des marges de liberté dans lesquelles les citoyens peuvent s’engouffrer et profiter
de leur volonté libre.

3) La liberté comme autonomie et obéissance à soi-même


Dans une troisième partie, on pourra essayer de réconcilier les concepts de liberté et
d’obéissance mais à condition de préciser la nature, ou plutôt l’objet, de l’obéissance. Pour
cela, on pourra s’appuyer sur la « Huitième Lettre » des Lettres écrites de la montagne
rédigées par Rousseau, dans laquelle il critique explicitement la confusion trop souvent
entretenue à ses yeux entre la liberté et l’indépendance. En définissant la liberté comme
« l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite », il entend montrer qu’il est tout à fait possible
d’être libre et d’obéir à la fois, pourvu que celui auquel on décide d’obéir ne soit pas une
personne extérieure. La question pertinente ne consiste pas à se demander s’il faut obéir ou
non, mais plutôt à savoir à qui ou à quoi l’on obéit précisément. Or dans une république bien
constituée, le citoyen obéit à la volonté générale, mais il reste pleinement libre puisqu’il
n’obéit à aucune volonté particulière étrangère. Ainsi le philosophe genevois peut-il écrire que
« la liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui, elle
consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre ». La véritable liberté peut
donc être dépendance tant qu’elle n’est pas servitude : c’est ce qu’on peut appeler une
autonomie, au sens étymologique de « ce qui se régit soi-même ».

Conclusion
N’obéir à personne : la formule peut séduire, mais elle n’est ni applicable en pratique, ni
nécessairement souhaitable. Celui qui est libre obéit au minimum à lui-même, à ses valeurs et
à ses idées, pour donner de la cohérence à son comportement. En ce sens, cette obéissance est
tout simplement une forme de respect et de fidélité à soi-même.

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