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UNIVERSITÉ D’AIX-MARSEILLE

ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES JURIDIQUES ET


POLITIQUES

FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE

Finances Publiques et
Droits Fondamentaux
Essai sur les relations entre les finances publiques et les droits fondamentaux

Thèse pour le doctorat de droit public présentée et soutenue publiquement par

Virginie BLONDIO-MONDOLONI
Sous la direction de Monsieur le Professeur Éric OLIVA
Le 20 décembre 2014

COMPOSITION DU JURY :

 MONSIEUR DUSSART VINCENT, Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit


public à l’université de Toulouse1 Capitole Rapporteur
 MONSIEUR ORSONI GILBERT, Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit
public à l’université d’Aix-Marseille Suffragant
 MONSIEUR OLIVA ÉRIC, Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public à
l’université d’Aix-Marseille Directeur de Thèse
 MONSIEUR PARDINI JEAN-JACQUES, Agrégé des facultés de droit, Professeur de
droit public à l’université de Toulon Rapporteur
 MONSIEUR RIBES DIDIER, Maître des requêtes au Conseil d’État Suffragant
« L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans
les thèses : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. »
REMERCIEMENTS

Mes premiers remerciements vont à Monsieur le Professeur Éric Oliva, mon directeur, dont
l’enseignement, les conseils et l’accessibilité en font un grand enseignant.

Je tiens à exprimer mes remerciements à Monsieur le Professeur Joseph Pini, mon premier
directeur, qui m’a proposé de me lancer dans cette aventure qu’est la thèse.

Je remercie mes parents qui m’ont permis de poursuivre mes études et l’ensemble de ma
famille pour leur soutien.

Je remercie également toute l’équipe de la Bibliothèque Municipale d’Ajaccio, plus


particulièrement Monsieur François Pagano pour son dévouement.

Toute ma reconnaissance se porte vers Maître Jacques Colonna D'Istria pour ses précieux
conseils et réflexions qui m’ont considérablement aidée dans l’écriture de ma thèse, ainsi
qu’un grand merci à Madame Muriel Perino-Simongiovanni pour le partage de son
expérience.

Un grand merci à tous mes amis.

Ma reconnaissance va à Madame Bautista et à Maître Anne Avedian pour leur intelligente


relecture.

Merci aux élus de mon canton qui m’ont fait prendre conscience du travail à accomplir pour
l’Homme dans son épanouissement.

Mes pensées se tournent également vers ma tante Rose pour m’avoir donné le goût
d’apprendre et mon cousin Bruno qui m’a toujours encouragée, comme l’écrivait Paul
Verlaine : ces voix chères qui se sont tues.

Je dédie cette thèse à mon fils, Joseph-Antoine, parce que le courage et la volonté peuvent
tout.
Sommaire
INTRODUCTION GENERALE

PARTIE 1 LES DROITS FONDAMENTAUX COMME CADRE DES DROITS FINANCIERS

TITRE 1 DROITS FONDAMENTAUX ET FINANCES PUBLIQUES : DE L’ANTINOMIE À


L’IMBRICATION

CHAPITRE 1 Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

CHAPITRE 2 L’imbrication des finances publiques et des droits fondamentaux

TITRE 2 LES INSTRUMENTS DE RECONNAISSANCE ET DE PROTECTION DES


DROITS FINANCIERS FONDAMENTAUX

CHAPITRE 1 Le cadre constitutionnel des droits financiers fondamentaux

CHAPITRE 2 Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

PARTIE 2 LES FINANCES PUBLIQUES COMME GARANTIE DE L’EFFECTIVITE DES


DROITS FONDAMENTAUX

TITRE 1 DROITS-CRÉANCES, DROITS-GARANTIS ET DROITS-LIBERTÉS : DES


DROITS D’INTERVENTIONNISME ÉTATIQUE

CHAPITRE 1 Les finances publiques :condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

CHAPITRE 2 De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

TITRE 2 LA CRISE DES FINANCES PUBLIQUES : UNE REMISE EN CAUSE DES


DROITS FONDAMENTAUX ?

CHAPITRE 1 L’avenir des droits fondamentaux

CHAPITRE 2 L’État est-il toujours souverain ?

CONCLUSION GENERALE

BIBLIOGRAPHIE

INDEX ALPHABÉTIQUE

INDEX ONOMASTIQUE

TABLE DES MATIÈRES


PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

A.J.D.A Actualité Juridique Droit Administratif


Arch. Phil. Droit Archives de Philosophie du Droit
art article
Ass Assemblée du Contentieux
C.A Cour d’appel
C.A.A Cour administrative d’appel
C.E.D.H Convention européenne des droits de l’Homme
C.J.C.E Cour de Justice des Communautés européennes
C.J.U.E Cour de Justice de l’Union européenne
chron chronique
Civ. Chambre civile
Coll. Collection
Cons. Considérant
Cons. const Conseil constitutionnel
D. Dalloz
DC Déclaration de conformité
DDHC Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
dir. Sous la direction de.
Dr.adm Revue de droit administratif
Dr. fisc Revue de droit fiscal
Dr.soc Revue de droit social
DUDH Déclaration universelle des droits de l’Homme
éd. édition
et alii et les autres
Fasc. Fascicule
ibid. même endroit
idem de même
J.C.P Juris-Classeur périodique, édition générale
J.C.L Juris-Classeur Libertés
L.G.D.J Librairie générale de droit et de jurisprudence
L.O.L.F Loi organique relative aux lois de finances
L.P.A Les petites affiches
op.cit ouvrage cité
p. page
P.L.S.S Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale
P.U.A.M Presses universitaires d’Aix-Marseille
P.U.F Presses universitaires de France
Plén. Plénière
préc. Précité
QPC Question prioritaire de constitutionnalité
Rec. Recueil
R.D.L.F Revue des droits et libertés fondamentaux
R.D.P Revue de droit public
R.F.D.A Revue française de droit administratif
R.F.D.C Revue française de droit constitutionnel
R.F.F.P Revue française de finances publiques
R.I.D.C Revue internationale de droit comparé
R.J.F Revue de jurisprudence fiscale
R.S.F Revue de science financière
R.T.D.civ Revue trimestrielle de droit civil
R.T.D.E Revue trimestrielle de droit européen
S. Sirey
s suivant(s)
Sect. Section du contentieux du Conseil d’Etat
T. Tome
T.V.A Taxe sur la valeur ajoutée
Th. Thèse
Trad. Traduction
Vol. Volume
« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des
Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » Article 16 Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789.
INTRODUCTION GENERALE

« Il n’y a point de mot qui ait reçu plus de différentes significations et qui ait frappé les
esprits de tant de manière que celui de liberté. »1

1 Selon Epictète2, la liberté est la reconnaissance de la nécessité et non l’assouvissement


de désirs. L’Homme libre doit consentir à mettre en œuvre cette liberté. Ce que nous
retrouvons dans la lettre de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
du 26 août 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi,
l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux
autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être
déterminées que par la Loi ».
Assurer la jouissance de ces droits nécessite des moyens propres à leur réalisation, en étant
moyens ils ne sont plus sacrifices, mais condition de liberté.
Aujourd’hui, l’État assure ce respect des droits et libertés fondamentaux en mettant en place
des services afin de remplir cette mission. Ces services n’existent que par le biais d’un
financement de l’État concédé par le contribuable dans le but de réaliser la chose publique,
comme l’a énoncé Maurice Hauriou : « les finances publiques sont l’élément le plus important
de la chose publique »3.
Cette thèse se présente modestement comme une première pierre à l’édifice de l’étude de la
transversalité des finances publiques, car force est de constater qu’elles sont considérées à la
marge des autres branches du droit, un certain déni de l’aspect financier des droits est
manifeste. La volonté qui nous anime ici est de démontrer l’imbrication des finances
publiques dans les droits fondamentaux et inversement.
Notre sujet : « finances publiques et droits fondamentaux », résonne comme une
contradiction tant sur le plan sémantique que sur les domaines auxquels il se rattache or, la
contradiction n’est qu’apparente.

1
MONTESQUIEU (Ch. de Secondat ) : DE L’ESPRIT DES LOIX, Tome premier, à Genève, chez Barillot et fils,
2
EPICTETE : Manuel suivi des Entretiens, Présentation et choix Danielle Moyse, coll. dirigée par François
Laurent, Paris, Agora, pocket, 2010, 147 pages.
3
HAURIOU (M.), Précis de droit administratif et de droit public général, 4ème éd, Paris, Sirey, 1900, 917 pages.
http// :gallica.bnf.fr

1
Finances publiques et droits fondamentaux

Les finances publiques prises dans l’impôt et les droits et libertés fondamentaux ont fait
l’objet de revendications communes, de l’arbitraire des uns est née la revendication des autres,
ils ont été le fer de lance des révolutions. D’un côté, la quête d’une légitimation concernant
les impôts, de l’autre, une émancipation, une exaltation, concernant les droits et libertés
fondamentaux. Les finances publiques, un des piliers de l’État sans lesquelles il ne peut vivre,
ont connu différentes formes et perfectionnements tout au long de l’histoire, allant vers une
plus grande précision pour ne plus laisser place à l’arbitraire ; ainsi, nous sommes passés de
l’impôt « asphyxiant » à l’impôt « libérateur ».
Les sociétés ont évolué apportant à ces deux domaines des avancées importantes en théorie et
en pratique. L’abolition de l’esclavage, la reconnaissance de droits égaux pour tous les
hommes, la contribution de chacun au bénéfice de Droits, de prestations ont évolué
différemment selon les peuples. La reconnaissance de la dignité humaine, de laquelle
émergent nombre de droits selon une conception communément admise, concerne toutes les
cultures et civilisations, bien que tous ces droits ne reçoivent pas la même protection et n’ont
pas la même portée dans tous les pays. Selon l’Organisation des Nations Unies, la
mutualisation des efforts et une volonté de faire de la paix le but commun à toutes les sociétés
est un schéma que tous les pays doivent intégrer, un schéma de protection des droits et
libertés fondamentaux et de leur reconnaissance qui concerne surtout les pays qui s’éveillent à
la démocratie. Cette vision des droits, de la démocratie, de la paix in fine, comporte des
sacrifices et surtout des moyens pour la réaliser. L’État, par la mise en place d’institutions, de
services publics, tente de réaliser ces droits et de les sauvegarder à un niveau élevé.
Les droits et libertés fondamentaux ont fait l’objet de réflexions philosophiques, juridiques
qui remontent à l’Antiquité, jusqu’à leur constitutionnalisation aujourd’hui et leur entrée dans
la sphère mondiale. Alors qu’ils n’étaient l’apanage que de quelques éminents philosophes ou
juristes, aujourd’hui, toute la société connait leur existence. Ils font partie intégrante de la
société et des principaux thèmes abordés, comme le budget de l’État.
Notre étude se veut objective et requiert au préalable une définition des notions tant de
finances publiques que de droits fondamentaux (I) puis leur analyse (II).

2
Introduction générale

I LA NOTION DE FINANCES PUBLIQUES ET DE DROITS FONDAMENTAUX

2 « Finances publiques » est une expression issue du latin Finis qui signifie fin, terme ;
elles étaient dénommées autrefois « législation financière ». Cette matière entre dans le champ
du droit public, elle s’attache de façon générale à traiter des phénomènes relatifs au budget et
à la fiscalité, donc des dépenses et des recettes de l’État et des administrations publiques. Les
finances publiques, au regard de « la misère de la théorie financière »4 ne recouvraient pas
une dimension juridique équivalente à celle que pouvait recouvrir le droit civil par exemple.
Les droits et libertés fondamentaux également, ils étaient considérés comme une notion
philosophique, non juridique. Cependant, les finances publiques ainsi que les droits et libertés
fondamentaux sont du droit (A), leur histoire est parallèle et en constante évolution (B) pour
in fine recevoir une même consécration : celle d’une constitutionnalisation (C) .

A Les finances publiques et les droits fondamentaux : des piliers de l’État démocratique

3 Le budget, élément vital de l’État est constitué de règles assorties de sanctions, il


caractérise le domaine juridique des finances publiques (1), les droits et libertés
fondamentaux malgré le caractère moderne et symbolique auquel ils renvoient, sont
également du droit (2).

1 Le budget : élément juridique vital de l’État

4 Le budget anciennement dénommé « bougette » ou « bouge » désignait un sac à l’effet


duquel on mettait de la monnaie. La loi des 21 floréals an X va le consacrer juridiquement en
France. Un décret du 31 mai 1862 le définira de façon précise en son article 5, en énonçant :
« Le budget est l'acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les dépenses
annuelles de l'État ou des autres services que les lois assujettissent aux mêmes règles ». Nous
retrouverons cette définition, dans son contenu, quelque peu modifiée ou suggérée, mais
intacte dans son sens, au sein des principaux textes relatifs aux finances publiques, plus
précisément au budget. C’est le cas, dans le décret-loi du 19 juin 1956 en son article 1er, dans
l'Ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959 au sein des
articles 1, 2 et 16, ainsi que dans la Loi organique relative aux lois de finances du 1er aout

4
ORSONI (G) : « Misère de la théorie financière (?) », R.F.F.P, nº 41, 1993, pp 239-252.

3
Finances publiques et droits fondamentaux

2001 dans les articles 1 et 6. Budget et loi de finances deviennent quelque peu « synonymes »,
car l’acte de prévision et d’autorisation, donc le budget, est dans la loi de finances ; cela nous
conduit à définir la loi de finances au regard du budget. La LOLF en son article 1er définit la
loi de finances par son objet, sa fonction : « Dans les conditions et sous les réserves prévues
par la présente loi organique, les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le
montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État, ainsi que l'équilibre
budgétaire et financier qui en résulte. Elles tiennent compte d'un équilibre économique défini,
ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu'elles déterminent ». Une ambiguïté
apparaît, car cette définition s’apparente à la définition donnée jadis du budget, le budget
serait-il la loi de finances ? Cette question interpelle le lecteur forcément puis à la lecture de
l’article 6 alinéa 1er de la LOLF relatif au budget : « Les ressources et les charges
budgétaires de l'État sont retracées dans le budget sous forme de recettes et de dépenses. ».
L’utilisation indistincte de la notion de budget et de loi de finances conforte également dans
cette ambiguïté. La loi de finances est la seule expression utilisée au sein de la Constitution du
4 octobre 1958, la LOLF comme instrument de référence financier, détaille les deux notions
et les délimite. La loi de finances apparaît comme le cadre juridique du budget, qui lui, est
constitué par les recettes et dépenses ; la notion classique du budget se fond dans la définition
de la loi de finances, or, la loi de finances n’est pas le budget et inversement, car elle contient
des dispositions qui n’ont pas vocation à s’appliquer à l’année budgétaire préalablement
définie, caractéristique essentielle du budget. Par conséquent, selon la LOLF, la distinction
résulte en ce que le budget retrace les dépenses et recettes de l’État de façon comptable, il
constitue un acte descriptif de celles-ci. La loi de finances est une notion plus vaste que le
budget, car elle revêt une dimension politique, elle n’est pas un acte descriptif des charges et
ressources de l’État contrairement au budget qu’elle englobe évidemment en son sein, elle est
un acte d’autorisation et de perception des ressources et de couverture des charges.
Diverses raisons ont conduit à cette évolution, l’intervention de l’État qui a nécessité après la
Première Guerre mondiale de plus en plus de dépenses, le contrôle du Parlement qui
nécessitait un cadre précis et bien défini dans un seul texte afin de faciliter le contrôle et éviter
l’arbitraire, ce que rappelle la LOLF dans le renforcement du rôle de contrôle du Parlement.
Ainsi, plusieurs influences ont conduit à renforcer et à constituer la matière des finances
publiques.

5 Depuis 1992, nous trouvons au sein des finances publiques, les comptes des
administrations sociales, plus précisément depuis 1996, les comptes des administrations
4
Introduction générale

relatifs à la sécurité sociale. Ainsi, les finances sociales font partie dans leur totalité des
finances publiques. Cette matière s’est, au fil des époques constituée, précisée et enrichie des
différentes branches du droit avec lesquelles elle a des liens et a pris une dimension encore
plus importante sous l’influence du droit européen et du nécessaire respect des seuils de
déficits publics.

6 Bien que contenu dans la loi de finances qui en a repris les termes, le budget n’en
demeure pas moins le centre de toutes les attentions, il constitue un élément central de la vie
de l’État, dans son unité et dans son maintien dans l’Union européenne. Les finances
publiques aujourd’hui, revêtent une importance capitale, le budget représente les possibilités
de l’État ; il détermine sa marge de manœuvre. En effet, il est l’expression de la politique du
gouvernement, le lien entre les finances publiques et la politique du gouvernement est
consubstantiel. Le budget de l’État représente en France 15 % du produit intérieur brut, sa
répartition en tant que répartition des revenus, constitue un élément fondamental de la vie
économique, sociale et culturelle de l’État. Sa répartition connaît des incidences sur tous les
domaines, et ce qui peut paraître paradoxal, également sur les droits fondamentaux, ce que
nous allons développer au sein de la seconde partie de notre thèse.

7 Les finances publiques intègrent, selon nous, le droit fiscal comme relatif à la chose
publique, car l’impôt constitue une recette du budget. En effet, nous ne pouvons dissocier le
budget et l’impôt, car ces deux notions sont devenues inséparables.
Nous abordons la notion d’impôt au sein de notre étude, car autrefois on ne pouvait parler de
finances publiques au sens de pilier de l’État, l’État n’était pas réalisé, les finances n’étaient
pas cadrées ni encadrées. Les méthodes de prélèvement étaient relativement arbitraires et
évoluaient en fonction des besoins du roi. Ainsi, l’impôt est envisagé au sein de cette thèse, en
amont, car les finances publiques au sens de budget ne recouvrent pas de modèle défini ; ce ne
sera qu’une fois que les Constitutions seront mises en place, qu’une « feuille de route » sera
établie par des règles de plus en précises. Puis sera étudiée la période révolutionnaire, en ce
qu’elle a permis l’exaltation des libertés et a renouvelé la conception de l’impôt comme
contribution volontaire, condition de la liberté des citoyens. Le budget et le consentement à
l’impôt sont liés historiquement.

8 Les diverses expériences, Anglaises, Américaines et Françaises nous démontrent le


lien entre libertés et finances publiques. Nous aborderons les expériences anglaises et

5
Finances publiques et droits fondamentaux

américaines, seulement concernant la période révolutionnaire, en ce qu’elles constituent une


revendication des droits fondamentaux et dont le fait générateur commun est l’impôt.

2 Les droits et libertés fondamentaux sont du droit

9 La notion de droits fondamentaux est le fruit d’une construction et d’une évolution, ce


n’est pas une notion nouvelle, ces droits ont fait l’objet d’une prise de conscience de la société
ce qui a « vulgarisé » cette notion. Cependant, c’est au niveau de leur protection qu’une
évolution est remarquée et remarquable, plus qu’au niveau de leur existence. Certains auteurs
ont d’ailleurs analysé la question : « les Droits de l’Homme sont-ils vraiment du droit ? »5
Avant d’envisager cette question, le terme même de droits fondamentaux ou droits et libertés
fondamentaux que nous utiliserons de façon similaire, car le premier englobe le second, doit
être analysé. Les droits et libertés font l’objet de débats, en effet, les termes libertés publiques
et libertés fondamentales tout d’abord, ne revêtent pas les mêmes conceptions ni la même
protection. Les libertés publiques traduisaient un rapport vertical, les individus pouvaient les
invoquer à l’égard du pouvoir, alors que les libertés fondamentales traduisent des rapports
verticaux et horizontaux, c'est-à-dire à l’égard tant du pouvoir, qu’entre individus ; le niveau
de protection diffère, les libertés publiques se trouvaient à un niveau législatif alors que les
libertés fondamentales à un niveau constitutionnel. Ainsi, la terminologie appropriée est celle
de libertés fondamentales, or il existe des libertés et des droits, la notion précise est donc celle
de droits et libertés fondamentaux. Quant à la notion de droits de l’Homme, elle revêt un
caractère à dominante philosophique, politique, la notion droits et libertés fondamentaux, un
caractère plus juridique, plus contraignant dans le sens positiviste. L’expression
« fondamentale » ou « fondamentaux » provient d’une influence allemande, qui traduirait ce
qui est issu de la « Constitution », comme la Loi fondamentale allemande ou trouvant leur
fondement dans les divers instruments fondamentaux dans l’ordre national, européen ou
international, dans une norme suprême. Selon l’orientation théorique et les choix de l’école
aixoise de droit constitutionnel, école positiviste, normativiste, jurisprudentielle et

5
VIANGALLI (F) : « Les Droits de l’Homme sont-ils vraiment du droit ? L’essence des Droits de l’Homme :
rêve de droit ou réalité ? Du thomisme de Michel Villey au positivisme de H.L.A Hart. Revue des droits et
libertés fondamentaux ? 2011, chron. n °18.

6
Introduction générale

comparatiste6, l’expression la plus appropriée est celle de « droits et libertés fondamentaux »,


pour plusieurs raisons : tout d’abord, l’expression droits et libertés fondamentaux, selon le
Doyen Favoreu, exclut certains instruments relatifs aux droits de l’Homme comme la
Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, ou le Pacte international
pour les droits civils et politiques du 16 décembre 1966. Cette exclusion est fondée sur
l’absence d’intégration de ces instruments au sommet des ordres juridiques nationaux et de
l’absence de juge sanctionnant la violation de ces instruments.
En résumé, le terme « droits de l’Homme », traduirait une conception plus vaste des droits
comme expression universelle pour des droits universels, alors que celle de droits
fondamentaux est plus précise. En règle générale, force est de constater que ces deux
expressions sont utilisées indifféremment.
Ainsi, nous utiliserons majoritairement l’expression « droits fondamentaux » au sein de notre
étude afin d’éviter toute connotation politique, mais nous utiliserons aussi bien celle de
« droits de l’Homme » lorsque nous aborderons les auteurs utilisant cette expression.

10 L’affirmation selon laquelle les droits de l’Homme sont du droit répond à une thèse
développée par Michel Villey et combattue brillamment par François Viangalli. 7 Pour Michel
Villey, les droits de l’Homme ne sont qu’un idéal, ils ne constituent pas du droit « mais
seulement un rêve que la folie des hommes a confondu avec l’art juridique authentique »8, il
relate leur inefficacité face aux catastrophes humaines. Il y a peut-être une forme d’idéal qui
ne repose pas sur l’affirmation des droits de l’Homme, mais sur l’ambition affichée d’un total
respect en tous lieux et en tout temps.
Cependant, cette « affirmation » selon laquelle les droits de l’Homme ne sont pas du droit
nécessite de se pencher sur la fonction du droit.
Se poser la question de savoir si les droits de l’Homme sont du droit implique de se poser la
question : qu'est-ce que le droit ?

6
MAGNON (X) : « Orientation théorique et choix méthodologique de l’école aixoise de droit constitutionnel :
réflexions et tentative de reconstruction » Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz, Paris, 2007 in
Renouveau du droit constitutionnel, p 234.
7
VIANGALLI (F): op.cit.
8
Ibid.

7
Finances publiques et droits fondamentaux

11 Le droit, dans la définition qu’il reçoit de prime abord, est assimilé à la « règle »,9 puis
à « jugement », en définitive, de façon simpliste, à un jugement au regard d’une règle ou à une
règle permettant un jugement. Ensuite, et sans entrer dans les diverses théories permettant
d’aborder une logique du droit, le droit, dans sa fonction règle les comportements, les
relations entre individus, un individu seul tel Robinson, comme l’énonce François Terré 10, n’a
aucunement besoin du droit, jusqu’à sa rencontre avec Vendredi. Ainsi, le droit a pour
signification et fonction d’établir des règles entre les individus afin de régir leurs
comportements dans le but d’établir une certaine égalité entre eux et éviter l’application de la
loi du plus fort. Cette présentation est certes simpliste, mais permet de ne s’attacher qu’à
l’essentiel pour nous, à savoir les droits fondamentaux constituent-ils des règles régissant les
comportements entre individus ? À l'évidence, nous ne pouvons répondre que par
l’affirmative, à la lecture de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
du 26 août 1789. Par conséquent, dès lors que les droits fondamentaux font l’objet d’une
juridicité, au sens où ils sont mis en œuvre par une norme, la plus élevée au demeurant, que
leur violation peut être sanctionnée par un juge devant un tribunal prévu à cet effet,
permettant une condamnation et une réparation des violations constatées, nous pouvons
estimer à juste titre que les droits fondamentaux sont du droit. La Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (ci-après
dénommée : Convention européenne des droits de l’Homme), la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, le bloc de constitutionnalité en
France constitutionnalisant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen notamment,
sont des instruments positifs faisant partie d’un ordre juridique contraignant et permettant une
protection et une sanction de leur violation.
Les droits fondamentaux comme les finances publiques sont du droit, des règles en permettent
le respect et des sanctions consécutives à la violation de règles sont ainsi établies.
Avant d’entrer dans l’objet même de l’analyse des finances publiques et des droits
fondamentaux, nous évoquerons de façon objective et sans jugement de valeur, l’aspect
historique de ces deux domaines afin de percevoir l’évolution à laquelle ils furent en prise.

9
TERRE (F) : Introduction Générale au droit, 8ème éd, Dalloz, Paris, 2009, 608 pages.
10
Idem, p1 à 23.

8
Introduction générale

B L’histoire des droits fondamentaux et des finances publiques en constante évolution

12 L’histoire tant des finances publiques, que des droits fondamentaux se doit d’être
présentée, ce que nous avons tenté de faire au sein de cette thèse. Nous verrons que la religion
a constitué une assise des droits fondamentaux, mais également des finances publiques par la
mise en place de certains prélèvements. L’histoire des finances publiques et des droits
fondamentaux est l’histoire d’un glissement de rapport avec pour objet l’impôt dans la cadre
des finances publiques, la relation de l’Homme à son endroit et par ce biais, ainsi que la
transformation d’une conception collectiviste en une conception individualiste pour les droits
fondamentaux. En résumé, l’histoire tant des droits fondamentaux que des finances publiques
traduit une transformation de rapport (1) et des mutations (2).

1 L’histoire d’une transformation de rapport

13 L’histoire des droits fondamentaux est à même de présenter une construction de ceux-
ci complexe, du moins telle que nous entendons aujourd’hui cette notion, dans sa forme
moderne. « L’héritage » de l’Antiquité est l’Homme en tant que citoyen, la dignité et la
démocratie sont tirées de la période gréco-romaine, à cela s’ajoute le religieux très prégnant
d’où nous en avons retiré la notion de liberté et de fraternité. Puis, les conceptions
philosophiques qui ont défini, chacune selon leur courant, la place de l’Homme au regard du
pouvoir dans une relation de dépendance, d’infériorité ou dans une relation contractuelle.
Ainsi, les théoriciens comme Hobbes, Locke, ou Rousseau ont développé chacun leur
conception des droits de l’Homme.

14 Quant aux finances publiques, malheureusement, peu d’écrits théoriques retracent leur
histoire dans leur conception et construction philosophique, on ne pouvait parler réellement
de budget, car il n’existait pas vraiment notamment dans la forme dans laquelle nous le
connaissons aujourd’hui, on parlait plus « d’impôt ». Cependant, la notion de prélèvement au
sens d’imposition, a reçu une conception différente de la part des individus selon le courant
dominant dans lequel il se trouvait. En effet, quand le religieux était prédominant dans la
société, la conception de la forme primitive de l’impôt était en relation avec la notion de don
au divin, donc sans réelle contrepartie immédiate. L’évolution de la société et de la
conception du religieux a laissé émerger l’individualisme, la notion de don disparait pour
laisser place à un rapport direct du prélèvement au regard de l’Homme en tant qu’individu
doté de libertés. Nous sommes passés d’un rapport triangulaire entre l’individu, le

9
Finances publiques et droits fondamentaux

prélèvement sous différentes formes et le divin, à un rapport direct entre le prélèvement et


l’Homme en tant qu’individu à part entière, le citoyen, considéré dans son immédiateté.

2 Finances publiques et droits fondamentaux :

15 Les révolutions anglaises et américaines ont conduit à une exaltation des libertés,
donnant naissance au libéralisme et à une relation contractualisée entre l’Homme et le pouvoir
en place. Des libertés anglaises, un modèle est né, les libertés vont servir la volonté
d’indépendance des Américains, une revendication comme une volonté de reconnaissance de
droits intrinsèques à l’Homme, une conception naturaliste des droits ontologiques à l’Homme.
Une conception qui amène l’Homme à une quête de protection des droits contre l’arbitraire de
la loi selon le modèle anglo-saxon, le texte de référence est le Bill of Rights de 1689 et
l’Habeas Corpus de 1679.
La Révolution française donne naissance à la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, les droits relatifs à l’Homme y sont inscrits, la Première Constitution verra le jour en
1791 et la souveraineté de la loi sera consacrée, il est prévu qu’elle réalisera la protection de
ces droits. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, comme il est souvent
énoncé, est un texte d’inspiration naturaliste qui prévoit un combat contre les injustices de
toutes sortes notamment fiscales, il déclare « la liberté et l’égalité pour tous », il invite à
combattre l’esclavage. Or, force est de constater que l’esclavage a perduré, il fut constaté un
recul du jusnaturalisme durant les années 1793 et 1795 qui se justifie par le maintien de
l’esclavage dans les colonies françaises notamment. Le « Code Noir »11 légitimait la traite des
esclaves considérés comme des propriétés dont, par définition l’on pouvait se servir,
commander, vendre, voire tuer ; l’esclavage est totalement banni par les révolutionnaires,
cependant il va perdurer dans les colonies. La question coloniale, celle concernant les esclaves
noirs, ne fut pas à l’ordre du jour malgré la pression occasionnée par la prise de la Bastille,
l’intérêt financier était trop important pour les colons ainsi que pour les assemblées qui se
préoccupaient des primes sur la traite des noirs.

16 Un décret fut pris le 4 février 1794, il prévoyait l’abolition de l’esclavage, mais n’a
jamais été mis en œuvre, tout au moins il n’a pas permis son abolition, d’ailleurs, un décret de

11
EBIASTA (H) : La France face à la traite et à l’esclavage des noirs-1685-1795. Une marche hésitante vers la
première abolition ; éd Edilivre, 10 mai 2012, 130 pages.

10
Introduction générale

1802 l’avait rétablit. Il faudra attendre le décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848
pour voir disparaitre l’esclavage des colonies françaises. Cette problématique de l’esclavage
ne sera pas traitée dans le corps du texte, bien que ce soit un sujet d’une importance capitale,
une des transgressions les plus avérées aux droits fondamentaux. Néanmoins, nous
envisagerons la question de l’universalité des droits de l’Homme dans sa possible réalisation
dont l’esclavage constitue une des limites.
Vient ensuite la consécration des libertés publiques, la troisième République et ses principes
fondamentaux qui ont constitué une progression dans la protection des Droits en leur
conférant un cadre juridique.
Il est à noter que chaque période de crise que traversent les sociétés opère ipso facto un recul
des droits fondamentaux puis une volonté de protection de ceux-ci plus forte, ainsi ils
représentent le seuil à partir duquel leur négation sera source d’une prise de conscience se
manifestant par une révolte. Ce n’est que par des violations répétées des droits que la prise de
conscience de leur importance apparaît et continue à être renforcée aujourd’hui. Cela va d’une
volonté d’affirmation à leur déclin à un renouveau dans la volonté de protection toujours
accrue.

17 Ce n’est que par des mutations que les droits fondamentaux se sont affirmés comme
les finances publiques.
Les diverses influences ayant contribué à l’émergence des finances publiques actuelles ont
subi elles aussi des mutations. Ces influences furent constituées par les finances publiques
classiques où l’État ne jouait aucun rôle dans la vie économique et sociale, elles assuraient un
rôle neutre politiquement, les dépenses et les recettes sont limitées. Le recours à l’emprunt
ainsi que l’existence de la dette sont aux antipodes de l’idéologie libérale dominante.
L’intervention de l’État est récusée par cette idéologie, cependant, cette idéologie se heurtera
à la conjoncture. L’idéologie libérale connaitra un désaveu lors de la crise de 1929 qui toucha
les États-Unis, l’interventionnisme connaît ainsi son apogée. La régulation par les lois du
marché a connu un recul notable lors de cette catastrophe financière. Le Parlement lui, ne
contrôlera l’exécutif qu’à partir du début du XIXe siècle.

18 In fine, nous pouvons énoncer que ce qui ne constituait qu’un acte relatif à
l’élaboration et à l’autorisation des recettes et dépenses de l’État, qui était seul considéré sous
l’empire des finances publiques classiques est devenu l’acte essentiel à la vie de l’État, de ses
citoyens. Son importance ne s’est pas arrêtée là, les finances publiques ont pris une dimension
11
Finances publiques et droits fondamentaux

supranationale par le truchement de la participation aux finances communautaires et en faisant


l’objet de surveillance de la part des États composant la zone euro et des institutions
européennes. Ce renforcement de la matière va également se caractériser par le processus de
constitutionnalisation dont elles ont fait l’objet.

C La constitutionnalisation des droits fondamentaux et des finances publiques.

19 Elle appartient majoritairement au modèle français, ces deux domaines sont inscrits
dans la Constitution qui les protège. Ainsi, tant les droits fondamentaux que les finances
publiques bénéficient du plus haut degré de protection au regard de la pyramide des normes.
Le modèle allemand a une approche des Droits comme « droits fondamentaux » tels
qu’inscrits dans la Loi fondamentale, le modèle anglo-saxon a une approche de ces Droits
comme « droits civils ». Cependant, peu importe la dénomination, les droits fondamentaux en
Europe ont fait l’objet d’une consolidation, d’un cadre juridique et d’une place dans l’ordre
juridique. C’est la traduction d’une volonté de leur apporter le plus haut degré de protection ;
cela également sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme. En
condamnant les États pour des violations commises à l’encontre de ceux-ci, elle invite ces
derniers à apporter les modifications nécessaires afin de pallier d’éventuelles récidives.

20 Le débat sur la meilleure protection à apporter aux droits fondamentaux au sein des
États fait toujours débat, la toile de fond de ces débats se tisse sur les revendications de
chacun dans la prise en compte des « identités » culturelles propres à chaque État. Des
péréquations avec les standards européens sont proposées, le Royaume-Uni a eu à se
positionner sur l’adoption d’une nouvelle Déclaration des droits afin de résoudre certaines
incompatibilités du Human Right Act avec les standards de protection européens, sous
l’influence de la Cour européenne des droits de l’Homme, et de la Présidence du Conseil des
ministres du Conseil de l’Europe que devait assurer ce pays en avril 2012.12

II L’ANALYSE DE CES NOTIONS

21 L’étude des finances publiques permet de constater le peu de théorie produite, ce qui
nous amène à nous interroger sur le manque de transversalité que connaît cette matière. En

12
GIRARD (C) : « Commission on a Bill of Rights : Royaume-Uni, Droits de l’Homme et Constitution. Quel
rapport ? » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 20 décembre 2012.

12
Introduction générale

effet, les finances publiques et notamment le droit fiscal semblent évoluer dans une autarcie
relative du fait du peu de croisements effectués par la doctrine avec d’autres domaines du
droit. Il en est de même concernant les droits fondamentaux, mais dans une perspective
différente ; ils sont envisagés en rapport avec d’autres domaines, mais souvent, non en tant
que Droits au sens juridique ou ontologiquement juridique, mais plutôt sous le prisme des
différents domaines du droit, comme le droit social par exemple qui, du fait de cette
confrontation ou fusion confèrerait aux droits fondamentaux leur juridicité. Notre projet
d’étude vise à démontrer l’imbrication des finances publiques en tant que matière juridique
influant dans les autres domaines juridiques et celle des droits fondamentaux comme matière
juridique à part entière ne tirant pas sa juridicité des autres domaines juridiques, mais
s’imbriquant in se dans d’autres.

A : Droit positif et droit naturel : un choix

22 Même si le débat « droit positif et droit naturel » est un débat ancien, il s’avère qu’il
retrouve tout son intérêt au regard du domaine des droits fondamentaux. Ce choix entre droit
naturel et droit positif s’avère nécessaire au regard de l’objet d’étude et du débat entourant les
droits fondamentaux ; ils sont considérés de façon commune comme des droits naturels au
sens de droits intrinsèques à l’Homme, lui appartenant de façon ontologique.
Ils furent inscrits dans les Constitutions modernes, or, ces droits naturels peuvent-ils exister
en tant que tels, sans êtres inscrits ? La naturalité en garantit-elle l’existence ? Ou ces droits
n’existent-ils que parce qu’ils sont posés ? La problématique nécessite d’être abordée, c’est
ainsi que nous expliquerons pourquoi nous avons au préalable recherché les fondements.
Le droit naturel est un droit revendiqué comme appartenant nécessairement à l’être, ce qui est
naturel est par définition ce qui est sans artifice, ce qui appartient à la nature, mais ce n’est pas
pour autant un droit assurant une protection. Ce qui pourrait différencier le droit naturel du
droit positif pourrait résider dans l’anticipation ; en effet, l’anticipation permettant la
protection par l’institution de sanctions.
Le positivisme comme droit posé offre l’avantage d’être un droit dont on peut se « saisir »,
une certaine neutralité l’entoure. Cependant, comme le droit naturel, diverses conceptions du
droit positif existent. Notre étude se veut être la plus neutre possible, aussi nous tenterons de
nous baser sur la théorie positive normativiste. Il apparait nécessaire de définir ce que l’on
entend par positivisme et ce que cette notion renferme (1) pour évoquer ensuite la norme (2).

13
Finances publiques et droits fondamentaux

1°Sur le positivisme :

23 Hans Kelsen est le plus éminent représentant du positivisme, il définit le droit positif
comme un ordre juridique coercitif. Le positivisme vise par l’étude du droit « posé » tel qu’il
est, à le décrire, sans jugement de valeur afin d’en faire une science, d’où le terme de pureté
qu’il emploie dans son œuvre.
Une science, au sens où toute autre discipline ne peut et ne doit interférer dans ce domaine
afin de maintenir le plus haut degré d’objectivité nécessaire à un ordre juste. Ainsi, ce qui
relève du domaine factuel donc subjectif, comme ce qui relève du droit naturel, ne peut être
introduit dans une tentative de justification positiviste. Il confère une autonomie à cette
science pure du droit grâce à l’élément transcendantal qu’est la Norme fondamentale.

2°Qu’est-ce qu’une Norme ?

24 Norme est un terme tant grec que latin ayant pour signification : équerre ou règle. La
norme est ainsi objective, neutre, elle est une règle impersonnelle. Elle est une base, une
référence qui conduit à la validité d’un ordre, ici, en l’occurrence juridique, car sans étalon de
vérification de la conformité ou de la contrariété d’une norme au regard d’une autre, il ne peut
y avoir de validité d’un système juridique. La norme participe alors d’un ensemble qu’elle
compose et qu’elle valide, cette validité est assurée par la sanction, car elle induit l’effectivité.
Le droit règle sa propre création, selon Hans Kelsen dans la mesure où, l’ordre juridique est
un ensemble constituant un système de normes dont chacune d’entre elles voit sa propre
création par une autre norme de sorte que la norme inférieure est conforme à la norme
supérieure.
Cette approche formaliste, normativiste, est d’une rigueur absolue, permettant d’étudier le
droit de la façon la plus objective possible, au-delà des croyances, des jugements et des
pensées métaphysiques. Cette rigueur est très ardue à mettre en œuvre, or il est nécessaire de
s’en approcher le plus possible afin d’étudier l’objet de la recherche de la façon la plus neutre
possible.

B Les limites posées volontairement au sujet

25 Le sujet traité au sein de cette thèse est un sujet très vaste, pouvant faire l’objet
d’approches aussi différentes que variées ; il pouvait être envisagé d’un point de vue fiscal
14
Introduction générale

uniquement, voire en ce qui concerne les droits fondamentaux, du point de vue des droits-
créances seuls, mais il aurait également pu être traité de façon plus vaste, tant il recouvre de
domaines. Nous avons tenté une approche théorique et pratique, en excluant ce qui ressort du
domaine de la fiscalité dans son aspect technique. Un point de droit comparé est abordé, un
chapitre consacré à l’Italie, concernant les jugements additifs de prestations, qui nous
renseignent sur les finances publiques confrontées à la protection des droits, ce qui intéresse
directement notre sujet, cependant une approche entièrement comparatiste n’a pas été réalisée.
Les droits fondamentaux sont traités au regard de l’individu moins au regard des personnes
morales, ainsi les droits collectifs ne sont abordés qu’à la marge. Ce choix se justifie par une
volonté de traiter en profondeur les droits individuels et parce que derrière les personnes
morales, il y a des personnes physiques.

III L’INTÉRÊT D’UNE ÉTUDE COMBINEE DES FINANCES PUBLIQUES ET DES


DROITS FONDAMENTAUX

Dans quelle mesure peut-on agréger les finances publiques et les Droits fondamentaux ?

26 Deux univers distincts, par leur symbolique surtout, un a trait à la finance l’autre à
l’Homme, l’être humain déconsidéré du matériel et à l’opposé de ce qui peut être monnayé. Y
a-t-il un cloisonnement entre les finances publiques et les droits fondamentaux ou sont-ils
perméables l’un à l’autre ? La réalité est que la garantie des droits fondamentaux et leur
effectivité sont octroyées pour partie par l’État en tant que prestation et que toute prestation
sous une apparente gratuité, est financée par le contribuable. De fait, le lien est sous un de ses
aspects, ici évident.
La crise économique et financière, depuis 2008, a démontré ce lien entre les droits
fondamentaux et les finances de l’État, la crise a eu des conséquences sur la garantie et la
protection des droits, sur les réformes envisagées et sur les moyens relatifs aux services
nécessaires à assurer l’effectivité des droits fondamentaux. Une ambiance quasi contradictoire
règne entre l’intérêt général qui nécessite un retour à une économie et à une situation
financière stable d’une part, et de l’autre la satisfaction des droits de chacun, surtout
concernant les droits-créances. Les juges nationaux et européens opèrent une conciliation
entre droits antinomiques, mais prennent-ils en compte le contexte de crise actuel dans leurs
décisions ? L’étude des différentes décisions rendues nous renseigne sur l’importance de ce
contexte de crise et sur sa prise en considération en qualité de pur fait ou de norme, ce que
nous analyserons par rapport à l’attitude qu’observent la Cour européenne des droits de
15
Finances publiques et droits fondamentaux

l’Homme, la Cour de Justice de l’Union européenne, les juridictions nationales, ou la Cour


Constitutionnelle italienne.

27 L’autre questionnement majeur a trait aux droits-libertés : sont-ils aussi touchés par la
crise et donc aussi dépendants financièrement que les droits-créances ? Cette question qui sera
étudiée dans le corps du texte nous révèlera les implications financières de ces droits. Nous
étudierons en amont les besoins financiers nécessaires à la réalisation des droits-créances,
voire des droits-libertés, la ventilation du budget de l’État afférent dans un premier temps ;
dans un second, la réduction des dépenses publiques et l’incidence sur les droits-créances
notamment. La question sous-jacente qui fait ressurgir l’interaction entre les finances
publiques et les droits fondamentaux, est celle de savoir si les contraintes budgétaires
imposées par l’Union, à savoir la réduction des déficits publics, remettent en cause la
garantie, l’octroi et la protection de ces droits. La souveraineté budgétaire de l’État sera
abordée quant au budget de l’État et de sa ventilation, afin d’analyser si cette dernière est
amputée ou pas, enfin sera analysé l’impact des contraintes financières sur les droits-libertés.
L’analyse des notions relatives à notre sujet sera faite selon une méthode de raisonnement
propre à isoler le niveau auquel se situent tant les droits fondamentaux que les finances
publiques au sein de l’ordre juridique (A). La méthode retenue est la méthode positive, mais
implique-t-elle ipso facto d’adhérer, au schéma de la pyramide des normes ou un autre
schéma d’étude est-il possible (B) ?

A La méthode retenue : l’analyse des finances publiques et des droits fondamentaux


sous le prisme de la théorie juridique

28 Un objet juridique dans son étude doit être défini dans tous ses éléments si l’on désire
que l’analyse reste objective, il est donc impératif d’employer une méthodologie (1). L’étude
de chacun de ces domaines entraine une recherche sur les points de ralliement et de distension
de ces matières. Pour ce faire, la méthode employée permettra une recherche des fondements
comme méthode de connaissance positive de ces objets juridiques (2).

1°La méthode

29 Elle permet la connaissance, elle est un chemin qui permet une connaissance
aboutissant à la vérité. Encore faut-il selon nous que cette vérité soit la plus objective possible
d’où l’importance du choix de la méthode de connaissance et d’analyse.

16
Introduction générale

30 La méthode contraint à la rigueur, la rigueur évite les errements elle ne doit pas être à
la base d’un sophisme d’où la nécessité de se pencher sur une méthode objective : « le monde
n’est pas tel qu’il apparaît à nos sens : les couleurs n’existent pas dans les choses, mais dans
notre œil ; si nous avions un sens en plus ou en moins, “notre” monde s’en trouverait
modifié… Les modèles théoriques de la science, de leur côté, ne révèlent rien du réel situé au-
delà des apparences sensibles et rendent seulement compte de l’ordre qui règne dans
l’enchaînement de ces apparences. Ne disposons-nous donc vraiment d’aucun moyen pour
lever le voile de nos sens et atteindre la connaissance du réel tel qu’il existe en lui-même ? 13 »

31 La connaissance s’appréhende de deux façons : celle sensible et celle de


l’entendement ; la connaissance sensible est celle relative à l’être dans sa subjectivité, elle
relève des sens, elle est donc intuitive par conséquent subjective ; la seconde, l’entendement,
est à l’origine des concepts et est donc objective. 14 Ces deux pans de la connaissance lui sont
intrinsèques. Le sensible ou l’appréhension immédiate doit se porter sur un objet, sa finitude
se trouve ici ; l’entendement, permettant le concept est appréhension médiate 15donc objective,
relative à un objet, elle permet l’accès à une tentative de recherche de vérité impersonnelle et
peut donc être universelle. Toute recherche d’une vérité nécessite une méthode, la méthode
est assimilée à un art, Platon énoncera : « il accouche les esprits des pensées qu'ils
contiennent sans le savoir ».16 Ici, il s’agissait de la méthode dialectique, cette parenthèse afin
de démontrer que la méthode est essentielle à chaque objet d’étude.

32 En tant que science au sens où le positivisme n’émet pas de jugement de valeur, mais
se fonde sur le droit posé, nous adhérons à cette conception dans l’optique d’être le plus
objectif possible sur la conception des droits fondamentaux et des finances publiques
aujourd’hui. C’est une tâche ardue, car le domaine politique est lié aux droits fondamentaux et
d’autant plus aux finances publiques. Isoler les droits fondamentaux et les finances publiques
est nécessaire afin d’étudier leur objet.

13
KANT (E) : Critique de la raison pure, traduction .Pacaud B et Traimesaygues A, Paris, P.U.F, Quadrige, 6 ème
éd, 2001, 586 p.
14
Idem p 49 et s.
15
Idem p 87.
16
VOLANT (E) : DES MORALES, crises et impératifs, coll Notre temps, n° 32, éd Paulines et Médiaspaul,
Paris, 1985, p 63. Citation de Socrate issue du Théétète, œuvre de Platon qui énoncera concernant la dialectique
que cette méthode est une maïeutique, les concepts y sont essentiels et cette méthode confronte les concepts
entre eux afin de parvenir aux concepts premiers.

17
Finances publiques et droits fondamentaux

2° Sur la recherche des fondements comme méthode de connaissance positive

33 Parvenir à la connaissance des principes juridiques est pour les positivistes comme
pour les naturalistes la finalité de toute recherche. Les positivistes se distinguent des
naturalistes comme l’énonça Raymond Carré de Malberg en ce que les positivistes procèdent
à cette connaissance non par « des conceptions rationnelles ou a priori, mais bien des
données fournies par le droit public en vigueur »17. Ainsi, il n’est pas antinomique d’effectuer
une recherche sur les fondements dès lors que l’on se base sur le droit en vigueur à un instant
donné, à une période donnée fut-elle très éloignée . Il n’en demeure pas moins que la
démarche reste positiviste. De fait, une recherche sur les fondements n’est pas seulement
l’apanage des naturalistes, car nous n’entendons pas la recherche sur les fondements comme
une recherche métaphysique, mais comme ayant pour pierre d’achoppement les règles
juridiques en vigueur à un instant « T ». Cependant, il faut comprendre la recherche des
fondements tant des finances publiques que des droits fondamentaux, non comme une
légitimation de ceux-ci, mais comme une recherche de leur essence. Comme l’a énoncé Hans
Kelsen : « car il n’est pas de la science du droit de légitimer le droit ; il ne lui appartient
absolument pas de justifier l’ordre normatif, que ce soit par une morale absolue ou par une
morale relative ; il lui appartient seulement de le connaître et de le décrire ».18 Et on ne peut
le connaitre que si nous nous penchons sur sa construction, sur les prémisses de son existence,
et les raisons qui ont entouré sa mise en place. Ainsi, une recherche de l’essence est
indispensable, sans jugement.

3° Adhérer au positivisme juridique implique-t-il d’adhérer ipso facto au schéma de la


pyramide des normes ?

17
CARRE DE MALBERG (R) : Contribution à la Théorie générale de l’Etat, Paris, Sirey, 1920-1922, 2ème vol
réimp CNRS, 1962, t.1, p 1, n 1.
18
KELSEN (H) : Théorie pure du droit, traduction de Charles EISENMANN, coll. Philosophie du droit, Dalloz,
Paris,2ème éd,1962, p 85.

18
Introduction générale

34 C’est une question qui mérite d’être abordée, elle l’a été par François Ost et Michel
Van de Kerchove19. Ils se fondent sur plusieurs œuvres pour étayer leur théorie.
Les auteurs établissent une comparaison entre les œuvres écrites par Hans Kelsen, Herbert
Hart et Alf Ross, au milieu du XXe siècle. En effet, selon eux, ces œuvres traduisaient une
vision du monde caractérisée par la puissance suprême de l’État sur lequel se fonde l’ordre
politique ; la puissance suprême de l’État étant fondée sur la norme dont l’effectivité est
garantie par la contrainte. Cependant, l’évolution du monde réduit la capacité de l’État dans
son action, les marchés financiers, les pouvoirs privés, sont de plus en plus importants et
puissants ; la question que les auteurs soulèvent est : « y a-t-il un changement de
paradigme ? »20Selon les auteurs, en prenant pour modèle l’œuvre de Thomas Khun, il y a
une remise en cause du paradigme dominant, à savoir, le positivisme dans son modèle
pyramidal qui pourrait laisser place à un modèle de réseau. Dans le droit en réseau, l’État
n’est plus le point culminant, dans le sens où il n’est plus le détenteur de la souveraineté ; les
frontières n’ont plus lieu d’être entre les systèmes normatifs, car ils s’enchevêtrent. François
Ost et Michel Van de Kerchove citent Gustavo Zagrebelsky qui énonça que : « la survivance
“idéologique” du positivisme juridique est un exemple de la force d’inertie des grandes
conceptions juridiques qui continuent souvent à agir, de façon résiduelle, même quand elles
ont perdu leur raison d’être à cause des modifications des conditions qui les avaient justifiées
à l’origine ».21 Ces nombreux exemples pour démontrer que le paradigme positif pyramidal
n’est pas conforme à la réalité du droit aujourd’hui, selon les auteurs. Il serait ainsi nécessaire
de changer de paradigme, notamment au travers du concept de réseau, ce qui correspondrait
aux transformations de l’État et du droit. Ces auteurs abordent également le rôle du contrôle
de constitutionnalité, en énonçant qu’en procédant à ce contrôle, en plus de juger les lois, il
participe de la Constitution dans son écriture.
Tout cela caractériserait un glissement de la pyramide au réseau, entraînant le passage de la
réglementation à la régulation d’où l’expression de « gouvernance » et non d’une autorité
unilatérale. En résumé, le glissement opérerait le passage d’un commandement unilatéral,
central, à un ordre qui régule, s’adapte, décentralisé, un ordre à plusieurs.

