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Dans cet extrait de l’œuvre philosophique Deux conceptions de la liberté paru en 1958,
Isaiah Berlin prend du recul sur la définition générale de liberté et la soumet à sa réflexion. Il
cherche à démontrer que le concept de liberté ne s’arrête pas à la simple absence de gêne sur
l’action de l’Homme mais qu’il repose sur des conditions bien plus complexes que celle là. Si le
philosophe fait ici l’effort de définir clairement ce terme, c’est par nécessité. La liberté est une
valeur fondamentale de l’Humanité, au cœur de tout débat dans la société, notamment dans la nôtre,
régie par la devise « liberté, égalité, fraternité ». L’omniprésence de ce terme dans la vie politique et
économique le banalise, ce qui rend ce concept, pourtant si précieux, confus. La confusion et
simplification de cette valeur est très problématique puisqu’elle met en péril son respect et
application dans nos sociétés modernes. Sans définition précise et universelle, l’humain vise à
devenir plus opprimé et contraint qu’il ne l’a jamais été tout en étant persuadé d’être
l’incarnation de l’homme libre. Ainsi la première condition qu’Isaiah Berlin distingue afin
d’éviter cette situation est la taille minimale de l’espace dans lequel l’homme n’est pas contraint
d’agir par autrui (I). Cependant la simple incapacité d’effectuer une action ne suggère pas la
contrainte, celle ci doit impliquer l’intervention délibérée d’autrui (II). Pourtant, dans le domaine
économique un Homme pauvre, n’est pas considéré comme libre, et ce même si sa situation ne
relève pas d’une contrainte (III).
Isaiah Berlin introduit le sujet de son texte dès les premiers mots : « Je suis libre ». Ces trois
mots sont très vastes et renvoient à beaucoup de choses différentes : Qui se dit libre ? Libre de faire
quoi ? De s’exprimer ? De penser ? De faire des choix? C’est cette généralité qui semble être en
réalité mise en avant par l’auteur dans la première ligne. Celui ci fait un constat dès le début sur
l’usage de ce terme dans la société. Usage vague, flou mais surtout récurrent (« dit-on
généralement ») qui implique que les Hommes parlent de liberté de façon légère, futile alors
qu’elle est l’essence même de notre société. Dans la suite de la phrase, Berlin apporte la définition
sociale du statut libre : quand « personne ne vient gêner mon action ». Cette définition est à la forme
négative et vient de ce fait accentuer la notion contraire de libre (entravé, gêné, contraint…). Ainsi,
d’après la société seule l’absence de contrainte, de gêne sur nos actions définirait notre liberté. On
est donc libre car notre volonté n’est pas entravée. De ce fait, un nord-coréen souhaitant rester toute
sa vie en Corée du Nord peut être considéré comme libre et ce même si dans le cas inverse il serait
contraint d’y rester quand même. Là est la premier problème que soulève le philosophe, les humains
s’autoproclament libres sans même y réfléchir, ce qui fait perdre tout son sens au terme de liberté.
Ensuite, l’auteur applique cette définition à un domaine plus précis, la politique, afin de l’étudier
plus profondément. Alors que la liberté est habituellement perçue comme un espace sans contrainte,
ouvert et sans limite, elle ici représentée comme un espace dans lequel l’Homme est enfermé mais
où il peut exercer sa volonté sans être entravé par autrui (l.2). Cependant, on remarque que même en
l’appliquant dans un cadre plus défini, le concept de liberté tel qu’il est décrit ne suffit pas pour être
clair. L’« espace » représente l’étendue à l’intérieure de laquelle se trouve la liberté de l’Homme,
mais aucune précision n’est donnée sur cet espace. Il peut donc être aussi restreint que possible, et
pourtant toujours garantir à l’Homme le statut de liberté. De plus, ici encore, l’unique fait qu’un
homme ne soit pas empêché par un autre d’agir lui réserve le même statut, l’Homme seul serait de
ce fait considéré d’office comme Homme libre. Cependant un homme seul dans une cellule de
prison pourrait-il donc être qualifié d’homme libre puisque entre les quatre murs de sa chambre, il
peut exprimer, penser et étudier ce qu’il veut ? Pourtant le prisonnier est l’incarnation de l’Homme
privé de liberté. C’est pour résoudre ces contradictions que l’auteur apporte de nouvelles conditions
à partir de la ligne 3. Si, l’Homme n’agit pas de la même manière en communauté et seul parce
qu’on l’en empêche, alors il n’est pas « entièrement libre ». L’Homme serait donc oppressé dès
qu’un autre empêcherait ses désirs d’être réalisés. La spontanéité du comportement de l’Homme
serait donc une condition à sa liberté politique. De plus, Isaiah Berlin rajoute à la ligne 4 qu’un
certain minimum doit être respecté quant à la taille de l’espace pour qu’un humain puisse être
qualifié d’Homme libre car sinon quoi il serait « contraint », « opprimé » et « asservi ». Par
conséquent, plus l’espace de non-intervention d’autres hommes est vaste pour quelqu’un plus sa
liberté sera grande. Cependant cet espace ne peut pas être trop vaste et se doit d’être limité, c’est
pourquoi il est représenté comme une étendue dans laquelle l’Homme est enfermé et non comme
une grande aire illimitée où aucun autre homme n’intervient et n’entrave la volonté de celui ci.