19
OST (F) et KERCHOVE Van de (M) : « Droit : de la pyramide au réseau ? Une introduction » ; texte paru
comme introduction dans l’ouvrage : De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Presse
des Facultés Universitaires Saint Louis.www.dhdi.free.fr/recherches/theoriedroit/articles
20
Idem p 9.
21
Idem p 13

19
Finances publiques et droits fondamentaux

35 Cette conception de l’ordre juridique est défendue et défendable, néanmoins elle


n’emporte pas notre acception. En effet, le contexte n’est plus le même qu’au début du XXe
siècle, l’Europe s’est construite et impose de nouvelles règles, les États y adhèrent, mais est-
ce que pour autant le pouvoir décisionnel ne se fonde plus sur la norme suprême, même si le
processus de décision est multilatéral ? Nous pensons l’ordre juridique comme pyramidal,
positif et normatif, dont « le dernier mot revient au constituant ».22 En effet, le pouvoir
constituant est maître de la Constitution et non le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’État
comme l’insinuent les auteurs précédents ; cela fut rappelé dans la décision du Conseil
constitutionnel du 2 septembre 1992 Maastricht : « considérant que (…) le pouvoir
constituant est souverain, qu’il lui appartient d’abroger, de modifier ou de compléter des
dispositions de valeurs constitutionnelles »23. De ce point de vue, nous ne pouvons adhérer en
premier lieu à la thèse développée. Ensuite, il est vrai que la mondialisation a conduit à une
certaine interdépendance entre les États, du point de vue économique et financier et ipso facto
du point de vue juridique devant la nécessité d’établir des règles communes. Cependant,
pouvons-nous affirmer qu’il y a un changement de paradigme et que le modèle pyramidal est
désuet ? Nous ne le pensons pas, le modèle pyramidal est le garant d’un ordre juridique bien
établi ; certes plusieurs modèles coexistent, mais est-ce que la coexistence implique une
uniformisation ? Pas forcément, si nous prenons en exemple le modèle de la décentralisation,
les pouvoirs sont confiés à des entités inférieures sans pour autant vider le pouvoir central qui
a la maîtrise des principales fonctions. Sans apparenter l’Europe dans son fonctionnement à
un État décentralisé, il est vrai que certaines compétences lui ont été transférées, mais par la
volonté des États, et ces derniers conservent leurs propres règles et leurs propres ordres
juridiques spécifiques. Ainsi, selon nous, le système pyramidal n’est pas désuet et il peut y
avoir coexistence de plusieurs ordres juridiques appartenant à chacun des États, sans recouvrir
l’obligation d’une uniformisation dans la mesure où les principes démocratiques sont
respectés, les droits fondamentaux garantis et les politiques budgétaires décidées par chaque
État.
Nous nous fonderons tout au long de cette thèse sur le paradigme pyramidal et les spécificités
des règles européennes qui, selon nous, ne le remettent pas en cause.

22
FAVOREU (L) : « Pouvoirs-débat : souveraineté et supraconstitutionnalité», Revue Pouvoirs, nº 67, p71-77.
23
Cons.const : décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992.

20
Introduction générale

36 Le pluralisme juridique24 est une autre théorie, contraire à la théorie normative de


Kelsen, développée par le juriste italien Santi Romano. Pour ce dernier, le droit ne peut être
assimilé à la norme, il est un ordonnancement dans n’importe quel corps social, l’État n’en
ayant plus le monopole. À côté de l’État, il existe selon lui, d’autres ordres juridiques dits
spontanés : la famille, l’église (…), au-delà des nombreuses critiques émises quant au mode
de production du droit par ces « institutions », nous affirmons que certes des structures, des
organisations existent or, elles ne sont pas productrices de droit au sens où les règles émises
par ces structures ne valent pas uniformément, ni de façon générale, ni de manière
impersonnelle.

B L’analyse des finances publiques et des droits fondamentaux en pratique

Par approche pratique des finances publiques et des droits fondamentaux, nous entendons une
approche juridictionnelle (1) et une approche législative par les lois de finances (2).

1°L’approche juridictionnelle

37 Cette analyse est relative à l’approche des droits fondamentaux et des finances
publiques par les différentes juridictions. À ce titre sera étudiée l’approche du Conseil
constitutionnel, de la Cour européenne et de la Cour constitutionnelle italienne, quant à
l’imbrication des finances publiques et des droits fondamentaux.

2°L’approche relative aux Lois de finances

38 Ensuite, au regard des lois de finances, la question abordée sera celle du budget
accordé aux droits fondamentaux tant dans leur mise en œuvre que dans leur protection. La
nature des droits qui nécessitent une intervention financière importante de l’État, en résumé la
question de la dépendance financière au regard de la typologie des droits. Puis un
questionnement : la crise économique et financière est-elle occultée ou transparaît-elle au sein
de la garantie des droits et libertés fondamentaux ?

24
ALVAZZI DEL FRATO (P) : « L’institutionnalisme juridique dans la doctrine italienne du XXème siècle :
considérations sur l’institutionnalisme de Santi Romano», Revue d’histoire des facultés de droit.
http ://alvazzidelfrate.weebly.com

21
Finances publiques et droits fondamentaux

IV LA PROBLÉMATIQUE ÉTUDIÉE

39 Quels sont les impacts des droits et libertés fondamentaux sur les finances publiques
et quels sont ceux des finances publiques sur les droits et libertés fondamentaux ?
Le sujet, objet de notre étude est d’une apparente contradiction, cependant, la crise
économique et financière que nous traversons met en exergue la relation voire l’imbrication
de ces deux domaines. En période de prospérité économique et financière, il est vrai que cette
antilogie est plus soulignée, car tout se réalise sans que l’on puisse se poser la question de
savoir comment, mais en période de crise, les réactions en chaîne telles des dominos font
apparaître des corrélations, des interdépendances insoupçonnées. Ainsi, l’onde de choc d’une
crise économique et financière, met en lumière les nécessités, surtout financières à la
réalisation, la garantie et l’octroi de nombreux droits.

40 L’interrogation majeure induite se porte sur la manière dont se réalise du point de vue
des droits fondamentaux cette double exigence contradictoire que les droits fondamentaux en
général, les droits-créances en particulier, passent par l’intervention étatique. Afin de
répondre à cette interrogation, il faut au préalable se pencher sur la relation entre les finances
publiques et les droits fondamentaux dans une optique particulière. En effet, ce n’est que par
la définition de la nature du lien qui unit ces deux domaines que nous pourrons étudier les
impacts respectifs et mutuels. Il nous paraît indispensable de déterminer si l’existence des
droits fondamentaux dépend des finances publiques (A) et si les finances publiques dépendent
des droits fondamentaux. (B).

A Peut-il y avoir des droits fondamentaux sans finances publiques ?

41 Sans entrer dans le vif du sujet, objet de notre étude qui sera développé dans le corps
de cette thèse, nous envisageons à ce stade d’aborder le cheminement intellectuel
indispensable à créer l’armature de notre étude. Parmi les premiers questionnements que se
pose celui qui envisage de développer une problématique bien définie, les plus basiques
s’imposent à l’esprit relativement à l’existence des droits et au rôle de l’État dans leur
protection.

1° Pourquoi des droits ?

42 Cette question peut sembler provocante pour certains, évidente pour d’autres ou
encore aporétique, cependant, ce questionnement participe des premiers principes sur lesquels
22
Introduction générale

tout juriste devrait se pencher. Dans l’objet qui nous intéresse, comment étudier les droits
fondamentaux et leurs relations avec les finances publiques sans au préalable savoir ce que
recouvre cette notion, tant dans l’essence de ces droits que dans leur fonction ou
représentation mentale ? Afin d’isoler les droits pour les étudier, il convient de les différencier
de la morale. Les droits, ici les droits fondamentaux ne sont pas la morale au sens où elle n’est
pas un « ordre de contrainte », mais « un ordre social qui n’établit pas de sanctions par acte de
contrainte, mais dont la sanction réside dans la désapprobation d’un comportement jugé
contraire à une norme, sans contrainte ».25
La fonction des droits permet la cohésion de la société, donc un vivre ensemble en
rationalisant les comportements par le biais de règles établies et sanctionnées. L’existence de
ces règles assorties de sanctions contient l’Homme dans ses instincts et permet des rapports
humains sur un pied d’égalité sans considération de nature. Ceci, nous pouvons l’affirmer, est
commun à tous les pays.

2°Pourquoi l’État est protecteur de ces droits ?

43 Cette question revient à considérer le contrat social développé par Jean-Jacques


Rousseau, l’État, entité objective et abstraite détient la fonction protectrice et les instruments
de réalisation des droits et libertés fondamentaux. Ces prérogatives furent concédées par les
Hommes à cette entité qu’ils ont créée. En concédant une part de leur liberté, en se soumettant
à des règles juridiques que l’État définit, ils peuvent exercer leurs droits et libertés, car l’État
les leur confère. En étant une entité objective et abstraite, l’État démocratique vise à encadrer
les hommes dans l’exercice de leurs droits. L’État, par la mise en œuvre de règles juridiques
propres à assurer l’exercice des droits et libertés exerce une fonction de régulation des
rapports humains.

44 Entité objective, la création, la réalisation et la sanction de ces droits ne pouvaient être


assurées par une entité subjective. L’immatérialité de l’État et sa création volontaire par les
individus constituent un des facteurs de sa légitimité. La Constitution, acte fondateur de
l’État, est l’œuvre du pouvoir constituant, ce dernier en a toujours la maîtrise comme l’a
rappelé le Doyen Favoreu à propos du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel à son

25
KELSEN (H): op.cit.p70.

23
Finances publiques et droits fondamentaux

égard « la légitimité du Conseil constitutionnel tient à ce qu’il n’a pas le dernier mot », car in
fine, il appartient au pouvoir constituant de décider. Le pouvoir constituant est maître de la
Constitution donc de l’élément fondateur de l’État. Ainsi, c’est par sa volonté qu’il confère
une mission de création, de réalisation au sens d’effectivité et donc de sanction de ces droits
en toute objectivité, car ce pouvoir est conféré par chacun des individus à l’État.
Les moyens d’exercice de ce pouvoir sont constitués par les finances publiques qui sont l’acte
de naissance de l’État, car à la question posée par Paul Amselek : « peut-il y avoir un État
sans finances »26, nous répondrons comme l’auteur par la négative. Toutes les fonctions
assurées par l’État ont un coût, ce coût est répercuté sur les citoyens contribuables de l’État et
donc contribuables de l’assurance de leurs droits. C’est par le principe du consentement à
l’impôt comme acte volontaire du citoyen qu’il contribue à la vie de l’État donc à donner les
moyens de sa propre subsistance. Le principe du consentement à l’impôt est un des principes
les plus importants du droit fiscal et plus généralement des finances publiques. Ce principe ne
peut et ne doit être transgressé sous peine d’illégitimité dans l’exercice du pouvoir en place,
en exemple le décret de déchéance de l’Empereur Napoléon 1er suite au non-respect de ce
principe : « il a déchiré le pacte qui l’unissait au peuple français, notamment en levant des
impôts, en établissant des taxes autrement qu’en vertu de la loi, contre la teneur expresse du
serment qu’il avait prêté à son avènement au trône ».27 La transgression de ce principe par
l’Empereur fut à l’origine de sa déchéance. Ce principe représente la contribution de chacun
des citoyens à l’existence de l’État qui sans moyen d’édicter, de réaliser et de sanctionner ses
décisions serait semblable à une coquille vide. Ainsi, l’aspect financier ne peut être négligé
sauf mauvaise foi.

45 Force est de constater et d’affirmer que les droits et libertés fondamentaux ne peuvent
se départir de l’État même si leur protection s’effectue également au niveau européen,
cependant, le noyau de base est l’État qui se doit d’assurer et de ne pas violer ces droits et
libertés sous peine de sanctions. L’effectivité des droits et libertés fondamentaux se réalise au
premier plan au niveau de l’État, donc nous ne pouvons considérer les droits et libertés
fondamentaux comme hors de l’État dans un premier temps. Dans un second temps, si les
droits et libertés fondamentaux avaient un fondement absolu au sens d’ultime, ontologique et

26
AMSELEK (P) : « Peut-il y avoir un État sans finances ? », R.D.P, 1983, pp 267-283.
27
CABANNES (X) : « L’État, le Parlement et le consentement annuel à l’impôt », RFFP, nº 77, mars 2002, p
228.

24
Introduction générale

donc indépendant, ils se réaliseraient d’eux-mêmes et par eux-mêmes par le seul fait que
l’Homme est Homme, or ce n’est pas le cas. Le processus de légitimation et d’effectivité de
ces droits et libertés fondamentaux tient au fait qu’une entité neutre assure leur octroi et leur
effectivité, car, en possédant un caractère objectif par conséquent neutre, chaque Homme
bénéficie de ces droits tant dans leur existence que dans leur effectivité. Les droits
fondamentaux dépendent de l’État par son ordre juridique de contrainte qui permet leur
existence et subséquemment des finances de l’État de façon médiate du fait qu’un État sans
finances ne peut exister, et de façon immédiate, car elles sont les moyens de réalisation de
l’ordre juridique étatique donc les moyens corrélatifs à l’effectivité de ces droits.

46 La création de l’Europe et le transfert de compétences corrélatif ne permettent pas de


remettre en cause ce point de vue. Tout d’abord, les droits et libertés fondamentaux ne sont
pas réalisés uniquement par le biais d’instruments juridiques, même s’ils bénéficient d’un
instrument supplémentaire de protection par le biais de la Convention européenne des droits
de l’Homme. Les États n’en demeurent pas moins obligés d’assurer la réalisation des droits et
libertés fondamentaux au niveau étatique et leur violation doit être sanctionnée à ce même
niveau au préalable, en épuisant les voies de recours internes avant de pouvoir être invoqués
devant les juridictions européennes. Dans un deuxième temps, les instruments nationaux et
européens peuvent être invoqués cumulativement au niveau national, en aucun cas les uns ne
se substituent aux autres, mais se complètent. In fine, une conception de la souveraineté de
l’État sans être annihilée, mais modifiée dans ses contours ne remet pas en cause ce schéma
de protection dans tous ses éléments constitutifs.

47 La crise économique et financière que traverse l’Europe, outre le danger qu’elle


constitue pour le maintien d’une réalisation et d’une protection efficace des droits et libertés
fondamentaux, met en lumière la nécessaire conciliation entre les contraintes budgétaires
imposées par l’Union européenne et les mécanismes mis en place. Par le biais de la
ventilation du budget de l’État dans la répartition des dépenses publiques, nous constatons de
prime abord que le maintien d’un niveau de protection de ces droits relève du funambulisme
tant au niveau des pouvoirs exécutifs et législatifs qu’au niveau juridictionnel. Ce qui nous
amène au constat que les droits et libertés fondamentaux nécessitent un financement public
comme garantie d’une objectivité certaine dans leur octroi et dans leur réalisation. Le
financement privé des droits et libertés fondamentaux conduirait à rendre une justice partiale,
car soit, les requérants seraient soumis au paiement d’une action en justice, ce qui ne

25
Finances publiques et droits fondamentaux

permettrait pas aux plus démunis bénéficiant aujourd’hui d’une aide juridictionnelle, de se
pourvoir en justice ; soit, une taxe serait prélevée sur l’ensemble de la population, mais quelle
serait la légitimité de la compagnie ou de l’entreprise effectuant ce prélèvement ? Ce mode de
fonctionnement pourrait être assimilé à celui d’une compagnie d’assurance sachant que le
montant auquel peuvent consentir les individus permet des prestations plus ou moins
importantes selon leur capacité de contribution, il serait impossible d’assurer le principe de
solidarité à l’encontre d’individus vivant sous le seuil de pauvreté. La transposition de ce
modèle induirait une justice à la carte et irait à l’encontre du droit à l’égalité dans toutes ses
acceptions, ce modèle serait pourvoyeur de discriminations, d’où l’impossibilité de prévoir un
financement privé, mais l’obligation d’un financement public assuré par l’État.

B Peut-il y avoir des finances publiques sans droits fondamentaux

48 Après avoir éludé la possibilité d’instituer une justice « privée » par le biais d’un
financement privé, la question de l’existence des finances publiques par le truchement des
droits fondamentaux nécessite de se pencher sur leur dimension horizontale et verticale (1)
avant d’étudier si la dépendance financière est une dépendance existentielle (2).

1°La dimension horizontale et verticale des droits fondamentaux

49 Il apparait indispensable de se pencher sur les différents titulaires de droits


fondamentaux, car ils participent de façon médiate au financement de leurs droits.
La spécificité de l’expression « droits et libertés fondamentaux » tient à ce qu’en sus d’un
juge prévu au service de ceux-ci par le biais du contrôle d’instruments de rang constitutionnel,
cette expression recouvre outre l’effet vertical de ces droits, un effet horizontal. Par effet
vertical est généralement qualifiée la faculté pour un individu d’invoquer la méconnaissance
de ses droits fondamentaux par l’État, dans ce cas, l’État est opposé à l’individu. Par effet
horizontal, on qualifie les effets des droits et libertés fondamentaux entre deux individus ;
sachant que sont considérés également dans cette relation un individu face à un autre
groupement d’individus. La reconnaissance des personnes morales comme titulaires de droits
fondamentaux est une reconnaissance plus jurisprudentielle que textuelle sauf leur
reconnaissance au sein des Constitutions Allemande et Portugaise ; il n’y a guère que l’article
1er du Premier Protocole de la Convention européenne des droits de l’Homme qui affirme une
telle protection. Concernant la consécration jurisprudentielle, « le Conseil constitutionnel a
admis à plusieurs reprises que devaient être respectés par le législateur les droits

26
Introduction générale

fondamentaux des personnes morales de droit privé ».28 Mais, il a considéré indépendamment
de la reconnaissance de ces droits au profit des syndicats, fondations (…), la reconnaissance
aussi de droits fondamentaux au profit de certaines personnes morales de droit public.29 Les
juridictions civiles et administratives ont également reconnu les personnes morales comme
titulaires de droits fondamentaux30.

50 La tentative de réponse à la question de savoir s’il peut y avoir des finances publiques
sans droits fondamentaux nous permet d’aborder deux autres questions : est-ce que si les
droits fondamentaux n’existaient pas, les finances publiques devraient recouvrir un montant
aussi important ? Est-ce que les droits fondamentaux légitiment l’existence des finances
publiques tant dans leurs modalités de prélèvement que dans leur limitation ?
Nous étudierons au sein de cette thèse, essentiellement le rapport des finances à l’individu,
nous évoquerons le cas des personnes morales par le truchement de certaines autorités
administratives indépendantes. Nous n’aborderons pas ce point dans le détail, car il semblerait
que le rapport des finances publiques aux personnes morales pourrait faire l’objet d’une thèse
d’une part, d’autre part comme il fut énoncé très justement « certes on reconnait des droits
fondamentaux aux personnes morales, mais ce n’est que sous réserve que cela serve les droits
fondamentaux des personnes physiques. (…) l’octroi de la personnalité morale sert ainsi les
projets des groupes de personnes physiques, mais aucun texte fondamental ne protège
l’existence d’une personne qui n’existe pas déjà. »31
Sauf à entrer dans le débat lancé par la doctrine privatiste sur l’incompréhension à doter les
personnes morales de droits fondamentaux, force est de constater que ces dernières, par
l’ampleur de leurs structures souvent, constituent des contribuables importants au regard des
sommes consenties à l’État. Si, ni les personnes morales, ni les individus n’étaient titulaires
de droits, ou plus exactement si l’État ne devait assumer comme des obligations
constitutionnelles l’octroi de droits-créances et la mise en œuvre des droits-libertés, le

28
FAVOREU (L), GAÏA (P), GHEVONTHIAN (R), MELIN-SOUCRAMANIEN (F) , PENA (A) ;
PFERSMANN (O), ROUX (A) , PINI (J), SCOFFONI (G), TREMEAU (J) : Droit des libertés fondamentales,
Dalloz, Paris, 2012, 6ème éd , p153.
29
Cons const 25 février 1982 : concernant les collectivités territoriales, cons.const 11 janvier 1990 : concernant
les partis politiques, cons.const 9 janvier 1980 : concernant les établissements publics. Le Conseil constitutionnel
a reconnu ces entités comme personnes morales. Cons.const, n°2011-129 QPC, 13 mai 2011, Synd. des
fonctionnaires du Sénat.
30
Cass. Com., 8 juillet 2003, Banque internationale pour le commerce et l’industrie de Guinée, Bull. IV, n°121 ;
ex. : CE, 31 mai 2007 : Synd. CFDT Interco 28, Rec. p. 222
31
BIOY (X) : « Le droit à la personnalité juridique », R.D.L.F, 2012, chron n°12.

27
Finances publiques et droits fondamentaux

financement ne serait pas aussi important dans la mesure où l’État se bornerait à assumer les
fonctions principales à la vie de l’État. Cependant, le financement nécessaire à l’octroi de ces
droits fondamentaux contribue à l’importance des finances publiques qui doivent assurer des
services de plus en plus importants pour répondre à ces besoins. Ainsi, les droits
fondamentaux participent également à l’existence des finances publiques dans leur montant.

51 D’autre part, les finances publiques dans leur définition visent à couvrir les charges
publiques dans l’optique de « la chose publique », donc selon les nécessités ; ainsi en France
c’est par le biais du consentement à l’impôt et du contrôle pouvant être effectué par les
contribuables sur l’utilisation des deniers publics que les finances publiques tirent leur
légitimité. Ainsi, un texte relatif aux droits et libertés fondamentaux conditionne les finances
publiques : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le lien entre les finances
publiques et les droits et libertés fondamentaux est inscrit dans un même texte, de valeur
constitutionnelle. Le texte de la Déclaration envisage les finances publiques dans le cadre des
droits et libertés fondamentaux par la contribution du citoyen, comme un droit au sein de
l’article 13 « chacun a le droit (…) », mais également par une limitation prévue à l’article 15
par le droit des citoyens de contrôler l’utilisation des deniers consentis.

2° La dépendance financière est-elle une dépendance existentielle et inversement ?

52 Peut-on isoler les finances publiques et la mise en œuvre de la promotion, de la


garantie et du respect des droits et libertés fondamentaux ? Cela semble relever actuellement
d’une utopie.
La crise économique et financière met en lumière la nécessité de réaliser des économies dans
tous les secteurs y compris ceux relatifs à la mise en œuvre des droits et de leur protection.
L’ensemble des pays touchés par la crise économique et financière sont astreints aux mêmes
obligations sous l’égide des règles imposées par l’Europe qui prône une réduction des déficits
publics et tente de remédier à tâtons à la crise. La crise a un impact différent selon les pays
européens concernés, ceux dont l’entrée dans la zone euro a été le fruit de nombreux efforts,
comme la Grèce par exemple, ont subi de plein fouet les conséquences d’une telle crise,
devant mettre en place une période d’austérité dont les effets sur les droits-créances surtout,
sont l’objet de nombreux recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Mais

28
Introduction générale

encore, certaines Cours constitutionnelles comme la Cour suprême du Canada a fait référence
à la crise économique au regard de la limitation des droits-créances.32

53 Force est de constater également que dans les pays entrants en démocratie, le manque
de moyens financiers freine la mise en place d’une protection efficace des droits et libertés
fondamentaux, voire certaines Cours nouvellement mises en place spécifient une réalisation
dans le temps de droits, car conditionnés par les ressources publiques33, c’est le cas de la Cour
constitutionnelle d’Afrique du Sud.
Ces moyens induisent le principe du consentement à l’impôt qui représente la volonté de
contribuer à la vie en société et permet une prise en charge par l’État de nombreux droits dont
les bénéficiaires sont les individus qui le compose. Ainsi, l’État perçoit et reverse la part due à
chacun.

54 Peut-on ainsi départir les finances publiques des droits et libertés fondamentaux et les
droits et libertés fondamentaux des finances publiques ? Dans quelle mesure les droits
fondamentaux et les finances publiques sont-ils liés ?
Telle est la question à laquelle tente de répondre cette thèse par une analyse, dans un premier
temps, des droits et libertés fondamentaux comme cadre des droits financiers (Partie 1). Dans
un second temps, la recherche sera dirigée sur les finances publiques comme garantie de
l’effectivité des droits et libertés fondamentaux (Partie 2).

Partie 1 : Les droits fondamentaux comme cadre des droits financiers


Partie 2 : Les finances publiques comme garantie de l’effectivité des droits fondamentaux

32
RIBES (D) :« L’incidence financière des décisions du juge constitutionnel », Cahiers du Conseil
constitutionnel n°24 (Dossier : le pouvoir normatif du juge constitutionnel)- juillet 2008. L’auteur évoque l’arrêt
Newfoundland: Treasury Board v. Newfoundland Association of Public Employees (NAPE) (2004) 3.
33
Ibid: arrêt Grootboom du 4 octobre 2000: Governement of Republic of South Africa v. Grootboom, 2001.

29
30
PARTIE 1

LES DROITS FONDAMENTAUX COMME CADRE DES


DROITS FINANCIERS

31
32
TITRE 1

DROITS FONDAMENTAUX ET FINANCES


PUBLIQUES :
DE L’ANTINOMIE À L’IMBRICATION

55 Alors que les finances publiques sont perçues comme un mode de gestion rationnel de
l’État, empreintes d’une vision pragmatique nécessairement matérialiste, a contrario, les
droits fondamentaux ont un rayonnement mondial au regard des valeurs qu’ils portent et
relèvent d’une conception de la vie en société, réglée sur des rapports pacifistes.
Étymologiquement différents mais liés en pratique par une inévitable dimension financière
des droits, la problématique générale de notre étude se construit autour de cette interrogation :
les finances publiques conditionnent-elles les droits fondamentaux, ou est-ce les droits
fondamentaux qui conditionnent les finances publiques ? Au sein de cette première partie,
nous étudierons si une relation de dépendance réelle unit ces deux volets du droit public.
Il nous paraît indispensable afin de répondre à cette problématique, de rechercher un éventuel
fondement théorique distinct ou peut-être commun de ces deux domaines, une recherche axée
plus particulièrement sur les droits fondamentaux (chapitre 1) car les fondements théoriques
ne sont toujours pas posés réellement.
La démarche qui nous anime vise au travers de la recherche de ses fondements et de l’étude
des différents instruments textuels fondant ces deux domaines, à étudier l’imbrication des
finances publiques et des droits fondamentaux (chapitre 2).

33
34
CHAPITRE 1

Le fondement théorique des finances publiques et des droits


fondamentaux

« Aucun droit sans fondement»34

56 La puissance coercitive intrinsèque à la mise en œuvre d'un droit nécessite une


légitimation, donc un fondement.
Cette démarche théorique consiste à s'interroger sur l'existence et l'essence des droits et
libertés fondamentaux, sur leur fondement originaire, ceci dans la mesure où un droit sans
fondement est alors un droit contestable. Cette démarche concerne également les finances
publiques afin de savoir si elles possèdent un fondement identique à celui des droits et libertés
fondamentaux ou si elles bénéficient d’une indépendance vis-à-vis d’eux.
Cette démarche pourrait s'apparenter à une démarche naturaliste dans la recherche de
l'origine, or, nous privilégions, ici, une démarche distinctive, entre positivisme
méthodologique et positivisme idéologique. Le juriste qui recherche ne peut se passer d’une
étude sur « la philosophie du droit», dont certains auteurs énoncent que les problèmes abordés
par cette discipline concernent le juriste préoccupé par « le fondement et la valeur des études
de droit positif » (sic).35 La question du fondement des droits et libertés fondamentaux est une
question très délicate à laquelle peu d’auteurs s’y sont consacrés réellement ; comme l'écrit
Monsieur Andrès Ollero-Tassara dans son ouvrage : « très souvent la question jugée
incommode reste sans réponse, apaisée par la pompeuse fuite en avant des invocations
rhétoriques ou des fastidieuses exégèses de texte ».36

57 L'empirisme ou le positivisme sont-ils à même de fonder ces droits stricto sensu ? À


partir de l’intemporelle controverse entre droit positif et droit naturel (section 1) sur cette

34
OLLERO -TASSARA (A) : « Droit « positif » et droits de l'homme », traduit de l'espagnol par Denis POHE
TOPKA, Bibliothèque de philosophie comparée, 1997, éd Bière, p 103,104.
35
BATIFFOL (H) : La philosophie du droit, Que sais-je ? PUF, n° 857, 1997, 10èmeéd, p3.
36
Ibid.

35
Finances publiques et droits fondamentaux

question qu’il est important d’étudier, nous dépasserons ce clivage pour nous en remettre à
une théorie positive comme prisme d’étude (section 2).

Section I : DE L’INTEMPORELLE CONTROVERSE ENTRE DROIT


POSITIF ET DROIT NATUREL

58 Le droit naturel est caractérisé par une vision conceptuelle pluraliste. Toute question
relative à l’essence du droit, en l’occurrence aux droits et libertés fondamentaux est
considérée comme relevant de ce domaine. Nous nous interrogerons, dans un premier temps
sur le point de savoir si le fondement des droits et libertés fondamentaux est ontologiquement
naturel (I) et si les finances publiques, comme mode d’organisation de la vie de l’État, sont
nécessairement positives. (II)

I. LE FONDEMENT DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX EST-IL


ONTOLOGIQUEMENT NATUREL ?

59 « Le Droit naturel est, selon la définition qu'en donnent les partisans de cette notion,
l'ensemble des droits que tous les humains sont supposés posséder, possèdent en raison de
leur commune nature, et abstraction faite de toute institution conventionnelle. Ce sont tous les
droits qui naissent avec nous, et ceux qui résultent du développement nécessaire et légitime
de nos facultés, indépendamment de toute convention sociale. Ils sont inviolables,
indépendants des temps et des lieux, et servent de base à tout Droit écrit. Imprescriptibles et
inaliénables, il n'est au pouvoir de personne de nous en dépouiller.» 37
Le droit naturel est caractérisé par différentes branches ou conceptions, qui vont de la
rationalité à la sociabilité (A), un droit qui se sépare du droit divin puis s’y rallie, opérant un
glissement de fondement (B) ; d’où plusieurs hypothèses de fondement au regard du courant
naturaliste.

37
Imago Mundi, encyclopédie gratuite en ligne, http://www.cosmovisions.com/droitNaturel.htm

36
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

A. De la rationalité à la sociabilité : quel fondement ?

Comme le droit positif, le droit naturel connait différents courants (1) dont le but commun est
une nécessaire organisation de la vie entre hommes (2).

1° Les différents courants du droit naturel :

60 Le droit naturel est susceptible de recevoir plusieurs acceptions. Il peut se définir


comme l'ensemble des règles que l'homme observe en société selon Ulpien, au regard soit de
sa nature d'être, soit selon Grotius et Saint Thomas d'Aquin, en tant qu’être doté de nature
raisonnable, ou encore selon Hobbes et Spinoza, comme les règles issues de son être.
Les fondements philosophiques et méthodologiques entrainent une distinction importante
entre le droit naturel classique antique, chrétien ou scolastique et le droit naturel moderne qui
s’apparente à une hyponymie.

61 Le droit naturel classique a une vision du monde parvenu à son point de perfection
selon Aristote: « Le Monde, pénétré par la raison, principe d’ordre des choses, est porteur
d’unité et d’intelligence. C’est un organisme parfait, que gouverne le Destin, mouvement
éternel, continu et réglé »38. Il est également perçu comme christocentrique et raisonnable
selon une vision chrétienne et scolastique, instituant une corrélation entre la nature et la raison
humaine, induisant de ce fait de l'être (Sein), les normes du devoir (Sollen).
Le droit naturel moderne a une approche plus empirique, car les phénomènes, objets
d'expérimentations ou d'observations, sont traduits sous la forme de lois mathématiques. Ainsi
naît une démarche démonstrative dont découlent des droits et des devoirs à l’égard des
individus, à l'état de nature comme dans l'état de société. De ce fait, nombre de doctrines
rationalistes et individualistes verront le jour, pierre d’achoppement des Déclarations des
droits de l'Homme Américaine et Française du XVIII siècle, mais également dites à la source
de la notion des droits fondamentaux du XX siècle.39

38
http://la-philosophie.com/le-stoicisme.
39
DUFOUR (A): “ Définition du droit naturel”:www.hls-dhs-dss.ch/textes/

37
Finances publiques et droits fondamentaux

62 Le droit naturel classique semble découvert dans l’œuvre de Socrate, développée par
Platon, les stoïciens et les théologiens chrétiens40.Il est celui présenté par Aristote puis par
Saint Thomas d’Aquin, comme dictant l’équité et ce qui est immanent au juste. C’est le droit
qui n’intervient qu’afin de résoudre un litige. La question des fondements du droit naturel
classique amène Saint Thomas d’Aquin à sa justification par le biais de la doctrine de la « loi
naturelle », loi transcendante à l’Homme lui permettant de distinguer le bien du mal, cette loi
est inscrite par Dieu dans la raison humaine. Ce fondement ne constitue nullement le
paradigme du droit naturel classique, car il n’était pas partagé par tous les représentants de la
doctrine notamment Aristote, qui, lui, le déduit du « corpus juris Civilis ».41
Le droit naturel a connu en sus des différentes conceptions, une évolution durant le XVIIIe
siècle, il était appréhendé comme : « Les principes de la droite raison qui nous font connaître
qu'une action est moralement honnête ou déshonnête, selon la convenance ou la
disconvenance nécessaire qu'elle a avec une nature sociable (...)».42

63 Ainsi, Hugues Grotius définissait le droit naturel en opposition au droit positif qu'il
nommait « volontaire », qui recouvrait le droit humain et le droit divin, par une distinction
fondamentale entre les nations civilisées et les autres d'une part, de l'autre entre le droit
émanant d'êtres intelligents.43
Hugues Grotius et le Baron de Pufendorf44, qui constituaient l’école « moderne » du droit
naturel ont fondé leur doctrine sur une ontologie, celle de la Raison de l’Homme comme Loi,
formant ainsi la potestas qui est le pouvoir socialement accepté, en opposition avec
l’auctoritas, qui est le savoir socialement reconnu.
Naît ainsi la dichotomie droit objectif /droit subjectif, sachant que le droit subjectif, exprimé
par la potestas trouve son fondement dans le droit objectif basé sur la Raison humaine. Le
droit se trouve ainsi dans une conception a priori et non plus immédiate, est ainsi prévalent

40
STRAUSS (L) : Droit naturel et histoire. Flammarion, 1986 .Traduction française de l’ouvrage: « natural right
and history » Chicago.The university of Chicago press, 1953, chapitre 4, p 115.
41
Dictionnaire des droits de l’homme, sous la direction de joel ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène
GAUDIN, Jean-Pierre MANGUENAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE ; PUF, Paris, 1ère éd, octobre 2008,
coll. quadrige, p 570, 571.
42
GROTIUS (H): Le droit de la guerre et de la paix traduit par JEAN BARBEYRAC. Tome premier, Basle,
chez Emmanuel Thourneisen, 1746, p 49 à 67
43
Ibid.
44
PUFENDORF (Baron de) : Le droit de la nature et des gens ou système général, Des principes les plus
importants de la morale, de la jurisprudence et de la politique, 1734, Tome 1, p 2 à 167.

38
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

l’individualisme, dans un rapport rationnel, selon Hugues Grotius et l’étalon de l’existence de


ces droits naturels « respectés » est conditionné par la droite raison.

64 Le baron de Pufendorf apporte une nuance, celle du nécessaire développement de la


droite raison, afin d’être intégrée en tout un chacun, ce qui n’est pas intrinsèque à tous les
hommes, mais aux « hommes civilisés ».45 D’ailleurs, Hobbes oppose à Grotius, la
problématique de l’égalité de tous les hommes dans l’usage de ses puissances naturelles,
bonnes ou mauvaises46. Par conséquent, chacun peut user, de façon inconditionnée de sa
liberté naturelle dans ses actions en ayant comme rempart la droite raison, son jugement, dans
un but de conservation de sa personne.
Quand Hobbes pense l’individu dans son rapport à lui-même, le baron de Pufendorf voit dans
le bien commun le but de l’individu. Se trouve ainsi déterminée la frontière entre la tradition
antique et la tradition moderne du droit naturel. Le droit naturel classique, se définissant
comme ce qui est conforme au juste alors que pour Hobbes qui représente le droit naturel
moderne, le droit naturel est assimilé à l’instinct de conservation, plus précisément, il parle de
loi naturelle47, par le biais de la puissance d’agir.

65 La droite raison ne peut résister à l’état de guerre que soulève Hobbes matérialisant
ainsi, les contradictions entre les différents courants naturalistes. Le droit naturel devient alors
le cadre de l’État social, qui n’est pas plus juste que l’État de nature, mais revêt un caractère
utilitaire.48
Les jusnaturalistes ont ainsi abordé la vie en société dans son organisation par des
dénominatifs tels que la « sociabilité » pour Pufendorf, qui est une qualité innée49, au contrat
social développé par Jean-Jacques Rousseau, modèle le plus abouti de l’organisation sociétale
et ce, malgré les divergences sur l’individu dans sa position centrale ou médiane de ces
formes d’organisations.

45
Ibid. p 2 et suivantes.
46
HOBBES, (T): Eléments of Law ou Éléments de la loi naturelle et politique, 1640, éd. 1650, traduction
française Weber .D, Paris, Le livre de poche, 2003, I, 14.
47
STRAUSS (L) : Droit naturel et histoire. Flammarion, 1986 .Traduction française de l’ouvrage: Natural right
and history, Chicago. The university of Chicago press, 1953, chapitre 5 p 152.
48
Ibid.
49
Dictionnaire des droits de l’homme, sous la direction de Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène
GAUDIN, Jean-Pierre MANGUENAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE, op.cit p 315 à 318.

39
Finances publiques et droits fondamentaux

2° Une nécessaire organisation de la vie entre hommes

66 Par le contrat social, les droits inhérents à la nature de l’homme sont réitérés.50 Deux
types de liberté coexistent : la liberté naturelle et la liberté civile, exclusives l’une de l’autre,
le contrat social s’inscrivant en point de rupture. Par « liberté naturelle», on entend la
manifestation du désir de chacun ; par « liberté civile », on entend celle qui dépasse
l’individu, car elle s’exerce dans le cadre d’une volonté générale 51.
À la question que pose Hart « existe-t-il des droits naturels ? », il répond que s’il existe un
seul droit naturel, c’est celui du droit égal de tous les hommes à être libres, un droit égal, car
bénéficie à tout homme en dehors de toute relation avec les autres et n’est pas créé par l’acte
volontaire d’autrui. Par conséquent, c’est un droit positif et négatif donc un droit égal52.

67 Ce qui rejoint la conception de John Rawls quant à la théorie la plus fondamentale que
tous les hommes ont un droit naturel à une égale considération et un égal respect53.

68 Or, ce respect n’est envisageable seulement par le biais d’une réglementation des
droits entre les hommes, car comme l’a énoncé Edmund Burke : « l’état de nature est
l’état (…) de notre barbarie originelle», car les « pleins droits des hommes» ne peuvent
constituer la pierre angulaire d‘une société civilisée, bien que la nature de l’homme, dans ses
besoins les plus profonds, tend à la réalisation d’une société civilisée, elle constituerait alors
l’état de nature54.
Le fondement du droit naturel, comme du droit positif, tend à qualifier ce qui est juste.
Cependant, le droit naturel basé sur la rationalité de l’Homme est relatif ; la raison ne peut
constituer une fin au sens d’absolu, ni un point de départ, car cela reviendrait à constater une
loi inhérente à la nature, à l’univers et ce, hors d’une théorie théologique.
Comme l’énonce Hans Kelsen, de même l’instinct ne peut constituer l’étalon du juste ou de
l’injuste, car il y a de bons instincts et de mauvais instincts.

50
ROUSSEAU (J-J) : Du contrat social, in Œuvres complètes, éd. M. Launay, Paris, Le seuil « L’Intégrale »
vol. II, 1971.
51
Dictionnaire La philosophie de A à Z ,Élisabeth CLEMENT, Chantal DEMONQUE, Laurence HANSEN-
LOVE, Pierre KAHN, Collectif, éd Hatier, Paris, 2004, p 375.
52
HART (H.L.A): « Are There Any Natural Rights? » Philosophical review, 64 (1955), 175-191.
53
DWORKIN (R): Taking Rights seriously, publisher: Duckworth, 1978, p 150-205.
54
Op.cit : Dictionnaire La philosophie de A à Z, p 398 et s.

40
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

Face à une même situation, deux hommes peuvent avoir deux réactions différentes
commandées par des sentiments différents et propres à chacun. L’Homme dans sa perfection
pourrait être cet Homme que conceptualise le droit naturel, or, ce serait nier la réalité que
l’Homme est également mensonge, méchanceté et que tous ces côtés en font un être imparfait.
De même pour la conscience qui habite l’Homme, même si elle dicte un acte moral, l’Homme
agit-il toujours selon ce que lui dicte sa conscience ? La conscience ne peut recouvrir un
caractère raisonnable et juste universel : « Critère ultime ne veut pas dire critère absolu. Car
si notre conscience constitue notre dernier recours, elle ne s’identifie point à un modèle
immuable dont on pourrait, dès à présent, codifier ne varietur tous les enseignements. Il faut
reconnaître à la conscience du juste une possibilité indéfinie de perfectionnement moral ».55
Comme l’énonce également Kelsen, l’idée de justice, du droit naturel ne peut être unique chez
deux individus, il y a trop d’aléas, de visions différentes 56.

69 Donc quelle est la norme de base ? est-elle définie par un comportement généralisé au
regard d’une situation donnée ? Cela reviendrait à dire que ce qui est communément accepté
est donc juste or un comportement généralisé face à une situation ne peut emporter à lui seul
la notion de justice. Le débat s’est donc orienté sur la raison comme critère immanent à la
notion de justice cependant, la raison n’a pas un caractère objectif nécessaire à induire la
justice, car la raison n’est pas commune à tous les hommes ni dans sa définition ni dans ses
composantes.

70 La raison, même éclairée comme moyen de définition de normes particulières au droit


naturel ne peut le fonder, car elle les déduit au moyen de conclusions tirées de normes
primaires du droit naturel. Hans Kelsen énonce à ce titre que le droit naturel n’a pas de
fondement rationnel tiré de la raison, mais un fondement métaphysique ;57 si tant est que la
raison serve d’étalon au juste, donc ce qui est juste serait ce qui est raisonnable. Il convient
alors de définir ce qu’est la raison, Emmanuel Kant, subdivise la raison en raison théorique et
raison pratique. 58

55
DECERF (P) : « Hans Kelsen et divers auteurs : le Droit naturel ». Revue philosophique de Louvain, année
1960, volume 58 n° 60, p 645-648, site www.persee.fr.
56
Ibid. p 645.
57
KELSEN (H): op.cit. p 85.
58
KANT (E) : Préface à la 2ème édition de la critique de la raison pure. Éd Nathan ; collection les intégrales
de philo. Note jacques Deschamps ; préface Alexis PHILONENKO, p 51-52.

41
Finances publiques et droits fondamentaux

La raison pratique est caractérisée par l’autonomie de la volonté au regard de nos penchants et
la raison théorique est « la capacité de produire spontanément et à priori des concepts qui
permettront d’unifier le divers de l’expérience et de la connaissance des phénomènes.» 59
Dans la préface à la deuxième édition de la critique de la raison pure, Kant s’interroge : « Que
peut connaitre la raison humaine ? »60

71 La crise de la métaphysique est la pierre angulaire de l’œuvre de Kant, le point de


départ de sa recherche sur la raison. L’empire que représente la métaphysique rationaliste
s’effondre au XIIIe siècle par le truchement des découvertes scientifiques de Newton qui
remet en cause de ce fait la « méthode » métaphysique. Kant énonce que seule la raison peut
poser des questions à la nature et non l’inverse, d’où les limites de la raison, car pour arriver
aux causes premières, on touche forcément l’inconditionné.
Kelsen à ce titre énoncera que « seule une théorie théologique du Droit naturel peut être
téléologique » or, dans sa justification, intervient à nouveau la raison donc des interprétations
diverses.61

B. De la division au ralliement du droit divin au droit naturel : un


glissement de fondement

72 La question de l’origine, du fondement, a toujours été au centre des débats. Dans les
sociétés antiques, les questions relatives aux origines étaient réglées par référence au divin.62
Au VIe siècle av. J.-C., Héraclite énonçait : « toutes les lois humaines sont nourries par une
loi unique, la loi divine. »63 Ainsi, les premières lois avaient une origine divine, puis sont
devenues « autonomes» au regard de ce paradigme. Or, l’émergence de la civilisation judéo-
chrétienne et le don de la loi par Dieu à Moïse avec le Décalogue, a eu une importance
capitale dans le processus de légitimation par le biais de normes suprêmes.64

59
Idem p 13-39.
60
Ibid.
61
DECERF (P): op.cit p 646.
62
RICCI (R) : colloque « L’office du juge », « la légitimation du juge constitutionnel : un législateur dérivé,
gardien des valeurs de la démocratie » ; Paris, palais du Luxembourg les 29 et 30 septembre 2006 , p5. Site
www.senat.fr
63
CONCHE (M) : HERACLITE, Fragments, traduction et commentaire, PUF, Paris 1986, n°114.
64
Ibid.

42
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

Les droits et libertés fondamentaux, dans leur affirmation furent liés à des mutations résultant
de débats entre les partisans et les adversaires du fondement divin.
Ainsi, la réflexion juridique chrétienne s’est exprimée chez les théologiens scolastiques par
une théorie dominante qui ne voit dans le droit positif qu’une méthode de correction et
d’adaptation d’un droit émanant de Dieu, et donc qui échappe à la volonté humaine qui n’est
que le réceptacle de cet ordre et en aucun cas le créateur.65

73 Selon Saint Thomas d’Aquin, il existe une loi naturelle qui est la « Divine Sagesse »,
la loi divine transcende ainsi la « créature raisonnable ». Il énonce à ce titre que la loi divine
conditionne l‘homme dans sa nature raisonnable.
Les prises de position du magistère durant la période contemporaine66sont caractérisées par un
lent ralliement du droit divin au droit naturel sans, toutefois, s’y fondre totalement.
En effet, les droits naturels proclamés lors de la Révolution Française ont été condamnés
durant tout le XIXe siècle, notamment par Pie VI qui estima que la liberté et l’égalité entre
tous les hommes étaient contraires à ce qui fut donné aux hommes par Dieu. De plus, l’excès
de liberté entrainerait la négation de la raison.67
L’église voyait dans ces droits naturels proclamés par la Déclaration de 1789 une liste de
droits subjectifs et non objectifs qu’ils n’ont reconnus qu’au XXe siècle.
Cela a débuté par la reconnaissance des droits sociaux notamment par Léon XIII ; la
reconnaissance véritable de droits individuels n’aura lieu qu’au début du XXème siècle.
L’enseignement de ces « droits de l’homme» n’interviendra au sein de l’église qu’avec Pie
XI ; Pie XII reconnaîtra la supériorité des droits fondamentaux dans l’ordre qu’a voulu le
Créateur. Les « Droits de l’Homme » seront proclamés au regard de l’Évangile, mission dont
s’assure l’Église à partir de Paul VI. La religion catholique est inhérente au respect des droits
et libertés fondamentaux, selon Jean Paul II, ils sont immanents à l’Homme ; « l’Évangile
étant la déclaration la plus achevée de tous les droits de l’homme». 68

65
Dictionnaire des droits de l’homme, sous la direction de Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène
GAUDIN, Jean-Pierre MANGUENAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE ; PUF, Paris, 1ère éd, octobre
2008, coll. Quadrige, p 141.
66
Idem. p 360-361. Ce que l’on entend par période contemporaine s’étend du pontificat de Pie VI à Benoit XVI.
67
Ibid : Pie IX énonça qu’il était « erroné de croire que la liberté de conscience et des cultes est un droit propre
à chaque homme devant être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée » ; (dans
l’encyclique Quanta Cura placée en tête du syllabus, 8 décembre 1864).
68
Ibid.

43
Finances publiques et droits fondamentaux

La reconnaissance théologale de ces droits par Rome a induit un « ralliement » à la doctrine


classique du droit naturel dans laquelle est intégrée la notion d’Homme au sens de nature
humaine et l’Homme dans sa recherche de la vérité ayant comme référence le Christ. 69
Comme nous l’avons énoncé (supra), le Décalogue a été un texte important dans le processus
de légitimation. Selon Jean-Claude Ricci70son contenu, peut constituer une des prémisses de
la reconnaissance effective des droits de l’Homme, il instaure le « principe intangible du
respect de tout être humain. Si l’on recherche l’origine des droits de l’homme on ne peut
qu’aboutir au Décalogue : aucune autre législation générale n’institue des obligations telles
que les interdictions de tuer, de commettre l’adultère, de voler. » Il est à préciser également
que ce don de la loi conféré à Moïse par l’Être Suprême fut précédé par la nomination de
juges chargés de faire respecter le texte du Décalogue71.
Il semblerait que le Décalogue soit un des premiers textes de droit positif au sens de l’édiction
de normes posées et sanctionnées.

74 Il n’est pas question de nier l’existence du droit naturel qui est immanent à l’Homme
en tant qu’Homme, mais qui serait celui de l’Homme, dans sa raison pure, sans défauts or, sa
variabilité du fait de sa subjectivité ne peut constituer un objet de recherche au sens
scientifique du terme. Sans opérer une négation du droit naturel, nous sommes résolus au fait
qu’il constitue un impossible paradigme du droit en général. La théorie naturaliste ne peut
constituer le fondement des droits et libertés fondamentaux dans notre recherche.
Dans un second temps, afin de justifier notre démarche, nous tenterons de rechercher un
éventuel fondement naturel des finances publiques.

II. DU FONDEMENT NATUREL OU POSITIF DES FINANCES PUBLIQUES

75 Il peut paraitre surprenant d’envisager l’impôt sous l’angle de la doctrine naturaliste,


cependant la notion d’impôt est indiscutablement liée à la notion de justice, prisme d’étude du
droit naturel.72

69
Ibid.
70
RICCI (R) : op.cit
71
Ibid. p 5.
72
HERRERA. (C.M) : La philosophie du droit de Hans Kelsen, une introduction. Les Presses de l’Université
Laval, Québec 2004, p 27.

44
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

C’est ainsi que nous étudierons les finances publiques sous l’angle naturaliste (A), puis sous
l’angle positiviste (B) comme objet certain d’étude.

A. La doctrine naturaliste et les finances publiques

76 Les finances publiques peuvent-elles recouvrir un fondement naturaliste ? Nous ne


pouvons nier qu’historiquement Dieu, le roi et l’impôt étaient dans une relation intrinsèque
(1) et que le droit naturel opérait comme limitation du droit fiscal (2).

1° Dieu, le roi et l’impôt, une relation historique intrinsèque

77 Nombreux auteurs évoquent la notion de sacrifice comme intrinsèque à la nature


humaine. Ceci s’est manifesté au préalable sous la forme de dons faits aux Dieux :« on croit
que c’est aux Dieux qu’il faut acheter et que les Dieux savent rendre le prix des choses ». 73
C’est ainsi que naît cette notion de transaction par le biais du sacrifice et sous la forme
préalable de dons. Le paiement des Dieux était un préalable obligatoire à toute action dans
l’esprit collectif, d’où le développement d’une théorie du « sacrifice – contrat ». Le don étant
une infime partie du retour espéré en provenance des Dieux.74
Le sens profond de cette représentation est que l’humain est un être débiteur par nature, cette
conception étant ancrée dans l’esprit. Cela se retrouve également dans un passage de l’Exode
où l’homme accepte d’être débiteur en donnant une rançon, une partie de son travail, de sa
production à l’Éternel.75
Le fondement divin a été souvent évoqué comme moyen de légitimation des prélèvements
fiscaux76. À ce titre, la Bible a constitué une source « normative légitimatrice » non
négligeable malgré les diverses interprétations des versets. Certains passages du texte saint
font référence de manière implicite aux finances et constitueraient à ce titre le fondement de la
réflexion fiscale.77 En effet, toute une structure financière est énoncée, à savoir, l’autorité

73
BOUVIER (M) : « Anthropologie et finances publiques : réflexion sur la notion de sacrifice fiscal », R.F.F.P,
n°17, 1987, pp 188-203.
74
Ibid.
75
Exode : Chapitre 30.
76
En effet, ceci notamment à partir des années 1250-1350 où le roi de France, face à la crise que subit le
royaume ne peut plus « vivre du sien » et se voit contraint de créer de nouvelles recettes.
77
SCORDIA. (L) : « Rendez à César et autres lemmes bibliques à connotation fiscale utilisés dans le discours
politique des XIIIe et XIVe siècles », La Revue, « La religion et l’impôt », numéro 1- Mars 2012, p 5 à 22.

45
Finances publiques et droits fondamentaux

compétente pour prélever l’impôt, l’obéissance due à cette autorité, la justification du


paiement de l’impôt, les personnes soumises à ce paiement, son montant et ses limites.
Historiquement, c’est de l’alliance nouée sur le Mont Sinaï que les Hébreux demandèrent à
Dieu sous le gouvernement immédiat duquel ils se trouvaient, l’instauration d’un roi mortel.
Cependant, ils furent informés de l’étendue du ius regis et notamment, du fait que le roi
prélèvera la dîme sur leurs troupeaux.78 La notion de prévoyance, par le biais de la taxation,
est également mise en avant au sein du verset Gn 41, dans lequel Joseph conseille au Pharaon,
dans son rêve, de prélever le cinquième de la récolte en prévision de la famine, permettant
ainsi au pouvoir en place d’effectuer le prélèvement.
Les versets 6 et 7 de l’épître aux Romains justifient le paiement de l’impôt et la sanction
afférente au non-respect de cette prescription.79 Les personnes assujetties à l’impôt sont
énumérées à travers l’histoire du paiement du didrachme.80 Le montant et les limites sont
traduits par les risques qu’entraîne l’aggravation du prélèvement fiscal. 81

78 L’impôt est donc mis en place par le roi afin d’assurer le Bien commun, il est transcrit
comme un besoin du Royaume face à la nécessité d’assurer ce Bien.
C’est au travers de la mise en place de la légitimation du pouvoir royal par le divin, qu’est de
ce fait légitimé, le prélèvement fiscal82. C’est donc de la naissance du pouvoir royal qu’est
établi l’impôt dont le texte de référence est la Bible. Ainsi, comme nous l’avons énoncé
supra83si nous considérons la Bible comme un texte de droit positif « révélé », par conséquent
nous ne pouvons considérer que le droit naturel classique soit à l’origine de l’impôt, même si
la Bible est d’inspiration naturaliste.
La doctrine du droit naturel moderne, qui a succédé à la doctrine classique, a été fortement
influencée par la doctrine de Locke, l’individu « supplante » le divin d’où l’on observe alors,
un glissement de fondement du divin au rationnel.

78
Dt 17,14 ; 1 Sm 8, 5 et 1 Sm 8, 10-18.
79
SCORDIA. (L) : op.cit, p 12, cite le verset 1 Co 9,7 Quis militat suis stipendiis. Le pouvoir du roi venant de
Dieu, donc le non-respect entraîne « mille maux » glosa ordinaria, PL 114, Rm 1, col.512.
80
M 17,23-26, acquittement du didrachme par le Christ et par Pierre.
81
Luc 3,14 concerne le montant ; 1R12, 1-24 le fils de Salomon par sa décision d’aggraver le prélèvement fiscal
perd une partie de son royaume.
82
Idem. p7 : « Non est potestas nisi a Deo » : il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu ; Rm13, 1-7.
83
§1, 2°

46
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

2° Le droit naturel comme limitation du droit fiscal

79 Du point de vue rationnel, le droit naturel tend à limiter l’exercice des compétences
fiscales, « le droit naturel n’apparaît plus comme un moyen de légitimer la compétence
fiscale, mais, au contraire, comme un moyen de limiter le pouvoir fiscal au profit des droits
des individus »84.
C’est parce qu’il est citoyen donc membre d’une société organisée dans laquelle l’individu a
des droits, que la compétence fiscale se trouve ainsi limitée.

80 Le droit est conféré et garanti par le souverain en contrepartie du don des biens par
chacun, cela dans le cadre du contrat social. C’est ainsi que du fait de l’octroi de sécurité par
la communauté, le droit de propriété existe et est considéré comme un des effets du pacte
social.85 Cependant, le souverain n’a pas un pouvoir sans limites, il doit respecter le droit
naturel notamment en matière fiscale, c’est ainsi que : « Les États généraux, s’ils ne
contrôlent pas l’autorité souveraine […] sont un moyen pour celle-ci d’exercer le pouvoir
dans le respect de la loi naturelle».86
La légitimité conférée à l’impôt est ainsi supérieure à celle consacrée par le droit naturel
classique selon certains auteurs. Nous supposons que sans être supérieure elle est différente,
mais tout aussi importante dans le processus de reconnaissance de la justice fiscale.87
Cette notion de justice fiscale a été analysée par Adam Smith à travers l’arbitraire fiscal,
notamment des quatre règles fiscales à respecter afin de ne pas tomber dans cet arbitraire.
Règles qui sont : l’égalité, la certitude, la commodité et l’économie. 88

81 La citoyenneté fiscale, qui constitue un des pans de la notion de justice fiscale, est un
des principes de justification de l’impôt moderne depuis le XVIIIème siècle. Elle opère en
tempérant l’absolutisme fiscal d’une part et d’autre part, en base de justification de l’impôt

84
PELLETIER (M) : Les normes du droit fiscal, thèse, préface de Bernard CASTAGNEDE. Coll. Nouvelles
Bibliothèque de Thèses, éd Dalloz 2008, p 63.
85
ROUSSEAU (J.J) : Du contrat social ou principes du droit politique, Livre I, chapitre IX « du domaine
réel », Edition de 1762, orthographe modernisée par Pierre PERROUD, p 19-22.Site : www.ATHENA.unige.ch
86
CHANTREL (L) : Genèse de l’économie politique et constitution de l’État moderne : la pensée fiscale en
France de la fin du XVIème au début au début du XVIIIème, thèse Aix, 1987.
87
PELLETIER (M) : op.cit. p 64.

47
Finances publiques et droits fondamentaux

émanant de la souveraineté fiscale ; ceci, alors que la notion de citoyenneté fiscale est absente
des textes fiscaux.89 Elle est donc ignorée du droit positif ; cette notion est naturaliste,
centriste de l’impôt sous l’angle philosophique.
La notion de sacrifice fiscal, elle, a connu un revirement sémantique, nous sommes passés
d’une vision de l’impôt comme devoir vital par le truchement du commandement divin, à une
vision de l’impôt comme sacrifice fiscal au sens de spoliation. Ainsi, ce qui permettait à
chacun d’exercer pleinement son droit à la liberté individuelle devient ce qui empêche
l’exercice de cette liberté selon cette perspective. Cependant, l’étude que nous nous proposons
de mener nous conduit à envisager l’étude des finances publiques selon la doctrine positiviste.

B. Les finances publiques envisagées sous l’angle positif comme nécessaire à


leur étude

Du dépassement de l’opposition entre droit positif et droit naturel,

82 La doctrine généralement opposée au droit naturel est celle du droit positif. Le droit
positif est généralement présenté comme l’expression des règles juridiques en vigueur dans un
État.
Le droit naturel prône l’existence d’un ordre juste qui serait supérieur à celui du droit positif.
Le jusnaturalisme se présenterait de ce fait comme une « idéologie juridique» entraînant la
dépendance du droit positif au droit naturel déterminant ainsi sa validité : « un petit nombre
de maximes, fondées sur l’équité et le bon sens, qui s’imposent au législateur lui-même et
d’après lesquelles l’œuvre législative pourra être louée ou critiquée». 90 Son prisme d’étude
est la valeur « justice » qui évolue au regard des valeurs s’exprimant par les désirs et craintes
des Hommes, donc selon Hans Kelsen, elle est le reflet de leur conscience.91Il dénonce cette
méthode d’étude comme « impossible », ne pouvant être le paradigme d’une étude
scientifique.

89
CROUY-CHANEL (E, de) : « La citoyenneté fiscale », in Archives de philosophie du droit, Dalloz, 46, 2002,
p 39-77, p 43.
90
PLANIOL (M) : Distinction du droit positif et du droit naturel, extrait du Traité élémentaire de droit civil éd
1904, p 2.
91
HERRERA (C-M) : La philosophie du droit de Hans Kelsen, une introduction. Collection Diké ; les presses de
l’université de Laval. Québec 2004, p 27 à 31.

48
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

Le droit naturel s’apparente à un idéal juridique dans la mesure où, la conception des valeurs
notamment de la justice, est relative et non absolue, elle est le fruit de l’expérience de vie de
chacun, ce que le droit naturel voit comme absolu. Le droit naturel comporte ainsi une
démarche métaphysique et non scientifique. Selon Hans Kelsen92, il souffre de limites
épistémologiques dans la mesure où, un même raisonnement sert à justifier des systèmes
contradictoires entre eux, sans qu’aucun d’eux ne puisse exclure l’autre. Selon lui, la théorie
du droit naturel s’avère en contradiction avec ses postulats, car elle a besoin d’être posée pour
être respectée, vu que : « des normes bonnes si elles existaient n’auraient pas besoin d’être
imposées pour se réaliser : les hommes les suivraient spontanément, puisqu’elles sont
conformes à la nature humaine».93

83 Cependant, la contrainte est nécessaire à l’effectivité d’une norme. D’où la définition


du droit de Kelsen : « ordre normatif de contrainte de la conduite humaine».94 A contrario, le
droit naturel suppose un contenu normatif juste par nature, dont l’évidence transparaît aux
yeux de tous, n’ayant de ce fait aucunement besoin d’une contrainte d’application ; le
naturalisme se trouve alors imprégné d’une réalité causale donc issue des faits et analysée par
la raison. Hans Kelsen insiste alors sur l’absence de constance de ce modèle : « les normes du
droit rationnel se présentent comme la signification d’actes de pensée, elles ne sont pas des
normes voulues, mais des normes pensées. » 95
Une des principales critiques de Hans Kelsen au sujet du droit naturel s’est traduite par le fait
que le droit naturel qui part d’un postulat absolutiste n’a pu définir un unique « système
valable universellement ».96Si l’influence du droit naturel sur la justification quant à la
production des normes fiscales ne peut être niée, il ne peut cependant être à l’origine de cette
production normative qui appartient au droit positif.
Une forme de manifestation du droit naturel dans le cadre du contrôle de constitutionnalité
des normes par le Conseil constitutionnel fut avancée, énonçant que ce dernier inclut dans sa
méthode d’interprétation le respect du critère selon lequel le législateur s’est basé sur « des

92
Idem. p 29.
93
Ibid.
94
Idem p 33.
95
KELSEN (H) : Théorie générale des normes, 1979, traduction, BEAUD (O) et MALKANI (F), Collection
Léviathan, PUF, 1996, p 8.
96
HERRERA (C-M): op.cit p 29.

49
Finances publiques et droits fondamentaux

critères objectifs et rationnels » dans le cadre de l’élaboration de la loi, notamment


concernant les discriminations fiscales. 97
Cependant, il s’agit là d’interprétation et d’application de la norme, non de la recherche de
son fondement. Nous ne traiterons pas ce volet, qui concerne la forme interprétative dans le
cadre de l’application du droit, nous resterons dans le cadre de la production de la norme,
dans les multiples significations qu’elle peut recevoir, laissant ainsi le choix à l’autorité
compétente d’appliquer le droit.

84 Pour certains, le droit positif serait l’héritier du jusnaturalisme non son antithèse, c’est
ainsi que Paul Amselek énonce que la relation entre les deux s’établit du fait d’une similitude
dans les problèmes abordés ainsi que des modes de pensée.98
Or, « Le juriste qui se dit positiviste ne nie pas l’existence d’un droit idéal, naturel ; il nie
simplement qu’il s’agisse d’un droit à la même mesure que le droit positif ; laissant entendre
que véritablement le caractère qui le distingue du droit positif, c'est-à-dire le fait de ne pas
être en vigueur, est celui qui exclût l’intérêt à en faire un objet de recherche scientifique ».
Le droit naturel déduit du constat d’un fait naturel, une norme de justice, cela de façon
subjective ; c’est là, la principale critique du droit positif au regard du droit naturel. 99
L’idéal juridique est caractérisé par certains aspects du droit naturel, or sans positivité il est
impossible d’assurer le respect des droits fondamentaux.

85 L’opposition systématique entre le droit positif et le droit naturel, n’a pas de réelle
portée constructive. En effet, si l’on considère le droit naturel comme un droit « idéal »,
étalon de référence morale, et idéologique, l’opposition perpétuelle entre le droit naturel et le
droit positif n’a pas lieu d’être. Le droit naturel échappe à l’ordonnancement juridique et n’a
pas d’influence sur la production des normes dans le système normatif kelsénien.
Deux sphères se complètent : la sphère positive normativiste qui établit les normes selon un
ordre déterminé, de façon formelle, et la sphère naturaliste ou réaliste, qui s’apparente au

97
PELLETIER (M) : op.cit, p 66.
98
AMSELEK (P) : « L’héritage jusnaturaliste du positivisme juridique », rapport présenté au congrès mondial de
philosophie du droit et de philosophie sociale de Mexico, le 29 juillet-6 août 1981, publié dans filosofia del
derecho y problemas de filosofia social, vol x. site : www.biblio.juridicas.unam, mémoria del x congreso
mundial ordinario de filosofia del derecho.
99
GNASSOUNOU. (B) : « Positivisme juridique et droit naturel aujourd’hui » compte rendu du débat : « le
positivisme juridique contemporain et la théorie moderne du droit naturel sont-ils compatibles et ne nous ont-ils
pas fait courir le risque du nihilisme ? » site www.societenantaisedephilosophie.com

50
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

contenu et non à la forme. C’est le formalisme qui conditionne la possibilité de mise en œuvre
du contenu, car le non-respect du processus de production d’une norme entraine l’impossible
application de son contenu.
C’est ainsi que nous privilégions la théorie positive pour son absence de relativité, son
objectivité et donc sa constance.

Section 2 : La théorie juridique positive comme prisme d’étude des finances


publiques et des droits et libertés fondamentaux

86 « On ne peut définir le droit positif de manière négative, en énonçant qu’il est tout ce
que n’est pas le droit naturel », selon Noberto Bobbio.100
Le positivisme juridique est l’étude du droit « posé », du droit en vigueur. C’est une théorie
volontariste dans la mesure où elle résulte d’actes de volonté. Le positivisme n’examine pas le
contenu de la règle de droit, mais son rapport de production ; la notion de justice en tant que
valeur, lui est indifférente. Dans un premier temps, sera étudiée la nature même du fondement
théorique (I) pour étudier ensuite, la place des droits fondamentaux au sein de la hiérarchie
des normes (II).

I. DE LA NATURE DU FONDEMENT THÉORIQUE

87 Alors que les droits fondamentaux ont atteint un niveau de reconnaissance juridique
sans égal, la question de leur (s) fondement (s) s’avère toujours être sujette à controverse.
Devant les violations répétées des Droits, ce problème considéré comme métajuridique fait
l’objet d’un intérêt indéniable.
Le questionnement relatif au fondement est-il propre aux jusnaturalistes (A) ou un fondement
positif est-il envisageable ? (B)

100
BOBBIO (N): op.cit p 24.

51
Finances publiques et droits fondamentaux

A. Le fondement un questionnement propre au jusnaturalisme ?

88 Paul Amselek, bien qu’intitulant son article « l’héritage jusnaturaliste du positivisme


juridique », établit un clivage entre le droit positif et le droit naturel, surtout en énonçant que
la recherche du fondement est propre à la métaphysique, donc au naturalisme ; de ce fait, le
positiviste qui se poserait dans cette recherche opterait pour une démarche naturaliste. Afin de
corroborer cette conception, ou de l’infirmer, une étude sur la « nature » des droits
fondamentaux révèle qu’à ce jour, aucun consensus doctrinal n’a été trouvé (1). Il est donc
permis de concevoir les caractéristiques d’un éventuel fondement positif (2).

1° L’absence de consensus doctrinal relatif à la question du fondement

89 Paul Amselek dénonce le fait que : « la problématique du fondement du droit sur


laquelle les juristes se croient obligés de se pencher n’est qu’un héritage de la pensée
jusnaturaliste traditionnelle. » 101 Cela notamment en énonçant que Hans Kelsen a opté in fine
pour une démarche naturaliste, car il a tenté de poser le fondement du droit. Donc, la
recherche du fondement serait propre au droit naturel. Cependant, René Cassin précisera que
lors de l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les rédacteurs furent
réticents à « faire prévaloir une doctrine métaphysique »102, car il semblerait que le
fondement naturel des droits de l’Homme emporterait certes, une pacification des débats sur
leur ontologie, mais les ferait cependant reposer sur une base incertaine. Jacques Maritain
dans le même esprit relatait que lors des débats préalables à la rédaction de la Déclaration
universelle des droits de l’Homme, il y avait une discordance philosophique et idéologique
quant aux fondements des droits de l’Homme.103

90 Le fondement comme nous l’avons évoqué, supra, est considéré, par les théoriciens du
droit naturel, comme une problématique qui leur appartient. Cependant, pourquoi le
positivisme juridique ne pourrait pas se pencher sur ce questionnement en réalisant une
autonomisation de la morale au regard du droit, permettant ainsi, une recherche sur le

101
AMSELEK. (P) : op.cit
102
CASSIN (R) : « le problème de la réalisation effective des droits de l’homme » in Veinte anos di evolucion de
los derechos humanos, Mexico, 1974, p 395.
103
COTTA.(S):« Le problème du fondement des droits l’homme » site :http://biblio.juridicas.unam

52
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

fondement rejetant dès lors toute subjectivité, alors que le jusnaturalisme lui, ferait reposer le
fondement sur une valeur transcendante.
La question fondamentale : « pourquoi l’homme a des droits » ? Posée par Jeanne Hersch,
reçoit pour réponse : « qu’être un homme ne relève pas d’une appartenance seule à une
espèce naturelle ». Au-delà d’être une donnée naturelle, l’homme appartient au règne de la
liberté, or, vu que la force règne dans la nature, par conséquent, les droits de l’Homme sont
« contre-nature », mais conformes à la vocation de la nature humaine c’est-à - dire à celle de
la liberté.104 L’auteur, précise que « la pente naturelle » des humains est d’en asservir d’autres
et la nature profonde de l’Homme est la liberté.
C’est devant le constat de la violation perpétuelle des droits de l’homme qu’il faut assurer une
juridicité de ceux-ci, leur caractère obligatoire et exigible. In fine, selon la conception de
l’auteur, que nous partageons, les droits de l’homme expriment « la vocation anti-naturelle de
la nature humaine », c’est ainsi que selon Jeanne Hersch, ils ne peuvent s’imposer de façon
absolue, car la nature est régie par la force.
Sergio Cotta, démontre au travers son étude que la recherche du fondement des droits de
l’Homme n’est ni réglée, ni superflue dans la mesure où, sans justification originaire, ils
restent contestables.105 Il est évident qu’un droit sans fondement est enclin à devenir un droit
sujet à controverses, la doctrine dans son ensemble s’est penchée sur ce problème du
fondement des droits de l’Homme. Noberto Bobbio a d’ailleurs posé pour base de son
questionnement « que veut dire chercher le fondement des droits de l’homme ? »

91 Dans la recherche du fondement, on tente de trouver le fondement ultime or, selon


Noberto Bobbio, le fondement absolu n’est qu’une illusion, car la valeur ultime ne peut
exister, du fait que les droits de l’homme sont historiquement relatifs selon lui et qu’ils ne
peuvent recouvrir une définition unique ; la liste des droits de l’homme ayant beaucoup
changé, et ce, en fonction de l’évolution de la société. 106 De plus, il insiste sur leur
hétérogénéité, certains sont incompatibles entre eux, ils ne peuvent alors recevoir un
fondement semblable, mais des fondements différents, « il ne s’agit pas de trouver

104
HERSCH (J) : « Les fondements des droits de l’homme dans la conscience universelle » ; 1989. Les Droits de
l’homme en question. Commission nationale consultative des droits de l’homme, La Documentation française,
Paris 1989.
105
Ibidem
106
BOBBIO (N) : « L’illusion du fondement absolu » institut international de philosophie, « le fondement des
droits de l’homme » : Acts des entretiens de l’Aquila, Firenze, la nuovaitalia, 1966, p 1.

53
Finances publiques et droits fondamentaux

aujourd’hui le fondement absolu, exploit glorieux, mais désespéré (…) il s’agit de trouver les
divers fondements possibles. »107
Il opère ainsi une dévalorisation des thèses de droit naturel dans la mesure, où l’immuabilité
des droits et libertés est remise en question. Notamment, concernant les droits sociaux, qui, au
XVIIIe siècle, n’existaient pas et à l’inverse, la propriété, était inviolable et sacrée, donc
absolue, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui du fait des limitations qui lui sont opposées. Il en
conclut alors, qu’il n’y a pas de droits fondamentaux par nature et, démonstration ne vaut pas
réalisation, selon l’auteur, qui rejette totalement la doctrine de droit naturel. 108

92 Sur le fondement théorique et le fondement, pratique, Noberto Bobbio énonce qu’en


pratique, il n’y a pas de controverse, car au plan international, la Déclaration universelle des
droits de l’Homme a été validée, le fondement juridique positif des droits de l’homme dans la
praxis est acquis.109
Mais il est important d’établir une distinction entre un fondement pratique et théorique,
sachant que c’est le fondement théorique qui entraine la légitimation de la pratique. Comme
l’a énoncé Sergio Cotta, la thèse de l’inutilité quant à la recherche d’un fondement théorique
des droits et libertés fondamentaux est à écarter, car, des controverses interviendront toujours
et cela aura des conséquences sur le plan pratique.
Selon ce dernier, il y a un renouveau du droit naturel concernant les fondements de ces droits
rejetant le droit positif et ainsi la loi comme « étouffant » la liberté individuelle.110
La loi apparait comme une contrainte, elle doit, selon la thèse jusnaturaliste, seulement
garantir le libre exercice des droits naturels. L’auteur, parle alors, d’un jusnaturalisme
renversé ; en effet, celui du XVIIe et XVIIIe avait pour postulat de départ le dépassement de
l’état de nature, or, le néojusnaturalisme vise la liberté dans toutes ses acceptions, « la
libération du désir » ; passage de l’homme de raison et de vertu à l’homme de pulsion. Il cite
Nietzche : « l’individu souverain, l’individu égal uniquement à soi-même, nouvellement
racheté de l’éthicité des mœurs, autonome, surmoral. »111

107
Idem, p4.
108
Idem p 3.
109
BARRETTO (V) : « les fondements éthiques des droits de l’homme », site human rights p3.
110
COTTA (S):op.cit p 46.
111
Idem p47.

54
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

93 Pourtant, il semblerait que la recherche du fondement du droit, en général, ne soit pas


incompatible avec le positivisme car elle permet d’assoir sa validité.
Le jusnaturalisme n’a pas le monopole du fondement absolu bien que le Doyen Ripert ait
énoncé que : « le positivisme juridique est impuissant à nous donner le mot de l’énigme et à
nous révéler pourquoi et jusqu’à quel point nous devons obéir aux lois »112. Or, force est de
constater que le jusnaturalisme n’a pu également donner le mot de cette énigme.
Il est nécessaire à ce titre d’établir un palier par le biais d’une norme juridique qui permettra
une conceptualisation de ce type de droits.

2° Les caractéristiques d’un éventuel fondement positif

94 Le fondement des droits et libertés fondamentaux s’apparenterait, au premier plan, au


respect de la dignité de la personne humaine qui est un fondement objectif, car il exprime
objectivement le contenu essentiel de « l’humain », inspiré par la théorie kantienne dans
laquelle l’Homme ne doit pas faire l’objet d’une instrumentalisation.

95 Selon Noberto Bobbio, la principale préoccupation n’est pas de trouver un fondement


absolu des droits de l’homme, mais c’est surtout de savoir comment les protéger. Il est opposé
aux jusnaturalistes par sa conception de ceux-ci comme « exigences éthiques historiquement
déterminées »113 ; il énonce à ce titre que les droits de l’Homme, tels qu’ils sont dénommés,
ne sont pas le produit de la nature, mais celui de la civilisation humaine. Il étaye sa thèse en
soulignant que les doctrines jusnaturalistes sont en désaccord sur la naturalité de certains
droits. Pour lui, le progrès de la condition humaine est le fruit d’une lutte des hommes et non,
d’une prédestination.114 Une liste définitive des droits et libertés fondamentaux n’existe pas,
ils naissent selon les époques, en définitive, ils ne sont donc pas naturels, car ils ne sont pas
préexistants à l’homme en tant qu’Homme. À cette conception que défend Noberto Bobbio,
nous devons apporter un tempérament, car il est vrai qu’ils ont émergé au fil du temps or, ils
furent inscrits très tôt, notamment dans le Décalogue.

112
AMSELEK.(P) : « l’héritage jusnaturaliste du positivisme juridique (rapport présenté au congrès mondial de
philosophie du droit et de philosophie sociale de Mexico, le 29 juillet-6 août 1981, publié dans filosofia del
derecho y problemas de filosofia social, vol x. site : www.biblio.juridicas.unam, mémoria del x congeso
mundial ordinario de filosofia del derecho.
113
CHAMPEIL-DESPLATS (V) : « Noberto Bobbio et les droits de l’homme » p171, site www.giuri.unige.it.
114
Ibid.

55
Finances publiques et droits fondamentaux

Noberto Bobbio définit les droits de l’Homme comme étant nés dans certaines circonstances
« contrasseguatta da lotte per la difesa di nuove libertà contro vecchi poteri »115Cette théorie
s’apparente à une théorie positive historico-politique.
Du point de vue historiciste, les fondements des droits fondamentaux prendraient leur source
dans la conscience historique, or, cette dernière ne peut, par sa relativité les fonder, même, si
elle a eu une part importante dans leur reconnaissance et leur construction au point de vue
moral.

96 En effet, les différents textes, comme la Charte de 1215, la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789 et les Constitutions qui ont suivi, ont élaboré « des droits
positifs des droits de l’homme ». La consécration première est celle de la liberté individuelle,
puis les droits politiques, les droits sociaux et les droits de quatrième génération ; enfin, la
Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 qui parachève le
rayonnement des droits fondamentaux dans une conception des droits de l’Homme au-delà de
la sphère nationale.
Il est évident que ces déclarations sont nées postérieurement à des faits historiques, cependant
ces évènements ont mis en exergue les difficultés à dépasser, dans le but de vivre ensemble.
Cela entraînant l’apparition de droits devant être protégés, or, pour être protégés, ils doivent
être édictés et doivent reposer sur une norme ayant un fondement. Le but de la recherche du
fondement positif des droits et libertés fondamentaux est la recherche d’une méthodologie
propre à l’élaboration d’un concept issu d’une norme de droit positif, qui s’inscrit dans
l’optique de renforcer leur protection, car constamment menacés.
« L’enjeu de la réflexion sur les fondements des droits de l’homme réside à la limite dans la
recherche d’un fondement rationnel de ces droits, donc universel, et qui puisse également
justifier ou légitimer les propres principes généraux du droit ».116
Ce n’est que par l’impératif juridique, entendu au sens positiviste, que l’on dépassera la
tautologie exprimée par les droits et libertés fondamentaux constituant des droits, car ils
émanent de l’Homme au sens ontologique du terme.

115
BOBBIO (N) : op.cit, p 3 à 9.
116
BARRETTO (V) : « Les fondements éthiques des droits de l’homme », site human rights. L’auteur cite
Madame Delmas-Marty. P4.

56
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

97 Georg Jellinek s’est confronté à cette controverse, afin de structurer logiquement les
droits et libertés fondamentaux au regard du droit positif par la désolidarisation entre les
théories de droit naturel et les droits et libertés fondamentaux, créant ainsi une nouvelle
catégorie de droits publics subjectifs. Ces droits, émanant de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789, ayant mis en place cette catégorie de droits, érigea des
normes de droit positif qui étaient jusque-là considérées comme de droit naturel.117
Les droits et libertés fondamentaux font donc bien partie d’une réalité juridique incontestable,
ils existent ; ils sont bien juridiques. Il est donc souhaitable, voire nécessaire, qu’ils soient
reconnus par une norme juridique.
Existe-t-il un fondement éthique objectif des droits et libertés fondamentaux ? Là se situe la
véritable controverse, entre le droit naturel et le droit positif, à ce sujet.

98 Or, répondre à cette question par la négative, reviendrait à dire que la démocratie ne
repose sur aucun fondement objectif. Mais comme l’a souligné Andrès Olléro-Tassara : « La
démocratie n’est rien d’autre que l’une des plus fécondes expressions historiques des
fondements éthiques objectifs qui rendent possible une coexistence humaine. »118
Positivement l’indifférence du droit positif au regard du contenu d’une norme est une de ses
principales caractéristiques. Le droit positif est considéré comme volontariste, il définit le
droit comme seul le droit posé par des actes de volonté humaine.

99 Quand Hans Kelsen différencie théorie politique et philosophie du droit, il exprime le


positivisme comme étant une volonté de créer une science dépourvue de tout autre domaine,
d’où la pureté.
Concernant son apport théorique sur la démocratie, il rejoint Jean Jacques Rousseau sur un
point : le fondement de la démocratie est la liberté et non l’égalité. Cela entendu qu’un régime
autoritaire peut réaliser l’égalité, mais pas la liberté. 119 Pour Hans Kelsen, dans sa théorie
relative à l’État, il assimile l’État au droit, donc l’État c’est le droit et inversement. L’État

117
Idem p 2.
118
OLLERO-TASSARA (A) : Droit « positif » et droits de l’homme. Traduit de l’espagnol par Denis Pohé
Topka, Bibliothèque de philosophie de comparée. Dépôt légal 2ème trimestre 1997. Editions Bière et Andrès
Ollero-Tassara p 77.
119
KELSEN (H) : La démocratie, Sa nature, Sa valeur, Traduction française par Charles Eisenmann, Préface de
Philippe Raynaud, 2ème édition, Dalloz, Paris, 2004, 121 pages.

57
Finances publiques et droits fondamentaux

existe, car un groupe de personnes constitue un groupe national, un ordre normatif règle leurs
conduites ; l’État, c’est l’ordre normatif réglant la conduite des individus.
C’est ainsi que l’on arrive aux formes de gouvernement que Hans Kelsen catégorise de façon
dualiste, cela étant fondé sur le mode de production des normes. Dans une première
acception, il décrit le système de l’autonomie où les auteurs des normes en sont les
destinataires ; dans une seconde, il décrit le système de l’hétéronomie où les auteurs et les
destinataires des normes sont distincts. Sachant que pour Hans Kelsen, l’autonomie
caractérise la démocratie.

100 Le fondement des droits et libertés fondamentaux semblerait être axé autour d’un
principe d’où découleraient les autres droits, à savoir le respect de la dignité de la personne
humaine ;120 ce serait le prisme de base, entendu au sens de production d’autres droits, car, ce
principe règlerait la vie entre êtres humains au sein de la société.
De ce droit subjectif, que l’on pourra considérer, ici, comme l’étalon des droits (même si la
reconnaissance de la dignité de la personne humaine n’a pas valeur supérieure au regard des
autres droits), découlerait un principe plus en amont, à savoir la démocratie qui permet à
l’Homme de vivre dans ce respect commun, basée sur la liberté et donc in fine, dans un
système juridique instituant la paix.
Le nécessaire respect des droits et libertés fondamentaux passe par un système de normes au
sein duquel ces droits figurent au niveau de la norme la plus élevée et de l’existence d’un juge
prévu à l’effet de contrôler les actes au regard de cette norme.

B. Le fondement nécessairement positif des finances publiques

101 Les finances publiques sont considérées comme l’acte de naissance de l’État ; un État
sans finances paraît illusoire. Subséquemment à ce constat, le fondement des finances
publiques repose obligatoirement sur une théorie positive, les conceptions métaphysiques ne
sont à même de fonder les finances publiques. Dans cette théorie positive des finances
publiques, nous envisagerons Gaston Jèze quant à son apport fondamental pour la théorie des
finances publiques. Il repense les bases de l’État en le conceptualisant à travers la notion de

120
Voir liçoes sobre ética. Ce point développé selon une conception critique ou morale se retrouve chez
Monsieur Tugendhat.

58
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

service public, que réalisent les finances publiques (1). Dans un second temps, il apparait que
cette théorie se trouve à l’aune ou constitue une ébauche à la relation finances publiques et
droits fondamentaux par le triptyque : service public étatique, droits fondamentaux et finances
publiques comme moyen de réalisation (2).

1° L’État conceptualisé par la notion de services publics, réalisé par les


finances publiques

102 Gaston Jèze, dans son œuvre, écrit : « l’objet de la science des finances est l’étude des
problèmes soulevés par l’acquisition, l’administration et l’emploi des choses publiques et en
particulier des deniers publics », cela d’un point de vue politique, économique et social. 121
Les finances publiques et l’État sont intrinsèquement liés, il n’y a pas d’État sans finances
publiques de même que les finances publiques sont indispensables à l’État dans sa survie.
L’impératif de la phrase de Gaston Jèze, « l’État a des dépenses, il faut les couvrir », nous
démontre cette imbrication.
Gaston Jèze était un positiviste sociologique ; positiviste, car il analyse les normes au sein de
sa théorie, et ce, de manière stricte dans le sens où il rejette toute conception métaphysique or,
il prend en compte l’aspect sociologique. Il étudie à ce titre, les règles juridiques en prise avec
la société qui doit les appliquer. Il étudie donc le droit dans un contexte économique, politique
et social. Il donne la primauté à l’observation des faits, il sépare également la technique de la
politique. C’est ainsi que Gaston Jèze définit l’État comme un ensemble rationalisé de
techniques et de procédés.122 Sa conception de l’État repose, sur le concept de service public
qu’il qualifie de condition intrinsèque à la constitution de l’État civilisé moderne. Pour Gaston
Jèze, l’État, son autolimitation, l’altruisme des représentants du peuple et l’évocation de réels
besoins des administrés sont pour lui des illusions.
En définitive, en tant que positiviste, Gaston Jèze ne peut fonder l’État sur des principes
métaphysiques, il se tourne vers la notion de services publics, expression de la puissance
publique de l’État et de sa limitation réelle. C’est donc sur une notion extérieure qu’il se
fonde.

121
JEZE (G) : Cours élémentaire de sciences des finances et de la législation financière française, cinquième éd
revue et augmentée, Paris, 1912, introduction p 2, 1778 pages.
122
MALARSKY (D) : « la conception de l’État selon Gaston Jèze », in revue internationale de droit politique,
n°3, autour de la notion de Constitution, www.juspoliticum.com

59
Finances publiques et droits fondamentaux

Pour lui : « le phénomène financier ne se produit que parce qu’il y a des besoins publics à
satisfaire et des services publics à faire fonctionner. Il se présente dans un certain milieu
politique. Est arbitraire de l’isoler de ce milieu. La finance suppose l’État, comme l’effet
suppose la cause. »123
En exposant cette vision en matière d’étude des finances publiques, Gaston Jèze marque une
rupture avec les théories classiques. Il repense la structure théorique des finances publiques.
Il pose le questionnement de la nature juridique du budget qu’il définira comme étant : « dans
les États modernes toutes les dépenses et recettes publiques, une prévision et une évaluation,
et pour certaines dépenses et recettes une autorisation de les effectuer et de les recouvrer »124
bien qu’il trouve cette définition imprécise en même temps qu’exacte.

103 Au-delà de son analyse juridique, il pense le budget comme un acte politique, qui
définit la politique du gouvernement et qui devra être entériné par le Parlement. Or son étude
approfondie se base sur la dimension sociale des finances publiques. La notion de service
public est la pierre angulaire de la théorie jéziste sur laquelle repose : « Tout problème
financier se ramène à ceci : le fonctionnement des services publics entraîne des
consommations de services personnels et de choses ; il faut répartir, entre les individus, la
charge qui résulte de ces consommations ; il faut déterminer qui doit supporter cette charge
et dans quelle mesure.»125
Dans sa conception de l’État moderne, il décrit un glissement des dépenses privées en
dépenses publiques et justifie l’accroissement de ces dernières par un accroissement de
services publics ou un perfectionnement de ceux-ci.

2° Le service public étatique, les droits fondamentaux et les finances publiques


comme moyen de réalisation : une ébauche

104 La théorie juridique du service public de Gaston Jèze vise à donner de nouvelles bases
à l’État et à rendre l’intervention de l’administration dans la vie des administrés comme étant
au service de ceux-ci ; le droit administratif, comme protecteur des administrés. L’État a pour

123
Ibid.
124
JEZE (G): op.cit. p33.
125
MALARSKY: op.cit.

60
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

mission de réaliser l’intérêt général par le biais des finances publiques.126 Cependant, comme
le souligne l’auteur, Gaston Jèze et Hans Kelsen n’ont pas la même approche de la notion
d’intérêt général ; pour Hans Kelsen, cette notion est erronée dans la mesure où elle réalise la
somme des intérêts particuliers des gouvernants, donc elle ne peut exister. Gaston Jèze lui,
voit dans cette notion la technique implicite de réalisation d’une forme de paix sociale.
Par conséquent, la pensée de Gaston Jèze sur le service public est tournée vers une notion
financière sociale, qui a pour but l’organisation sociale. Ces services bénéficiant à la somme
des individus composant l’État et leur donnant ainsi accès à des droits.
Si l’on prend en considération le service public de la justice de nos jours, il est évident que la
contribution publique a pour objectif, outre le fonctionnement des services, l’accès à la justice
avec tous les corollaires qu’elle comporte et que nous développerons plus en aval.

105 Force est de constater dans le sujet qui nous intéresse que la relation entre les finances
publiques et les droits fondamentaux est étroite, voire intrinsèque.
A la question posée « peut-il y avoir un État sans finances et des finances sans État ? »127
Nous pouvons nous demander : peut-il y avoir des droits fondamentaux sans finances
publiques et des finances publiques sans droits fondamentaux ?
Dans les deux cas, les finances publiques sont le corollaire de l’existence des droits
fondamentaux et inversement.
L’analyse historique, que nous aborderons au prochain chapitre, corroborera cette imbrication
des finances publiques et des droits fondamentaux.

II LES DROITS FONDAMENTAUX AU SEIN DE LA HIÉRARCHIE DES NORMES

106 Une réflexion positive sur les droits fondamentaux ne peut se passer d’une étude de
ceux-ci à l’égard de la théorie normativiste d’Hans Kelsen (A) pour s’étendre à la
conceptualisation de la démocratie par le droit ou démocratie procédurale (B).

126
Idem
127
AMSELEK (P) : « Peut-il y avoir un Etat sans finances ? », R.D.P, 1983, pp 267-283.

61
Finances publiques et droits fondamentaux

A. Le normativisme kelsenien

107 La théorie positive normativiste est explicitée par l’œuvre de Hans Kelsen 128 C’est une
théorie épistémologique prescriptive. Son but est d’établir une vraie science du droit, sans
l’ingérence d’autres disciplines ; c’est donc en ce sens que Hans Kelsen la qualifie de pure.
La théorie pure du droit ne se prononce ni sur les fins, ni sur l’essence même du droit, elle
analyse la norme juridique, or, la norme n’est pas un énoncé, mais la signification de cet
énoncé.129
Il est constant d’énoncer que cette œuvre repose sur deux fondements, à savoir la distinction
du sujet et de l’objet de la connaissance, distinction établie par Kant, et le fait que cette
science a pour rôle de décrire le droit tel qu’il est. D’où la distinction entre le sein et le Sollen,
de l’être et du devoir être.
Donc, si la science se positionne comme connaissance de l’être, il lui est impossible d’en
déduire un devoir-être. Par conséquent, tout jugement de valeur est à proscrire, ce que nous
avons évincé dans la première section, en réfutant la thèse naturaliste, comme mode de
connaissance scientifique. La science du droit ne porte que sur les normes de droit positif,
c'est-à-dire sur le droit en vigueur. Contrairement aux sciences sociales, où l’objet est décrit
selon un principe de causalité, la science normative décrit l’objet selon un principe
d’imputation ; donc si « A est, B doit être », la relation entre ces composantes de la norme
s’établit par un acte de volonté qui résulte de l’imputation ; cela en prenant bien en compte
que la norme n’est pas un acte humain.
Si l’on considère les droits fondamentaux, comme un ou plusieurs ensembles normatifs ou
sous-ensembles normatifs, leur étude peut être réalisée sous le prisme de la théorie pure du
droit, ce à quoi nous allons procéder. Tout d'abord, notre réflexion s’orientera sur la validité
comme condition intrinsèque à l’existence d’une norme (1), puis sur l’effectivité, condition
extrinsèque à l’existence de celle-ci (2).

128
KELSEN (H) : Théorie pure du droit, traduit par Charles Eisenmann, éd. Bruylant LGDJ, collection la
pensée juridique, 1962, 367 p.
129
Dictionnaire des philosophes, éd 1984, PUF, 1ère édition, par Denis Huisman.

62
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

1° La validité : condition intrinsèque à l’existence d’une norme

108 Le mode d’existence spécifique d’une norme est désigné par sa validité 130 ; sachant
qu’une norme n’est valide que si elle a été posée d’une certaine façon, c'est-à-dire
conformément à la procédure induite par la norme supérieure et ainsi une norme peut faire
partie d’un ordre juridique, et seulement pour cette raison.
Pour Hans Kelsen, les normes juridiques de type A, sont objectivement valables et doivent
donc être obéies lorsqu’elles ont été posées conformément aux normes de type B, fixant les
conditions procédurales de leur édiction et notamment habilitant les autorités qui les ont
émises à le faire. Ces normes juridiques de type B sont elles-mêmes valables et donc
obligatoires lorsqu’elles ont été posées conformément aux normes juridiques de type C, fixant
les conditions procédurales de leur édiction et ainsi de suite.131 En définitive, c’est le mode de
création d’une norme qui détermine sa validité, sa place dans la hiérarchie des normes. La
norme ici, n’ordonne pas une conduite spécifique, mais « autorise » la création d’une autre
norme ; ce qui est dénommé : « la connexion fonctionnelle spécifique ». 132
De ce fait, la structure de la théorie kelsenienne se compose d’une dynamique et d’une
statique. Statique, car le contenu de la norme inférieure doit être la concrétisation du contenu
de la norme supérieure, ou du moins ne pas être en contradiction avec. Dynamique, parce que
la norme inférieure est énoncée selon la procédure définie par la norme supérieure.
Cependant, une norme juridique n’est pas valable parce qu’elle a un certain contenu, mais
seulement parce qu’elle a été édictée selon une certaine procédure. Le contenu de la norme est
indifférent à la validité,133une norme valide est, pour Hans Kelsen, une norme qui existe dans
l’ordre juridique.
La théorie kelsenienne est une structure hiérarchisée qui s’apparente à un système pyramidal,
dans la mesure où plus les normes sont supérieures, moins elles sont nombreuses, avec au
sommet, la Constitution et au-dessus, la norme « supposée ».

130
Idem p18 et s.
131
AMSELEK (P) : « Kelsen et les contradictions du positivisme juridique » in archives de philosophie du droit,
Tome 28, philosophie pénale, éd Sirey, 1983, p 278.
132
TROPER (M) : « Ross, Kelsen et la validité », in revue Droit et Société n°50-2002, p 47.
133
KELSEN (H) : Théorie pure du droit, op.cit, p197.

63
Finances publiques et droits fondamentaux

109 En France, l’assise des droits fondamentaux est réalisée par la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen du 26 aout 1789, texte de référence en matière de droits et libertés
fondamentaux.
Ce texte fait partie du bloc de constitutionnalité, depuis la décision du Conseil constitutionnel
du 16 juillet 1971, « liberté d’association »134dans laquelle il reconnait la valeur
constitutionnelle du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, lequel renvoie au
préambule de la constitution du 27 octobre 1946 et à la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen du 26 aout 1789. Depuis cette décision, nous pouvons considérer que le Conseil
constitutionnel est le garant des droits et libertés des citoyens. La première référence à la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen par le Conseil constitutionnel fut faite dans la
décision du 27 décembre 1973, « taxation d’office »135 relative au principe d’égalité.
Le bloc de constitutionnalité est donc la norme suprême de la hiérarchie des normes car se
situant au rang constitutionnel. Les droits et libertés fondamentaux, issus de ces catalogues,
bénéficient de ce fait, de la plus haute place au sein de la hiérarchie des normes. En définitive,
ces droits et libertés fondamentaux s’imposent au législateur qui doit donc s’abstenir d’édicter
des lois qui iraient à leur encontre.
Par conséquent, comme l’énonce Hans Kelsen, ces droits et libertés fondamentaux, établis par
les Constitutions modernes, c'est-à-dire basés sur un régime démocratique, bénéficient de
garanties constitutionnelles. Il précise cependant que ces garanties ne concourent pas à former
des droits subjectifs au sens propre du terme, mais à ce que le législateur prévoit que s’il
édicte des lois allant à l’encontre de ces droits et libertés, elles pourront se voir annuler pour
inconstitutionnalité.

110 Ces droits, comme dispositions de la Constitution, n’imposent pas d’obligations


positives au législateur, mais prévoient des obligations négatives, à savoir de ne pas leur
porter atteinte. Sachant que cette prescription vaut également pour les actes administratifs ou
les décisions de justice, également susceptibles de leur porter atteinte et alors d’être annulés
pour contenu inconstitutionnel, en contradiction avec « l’interdiction » posée par la
Constitution. Sauf à imaginer que ce règlement ou décision de justice ait été pris sur la base

134
Cons.const : décision n°77-44 DC du 16 juillet 1971, site www.conseil-constitutionnel.fr
135
Cons.const : décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973 www.conseil-constitutionnel.fr

64
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

d’une loi inconstitutionnelle, à ce moment-là, le critère formel est suffisant à l’annulation.136


En définitive pour Hans Kelsen les droits et libertés fondamentaux apparaissent comme des
« garanties procédurales ».
Noberto Bobbio lui, établit deux distinctions entre les droits que l’on a et ceux que l’on
voudrait avoir. Les premiers sont déduits d’une norme de droit positif, alors que pour les
seconds, une légitimation est nécessaire, afin de les élever au rang des premiers et de les
déduire ainsi d’une norme de droit positif. 137

111 Du point de vue positiviste normativiste, dans l’ordre juridique interne, les droits
fondamentaux constitutionnels sont déduits de la Constitution et dans l’ordre juridique
international, de Traités et Conventions. Pour Sergio Cotta, du point de vue formaliste et
réaliste, les droits de l’Homme sont des droits positifs, car ils sont établis à l’intérieur par le
pouvoir normatif du législateur et à l’extérieur par le législateur international. Ces droits sont
des droits fondamentaux, car ils opèrent une limitation du pouvoir normatif du législateur
ordinaire.

112 La validité en débat : Hans Kelsen a fait l’objet de nombreuses critiques quant à son
ouvrage majeur, et ce, notamment par Alf Ross.138 Pour Hans Kelsen, la validité est le mode
spécifique d’existence des normes, donc la validité est acquise si la norme est émise
conformément à la norme supérieure. Or, pour Alf Ross, la validité est acquise, si la norme est
appliquée et socialement obligatoire. Pour Hans Kelsen, l’efficacité est consubstantielle au
droit, alors que pour Alf Ross, l’efficacité est le corollaire de la validité. Pour Hans Kelsen,
l’efficacité est une condition de la validité, mais elle n’est pas cette validité elle-même, car
sont considérés comme valables, des ordres juridiques ou des normes juridiques qui sont
inefficaces jusqu’à un certain point. Hans Kelsen justifie cela par le fait que la validité d’une
norme constitue un Sollen et non un Sein ; son efficacité constitue quelque chose de différent
du fait qu’une norme soit effectivement appliquée, suivie et obéie, ceci n’est pas déterminant
de sa validité. C’est une condition dans la mesure où, un minimum « d’efficacité » est une
condition de la validité d’une norme, si la norme n’est jamais appliquée, ni suivie, si elle n’a

136
KELSEN (H): op cit, p145-146.
137
COTTA (S):« le problème du fondement des droits l’homme » site :http://biblio.juridicas.unam, p1.
138
Alf Ross est un positiviste comme Hans Kelsen, or, ce dernier est normativiste alors que le premier est
réaliste. Alf Ross a d’ailleurs énoncé à propos de Hans Kelsen, qu’il était un quasi positiviste du fait notamment
qu’ils soient complètement opposés quant aux conditions de la validité.

65
Finances publiques et droits fondamentaux

aucune efficacité, cette norme ne peut de ce fait être considérée comme étant objectivement
valable.
Concernant la validité de la Constitution, elle-même doit reposer sur une norme supérieure
que Hans Kelsen appelle la « Grundnorm » ou l’hypothèse de la norme fondamentale, cela,
car aucune norme positive supérieure à la Constitution n’existe dans l’ordre juridique positif
susceptible de fonder la validité de la Constitution . Cette hypothèse que Hans Kelsen appelle
logique-transcendantale est nécessaire du point de vue de la connaissance théorique, car pour
fonder la validité des normes inférieures, la Constitution elle-même doit être valide. Cette
norme fondamentale est une norme supposée.
Positivement, par conséquent, les droits et libertés fondamentaux se trouvent au rang
constitutionnel et font donc partie de la « norme » Constitution. Du point de vue formel, les
droits fondamentaux se situent au sommet de la hiérarchie des normes et trouvent le
fondement de leur validité dans la norme fondamentale ou hypothèse logico-transcendantale,
sachant que, de la norme fondamentale découle seulement la validité objective des normes, et
ne concerne nullement les normes disposant d’un contenu elles-mêmes.139

113 Les droits fondamentaux existent seulement parce qu’ils sont garantis au sens de
« protégés », c’est-à-dire bénéficiant d’un système de protection. Dans la mesure où ils ont été
énoncés par le droit positif, ils bénéficient de garanties, car ce sont des droits posés. Ceux-ci
entendus objectivement, sachant que le droit subjectif découle d’une norme objective. D’où,
la « positivation » des droits fondamentaux entraine la possibilité pour un individu de
défendre ses droits, ce que la théorie du droit naturel ne permet pas. Pour Hans Kelsen, le
droit subjectif est considéré comme un droit participation dans la mesure où il permet à
l’individu de concourir à la formation de l’ordre juridique et détient ainsi la possibilité de
former un recours devant un tribunal. « ce n’est que lorsqu’une norme place un individu en
position de défendre ses intérêts que l’on crée un droit subjectif en sa faveur »140
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 constitue une assise positive à
l’effectivité des droits fondamentaux au niveau interne, au niveau international, cette assise
positive est constituée par la Convention européenne des droits de l’Homme de 1950.

139
KELSEN (H) : Théorie pure du droit, traduit par Charles Eisenmann, éd. Bruylant LGDJ, collection la
pensée juridique, 1962 p 201 et suiv.
140
Idem p 122.

66
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

2° L’effectivité : condition intrinsèque à l’existence des droits fondamentaux

114 Tout en gardant à l’esprit que le droit se comprend à partir de l’acte de contrainte
étatique et non pas des droits des individus, la contrainte est donc nécessaire à rendre une
norme effective.
L’efficacité, en tant que partie minimum de la validité, est du domaine du Sein, du fait que la
norme est effectivement appliquée et obéie. L’efficacité s’ajoute donc comme critère afin
qu’une norme ne perde pas sa validité.
L’effectivité, dans la dimension théorique, est intrinsèque à l’existence des droits
fondamentaux. Cette notion est entendue dans le sens de la réalisation complète de ceux-ci.
La théorie et la pratique des droits fondamentaux fait l’objet de débats concernant leur
effectivité comme condition de leur existence, car, la simple existence d’un droit n’en garantit
pas sa réalisation, mais un droit à ce qu’il soit mis en œuvre, donc une obligation positive
morale. C’est ainsi qu’il est souvent fait référence à l’institutionnalisation des droits
fondamentaux.
L’effectivité des droits fondamentaux pour le positivisme méthodologique trouve son
« apogée » par le truchement de leur consécration au sein de textes de droit positif, leur place
dans un système juridique hiérarchisé, mais elle dépend également du système de droit positif
des États et donc d’une forme de volonté propre à chaque État.
La reconnaissance légale d’un droit fondamental induit son existence, or la mise en œuvre
légale est une conséquence de leur reconnaissance légale. Cependant, la reconnaissance légale
des droits fondamentaux n’induit pas forcément leur effectivité au sens de réalisation
complète des droits fondamentaux.141

115 La philosophie des droits de l’Homme, en tant que philosophie politique, se lit comme
une revendication. Les auteurs142 énoncent que même une théorie jusnaturaliste des droits de
l’Homme, au sens de droits consubstantiels à l’être humain, n’établit pas une garantie de leur
existence. Ils sont dépourvus d’existence au sens pratique s’ils ne sont pas effectifs. Ils ne
sont consacrés que par le droit positif : « sans cela, le discours sur les droits de l’homme n’est
qu’une métaphysique ou un jeu de l’esprit ; il bute sur la question immémoriale du

141
BESSON (S) : « L’effectivité des droits de l’homme », « du devoir être, du pouvoir être et de l’être en
matière de droits de l’homme ». p 53 à 83. http//doc.rero.ch/
142
Ibid.