L’Homme libre ne peut décider d’opprimer un autre homme et de le réduire en esclavage par simple
volonté car cela impacterait la liberté de celui ci. Le « certain minimum » quantifie l’espace de
liberté de façon très floue ce qui montre que celui ci repose sur un équilibre ni trop vaste ni trop
réduit : trop vaste donnerait une totale liberté à certains Hommes au détriment d’autres et trop réduit
rendrait la majorité des Hommes non libres.
Les concepts de « liberté économique et son contraire oppression économique » (l.14) sont
nouveaux, l’enjeu est donc de bien les définir car ils sont amené à être utilisés régulièrement.
L’auteur explique que la définition large de liberté devrait également pouvoir inspirer celle du
libéralisme économique. Ainsi, Isaiah Berlin a observé le fonctionnement de la liberté politique afin
d’enrichir la réflexion et d’aider à trouver des solutions pour répondre à ce nouveau défi qu’est
l’économie à l’époque. Il reprend les conditions exposées directement sur un domaine plus familier,
la politique, et les applique directement à ce domaine moderne. Ainsi, la liberté politique prônerait
l’absence de contrainte sur la gestion de tout objet économique (marchandise…) et s’opposerait à
toute intervention délibérée d’autrui comme les mesures de l’État visant à contrôler l’économie.
Dans ce domaine, oppression et liberté se confrontent aussi et sont de ce fait contraires. De cette
opposition, il poursuit avec l’opinion générale de ce même « on » que celui évoqué dans la première
ligne de l’extrait. Cette fois, l’auteur partage son opinion et va même au-delà du constat en
affirmant son soutien : « On prétend, à juste titre » (l.15). Car en effet, les concepts de libertés
politique et économique dressent un portrait social idyllique respectant cette précieuse valeur
fondamentale qu’est la liberté. Toutefois la liberté économique se heurte aux inégalités sociales
(l.15) qui elles ne sont pas négligeables dans ce portrait. Que serait une société libre mais
inégale ? Cela n’a rien d’idyllique, cela rentre même en contradiction avec la quintessence de la
liberté : puisque « LES hommes naissent libres et égaux en droits » et non certains hommes. Ainsi
avec ce nouveau concept, l’auteur place la définition de liberté devant ses contradictions :
l’Homme trop pauvre dans l’incapacité de s’offrir quelque chose n’est soumis à aucune
contrainte. En effet, dans cette situation, il n’y a aucune intervention délibérée d’autrui dans
l’espace de cet homme, aucune autre interférence que l’argent mais l’argent est matériel, il
n’est pas humain. Cela relèverait donc de l’unique incapacité et non de la contrainte, au
même statut qu’un handicap. De plus, comme l’explique le philosophe, « aucune loi
n’interdit » à cet homme de s’offrir ce qu’il souhaite. Pourtant cette incapacité peut avoir des
répercussions très graves, même si elle peut l’empêcher de s’offrir le luxe du « voyage autour
du monde », elle peut aussi l’empêcher de procéder à un « recours en justice » ce qui touche
encore une fois à la valeur fondamentale édictée dans l’article 1 de la DDHC sur laquelle toute
notre société repose. Là est l’injustice même de cette incapacité. De plus, cette incapacité peut
impacter la vie directement : l’Homme peut être trop pauvre pour s’acheter « une miche de
pain », besoin primaire dépassant même la volonté. De plus, Berlin souligne qu’ « on prétend
[que cet homme] est aussi peu libre que si la loi le lui interdisait ». Pourtant ce même homme,
dans l’incapacité de subvenir à son besoin le plus vital, est considéré comme libre par la définition
antérieure. Ce serait donc par liberté qu’il mourrait de faim ce qui révèle l’absurdité de cette
définition. Ici encore, l’auteur démontre l’extrême importance de la définition de la liberté, qu’elle
soit politique ou économique.
Ainsi, l’absence de gêne sur l’action d’un Homme n’est pas la « conditio per quam » du
concept de liberté, d’autres conditions rentrent en jeu. La liberté politique repose sur la taille de
l’espace dans lequel l’absence de contrainte se produit. La contrainte implique l’intervention
d’autrui empêchant la finalité politique souhaitée par l’Homme. Cependant si seules ces
conditions comptent dans la qualification de liberté, dans le domaine de l’économie nous
serions ramenés à qualifier de libre l’homme dont l’incapacité de s’acheter à manger le
conduit à la mort.