67
Finances publiques et droits fondamentaux

jusnaturalisme : quand bien même ces prétendus droits seraient justes ou évidents, ils ne sont,
dépourvus d’effectivité, rien d’autre que des mots, avec toute la portée symbolique du
discours »143
De même, au niveau de la reconnaissance nationale et internationale, l’existence des droits
fondamentaux ne peut se réaliser que par leur effectivité. Elle est consacrée au sein de textes
de droit positif, leur effectivité s’est réalisée par l’intégration de ces textes à des niveaux
normatifs très élevés, que ce soient les premiers amendements à la Constitution américaine de
1791, le Bill of rights, le Préambule de la Constitution Française de 1946 et la Constitution
Française du 4 octobre 1958 qui a, notamment, conféré à la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789, une valeur juridique importante et une effectivité sans égal.
La garantie de l’effectivité des droits fondamentaux s’est trouvée consacrée du fait du
contrôle de constitutionnalité des lois, effectivité mise en exergue au sein de la décision 44
DC du Conseil constitutionnel « liberté d’association » du 16 juillet 1971.
La Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 est le fondement du
droit international relatif aux droits de l’homme, c’est la première reconnaissance universelle
concernant la part intégrante des libertés et droits fondamentaux. Elle a inspiré plus de 80
déclarations et traités internationaux sur les droits de l’homme donc des instruments
juridiquement contraignants et l’universalité de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme est consacrée à ce jour, car tous les membres de l’ONU ont ratifié au moins un
traité international relatif aux droits de l’homme. Le droit international énonce les obligations
des États concernant les droits de l’homme mais également leurs devoirs, à savoir, lutter
contre leurs violations, ne pas intervenir dans la restriction des libertés, prendre des mesures
positives afin de faciliter l’exercice des droits fondamentaux, ainsi que la mise en place de
procédures possibles contre les États , cela , de manière individuelle ou collective. Nous
évoquons le terme « droits de l’homme » ici et non de droits fondamentaux, car ces textes ne
sont pas associés à un juge et ne permettent pas leur sanction par un juge habilité à cet effet.
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
du 4 novembre 1950 et sa mise en œuvre par la Cour européenne des droits de l’homme
réalisent, l’effectivité de ces droits.

143
Dictionnaire des droits de l’homme, sous la direction de joel ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène
GAUDIN, Jean-Pierre MANGUENAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE ; PUF, Paris, 1ère éd, octobre 2008,
coll. quadrige, p350.

68
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

116 Le recours : Ce n’est que lorsqu’une personne est en mesure de faire valoir ses droits
que l’on crée un droit subjectif en sa faveur selon Hans Kelsen. Le droit subjectif provient
d’une norme objective, ni il la précède, ni il en est indépendant. Pour lui, il est considéré
comme un droit participation dans la mesure où, il permet à un individu de concourir à la
formation de l’ordre juridique et détient la possibilité de faire un recours devant un tribunal.
Donc pour Hans Kelsen, ce droit subjectif est conféré à un individu en vue de contribuer à la
formation « de normes juridiques individuelles ».144
L’existence de garanties juridictionnelles de ces droits, que ce soit entre particuliers ou contre
les pouvoirs publics, est un élément essentiel de l’effectivité des droits fondamentaux, ceci
145
dans le cadre d’un procès équitable. En matière de droits fondamentaux, le recours à une
juridiction nationale ou supranationale est déterminant dans la caractérisation de leur
effectivité. La reconnaissance des droits par les États, leur obligation de ne pas y porter
atteinte, ainsi que l’existence de voies juridiques au bénéfice de victimes de ces violations,
constitue la garantie de leur effectivité. À ce titre, la Cour européenne des droits de l’homme
constitue par le biais de la Convention européenne des droits de l’homme, le système le plus
abouti ; de plus, sa jurisprudence permet une vision commune des préoccupations liées aux
droits de l’homme.

117 Théoriquement, l’effectivité est une nécessité pour la théorie des droits de l’homme,
leur existence par la consécration de textes de niveaux normatifs élevés et les garanties
juridictionnelles comme mécanisme de protection par le biais de voies de recours, permettent
cette effectivité, car, « à défaut d’être effectifs, les droits de l’homme ne sont pas des droits
mais de simples prétentions ».146

144
HERRERA (C-M) : La philosophie du droit de Hans Kelsen, une introduction. Collection diké ; les presses
de l’université de Laval. Québec 2004, p 34.
145
Article 13 et article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales.
146
MILLARD (E) : Dictionnaire des droits de l’homme, op.cit p352.

69
Finances publiques et droits fondamentaux

L’effectivité des droits fondamentaux ne peut se réaliser que dans un ordre de paix, car, en
état de guerre, l’atteinte est faite, de prime abord à ces droits. Noberto Bobbio, énonce à ce
titre que « les droits de l’homme sont un élément essentiel de la démocratie et de la paix ». 147

B. La démocratie par le droit ou la démocratie procédurale

118 Le fondement des droits fondamentaux existe si l’on pouvait considérer positivement
la démocratie comme une norme. « Le mot ‘norme’ exprime l’idée que quelque chose doit
être ou se produire » 148
Les droits fondamentaux, la démocratie et la paix sont intrinsèquement liés. Nous pouvons
considérer qu’ils se fondent et se confondent, « les présupposés implicites du positivisme
juridique sont proches de ceux qui sont au fondement de l’idéologie des droits de
l’homme ».149
Cela, malgré certaines réticences qui furent opposées par certains auteurs, qui énoncent que la
démocratie comme fondement des droits de l’homme n’est pas totalement acceptable dans la
mesure où l’utopie des droits de l’homme se poserait en force du fait d’une méfiance à l’égard
de la démocratie.150 Ce que nous ne pouvons concevoir, car nous les considérons comme
intrinsèquement liés.
Il faut souligner que Hans Kelsen nie toute pertinence scientifique aux droits de l’homme en
tant que droits subjectifs, il ne les appréhende que sous l’angle objectif dans la mesure où ils
sont établis par une législation ou un traité. La fonction de ces droits serait une fonction
négative dans la mesure où ils permettraient d’éviter l’édiction de normes contraires. 151
Le relativisme des valeurs selon Hans Kelsen, conduit à une démarche non scientifique, sans
nier leur existence, il défend une position non cognitiviste, dans le sens où il ne peut exister
de valeurs absolues ; les valeurs ne permettent pas de fonder un discours objectif. Par

147
CHAMPEIL-DESPLATS (V) : « Noberto Bobbio et les droits de l’homme » site www.giuri.unige.it,issu la
revue Analisi e diritto, 2005, a cura di P. Comanducci e Ricardo Guastini :
« diritti dell’uomo, democrazia e pace sono tre momenti necessari dello stesso movimento storico : senza diritti
dell’uomo riconosciuti e effetivamente protetti nonc’è democrazia, senza democrazia non ci sono le condizioni
minime per la soluzione pacifica dei confliti ».
148
, Idem p 12.
149
MILLARD (E) : Dictionnaire des droits de l’homme, op.cit, p783 à 786.
150
DENQUIN (J-M) : « Que veut-on dire par « démocratie » ? L’essence, la démocratie et la justice
constitutionnelle », Jus Politicum, n°2, 2009, Revue internationale de droit politique.www.juspoliticum.com
151
HERRERA (C-M) : La philosophie du droit de Hans Kelsen, une introduction. Collection Diké ; Les Presses
de l’Université de Laval. Québec 2004, p 60.

70
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

conséquent, la valeur justice pour qualifier un ordre juridique ne peut avoir qu’un sens relatif
c'est-à-dire ce qui est conforme à la norme positive, au sens de la théorie pure du droit. Ce
relativisme axiologique ne se pose pas en totale opposition avec les valeurs, car la valeur à
laquelle se rapporte le positivisme est la paix : « le droit veut être avant tout un ordre de
paix ». La paix entendue objectivement, car il ne lui confère aucun contenu. L’ordre juridique
tout entier induit à la paix selon Kelsen.
Comme il a été énoncé justement par certains auteurs, les membres du Cercle de Vienne
tenants du positivisme juridique, ont adhéré en tant que citoyens à « l’idéal » de la démocratie
libérale, cela étant précisé, en tant que citoyens, et non en tant que « scientifiques », dénuant
tout contenu aux valeurs en elles-mêmes et ne pouvant de ce fait, faire l’objet d’une approche
cognitive, leur position n’est alors pas en contradiction avec leur doctrine. En effet, la
démocratie libérale se pose comme un système juridique et politique gardien de l’expression
de tout un chacun de ses propres valeurs indépendamment de leur contenu, sans
prépondérance des unes sur les autres.152

119 D’une norme constitutionnelle visant à la paix dans l’État, la démocratie est ainsi
instituée par un régime procédural propre à assurer le respect des droits fondamentaux.
Puisque la notion d’État de droit est une tautologie selon Michel Troper 153, que l’ordre
juridique consiste à établir la paix selon la conception de l’État d’Hans Kelsen, comme un
ordre juridique qui règle la conduite humaine, le seul fondement des droits fondamentaux ne
peut être que la démocratie. Car dans les États totalitaires, les droits fondamentaux n’existent
pas. Noberto Bobbio154 adhère à une approche de la démocratie qu’il dénomme : libérale
sociale, en ajoutant à la dimension libérale où l’État s’abstient d’intervenir, notamment au
regard de libertés telles que la liberté d’opinion, d’expression, de conscience, la dimension
sociale implique elle, une action positive de l’État par la protection et l’octroi de droits
sociaux fondamentaux. Il adhère également à la démocratie procédurale. L’idéal de justice
qu’il définit revient à définir la démocratie en substance or, dans l’étude qui nous intéresse, au
sein de ce chapitre, nous ne considérerons pas la démocratie substantiellement.

152
MILLARD (E) : Dictionnaire des droits de l’homme, op.cit. p 786.
153
KELSEN (H): Théorie pure du droit, traduit par Charles Eisenmann, éd. Bruylant LGDJ, collection la pensée
juridique, 1962, p 281.
154
CHAMPEIL-DESPLATS : op.cit

71
Finances publiques et droits fondamentaux

120 La hiérarchie des normes caractérise la démocratie procédurale : le constitutionnalisme


vise à protéger les libertés et vise à la démocratie par le droit ce, par la mise en place
d’institutions : « La démocratie est fondée sur la primauté du droit et l'exercice des droits de
l'homme. Dans un État démocratique, nul n'est au-dessus de la loi et tous les citoyens sont
égaux devant elle »155. C’est ainsi que le système hiérarchisé des normes se trouve protecteur
de la liberté ainsi, par la validité de chaque norme, au regard de la norme supérieure, on vient
à en respecter la loi, expression de la volonté générale, donc la séparation des pouvoirs.
La démocratie procédurale, caractérisée par l’agencement de règles, permettant in fine que des
individus vivent ensemble dans le respect de leurs libertés et donc dans la paix. Ces règles
permettant aux individus de décider collectivement des modalités de leur coexistence et cela
par l’accord de la plupart de ses destinataires.

121 Les droits fondamentaux dans leur conception démocratique opèrent une limitation du
pouvoir de l’État et une garantie de leur existence, et ce, par le biais de normes
constitutionnelles et internationales. L’immanence de ces deux notions préfigure l’État par les
procédures d’édiction des normes grâce auxquelles la hiérarchie des normes est respectée,
donc les droits de l’Homme sont protégés par un système procédural démocratique.
La démocratie doit, ici être entendue, non selon une approche politique, mais sur la
démocratie en tant que notion.
La démocratie doit être considérée comme un système procédural corrélatif ou immanent au
respect de procédures propres à l’édiction de normes, n’ayant comme seule limite que le
respect de la liberté qui est la base de l’idée démocratique.

155
Déclaration universelle sur la démocratie : déclaration adoptée sans vote par le conseil interparlementaire
lors de sa 161ème session, Le Caire le 16 septembre 1997, organisation mondiale des parlements site :
www.ipu.org.fr

72
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

*
***

122 Il semblerait que l’on ne puisse opposer le droit naturel au droit positif, car ils n’ont
pas le même objet d’étude. L’un est relatif au droit conçu comme une science, dépourvu de
facteurs psychologiques et psychosociologiques donc de tout ce qui est métajuridique ; l’autre
est transversal dans son étude du contenu du droit plus que de sa forme. Ils apparaissent en
contradiction ou en compléments pour certains auteurs.
Pour nous, le droit naturel est une idéologie au sens noble du terme, conçu comme un idéal ;
or, en aucun cas il ne peut être à l’origine des règles qui régissent un État pour les raisons que
nous avons exposées au sein de ce chapitre. Étalon de justesse à l’aune duquel serait étudié le
droit positif, cela est possible suivant la réponse de chacun à cette question : qu’est-ce que le
juste ?
Les finances publiques et les droits fondamentaux ont un fondement positif. Les droits
fondamentaux en se trouvant au sommet de la hiérarchie des normes, sont garants de la
démocratie qui par cette hiérarchie trouve son fondement.
Nous considérons la démocratie comme un système procédural propre à assurer une limitation
des pouvoirs dont les droits fondamentaux en sont : l’instrument, la garantie et la légitimité.

73
74
CHAPITRE 2

L’imbrication des finances publiques


et des droits et libertés fondamentaux

123 La Révolution française trouve son origine dans une crise des finances publiques,
point de départ de la revendication des droits et libertés des Hommes qui donnera naissance à
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
La théorie positiviste et l’histoire donneront raison de la relation d’interdépendance des
finances publiques et des droits fondamentaux. Historiquement, la naissance des finances
publiques est-elle corrélative à celle des droits fondamentaux ? N’est-ce pas les finances
publiques qui réalisent les droits fondamentaux ? La Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen démontre une imbrication des finances publiques et des droits fondamentaux
(section1), ce qui nous permet d’analyser si il y a « artificialité », antériorité ou postériorité
des droits fondamentaux au regard des finances publiques (section 2).

Section I : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou


l’imbrication des finances publiques et des droits fondamentaux

124 Un texte semblable est à la base des droits fondamentaux et des finances publiques : la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’imbrication se trouve corroborée par la
présence de grands principes juridiques ayant trait, tant aux droits fondamentaux qu’aux
finances publiques. Il est l’instrument de base des droits fondamentaux car en constitue un
point d’ancrage (I) et une assise des finances publiques (II)

I. LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN


COMME ASSISE DES DROITS FONDAMENTAUX

125 La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a fait l’objet de controverses quant
à sa nature et à sa valeur. Même si, aujourd’hui, sa valeur est définitivement acquise, il est
important de retracer ce débat relatif à sa valeur juridique et à sa nature (A). À ce jour, il est le
75
Finances publiques et droits fondamentaux

texte positif de base des droits fondamentaux au niveau national. L’analyse de cette
Déclaration nous révèle un triptyque État-loi-droits fondamentaux (B) qui nous conforte dans
l’imbrication des droits fondamentaux et des finances publiques.

A. La valeur juridique et la nature de la Déclaration des Droits de l’Homme


et du Citoyen

126 L’étude de la valeur juridique de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen


(1) nous porte vers une réflexion sur une éventuelle autonomie des droits fondamentaux (2)

1° La valeur juridique en débat

127 Ce texte a donné lieu à de nombreux débats alors qu’il constitue la référence majeure
en matière de droits fondamentaux au niveau national. Il n’a acquis de valeur juridique que
très tardivement, malgré une portée symbolique très large inspirée des déclarations
américaines. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen a été un modèle de référence
pour la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948.
Jusqu’au vingtième siècle, la doctrine s’accordait à énoncer que ce texte n’avait aucune valeur
juridique du fait de son caractère séparable de la Constitution et de l’absence de contrôle de
constitutionnalité des lois, à cela, s’est ajouté un débat sur sa véritable nature, un texte
d’essence naturaliste ou positiviste ?
Sa nature : L’approche naturaliste a été longtemps privilégiée du fait du caractère déclaratoire
du texte, il ne s’agissait pas de créer des droits, mais de les déclarer, c'est-à-dire de les
dévoiler. Or, ce sont les raisons historiques qui ont conduit à voir dans ce caractère déclaratif
une façon de « contourner la volonté du pouvoir politique »156 afin de réaliser une garantie de
ces droits contre des tentatives de modifications de la part des gouvernants. Préexistants à
l’homme, ils ne peuvent de ce fait être modifiés. Par l’expression « inaliénables et sacrés »,
les droits s’apparenteraient à une vérité éternelle voire surnaturelle, permettant ainsi l’accès
des hommes à la défense de leurs droits et libertés et d’être protégés contre un éventuel
arbitraire de la part du législateur. Le caractère déclaratif de ce texte est, semblerait-il, ce qui a

156
ROLLAND (P) : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen in Dictionnaire des droits de l’homme, sous
la direction de joel ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène GAUDIN, Jean-Pierre MANGUENAUD, Stéphane
RIALS, Frédéric SUDRE ; PUF, Paris, 1ère éd, octobre 2008, coll. quadrige, p 242 à 248.

76
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

conduit à une approche non juridiquement obligatoire, en sus de ne pas être accompagné de
sanctions. L’effectivité est donc au centre de la protection des droits de l’homme qui sans
contrainte juridique associée ne permet aucune garantie des droits.
La naturalité des droits proclamés dans la déclaration, ne peut être admise dans la mesure où,
des droits qui existent naturellement, n’ont pas besoin d’assise juridique puisqu’ils existent
par eux-mêmes.
La place de la Déclaration, hors le corps même de la Constitution, a conduit à se poser la
question de sa valeur, opposant les tenants du caractère naturel de ces droits, et les tenants du
caractère positif.157

128 La valeur juridique : Même si aujourd’hui, la valeur juridique de la Déclaration des


droits de l’homme et du citoyen n’est plus objet de débat car elle revêt une valeur positive
constitutionnelle, il est important au regard de l’effectivité des droits fondamentaux, de
retracer cette lente évolution. En effet la valeur, la nature d’une norme, est déterminante dans
le processus de sa reconnaissance, mais également au regard de l’effectivité ou efficacité
qu’elle aura en pratique. Concernant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789, son inapplication et sa valeur restée symbolique durant près de deux siècles démontrent
l’importance que revêt la définition des normes en amont.
Cette Déclaration était appréhendée comme un catalogue de principes philosophiques, voire
comme ayant un caractère supra constitutionnel. La supra-constitutionnalité était défendue
sociologiquement par le fait que la Déclaration a été votée par une Assemblée constituante.
Trois degrés de normes non formalistes au sens kelsénien du terme, apparaissent : le premier
degré concerne les principes fondamentaux que les organes constituants ont l’obligation
positive de mettre en œuvre, le deuxième degré, concerne les règles d’organisation des
pouvoirs publics et le troisième degré, concerne l’action législative et réglementaire
considérée comme les règles dévolues au pouvoir constitué.

129 Ici, la distinction entre la valeur juridique au sens formel et la valeur juridique au sens
matériel n’était pas réalisée, car, dans le système normativiste au sens formaliste, il ne peut y
avoir de supra constitutionnalité. La supra constitutionnalité était donc déduite des principes

157
Idem p 246.

77
Finances publiques et droits fondamentaux

contenus dans la Déclaration, Georges Morange a d’ailleurs posé la question de savoir si cette
interprétation matérialiste n’était pas celle envisagée par l’Assemblée constituante 158.
Du fait de principes contenus dans la Déclaration « déterminant l’œuvre constitutionnelle »,
s’imposant au pouvoir constituant, ce dernier se trouverait lié, et, s’il y a liaison, il y a
supériorité de la Déclaration ; cette conception était celle de Léon Duguit. Il dénoua le
problème de la possible supériorité d’une Déclaration étant l’œuvre du pouvoir constituant et
pourtant s’imposant à lui, par le fait, que les principes émanant de la Déclaration ne sont pas
crées par le pouvoir constituant, mais « celui-ci se borne à les constater et à les proclamer
solennellement ». En ce sens, il rejoint Maurice Hauriou, à la différence que ce dernier a une
approche matérialiste « pure », considérant que ces principes contenus dans la Déclaration se
situent au-dessus de la Constitution écrite, ce texte recouvrant pour ce dernier, une légitimité
constitutionnelle qui serait supérieure à la Constitution écrite.159 Position à laquelle Georges
Morange n’adhère pas et que nous ne pouvons également retenir.
L’approche formelle et matérielle corrélative ne peut être retenue, il est nécessaire de
distinguer ces deux approches, selon l’approche formaliste, la valeur supra constitutionnelle
ne peut recevoir d’acceptation. Une distinction est à opérer entre la valeur juridique de la
Déclaration, déterminée par l’organe qui a pris cette Déclaration notamment, et sa valeur
intrinsèque, à savoir, la valeur des principes qu’elle contient. Il est à rappeler que l’approche
formaliste ne s’intéresse qu’au premier cas, l’autre concerne l’approche matérialiste.

130 Raymond Carré de Malberg, s’est penché sur la comparaison faite de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789 avec les lois constitutionnelles de 1875, laquelle
était considérée sans valeur juridique, il se penche notamment sur la valeur juridique qu’elle
aurait pu avoir lors de l’édiction de la Constitution de 1791. À savoir, sa valeur
constitutionnelle ou sa valeur dogmatique, du fait de l’énonciation de principes
philosophiques déterminants de la rédaction de la Constitution. Il a refusé la supra
constitutionnalité de la Déclaration, mais également la constitutionnalité en énonçant que :
soit « elle est partie intégrante de la Constitution de 1791 et, en ce cas, elle a disparu avec
cette Constitution », soit, elle n’a qu’une portée symbolique et aurait de ce fait « la portée
dogmatique d’une Déclaration de vérités philosophiques ». En définitive, pour lui, la

158
MORANGE (G) : « La valeur juridique des principes contenus dans la Déclaration des Droits », Revue de
Droit public, T. LVI, p 219 à 250.
159
Ibid

78
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

Déclaration ne peut avoir la portée d’un texte de droit positif, donc aucune valeur positive
définie.160
Historiquement, si l’on considère l’approche matérialiste qui a été faite de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen, la valeur constitutionnelle des principes qu’elle contient
pouvait être retenue selon Georges Morange. En effet, la précision de rédaction des articles
permettait de faire l’objet d’une application sans devoir être précisés par le législateur
ordinaire d’une part, et, d’autre part, la condition nécessaire à l’acquisition effective de la
valeur constitutionnelle ne pouvait se manifester que, par l’existence d’un contrôle de
constitutionnalité des lois par le juge. Cela, afin d’affirmer la supériorité de la Déclaration sur
l’œuvre législative et s’imposer à lui. Là résidait le problème d’un point de vue matériel, mais
également formel, et a perduré pendant presque deux siècles.

131 La protection et l’effectivité des droits de l’homme ne peuvent être réalisées qu’au
regard de la place de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen au sein de la
hiérarchie des normes. Ce qui, à l’époque, s’envisageait sous l’article 6 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen : « la loi est l’expression de la volonté générale » laissant
ainsi au législateur des pouvoirs très importants. Ce pouvoir exorbitant laissé au législateur a
longtemps freiné la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité permettant la garantie de
droits constitutionnellement protégés.161
Positivement, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen œuvre comme garantie ou
limitation à l’égard tant du pouvoir exécutif que législatif, mais comme nous l’avons rappelé,
sans contrôle de constitutionnalité, ces droits n’ont aucune juridicité, même en étant issus de
cette norme constitutionnelle.
Devant l’absence de juridicité de la Déclaration, le problème de sa valeur juridique fut
soulevé. On lui a reconnu au préalable la même valeur juridique que celle du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946, or, son contrôle comme celui du Préambule était hors de
portée du Comité constitutionnel. Par conséquent, sa portée restait symbolique et non
pratique. Ce ne sera que sous l’influence de la doctrine qu’il sera fait référence tant au
préambule qu’à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen par le biais de la
jurisprudence, et ce, seulement au XXe siècle.

160
MORANGE (G) : ibid.
161
WACHSMANN (P) : « Naturalisme et volontarisme dans la Déclaration », revue Droits n°2, 1985 p14 à 22.

79
Finances publiques et droits fondamentaux

Sa valeur juridique sera positivement reconnue préalablement, par le Préambule de la


Constitution du 4 octobre 1958 « Le peuple français proclame solennellement son
attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils
ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la
Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement
de 2004 ».

132 L’intégration de ce texte au bloc de constitutionnalité par la décision 71-44 DC du


Conseil Constitutionnel le 16 juillet 1971, lui a conféré valeur constitutionnelle. La mise en
place du contrôle de constitutionnalité a, dès lors, permis de rendre effective la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen et de l’ensemble des principes qu’elle contient, au gré du
développement de la jurisprudence. Cette force constitutionnelle a conféré un rayonnement
plus important à ce texte qui s’impose aux juridictions judiciaires et administratives, malgré
quelques références y ayant été faites, antérieurement à la consécration de la valeur
constitutionnelle de ce texte.162
Le style sobre et concis de ce texte, laisse une marge d’interprétation aux juges, pouvant
étendre et déduire des droits de principes établis, cela, nonobstant le fait que la Déclaration
soit un texte datant de 1789. Ainsi, le débat sur la nature de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen fut réactualisé, concernant la légitimité de ce texte comme une des
bases de référence du contrôle de constitutionnalité. Quelle interprétation doit-il recevoir ? La
conception que l’on a de ce texte détermine l’effort interprétatif qui doit être réalisé. Le
caractère positiviste de la Déclaration est essentiellement volontariste, le caractère déclaratif
prit dans le sens d’une constatation de l’existant, caractérise le courant jusnaturaliste.
Par conséquent, la légitimité de la Déclaration dans le cadre de son interprétation par le corps
judiciaire, trouverait sa véritable source dans le caractère naturaliste selon certains auteurs.
Selon cette conception, le volontarisme de 1789 ne peut se retrouver dans notre société
contemporaine, le caractère naturaliste revêt une immutabilité, alors que le volontarisme
tomberait en désuétude.163 Or, il semblerait qu’une autre conception puisse être opposée, ce

162
Arrêt du Conseil d’État : « Condamine » du 7 juin 1957, le Conseil d’État a contrôlé la légalité d’un décret
pour la première fois au regard des articles 8, 9 et 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La référence explicite fut faite par la décision 51 DC du 27 décembre 1973 Taxation d’office.
163
TROPER (M) : « Chapitre xx : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » extrait de
l’ouvrage : Pour une théorie juridique de l’État, PUF, Léviathan 1994.

80
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

caractère volontariste qui prévaut dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789, est volontariste, en ce qu’il est tourné vers l’avenir et impliquerait un caractère
transgénérationnel de la Déclaration.
Son caractère déclaratif, sa place hors du corps de la Constitution, amène plusieurs
questionnements ; celui des droits fondamentaux en tant que contenu juridique (ou pas)
autonome ? A contrario, leur existence et leur effectivité ne relèveraient-elles pas du fait que
ces droits seraient concédés par l’État ?

2° Une autonomie des droits fondamentaux?

133 La consécration tardive des libertés fondamentales a entraîné un questionnement : est-


ce que les libertés fondamentales sont du droit en tant que telles ? Le droit et la liberté ne
sont-ils pas antinomiques ?
La conception de Michel Villey,164à ce propos, est particulièrement incisive au regard de la
tendance contemporaine. En effet, pour lui « les droits de l’homme sont hors du droit », ils
n’ont aucune relation avec le droit ; ils tendent vers un idéal et sont le produit en quelque sorte
de l’imaginaire collectif. Il ajoutera même que cette corrélation voulue entre le droit, au sens
d’art juridique, tel que nous le connaissons, et la dénomination « droits de l’homme » est
dangereuse, car le droit dans sa conception romaine sur laquelle il se base, tient à l’unité du
lien unissant la collectivité qu’il vise à établir et maintenir. Or, vouloir faire entrer « les droits
de l’homme » dans la sphère juridique au sens strict, va condamner la société et l’atteindre
dans son unité, car cette reconnaissance des droits de l’homme va entrainer la reconnaissance
de droits subjectifs propres à chacun et, par delà même, détruire ce lien qui unit les hommes
permettant cette entité.
En définitive, l’individualisme alors créé détournera le droit de sa véritable fonction, et, ce à
quoi il tend, c’est une opposition franche entre une approche collectiviste du droit et une
approche individualiste. L’approche du droit de Herbert Hart dans son œuvre « The concept of

164
VIANGALLI (F) : « Les droits de l’homme sont-ils vraiment du droit ? L’Essence des droits de l’homme :
rêve de droit ou réalité ? du thomisme de Michel Villey au positivisme de H.L.A Hart », revue des droits et
libertés fondamentaux, 2011, chron. n °18

81
Finances publiques et droits fondamentaux

law », place hors du champ du droit, la morale et certaines règles qui n’étant pas placées au
sein d’une quelconque autorité publique, ne peuvent recevoir le qualificatif de droit. 165

134 Il est nécessaire de rappeler que, selon Hans Kelsen, le droit est un ordre juridique de
contrainte. Cela entendu que dans certaines situations, des actes de contrainte doivent être
réalisés afin que le droit soit garanti, ils sont la signification objective des actes qui permettent
le droit166. Par conséquent, la liberté ne se réalise ou n’existe que parce qu’existe un ordre
juridique de contrainte, autrement, il n’y aurait pas de liberté, car pas de contraintes pour
sanctionner les atteintes à ces libertés. Prévue théoriquement en amont, la contrainte ne se
matérialise en partie que par la mise en œuvre législative de ces droits et libertés.
Seul un droit mis en œuvre par la loi donc émanant de la volonté générale, permet l’existence
d’une sanction corrélative à la violation de ce droit.
La forme du texte de la Déclaration en ce qu’il est prescriptif, émane d’un acte de volonté et
repose sur la volonté générale, selon la conception kelsenienne du droit, or, le caractère de
sanction n’étant abordé, le texte en lui seul s’avère auréolé de flou.
Si l’on considère la conception du droit de Herbert Hart, le droit repose sur trois règles
essentielles qui sont : la continuité, c'est-à-dire que le droit subsiste même en l’absence de
l’autorité qui établit la règle de droit ; l’intériorité, à savoir la reconnaissance par l’ensemble
des citoyens de la nécessité d’organiser la vie sociale, et ce, par la production de règles qui
s’imposent à eux ; la persistance dans le maintien de la règle. La troisième règle caractérise en
quelque sorte la sécurité juridique, la confiance que peut avoir le citoyen dans le maintien de
la règle de façon durable.
Si l’on s’appuie sur cette position, nous pouvons considérer que les droits fondamentaux tels
que définis au sein de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, constitueraient du
droit, or ils constituent du droit au sens où l’entend Herbert Hart, seulement à la période
contemporaine par la constitutionnalisation de la Déclaration, donc par son intégration dans
un instrument juridique contraignant.
Sa dénomination « déclaration » n’a pas permis de rattacher ce texte à une norme juridique
existante, notamment à la Constitution, de plus en étant indépendante du corpus, cela n’a pas
permis de lui reconnaitre la force juridique qu’elle n’a acquise en pratique que tardivement.

165
VIANGALLI (F) : ibid.
166
KELSEN (H) : Théorie pure du droit ; traduit par Charles Eisenmann, éd. Bruylant LGDJ, collection la
pensée juridique, 1962, p 51 et s.

82
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

Son « indépendance » au regard de la Constitution n’est-elle pas caractéristique d’une


autonomie propre aux droits fondamentaux ?

135 Les droits fondamentaux n’ont pas été intégrés dans le corpus de la Constitution
comme dans toutes les démocraties modernes, ainsi se pose la question d’une autonomie
possible.
Cependant, nous ne pouvons adhérer à cette conception d’autonomie des droits fondamentaux
au regard de l’État, car, qu’il s’agisse du fondement, de l’existence, de la garantie ou de
l’effectivité, les droits fondamentaux sont dépendants de l’État au sens large du terme.
En effet, il permet leur garantie, leur effectivité, et leur existence est immanente à l’existence
d’un État démocratique. Hans Kelsen, ne leur a reconnu aucune autonomie, mais les
appréhende comme une sous-catégorie normative, si les droits fondamentaux sont pris dans
un sens subjectif.
Comment comprendre que les droits fondamentaux sont symboliquement les mieux
représentés par la France, alors que nous sommes parmi les premiers États condamnés par la
Cour européenne des droits de l’Homme avec la Russie.

B. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou la liaison État-loi-


droits fondamentaux

136 L’analyse précédente nous permet de conclure à une interdépendance de l’État et des
droits fondamentaux en ce que les droits fondamentaux peuvent être appréhendés comme une
concession de l’État (1) mais alors, comment l’État, ordre juridique de contrainte, peut-il
concéder une liberté ? (2)

1° Les droits de l’homme comme concession de l’État

137 Intrinsèquement liés à l’État démocratique, les droits fondamentaux ont besoin d’un
cadre pour exister au sens de validité, d’effectivité et de garantie.
La rédaction des articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen amène à cette
analyse, l’article 4 de la Déclaration renvoie à la liberté en son acceptation généraliste, mise
en œuvre par la loi donc, par un pan de l’État ; bien que définie négativement, c'est-à-dire que
l’État n’a pas à intervenir, si ce n’est pour sanctionner une quelconque violation de cette

83
Finances publiques et droits fondamentaux

liberté. La notion d’État de droit au sens d’État démocratique, trouve ses bases dans cet
article.
L’article 5 de la Déclaration est rédigé en écho à l’article 4 car il détermine le domaine de la
loi. L’article 6 de la Déclaration par le biais du principe d’égalité devant la loi, semble irradier
tout le texte de la Déclaration. Le devoir d’obéissance à la loi par chaque citoyen est défini
dans l’article 7, la loi pénale particulièrement, qui protège le citoyen, mais qui peut également
le punir en cas de désobéissance ou de résistance. Ici, est alors abordée la relation entre la loi
pénale et la protection des droits fondamentaux. Le respect des droits fondamentaux est ainsi
garanti de façon transversale envers et contre tous les corps de l’État. Les articles 8 et 9
établissent le principe de légalité des délits et des peines, de la nécessité, de la non-
rétroactivité de la loi pénale et de la proportionnalité des peines aux délits commis, selon la
théorie de Beccaria. Ces articles déterminants dans la protection et la garantie des droits
fondamentaux sont consacrés par la Déclaration.167
Si l’on s’appuie sur une division tripartite de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen nous constatons que les articles 1 à 4 définissent le cadre politique, l’ordre sur lequel
doit reposer l’État, les articles 4 à 9 définissent l’objet de la loi, et les articles 10 à 17
concernent surtout les droits fondamentaux. La relation d’interdépendance de l’État et des
droits fondamentaux est traduite ici.
En effet, selon cette analyse nous pouvons énoncer que dans un ordre juridique étatique
déterminé, les droits fondamentaux sont mis en œuvre par la loi. La loi apparait dans ce
contexte comme le lien entre l’État et les droits fondamentaux ; la loi comme instrument de
l’État permet la diffusion des droits fondamentaux. Dans cette optique, la loi est le lien
nécessaire qui découle de l’un et est au service de l’autre.
Situation ou constatation paradoxale, quand nous savons que la Déclaration énonce des
libertés afin que le citoyen puisse se défendre contre l’État.

138 La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen définit une nouvelle gestion de
l’État à tous niveaux, politique, économique et réintroduit le citoyen comme base de l’État.
Selon l’article 16 « Toute société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la
séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution » ;il est fait référence ici au

167
LETERRE (T) : « commentaire hypertexte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » site
thierryleterre.free.fr/spip.php

84
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

principe de la séparation des pouvoirs de Montesquieu et à la garantie des droits


fondamentaux en parallèle, selon cette rédaction deux conditions ou fondements sont
nécessaires à l’existence d’un État, car la Constitution est l’acte de naissance de l’État : la
garantie des droits et la séparation des pouvoirs.
Par conséquent, l’interdépendance de ces deux notions est manifeste, une société, donc « un
vivre ensemble », ne peut se réaliser que dans le respect des droits fondamentaux, afin de
créer une unité, une société. Les droits fondamentaux apparaissent comme moyen de créer
une entité qu’est la société. Inversement, la conception du pouvoir est divisée en trois
branches, afin d’éviter la dérive totalitaire. Il y a d’un coté, la désolidarisation de l’unité
étatique par la séparation des pouvoirs, et de l’autre, la création de l’unité par le biais des
droits fondamentaux permettant la société qui représente in fine, une entité à part entière.
Ériger égalitairement l’entité sociétale, par le biais des droits fondamentaux et de l’entité
étatique, ou, implicitement ériger supérieurement l’entité sociétale fondamentale afin que
l’entité étatique sans lui être soumise, devienne un moyen à son service.

2° Comment concevoir qu’une liberté puisse être concédée par l’État ?

139 La liberté est le pendant d’une contrainte, sans contrainte il ne peut exister de liberté,
car l’une induit l’autre dans une société démocratique.
Selon Hans Kelsen168, il est à différencier la liberté conférée par l’ordre juridique à l’individu
en tant qu’il ne lui interdit pas une conduite déterminée, c’est ainsi une liberté « négative » et
la liberté que l’ordre juridique lui confère positivement. Positivement, l’ordre juridique
prescrit une conduite en tant qu’il attache à la conduite opposée une sanction par un acte de
contrainte. Négativement, il énonce une conduite qu’il ne défend pas, car il n’attache pas de
sanction à la conduite opposée. Dès lors, la liberté, qui est laissée à un individu négativement,
car l’ordre juridique ne l’interdit pas, ne peut être garantie par cet ordre que dans la mesure où
des actes qui empêcheraient cette liberté seraient défendus. Ceci est la condition pour qu’une
conduite négativement permise soit du droit. Celles des conduites au sens négatif, qui ne
seraient pas défendues, donc permises du fait de l’inexistence d’interdiction d’actes qui
empêcheraient sa réalisation, sont garanties par l’ordre juridique parce qu’il prescrit le non-
empiètement par les autres individus qui en adoptant la même conduite interféreraient, dans

168
KELSEN (H) : op.cit, p 33.

85
Finances publiques et droits fondamentaux

cette même sphère de liberté. Il est à noter que dans ce cas, et dans ce seul cas, où une
conduite négativement permise, car non défendue entre dans la sphère juridique, est ainsi
garantie par l’ordre juridique, car là, elle constitue un droit.169

140 La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce des libertés au statut
négatif, ce qui est communément dénommé : « droits-libertés » L’État n’intervient qu’en cas
de violation de cette liberté, pour exemple l’article 10 de la Déclaration : « Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas
l’ordre public établi par la loi. »170 Les Constitutions d’États modernes consacrent toutes des
droits et libertés fondamentaux, ce que Hans Kelsen appelle « Grundund Freiheitsrechte »,
droits qu’il range dans la catégorie des droits politiques, comme l’égalité devant la loi, la
liberté d’association, la propriété, la liberté de conscience, d’opinion. Ces droits sont pour lui
des garanties constitutionnelles. Selon l’auteur, ces libertés ne doivent pas être analysées
comme créant des droits au profit des individus, mais plutôt comme des remparts à
l’empiètement du pouvoir, en interdisant à l’organe législatif d’édicter des lois qui viendraient
à l’encontre de ces libertés. Cela entendu, non comme une obligation au sens de prescription à
l’encontre du législateur, mais comme une obligation négative, car une loi édictée, qui irait à
l’encontre de ces libertés pourrait se voir annulée pour inconstitutionnalité. 171 C’est en cela
que l’outil constitutionnel, par le biais de la technique de constitutionnalisation, permet la
garantie des droits fondamentaux, car en les situant au niveau hiérarchique plus élevé, il
permet ainsi, d’annuler des lois qui y contreviendraient. Par conséquent, ces libertés
constitutionnellement protégées constitueraient en quelque sorte un contre-pouvoir ou du
moins une limitation du pouvoir en place.
D’où l’importance de la constitutionnalisation des droits et libertés, afin de limiter ou
d’induire l’action de la compétence législative par leur position normative supérieure. Les
droits et libertés constituent des normes juridiques supérieures à la loi, émanant de la norme

169
KELSEN (H) : idem p 49 à 51. L’auteur d’ajouter qu’à l’inverse, une conduite qui ne serait pas défendue, qui
ne trouverait aucune obligation ou interdiction envers les autres individus d’adopter ou de ne pas adopter une
telle conduite contraire, soit parce qu’elle n’a aucune incidence sur les libertés d’autrui soit qu’elle en ait, mais
ne soit pas « sanctionnée » car non prise par le droit, ne peut donner lieu à un droit. De même, l’auteur précisera
que l’individu sera toujours assuré d’un minimum de liberté au sens de non liaison par le droit, même sous un
régime totalitaire car techniquement, le droit ne peut régler positivement la totalité des conduites humaines.
170
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, site www.conseil-constitutionnel.fr
171
KELSEN (H) : Théorie pure du droit ; op.cit. p 145.

86
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

constitutionnelle, refusant ou posant des normes qui défendent aux individus telle ou telle
action, par exemple une loi prescrivant l’exercice d’un culte dans certaines conditions.
La constitutionnalisation était nécessaire afin d’accorder une valeur juridique à ce texte,
comme nous l’avons déjà énoncé, sa présence hors du corps de la Constitution, a eu des
conséquences sur l’effectivité de ces droits et libertés.

141 La constitutionnalisation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et des


libertés qu’elle contient a permis leur entrée dans la sphère juridictionnelle. Ce texte passe
d’une conception idéaliste à une réalité, de la symbolique à la pratique, donc de leur positivité
pleine et entière. La mise en place du Conseil constitutionnel comme garant de ces droits et
libertés, par le biais du contrôle des lois au regard du bloc de constitutionnalité a priori et
depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 par la question prioritaire de
constitutionnalité, permet de garantir ces droits. Les justiciables peuvent dès lors contester la
conformité à la Constitution d’une loi déjà promulguée comme portant atteinte aux droits et
libertés fondamentales que la Constitution garantit. Cette procédure est prévue par l’article
61-1 de la Constitution et constitue un droit reconnu au justiciable qui permet, lors d’un
procès ou d’une instance en cours, de soulever cette question qui, après le filtre exercé par le
Conseil d’État ou la Cour de Cassation, renvoie ou pas cette question devant le Conseil
Constitutionnel qui pourra, le cas échéant, prononcer l’abrogation de ladite loi.
En conséquence, ces droits et libertés fondamentaux constitutionnellement garantis, ici par le
biais de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, constituent également des droits
subjectifs. Car, selon Hans Kelsen, un droit fondamental constitutionnellement garanti ne peut
constituer un droit subjectif, seulement dans le cas où une procédure est prévue par l’ordre
juridique afin de permettre aux individus subissant les effets de cette loi inconstitutionnelle de
déclencher une procédure afin de permettre l’annulation de cette loi. Dans ce cas, le droit
subjectif est crée, sachant précise l’auteur, que ce n’est pas un droit subjectif au sens
technique dans la mesure où il ne permet pas de faire valoir l’inexécution d’une obligation
juridique.172 Ce que Hans Kelsen appelle l’actio popularis est la fonction de la question
prioritaire de constitutionnalité. Le justiciable peut invoquer lors d’un procès ou d’une
instance en cours, la méconnaissance par une loi des dispositions de la Déclaration. De valeur
symbolique, elle revêt aujourd’hui une double portée pratique en ce qu’elle limite la

172
Idem p 148.

87
Finances publiques et droits fondamentaux

possibilité d’édicter des lois allant à l’encontre des libertés qu’elle proclame, mais également
l’invocabilité de cet instrument par le justiciable pour la défense de ses droits et libertés.
La référence également aux droits et libertés par les juges administratifs et judiciaires a
permis d’apporter à la théorie, la praxis, et donc l’effectivité.
Cela, parallèlement aux droits reconnus par la Convention Européenne des Droits de
l’Homme, qui, par le biais d’une Cour Européenne, a permis de garantir leur respect, les
droits de l’homme ainsi consacrés par cet instrument sont effectifs au sein de l’ordre
juridique.
Aujourd’hui, nous pouvons considérer que la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, la Convention européenne des droits de l’Homme et la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen constitutionnalisée, ont permis que certains droits soient « sortis de
l’idéal pour se muer en instruments positifs », car invocables devant les juridictions.173

142 C’est au niveau des droits-créances et des droits-garantis que l’action positive de l’État
est nécessaire, voire indispensable174. Les droits-créances et les droits-garantis émanent de
l’État qui en est le principal acteur, et le citoyen, le récepteur de ces droits. Cependant, la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, consacre seulement les droits-libertés. Les
droits-créances seront consacrés dans le Préambule de la Constitution de 1946.
Il est évident aujourd'hui que les droits fondamentaux sont concédés par l’État, ordre juridique
de contrainte même concernant les droits-libertés, car ils induisent une action négative de
l’État, sa non-intervention, si ce n’est pour sanctionner leur violation. Cela déduit du fait, que
ce n’est que parce que nous sommes en présence de la contrainte au sens juridique du terme,
donc de sanctions, que la liberté existe au sens où elle peut se manifester en tant que telle.
Or, l’activité juridictionnelle dans son ensemble, à tous les niveaux, de la police aux
jugements et à l’exécution de ceux-ci, constitue le service public de la justice, qui est financé
par l’État au moyen des finances publiques.
Par conséquent, les finances publiques interviennent dans l’effectivité des droits
fondamentaux, d’où une inévitable imbrication d’une part et d’autre.

173
VIANGALLI (F) : « les droits de l’homme sont-ils vraiment du droit ? L’Essence des droits de l’homme :
rêve de droit ou réalité ? du thomisme de Michel Villey au positivisme de H.L.A Hart », revue des droits et
libertés fondamentaux, 2011, chron. n °18.
174
Ce que nous aborderons dans la partie 2 au titre 1 er

88
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

Si on considère les droits fondamentaux comme une concession de l’État, permettant leur
effectivité, nous reconnaissons l’indéniable imbrication des droits fondamentaux et des
finances publiques ; ce que l’analyse historique va corroborer.

II. LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN COMME ASSISE DES


FINANCES PUBLIQUES

143 L’imbrication des finances publiques et des droits fondamentaux se fait à plusieurs
niveaux. Tout d’abord, selon une approche juridique, ils possèdent le même texte de base au
niveau national, les mêmes références et recouvrent la même valeur juridique.
Selon une autre perspective, politique, le budget qui est un acte politique dans ses effets, ne
trouve dans notre société contemporaine, sa légitimité que s’il vise à promouvoir dans une
certaine mesure les droits fondamentaux, par son orientation, donc truchement la politique qui
le sous-tend. Cependant, comment comprendre l’introduction des finances publiques dans un
texte qui consacre les droits fondamentaux ? (A) Et quelle influence concrète a eu la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur le droit public financier ? (B)

A. Pourquoi l’introduction des finances publiques dans un texte sur les


droits fondamentaux?

144 Le Tiers État supportait presque seul le paiement d’impôts, la répartition était très
inégalitaire envers les trois classes, la classe la plus pauvre supportait leur quasi-totalité. La
levée des impôts s’avère de plus en plus difficile à réaliser, l’État est au bord de la
banqueroute.
En juin 1789, les États généraux s’instituent « Assemblée Constituante », la notion du
consentement à l’impôt est au cœur des débats et se situe au centre de l’œuvre qu’ils
s’apprêtent à rédiger. C’est ainsi que des principes financiers verront le jour au sein de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le 26 aout 1789. Deux facteurs expliquent
l’incursion des finances publiques au sein de la Déclaration : les finances publiques, en ce
qu’elles ont porté atteinte aux droits fondamentaux par le biais de l’impôt, furent le levier des
révolutions (1) d’une part, paradoxalement, d’autre part, c’est par la levée des impôts que le
Parlement s’est octroyé le pouvoir de faire des lois (2) afin de protéger les droits
fondamentaux.
89
Finances publiques et droits fondamentaux

1° Les finances publiques : leviers des révolutions

145 Les révolutions anglaise, américaine et française ont en commun qu’elles ont pour
facteur déclenchant les finances publiques et plus spécifiquement, le principe du
consentement à l’impôt. C'est pourquoi les crises des finances publiques ont été la base de
revendications libertaires, du soulèvement des peuples. Les finances publiques sont donc liées
de facto aux droits fondamentaux. La Révolution française a inventé la notion actuelle
d’impôt et mis en place les principes fiscaux afférents.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a consacré au sein des articles 13, 14 et
15, trois principes qui seront le socle de la légitimité fiscale et permettra ainsi aux
contribuables de sortir de l’arbitraire.
L’impôt devait être décidé par le peuple ou par ses représentants, le rapport de force s’inscrit
alors entre le souverain et les membres de l’Assemblée concernant la détention du pouvoir
fiscal. Cependant, les révolutionnaires de 1789 se sont essentiellement préoccupés de l’impôt
quant à sa décision, son montant et sa levée. Ils ne se sont pas penchés semblerait-il, sur les
dépenses publiques, leur utilisation ne couvrant pas autant de domaines que ceux couverts
aujourd’hui. En effet, le choix des dépenses publiques fut laissé au souverain. Il est à noter
que les revendications révolutionnaires furent essentiellement fondées en matière de finances
publiques sur l’injustice fiscale dans la création des impôts, et au regard de la population
touchée par ceux-ci, mais moins sur la répartition des recettes. Ce peut être une première
analyse, la seconde, est que le pouvoir législatif, appartenant au peuple ou à ses représentants,
leur permet de facto de décider, eux-mêmes, de la création de nouveaux impôts, de s’arroger
ce droit par l’octroi du pouvoir législatif.

146 Par le biais de l’inscription de ces principes concernant l’impôt, les révolutionnaires,
opéraient une limitation du pouvoir royal en limitant le pouvoir fiscal.
Le pouvoir financier est ainsi morcelé entre d’une part l’exécutif en la personne du souverain,
qui détiendra la décision de la dépense publique et d’autre part, l’Assemblée avec le pouvoir
de création et les modalités de définition de la levée de l’impôt.
Le facteur politique est important, car c’est par lui, que se met en place un régime
parlementaire démocratique, même si l’Assemblée ne détient qu’une partie du pouvoir
financier.

90
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

2° La levée de l’impôt ou l’octroi du pouvoir législatif par le Parlement

147 Historiquement, c’est du pouvoir de lever l’impôt que le Parlement a obtenu le pouvoir
de faire des lois. Là est l’apport majeur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
en posant les bases du parlementarisme par le biais de l’impôt. Juridiquement, le pouvoir
législatif, pouvoir d’édicter des lois, en permettant la mise en œuvre et le respect des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, provient du pouvoir que s’est octroyé le Parlement en
matière fiscale.
Comme l’énonçait le Doyen Vedel, l’impôt est « chose de l’homme et approche de
l’homme », en effet, la notion d’imposition ne peut être différenciée de l’homme, elle est
corrélative à sa coexistence sociale et au fondement de la société et de l’État. C’est ainsi que
le Doyen Vedel choisira un passage de l’ouvrage de Pierre Beltrame et Lucien Mehl qui
énonce : « Sans doute est-il erroné, du point de vue économique, de regarder l’impôt comme
un prix. Mais du point de vue politique, l’impôt apparait bien comme le prix de la liberté. »175
La doctrine des droits fondamentaux ne peut qu’intégrer la notion d’impôt, car dans la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’impôt n’est plus considéré comme une
charge, mais comme octroyant une liberté par l’emploi des ressources des citoyens.

148 L’analyse de ces trois principes relatifs aux finances publiques peut être abordée
épistémologiquement. Ainsi, l’article 13 en ce qu’il énonce : « Pour l’entretien de la force
publique, et pour les dépenses d’administration une contribution commune est indispensable.
Elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés »176. Si on
analyse la première proposition, l’impôt n’est plus une charge, mais une contribution, c’est
une concession que fait le contribuable citoyen à l’État, de façon volontaire, dans un but
d’intérêt général, à savoir l’armée historiquement, qui permet sinon la défense contre
d’éventuelles ingérences, du moins la garantie du maintien des droits fondamentaux et de la
paix. Par conséquent, la contribution est indispensable au maintien des libertés par une action
négative de l’État. Concernant les dépenses d’administration, le constat est similaire, l’utilité

175
VEDEL (G) : Chronique bibliographique, comptes rendus d’ouvrages, Lucien Mehl, Pierre Beltrame, Science
et techniques fiscales, collection Thémis, PUF, Paris, 1984, 786 pages in RFFP n ° 9 « l’entreprise et l’impôt » p
246.
176
La seconde proposition sera abordée dans le B.

91
Finances publiques et droits fondamentaux

de la contribution s’apprécie afin de maintenir les administrations nécessaires à la vie de


l’État, du citoyen, dans une société organisée.
Ici encore, il est possible de faire le lien entre les finances publiques et les droits
fondamentaux.

149 L’article 14 de la Déclaration énonce : « Tous les citoyens ont le droit de constater par
eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique ; de la
consentir librement; d’en suivre l’emploi, d’en déterminer la quotité, l’assiette, le
recouvrement et la durée. », cet article est le plus révélateur de la conception de l’impôt
liberté ; le citoyen constate la nécessité de l’impôt, est acteur de sa mise en œuvre, il n’est
plus passif. Il est face à l’évidence de la nécessité qui s’impose à lui, il la consent librement,
c’est de sa volonté propre que sera créé l’impôt, ou par les élus chargés de le représenter ; il
en a la maîtrise totale puisqu’il en détermine ses modalités. C’est la naissance du
consentement à l’impôt.
La nécessité de la contribution publique est considérée comme un devoir de la part du citoyen.
Thierry Leterre énoncera à ce sujet qu’il s’agit d’un détournement psychologique dans
l’approche d’une charge, « un tour technique (…) qui aboutit à un droit à la liberté. D’où ce
curieux renversement, selon lequel l’impôt est une forme concrète de liberté. »177
L’impôt est, dans la Déclaration, une liberté, et ainsi le moyen au service de l’épanouissement
d’autres libertés.
Nous soulignerons que la notion d’impôt a été ici remplacée par la notion de contribution ;
étymologiquement, l’impôt a été une adaptation du mot latin impositum,« qui est imposé »,178
alors que contribution vient du latin contributio « action de contribuer à quelque chose, part
apportée à une œuvre ou à une dépense commune.»179 Il y a donc un renversement de
perspectives, car ce qui était une obligation, une exigence par le biais de la force, devient une
liberté, un acte de volonté propre à l’homme d’apporter au « vouloir-vivre ensemble ».
Comme le soulignait Laferrière, « un peuple libre n’acquitte que des contributions, un peuple
esclave paie des impôts »180 ou selon José Casalta Nabais « (…) l’impôt ne peut pas être

177
LETERRE (T) : « commentaire hypertexte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » site
thierryleterre.free.fr/spip.php
178
Dictionnaire Le Robert historique de la langue française, site http://historique.fracademic.com
179
Dictionnaire Larousse en ligne site www.larousse.fr
180
LAFERRIERE (MF) : Histoire du droit français, Tome second, Paris, Joubert, libraire-éditeur, 1838, p 42.

92
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

observé, ni comme un simple pouvoir par l’État, ni comme un simple sacrifice par les
citoyens, mais d’abord comme la contribution indispensable à une vie en commun et prospère
de tous les membres de la communauté organisée en État »181

150 L’article 15 de la Déclaration énonce « la société a le droit de demander compte à tout


agent public de son administration », dans cet article, le citoyen est placé comme contrôleur
de l’action de l’administration, de l’emploi de ses deniers.
Il ne subit plus la pression financière de l’État, il la décide, la contrôle et la gère. Le texte de
la Déclaration place le citoyen au cœur du processus étatique, acteur et décideur. Véritable
texte démocratique, les révolutionnaires ont voulu un renversement de perspectives, il n’y a
plus de rapport de force avec l’exécutif représenté par le souverain, il y a une mise en avant de
l’Homme dans sa liberté et les modalités de son organisation, place centriste de l’Homme. Ce
qui est corroboré par la notion de citoyen, définit comme celui qui obéit à des lois et non à un
homme182; cette notion est puisée dans la conception grecque de la cité.

151 L’impôt et le vote sont des prérogatives intrinsèques à la notion de citoyen : « Tous les
citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la
contribution publique (…) » ainsi, est rédigée la première proposition de l’article 14 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Cependant, le suffrage était censitaire, malgré les interventions de Maximilien Robespierre,
qui estimait le suffrage censitaire comme une atteinte aux principes mêmes de la Déclaration.
Ce type de suffrage conditionne le droit de vote au paiement d’une contribution en sus du
respect des conditions d’âge et de propriété. Trois catégories furent mises en place, la
première consiste en l’acquittement d’une contribution égale à trois journées de travail afin
d’être électeur, la deuxième concerne les conditions d’éligibilité aux assemblées primaires et
la troisième, la possibilité d’être éligible à l’Assemblée Nationale où la contribution s’élevait
à un marc d’argent, à laquelle s’ajoutait, la qualité de propriétaire foncier. Robespierre s’est
insurgé contre ce décret dit du « marc d’argent » : « J'examine donc avant tout si vous avez le
profit d'exiger que les électeurs payent une contribution plus forte que celle que vous avez
décrétée, et je dis que non ; pourquoi ? Parce que vous ne pouvez pas porter atteinte vous-
mêmes à la garantie de la liberté, de la justice, de la Constitution, parce que vous ne pouvez

181
NABAIS (J C) : O dever fundamental de pagar impostos, Coimbra : Almedina, 1998, P185.
182
Droits de l’homme et du citoyen site www.aix-mrs.iufm.fr

93
Finances publiques et droits fondamentaux

pas, de la manière la plus formelle et la plus évidente, effacer ces principes fondamentaux de
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que vous avez reconnue comme la base de
votre Constitution183. »

152 La qualité de citoyen qui était désigné comme « passif » ou « actif », suivant le
montant de la contribution qu’il pouvait verser. Sa participation plus ou moins importante à la
détermination de « la chose publique » était dans une optique complètement inverse à celle
prédominante au sein de la Déclaration.
Face obscure de cette période où les principes énoncés dans la Déclaration n’ont pas encore
une portée transversale.
Ce que nous pouvons constater, c’est que le vote et l’exercice de la liberté d’opinion et
d’expression étaient conditionnés par le paiement d’une contribution. Cette contribution
octroyait des droits mais les limitait également. Le problème se posait donc en termes
d’universalité des droits, des droits inconditionnels.
Cette analyse démontre à nouveau le lien intrinsèque historique de l’impôt, ou contribution,
avec les droits fondamentaux. En 1795, il faudra acquitter « une contribution directe, foncière
ou personnelle », il y aura par la suite un assouplissement des conditions nécessaires afin de
revêtir la qualité de citoyen. Avant que le suffrage universel soit établi, nonobstant cette
contribution, la citoyenneté est soumise à une contribution financière.184
Cependant, le rayonnement de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen aura des
conséquences majeures sur la construction du droit fiscal et financier tel que nous le
connaissons aujourd’hui.

B. L’influence de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur le


droit public financier.

153 Après avoir étudié le corps de la Déclaration dans son articulation entre les différentes
libertés et principes consacrés, une analyse plus financière tentera d’être apportée. Deux

183
ROBESPIERRE (M) : Discours à l’Assemblée Constituante le 25 janvier 1790, site www.assemblee-
nationale.fr le discours portait sur la nécessité de révoquer le décret dit du marc d’argent et toute contribution
nécessaire au droit de vote, comme étant contraires aux principes énoncés dans la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen.
184
CAUDAL (S) : « L’apport des textes révolutionnaires au droit financier et fiscal », in Constitution et finances
publiques, Mélanges en l’honneur de Loïc Philip. Paris, économica 2004, p 349 à 350.

94
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

apports majeurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen au droit public


financier : la consécration de principes majeurs du droit fiscal (1) et le rayonnement de la
Déclaration sur les principes budgétaires (2).

1° La consécration de principes majeurs du droit fiscal

154 Les principes fiscaux sont posés avec la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, apportant ainsi des garanties pour les contribuables. C’est sur ces bases, sur ces
principes fiscaux que va se construire le droit fiscal dont le principe le plus éminent, sa pierre
angulaire, est le principe du consentement à l’impôt. La période révolutionnaire est riche
d’enseignement et de construction du droit financier dans son ensemble, malgré le peu
d’études réalisées en matière budgétaire notamment.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacre définitivement les garanties du
contribuable en matière fiscale. Des principes majeurs sont posés : le principe d’égalité devant
l’impôt, le principe de nécessité, de proportionnalité et celui du libre consentement à l’impôt.
Ces principes sont posés aux articles 13 et 14 de la Déclaration, auxquels il faut ajouter
l’article 6 qui prévoit le principe de l’égalité également et notamment en matière fiscale, et
l’article 15 qui prévoit un principe de contrôle par les citoyens de l’emploi des deniers
publics. L’article 13 de la Déclaration énonce le principe d’égalité devant l’impôt, en écho à
l’abolition des privilèges en matière fiscale, ce principe consacre la proportionnalité devant
l’impôt « (…) elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs
facultés », cette formulation en ce sens de progressivité sera abandonnée dans la Constitution
de l’an I, car trop sujette à controverses, malgré la ferveur de Robespierre : « les contributions
sont en raison progressives des richesses »185. Ce principe sera surtout celui de la
proportionnalité. L’égalité devant la loi fiscale en sus de la loi « générale » est consacrée à
l’article 6 de la Déclaration.

155 L’article 14 de la Déclaration est le plus grand principe budgétaire et fiscal consacré
dont la portée et l’influence seront immensurables ; il concerne le principe du libre
consentement à l’impôt, la légalité fiscale, Loïc Philip dira à ce propos « ces principes de
valeur constitutionnelle sont presque tous issus directement ou indirectement de l’article 14

185
Idem, p 352.

95
Finances publiques et droits fondamentaux

de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui réaffirme solennellement le


principe du consentement des citoyens ou de leurs représentants à l’impôt. »186
Ce principe consacre également le principe de nécessité de l’impôt « (…) la nécessité de la
contribution publique (…) » en parallèle avec l’article 13 « (…) une contribution commune est
indispensable (…) ». L’impôt est indispensable à la couverture des dépenses publiques.
L’article 15 prévoit le suivi, le contrôle par le citoyen, des dépenses de l’administration, or, ce
sont les juridictions qui contrôlent les comptes et non le Parlement, ni le citoyen, alors, n’y
aurait-il pas un détournement des principes appartenant au citoyen en tant que tel ?

2° Le rayonnement de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur les


grands principes budgétaires

156 La nécessité de contrôler la dépense publique conduit les premiers Parlements qui la
votaient, à décider de créer des principes budgétaires. Ont-ils été créés en même temps ?
Pourquoi leur création ? Autant de questions qui, nous essayerons de l’analyser, ressortent de
la période révolutionnaire ou pas, car à cette époque, on ne pouvait réellement parler de
budget.
Sous la Constituante, des tentatives de vote eurent lieu, mais elles se soldèrent par des échecs,
car la réorganisation totale de l’État ne lui permit pas de se pencher dans le détail, sur la
notion et les modalités du budget, et ce, jusqu’au Directoire. Alors que la Constituante avait
prévu un vote des dépenses par ministères, il lui était ardu d’évaluer le coût des services
publics qu’elle mettait en place et les rendements prévus. Le budget, à cette époque, se
présente en bloc, avec une évaluation des dépenses en seulement deux parties et les recettes
n’y sont pas détaillées, car le recours aux assignats est envisagé.187

157 Au nombre des grands principes budgétaires se trouvent celui d’annualité, d’unité, de
spécialité, d’universalité, et de sincérité, ce dernier étant récent.
La plupart des auteurs s’accordent sur un point majeur, à savoir, l’article 14 de la Déclaration
induit des principes qui sont nés non en même temps que celui-ci, mais qui en découleront
nécessairement dans les Constitutions qui suivirent. L’émergence de ces principes s’est faite

186
PHILIPP (L) : Les fondements constitutionnels des finances publiques, collection Finances publiques, poche,
économica, 1995, p 5.
187
CAUDAL (S): op.cit. p 362.

96
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

par le prisme de l’article 14 de la Déclaration. Selon Gilbert Orsoni et Céline Viessant, du


principe de nécessité de l’impôt et de la possibilité ainsi conférée par l’article 14 de consentir
aux dépenses publiques est née la « nécessité » de créer des principes budgétaires par les
parlementaires : « pour faciliter le contrôle de l’utilisation de l’impôt, les parlementaires ont
instauré des techniques financières qui concernent la présentation du budget, son
approbation et son exécution, son renouvellement périodique et son contenu » 188
Le principe « sous-entendu » par l’article 14 de la Déclaration serait le principe d’annualité
budgétaire « (…) d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée »

158 Le principe d’annualité consiste en la possibilité pour le Parlement de voter le budget


chaque année et pour l’année. Ce budget, devant ensuite être exécuté dans l’année par le
Gouvernement. Ce principe est « posé » dans la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789, mais de façon vague, ce droit des citoyens de déterminer la durée des
contributions s’appliquera dans la Constitution de 1791, au sein de son article 1er. La plupart
des Constitutions qui vont suivre appliqueront ce principe189 qui est formellement établi
aujourd’hui également, dans la Loi organique relative aux lois de finances du 1er aout 2001
(ci-après dénommée LOLF) en son article 1er « les lois de finances déterminent pour un
exercice, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État »,
« l’exercice s’étend sur une année civile ». Le principe de l’annualité budgétaire est ainsi
appréhendé comme le corollaire nécessaire du principe du consentement à l’impôt. Il est
possible de plus, de constater que ce principe trouve sa justification dans son but, à savoir
permettre le contrôle des finances de l’État par le Parlement, l’annualité permet un contrôle
plus aisé de l’utilisation de l’impôt, ce que ne permettrait pas une pluri-annualité. L’annualité
budgétaire induit de plus, la production par les administrations des comptes sur l’année afin
qu’ils soient vérifiés par les instances nommées à cet effet.
Ce qui nous renvoie à l’article 15 de la Déclaration : « la société a droit de demander compte
à tout agent public de son administration », la régularité de gestion des administrations pourra
être appréciée. Les limites apportées à ce principe sont strictement encadrées afin que ce

188
ORSONI(G), VIESSANT(C) : Eléments de finances publiquesEconomica, collection « finances publiques »,
2005, pages 29 et suiv.
189
La Constitution de 1791, en 1814 repris par la loi du 25 mars 1817, ce principe est formulé de manière à ce
que les contributions ne puissent subsister au-delà d’un an.

97
Finances publiques et droits fondamentaux

principe du consentement à l’impôt ne soit pas dénaturé et ne tombe pas en désuétude, auquel
cas, il serait laissé place à l’arbitraire.
Les dérogations au vote et à l’exécution des crédits sont de simples aménagements au principe
de l’annualité budgétaire. Fortement encadrées, les dérogations actuelles sont : la loi de
finances rectificative, les autorisations d’engagement et les crédits de paiement, concernant
l’exécution du budget : les crédits de report.190
La loi de finances rectificative est prévue à l’article 35 de la LOLF, cet article énonce que
seules des lois de finances rectificatives peuvent modifier la loi de finances en cours d’année
afin de réaliser des ajustements, elle doit être présentée dans les mêmes formes et suivre la
même procédure de présentation au Parlement191, de plus, un rapport sur la situation
économique doit être joint, sur l’évolution de celle-ci selon l’article 53 de la LOLF.
Historiquement, il existait les douzièmes provisoires qui consistaient, à défaut de consensus
du Parlement sur le vote du budget et afin d’assurer la continuité de l’État, à voter la
reconduction des crédits budgétaires pour un douzième par mois de retard, sur la base des
crédits votés pour l’année précédente. Technique qui n’est plus aujourd’hui.
Au titre du vote du budget, il existe de plus, les autorisations d’engagement et les crédits de
paiement dont l’ancêtre est : les autorisations de programme sous l’empire de l’ordonnance du
2 janvier 1959. Les autorisations d’engagement et les crédits de paiement sont prévus à
l’article 8 de la LOLF ; les premières constituent l’acte par lequel les dépenses, pour
investissement par exemple, sont engagées sur plusieurs années, échelonnant souvent le
paiement et leur réalisation. Contrairement aux autorisations de programme, qui sous l’empire
de l’ordonnance de 1959, étaient valables sans limitation de durée ce qui constituait, en
théorie, une atteinte au principe d’annualité.
Les crédits de paiement, en ce qu’ils constituent « la limite supérieure des dépenses pouvant
être ordonnancées ou payées » pendant l’année corrélativement aux autorisations
d’engagement. Ces deux limitations au vote annuel constituent des garanties pour le
contribuable sous l’empire de la LOLF, contrairement à l’ordonnance du 2 janvier 1959.

190
ORSONI(G), VIESSANT(C) : op cit p 34 et s.
191
Le Conseil constitutionnel précise que les formes et la procédure que doit suivre la loi de finances
rectificative doivent être similaires à celles de la loi de finances initiale dans sa décision n ° 92-309 DC du 9 juin
1992 Modification du règlement du Sénat.
Dans une décision nº 86-209 DC du 3 juillet 1986 « loi de finances rectificative pour 1986 », le Conseil
constitutionnel calque les délais relatifs au vote de la loi de finances initiale sur la loi de finances rectificative.

98
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

La limitation à l’exécution annuelle est caractérisée par les crédits de report, cette limite
s’applique dans la situation favorable où des crédits restants de l’année sont reportés et
s’ajoutent à la dotation correspondante pour le budget de l’année suivante ; ceci, alors que
l’article 15 de la LOLF (I) dispose : « sous réserve des dispositions concernant les
autorisations d’engagement, les crédits ouverts et les plafonds des autorisations d’emplois
fixés au titre d’une année, ne créent aucun droit au titre des années suivantes », la première
proposition implique que des ajustements peuvent être réalisés. Cette possibilité permet en
outre d’éviter le gaspillage de crédits qui ne seraient pas consommés et dont la traçabilité
serait impossible, pouvant donner lieu à des dérives. Cette règle s’avère protectrice des
deniers du contribuable, bien qu’elle envisage la possibilité d’aménager le principe
d’annualité.
Comme l’ont souligné Gilbert Orsoni et Céline Viessant : « (…) dans la pratique seule
l’autorisation budgétaire demeure véritablement annuelle, la prévision et l’exécution
devenant pluriannuelles. »192Or, les limites posées par la LOLF permettent que l’article 14 de
la Déclaration et l’article 15 soient respectés.

159 Le principe de spécialité budgétaire se matérialise en spécialisation par programme ou


par dotation des crédits votés, aujourd’hui, selon l’article 7-1 de la LOLF. Des crédits sont
ouverts par la loi de finances pour couvrir des dépenses déterminées et d’un montant spécifié.
La spécialisation par programme permet de grouper les crédits propres à la mise en œuvre
d’une action relevant d’un ministère, avec des objectifs à atteindre et un résultat prévu. Ainsi,
180 programmes sont répartis en 52 missions. La loi organique prévoit également des
dotations, qui concernent des actions ne pouvant avoir d’objectifs. Ce principe permet sur le
plan politique, le contrôle du Parlement sur le Gouvernement ; en matière de dépenses, plus la
spécialisation est grande, plus le contrôle se réalise pleinement.
En 1795, ce principe fera l’objet d’une partielle acception, or, il s’est mis en place sous la
Restauration, se renforçant sans cesse, la loi du 29 janvier 1831 institue le vote par chapitre
permettant ainsi une véritable assise de ce principe.
Jusqu’à la Restauration, prévalait une adoption en bloc du budget, ainsi le pouvoir exécutif
maîtrisait totalement les dépenses. Ce qui peut être analysé comme une « conséquence » des
principes dégagés par la Révolution. L’Assemblée Constituante s’est préoccupée

192
ORSONI(G), VIESSANT(C) : op.cit. p 36.

99
Finances publiques et droits fondamentaux

essentiellement du principe du consentement à l’impôt, du fait de l’arbitraire fiscal qui


régnait. L’Assemblée ne détenait qu’une partie du pouvoir financier, celui du vote de l’impôt.
Le choix des dépenses étant laissé à l’exécutif. Aujourd’hui, nous pouvons considérer que ce
principe ne s’applique réellement qu’à la présentation du budget, non au vote du fait de
l’instauration de programmes qui constituent des unités de spécialisation en eux-mêmes ; le
vote se fait par missions et la répartition en programmes se fait par décret, selon l’article 44 de
la LOLF.
Alors que l’annualité est clairement consacrée, la spécialité elle, fera l’objet d’une réalisation
partielle, or, l’unité et l’universalité sont « des principes transparents » ne nécessitant pas
d’explicitations.
Ces principes sont considérés comme des règles fondamentales selon le Conseil
constitutionnel dans sa décision nº 94-351 DC.193

160 C’est l’article 6 de la loi organique de 2001 qui régit le principe de l’unité budgétaire
aujourd’hui et qui prévoit que toutes les recettes et toutes les dépenses sont inscrites sur un
compte unique, dénommé « budget général ». Principe aménagé par l’existence de comptes
spéciaux et de budget annexes, il permet un contrôle plus lisible du Parlement. Ce principe a
fait l’objet d’applications par les premiers Parlements, mais ne recevra que tardivement une
consécration au sein de la loi du 31 mai 1862 194 Le principe d’universalité relatif aussi à la
présentation du budget, prévoit que toutes les ressources et charges doivent être inscrites au
budget pour leur montant brut, séparément. L’affectation des recettes est interdite comme la
compensation des charges également. Ce principe est prévu à l’article 6 de la LOLF, le même
article consacrant l’unité. L’unité et l’universalité sont deux principes liés, le principe
d’universalité fut consacré antérieurement à celui de l’unité par deux ordonnances de 1817 et
1822. Quelques aménagements au principe sont matérialisés par des affectations dans le
budget général et par des affectations à côté du budget général, sans cependant dénaturer le
principe.
Ce qui est à souligner, est l’importance que revêt ce principe et sa résonnance au regard de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : l’indistinction des recettes à la couverture
des dépenses permet d’éviter le refus de paiement d’une charge que le contribuable ne

193
Décision n°94-351 DC du 29 décembre 1994 loi de finances pour 1995.
194
ORSONI(G), VIESSANT(C) : Éléments de finances publiques, Economica, collection « finances
publiques », 2005, p 30.

100
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

consentirait pas à payer d’où, le rôle de cohésion sociale et budgétaire de ce principe, car la
volonté des contribuables au paiement de l’impôt est déterminante du processus budgétaire et
de la survie de l’État.
La conjoncture politique, économique et sociale au sens large, eurent raison de l’intérêt porté
à ce document pourtant majeur. L’Assemblée constituante qui avait élaboré un projet de
budget, n’a pu le porter à son terme, ce sont des prémisses de budget qui caractérisent la
période révolutionnaire et les périodes qui vont suivre. Le recours aux assignats permettait de
faire face aux dépenses et constituait un procédé plus rapide et non contraignant, la
préparation d’un budget tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’apparaissait pas comme
une nécessité. Or, le recours aux assignats entraînait des fluctuations monétaires
importantes.195

161 Concernant le principe de sincérité budgétaire, il n’apparaitra que dans les années
1990, il est une transposition du principe applicable aux collectivités locales. Son apparition
tardive est corrélative à l’élaboration de plus en plus détaillée du budget, qui revêt une
importance majeure comparativement à son existence passée. L’article 32 de la LOLF
énonce : « les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des
charges de l’État ». Le Conseil constitutionnel examine la validité des prévisions de recettes,
le respect des règles de présentation des finances de l’État et surtout il vérifie que les
opérations comptables sont réelles.196

162 Sylvie Caudal énonce que les véritables avancées sous l’empire des textes
révolutionnaires, ont eu lieu en matière de comptabilité publique. La première Constitution
fait état de ces principes qui ont constitué les principales revendications inscrites au sein des
cahiers de doléances, « le lien essentiel entre autorisation préalable et contrôle était
parfaitement compris. »197
Ainsi furent dégagés plusieurs principes : la publicité des comptes, principale revendication
dans les cahiers de doléances, affirmée par l’article 15 de la Déclaration des droits de

195
CAUDAL (S) : « L’apport des textes révolutionnaires au droit financier et fiscal », in Constitution et finances
publiques, Mélanges en l’honneur de Loïc Philip, Paris, économica 2004, p360.
196
Décision n ° 93-320 DC du 21 juin 1993 loi de finances rectificative pour 1993, décision n° 94-351 DC du 29
décembre 1994 loi de finances pour 1995, décision n° 97-395 DC du 30 novembre 1997, loi de finances pour
1998.
197
CAUDAL (S): op.cit. p355.

101
Finances publiques et droits fondamentaux

l’homme et du citoyen, dans l’optique de rendre compte aux contribuables de la gestion des
deniers qu’ils ont conférés. Ce principe, majeur, ayant pour objet et pour effet de contrer
l’arbitraire en matière d’utilisation des fonds. La Constitution de 1791 a fortement détaillé ce
principe. Le second principe, d’une importance tout aussi majeure, est le principe de
séparation des ordonnateurs et comptables, la Constitution de 1791, dans ses articles 5 et 6 du
titre III prévoyait que les ministres devaient assumer leurs responsabilités en veillant à une
gestion correcte des deniers, non dilapidaire et, qu’en aucun cas le roi ne pouvait retirer cette
responsabilité. La phase administrative, suivie de la phase comptable, est déjà partiellement
formée concernant la procédure de paiement sous le Directoire. Quant au principe de l’unité
de trésorerie, il a trouvé sa consécration matérielle en 1793, par la création d’une commission
de trésorerie. « La Trésorerie nationale est de ce fait liée au respect des procédures dans le
paiement qui est soumis à un Décret du corps législatif jusqu’à concurrence des fonds
fixés.198 »
Les principes de la comptabilité publique furent fortement influencés par la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen notamment en son article 15. Ce principe est le corollaire
nécessaire du principe du consentement à l’impôt, il constitue une garantie pour le
contribuable, que l’effort fiscal qu’il consent, est justifié et nécessaire (en écho aux articles 13
et 14 de la Déclaration). La consécration des règles de la comptabilité publique se fera
antérieurement au contenu lui-même du budget, tel que nous le connaissons actuellement.
La période révolutionnaire ne connait presque pas de budget au sens où nous l’entendons
aujourd’hui, dû à la conjoncture historique. Concernant les règles de la comptabilité publique,
malgré une avancée beaucoup plus marquée, ils firent l’objet d’une application en deçà de
l’envergure de leur consécration, ceci à cause d’une perméabilité des pouvoirs exécutifs et
législatifs.

Section 2 : De l’artificialité ou de la postériorité des droits fondamentaux


au regard des finances publiques

163 Les révolutions qui ont conféré des droits et libertés, trouvent leurs origines dans l’une
des revendications majeures des pays d’abolir un système fiscal injuste. Le système financier

198
Ibidem.

102
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

et fiscal dans son arbitraire et son injustice a mis en marche les révolutions. L’indifférence du
consentement à acquitter l’impôt fut perçu comme un asservissement total au pouvoir en
place. Le principe du consentement à l’impôt est l’assise des révolutions (I) et constitue une
des bases de la démocratie (II).

I. LE PRINCIPE DU CONSENTEMENT À L’IMPÔT COMME BASE DES RÉVOLUTIONS

164 Les besoins croissants du système en place ont conduit à créer de plus en plus
d’impôts. Devant l’instauration progressive de l’impôt (A) des impôts, un seuil de
« tolérance » fut atteint, démontrant la nécessité de considérer l’aspect juridique et
psychosociologique du consentement à l’impôt et du consentement de l’impôt (B) qui
induisent son acceptation.

A. L’instauration progressive de l’impôt.

165 La création de multiples impôts a conduit à un point de rupture, ce que retrace


l’histoire du consentement à l’impôt (1). Force est de constater que ce phénomène ne fut pas
propre à la France, car nous le retrouvons en droit comparé (2). Ce qui démontre l’importance
capitale de ce principe qui garde toute sa force.

1° De la multiplication des impôts à l’instauration du principe du consentement


à l’impôt

166 La disparité fiscale est commutative à l’Ancien Régime. Trois catégories d’impôts
coexistent, à savoir : l’impôt royal, perçu au profit du roi, l’impôt seigneurial, perçu au profit
des seigneurs, et l’impôt d’église. Le système fiscal sous la monarchie française était lourd et
injuste. Il était coutume de dire « le roi doit vivre du sien », or, le rôle du monarque s’étant
développé, le roi ne pouvait plus vivre du sien, à partir de Louis VI le gros, des mesures
furent prises, car son rôle s’est complexifié et les produits du domaine, dont il disposait
librement, étaient insuffisants. Sous Louis VII, est alors prélevé l’impôt « du vingtième », à
savoir, le vingtième du revenu des nobles, des prêtres et des roturiers.
À l’arrivée de Philippe IV Le Bel, seul le domaine royal concerne la levée d’impôts. En 1296,
il crée « le centième » qui est un impôt reposant à la fois sur le patrimoine et sur le revenu, sa

103
Finances publiques et droits fondamentaux

base d’imposition étant de 1 %, puis il sera porté à 2 % avec la promesse qu’il ne sera pas
renouvelé, mais il n’en sera rien, car lui succédera le « cinquantième ». Cette période fut
fortement marquée durant son règne par le conflit de Philippe IV Le Bel avec le Pape
Boniface VIII qui refuse le prélèvement de nouveaux impôts sur l’église de façon autoritaire.
En 1314, les États généraux furent réunis afin de faciliter le recouvrement et d’accorder des
recettes plus importantes.
Au préalable, il était question d’accorder des subventions au roi afin de financer les guerres, le
caractère extraordinaire de l’impôt va être vidé de sa substance, car il va progressivement
subsister.
En 1355, « la gabelle », impôt sur le sel, est créée afin de financer la guerre de Cent Ans.
C’est le plus important des impôts indirects, elle n’était pas perçue partout et ses modalités de
perception variaient selon les régions. La « taille royale » était le principal impôt direct ; à
l’origine, exceptionnel, cet impôt est devenu, du fait de la guerre de Cent Ans, un impôt
annuel permanent, alors, qu’elle figurera au chapitre des finances extraordinaires, et ce,
jusqu’à la révolution.
La levée des impôts est contrôlée par un général super intendant, concernant les impôts
collectés pour le compte du roi, hors du domaine royal, malgré des conflits concernant leur
levée. D’abord, l’impôt est provisoire à partir de 1355, puis il devient permanent et
insidieusement consenti jusqu’en 1439.
Des juridictions financières furent créées à partir de 1389, cependant, elles étaient peu
compétentes en matière fiscale et elles détenaient le droit de remontrance en matière de
législation fiscale. Sous Henri III fut créé le Bureau des finances qui gère les finances
ordinaires et extraordinaires. Par finances ordinaires, on entendait les revenus des domaines,
et, par finances extraordinaires, les revenus que généraient les impôts levés par le roi.
Devant cet état de fait, les États généraux se sont « soumis » et ne se sont plus réunis de 1614
à 1789.
Des généralités ou recettes générales furent créées, par le truchement de l’édit de Cognac le 7
décembre 1542, ceci, dans un souci d’uniformisation et d’efficacité dans la levée de l’impôt ;
un bureau des finances se trouvait dans chaque généralité. Il n’y a plus de distinction entre
finances ordinaires et finances extraordinaires. Des trésoriers de France et des finances furent
mis en place dans chacune des 17 généralités (circonscriptions administratives créées par
l’édit de Cognac).

104
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

En définitive, sous l’Ancien Régime les différents impôts créés furent les aides, qui étaient
des impôts indirects (sur les boissons) et la gabelle, impôt de consommation prélevé au profit
du roi. La dîme et le casuel, étaient prélevés au profit du clergé, la dime étant la plus grande
redevance due au clergé, le champart et le cens, étaient des redevances dues au seigneur ainsi
que les banalités, qui étaient un droit seigneurial prescrivant l’usage obligatoire et payant du
moulin.
La capitation, fut créée en 1695, elle devait être acquittée suivant la classe à l’intérieur de
laquelle se trouvait le redevable, classe subordonnée, en principe, aux moyens et facultés de
chacun, sachant que le clergé et la noblesse n’en acquittaient qu’un faible montant. En 1749
apparaissent les vingtièmes, qui constituaient un impôt sur le revenu, qui portait sur le foncier
et le commerce. Cet impôt est considéré comme le moins injuste dans la masse d’impôts dont
étaient redevables principalement les classes les plus pauvres, mais cet impôt ne perdurera pas
du fait d’une difficile évaluation de la matière imposable.
Les traites correspondaient à des droits de douanes concernant les marchandises, les droits de
mutations, d’insinuation, concernant les donations entre vifs.199
Le Tiers État fut acculé par les impôts, les crises économiques se succédèrent, les deux
périodes de disette de 1787 et 1788 ne permettaient plus de prélever suffisamment d’impôts ;
de nouveaux impôts ne seront pas enregistrés par les États généraux et l’État est, en quelque
sorte, ruiné. Cette pression économique et financière étouffante mit en marche la révolution et
la revendication de droits.
Ce n’est que sous la Révolution française de 1789 qu’apparaissent alors les premiers
principes, comme celui du consentement à l’impôt.200

167 L’histoire du consentement à l’impôt, de son établissement, est intimement liée à


l’instauration du parlementarisme et de l’État constitutionnel moderne.
Le consentement à l’impôt est le principe selon lequel nul impôt ne peut être valablement
prélevé, si son redevable n’a pas manifesté son accord ; ce qui n’était pas le cas auparavant.
En effet, si l’on remonte à la forme primitive de l’impôt qu’est le tribut, il était imposé par la
force, totalement aux antipodes de toute idée de consentement de la part de ceux qui le

199
Encyclopédie Universalis, 1989 ;p 893 et suiv.
200
Les sources du droit budgétaire, 7 pages. www.financespubliques.com.

105
Finances publiques et droits fondamentaux

supportait.201 L’histoire du consentement à l’impôt est en France, l’histoire de conceptions


« antinomiques », il a fondé la légitimation du pouvoir tant pour la monarchie que pour les
régimes parlementaires. La monarchie l’a utilisé comme un instrument, pour renforcer sa
souveraineté, et suite à l’instauration des régimes parlementaires anglo-saxons le
consentement à l’impôt a fondé l’exercice de la souveraineté par les représentants du peuple.
Le consentement à l’impôt a permis l’instauration des démocraties modernes, il est
intemporel, car il subsiste toujours ; mais, au regard de la conjoncture économique et
financière, en situation de crise, il fait l’objet de revendications, ce que le Gouvernement a
pris en compte, prônant une refonte du système fiscal aujourd’hui.
Des philosophes tels, que Montesquieu, Rousseau, Diderot ou Voltaire se sont penchés sur
cette notion du consentement à l’impôt ; en effet, ces taxes prélevées par l’État devaient être
autorisées et votées par les États généraux, si ce n’était pas le cas, les contribuables, eux-
mêmes devaient autoriser ces prélèvements. Cette notion de consentement à l’impôt était
prédominante à cette époque. Les garanties offertes au contribuable en matière fiscale vont
naître en même temps que le droit fiscal va se développer, et ce, sur la base de principes
fiscaux issus de la révolution.
La particularité de la Révolution française est la création de nouveaux impôts, auxquels
s’ajoutent de nouveaux principes fiscaux, dont le plus important serait celui du consentement
à l’impôt202. Tous ces principes ont acquis une importance capitale et sont toujours mis en
œuvre.
La légitimité juridique de l’impôt va venir compléter la légitimité sociologique de l’impôt,
cela entendu comme les services que l’État rend aux contribuables. Cette légitimité juridique
va se formaliser par le biais de trois principes, nés dans la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen du 26 août 1789, aux articles 13 et 14 ; le principe du consentement à l’impôt ou
légalité fiscale, celui de l’égalité fiscale, et celui de la nécessité fiscale. 203
Selon l’article 136 : « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses
d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également
répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » Cet article pose le principe de la

201
BIN (F) : « Histoire du consentement à l’impôt ». www.sffp.asso.fr, p 1 à 3.
202
BOUVIER. M : Finances publiques, 2009-2010, 78 pages, p 6
203
RIVOLI (J) : Le Budget de l’État, éd seuil, 1975. Points essais nº 62 ; p 6 et 7.

106
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

nécessité de l’impôt et celui de sa répartition équitable 204.Quant à la nécessité de l’impôt, elle


apparait actuellement comme un instrument au service du législateur afin de contrer la fraude
fiscale, en contraignant les contribuables à payer l’impôt.
Le second principe lui, induit l’égalité fiscale, c'est-à-dire l’égalité devant l’impôt.
L’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pose véritablement le
principe du consentement à l’impôt : « Tous les Citoyens ont droit de constater, par eux-
mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir
librement, d’en suivre l’emploi, d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la
durée. » 205
L’impôt est un acte de souveraineté de l’État qui nécessite l’acceptation des individus, par
l’intermédiaire de leurs représentants ; cela étant son fondement essentiel et nécessaire.

168 Ce principe du consentement est la base du parlementarisme français. La place de


l’homme est modifiée au sein de la société, c’est l’éclosion du Citoyen. 206 Il évalue la forme
et le montant des prélèvements fiscaux c’est l’expression même du consentement à l’impôt. 207
L’article 34 de la Constitution, s’impose comme réaffirmant la compétence du Parlement pour
voter les lois de finances et renvoie également au principe du consentement à l’impôt: « La loi
fixe les règles concernant (…) l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des
impositions de toutes natures. »208
Ce qui était considéré comme une spoliation, la cause sous-jacente des révolutions, est inscrit
dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, comme une forme de liberté. Le
renversement de perspectives est majeur. La nécessité de l’impôt relève de l’évidence pour
assurer la continuité de l’État et la protection des droits fondamentaux. L’impôt est synonyme
de liberté et de responsabilité dont le principe du consentement en permet l’exercice.

204
Les sources du droit budgétaire. 7 pages, p 2. www.financespubliques.com
205
La Constitution de la République française du 4 octobre 1958 (version mise à jour en septembre 2010) ;
www.assemblee-nationale.fr. 47 pages, p 25.
206
Op.cit p 2. L’auteur nuance ses propos en soulignant que ce n’est qu’en 1848 que le Parlement a été élu au
suffrage universel.
207
. NICOLLIER (P), www.liberte.ch.p2
208
Les sources du droit budgétaire. www.financespubliques.com.7 pages, p 2.

107
Finances publiques et droits fondamentaux

2° Le principe du consentement à l’impôt en droit comparé

169 L’Angleterre : un modèle et une évolution à contre-sens : En évoluant à l’opposé de la


France, l’Angleterre, par son histoire, démontre un affermissement juridique progressif du
principe du consentement à l’impôt.
Ce principe du consentement à l’impôt est à la source du parlementarisme en Angleterre. 209
Jean sans Terre, après sa défaite à Bouvines en 1214, tente de généraliser les impôts, il se
heurte aux seigneurs mécontents. Ils revendiquent le droit de participer aux décisions
financières, Jean sans Terre se vit imposer le consentement des barons anglais aux
prélèvements royaux, il octroya alors, la Magna Carta aux barons révoltés, en 1215.210
La Magna Carta, ou grande charte des libertés, énonce des mesures pratiques, pour mettre fin
aux abus et énonce les libertés, afin de limiter le pouvoir royal. Dès lors, sera proclamé le
principe du consentement à l’impôt, qui ne s’appliquera, dans un premier temps qu’aux
barons anglais, les autres classes en sont exclues. Le principe proclamé et consacré, le roi ne
peut plus décider seul, il devra présenter ses propositions d’impôts aux barons anglais
constitués en « Conseil du Royaume. » ; « la Magna Carta est à l'origine de trois idées
essentielles, dont l'histoire anglaise a permis le développement : le gouvernement par la loi
(Rule of law), la séparation des pouvoirs grâce au lien entre l'impôt et la représentation au
Parlement (pas de taxation sans représentation) et la garantie des libertés »211
Le « Conseil du Royaume » est considéré comme l’ancêtre du Parlement, il fut créé
corrélativement à des abus financiers, sa fonction était par conséquent le vote des impôts,
avant de voter des lois. Comme en France, du pouvoir de voter l’impôt, les Parlements
conquirent le vote des lois, les libertés.
La pétition des droits de 1628 exige un consentement du Parlement et rappelle le principe du
consentement à l’impôt, cependant, le roi Charles 1er opère une résistance, il s’oppose au vote
par le Parlement de l’imposition et demande sa dissolution, suite à un conflit relatif au
paiement des droits de douanes. Avant d’être dissout, le Parlement énonça que nul ne devait
acquitter de droits de douane sans l’accord du Parlement, et qu’à défaut, celui qui y
contreviendrait serait considéré comme : « un traître aux libertés de l'Angleterre et un ennemi

209
BIN (F): Histoire du consentement à l’impôt. p 2. www.sffp.asso.fr
210
Dictionnaire Hachette encyclopédique, grand format, éd 2001 ; p 711.
211
MAURY (J.P) : Digithèque MJP, « Angleterre, la Grande Charte des Libertés, Magna Carta 1215 », site
http://mjp.univ-perp.fr

108
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

de la nation ».212 C’est dans ce contexte, auquel s’ajoutèrent des différents relatifs à la
religion, que débuta la première révolution anglaise et amènera à la décapitation de Charles
1er, afin d’établir une République.
Ce sera la révolution de 1688, « glorieuse révolution », qui marquera la fin du règne de
Jacques II Stuart, ce dernier ayant tenté de « récupérer le pouvoir » en vain. Guillaume III
d’Orange lui succèdera après avoir signé le Bill of rights qui sera proclamé le 13 février 1689,
qui, en son article 4, prévoit le principe du consentement à l’impôt du Parlement. Ainsi naquit
le régime parlementaire en Angleterre, et la monarchie constitutionnelle.213 Ce qui est à
souligner, c’est que le Bill of Rights institue un vote annuel des dépenses et des recettes,
permettant alors que s’opère un contrôle sur l’utilisation des deniers consentis par les
contribuables.
L’importance de l’annualité, en tant que principe budgétaire, et le contrôle des deniers comme
règle de la comptabilité publique rejoignent la conception française, dès lors, le pouvoir
exécutif pourra être encadré dans l’utilisation des deniers des contribuables. La France,
l’Angleterre voient dans l’encadrement des questions financières, la pérennité des libertés.

170 Les États - Unis : « no taxation without representation » : Aux États-Unis, au


XVIIème siècle, les Anglais implantent treize colonies le long de la côte Atlant. Cependant,
un conflit éclate entre les treize colonies anglaises et leur métropole; cette dernière voulant les
soumettre à quelques impôts supplémentaires, sur le thé, les timbres, le sucre et les mélasses
(...).
Ces mesures furent considérées comme vexatoires par les colons, du fait de la disparition du
péril français (ces deniers ayant rétrocédé leurs terres) et du fait de l’illégitimité du procédé.
Les députés des colonies rédigent alors une charte du contribuable américain en 1774.214
N’étant pas représentés au Parlement de Londres ils contestent la validité de tels impôts. En
tant que Britanniques ils requièrent d’être traités sur un pied d’égalité comme leurs frères
insulaires qui eux, bénéficient de la prérogative fondamentale de payer les impôts consentis
par leurs représentants au Parlement.

212
KENYON (J.P) : Stuart England, Harmondsworth, Penguin Books, 1978.
213
Dictionnaire Larousse en ligne « seconde révolution d’Angleterre », www.larousse.fr
214
Id. p 567, 568

109
Finances publiques et droits fondamentaux

« Pas de taxation sans représentation » devient alors « le cheval de bataille » des colons à
l’encontre des « insulaires » : « (…) le droit de décider un impôt interne sur les colonies, sans
leur consentement, dans le but de créer des ressources, est rejeté. (…) » 215
Ils eurent l’idée de réunir un congrès inter-colonial, afin d’établir une ligne de conduite à
l’égard de l’Angleterre. Ce congrès se réunira pour la première fois en septembre 1774. Il
énonça une liste de griefs et rappelait les droits fondamentaux des Britanniques en matière de
taxation entre autres.216 Une conciliation était encore possible, mais le gouvernement
britannique ne l’entendait pas ainsi.
Par conséquent, Thomas Jefferson, un des cinq membres du comité chargé de rédiger une
déclaration de rupture, rédigea un texte amendé par le congrès, qui affranchit le 4 juillet 1776
les treize colonies de la tutelle britannique et donna naissance aux États-Unis d’Amérique ;
texte se trouvant dans la droite lignée de la philosophie de John Locke et de la théorie du
contrat politique.217
Cette déclaration d’indépendance ou « révolution américaine », comporte deux parties, la
première énonce les bases du contrat et la seconde donne une liste des méfaits de Georges III :
« Nous tenons ces vérités pour évidentes en elles-mêmes, que tous les hommes sont créés
égaux ; que leur Créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie, la
liberté et la recherche du bonheur ; que, pour garantir ces droits, les hommes instituent entre
eux, des gouvernements, qui tirent leurs justes pouvoirs du consentement des gouvernés ; que,
chaque fois qu’un gouvernement menace ces fins dans leur existence même, c’est le droit du
peuple que de les modifier ou de l’abolir et d’en instituer un nouveau (…) ».218
Dans la déclaration d’indépendance américaine, il semblerait que les Américains placent les
droits fondamentaux comme base de toute institution reposant sur l’idée même de
consentement. Elle représente une magnificence de la théorie des droits naturels.219

215
FOLHEN (C): De Washington à Roosevelt, l’ascension d’une grande puissance 1776-1945 ; fac histoire, éd.
Nathan université, 1992, p 1 à 31.
216
Idem. p 29.
217
Il existait un contrat tacite entre la monarchie et les colonies, ce contrat ayant été rompu du fait des colonies
par conséquent elles ne pouvaient être qu’indépendantes.
218
VINCENT (B): Histoire des États - Unis, éd. Flammarion, 1997, p 45.
219
Théorie que nous développerons plus en aval dans le corps du texte.

110
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

B. Aspect juridique et psychosociologique du consentement à l’impôt et du


consentement de l’impôt

171 La doctrine, aujourd’hui, s’intéresse de près à cette dimension psychosociologique


qu’est l’acceptation du contribuable, ce que l’on désigne par consentement à l’impôt. Les
prémices du consentement à l’impôt sont liées à la souveraineté de l’État.
A contrario, la dimension juridique est affirmée par ce consentement de l’impôt, qui est
l’office du Parlement220, c’est l’aspect juridique que revêt l’adoption de la loi fiscale, ce qui
renvoie au principe de légalité. Cette distinction occupe une place assez importante dans la
doctrine aujourd’hui, qui s’intéresse, essentiellement, au consentement à l’impôt, c'est-à-dire,
à l’acceptation psychologique du contribuable au prélèvement de deniers.221
Certes, les résistances à l’impôt ont toujours existé, comme énoncées dans un rapport fait au
nom de la commission des finances en 1862 : « La création d’impôts nouveaux, sous quelque
forme qu’elle se produise, est toujours un mal, et pour s’en convaincre, il suffirait de rappeler
l’émotion très vive qui s’est produite dans le pays (…) » 222
Or, ce devoir fiscal est intrinsèque à la notion de droits et par extension, à la notion de droits
fondamentaux. La différence établie par certains auteurs223 entre consentement de l’impôt et
consentement à l’impôt est clairement établie dans la rédaction de l’article 14 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :
« Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la
nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en
déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.»
Le consentement direct et personnel est donc un droit fondamental, consacré par cet article
14. Le consentement à l’impôt représenterait le contribuable comme ayant un comportement
actif c'est-à-dire qu’il interviendrait directement dans l’élaboration de la loi, et ce, par le biais

220
CADOUX (C) : « Du consentement de l’impôt » sur la différence entre le consentement à l’impôt et le
consentement de l’impôt, RSF 1961, pp 427-450.
221
BIN (F) :op.cit
222
LEROUX (A) : Rapport au nom de la commission chargée d’examiner le projet de loi portant fixation du
budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1863.n ° 200 Corps législatif. Session 1862, p 1à7.
223
BELTRAME (P): La fiscalité en France ; 13ème éd, Paris, Hachette supérieur, 2007, p 140 et s.

111
Finances publiques et droits fondamentaux

du référendum fiscal (celui-ci pourrait être autorisé par l’article 11 de la Constitution du 4


octobre 1958)224.

172 À l’inverse, le consentement de l’impôt représenterait le contribuable comme ayant un


comportement passif, il est destinataire de l’obligation étatique. 225
Certains auteurs établissent à ce titre, une différence entre le consentement populaire et le
consentement personnel du contribuable. Par consentement populaire, on entend le
consentement du peuple ou de ses représentants et, par consentement du contribuable, celui de
personnes physiques ou morales. Le prisme psychologique du consentement à l’impôt est lié
au prisme juridique au sens strict qu’est le consentement de l’impôt. Selon Charles Cadoux,
l’un ne peut avoir de sens sans l’autre, dans la mesure où le consentement de l’impôt, sans
l’assentiment moral du contribuable, n’a pas de portée, du moins il n’en a une que très
limitée.226
Cependant, l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit dans sa
rédaction que la norme fiscale peut émaner des citoyens eux-mêmes ; en réalité, dans la
plupart des Constitutions modernes, le référendum en matière de finances publiques est
prohibé, ce qui est contradictoire.227
L’impôt par définition serait obligatoire, qu’il, s’agisse de sa création ou de sa suppression, le
pouvoir souverain revient aux représentants du peuple.228

173 Selon l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, le consentement réalisé par le


biais des représentants, est la base juridique du principe de légalité, car les impôts doivent être
établis par la loi. Force est de constater qu’aujourd’hui, le devoir fiscal a disparu, certains
auteurs ayant trouvé à cette cause la distension du lien existant entre le statut de contribuable,
la citoyenneté et la propriété.229 Or, ce sont les ressources obtenues par le biais des

224
Selon Monsieur le Professeur Jean Claude MARTINEZ.
225
LUCIANO (F) : « le consentement à l’impôt au regard de la théorie de l’effectivité des normes
constitutionnelles ». Passages de Paris, éd spéciale (2009) 60-70, p 61.
226
CADOUX (CH) : « Du consentement de l’impôt », RSF 1961 pp 427 - 450.
227
MEHL (L) : « Le principe du consentement à l’impôtet autres prélèvements obligatoires, Mythe et réalité »,
RFFP n°51, 1995.
228
Idem, l'article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958, énonce les matières pouvant être soumises à
référendum sauf les finances publiques, ce qui est également le cas pour les Constitutions : danoise : article 42-6,
portugaise : art 170.3, italienne : article 75 al 2, allemande : article 29 .
229
BELTRAME (P) : Le consentement de l’impôt. Devenir d’un grand principe. RFFP N° 51, 1995, p 74 et s.

112
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

prélèvements obligatoires qui permettent à l’État de garantir le respect des droits


fondamentaux.

174 Le principe du consentement à l’impôt, dans son acceptation psychologique, ne


tomberait-il pas aujourd’hui en désuétude du fait de la crise financière que traversent les
finances publiques ? Quelle dimension revêt ce principe ? Car si le consentement à l’impôt
pris dans l’optique d’une participation de chacun à l’État, à sa survie, n’a plus l’envergure, ni
l’intérêt qui était le sien, ne peut-on pas alors tomber, à nouveau, dans une crise étatique
amenant un soulèvement ? Certains représentants de partis politiques ont énoncé que la
France se trouvait dans la même situation qu’en 1788, avant la révolution, ce qui est
relativement inquiétant.
Le consentement à l’impôt connaît un affaiblissement d’une part, et est le moteur de
revendications d’autre part. Il connaît un affaiblissement également dans la prise de
conscience et la fierté de chacun de participer à la vie de l’État ; il connaît une crise, car les
contribuables s’estiment acculés par des impôts auxquels ils n’ont pas consenti et qui les
étouffent. Force est de constater que ce n’est pas un principe tombé en désuétude et qui revêt
une importance majeure dans la stabilité de l’État.
Le renouveau du consentement à l’impôt, dans le sens d’une notion de devoir, de fierté à la
participation aux affaires de l’État, fait l’objet de réflexions par la doctrine. Face à une société
de plus en plus individualiste, qui ne conçoit le Bien commun que comme une notion désuète
et ne voit cette notion qu’à l’égard de sa propre personne, il devient alors nécessaire de
rétablir un lien ; un lien entre le contribuable et l’État. Cela, éventuellement par l’explication
que ce lien, s’il est rompu, conduira, à la faillite de l’État et par conséquent à la leur. La crise
économique et financière demande un effort supplémentaire aux contribuables, qui semblent-
ils ne réalisent pas l’ampleur des conséquences à venir. Il devient urgent de rétablir ce lien,
car l’effort fiscal qui sera demandé, s’il n’est pas compris dans le sens d’une nécessité, et non
dans le sens d’un « abus de pouvoir » ou « de persécution » de l’État à leur égard, conduira
peut-être à un soulèvement.

113
Finances publiques et droits fondamentaux

II. LE CONSENTEMENT À L’IMPÔT : UNE DES BASES DE LA DÉMOCRATIE

175 Le principe du consentement à l’impôt est inséparable de la notion de démocratie. Ce


consentement permet le vote du budget de l’État (A), il est intimement lié à la notion de
justice fiscale qui sous-tend ce principe (B).

A. Consentement à l’impôt et vote du budget

176 Le consentement à l’impôt est le corollaire de la démocratie représentative (1) or, les
contraintes apportées au pouvoir budgétaire du Parlement, peuvent-elles avoir raison du
principe du consentement à l’impôt ? (2)

1° Le consentement à l’impôt : corollaire de la démocratie représentative

177 Pierre Beltrame énonce : « si d’une certaine manière, être libre c’est consentir à se
lier, l’exigence du peuple de ne payer l’impôt qu’après l’avoir consenti par ses représentants,
est l’affirmation de la liberté politique, fondement essentiel des démocraties
représentatives. »230
Le consentement à l’impôt apparaît comme un pilier de la démocratie représentative, dans la
mesure où, tout d’abord les deniers sont consentis par le citoyen. Le consentement donné par
le biais de ses représentants permet au contribuable de veiller aux actions du Gouvernement,
permises par ses contributions financières. Les finances publiques apparaissent alors, comme
un pilier et comme un pouvoir du Parlement.
Le consentement à l’impôt, par l’action d’engager des finances permettait et permet la guerre
ainsi que la paix comme en témoigne un traité de Nicolas Rémond en 1622 : « Les finances
s’appellent communément le nerf de la guerre et l’ornement de la paix. Autres tiennent que
cela se doit plustost dire de la valeur et de la justice. Mais il me semble qu’elles se doivent
comparer au sang, sans lequel les nerfs perdent leurs forces et les esprits leur vie ; si bien
qu’estant une des parties plus nobles de l’estat, il est aisé de se persuader combien la
cognoissance en est utile et necessaire, surtout à ceux que la vertu et le mérite appellent aux
charges publiques. Des autres estats nous n’en parlerons point ; mais au nostre, le nom

230
Ibidem

114
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

mesmes des finances, qui est originaire, monstre combien elles y ont esté estimées : car il
vient d’un vieux mot françois qui signifie mettre quelque chose à fin, comme si ce moyen en
estoit plus capable que nul autre (...) On tient que la première imposition, qui dure encores de
present, fut le huitiesme du vin, soubs le règne de Chilperic, environ l’an 580 ; l’equivallent
suit après, qui est l’equipollent du sol pour livre sur toutes denrées et marchandises, qui se
leva, environ l’an mil trois cens soixante, pour tirer d’Angleterre le roy Jean, qui y estoit
prisonnier (...)231 »

178 Le principe du consentement de l’impôt devient le corollaire nécessaire de l’existence


du régime parlementaire. À ce titre les principes budgétaires qui en découlèrent ont renforcé
leur pouvoir et en ont fait des acteurs centraux de l’État dans sa politique. Le consentement à
l’impôt est un principe à multiples facettes dans la mesure où, il octroie un pouvoir non
négligeable au Parlement, détourné de sa fonction originaire de contrôle du Gouvernement
dans l’utilisation des deniers publics, il fut le moyen pour le Parlement de se maintenir en
place, et ce jusqu’à la Vème République où il retrouvera sa fonction initiale. 232
Le consentement à l’impôt se présente comme la base de la démocratie représentative, associé
à l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen relatif à la souveraineté
nationale, cette démocratie représentative se matérialise par le vote des représentants du
peuple à l’impôt. « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit
de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ».La comparaison
effectuée avec l’article 14 de la Déclaration dans sa rédaction nous conforte dans l’idée que
c’est le principe du consentement à l’impôt qui est le socle du régime parlementaire, et non
inversement. Effectivement, la rédaction de l’article 14 de la Déclaration est très proche de
celle de l’article 3 dans sa deuxième proposition notamment. Par conséquent, le principe du
consentement à l’impôt et l’expression de la souveraineté nationale sont liés. Xavier

231
REMOND (N) : Variétés historiques et littéraires, Tome VI, Chapitre : Sommaire traicté du revenu et
despence des finances de France, ensemble les pensions de nosseigneurs et dames de la cour. Nicolas Rémond
1622.
232
BELTRAME (P) : op.cit. p76. Il souligne à ce propos que les relations s’établissant sur un pied d’égalité entre
le Gouvernement et le Parlement, la fonction induite par le consentement à l’impôt qu’est le contrôle du
Gouvernement perdra de sa portée politique et ne sera qu’un moyen non au service d’une fin.

115
Finances publiques et droits fondamentaux

Cabannes de citer : « le consentement à l’impôt et la démocratie concept inséparable, sont des


idées de la Révolution qui ont pu se développer à partir de la Restauration » 233
Le consentement à l’impôt et le régime parlementaire apparaissent simultanément en France
et en Angleterre. Ceci corrobore l’idée de l’inséparabilité des deux notions. Cependant, il est
nécessaire d’ajouter que le principe du consentement à l’impôt doit s’accompagner
nécessairement de la règle de l’annualité du vote, car une autorisation permanente entraine la
perte du caractère démocratique du régime parlementaire, dans la mesure où les contribuables,
par le biais de leurs représentants, ne consentiront pas au vote du budget. Sachant que le non-
renouvellement du vote des impôts a entrainé historiquement tous les soulèvements que nous
connaissons. L’importance de ce principe est inscrite dès l’article premier de la loi de finances
de l’année, le non-respect de cet article ne permet pas le vote de la loi de finances de l’année.
« L’adoption de l’article 1er conditionne l’existence même de la loi de finances : seule
l’autorisation de lever l’impôt lui donne toute sa consistance et toute sa réalité »234

179 cependant, Lucien Mehl a posé la question de savoir si le consentement à l’impôt


participe à un idéal de société démocratique recouvrant alors une part de mythe, car
l’importance pour l’État d’assurer la continuité de la vie nationale est un intérêt supérieur en
pratique semble-t-il, à celui du consentement annuel à l’impôt. Du mythe à la nécessité, le
consentement à l’impôt recouvre de multiples facettes.

2° Les contraintes liées au pouvoir budgétaire du Parlement peuvent-elles avoir


raison du principe du consentement à l’impôt ?.235

180 Comme le souligne, justement, Lucien Mehl dans son article datant de 1995, malgré
une certaine constance dans les prélèvements obligatoires, l’assiette de l’impôt qui aurait pu
subir des réajustements, afin d’établir une meilleure répartition des charges fiscales, n’a pas
été entreprise, les contribuables locaux n’ont pas apporté expressément leur consentement à
l’augmentation des impôts locaux entre autres.

233
CABANNES (X) : « L’État, le Parlement et le consentement annuel à l’impôt », RFFP n°77, mars 2002, p
229.
234
Idem, p 232.
235
MEHL (L) : op.cit

116
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

Du point de vue procédural, les articles 47 alinéas 3 et 16 de la Constitution du 4 octobre


1958, permettent de contourner le principe du consentement à l’impôt, or, ces limitations
demeurent des exceptions.

181 L’article 47 alinéa 3 de la Constitution énonce que : « le Parlement dispose d’un délai
de soixante-dix jours pour se prononcer sur le projet de loi de finances », le non-respect de
ce délai entraîne le dessaisissement du Parlement au profit du Gouvernement, en effet,
l’article 47 de la Constitution et l’article 40 de la loi organique de 2001 énoncent qu’à défaut,
les dispositions de la loi de finances pourront être mises en œuvre par le Gouvernement par
voie d’ordonnance.
Le refus persistant du Parlement de se prononcer pourrait cependant entrainer une situation
financière inextricable et porter, conséquemment, atteinte à la continuité de la vie nationale. Il
semblerait qu’il puisse être argué de ce principe afin d’utiliser l’article 16 de la Constitution
qui prévoit la possibilité pour le Président de la République, en cas de menace, notamment sur
le fonctionnement des institutions, de prendre des mesures nécessaires ; donc il pourra user du
droit de prendre les décisions qui s’imposent en matière budgétaire. 236
Ces deux cas sont cependant très rarement utilisés, voire inusités sous la Vème République.

182 Néanmoins, le consentement à l’impôt reste un principe de base de la démocratie, une


liberté et un contre-pouvoir. Le consentement à l’impôt est le principe unificateur de
l’individu contribuable et de l’État. Il est un pouvoir conséquent aux mains du Parlement qui
peut dès lors, paralyser l’action du Gouvernement.
Les finances publiques sont « les poumons » de la démocratie, l’impossibilité de leur mise en
œuvre asphyxierait l’État qui ne pourrait plus assurer ses missions. De plus, le consentement à
l’impôt, comme corollaire nécessaire de la démocratie représentative est corroboré par la
détention de la puissance financière entre les mains du Parlement, qui peut contrôler l’action
du Gouvernement et se poser en contre-pouvoir. Les finances publiques détenues seulement
par l’organe exécutif est caractéristique des États autoritaires.
Le consentement à l’impôt, plus qu’un principe, est une expression, de la démocratie.
La dimension sociale s’y ajoute par la notion de justice fiscale qui sous-tend le consentement
à l’impôt.

236
CABANNES (X) : op.cit. p 243 à 250

117
Finances publiques et droits fondamentaux

B. La justice fiscale comme valeur démocratique

183 La justice fiscale est facteur de cohésion sociale (1), cette notion nous invite à nous
interroger sur la notion d’impôt, qui est une notion obscure (2).

1° La justice fiscale : facteur de cohésion sociale

184 La sociologie fiscale aborde la notion de justice fiscale, par la légitimité de l’État
fiscal et induit le questionnement suivant : comment réaliser un partage équitable des
sacrifices ?
La fraude fiscale est la matérialisation du sentiment d’injustice du système fiscal. Devant
l’augmentation notable de la fraude fiscale, une réflexion sur la justice fiscale s’avère
nécessaire.
Le sentiment de justice fiscale est appréhendé par le citoyen contribuable, par l’égale
répartition des charges publiques au regard des facultés de chacun. Le sentiment du non-
respect d’une certaine catégorie sociale ou de l’absence de sanction de l’État quant à la
fraude, entraine un sentiment d’injustice fiscale et sociale.
Michel Bouvier énonce qu’il faut s’interroger sur le sens de la justice fiscale, l’impôt étant au
centre du dispositif politique économique et social de l’État, il est nécessaire de mener cette
réflexion. Le maintien des finances publiques passerait par une cohésion sociale. La solidarité
fiscale serait dépendante d’un sentiment d’égalité. La justice, ou l’injustice fiscale, ont
occasionné, soit l’émergence de principes tels que celui de l’égalité fiscale par l’article 13 de
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soit des soulèvements et la mise à mal de
l’État du fait de révolutions : « Autant de moments dans lesquels un sens commun de la justice
fiscale imprègne le tissu social et politique en correspondant à l’environnement général et
aux aspirations de chacun » souligne Michel Bouvier, qui relève l’importance qu’il faut
accorder à cette notion et le débat qui devrait s’ouvrir quant à sa redéfinition.237

237
BOUVIER (M) : « Monsieur le Président, discutons de la justice fiscale, il y a urgence », publié le 10 mai
2012 sur le site : http://le cercle.les echos.fr

118
Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux

2° La notion d’impôt : une notion obscure ?

185 Il semble que le problème se pose en amont, ce qu’entend le citoyen contribuable par
la notion d’impôt. La définition largement retenue est celle de Gaston Jèze : «une prestation
pécuniaire requise par voie d’autorité, à titre définitif et sans contrepartie en vue de la
couverture des charges publiques », cependant cet auteur énonçait qu’il ne s’agissait pas
seulement pour le citoyen de contribuer et de consentir librement l’imposition, il était
nécessaire pour lui de connaitre les rouages de la science financière, auquel cas le budget ne
serait qu’un document opaque. Le débat sur l’imposition appartenant essentiellement aux
scientifiques, ce que déplorait Gaston Jèze qui envisageait une vulgarisation de cette
notion.238L’opacité de la matière financière conduit à un désintéressement pour les questions
de fond, rendant dès lors impossible d’envisager la création d’impôts ou leur révision, car les
raisons qui peuvent soutenir cette création sont très techniques. Cela s’ajoutant à l’impression
justifiée ou non d’injustice fiscale pour les contribuables.

186 Or, le principe d’égalité au regard de la contribution est celui qui sous-tend la notion
de justice fiscale pour le contribuable. Au-delà du caractère juridique, si l’on considère
l’impôt comme une obligation politique, comme l’énonce Mikhaïl Xifaras, dans la mesure où
elle est supportée par l’ensemble des contribuables, elle « cesse d’être une servitude
personnelle pour devenir un devoir citoyen »239. C’est donc dans la proportionnalité de la
répartition de la charge publique plutôt que dans la fonction distributive ou redistributive de la
notion d’impôt que le consentement à l’impôt se réalise d’un point de vue psychologique, si
les prémisses de départ ne manifestent pas une inégalité.
La conception de l’impôt induit alors, les notions d’égalité et de liberté et se situe au carrefour
de l’État et des droits fondamentaux, c’est une notion pivot, établissant le lien nécessaire entre
l’État et les libertés.

187 C’est par la représentation, que se fait le contribuable de la notion d’impôt et de sa


justice, dans sa répartition, que le consentement à l’impôt se réalise pleinement par cet acte de
volonté.

238
XIFARAS (M) BERNS (T), DUPONT (JC) : Philosophie de l’impôt, coll.Penser le droit, éd bruylant 2006,
page 3.
239
Idem p 6.

119
Finances publiques et droits fondamentaux

*
***

188 L’histoire des droits fondamentaux et des finances publiques est comme nous l’avons
démontré liée. Cette relation se traduit par une interpénétration qui paraît paradoxale, bien que
la relation soit évolutive, elle s’avère être intrinsèquement liée.
Face à la crise financière que traversent les États européens, le consentement à l’impôt est mis
en lumière, les contestations des contribuables en matière d’imposition paralysent l’évolution
des États. Il y a également des contestations dans la gestion des deniers effectuée par les
Gouvernements et qui conduisent à leur remplacement électoral.
Le consentement à l’impôt est un pilier de l’État. C’est ainsi que le gouvernement actuel, face
à l’augmentation des impositions et devant la désaffection des contribuables au regard de
l’impôt pris dans son sens large, prévoit une refonte du système fiscal pour 2015 en
supprimant notamment une tranche d’imposition.
De la révolution fiscale aux origines du consentement à l’impôt, nous avons retracé
l’instauration progressive de l’impôt. Nous pouvons en conclure, qu’historiquement, du
pouvoir de lever l’impôt, le Parlement a obtenu le pouvoir de faire des lois, ainsi les finances
publiques seraient « antérieures » aux droits fondamentaux dans la praxis.

120
TITRE 2

LES INSTRUMENTS DE RECONNAISSANCE ET DE


PROTECTION DES DROITS FINANCIERS
FONDAMENTAUX

189 Après avoir reconnu l’imbrication des finances publiques et des droits fondamentaux,
notre étude se penchera sur la reconnaissance et la protection des droits financiers
fondamentaux.
En effet, les instruments de reconnaissance des droits fondamentaux intègrent une part
consacrée aux droits financiers. Mais, quelle est leur nature ? Afin d’apporter une réponse à ce
questionnement, sera étudié le cadre constitutionnel des droits financiers des droits
fondamentaux (Chapitre 1), leur consécration au sein d’instruments nationaux et leur
protection par le Conseil constitutionnel. L’Europe connaît également un instrument commun
à la reconnaissance et à la protection des droits fondamentaux, aborde-t-il les droits financiers
et à quel niveau ? Le critère économique, est-il pris en compte par les juridictions supra
nationales, dans le cadre de leurs contrôles relatifs à la protection des droits fondamentaux ?
Ces interrogations seront abordées à l’occasion de l’étude du cadre conventionnel et
économique des droits financiers des droits fondamentaux (Chapitre 2).

121
122
CHAPITRE 1

Le cadre constitutionnel des droits financiers fondamentaux

190 Les finances publiques prises dans leur ensemble consacrent des principes propres au
droit budgétaire. Cette matière semble, par son domaine, entrer dans le champ des droits
fondamentaux uniquement par le biais de la fiscalité. La matière fiscale est en prise directe
avec les droits fondamentaux, comme atteinte ou comme liberté, à ce titre elle entre dans la
consécration des droits fondamentaux. Mais peut-on trouver des libertés constitutionnellement
reconnues à l’intérieur des finances publiques, hors fiscalité ? (Section 1) La reconnaissance
de droits financiers constitutionnellement reconnus, aurait-elle une influence sur le contrôle
opéré par le Conseil constitutionnel, en ce qu’il se positionne en tant que gardien de l’intérêt
général ou des intérêts particuliers ? (Section 2)

SECTION 1 : Peut-on trouver des libertés constitutionnellement reconnues


à l’intérieur des finances publiques hors fiscalité ?

191 La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que le Préambule de
la Constitution du 27 octobre 1946, font partie intégrante du bloc de constitutionnalité, depuis
la décision nº 71-44 DC du 16 juillet 1971 « Liberté d’association »érigeant ainsi au rang
constitutionnel ces deux textes. La Constitution de 1958 contient des principes concernant les
finances publiques.
Le Conseil constitutionnel opère un contrôle de conformité des lois de finances, notamment
au regard du bloc de constitutionnalité, ainsi, au regard tant de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, de la Constitution du 4 octobre 1958, du préambule de la Constitution
du 27 octobre 1946, des Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, que
de la Charte de l’environnement, concernant les lois de finances, et au regard également de la
loi organique du 1er aout 2001.

192 La mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité entraîne un


renforcement dans la protection des libertés, par la mise en place d'un contrôle a posteriori.

123
Finances publiques et droits fondamentaux

Suite à l'avant-projet avorté en 1990, proposant un contrôle de constitutionnalité, a posteriori


des lois, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a ajouté un article 61-1 à la
Constitution afin de permettre aux justiciables de saisir le Conseil constitutionnel d'une loi
promulguée postérieurement à l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958 :
« Lorsqu’à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le
Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la
Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé »240
Le Conseil d’État et la Cour de cassation, en exerçant un filtre, permettent de déterminer la
recevabilité de la demande, dans un délai raisonnable. L'article 62 de la Constitution ayant été
lui-même modifié, permet au Conseil constitutionnel de « dater » les effets d'une éventuelle
déclaration d'inconstitutionnalité, menant à l'abrogation d'une disposition législative.241
Par le truchement du contrôle a priori et du contrôle a posteriori, le Conseil constitutionnel
donne pleine efficacité aux droits et libertés du contribuable citoyen, que ce soit en matière
fiscale ou en matière budgétaire. Le contribuable possède des libertés spécifiques qui sont des
libertés liées à sa qualité (I) cependant, concernant les principes budgétaires, peuvent-ils être
considérés comme des libertés indirectes du contribuable ou sont-ils une garantie de celles-
ci ? (II)

I. LES LIBERTÉS SPÉCIFIQUES : LIBERTÉS LIÉES DIRECTEMENT AU CONTRIBUABLE :

193 Les libertés spécifiques du contribuable sont : la légalité fiscale, la nécessité fiscale et
l’égalité devant l’impôt. Lors de son contrôle au regard du bloc de constitutionnalité, le
Conseil constitutionnel, réalise une mise en balance des libertés, afin de rendre la décision la
plus juste possible et ne pas dénaturer l’essence même des libertés en cause. À ce titre,
concernant le libre consentement à l’impôt prévu à l’article 14 de la Déclaration qui trouve sa
conception « moderne », ou sa corrélation évidente et nécessaire, avec l’article 34 de la
Constitution : « la loi fixe les règles concernant (…) l’assiette, le taux et les modalités de
recouvrement des impositions de toutes natures ». Cet article vise à contenir un débordement

240
Article 61-1 de la Constitution crée par la loi constitutionnelle nº 2008-724 du 23 juillet 2008.
241
CASTON (A) : blog du 7 octobre 2010 : le rapport WARSMANN d'évaluation de la loi sur la QPC. 10 pages,
p 1 et 2.

124
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

qui serait constitutif d’arbitraire fiscal, l’articulation de ces articles permet donc aux
représentants des contribuables de déterminer les éléments de l’impôt, liant l’administration.
La principale analyse qu’a dû réaliser le Conseil constitutionnel est la confrontation entre
cette liberté, qu’est le consentement à l’impôt, et le droit de propriété. Historiquement,
l’impôt était perçu comme une atteinte au droit de propriété, par conséquent, sans le
consentement du contribuable, aucune atteinte ne pouvait être réalisée à l’encontre de cette
liberté. Le Conseil constitutionnel se pose alors en médiateur des libertés (A), la nature de son
contrôle est identique dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité ou la notion
de droits fondamentaux, est-elle entendue plus strictement ? (B)

A. le Conseil constitutionnel : médiateur des libertés :

194 Le contrôle du Conseil constitutionnel en matière financière est caractérisé par une
mise en balance de différents principes. Le principe de nécessité de l’impôt induit le principe
de légalité, dont le vecteur est le principe d’égalité (1), cela dans le cadre d’un contrôle basé
sur des critères objectifs et rationnels, en prise avec l’évolution de la société (2)

1° Quand le principe de nécessité induit le principe de légalité mis en balance


par le principe d’égalité :

195 Le Conseil constitutionnel réalise une mise en balance au regard de la nécessité de


l’impôt et de l’atteinte portée au droit de propriété. Ce n’est que dans le respect du
consentement à l’impôt légalement déterminé que cette limitation du droit de propriété pourra
être réalisée, justifiée par la nécessité de l’impôt. Ainsi le Conseil constitutionnel, dans sa
décision n°81-132 DC du 16 janvier 1982 « nationalisations » énonce que le droit de propriété
a valeur constitutionnelle, cependant l’intérêt général, en ce qu’il ne dénature pas ce droit peut
y apporter des limitations. La nécessité de l’impôt se manifeste par l’obligation de percevoir
des deniers pour l’État, en vue d’assurer ses missions de service public et la légalité par
l’utilisation de sa compétence par le législateur en matière fiscale, et ce, de façon totale. Le
Conseil constitutionnel a énoncé dans sa décision nº 90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi
relative à la lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme, que le législateur ne pouvait conférer
une partie de sa compétence au pouvoir réglementaire. Dans cette décision, le Conseil
constitutionnel sanctionne les cas d’incompétence négative du législateur, seul, le législateur
est compétent pour établir le régime de l’impôt, ce que le Conseil constitutionnel a consacré
125
Finances publiques et droits fondamentaux

dans sa décision 87-239 DC du 30 décembre 1987 : « Considérant que les auteurs de la


saisine font valoir que la liberté ainsi conférée aux chambres consulaires est contraire au
principe du consentement des citoyens ou de leurs représentants à l'impôt proclamé par
l'article 14 de la Déclaration des droits de 1789 ; qu'il est soutenu également que sont
méconnues les dispositions de l'article 34 de la Constitution qui définissent la compétence du
législateur en matière fiscale.»242
Dans une décision nº 2010-5 QPC du 18 juin 2010, 243 le juge constitutionnel a été saisi d’un
grief tenant à l’incompétence négative du législateur, il a rappelé que l’article 14 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen était mis en œuvre par l’article 34 de la
Constitution. Il précise que le motif tiré de l’incompétence négative pouvait être invoqué, s’il
y avait une atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Dans sa décision nº
2010-88 QPC du 21 janvier 2011 relative au train de vie, il débute son raisonnement sur
l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par la nécessité, puis il
renvoie à l’article 34 de la Constitution, induisant la compétence législative dans la
détermination de la base d’imposition, afin de caractériser la rupture d’égalité devant les
charges publiques.

196 Le principe d’égalité, prévu à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et


du citoyen est le principe qui fait l’objet du plus grand nombre de saisines, avec celui du
consentement à l’impôt. Le Conseil constitutionnel a pour référence l’article 6 de la
Déclaration qui consacre le principe d’égalité devant la loi et l’article 13, qui consacre le
principe d’égalité devant les charges publiques : donc deux branches se distinguent.
« Le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des
situations différentes fassent l'objet de solutions différentes. Il appartient au législateur de
déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques
de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives
(c'est-à-dire les règles d'assiette), en fondant son appréciation sur des critères objectifs et
rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Mais cette appréciation ne doit pas entraîner
une rupture d'égalité devant les charges publiques : notamment l'impôt de doit pas revêtir un

242
www.conseil-constitutionnel.fr
243
Conseil constitutionnel, décision n ° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 : Snc kimberly clark
.www.conseilconstitutionnel.fr

126
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

caractère confiscatoire ou faire peser, sur les contribuables, une charge excessive au regard
de leurs facultés contributives. »244
Le premier article énonce que la loi fiscale prévoit une répartition égale de la contribution
entre les citoyens, le second prévoit que cette contribution se répartisse en fonction des
facultés contributives de chacun. La frontière entre les deux notions est assez perméable, se
confondant presque.245 C’est dans une décision 51 DC du 27 décembre 1973, que le Conseil
constitutionnel définit le principe d’égalité fiscale, tant comme se réalisant dans l’application
de la loi que dans son élaboration, enfin, s’imposant au législateur. 246 Dans une décision nº
2010-624 DC du 20 janvier 2011, Loi portant réforme de la représentation devant les cours
d'appel, le juge constitutionnel se base sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen concernant le régime fiscal d’indemnisation applicable aux avoués « la loi doit
être la même pour tous soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

197 Dans le cadre de son contrôle du respect, par le législateur du principe d’égalité
fiscale, le Conseil constitutionnel se base sur deux critères à savoir : le but d’intérêt général
que poursuit le législateur, pouvant justifier des différences de situation et celui concernant
les critères objectifs et rationnels en fonction des buts du législateur. Bernard Castagnède
souligne cependant que le juge effectue un contrôle basé en général sur des critères objectifs
et rationnels, non séparé des critères traditionnels, mais il « (…) apparaît plus exactement les
englober » afin de procéder à un contrôle plus large.247
Dans son contrôle basé sur « le but d’intérêt général » poursuivi, n’englobe - t-il pas le
principe de nécessité ?
En effet, la notion d’intérêt général reçoit une application variée, il peut correspondre à un
intérêt environnemental comme la lutte contre l’effet de serre : dans une décision nº 2000-441
DC du 28 décembre 2000 ou dans une décision 2002 - 464 DC du 27 décembre 2002, Loi de
finances pour 2003, le Conseil constitutionnel l’utilise concernant le coût de collecte et de
recyclage d’imprimés, dans un but de protection de l’environnement, où la rupture d’égalité

244
FOUQUET (O) : « Le Conseil constitutionnel et le principe d’égalité devant l’impôt », Nouveaux cahiers du
Conseil constitutionnel nº 33, « dossier le Conseil constitutionnel et l’impôt ».
245
MEIER(E) et BOUCHERON (G H) : « Droits et libertés en matière fiscale », revue de droit fiscal nº 12
2010, étude 243.
246
ORSONI(G), VIESSANT(C) : Éléments de finances publiques, Economica, collection « finances publiques »,
2005, p 144.
247
MEIER(E) et BOUCHERON (G H) : op.cit

127
Finances publiques et droits fondamentaux

n’était pas justifiée. Dans sa décision n°2009-599 DC du 29 décembre 2009 Loi de finances
pour 2010, au sujet de la contribution-carbone, le Conseil a jugé qu’il y avait rupture d’égalité
devant les charges publiques, eu égard aux régimes d’exemption totale contraire à l’objectif
de lutte contre le réchauffement climatique. Le motif d’intérêt général peut concerner
également le domaine de l’évasion fiscale, dans une décision n° 89-268 DC du 29 décembre
1989248, ou encore la fraude fiscale(…). Tous les domaines pouvant être concernés.

198 Sur les différences de traitement : Dans son contrôle, le Conseil constitutionnel veille
à ce que les différences de traitement soient justifiées par des situations différentes en rapport
avec l’objet de la loi. Comme l’a énoncé le Conseil constitutionnel dans sa décision nº 87-239
DC du 7 janvier 1988 : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de
façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons
d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement, qui en
résulte, soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit. »249 Ainsi, dans une décision du 28
décembre 2000, le Conseil a estimé comme étant contraire au principe d’égalité, une
différence établie entre des agriculteurs corses et continentaux eu égard au retard de paiement
de cotisations sociales. Au sein de la décision n° 2012-266 QPC du 20 juillet 2012, le juge
constitutionnel fait référence à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen pour juger de la différence de traitement et conclure à l’égalité, devant les charges
publiques, concernant la disposition contestée relative à l’octroi ou pas d’une indemnité par
l’État aux éleveurs, concurremment à l’abattage d’animaux malades.
Le principe d’égalité devant les charges publiques a fait l’objet de questions prioritaires de
constitutionnalité, dans une décision n°2012-290/291 QPC du 25 juillet 2013, le Conseil
constitutionnel s’est penché sur le grief invoqué de la méconnaissance par un article du code
des douanes du principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques concernant
l’application de la législation relative aux tabacs dans les DOM, le juge constitutionnel, en se
basant sur l’article 13, énonce que la législation peut être aménagée dans les DOM au regard
des spécificités, par conséquent le grief tiré de la rupture d’égalité devant la loi et devant les
charges publiques n’a pas été retenu entre les DOM et le continent.

248
Journal officiel 30 décembre 1989
249
Rec Cons.const 1988, p 17.

128
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

2° Un contrôle basé sur des critères objectifs et rationnels en prise avec


l’évolution de la société

199 Le contrôle du Conseil constitutionnel, selon des critères objectifs et rationnels,


semble répondre à la multiplication de domaines couverts par les lois de finances et encore
mieux répondre aux évolutions financières et fiscales, en permettant un contrôle, selon un
spectre plus large.
Dans la décision nº 2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence
et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, le juge constitutionnel
devait se prononcer sur la différence de taxation entre les paris hippiques et sportifs en ligne
et la taxation des jeux de cercle en ligne. Le Conseil, par l’utilisation dans son raisonnement
de critères objectifs et rationnels, tout en veillant à ce qu’il n’y ait pas de rupture d’égalité
devant les charges publiques, a énoncé que la différence de taxation n’entrainait pas de
« rupture caractérisée devant les charges publiques ».250
Le critère objectif et rationnel peut ainsi caractériser un objectif budgétaire, selon une
décision du 3 mars 2009 nº 2009-577 DC, le Conseil constitutionnel juge la nouvelle taxe
instituée par le législateur afin de compenser les pertes de recettes de l’audiovisuel, comme
fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l'objectif que le législateur
s'est assigné, par conséquent, elle n'est pas contraire au principe d'égalité devant les charges
publiques.
Les méthodes d’interprétation utilisées par le juge constitutionnel dans le cadre d’une
question prioritaire de constitutionnalité, sont identiques à celles utilisées pour les décisions
de conformité, en effet, dans une décision nº 2012 - 255/265 QPC du 29 juin 2012, le conseil
s’est basé sur des critères objectifs et rationnels pour juger de la conformité de l’article L
3334-18 du Code Général des Collectivités Territoriales, aux droits et libertés que la
Constitution garantit.

200 Ce principe d’égalité, devant les charges publiques, doit tenir compte d’une répartition
équitable au regard de tous les contribuables, mais surtout, que cette répartition prenne en
compte les facultés contributives de chacun. Ce principe est rappelé dans l’article 13 de la

250
Dossier documentaire décision n ° 2013 - 670 DC « loi portant diverses dispositions en matière
d’infrastructures et de services de transports » ; source : services du Conseil constitutionnel 2013.

129
Finances publiques et droits fondamentaux

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans sa décision, le juge constitutionnel


apprécie les facultés contributives. Nombre de décisions ont d’ailleurs été rendues au sujet de
l’ISF, une décision nº 81-133 DC du 30 décembre 1981, concernant l’inclusion de biens dans
l’assiette de l’impôt, de même pour la loi de finances pour 1999. Également dans une décision
nº 2010-88 QPC du 21 janvier 2011 relative au train de vie, le Conseil constitutionnel vérifie
que l’impôt à la charge du contribuable ne revêt pas un caractère confiscatoire ou ne fait pas
peser sur le contribuable une charge excessive au regard de ses facultés contributives, cela à
propos d’éléments « du train de vie » entrant dans la base d’imposition.
Dès lors que le juge a réalisé ce contrôle des facultés contributives du contribuable, il examine
la correspondance avec la charge fiscale déterminée par le législateur, ainsi, dans une décision
du 29 décembre 2012 nº 2012-662 DC, le juge constitutionnel est saisi par les députés
concernant l’instauration d’une tranche supplémentaire du barème progressif de l’impôt sur le
revenu, comme constitutif d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, le Conseil de
répondre que « l’inconstitutionnalité tenant à la charge excessive au regard des facultés
contributives de certains contribuables » percevant des rentes versées dans le cadre des
régimes de retraite à prestations définies, n’est pas caractérisée si l’on écarte deux dispositions
déférées.
Par conséquent, il s’avère qu’une cloison entre la fiscalité et les finances publiques au sens
strict ne peut être réellement établie, ces deux matières sont interdépendantes, ce que nous
pouvons constater dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

B. La notion de droits fondamentaux au sein de la question prioritaire de


constitutionnalité

201 Le contrôle réalisé par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une Question


prioritaire de constitutionnalité, dans le cadre du domaine des droits fondamentaux et des
finances publiques, a fait l’objet de nombreuses interrogations. Le Conseil constitutionnel au
fil des espèces, réalise une lecture de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen, par l’article 34 de la Constitution (1), et, il semble prôner une certaine sécurité
juridique en interprétant la notion de libertés fondamentales (2)

130
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

1° La lecture de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du


citoyen par l’article 34 de la Constitution.

202 « Cependant, que faut-il entendre par disposition législative ? »251 Ce fut la question
posée dans le rapport Warsmann concernant l'interprétation de cette notion.
Question à laquelle, il laisse la souveraineté de la réponse au Conseil constitutionnel. Bien
qu’il semblerait selon ce rapport que l'interprétation tendrait vers « toute disposition
législative entrant dans le champ d'application de l'article 34 de la Constitution »252.
La deuxième question, à laquelle il tente d'apporter une réponse, concerne l'interprétation du
contenu de la proposition : « droits et libertés garantis par la Constitution » au sens où cette
dernière peut permettre d'invoquer une incompétence négative du législateur, à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité. Il suggère alors l'éventualité suivante : si, cette
incompétence induit bien une atteinte aux droits et libertés comme sus énoncé dans l’article
61-1 de la Constitution. Ce cas s'est produit à l'occasion d'une question prioritaire de
constitutionnalité, dans une décision nº 2010-5 QPC du 18 juin 2010253, relative à une
incompétence négative en matière fiscale.
En effet, le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de
constitutionnalité relative à l'habilitation donnée au pouvoir réglementaire par les dispositions
de l'article 273 du code général des impôts, de fixer le régime des droits à déduction de la
TVA, induisant de ce fait l'incompétence négative du législateur en ce domaine selon la
société.254 L’habilitation conférée serait pour la société, contraire à l'article 34 de la
Constitution au terme duquel : « La loi fixe les règles concernant (…) l’assiette, le taux et les
modalités de recouvrement des impositions de toutes natures » ainsi qu'à l'article 14 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui énonce : « tous les citoyens ont droit de
constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique,
de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le
recouvrement et la durée ».

251
WARSMANN (J.L) : rapport de l'Assemblée nationale nº 1898, 3 septembre 2009, p 92-93.
252
Ibid
253
Conseil constitutionnel, Décision n ° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 : SNC KIMBERLY
CLARK.www.conseilconstitutionnel.fr
254
CE 10ème et 9ème sous-section, 23 avril 2010, Snc Kimberly Clark ; droit fiscal nº 20, 20 mai 2010, comm.
318 ; question prioritaire de constitutionnalité : la première décision de renvoi du Conseil d’État soulève
l'incompétence négative du législateur concl. J. BOUCHER.

131
Finances publiques et droits fondamentaux

203 Après analyse de la réunion des conditions nécessaires à la transmission de la question


prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, le 23 avril 2010, le Conseil d’État
saisit le Conseil constitutionnel. Ce dernier a jugé que le bien-fondé de l'invocation de
l'incompétence négative du législateur, lors d'une question prioritaire de constitutionnalité, ne
pouvait reposer que sur l'atteinte à un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Le
Conseil constitutionnel s'est ensuite employé à analyser ce principe sus énoncé à la matière
fiscale, et plus particulièrement à l'article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen.
Même en étant une partie intrinsèque, d’un droit fondamental reconnu comme tel, et inscrit
dans le bloc de constitutionnalité ; le Conseil constitutionnel a souvent considéré que le
principe tiré de l'article 14 était respecté du fait de l'information et du libre vote des
dispositions fiscales par le Parlement.255
Le Conseil constitutionnel a déjà jugé dans une décision antérieure, nº 91-291, dans le cadre
d’une décision de conformité du 6 mai 1991 que l'article 14 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen devait être rapporté à l'article 34 de la Constitution.256

204 En effet, le Conseil constitutionnel dans sa décision nº 2010-5 QPC, réitère sa position
et ajoute dans son quatrième considérant : « les dispositions de l'article 14 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789 sont mises en œuvre par l'article 34 de la
Constitution et n'instituent pas un droit ou une liberté qui puisse être invoqué, à l'occasion
d'une instance devant une juridiction, à l'appui d'une question prioritaire de
constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution », et d'en conclure que
« la disposition contestée n'est contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution
garantit »257
Ceci, car les impôts sont consentis par les citoyens, par l'intermédiaire de leurs représentants.
L'article 14 doit être compris comme « garant » des droits des parlementaires, plus que de

255
Décisions nº 99-422 DC du 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 au
cons.21 et décision n°2001-453 DC du 18 décembre 2001, Loi de financement pour la sécurité sociale de 2002,
cons. 22.
256
Conseil constitutionnel, décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991 : Rec. Cons. Const, 1991, p 40 :
« si ces dispositions réaffirmées par le Préambule de la Constitution de 1958, ont valeur constitutionnelle, les
règles touchant à la compétence des représentants des citoyens qu'elles édictent doivent être mises en oeuvre en
fonction des dispositions de la Constitution qui fondent la compétence du législateur. »
257
Conseil constitutionnel:décision n ° 2010-5 QPC du 18 juin 2010. www.conseil-constitutionnel.fr

132
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

ceux des contribuables entendus de manière stricte.258 Le consentement à l’impôt permettrait


alors à chaque contribuable de contrôler les finances de l’État, par le biais des parlementaires.
Le fait de contrôler et de suivre l’emploi des finances publiques, est-ce, un principe
fondamental à proprement parler, ou est-ce le corollaire nécessaire d’un principe qui lui, est
qualifié de fondamental et qui engloberait ce tout, qu’est le consentement à l’impôt?
Le consentement à l’impôt ayant pour corollaire la possibilité de suivre l'emploi des finances
publiques n'est pas considéré comme un droit fondamental au terme de la décision issue de la
question prioritaire de constitutionnalité nº 2010-5 QPC du 18 juin 2010, relative à une
incompétence négative en matière fiscale.
Que faut-il entendre par droit fondamental alors ?

2° La question prioritaire de constitutionnalité : de la sécurité juridique vers


une délimitation de l'interprétation de la notion de libertés fondamentales ?

205 L'article 61-1 de la Constitution énonce que la question portera sur « l'atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit ». Le fondement n'est pas ici évoqué. C'est ainsi
qu'il a pu être considéré que cette mention aurait conduit à distinguer au sein des droits et des
libertés reconnues par la Constitution, d’où son éviction. 259
Le justiciable ne pourra invoquer au cours de cette procédure, que la violation des droits et
libertés que la Constitution reconnaît ; ceci, afin que les règles de répartition des pouvoirs et
celles de respect de la procédure législative ne puissent être invoquées par le justiciable à
l'appui de son recours. C'est ainsi que l'incompétence négative du législateur ne peut
constituer un moyen d'inconstitutionnalité qu'un justiciable pourra soulever.
L'explication tenant au fait que cela pourrait porter atteinte à l'indépendance du législateur,
dans l'exercice de sa mission.260Or, cela serait envisageable si le non-respect de l'étendue de
sa compétence, par le législateur, porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution
garantit. La méconnaissance, par le législateur de sa propre compétence, entendue comme le

258
Commentaire de la décision n ° 2010-5 QPC du 18 juin 2010, cahier nº 29 du conseil constitutionnel, p 4.
259
MATHIEU (B) : « une question prioritaire de constitutionnalité, peut-elle porter sur l’interprétation d’une
disposition législative ? » Question posée au sein du rapport d’information de l’Assemblée nationale nº 2838,
p111, déposé par Jean-Luc WARSMANN en application de l’article 145 du règlement.www.assemblee-
nationale.fr
260
MATHIEU (B) : « La question de constitutionnalité, quelles lois ? Quels droits fondamentaux ? » Les petites
affiches, 25 juin 2009, nº 126, p 18.

133
Finances publiques et droits fondamentaux

silence de ce dernier concernant les modalités de recouvrement d’une taxe, a été retenue, et
ce, pour la première fois, dans une récente décision rendue par le Conseil constitutionnel. En
effet, elle est recevable pour mettre en cause la conformité d’une loi fiscale, à l’occasion
d’une question prioritaire de constitutionnalité Sarl Majestic Champagne nº 2012-298 QPC
le 28 mars 2013. C’est la première fois que le Conseil constitutionnel se prononce dans ce
sens. Bien que le cas de méconnaissance par le législateur de sa compétence reconnue par le
Conseil constitutionnel « réduit cette ouverture à l’hypothèse d’un silence de la loi quant aux
261
règles de contentieux de l’impôt en cause. » En l’espèce, le législateur a omis d’énoncer
les règles de recouvrement de la taxe additionnelle à la CVAE, permettant ainsi à la Sarl
Majestic Champagne de soulever la non-conformité de l’article en cause à l’article 34 de la
Constitution. Cependant, comme il a été auparavant énoncé, à l’occasion de la QPC Snc
Kimberly Clark, la méconnaissance du législateur de sa propre compétence peut être soulevée,
encore faut-il que cette méconnaissance porte atteinte à un droit ou liberté garantit par la
Constitution. En l’espèce, à l’appui de ce recours c’est le droit à un recours effectif qui fut
atteint, droit tiré de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
prévoyant la garantie des droits, car la loi prévoyant les modalités de cette taxe ne mentionne
pas les possibilités de contestations afférentes.262 Donc ce n’est qu’au titre de l’article 16 de la
Déclaration que le contribuable peut invoquer la méconnaissance de la compétence du
législateur et non au titre de l’article 14 de la Déclaration 263
Nous pouvons citer comme exemple la définition d'une sanction fiscale ou pénale, car il
revient au législateur conformément au principe de légalité des délits et des peines de définir
les sanctions applicables de façon suffisamment précise, permettant d'ailleurs l'encadrement
du pouvoir réglementaire.264 Or, le Conseil a énoncé que le législateur n’avait pas méconnu sa
compétence concernant le renvoi au pouvoir règlementaire de la possibilité de définir les

261
MARDIERE.de la (C) : « Incompétence négative : une porte ouverte sur la QPC », Cons.const, 28 mars 2013,
nº 2012-298 QPC, Sarl Majestic Champagne, AJDA 2013, D. 2013.904 ; AJCT 2013.
262
Idem p 2.
263
Cons.const nº 2010-5 QPC.
264
MEIER (E), BOUCHERON (G.H) : « Les droits et libertés constitutionnels en matière fiscale » ; revue de
droit fiscal nº 12, 2010, étude 243.

134
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

sanctions applicables, dont les limites ont été définies par la loi dans une décision nº 2012-225
QPC du 30 mars 2012265.

206 Le Conseil constitutionnel semble réaliser une interprétation « propre » de la notion de


droits fondamentaux. Pourquoi se poser la question d'une application qui diffère quelque peu
de la définition de la notion de droit fondamental au sens strict ?
266
En effet, l'article 14 de la DDHC est le principe qui a donné naissance à la démocratie.
Exprimé dans le bloc de constitutionnalité, il ne permet cependant pas son invocation par un
justiciable au cours d'un litige au terme d'une procédure de question prioritaire de
constitutionnalité. Il ne peut constituer un droit ou une liberté garantit par la Constitution, car
ce principe reçoit une interprétation tournée vers les droits des parlementaires.267 Par
conséquent, ce principe ne reçoit pas une interprétation stricto sensu, mais une interprétation
propre par le Conseil constitutionnel.
Nos « administrations des libertés » ne sont-elles pas financées par les contribuables ? Dès
lors, serait-il impossible à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité,
d'invoquer l'article 14 ou 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans un
contentieux relatif au suivi de l'emploi des finances par celles-ci ?

II. LES PRINCIPES BUDGÉTAIRES : LIBERTÉS OU GARANTIE DES LIBERTÉS ?

207 Le cadre juridique du budget est assuré par cinq principes à savoir : l’annualité
budgétaire, l’universalité, l’unité, la spécialité et la sincérité ; toutefois, le principe de sincérité
budgétaire n’est applicable que depuis 2002, à ces principes, il faut ajouter le principe
d’équilibre.
Le Conseil constitutionnel assure un contrôle du respect de ces principes quand il réalise le
contrôle constitutionnel des lois financières. Ce contrôle se réalise, tant pour le domaine fiscal
(supra I.) que pour le domaine budgétaire, dans la jurisprudence constitutionnelle financière.
Le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence, fait référence aux principes budgétaires, ils
apparaissent comme des cadres constitutionnels indispensables au contrôle de la conformité

265
Cons.const, 30 mars 2012, nº 2012-225 QPC, Société Unibail Rodamco, AJDA 2012. 678, D. 2013. 1584,
obs. N.jacquinot et A.Mangiavillano.
266
CARCASSONNE (G) : op cit, p 435.
267
Commentaire de la décision nº 2010-5 QPC du 18 juin 2010, cahier nº 29 du Conseil Constitutionnel.

135
Finances publiques et droits fondamentaux

des lois de finances. La loi organique du 1er aout 2001 reprend ces principes budgétaires, issus
des dispositions de l’ordonnance du 2 janvier 1959 et de l’interprétation réalisée par le
Conseil constitutionnel. Est-il possible d’envisager les principes budgétaires comme cadres
des libertés fiscales ? (A) Peuvent-ils constituer un droit pour le contribuable de suivre
l’emploi des deniers publics ? (B)

A. les principes budgétaires comme cadres des libertés fiscales ?

208 Les principes d’annualité, d’unité et d’universalité sont des principes permettant le
contrôle du Parlement sur les dépenses de l’État. Ils réalisent ainsi la lettre de l’article 15 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1) ; le principe de sincérité ayant pour
corollaire le principe d’équilibre, réalise le principe du consentement à l’impôt (2)

1° Les principes d’annualité, d’unité, d’universalité et de spécialité comme


réalisant l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

209 Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 mars 2009 nº 2009-577 DC, contrôle
la conformité de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public
de la télévision, tant au regard du principe d’égalité que dans ses considérants 23 et 24, au
regard des principes d’unité d’annualité et d’universalité budgétaire. En effet, cette loi visait à
instituer une taxe à la charge des opérateurs de communications électroniques. Le Conseil
constitutionnel a jugé l’article 33 conforme à la Constitution. Cette nouvelle imposition était
prévue par la loi afin d’augmenter les ressources de l’État, en vue du financement des pertes
de recettes publicitaires. Il en conclut que cette nouvelle taxe ne réalise pas une rupture
d’égalité devant les charges publiques, car elle est en rapport avec l’objectif poursuivi par le
législateur.
L’annualité, est un principe prévu par l’article 1er de la loi organique du 1er aout 2001, « les
lois de finances déterminent pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des
ressources et charges de l’État (…) l’exercice s’étend sur une année civile »268, ce principe

268
Article 1er de la loi organique nº 2001 - 692 du 1er aout 2001 relative aux lois de finances.
Site :www.legifrance.gouv.fr

136
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

budgétaire est le principe premier permettant la réalisation de l’information du Parlement ceci


entendu au sens de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d’annualité concerne essentiellement
les lois de finances rectificatives, afin que les délais en matière d’adoption soient respectés,
ceci a été jugé dans une décision nº 86-209 DC du 3 juillet 1986, loi de finances rectificative
pour 1986. Dans sa décision 2001-448 DC du 25 juillet 2001 sur la conformité de la loi
organique relative aux lois de finances, le Conseil constitutionnel a développé son
raisonnement de la façon suivante : il fonde son raisonnement sur l’article 14 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, il énonce à ce titre que : «(…)l'examen des
lois de finances constitue un cadre privilégié pour la mise en œuvre du droit garanti par cet
article de la Déclaration. »269 Il se prononce également sur le principe d’annualité comme
s’étendant sur une année civile, et le déduit de l’article 47 de la Constitution. Le juge
constitutionnel apporte un tempérament en ce qu’il énonce que l’article 45 de la Constitution
qui prévoit le principe de continuité de la vie nationale permet de prendre des mesures
financières d’urgence.270
Concernant la mise en œuvre de ce principe d’annualité, le Conseil constitutionnel, dans une
décision nº 2012-662 DC du 29 décembre 2012, dans le cadre de la saisine dut se prononcer
sur la « Contribution exceptionnelle de solidarité sur les très hauts revenus d'activité », les
requérants soutenaient que l’institution de cette contribution exceptionnelle, en sus de l’impôt
sur le revenu, contrevenait au principe d’annualité de l’impôt et « méconnaîtrait les exigences
de clarté et de sincérité du débat parlementaire » ;271

210 L’universalité prévue à l’article 6 de la loi organique du 1er aout 2001 est un principe
qui prévoit que toutes les dépenses et toutes les recettes figurent dans le document budgétaire,
ce principe reçoit deux précisions à savoir : la règle de non-affectation et la règle de non-
compensation. Il fut consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision nº 82-154 DC
du 29 décembre 1982 loi de finances pour 1983. Le caractère fondamental de ce principe est
rappelé par le Conseil constitutionnel dans une décision nº 94-351 DC du 29 décembre 1994
énonçant que ce principe d’universalité budgétaire s’impose au législateur. Dans une décision
n° 2010-623 DC du 28 décembre 2010, il s’est penché sur le grief tiré du principe de non-

269
Décision 2001-448 DC du 25 juillet 2001 : site : www.conseil-constitutionnel.fr cons. nº 2
270
Idem cons nº 7.
271
Décision nº 2012-662 DC du 29 décembre 2012 cons nº 68.

137
Finances publiques et droits fondamentaux

affectation, car la disposition litigieuse visait à ce que les éventuels surplus prévus puissent
être affectés à la réduction du déficit, ce que le Conseil constitutionnel a déclaré conforme.
Dans une décision nº 2009-599 DC du 29 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a dû
juger de la conformité de dispositions visant à financer des infrastructures définies et
programmées par l’État, ce qui portait atteinte au principe d’autonomie fiscale des
collectivités territoriales et qui de plus, ne respectaient pas la règle de non-affectation des
recettes aux dépenses, donc à l’universalité budgétaire et que ce principe était applicable tant
au budget de l’État qu’à celui des Collectivités territoriales. Ce principe sous-tend le principe
d’égalité devant les charges publiques, dans la mesure où il apparait, parfois, comme un
critère de contrôle du respect de ce principe. Dans une décision nº 2012-659 DC du 13
décembre 2012, le Conseil constitutionnel a jugé l’article 12 de la loi de financement de la
sécurité sociale, conforme au regard de l’article 13 de la Déclaration et de l’article 34 de la
Constitution, mais également au regard des principes budgétaires et notamment celui de
l’universalité, pris en sa règle de non-affectation.

211 L’unité est un principe qui prévoit que toutes les ressources et les charges de l’État
sont retracées dans un document unique, dénommé budget général selon l’article 6 de la loi
organique du 1er aout 2001. Ce principe est également relatif à l’information du Parlement qui
peut voir rapidement si le budget est équilibré. Ce principe est un principe fondamental du
droit budgétaire, au même titre que le principe d’universalité selon le Conseil constitutionnel
dans une décision nº 94-351 DC du 29 décembre 1994, loi de finances pour 1995.
Les aménagements à ce principe sont prévus à l’article 18 de la LOLF, concernant les budgets
annexes et les comptes spéciaux, sachant que cela ne concerne que les services de l’État, non
dotés de la personnalité juridique et exerçant une activité économique. Dans sa décision n°448
DC du 25 juillet 2001, concernant la LOLF, le juge constitutionnel a énoncé que le
Gouvernement se devait de supprimer les budgets annexes n’entrant pas dans le cadre défini
par l’article 18 de la LOLF.
Le Conseil constitutionnel se penche sur les atteintes à ce principe, notamment en ce qui
concerne les débudgétisations, dans une décision 184 DC du 29 décembre 1984, il précise que
cela est possible, sous certaines conditions. Le non-respect de ces conditions entrainant une
violation du principe d’unité budgétaire, il a réitéré sa position en ne retenant pas la violation
de ce principe dans une décision n°99-422 DC du 21 décembre 1999. Il réitère que le principe
d’unité, comme le principe d’universalité, en ce qu’ils sont liés, s’imposent au législateur en
tant que règles fondamentales, que les dépenses et recettes doivent figurer au budget de l’État
138
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

dans une décision du 29 décembre 1994, nº 94-351 DC. Ce principe a pour objectif principal
de permettre le contrôle du Parlement, il s’applique également aux budgets annexes, décision
n ° 95-369 DC du 28 décembre 1995.

212 Le principe de spécialité est prévu à l’article 7.1 de la LOLF, il prévoit des
spécialisations par programme ou par dotation des crédits votés. Des crédits sont ouverts par
la loi de finances pour couvrir des dépenses déterminées et d’un montant spécifié. La
spécialisation par programme permet de grouper les crédits propres à la mise en œuvre d’une
action relevant d’un ministère, avec des objectifs à atteindre et un résultat prévu. Dans sa
décision du 25 juillet 2001 relative à la LOLF, le Conseil a validé les modalités d’application
du principe de spécialité budgétaire.272
Dans sa décision du 23 mai 2013 nº 2013-670 DC, le Conseil constitutionnel rappelle que ce
principe, ainsi que celui de l’unité budgétaire, ne s’appliquent qu’aux impôts ou recettes de
l’État, par conséquent le motif tenant à la rupture d’égalité devant la loi fiscale, ne peut être
retenu concernant la majoration forfaitaire du prix de la prestation de transport de
marchandises.

2° Le principe de sincérité budgétaire a pour corollaire le principe d’équilibre


comme réalisation du principe du consentement à l’impôt

213 La sincérité budgétaire est un principe consacré par les articles 27, 31 et 32 de la
LOLF, sous l’empire de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois
de finances, ce principe n’était pas mentionné or, en pratique il est évoqué de manière
récurrente dans les décisions du Conseil constitutionnel. Contrairement aux collectivités
territoriales, dont la sincérité budgétaire était définie à l’article L 1612-4 du Code général des
collectivités territoriales, cette notion définit corrélativement la notion d’équilibre réel. 273
La définition de ce principe est assez vague. L’article 32 de la loi organique énonce : « les lois
de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État.
Leur sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui

272
Le Conseil constitutionnel et la nouvelle loi organique du 1 er aout 2001, décision du 25 juillet 2001, AJDA,
2002 nº 29
273
OLIVA (E) : Finances publiques, Dalloz Sirey, Paris, 2001, p105.

139
Finances publiques et droits fondamentaux

peuvent raisonnablement en découler. » Cependant, le terme de sincérité n’est pas clairement


défini.
Il est à différencier : la sincérité du budget et la sincérité des comptes, le Conseil
constitutionnel se base essentiellement sur la sincérité du budget alors que la Cour des
comptes apprécie la sincérité des comptes.
La sincérité budgétaire s’apprécie au regard de la prévision des recettes et dépenses et sur leur
autorisation, donc ce principe est intimement lié à l’article 14 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, ainsi qu’à l’article 15. Alors que la sincérité comptable se fonde sur la
régularité des comptes et est prévue à l’article 27 de la LOLF. 274
« Le principe de sincérité budgétaire est d'apparition plus récente et repose sur l'idée que la
sincérité des prévisions budgétaires, en recettes comme en dépenses, conditionne le respect
du principe du consentement à l'impôt inscrit à l'article XIV de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789. Sa méconnaissance pourrait donc fonder une censure de la
loi de finances. »275 Le Conseil constitutionnel reconnaît valeur constitutionnelle au principe
de sincérité budgétaire en se basant sur les articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, il estime à ce titre que le fait, pour tout citoyen contribuable, de
pouvoir demander compte de sa gestion à l’État induit « que les ressources et les charges de
l’État doivent être présentées de façon sincère » dans une décision 2006-538 DC du 13 juillet
2006 Loi portant règlement définitif du budget de 2005.276
Le principe de sincérité s’applique tant à la présentation des lois de finances qu’à la procédure
qui conduit à leur adoption. Il s’applique aussi aux comptes des administrations publiques. La
révision du 23 juillet 2008 a inséré dans la Constitution un article 47 -2 al 2 qui énonce : « les
comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle
du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière.»277
Le Conseil constitutionnel examine la validité des recettes et des dépenses quand il est saisi
du grief d’insincérité de la loi de finances, et ce, officiellement depuis 1993 dans sa décision

274
Les lois de règlement sont concernées.
275
« Le principe de sincérité budgétaire des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale »,
les documents de travail du Sénat. www.sénat.fr
276
LAMARQUE (J) : « contrôle de la constitutionnalité de la loi fiscale », JCP Procédures fiscales, fascicule nº
110
277
Décision nº 2011-638 DC du 28 juillet 2011, commentaire loi de finances rectificative pour 2011,
www.conseil-constitutionnel.fr

140
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

nº 93-320 DC du 21 juin 1993 et en 1999, concernant les lois de financement de la Sécurité


sociale.
Le Conseil constitutionnel s’était déjà penché sur le principe de sincérité budgétaire dans une
décision n 83-164 DC du 29 décembre 1983, portant sur la loi de finances pour 1984,cela sans
que ce grief ne soit invoqué par les requérants, et l’on considère que la première décision,
concernant la sincérité budgétaire est la décision nº 82-154 DC du 29 décembre 1982, Loi de
finances pour 1983, bien que le terme de sincérité ne soit pas expressément évoqué, la
référence à la clarté des comptes de l’État induit ce principe de sincérité en tant que cette
clarté permet un contrôle « efficace du Parlement ».
La portée du principe de sincérité, sa signification, est appréciée à la lumière des différentes
interprétations complémentaires réalisées par le Conseil constitutionnel. Il a jugé que ce
principe pouvait être admis en cas d’estimations budgétaires ne retraçant pas la réalité
budgétaire et constitueraient dès lors une erreur manifeste d’appréciation, dans une décision n
° 351 DC du 29 décembre 1994. Il est désormais acquis que le droit d’information du
Parlement au sein du principe de sincérité, passe par « une absence d’intention de fausser les
grandes lignes de l’équilibre » dans une décision nº 2011-644 DC du 28 décembre 2011. La
sincérité s’appréciant au regard des informations et des prévisions disponibles selon la LOLF
dans une décision nº 2001-448 DC du 25 juillet 2001. Le Conseil constitutionnel de préciser
qu’il ne peut sanctionner que les erreurs manifestes concernant les évaluations du fait
notamment des incertitudes relatives à l’évolution de l’économie dans une décision nº 2002-
464 DC du 27 décembre 2002, Loi de finances pour 2003. Il est à souligner, comme le précise
le Conseil constitutionnel, qu’il ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation et de décision
semblable à celui du Parlement, ainsi, il n’a aucune prise sur les montants présentés si ce n’est
qu’ils puissent constituer une erreur manifeste énonce t’il dans une décision nº 2009-599 DC
du 29 novembre 2009, Loi de finances pour 2010. De plus, concernant les lois de
programmation des finances publiques, le Conseil constitutionnel, apprécie la sincérité après
avis du Haut Conseil des finances publiques « sur les prévisions macroéconomiques », dans
une décision nº 2012-658 DC du 13 décembre 2012.

214 Le principe de sincérité budgétaire réalise la lettre des articles 14 et 15 de la


Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en tant qu’il englobe les quatre principes
budgétaires « ce n’est pas un principe autonome, il se combine avec les autres principes »,
nous pouvons même souligner qu’il imprègne les autres principes budgétaires. En définitive,

141
Finances publiques et droits fondamentaux

il agit, comme les autres principes, de façon à rendre effectifs, les principes fiscaux ou libertés
fiscales du citoyen contribuable.
Ce principe semble être la mise en œuvre de l’article 15 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen qui découle nécessairement de l’article 14 de la Déclaration.

215 Aujourd’hui, le principe de sincérité budgétaire trouve également comme corollaire, le


principe d’équilibre. Ce principe d’équilibre dont la nécessité a toujours été avérée n’a été
inscrit que tardivement dans les textes, car le matérialiser ne laissait plus de marge de
manœuvre, sachant que le déficit budgétaire a presque toujours existé. Ce ne sera que sous
l’influence du droit européen et notamment, du traité de Maastricht en 1992, que le principe
d’équilibre voit une première consécration au niveau de la réduction des déficits imposée.
Le principe d’équilibre budgétaire dénommé communément « règle d’or » budgétaire, ne se
présente pas réellement comme un principe budgétaire, car il ne réalise pas une règle stricte,
mais plutôt un objectif, vu que nous sommes en présence d’un déficit budgétaire. Ce principe
fut consacré au niveau des collectivités territoriales, car il s’avère juridiquement contraignant
or, au niveau national il avait perdu de son efficacité. Il se décompose en deux : l’équilibre de
présentation et l’équilibre d’exécution, le premier s’impose à la loi de finances initiale,
concernant la présentation d’un budget en « équilibre », le second s’applique à la loi de
règlement qui n’apparait qu’une fois le budget exécuté, sachant que si l’équilibre n’a pas été
respecté, il n’est plus possible d’agir. C’est ainsi que des réformes visant à rendre ce principe
plus contraignant furent mises en place. Tout d’abord, ce principe est clairement consacré au
sein de la LOLF en son article premier : « les lois de finances déterminent, pour un exercice,
la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État, ainsi que
l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte. Elles tiennent compte d'un équilibre
économique défini, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu'elles
déterminent ». Dans le prolongement de cet édifice juridique, visant à renforcer le principe
d’équilibre, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a institué la loi de programmation
pluriannuelle des finances publiques, introduisant ainsi dans l’article 34, cette nouvelle
catégorie de lois : « Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par
des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des
administrations publiques » et la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la

142
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

programmation et à la gouvernance des finances publiques qui institue « la règle d’or » au


niveau des administrations publiques dans l’ordre juridique national.278
Ce principe d’équilibre tend dès lors à devenir réellement effectif économiquement et
juridiquement.

B. les principes budgétaires : le droit pour le contribuable de suivre


l’emploi des deniers publics

216 Les principes budgétaires en tant qu’ils règlent la procédure relative aux lois de
finances sont des principes très techniques. Peut-on considérer qu’ils sont des principes
autonomes ? (1) Ou constituent-ils des libertés indirectes du contribuable ?(2)

1° Les principes budgétaires des principes autonomes ?

217 Sans règles procédurales permettant au Parlement d’user de son pouvoir de contrôle et
de suivi de l’exécution des lois de finances, les principes fiscaux sont inopérants. La référence
à ces principes par le Conseil constitutionnel, dans son contrôle relatif aux lois de finances,
donne pleine effectivité à ces principes budgétaires.
Peut-on considérer que ces principes sont des principes autonomes dont l’existence peut se
réaliser hors des principes fiscaux ? Nous serions tentés de répondre par l’affirmative, dans la
mesure où les principes d’unité, d’annualité, d’universalité, de spécialité sont des principes
qui règlent la procédure budgétaire au sens strict, donc sont des principes techniques,
cependant la portée de ces principes caractérise des pouvoirs propres au Parlement. En effet,
tous ces principes réalisent la mise en œuvre des principes du consentement à l’impôt prévu à
l’article 14 de la Déclaration, principe phare, mais également la nécessité de l’impôt et le suivi
de l’utilisation des deniers publics conférés par les contribuables. L’annualité est un principe
directement lié au consentement à l’impôt, l’unité, l’universalité et le principe de sincérité
permettent un contrôle accru du Parlement. La spécialité et l’équilibre sont des règles plus
techniques, mais participent également de ce contrôle.

278
OLIVA (E) : « La loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des
finances publiques : l’inclusion dans l’ordre juridique national de la règle d’équilibre des administrations
publiques, ou la montagne qui accoucha d’une souris », RFDA, 2013, p 440.

143
Finances publiques et droits fondamentaux

Ils sont des cadres des libertés spécifiques du contribuable comme nous l’avons démontré
supra. Le principe de sincérité budgétaire assure un rôle transversal à l’égard des autres
principes budgétaires.

2° Les principes budgétaires : des libertés indirectes du contribuable ?

218 Dans la mesure où la relation intrinsèque des principes budgétaires et des principes
fiscaux est avérée, que les libertés du contribuable ne se réalisent pleinement que dans le
respect de ceux-ci, nous pouvons considérer que les principes budgétaires sont des libertés
indirectes ou des droits indirects conférés au contribuable par le biais de ces représentants.
Dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil d’État ne reconnaît
pas le caractère de libertés, aux principes budgétaires. Le Conseil d'État a jugé que le principe
d'annualité budgétaire n'était pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution
au sens de l'article 61-1, dans un arrêt du 25 juin 2010, Région Lorraine, no 339842, non plus
que le principe de sincérité budgétaire, dans un arrêt du 15 juillet 2010, Région Lorraine279 :
« Considérant que le principe de sincérité des lois de finances n'est pas au nombre des droits
et libertés garantis par la Constitution, au sens de son article 61-1280 ».Dès lors, ces principes
ne peuvent faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité et ne consistent pas en
des libertés, au sens de l’article 61-1 de la Constitution.
Or, sans respect de ces principes budgétaires, les libertés fiscales ne peuvent recouvrir leur
pleine efficacité. Ces principes en permettant la réalisation de ces libertés fiscales propres au
contribuable s’avèrent être des libertés indirectes pour ces derniers.
Dans le cadre de la sincérité budgétaire, la méconnaissance de la sincérité des estimations
budgétaires porte atteinte aux prérogatives du Parlement, c’est un principe qui permet de
soulever l’inconstitutionnalité de la loi de finances.

279
LIEBER (S.J), BOTTEGHI (D) et DAUMAS (V) - Cahiers du Conseil constitutionnel nº 29 (Dossier : La
Question Prioritaire de Constitutionnalité) - octobre 2010
280
BRONDEL (S) , « QPC : la sincérité des lois de finances n'est pas un droit garanti par la Constitution », AJDA
2010 p. 1455 Arrêt rendu par le Conseil d'État le 15 juillet 2010 nº 340492 (QPC)

144
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

SECTION 2 : Le Conseil constitutionnel : l’intérêt général est-il supérieur


aux intérêts particuliers ?

219 Comme l’énonce Luciano Filippo, « pour garantir l’accomplissement des droits
fondamentaux, l’État a besoin d’une source de financement, compte tenu que la protection de
ces droits présuppose un apparat public qu’utilise trop de ressources.»281
Ainsi, au sein des finances publiques, les principales ressources sont issues de l’impôt. Par
conséquent, l’impôt permet entre autres, la réalisation au sens d’effectivité, des droits
fondamentaux, mais il peut constituer une atteinte à ces droits s’il n’est strictement encadré.
De plus, les principes sus-énoncés, notamment en matière fiscale, ont également valeur
constitutionnelle ce qui entraîne un conflit de normes (I), sachant que le Conseil
constitutionnel dans le cadre de son contrôle doit également prendre en compte, le principe de
continuité de l’État et des services publics (II).

I. LE CONFLIT ENTRE NORMES CONSTITUTIONNELLES

220 Deux normes de même rang peuvent entrer en conflit, ces normes peuvent être
formelles ou matérielles (A), une conciliation doit alors être opérée par le Conseil
constitutionnel (B).

A. Normes formelles et normes matérielles

221 Les droits fondamentaux considérés, au sens strict, comme des normes de permission,
n’ont pas de limites préétablies.282 Cela entendu dans le sens où la permission s’arrête
lorsqu’elle entre en conflit avec un autre droit ou liberté. C’est en ce sens que les finances
publiques, notamment les règles applicables à la fiscalité, en ce qu’elles constituent des droits
constitutionnellement protégés peuvent engendrer une situation de conflit. Nous entendons le
conflit de normes en ce qu’elles se situent au même degré, car le conflit de normes entre

281
FILIPPO (L) : « L’efficience fiscale et la théorie générale du droit » 2010, site www.apebfr.org
282
FAVOREU (L), GAÏA (P), GHEVONTHIAN (R), MELIN-SOUCRAMANIEN (F), PFERSMANN (O),
ROUX (A), PINI (J), SCOFFONI (G), TREMEAU (J) : Droit des libertés fondamentales, Dalloz, Paris, 2012,
6èmeed , page 79.

145
Finances publiques et droits fondamentaux

normes de degrés différents ne peut exister, dans la mesure où la norme supérieure induit la
norme inférieure et fonde sa validité, elles ne peuvent par conséquent entrer en conflit283.
En effet, paradoxalement, l’impôt entendu au sens large constitue une atteinte aux droits
fondamentaux or, il permet, au sein des finances publiques, la réalisation de ces droits. Des
principes fiscaux sont élevés au rang constitutionnel et font partie intégrante de ces droits, car
ils sont issus d’un même catalogue. Le conflit est alors inévitable dans la mesure où les
normes en cause bénéficient du même rang de protection, à savoir, le rang constitutionnel.
Par conséquent, tous les droits issus du rang constitutionnel sont susceptibles d’entrer en
conflit, soit entre textes différents, à savoir entre un droit énoncé au sein du préambule et un
droit issu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soit entre droits issus d’un
même texte. Au cas qui nous intéresse, les normes financières constitutionnelles sont
susceptibles de porter, ou risquer de porter atteinte à d’autres droits constitutionnels. Les
conflits de normes se règlent soit par des normes formelles soit par des normes matérielles.284
Au titre des normes formelles, c’est l’habilitation donnée à un organe qui permet la solution
du conflit du fait qu’il prescrira la prévalence ou pas. Au titre des normes matérielles, elles
peuvent prévoir, dans certains cas, la limitation d’une norme sur l’autre, dans des cas et
formes précis de conflits comme le souligne les auteurs Louis Favoreu, Patrick Gaïa et allii285.
Hans Kelsen aborde le conflit de normes de même degré selon deux hypothèses générales :
soit une norme est posée avant l’autre et s’applique de ce fait le principe à « lex posterior
derogat priori », soit elles sont posées en même temps par un même acte édicté par un même
organe, de ce fait le, principe sus- énoncé ne trouve pas application. Or, dans le cas des droits
fondamentaux, nous pouvons considérer que cette hypothèse est applicable, bien que les
droits fondamentaux ne soient pas édictés par un seul organe ni par un même acte, en même
temps, mais, ils sont reconnus par un même organe et bénéficient de la même protection. À ce
titre, Hans Kelsen, dans l’hypothèse précitée, prévoit la possibilité pour les tribunaux ou
organes chargés d’appliquer ces normes, de choisir entre les normes afin de résoudre le

283
KELSEN (H) : Théorie pure du droit ; traduit par Charles Eisenmann, éd. Bruylant LGDJ, collection la
pensée juridique, 1962, p 209.
284
Ibid.
285
FAVOREU (L), GAÏA (P), GHEVONTHIAN (R), MELIN-SOUCRAMANIEN (F) , PFERSMANN (O),
ROUX (A) , PINI (J), SCOFFONI (G), TREMEAU (J) : Droit des libertés fondamentales, Dalloz, Paris, 2012,
6èmeed , 701 pages.

146
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

conflit, si la contradiction est partielle « on peut admettre que l’une des normes limite la
validité de l’autre ».286

222 Le problème issu du conflit de normes matérielles s’entend du contenu de chaque


norme, le juge intervient à ce titre afin de permettre la limitation d’une norme au regard de
l’autre, ou la limitation des deux normes plus ou moins, cela, sans dénaturation de la norme
en elle-même.
Considérant qu’il n’y a pas de sous-catégorie normative au sein des normes constitutionnelles,
il n’y a pas de hiérarchisation entre droits fondamentaux.
Dans ce cas précis, ce n’est qu’au cas par cas que la résolution du conflit pourra se faire, car il
est constant qu’il n’y a pas de hiérarchie entre droits fondamentaux. Dans la mesure où, en
l’absence de règles permettant la solution en amont de la prévalence d’une norme sur l’autre,
l’intervention du juge est nécessaire et déterminante à la prévalence d’une norme sur l’autre si
elles s’avèrent prédominantes suivant le cas d’espèce. Le choix de la primauté d’une norme
n’écarte pas complètement l’autre, elle sera mise en œuvre, mais des limites y seront
adjointes. Cependant, ces limites n’entrainent pas son invalidité ou son éviction de l’ordre
juridique. Il s’agit ici d’une conciliation.
Les normes financières, notamment fiscales, constitutionnelles, nécessitent une conciliation
avec d’autres normes de même rang.
Il est d’application constante que les droits fondamentaux soient conciliés avec d’autres droits
fondamentaux ou avec des objectifs d’intérêt général. En matière financière l’objectif
d’intérêt général s’entend habituellement de la continuité de la vie de l’État.
Le Conseil constitutionnel doit obligatoirement concilier les droits fondamentaux et les
besoins de l’État car, l’impôt dans sa large acceptation constitue une des principales
ressources de l’État.

B. De la nécessaire conciliation des libertés

223 Les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoient


les principes d’égalité et de nécessité de l’impôt, or, ils se heurtent souvent à d’autres droits
de même valeur. Le rayonnement de l’article 13, par sa transversalité, en fait un des principes

286
Idem p207.

147
Finances publiques et droits fondamentaux

les plus importants, tant en ce qui concerne son invocation que son utilisation dans la
jurisprudence financière du Conseil constitutionnel. Nous étudierons ici exclusivement le
droit de propriété en tant que droit directement atteint par l’impôt, mais indirectement invoqué
(1), un droit qui bénéficie d’une protection particulière (2).

1° Le droit de propriété, droit directement atteint par l’impôt, mais


indirectement invoqué :

224 Le droit fondamental qui s’oppose directement à l’impôt est le droit de


propriété :« L’impôt en tant que prélèvement pécuniaire sur le patrimoine du contribuable
affecte le droit de propriété287 ». Le droit de propriété est énoncé au sein de la Déclaration des
Droits de l’Homme et du Citoyen aux articles 2 : « Le but de toute association politique est la
conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la
propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression » et 17 : « La propriété étant un droit
inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique,
légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable
indemnité ».
Dans sa décision « Nationalisations » du 16 janvier 1982, le Conseil constitutionnel reconnaît
une valeur constitutionnelle au droit de propriété et ajoute : « les principes mêmes énoncés
par la Déclaration des Droits de l’Homme ont pleine valeur constitutionnelle (…). »
Le Conseil constitutionnel réalise une conciliation entre le droit de propriété et l’impôt dans
son sens large. L’intérêt collectif étant représenté par l’État, le droit de propriété caractérise,
lui, un intérêt privé, le Conseil constitutionnel s’efforce de concilier ces deux intérêts.
Cependant, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le droit de propriété est analysé
comme une conséquence de l’inégalité devant les charges publiques.
Force est de constater, que le Conseil constitutionnel fait rarement référence au droit de
propriété pris en l’article qui le consacre expressément, à savoir l’article 17 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen, il entend le droit de propriété comme sous-jacent à
l’article 13 de la Déclaration. C’est ce que nous pouvons constater à l’étude de la

287
CROUY-CHANEL (E.de) : « le Conseil constitutionnel mobilise-t-il d’autres principes constitutionnels que
l’égalité en matière fiscale ? », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel nº 33 (Dossier : le Conseil
constitutionnel et l’impôt) octobre 2011.

148
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

jurisprudence du Conseil. Le droit de propriété est donc analysé sous le prisme de l’article 13,
en ce que l’impôt est « égalitaire » et ne porte pas, dès lors, atteinte au droit de propriété du
contribuable, la rupture d’égalité serait analysée dans certains cas comme portant atteinte par
voie de conséquence au droit de propriété du contribuable. Le droit de propriété sous entend
que l’impôt ne doit pas revêtir un caractère confiscatoire, pouvant conduire à l’aliénation
d’une partie de son patrimoine par le contribuable pour acquitter l’impôt. 288. Donc l’impôt, en
excédant les facultés contributives du contribuable entraine une rupture d’égalité devant les
charges publiques, viole l’article 13 de la Déclaration, ayant pour conséquence, une atteinte
au droit de propriété, donc à l’article 17 de la Déclaration dans l’acquittement de l’imposition.

225 Par conséquent, l’article 13 de la Déclaration est le pivot d’autres libertés.


Dans la majorité de ses décisions, le Conseil constitutionnel n’examine pas une imposition
directement au regard de l’article 17 de la Déclaration, mais au regard de l’article 13. Ainsi
dans une décision du 29 décembre 1983, Loi de finances pour 1984289, le Conseil
constitutionnel se base sur l’article 13 de la Déclaration et non sur l’article 17, concernant
l’impôt de solidarité sur la fortune eu égard aux facultés contributives du contribuable. C’est
l’institution d’une imposition qui est analysée par le Conseil, au regard de l’article 13 de la
Déclaration au regard de l’égalité, dans son sens généraliste, et l’article 17 n’intervient que
s’il est retiré quelque chose au contribuable. Dans le même sens, concernant l’impôt de
solidarité sur la fortune, dans une décision du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1998,
le Conseil constitutionnel se base toujours sur l’article 13, pour censurer une disposition
relative aux modalités de cette imposition.
Cela alors que concernant l’ISF en particulier, « en raison de son taux et de son caractère
annuel, l’impôt de solidarité sur la fortune est appelé normalement à être acquitté sur les
revenus des biens imposables »290. La formulation interpelle dans la mesure où elle fait
référence aux biens, le droit de propriété est donc fortement induit. L’interprétation du
Conseil constitutionnel se fait essentiellement sur les facultés contributives, et non sur le droit
de propriété en lui-même, malgré le défaut de jouissance d’un bien, que pouvait entrainer
l’imposition. Dans une décision nº 2010-44 QPC du 29 septembre 2010 Époux M, le Conseil

288
Ibid.
289
Décision n ° 83-164 DC du 29 décembre 1983 Loi de finances pour 1984, cons nº 10.
290
Décision nº 98-405 DC réitère la solution de la décision nº 81-133 DC du 30 décembre 1981 Loi de finances
pour 1982 de façon plus souple.

149
Finances publiques et droits fondamentaux

constitutionnel énonce : « asseoir l’impôt de solidarité sur la fortune, sur un bien non
productif de revenus matériels ne viole donc pas l’égalité devant les charges publiques. » 291Il
semblerait que le principe d’égalité devant l’impôt et de nécessité prévalent sur le droit de
propriété en tant qu’il l’englobe ; cela, au regard des facultés contributives du contribuable.
Mais, c’est surtout au regard de l’évasion fiscale que la limitation se trouve plus affirmée. 292
L’intérêt collectif s’avère être un intérêt supérieur à l’intérêt privé, ce, à la lecture de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, dans sa tendance générale, en ce domaine.
Emmanuel De Crouy-Chanel d’énoncer : « entre son absorption par le principe d’égalité
devant les charges publiques, et les tempéraments apportés par le principe de lutte contre
l’évasion fiscale, la portée du principe de non-confiscation par l’impôt, reste donc incertaine
tant dans son fondement que dans son intérêt pratique. »293

226 Le Conseil constitutionnel se base sur l’article 17 de la Déclaration, sur le droit de


propriété surtout lorsque l’on retire un avantage au contribuable.
Le Conseil constitutionnel a concilié le droit de propriété et l’impôt dans une décision n ° 89-
268 DC du 29 décembre 1989, Loi de finances pour 1990, concernant une exonération fiscale
qui devait être supprimée. Dans son considérant nº 35 : « qu'en tant que sanction, la
disposition litigieuse pénalise la liberté d'entreprendre des établissements financiers et
comporte une sorte de confiscation du patrimoine des épargnants qui porte atteinte au droit
de propriété ; qu'elle est, enfin, contraire au principe d'égalité dans la mesure où elle soumet
un même titre d'emprunt à des régimes fiscaux différents selon ses détenteurs ou ses
gestionnaires. »
Il semblerait que le droit de propriété, au regard de l’impôt, entendu au sens large, ne
s’applique spécifiquement dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, non au regard de
l’institution d’une imposition, mais comme retrait d’un avantage « acquis ». Cela semble
trouver une explication dans le fait, que l’institution d’une imposition émane du libre
consentement à l’impôt, non le retrait d’un avantage fiscal. Mais est-ce que le retrait d’un
avantage fiscal s’apparente à une privation de propriété ?

291
Décision n°2010-44 QPC du 29 septembre 2010 Époux M, Constitutions 2011.99 observations Mardière (C.
de la).
292
Décision n ° 2010-99 QPC du 11 février 2011 Mme Laurence N.
293
CROUY-CHANEL (E.de) : « le Conseil constitutionnel mobilise-t-il d’autres principes constitutionnels que
l’égalité en matière fiscale ? », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel nº 33 (Dossier : le Conseil
constitutionnel et l’impôt) octobre 2011.

150
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

Il a été soulevé dans ce cas précis comme dans celui de la décision nº 91-302 DC du 30
décembre 1991, Loi de finances pour 1992, que le conflit ne concerne pas directement le droit
de propriété en tant que tel, mais le principe de confiance légitime. Ainsi, c’est « la stabilité
des règles fiscales et le caractère défavorable, pour les redevables, des nouvelles lois votées
par le Parlement, qui est en cause. »294Ce serait donc le principe de sécurité juridique quant à
la confiance que peut avoir le contribuable en ce que la loi ne change pas en sa défaveur. Ce
ne serait qu’en cas de modification notoire des règles fiscales que le droit de propriété serait
directement concerné. L’invocation non explicite du principe de confiance légitime n’ayant
été invoquée du fait de « l’absence de conceptualisation précise, à l’époque, de l’exigence de
sécurité juridique par le Conseil constitutionnel. »295 Cette analyse est pertinente et juste,
pourtant elle ne semble pas totalement satisfaisante, car l’interprétation du Conseil
constitutionnel au regard du droit de propriété recouvre un autre pan. Certes, il s’agissait, en
partie, d’une référence au principe de sécurité juridique, mais dans une seconde signification,
il s’agit du degré de l’atteinte occasionnée au droit de propriété. Le droit de propriété
bénéficie d’un régime très particulier et son atteinte n’est admise qu’en ce qui concerne le
cœur même de ce droit. En l’espèce, dans la décision du Conseil constitutionnel nº 89-268 DC
du 29 décembre 1989, le Conseil se base en premier lieu sur le corollaire du droit de
propriété, à savoir la liberté d’entreprendre et énonce que la suppression d’une exonération
fiscale ne porte pas atteinte à la liberté d’entreprendre dans le cas d’espèce ; 296il en déduit que
la suppression de cet avantage, qui en occasionnant une majoration de l’imposition ne porte
cependant pas atteinte au droit de propriété.297

2° Le droit de propriété un droit bénéficiant d’une protection particulière :

227 Le Conseil constitutionnel a reconnu le caractère fondamental de ce droit qui se réalise


par le biais de l’article 17 de la Déclaration, mais également par l’article 2. Dans sa décision
du 16 janvier 1982, Nationalisations, le Conseil constitutionnel érige le droit de propriété au
même rang que la liberté, la sureté et la résistance à l’oppression : « les principes mêmes

294
PELLETIER (M) : Les normes du droit fiscal, thèse, préface de Bernard Castagnède. Coll Nouvelles
Bibliothèque de Thèses, éd Dalloz 2008, p 118.
295
Ibid
296
Cons nº 40
297
Cons nº 41

151
Finances publiques et droits fondamentaux

énoncés par la Déclaration des Droits de l'Homme ont pleine valeur constitutionnelle, tant en
ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue
l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la
résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce
droit et les prérogatives de la puissance publique ». Le droit de propriété, dans notre droit,
détient une place particulière, symbolique. La conception française de l’impôt voit dans ce
dernier une atteinte directe au droit de propriété, or la protection accordée au droit de
propriété tend à éviter sa dénaturation ou sa privation. Il y a des degrés dans la protection
accordée au droit de propriété selon la nature de l’atteinte. C’est ainsi que Louis Favoreu
énoncera que le droit de propriété est un droit « artichaut » : « même si on lui retire une série
d’attributs, il reste lui-même ; sauf si l’on touche au cœur, auquel cas il disparaît »298
On considère qu’il y a dénaturation quand le droit de propriété est vidé de sa substance par la
dépossession ou l’expropriation. Le cas est extrême, ce n’est que la perte totale de ce droit qui
caractérise sa violation. L’article 17 de la Déclaration ne trouve à s’appliquer que dans ce cas.
Les atteintes au droit de propriété, non caractéristiques d’une privation totale de ce droit,
n’entrent pas dans le champ d’application du droit de propriété au sens de l’article 17 de la
Déclaration.299 La loi qui ne porte que de simples atteintes non à la substance même de ce
droit, n’en caractérise pas sa violation.300

228 En matière fiscale, le contrôle de constitutionnalité s’exerce à travers le prisme de


l’article 13 de la Déclaration, même quand est en cause le droit de propriété, or, comme l’a
souligné Jean François de Montgolfier, c’est la norme utilisée à l’occasion du contrôle de
constitutionnalité en matière fiscale.301 Ainsi, ce n’est qu’en cas de violation importante de
l’article 13 de la Déclaration que sera violé l’article 17, la rupture d’égalité caractérisée pourra
entrainer violation du droit de propriété.

298
Note d’information interne aux services du Conseil constitutionnel : « quelques éléments sur le droit de
propriété et le Conseil constitutionnel », site conseil-constitutionnel.fr
299
Décision n°84-181 DC du 11 octobre 1984 « considérant que la loi critiquée n’a ni pour objet ni pour effet
d’entraîner la privation du droit de propriété ; que dès lors, elle n’entre pas dans le champ d’application de
l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. » Cette loi concernait la transparence
financière des organismes de presse, qui prévoyait des plafonds dans la détention de parts.de ce fait, certaines
opérations financières étaient interdites afin que les plafonds de parts détenus dans le capital de journaux ne
soient pas dépassés, cela, dans l’objectif de respect du pluralisme de la presse.
300
Décision du 28 juillet 1998 Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. Il ne doit être porté une
atteinte d’une gravité telle que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés.
301
MONTGOLFIER (J F de) : « Conseil constitutionnel et la propriété privée des personnes privées », Cahiers
du Conseil constitutionnel n°31, Dossier : le droit des biens et des obligations, mars 2011.

152
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

229 Comment un droit rangé au même rang que la sûreté et la résistance à l’oppression ne
peut subir in fine qu’une protection si « minime », dont la violation n’est acquise qu’en cas de
violation totale de ce droit, dans la disparition de celui-ci ? Comme l’a énoncé Louis Favoreu,
le Conseil a refusé à ce droit les « trois garanties reconnues aux libertés fondamentales :
l’interdiction des procédures d’autorisation préalable, la compétence du législateur à
augmenter la protection qui leur est assurée ; l’application uniforme de ces libertés sur
l’ensemble du territoire. »302
Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur le droit de propriété est un contrôle
restreint, il est paradoxal que du fait de l’affirmation d’une valeur constitutionnelle importante
de ce droit, il ne fasse l’objet que d’un contrôle minimum alors que d’autres libertés font
l’objet d’un contrôle plus poussé. Le Conseil constitutionnel se base sur la notion de
« dénaturation » afin de vérifier que le législateur n’a pas pris des mesures constitutives de
privation du droit de propriété, le contrôle est minime donc.303 Il s’apparente à un contrôle de
l’erreur manifeste d’appréciation : « l'appréciation portée par le législateur, sur la nécessité
des nationalisations décidées par la loi, soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ne
saurait, en l'absence d'erreur manifeste, être récusée par celui-ci »
Le législateur n’intervient en général, que pour accorder une plus importante protection aux
libertés ce qui n’apparaît pas dans le cadre du droit de propriété, et ce, malgré sa valeur
constitutionnelle. Ce qui a conduit une partie de la doctrine à considérer que le droit de
propriété consacré tel un droit de premier rang s’avère recouvrir les caractéristiques d’un droit
de second rang au regard de la protection qui lui est accordée. Le régime protecteur du droit
de propriété ne se déclenche qu’en cas de privation de celui-ci. 304

302
Note d’information opcit.
303
Décision du Conseil constitutionnel nº 84-172 DC du 26 juillet 1984 Loi relative au contrôle des structures
des exploitations agricoles et au statut du fermage : « Considérant que, si le contrôle des structures agricoles
concerne, en principe, l'exploitation d'un bien, il peut, dans certains cas, entraîner indirectement des limitations
à l'exercice du droit de propriété, notamment en empêchant un propriétaire d'exploiter lui-même un bien qu'il a
acquis ou en faisant pratiquement obstacle à ce qu'un propriétaire puisse aliéner un bien, faute pour l'acquéreur
éventuel d'avoir obtenu l'autorisation d'exploiter ce bien ; que ces limitations n'ont pas un caractère de gravité
telle que l'atteinte au droit de propriété dénature le sens et la portée de celui-ci et soit, par suite, contraire à la
Constitution. »
304
Note d’information op.cit

153
Finances publiques et droits fondamentaux

II LE PRINCIPE DE CONTINUITÉ DE L’ÉTAT ET DES SERVICES PUBLICS

230 L’impôt, en tant que principale ressource, dont bénéficie l’État ne peut se voir remis
en cause de façon récurrente au regard de libertés aussi fondamentales qu’elles soient.
L’impôt est indispensable à la vie de l’État et par là même, à la continuité des services
publics. Le Conseil constitutionnel opère une articulation entre la nécessité de l’impôt et le
droit de propriété (A), la nécessité se traduit en partie par des objectifs de valeur
constitutionnelle tels, que la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale (B).

A. l’articulation entre la nécessité de l’impôt et le droit de propriété

231 La nécessité de l’impôt est consacrée par l’article 13 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen qui interfère comme un article frontière (1) sachant que le régime de
garantie de la loi fiscale limite, en amont, l’atteinte au droit de propriété (2).
L’impôt peut être perçu comme un des moyens au service de la protection des libertés
fondamentales et de leur mise en œuvre effective, le moyen d’accorder des droits. C’est un
instrument au service de l’État, des libertés en son aspect positif.
Entre atteinte aux libertés, particulièrement au droit de propriété, et entre moyen permettant
l’existence des libertés et des droits fondamentaux, en sus de la continuité de l’État au sens
large, le législateur se doit de contrebalancer l’existence de l’intérêt collectif et l’intérêt
individuel.
L’atteinte aux libertés fondamentales est tempérée par la nécessité de l’impôt. Le Conseil
constitutionnel énonce clairement dans sa décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, qu’il
opère un contrôle de l’atteinte au droit de propriété, au regard du principe de nécessité de
l’impôt : « Considérant qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi soumise à l'examen
du Conseil constitutionnel, que le législateur a entendu fonder les nationalisations opérées
par ladite loi, sur le fait que ces nationalisations seraient nécessaires pour donner aux
pouvoirs publics les moyens de faire face à la crise économique, de promouvoir la croissance
et de combattre le chômage et procèderaient, donc, de la nécessité publique au sens de
l'article 17 de la Déclaration de 1789. »305 En l’espèce, l’atteinte au droit de propriété est
justifiée par la nécessité publique. Le Conseil constitutionnel, dans son contrôle de la

305
Cons nº 19 de la décision nº 81-132 DC du 16 janvier 1982 Loi de nationalisation

154
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

dénaturation du droit de propriété, vise en l’espèce l’article 17 de la Déclaration des Droits de


l’Homme et du Citoyen, paradoxalement invoqué au titre de la protection de ce droit et non,
dans sa limitation.
La lettre de l’article 17 de la Déclaration étant ainsi rédigée: « la propriété étant un droit
inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique
légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable
indemnité. »Les rédacteurs de la Déclaration ont donc inscrit au sein de l’article 17 qui
reconnait le caractère inviolable du droit de propriété, la condition de sa privation qui n’est
autre que la nécessité publique. La définition de la nécessité publique s’entend de la
continuité de l’État et des services publics. C’est ainsi que l’impôt en ce qu’il est un moyen de
la vie et de la continuité de l’État est perçu comme nécessaire au sein des articles 13 «(…) une
contribution commune est indispensable(…) » et 14 de la Déclaration : « (…) la nécessité de
la contribution publique (…) ». Nous comprenons alors l’utilisation par le Conseil
constitutionnel de l’article 13 tant en ce qu’il concerne l’égalité des contribuables, qu’en ce
qu’il concerne la nécessité de l’impôt.

1° L’article 13 de la Déclaration est un article « frontière », par sa bivalence,


et bénéficie d’une lecture à double entrée.

232 D’une part, il légitime l’atteinte qui peut être portée aux libertés et notamment au droit
de propriété du fait de sa nécessité, d’autre part, seule la nécessité de l’impôt peut restreindre
les libertés du contribuable, une nécessité légalement constatée ; il se pose alors en tant que
garantie propre au contribuable.
La garantie ainsi posée, en ce qu’elle doit être légalement constatée, se rattache au principe du
consentement à l’impôt, donc à l’article 14, ce n’est que si le contribuable citoyen, par le biais
de ses représentants, constate cette nécessité, vécue comme une privation de son droit de
propriété, décide lui-même de la privation ou de la limitation de son droit en tant qu’il
constate que la contribution est nécessaire dans son intérêt et dans l’intérêt collectif.

233 La marge d’appréciation du Conseil constitutionnel est ainsi restreinte par le


consentement du contribuable à l’impôt du fait de sa nécessité. L’article 13 se pose donc au

155
Finances publiques et droits fondamentaux

carrefour d’un droit garanti du contribuable et d’une nécessité de continuation de l’État qui
justifie de porter atteinte à des droits fondamentaux. On considère généralement qu’« un
intérêt général suffisant » peut justifier l’atteinte au droit de propriété.306
L’atteinte justifiée par la nécessité publique : le Conseil constitutionnel opère un contrôle sur
la proportionnalité de l’atteinte entre le contribuable destinataire de l’imposition et les autres
contribuables. Il réalise ce contrôle par le truchement de l’article 13 de la Déclaration, en se
fondant sur le principe d’égalité devant les charges publiques. Ce n’est qu’en cas de rupture
d’égalité devant les charges publiques que le Conseil constitutionnel fondera
l’inconstitutionnalité de la disposition litigieuse, néanmoins, il est rare qu’une loi fiscale soit
inconstitutionnelle.
La justification de la nécessité ou le caractère nécessaire de l’imposition est évoqué de façon
similaire par l’article 14 de la Déclaration et par l’article 13. Dans sa décision n°93-330 DC
du 29 décembre 1993, le Conseil constitutionnel s’est penché sur un article de la loi de
finances pour 1994, qui prévoyait le maintien d’un prélèvement additionnel concernant les
impositions établies pour l’année 1994. Les députés invoquèrent, au titre de l’article 13, la
méconnaissance du principe de nécessité eu égard à cette imposition. Le Conseil
constitutionnel d’énoncer que dès lors qu’il n’y a pas eu affectation cette recette entrait au
budget général « qui concourt aux conditions générales de l’équilibre budgétaire sans que
soit méconnu le principe de nécessité de l’impôt »307, par cette formulation le Conseil
constitutionnel évoque la nécessité de la loi fiscale dans un ensemble vaste, qu’est l’équilibre
budgétaire. La solution est identique dans une décision n°95-369 DC du 28 décembre 1995,
les députés auteurs de la saisine invoquèrent l’article 14 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen afin de justifier le principe de nécessité de l’impôt. Or le Conseil
constitutionnel s’est prononcé dans le même sens que dans la décision du 29 décembre 1993,
en ne retenant pas au vu de faits identiques, la méconnaissance du principe de nécessité de
l’impôt.
La justification de l’imposition dans sa nécessité se manifeste par l’obligation « de doter
l’État des moyens lui permettant d’assurer ses missions de service public »308.

306
CROUY-CHANEL (E.de): op.cit.
307
Décision n°93-330 DC du 29 décembre 1993 Loi de finances pour 1994 site : conseil-constitutionnel.fr
308
MEIER(E) et BOUCHERON (G H) : « Droits et libertés constitutionnels en matière fiscale », revue de droit
fiscal nº 12, 2010, étude 243.

156
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

Après étude de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, nous pouvons déduire que


l’atteinte au droit de propriété ne s’établit qu’au regard du destinataire de l’imposition.
Notamment, en ce que cette dernière soit répartie de façon inégale au regard des modalités
d’établissement et de perception, sans prise en compte des facultés contributives. Ce qui est
établi par le truchement de l’article 13. Dès « l’instant » où, le citoyen consent à l’impôt en ce
qu’il porte indirectement atteinte à son droit de propriété, il ne peut arguer de sa violation sur
le fond.
Le droit à réparation, lui, est conditionné par une atteinte au droit de propriété ou à une
privation. Le Conseil constitutionnel consacre une protection non équivalente, soit qu’il y ait
privation totale du droit de propriété ou qu’il y ait atteinte dans les conditions de son exercice,
de ce fait, il réalise deux contrôles distincts. La privation ne pouvant être fondée que sur la
nécessité publique et entraine une juste et préalable indemnité selon la lettre de l’article 17 de
la Déclaration. Lorsqu’il n’y a pas privation, mais atteinte au droit de propriété le Conseil
contrôle que cette atteinte ne réalise pas une rupture d’égalité devant les charges publiques et
qu’elle est justifiée par un intérêt général. L’article 17 de la Déclaration prévoit que la
privation de la propriété n’intervient qu’en cas de nécessité prévue par le législateur. Dans ce
cas précis, ou devrait-on dire sous cette condition, il peut y avoir droit à réparation par l’octroi
d’une indemnité. Cette indemnité au sens de l’article 17 de la Déclaration, ne trouve à
s’appliquer que si le propriétaire est dépossédé au sens d’exproprié, à l’inverse en cas
d’atteinte au droit de propriété, il pourra être dédommagé, sous réserve de la décision du juge
administratif309:
L’expropriation, elle, ressortit du contrôle du juge judiciaire.310S’il n’y a pas expropriation, ce
n’est plus l’article 17 qui s’applique mais l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen quand est en cause une imposition, voire l’article 2 dans les autres cas ; ce qui
caractérise alors un contrôle basé sur l’atteinte.
L’usage du droit de propriété peut être restreint, mais pas la disposition de celui-ci. L’article
17 consacre dès lors, le droit de propriété au sens strict.

234 Que ce soit en matière fiscale ou concernant un autre domaine, le Conseil


constitutionnel ne se base sur l’article 17 qu’en cas de privation du droit de propriété.

309
Note d’information interne aux services du Conseil constitutionnel : « quelques éléments sur le droit de
propriété et le Conseil constitutionnel », site conseil-constitutionnel.fr
310
Décision du Conseil constitutionnel nº 85-198 DC du 13 décembre 1985.

157
Finances publiques et droits fondamentaux

L’atteinte sera contrôlée au regard de l’article 13, en matière fiscale et de l’article 2 de la


Déclaration, hors ce domaine. Par conséquent, force est de constater que le droit de propriété
revêt deux régimes de protection, ainsi dans une décision n°94-347 DC du 3 aout 1994
relative à la cession d’actions, le Conseil constitutionnel se base sur l’article 17 afin d’énoncer
qu’il n’y a pas de privation du droit de propriété et ensuite étudie le degré de l’atteinte au
regard de l’article 2 de la Déclaration. 311 Il réitère cette méthode dans le cadre de la question
prioritaire de constitutionnalité, notamment dans une décision relative à l’acquisition forcée
de la mitoyenneté du 12 novembre 2010.312 Un premier contrôle est exercé sur le terrain de la
privation du droit de propriété au regard de l’article 17, en l’absence de privation, le contrôle
s’oriente alors sur les modalités d’atteinte à ce droit et là, sur le fondement de l’article 2.
Nous constatons, que la différenciation de protection et de fondement du droit de propriété
n’est pas propre à la matière fiscale, mais également aux autres domaines.
Contrairement aux autres droits fondamentaux, le droit de propriété est un droit scindé en
deux parties, c’est ce qui ressort de l’analyse jurisprudentielle du Conseil constitutionnel.

2° Le régime de garantie de la loi fiscale afin de limiter en amont l’atteinte au


droit de propriété

235 Les garanties, dont est entourée la loi fiscale, permettent de prévenir une atteinte au
droit de propriété. Il en est ainsi du principe de légalité évoqué supra, le principe de clarté de
la loi, en ce que la loi doit être suffisamment intelligible pour le citoyen. Ce principe
d’intelligibilité s’apparente alors au consentement à l’impôt, comme l’a jugé le Conseil
constitutionnel dans une décision nº 2005-530 DC du 29 décembre 2005.313
Au titre des garanties dont dispose le contribuable, nous pouvons citer les garanties accordées
par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la sécurité juridique
par la stabilité de la loi fiscale. Emmanuel de Crouy-Chanel énonce à ce titre : « l’instabilité
de la loi fiscale, ses conséquences pour l’exercice du droit de propriété, l’intérêt souvent

311
Au considérant nº 10, il énonce : « les modalités d'un tel régime n'entrent pas dans le champ d'application
de l'article 17 de la Déclaration de 1789 »; au considérant 11 il énonce : « il résulte du respect dû au droit de
propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que le législateur ne doit
pas imposer la cession d'actions dans des conditions qui n'assureraient pas le respect de leur valeur réelle ».
312
Décision nº 2010-60 QPC du 12 novembre 2010.
313
Décision nº 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006. AJDA, 2006.13

158
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

exclusivement financier animant le législateur ont cependant contribué à donner à la question


de la sécurité juridique une acuité particulière en droit fiscal »314
Ce principe de sécurité juridique ne fait pas obstacle au principe de rétroactivité de la loi dans
le domaine fiscal, alors que, dans une décision du 29 décembre 1984, les auteurs de la saisine
énonçaient que : « la modification rétroactive par une loi de finances de l'année d'une
disposition fiscale - au demeurant contraire à la "sécurité juridique qui fonde le droit des
personnes dans une démocratie" En effet, alors que, ce principe de rétroactivité ne peut
s’appliquer à la loi pénale, dans le domaine fiscal cela est possible selon une jurisprudence
constante du Conseil constitutionnel « 'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne
s'oppose à ce qu'une disposition fiscale ait un caractère rétroactif. »315

236 Cette rétroactivité s’appréciait au regard d’un intérêt général suffisant, déterminé par
le législateur, auquel a succédé un contrôle sur l’importance de cet intérêt général financier,
renforçant ainsi les droits du contribuable. Dans une décision n°98-404 DC du 18 décembre
1998, le Conseil constitutionnel a jugé que l’intérêt général en cause devait être « suffisant ».
Le Conseil constitutionnel juge que l’intérêt financier doit être important or, il ne peut être le
seul motif du recours à la rétroactivité, notamment si cette procédure peut remettre en cause le
bon fonctionnement du service public comme il l’a jugé dans une décision nº 2002-458 DC du
7 février 2002 : « pourraient se trouver ainsi compromis la continuité du service public des
impôts ainsi que le bon fonctionnement du service public de la justice administrative ».Le
Conseil opère ainsi un contrôle de proportionnalité entre la conformité d’une loi de validation
et la continuité de l’État par le bon fonctionnement des services publics, cela eu égard en
l’espèce au nombre de réclamations déjà portées par les contribuables.
Concernant les lois de validation, le Conseil constitutionnel énonce que cette validation ne
doit contrevenir à aucun principe de valeur constitutionnelle, en sus du principe de non-
rétroactivité de la loi pénale et de l’autorité de la décision passée en force de chose jugée, ce
qu’il rappelle dans chaque décision où la rétroactivité de la loi fiscale est en cause.
Au Conseil de préciser qu’outre ces limites, si le but d’intérêt général est de valeur
constitutionnelle il pourra être dérogé à des principes de valeur constitutionnelle par la

314
CROUY-CHANEL (E.de) : « le Conseil constitutionnel mobilise-t-il d’autres principes constitutionnels que
l’égalité en matière fiscale ? », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel nº 33 (Dossier : le Conseil
constitutionnel et l’impôt) octobre 2011
315
Décision n°84-184 DC du 29 décembre 1984, Loi de finances pour 1985, cons nº 31 et 32.

159
Finances publiques et droits fondamentaux

conciliation qui sera opérée par le législateur, sous le contrôle de conformité à la Constitution
qui sera opéré par le Conseil constitutionnel.316
Le Conseil constitutionnel réalise un contrôle plus strict de l’intérêt général donnant ainsi au
principe de sécurité juridique une force plus importante, en ajoutant des critères à la mise en
œuvre de la rétroactivité de la loi fiscale. Or, l’inconstitutionnalité d’une loi rétroactive en
matière fiscale ne sera déclarée que si elle comprend une rétroactivité en matière pénale ou la
remise en cause d’une décision de justice passée en force de chose jugée.

237 En définitive, le législateur opère une conciliation entre la nécessité en matière


financière et la sécurité juridique. Ce droit à la sécurité juridique n’est pas expressément
consacré par le Conseil constitutionnel, qui cependant, veille à son respect par l’appréciation
qu’il fait de l’intérêt général invoqué. La constitutionnalité d’un tel principe entrainerait
l’impossibilité ou une limitation importante de la rétroactivité de la loi fiscale pourtant, le
caractère indispensable de l’impôt sa nécessité en tant que garantie des ressources de l’État ne
pourrait souffrir d’une limitation aussi importante.
Le Conseil constitutionnel le consacre de façon implicite par son contrôle de proportionnalité
des enjeux en cause.

B. La nécessité un principe traduit par des objectifs de valeur


constitutionnelle tels : la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale

238 Au titre des droits et libertés directement affecté par l’impôt, nous retrouvons en sus
du droit de propriété, la liberté individuelle. La fraude fiscale et l’évasion fiscale constituent
des atteintes au libre consentement à l’impôt et contreviennent à la nécessité de l’impôt.
La liberté individuelle doit être conciliée avec l’objectif de lutte contre la fraude fiscale et
l’évasion fiscale (1) qui justifie la rétroactivité des lois fiscales, mais jusqu’où va la
nécessité ? (2)

316
Décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997, Loi organique relative à la fiscalité applicable en Polynésie
française

160
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

1° Les atteintes à la liberté individuelle et la conciliation avec la lutte contre la


fraude fiscale :

239 La liberté individuelle est dite « rayonnante 317» en droit français, dénomination due à
ses fondements multiples. En effet, elle trouve à s’appliquer tant au sein des articles 1,2, 4 et 7
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’au sein de la Constitution de 1958 à
l’article 66. Cette consécration traduit l’importance de cette liberté fondamentale en ce qu’elle
est un des piliers majeurs de la démocratie. Elle se trouve atteinte par l’impôt, surtout au
regard des opérations fiscales d’établissement et de contrôle. La sacralisation de cette liberté
n’induit pas qu’elle ne peut souffrir de limitations ou de privation, or, ces limitations ou
privations doivent être nécessaires, proportionnées au but poursuivi et respecter les droits de
la défense suivant l’atteinte. Outre la liberté individuelle, ce sont les corollaires de celle-ci qui
sont en balance avec l’impôt au sens large et concerne surtout l’administration fiscale, en ce
sens les perquisitions fiscales qui s’opposent au principe de l’inviolabilité du domicile. Elles
peuvent être réalisées, dans le respect de certaines limites et prescriptions : « pour faire
pleinement droit de façon expresse tant aux exigences de la liberté individuelle et de
l’inviolabilité du domicile qu’à la fraude fiscale, les dispositions de l’article 89 auraient dues
être assorties de prescriptions et de précisions interdisant toute interprétation ou toute
pratique abusive ». En l’espèce le Conseil constitutionnel invalide la disposition en ce que les
prescriptions doivent être réalisées sous l’égide de l’autorité judiciaire. 318

240 Considérant de plus que ces objectifs ont acquis une force constitutionnelle, ils sont
dénommés d’ailleurs « objectifs constitutionnels ». La lutte contre la fraude fiscale est un
objectif de valeur constitutionnelle permettant la limitation ou la privation de certaines
libertés dans une décision nº 99-424 DC du 29 décembre 1999. Il appartient dès lors au
législateur, de concilier les libertés et les objectifs constitutionnels, comme il l’a énoncé dans
une décision nº 2001-457 DC du 27 décembre 2001 : « Considérant qu'il appartient au
législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice des libertés
constitutionnellement garanties et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et

317
FAVOREU (L), GAÏA (P), GHEVONTHIAN (R), MELIN-SOUCRAMANIEN (F) , PFERSMANN (O),
ROUX (A) , PINI (J), SCOFFONI (G), TREMEAU (J) : Droit des libertés fondamentales, Dalloz, Paris, 2012,
6èmeed , page171 et suiv.
318
Décision n°83-164 DC du 29 décembre 1983, cons nº 30

161
Finances publiques et droits fondamentaux

la lutte contre la fraude fiscale qui constituent des objectifs de valeur constitutionnelle. » En
l’espèce, il s’agissait du droit de communication de données que possède l’administration
fiscale dans le cadre du contrôle qu’elle réalise. Les requérants estimaient que ces données qui
revêtaient un caractère personnel n’étaient pas suffisamment encadrées pour assurer leur
protection, ce, concernant la protection de la vie privée.
La lutte contre la fraude fiscale est érigée en un objectif constitutionnel tel, qu’il peut
tempérer le caractère fondamental de certaines libertés. C’est parce que l’impôt est nécessaire
qu’il justifie que la lutte contre la fraude fiscale soit un objectif constitutionnel. L’État pour
assurer sa continuité a besoin de cette ressource, ce qui permet l’atteinte à d’autres libertés.
Mais c’est également le principe d’égalité devant les charges publiques qui justifie cela. Dans
sa décision n° 83-164 DC le Conseil constitutionnel l’énonce clairement, en se basant sur
l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le Conseil énonce le
caractère indispensable de la contribution publique en ce qu’elle permet « l’entretien de la
force publique » et « les dépenses d’administration. » Il déduit de ces dispositions de valeur
constitutionnelle que « l’exercice des libertés et des droits individuels ne saurait en rien
excuser la fraude fiscale ni en entraver l’exercice légitime de leur répression. » 319 Il rattache
également le principe de lutte contre l’évasion fiscale, en supprimant une exonération fiscale
« qui était apparue comme une source d’évasion fiscale », que de ce fait, elle ne constituait
pas une atteinte au droit de propriété en ce qu’elle pouvait entrainer une majoration
d’imposition. Il reconnait également à la lutte contre l’évasion fiscale, le caractère d’objectif
constitutionnel, dans une décision relative à une question prioritaire de
constitutionnalité320dans laquelle il énonce clairement, dans une espèce concernant
l’imposition des prestations réalisées en France, et versée à l’étranger « qu’ainsi le législateur
a entendu mettre en œuvre l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale ». De
plus, le Conseil estime à l’occasion d’une autre espèce, que cet objectif ne réalise pas une
atteinte non plus au principe d’égalité dans la mesure où l’exonération de primes de
remboursement réparties par un OPCVM n’était supprimée que lorsque celles-ci dépassaient
10 pour 100 du montant des revenus distribués, et il estime qu’« une telle différenciation qui
tend précisément à faire échec à un risque d’évasion fiscale qui s’est manifesté dans

319
Décision n°83-164 DC du 29 décembre 1983, cons nº 26 et 27.
320
Décision n°2010-70 QPC du 26 novembre 2010 M Pierre-Yves M , cons nº 4

162
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

l’hypothèse considérée, ne porte pas atteinte au principe constitutionnel d’égalité. » 321 Il est à
souligner que le principe d’égalité lui-même qui a pu faire échec à de nombreuses dispositions
en matière financières, s’incline devant ces objectifs de lutte contre la fraude et l’évasion
fiscale.

2° Le principe de non rétroactivité : jusqu’où va la nécessité :

241 La nécessité de conciliation entre droits et libertés que la Constitution garantit et les
objectifs constitutionnels de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale emportent le plus
souvent une justification de la rétroactivité sachant que des limites y sont également posées.
Les limites consistent dans le respect des droits de la défense, prévu à l’article 16 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. ; le Conseil constitutionnel dans une
décision QPC du 10 décembre 2010 énonce :« Considérant que la validation contestée a pour
effet de priver à titre rétroactif le seul contribuable du bénéfice de la jurisprudence précitée ;
que l'atteinte ainsi portée à l'équilibre des droits des parties méconnaît les exigences de
l'article 16 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les
autres griefs, il y a lieu de déclarer le paragraphe IV de l'article 43 de la loi du 30 décembre
2004 contraire aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Il invalide une loi
rétroactive, car celle-ci méconnait en matière de contentieux fiscal le principe de l’égalité des
parties.

242 Dans une autre décision QPC du 30 juillet 2010322, le Conseil constitutionnel confirme
la conformité à la Constitution de la loi du 4 août 2008, qui ouvre des garanties
supplémentaires aux personnes faisant l’objet de perquisitions fiscales; ces dernières pouvant
demander l’annulation de ces ordonnances les permettant. Cette loi permet également à
certains contribuables, ayant fait l’objet de perquisitions fiscales avant l’entrée en vigueur de
ladite loi, de former un recours en appel contre ces ordonnances, donc rétroactivement ces
personnes bénéficieraient de ce recours malgré le fait que leurs décisions soient passées en
force de chose jugée. Donc, en l’espèce, les droits de la défense sont clairement réitérés en
matière de contentieux fiscal dans cette décision. Mais pourquoi une telle possibilité ouverte

321
Décision n°89-268 DC du 29 décembre 1989 cons 40,41,42.
322
Décision nº 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010 Pipolo et autres

163
Finances publiques et droits fondamentaux

aux contribuables ? Cette décision est dans la lignée de l’arrêt de la Cour européenne des
droits de l’homme : Ravon c/France de 2008323, qui nécessita une réécriture de l’article L 16
B du LPF, afin d’appliquer le droit à un procès équitable en matière fiscale par la possibilité
offerte aux contribuables de contester par la voie de l’appel, les ordonnances du juge
autorisant les perquisitions fiscales. Dans cet arrêt de la Cour européenne, le requérant mettait
en cause l’État français pour violation, du fait de sa législation sur les perquisitions fiscales,
du droit à un procès équitable, du droit à un recours effectif et du droit au respect de la vie
privée et familiale. La Cour européenne a jugé que le droit à un procès équitable était violé,
car le seul recours devant la Cour de cassation de l’ordonnance du Président du TGI ne
permettait pas un examen au fond, et le recours portant sur la régularité de la perquisition ne
peut intervenir qu’après la perquisition effectuée. De fait, la loi du 4 août 2008 a institué un
dispositif transitoire, afin de se mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour
européenne notamment au regard de l’arrêt Ravon. La loi du 4 août 2008 prévoit la possibilité
pour le contribuable de contester les mesures relatives à la perquisition devant le premier
Président de la Cour d’appel, dans les quinze jours de la remise de l’ordonnance prévoyant la
visite domiciliaire. La loi prévoit un régime transitoire et ouvre cette possibilité de recours
aux affaires en cours et à celles déjà jugées.

243 Les droits du contribuable se trouvent certes renforcés et la lutte contre la fraude
fiscale également. Comme il fut souligné très justement, le caractère rétroactif de cette loi
empêche le contribuable de se prévaloir de la jurisprudence Ravon et de mettre en cause la
législation française devant la Cour européenne ce qui justifie ainsi, la continuité de la
démarche dans la lutte contre la fraude fiscale.324

244 En renforçant les droits de la défense en matière fiscale, on légitime le processus de


lutte contre la fraude et l’évasion de l’impôt. Si la fraude se généralise, la continuité des
services publicsde l’État par conséquent se trouve en danger.
Le Conseil constitutionnel accorde un intérêt majeur aux droits de la défense notamment le
principe de l’égalité des parties dans le contentieux fiscal, qui a été renforcé comme en

323
CEDH , 3ème section , 21 février 2008, Ravon et autres contre France
324
MANGIAVILLANO. A : « Les perquisitions fiscales et la rétroactivité de la loi », analyse des décisions
n°2010-19/ 27 QPC du 30 juillet 2010 Pipolo et autres, et n° 2010-51 QPC du 6 aout 2010, Pierre-Joseph F,
RFDC, 2011/1 n°85, p106 à 112.

164
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

l’espèce ; mais nous avons également le principe du contradictoire qui a été renforcé en
matière de procédure fiscale.325
Cependant, le principe sous-jacent, l’objectif consacré est bien celui de la lutte contre la
fraude fiscale. Ainsi, le Conseil énonce qu’il maintient la procédure des perquisitions fiscales
selon les modalités prévues à l’article L 16 B du livre des procédures fiscales au motif que «
ces dispositions sont indispensables à l’efficacité de la procédure de visite et destinées à
mettre en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre le fraude fiscale (…) »
Comme le souligne très justement Emmanuel de Crouy-Chanel « si une personne fraude
l’impôt c’est une atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques, si tout le monde
fraude l’impôt c’est une atteinte à la continuité de l’État ».
Par conséquent, comme l’a énoncé le Conseil constitutionnel, il est possible de contrevenir à
des droits constitutionnellement garantis, si le but poursuivi a valeur constitutionnelle. Or,
concernant les droits de la défense, il n’est pas question dans les espèces précitées d’y faire
obstacle, ni de renoncer ou de tempérer les objectifs constitutionnels de lutte contre la fraude
fiscale et l’évasion fiscale. En effet, tout en reconnaissant et en renforçant les droits de la
défense, le législateur sous le contrôle du Conseil constitutionnel poursuit ses objectifs de
lutte contre la fraude ou l’évasion. Les moyens de procédure sont renforcés, mais l’objectif
poursuivi ne subit pas « d’atteinte ».

245 Nous pouvons légitimement en déduire que le postulat de départ est le principe de
nécessité de l’impôt comme ressource de l’État, donc comme élément majeur des finances
publiques.

246 Tant le législateur que le Conseil constitutionnel dans son contrôle qui pourrait
invalider les lois émises par le premier au regard des atteintes réalisées aux droits
fondamentaux, vont réaliser un équilibre. Le noyau dur étant la nécessité de la ressource,
l’objectif poursuivi est de la recouvrir de façon juste égalitairement, tout en portant une
atteinte moindre aux droits fondamentaux. Il ne s’agit pas tant de contrebalancer des
exigences constitutionnelles entre elles, mais de procéder au recouvrement de sommes
nécessaires à la continuité de l’État tout en ne dénaturant pas les droits fondamentaux. De
l’application nécessaire des articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du

325
Décision n°2010-88 QPC du 21 janvier 2011, Mme Danièle B

165
Finances publiques et droits fondamentaux

citoyen, justifiant également les objectifs de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude
et l’évasion fiscale, ils ne doivent dans leur application porter une atteinte majeure aux droits
fondamentaux.
Cette préoccupation budgétaire ressort clairement d’une décision du Conseil constitutionnel
du 14 octobre 2010,326concernant la conformité à la Constitution de la loi validant les
prélèvements sur les jeux. La motivation principale à la décision de conformité de cette loi de
validation fut l’impact budgétaire qu’aurait eu l’absence de cette loi. Elle a permis de prévenir
une rupture d’égalité entre les contribuables qui auraient pu se prévaloir de la restitution, pour
certains, des prélèvements litigieux, ce qui aurait donné lieu à un important contentieux qui
aurait eu « des conséquences gravement dommageables » en matière budgétaire.327

247 La continuité de l’État et des services publics rend nécessaire le recouvrement de


l’impôt, et justifie la lutte contre son éviction. De façon ambivalente, il peut atteindre les
droits fondamentaux mais est également indispensable à leur existence.

326
Décision n°2010-53 QPC du 14 octobre 2010, Société plombinoise de casino, DF 2010, n°44, act 410.
327
Note sous la décision de renvoi du Conseil d’État du 16 juillet 2010, Société Plombinoise de casino, DF
2010, n°36, comm 463, conclusion P COLLIN. Cependant la doctrine s’accorde sur le fait que cette décision
reste une décision d’espèce.

166
Le cadre constitutionnel des droits financiers des droits fondamentaux

*
***

248 A la question de savoir si nous pouvons considérer qu’il existe des droits et libertés en
matière financière autre qu’en droit fiscal nous pouvons affirmer qu’il n’existe pas de libertés
directes du citoyen en ce domaine. En effet, le Conseil d’État a énoncé que les principes
budgétaires ne constituaient pas des libertés directes du contribuable. Le Conseil
constitutionnel d’ajouter à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité que ni
l’article 14 ni l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne peuvent
être considérés comme des droits fondamentaux au sens de l’article 61-1 de la Constitution.
Cependant, l’analyse que nous avons effectuée démontre que ces principes sont des libertés
indirectes du contribuable réalisant l’article 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen. Le droit de propriété et la liberté individuelle sont deux droits fondamentaux
directement touchés par l’impôt. Le juge opère une conciliation au regard de ces droits et
justifie l’atteinte émise à leur encontre suivant les cas soit par le principe de nécessité de
l’impôt ou d’égalité prévus à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen qui agissent comme limitation et garantie des droits fondamentaux.

167
168
CHAPITRE 2

Le cadre conventionnel et économique des droits financiers


fondamentaux

249 Quelle protection est accordée aux droits financiers fondamentaux dans la
jurisprudence européenne sachant que le domaine des finances publiques ressortit aux
prérogatives de puissance publique détenues par les États ?
Ce questionnement trouve son fondement dans le financement par les États des droits
fondamentaux au sens large. Le droit conventionnel et communautaire ont une influence sur
les droits financiers fondamentaux (Section 1). Le facteur économique, propre au financement
des droits fondamentaux est intégré au sein du contrôle effectué par les juridictions supra
nationales, entendu dans le sens où la protection de nos libertés a un réel coût financier
(Section 2)

SECTION 1 : L’influence du droit conventionnel et communautaire sur les


droits financiers fondamentaux

250 Dans le chapitre précédent nous avons souligné la relation entre les droits
fondamentaux et les finances publiques, notamment au travers l’impôt. Cependant, le droit
européen imprègne-t-il la relation entre le citoyen contribuable et l’impôt telle qu’elle se
définit en France ? (I)
L’influence du droit communautaire sur les finances publiques n’entraine t’-elle pas une
vision différente de la nécessité de l’impôt ?(II)

I. L’IMPÔT : UNE APPRÉCIATION SOUVERAINE DES ÉTATS

251 La matière fiscale en tant que domaine propre aux États, dans la considération de leurs
besoins, de leur politique, et de leur situation financière, ressortit encore essentiellement à leur
appréciation souveraine.

169
Finances publiques et droits fondamentaux

Malgré une évolution de la jurisprudence de la Cour européenne en matière de recouvrement


de l’impôt (A), il ne fait l’objet que d’une invocation médiate (B).

A. L’évolution de la jurisprudence européenne en matière de recouvrement


de l’impôt

252 De la souveraineté quasi absolue des États en matière fiscale, la Cour européenne
réalise un assouplissement de sa jurisprudence en ce domaine. En effet, l’évolution de la
jurisprudence de la Cour européenne permet un contrôle sur le recouvrement de l’impôt
effectué par les États. Or, le contentieux de l’assiette de l’impôt ressortit toujours
exclusivement aux États (1). L’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne en
matière de recouvrement de l’impôt est assez paradoxale au regard de la limitation qui est
définie en matière de fiscalité au sein même de l’article consacrant le droit de propriété. Cela
dénote une conception propre du droit de propriété, par la Cour européenne des droits de
l’homme (2).

253 Le principe du consentement à l’impôt, tel qu’il est défini en France, établit un lien
très étroit entre le contribuable et l’État. En effet, les modalités inhérentes à l’impôt
ressortirent d’une relation intrinsèque entre le contribuable citoyen et l’État. Ainsi, la Cour
européenne des droits de l’homme énonce dans son arrêt Ferrazzini contre Italie du 12 juillet
2001 énonce : « la matière fiscale ressortit encore au noyau dur des prérogatives de
puissance publique, le caractère public du rapport entre le contribuable et la collectivité
restant dominant ». Le requérant Monsieur Ferrazzini, alléguait la violation de l’article 6 § 1
de la Convention par l’État italien en raison de la durée de trois procédures fiscales, dont il
fait l’objet. Il se plaint en sus, d’une violation de l’article 14 de la Convention, dans la mesure
où il serait « persécuté par la justice italienne ». Il est débouté sur tous les volets de sa
requête. La Cour européenne procède en plusieurs étapes dans son raisonnement, elle vérifie
tout d’abord que la procédure litigieuse n’a pas une « coloration pénale », selon une
jurisprudence constante328, ce qui n’est pas le cas en l’espèce selon la Cour. Dans un second
temps, la Cour vérifie que l’objet du litige revêt une contestation relative aux « droits et
obligations de caractère civil », elle estime à ce titre que la seule nature patrimoniale du

328
CEDH Bendenoun c. France, arrêt du 24 février 1994, nº 284

170
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

litige, démontrée par le requérant, n’est pas suffisante à entrainer l’application de l’article 6§1
sous son aspect « civil ».329
La compétence de contrôle de l’impôt, dans son acceptation large, ressortit au juge interne.

1° L’impôt considéré comme un élément de souveraineté de l’État,un élément


objectif et non subjectif.

254 La Cour européenne des droits de l’homme ne connait en matière de fiscalité que du
contentieux relevant d’une lésion des droits fondamentaux. La Convention européenne des
droits de l’homme est difficilement invocable à l’égard de l’impôt en tant que tel. Ce n’est
que dans le Premier protocole additionnel que la Convention mentionne l’impôt, en
comparaison avec le droit de propriété, énonçant que ces deux notions ne sont pas
incompatibles, l’État est libre d’édicter des règles relatives au recouvrement de ses impôts. En
définitive, il semble que le contentieux qui ressortit à l’assiette ou au recouvrement de l’impôt
est en partie exclu du champ d’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme, car,
selon l’arrêt Ferrazzini contre Italie précité : « le contentieux fiscal échappe au champ des
droits et obligations de caractère civil, en dépit des effets patrimoniaux qu’il a
nécessairement quant à la situation des contribuables ». Cet arrêt exclut le contentieux de
l’assiette et du recouvrement en matière fiscale de l’article 6§1 de la Convention européenne
des droits de l’homme. Or, l’arrêt Ravon contre France du 21 février 2008330 a opéré un
assouplissement de la jurisprudence Ferrazzini. En l’espèce, le requérant avait fait l’objet de
plusieurs visites domiciliaires sur le fondement de l’article L 16 B du code des procédures
fiscales sur autorisation de l’autorité judiciaire. Dans cette espèce, la Cour européenne juge
que les perquisitions fiscales sont contraires à l’article 6§1 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la mesure où, la
procédure incriminée ne satisfait pas au droit d’accès à un tribunal. Le contrôle du juge à
l’issue d’une procédure non contradictoire, l’existence du pourvoi en cassation qui ne permet
qu’un contrôle en droit et non en fait dans le cadre de cette procédure est contraire à l’article
6§1. « Porte sur la régularité des visites domiciliaires et saisies dont les requérants ont fait

329
CEDH : arrêt Ferrazzini c Italie, Gde chambre du 12 juillet 2001, cons nº 25.
330
CEDH : arrêt 3e section, 21 février 2008, Ravon et autre contre France, nº 18497/03

171
Finances publiques et droits fondamentaux

l’objet : en son cœur se trouve la question de la méconnaissance ou non par les autorités de
leur droit au respect de ce domicile. Or le caractère civil de ce droit est manifeste (…).»
En l’espèce nous pouvons considérer qu’il y a un infléchissement de la jurisprudence
Ferrazzini, car la Cour européenne accepte d’examiner le contentieux relatif au recouvrement
de l’impôt, matière qui ne relevait pas selon elle de son champ de contrôle. Or, outre le
contentieux du recouvrement stricto sensu, en l’espèce, il y avait atteinte au droit au respect
du domicile, ce qui ressortit selon la Cour, du champ des droits et obligations de caractère
civil, donc de sa compétence de contrôle. Cependant, sous couvert du contrôle de l’atteinte du
droit au respect du domicile, la Cour contrôle le déroulement de la procédure relative au
recouvrement de l’impôt. La Cour estime dans le premier arrêt cité que le seul intérêt
patrimonial n’est pas suffisant à permettre un contrôle de la Cour sur la régularité des
procédures fiscales or, dans le second, elle contrôle ces procédures sur la base de l’atteinte au
droit au respect du domicile. L’ingérence domiciliaire conduit le juge européen à contrôler par
conséquent, la procédure d’ingérence qui ressort en l’espèce de la nécessité de recouvrement
par l’administration fiscale.

255 Véritable assouplissement ou prévalence du droit au respect du domicile ? Force est de


constater que, sans s’immiscer réellement dans le caractère fiscal de la créance de
l’administration stricto sensu, la Cour s’est prononcée sur la procédure de recouvrement. Le
contentieux relatif à l’assiette de l’impôt est toujours un domaine réservé des États. La
rectification de la procédure après la condamnation de la France par la Cour européenne fut
faite par la loi de modernisation de l’économie. Le législateur français, réserve t’il toujours le
contentieux du recouvrement de l’impôt aux États seulement ? La Cour européenne a procédé
à un raisonnement objectif dans un premier temps, et à un raisonnement subjectif, dans un
second temps. La première relation, au sein de la jurisprudence Ferrazzini, procède de la
relation objective entre le contribuable et l’administration fiscale ; la seconde relation est une
relation subjective préfigurée par l’ingérence de l’administration dans la sphère privée du
contribuable, donc la Cour européenne est compétente dans sa jurisprudence constante prise a
contrario.

172
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

2° La conception propre du droit de propriété par la Cour européenne des


droits de l’homme :

256 Le droit de propriété dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de


l’homme et des libertés fondamentales, n’est pas un droit absolu au sens où la France le
consacre. Le Protocole additionnel à ladite Convention tel qu'amendé par le Protocole nº 11
fait état dans son article premier du droit de propriété en son premier paragraphe, le second
paragraphe aborde la fiscalité comme limite à ce droit de propriété : « Les dispositions
précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les
lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt
général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».
La fiscalité est en prise directe avec le droit de propriété ici, la Constitution française a
contrario ne mentionne pas explicitement cette relation propriété et impôt. L’histoire a érigé
le droit de propriété au rang de la sureté, par conséquent la place du droit de propriété, dans le
droit français est supérieure à celle consacrée par la Convention européenne. La consécration
de ce droit est également tardive, elle n’interviendra qu’en 1982. 331 Sa conception est moins
emblématique qu’en France, la consécration est donc moindre dans sa portée. Les raisons
attenantes à cette vision résident dans les conceptions divergentes des États de la « fonction »
du droit de propriété droit individuel ou droit ayant une fonction sociale ? Ces questions
furent abordées par le Conseil de l’Europe quant à la rédaction de la Convention. Droit
emblématique, il touche à l’économie, par conséquent quelle place lui accorder ? Ainsi, il ne
fut pas intégré au sein du corps de la Convention, mais dans un protocole, laissant ainsi aux
États une large marge d’appréciation quant à sa protection.

257 Les États gardent une appréciation souveraine des conditions relatives au respect et à
la privation de ce droit « la Cour respecte l’appréciation portée par le législateur (…), sauf si
elle est dépourvue de base raisonnable. »332La référence à la fiscalité dans le premier
protocole additionnel de 1952, tend à consacrer la limitation qu’elle opère au respect des
biens « le droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires

331
CEDH : Sporrong et lönnroth c Suède, arrêt du 23 septembre 1982
332
CEDH : Gasus Dosier-und Fördertechnik c Pays-Bas, arrêt du 23 février 1995. En l’espèce, le fisc procéda à
la saisie et à la vente forcée d’un bien afin de recouvrer une créance fiscale due par l’acheteur. La Cour a conclu
en l’espèce à la non-violation de l’article 1 du premier protocole.

173
Finances publiques et droits fondamentaux

pour assurer le paiement des impôts.» La privation est licite, si elle respecte certaines
conditions à minima selon la jurisprudence de la Cour. Cette dernière juge particulièrement,
non la notion de propriété, mais la régularité des procédures entourant ce droit en tant qu’elles
respectent le droit à un recours effectif, à l’égalité des armes, contre toute décision de
privation par exemple.333

258 Ce n’est donc pas le droit de propriété en tant que tel qui est soulevé à l’appui des
requêtes en contestation dans le domaine fiscal, mais les dispositions relatives au second
alinéa concernant la possibilité pour les États de mettre en vigueur les lois nécessaires au
recouvrement des impôts et autres contributions.334 Les dispositions du protocole nº 1 de la
Convention apparaissent comme étant les dispositions de base de la requête au regard du droit
des États de recouvrir l’impôt, mais les dispositions relatives à la contestation au fond sont
autres. Force est de constater que le droit de propriété au sein de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’a qu’une valeur
« symbolique » quant à la notion de propriété en tant que telle.

B. l’invocation de l’impôt de manière médiate :

259 Les décisions rendues essentiellement sur la base de l’article 1 du 1 er protocole relatif
au droit de propriété sont relativement rares en matière de fiscalité. Elles sont combinées à des
articles relatifs à des domaines variés. La combinaison de l’article 1 du protocole additionnel
avec d’autres articles de la Convention (1) permet une ingérence de la Cour européenne en
matière de fiscalité. Force est de constater que l’influence du droit communautaire est
beaucoup plus importante (2), cela au regard des domaines couverts respectivement par les
deux instruments.

333
CEDH : Hentrich c France arrêt du 22 septembre 1994, en l’espèce était en cause le droit de préemption par
l’administration fiscale « la mesure de préemption a joué de manière arbitraire, sélective et guère prévisible, et
n’a pas offert les garanties procédurales élémentaires » cons n ° 42. Site : http://hudoc.echr.coe.int
334
CEDH : Draon et Maurcice c France arrêt de grande chambre du 6 octobre 2005, en l’espèce, la loi du 4 mars
2002 en cause a été jugée par la Cour comme ayant « entraîné une ingérence dans l’exercice des droits de
créance en réparation qu’on pouvait faire valoir en vertu du droit interne en vigueur jusqu’alors et, partant, du
droit des requérants au respect de leurs biens ».Ces affaires concernaient l’indemnisation du préjudice subi
suite aux fautes médicales respectives n’ayant pas décelé le handicap des enfants à naitre. »

174
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

1° La combinaison de l’article 1 du protocole additionnel avec d’autres articles


de la Convention

260 La combinaison de l’article 1 du protocole additionnel et l’article 6§1 de la


Convention dans les décisions de la Cour européenne, ont pour « pilier principal » en matière
de fiscalité, la garantie d’un procès équitable en matière de répression fiscale administrative.
Les droits subjectifs du contribuable sont garantis par la Convention européenne de
sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, surtout concernant le
domaine des sanctions fiscales. Depuis l’arrêt Bendenoun c France, les décisions fiscales
ayant le caractère de sanctions, entrent dans le champ de l’article 6§1 de la Convention qui
prévoit le droit à un procès équitable. À ce titre, les contribuables doivent pouvoir saisir un
tribunal concernant toute décision prise à leur encontre. Ce qui constitue une des garanties
procédurales élémentaires, énonce la Cour dans son arrêt Hentrich c France, mais également
dans un arrêt Sporrong et lönnroth c Suède335 la Cour combine l’article 1 er du protocole et
l’article 6§1 de la Convention concernant une expropriation. L’article 6§1 est un article
central, l’article 1 du 1er protocole lui est combiné ; ce qui apparaît dans les espèces précitées.
Parfois, l’article 6§1. est l’unique article fondant la décision de la Cour, ainsi concernant des
amendes prescrites à l’encontre d’une personne n’ayant pas communiqué des documents
relatifs à des sociétés dans le cadre d’une procédure de soustraction d’impôt. La Cour conclut
à la violation de l’article 6§1. de la Convention au motif que la communication de ces
documents aurait participé à l’incriminer pénalement, que de ce fait il avait droit de garder le
silence, dans un arrêt J.B c Suisse, ce qui est réitéré dans un arrêt de la Cour J.J c Pays-bas
dans une affaire de redressement fiscal assorti d’une pénalité fiscale. La Cour a jugé en
l’espèce que le droit à une procédure contradictoire avait été violé. 336 Cela est constaté dans
deux affaires jointes devant la Cour Janosevic c Suède et Västberga Taxi Aktielobag et Vulic c
Suède337 où les requérants, dans le cadre d’une enquête effectuée par l’administration fiscale,
firent l’objet d’une procédure de redressement fiscal et concomitamment d’une imposition
supplémentaire. En l’espèce, la Cour a conclu à une violation de l’article 6§1 dans les deux

336
CEDH : arrêts JB c Suisse du 3 mai 2001 et J.J c Pays-Bas du 27 mars 1998.
337
CEDH : arrêt Janosevic c Suède et Västberga Taxi Aktielobag et Vulic c Suède du 23 juillet 2002.

175
Finances publiques et droits fondamentaux

espèces aux motifs du non-respect du droit d’accès à un tribunal et de la durée excessive des
procédures.
Dans d’autres espèces, la Cour combine l’article 1 er du protocole avec l’article 14 de la
Convention qui consacre le principe de non-discrimination. C’est le cas, dans le célèbre arrêt
SA Dangeville c France338, où la Cour conclut à la violation de l’article 1 er du protocole et
énonce la nécessaire combinaison avec l’article 14 de la Convention concernant une créance
sur l’État, de ladite société qui, à l’appui de son pourvoi invoquait une directive
communautaire. Le grief fut rejeté par le Conseil d’État qui dans une affaire similaire avait
accordé le remboursement. Dans une autre espèce, elle combine également l’article 1 er du
protocole avec l’article 14 et réalise une imbrication entre l’article 14 et l’article 6§1 de la
Convention.

261 L’article 14 de la Convention semble venir à l’appui des articles précités. Sachant que
l’article 1er du protocole est appréhendé par la Cour comme un article de référence en matière
de fiscalité, mais, avec un rayonnement faible. L’article 6§1 est l’article pilier du contentieux
relatif à la fiscalité devant la Cour européenne.
Cet article a également été associé à d’autres articles de la Convention sans référence à
l’article 1er du protocole, dans le cas notamment de visite domiciliaire dans les locaux d’un
cabinet d’avocat afin d’y trouver des documents pouvant incriminer une société. La Cour
conclut à la violation de l’article 6§1 et à la violation de l’article 8 de la Convention
consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance.339
L’invocation de l’article 9 de la Convention qui consacre la liberté de religion, fut appliquée
par la Cour, au soutien de sa décision, concernant une déclaration de dons manuels réalisés au
profit de l’exercice du culte des Témoins de Jéhovah qui, dans le cadre d’un contrôle fiscal,
ont été soumis à taxation. Cette affaire révèle la grande perméabilité du contentieux fiscal
avec des domaines divers.

262 Il ressortit de ces espèces, que l’article 1 er du Protocole ne permet pas de fonder à lui
seul une décision de la Cour, il se place socle et est combiné à d’autres articles permettant
l’entrée dans le champ « de droits et obligations à caractère civil ». C’est ainsi que les articles

338
CEDH : arrêt SA Dangeville c France du 16 avril 2002
339
CEDH : arrêt André et autre c France, du 24 juillet 2008

176
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

8, 14, 9 et 13 sont invoqués au soutien des décisions de la Cour. Force est de constater que
seul le contentieux du recouvrement de l’impôt fait l’objet d’un contrôle devant la Cour
européenne. Cela, conformément à la jurisprudence Ferrazzini, le contentieux de l’assiette
ressorti aux États dans sa détermination. L’arrêt Ravon a opéré un infléchissement de la
jurisprudence Ferrazzini, en permettant un réel contrôle sur le contentieux relatif au
recouvrement, mais il semblerait que le contentieux relatif à l’assiette de l’impôt ne subisse
pas une évolution majeure à ce jour, or la Cour semble y porter attention. Dans un arrêt NKM
c Hongrie du 14 mai 2013, la Cour énonce : « En outre, l’impôt a été appliqué à des revenus
liés à des activités antérieures à l’année fiscale, à un taux considérablement plus élevé que
celui en vigueur lorsque le revenu en question avait été généré, ce qui peut être considéré
comme une atteinte déraisonnable aux espérances protégées par l’article 1 du Protocole nº
1 (…). »340 Serait-ce une brèche dans le contrôle de l’assiette de l’impôt ou est-ce un arrêt
isolé ?

263 En ce qui concerne le contentieux du recouvrement, il est abordé surtout au regard des
garanties procédurales consacrées par la Convention, le cœur même de l’impôt, sa nécessité
n’est pas abordée. L’impôt dans sa conception intrinsèque ne fait pas l’objet d’un contrôle par
la Cour. Cela dans la mesure où les rapports entre le contribuable et l’administration fiscale
sont des rapports objectifs au regard de cette notion, car l’impôt s’applique à tous les
contribuables. La subjectivité de la relation entre le contribuable et l’administration fiscale ne
s’établit qu’en cas de procédure de recouvrement. Ainsi, la Cour relève sa compétence qui ne
touche qu’à la subjectivité des relations entre le contribuable et son administration fiscale.
Peut-on envisager qu’à l’avenir, l’article 1 er du Protocole additionnel pourra fonder à lui seul
une décision de la Cour en matière fiscale ? Le contentieux de l’assiette de l’impôt sera-t-il
longtemps imperméable au contrôle du juge européen sur le fondement de l’article 14 de la
Convention par exemple ? Vu l’influence du droit communautaire en matière de fiscalité.

340
CEDH : arrêt N.K.M. c. Hongrie du 14 mai 2013, Communiqué de presse - Arrêts de chambre
http://hudoc.echr.coe.int

177
Finances publiques et droits fondamentaux

2° L’influence du droit communautaire sur les finances publiques :

264 Les finances publiques subissent l’influence du droit communautaire. Il encadre la


souveraineté budgétaire du Parlement, car ce dernier doit contribuer au budget européen. De
plus, le pacte de stabilité impose des règles strictes qui encadrent le Parlement dans la
présentation de son budget. Mais l’ingérence la plus notable, dans ce qui ressortit des
« prérogatives de puissances publiques des États » comme l’énonce le juge de Strasbourg,
est, comme l’a énoncé Jean-Bernard Auby, que : « Le droit communautaire s’immisce
également dans le droit des recettes publiques, communautarisant le régime de certaines
d’entre elles – comme la TVA – ou imposant parfois ses propres qualifications – comme celle
de taxe d’effet équivalent à des droits de douane ».341
Le droit communautaire a entamé un processus de globalisation en matière de recettes
publiques, le juge de Strasbourg lui, n’apprécie que les relations subjectives entre le
contribuable et l’État, or, au regard de la crise économique et financière, il est à préjuger que
la Cour européenne devra se pencher sur ce pan de la fiscalité que concerne l’assiette.
Que ce soit le droit communautaireou le droit conventionnel, la notion de nécessité de l’impôt
renvoie à une signification autre que celle revêtue par le droit national. Les juges
communautaires et européens ne sont pas en prise directe avec les difficultés économiques et
financières nationales, de plus leurs instruments de référence sont établis de façon plus
globale afin de protéger utilement les contribuables. Or, la mesure de la crise économique et
financière semble aujourd’hui être intégrée au niveau des dépenses publiques par le juge
européen.

II. LES DÉPENSES PUBLIQUES : UNE APPRÉCIATION DE LA COUR EUROPÉENNE SUR


LEUR NÉCESSITÉ

265 A la lecture de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les


divergences manifestes d’appréciation du caractère de la nécessité de la dépense publique
apparaissent, comparativement à celles des juridictions nationales. En effet, la Cour estime

341
AUBY (J.B) : « L'influence du droit européen sur les catégories juridiques du droit public », Informations
sociales 1/2013 (nº 175), p. 60-68. Site : www.cairn.info/revue-informations-sociales-2013-1-page-60.htm

178
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

qu’un simple intérêt financier n’est pas suffisant (A). Cependant, il semblerait que la Cour
opère un infléchissement de sa jurisprudence et prenne en compte la crise économique et
financière (B).

A. un simple intérêt financier n’est pas suffisant

266 Dans le cadre de son contrôle relatif aux lois de validation, la Cour européenne des
droits de l’homme énonce de façon constante qu’un simple intérêt financier n’est pas suffisant
à justifier la rétroactivité d’une loi concernant les lois de validation (1). La jurisprudence de la
Cour de justice de l’Union européenne s’inscrit dans la lignée de celle de la Cour européenne
des droits de l’homme (2)

1° Concernant les lois de validation

267 Dans sa jurisprudence, il est constant que la Cour européenne des droits de l’homme
ne prenne pas en compte l’intérêt financier étudié sous le prisme de l’équilibre financier du
budget de l’État. En effet dans le domaine des lois de validation, la Cour européenne dans un
arrêt du 28 octobre 1999 Zielinsky et Pradal et Gonzales et autres, a jugé contraire à l’article
6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales une
loi de validation motivée par le risque de perte de recettes pour l’État. La Cour estime « que le
risque financier dénoncé par le Gouvernement et expressément relevé par le Conseil
constitutionnel pour motiver sa décision, ne saurait permettre, en soi, que le législateur se
substitue, tant aux parties à la convention collective, qu’aux juges pour régler le litige. Sur ce
point, la Cour note que le Gouvernement avance la somme de trois cent cinquante millions de
pertes financières pour les organismes de sécurité sociale concernés en cas de succès
généralisé des recours ; sans fournir d’autres éléments de comparaison, notamment quant au
coût total des 9 000 employés, quant aux particularités des dépenses de santé des organismes
d’Alsace-Moselle (…) ». Par conséquent, la Cour juge qu’un simple intérêt financier n’est pas
suffisant, contrairement à la décision du Conseil constitutionnel qui en l’espèce a déclaré
conforme la loi incriminée, en arguant du fait qu’il était nécessaire d’éviter des
« contestations dont l’aboutissement aurait pu entrainer des conséquences financières
préjudiciables à l’équilibre des régimes sociaux en cause » et qu’il était loisible au législateur

179
Finances publiques et droits fondamentaux

de prendre des dispositions rétroactives eu égard à « l’intérêt général ».342 Dans cette espèce,
la Cour a jugé que l’intervention du législateur s’apparentait à une ingérence dans
l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement des affaires. Ainsi, elle
reconnait la possibilité offerte au législateur d’intervenir, mais pour « des motifs impérieux
d’intérêt général » ce qu’elle ne retient pas concernant des motivations financières.

268 La Cour européenne n’accorde pas le même intérêt aux conséquences financières, et
notamment à la sauvegarde de l’équilibre financier, que celui accordé par le Conseil
constitutionnel dans plusieurs espèces.343 Ainsi, le contrôle de proportionnalité ne se fait pas
au même niveau ou selon une même grille d‘importance.
Dans une affaire du 23 juillet 2009 Joubert c France, la Cour européenne juge qu’un simple
intérêt financier pour l’État n’est pas suffisant à la mise en œuvre d’une loi rétroactive. Elle
corrobore donc sa jurisprudence Zielinsky, en estimant que le fait pour le Gouvernement de
vouloir pallier le nombre de recours importants sans pouvoir en évaluer son intensité était
caractéristique d’un but purement financier. Elle énonce que « l’augmentation du nombre de
recours formés par les contribuables invoquée par le Gouvernement pour justifier du
caractère rétroactif de la loi de finances pour 1997 restait purement hypothétique au moment
de l’adoption de cette disposition ».344 Par conséquent, le but que poursuivait le
Gouvernement pour la Cour, était un simple intérêt financier, cet intérêt, ne permet pas de
justifier une atteinte au droit des biens qu’arguaient les requérants. Et la Cour d’ajouter,
qu’une telle atteinte ne peut être justifiée dans la mesure où proportionnellement l’atteinte, qui
serait portée au budget de l’État, ne revêt pas une importance telle qu’elle affecterait l’intérêt
général. Dans son contrôle de proportionnalité, la Cour a procédé à une évaluation du nombre
de recours pouvant être intentés, en parallèle avec la loi rétroactive et a estimé que l’intérêt
financier n’était pas suffisamment important, car hypothétique dans son montant, et qu’en
définitive, il ne pouvait justifier l’atteinte au droit des biens que subissait les requérants. Dans
le contrôle de proportionnalité qu’elle opère entre l’utilité publique, ici exprimée par l’intérêt

342
CEDH : arrêt Zielinsky et Pradal et Gonzalès et a c France, Gde Ch, du 28 octobre 1999 ; RJF 1/2000, nº
140.
343
Voir en ce sens, Cons.const. n° 97-393 DC décision du 18 décembre 1997. En l’espèce, le Conseil
constitutionnel juge que le législateur pouvait prendre une loi de validation au regard de « l’exigence
constitutionnelle relative à l’équilibre financier de la sécurité sociale » ainsi qu’au regard « des sommes en
jeu ».
344
CEDH : arrêt Joubert c France, du 23 juillet 2009, cons n°62 et cons n°68.

180
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

financier et l’ingérence dans une liberté fondamentale d’autre part, qui est représentée par
l’atteinte au droit au respect des biens, la Cour conclut que “l'adoption de l'article 122 de la
loi de finances pour 1997 a fait peser une ‘charge anormale et exorbitante’ sur les requérants
et l'atteinte portée à leurs biens a revêtu un caractère disproportionné, rompant le juste
équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux des
individus ». Cela, même si le litige relatif à la matière fiscale relève de l’appréciation
« élargie » des États, conformément à l’article 1 er du Protocole nº 1. En matière de loi de
validation, la Cour européenne réitère sa jurisprudence en énonçant que le seul intérêt
financier de l’État ne constitue pas une justification à la mise en œuvre d’une loi ayant un
effet rétroactif, ceci alors que le Gouvernement avait pour objectif « de sécuriser les recettes
sociales et éviter l’engorgement des juridictions »345. La Cour censure les dispositions
litigieuses et énonce qu’il peut être porté atteinte à une liberté fondamentale en l’espèce il
s’agissait du droit à un procès équitable, l’objet de l’article 73 de la loi de financement de la
sécurité sociale opérait une régularisation des contrôles opérés par les agents de l’URSSAF,
cependant la procédure comportait une partie d’illégalité. Une atteinte est justifiée sur le
fondement d’un impérieux motif d’intérêt général, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

269 Manifestement, en matière de dépenses publiques, au vu des espèces précitées, la Cour


européenne opère un contrôle beaucoup plus poussé qu’en matière de recettes. Il est
également à noter qu’elle ne donne que rarement satisfaction aux arguments soulevés par les
États. Ceci pouvant s’analyser au regard de sa compétence principale qui est « le respect des
droits de l’homme », or la Cour de justice de l’union européenne s’inscrit t’elle dans la lignée
de la jurisprudence de la Cour européenne ou en rupture avec cette dernière au regard de
l’intérêt financier ?

345
CEDH : arrêt Lilly c France du 25 novembre 2010, cons 43 « La Cour réaffirme que si, en principe, le
pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée
rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès
équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du
pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du
litige », en l’espèce elle énonce que « le chiffre de 400 millions d’euros de pertes avancé par le Gouvernement
repose sur une évaluation faite par l’URSSAF du montant des recettes de sécurité sociale qui auraient pu être
contestées devant les juridictions de la région parisienne si l’article 73 de la loi du 18 décembre 2003 n’avait
pas été adopté. Le Gouvernement ne fournit aucun renseignement quant au mode de calcul de ce chiffre qui est
nécessairement hypothétique dans la mesure où il repose sur une évaluation aléatoire des conséquences
résultant des procédures qui auraient pu être introduites. En effet, comme il l’a souligné, aucun redressement de
cotisation n’a été remis en cause avant l’intervention de la loi litigieuse en raison de l’incompétence des agents
de l’URSSAF, ce qui rend virtuel le chiffre qu’il avance ».

181
Finances publiques et droits fondamentaux

2° la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne s’inscrit dans


la lignée de celle de la Cour européenne des droits de l’homme

270 La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après dénommée


CJUE) est en accord avec celle de la Cour européenne concernant la mise en balance de
l’intérêt financier avec les libertés fondamentales issues des dispositions du Traité de l’Union
européenne. Dans son arrêt Commission c/Danemark du 15 septembre 2005346, la CJUE
énonce que la perte de recettes fiscales ne peut entraver la restriction à l’exercice d’une liberté
fondamentale. La seule « dérogation » est un motif impérieux d’intérêt général. Elle réitère et
renforce cette conception au sein d’un arrêt du 29 novembre 2011 National Grid Indus BV où
elle énonce : « Il résulte d’une jurisprudence constante qu’une restriction à la liberté
d’établissement ne saurait être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses
d’intérêt général. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle soit propre à garantir la
réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour
atteindre cet objectif”. Les faits de l’espèce concernaient l’imposition des plus-values latentes
afférentes aux actifs de ladite société à l’occasion du transfert du siège de direction effective
de celle-ci au Royaume-Uni. La Cour reconnait que la répartition du pouvoir d’imposition
entre les États membres est un objectif légitime. Selon la CJUE, le transfert de siège de
direction effective d’un État membre vers un autre État membre correspond à un fait
générateur permettant de fixer l’imposition. Or, la règlementation d’un État membre n’a pas à
en imposer le recouvrement immédiat de cette imposition, il doit offrir la possibilité, à la
société transférant son siège de direction effective, d’opter pour un paiement différé. 347

271 La CJUE reconnaît également que le but de maintien d’une cohérence du système
fiscal national pouvait constituer une raison impérieuse d’intérêt général. Or, l’objectif
principal poursuivi par un régime fiscal précis, d’obtenir une augmentation des recettes
fiscales nationales, s’oppose à une jurisprudence bien établie qui énonce que la recherche de
recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général
348
justifiant une restriction à une liberté fondamentale. La CJUE, dans son interprétation
relative à la liberté d’établissement, prévue à l’article 49 du Traité sur le Fonctionnement de

346
CJUE : aff C-464/02 Commission c Danemark du 15 septembre 2005
347
CJUE : aff C-371/10 National Grid Indus BV du 29 novembre 2011.
348
CJCE : aff C-397/98 et C-410/98, Metallgesellschaft e.a du 8 mars 2001, Rec. p. I-1727, point 59.

182
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

l’Union européenne, ne considère les restrictions pouvant y être apportées que de façon stricte
en matière d’impositions nationales349. Bien que l’ingérence dans l’analyse de la législation
nationale en matière fiscale soit plus conséquente de la part de la CJUE que celle opérée par la
CEDH.

272 La fonction de la Cour européenne des droits de l’homme et celle de la Cour de justice
de l’Union européenne ne sont pas similaires, car elles usent d’instruments de référence
distincts. La Cour européenne ainsi que la Commission ont rappelé que : « même si les droits
qu’elle énonce ont des prolongements économiques et sociaux, la Convention a pour objet la
protection des droits civils et politiques », ainsi son ingérence dans les systèmes fiscaux
nationaux se fait à minima. L’ingérence est plus évidente de la part de la CJUE, car en matière
fiscale le Traité de référence est le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, ses
articles 110 à 118 ressortissent à la matière fiscale, ils visent à l’harmonisation de la fiscalité
directe, à la non-discrimination (…). Il est ainsi évident que l’ingérence soit plus importante,
or, la législation de l’Union européenne en matière de fiscalité directe a pour objectif une
correspondance d’application concernant les systèmes fiscaux nationaux des États membres,
mais elle n’intervient pas dans la détermination conceptuelle des systèmes fiscaux propres à
chaque État.

B. La prise en compte de la crise par la Cour européenne des droits de


l’homme :

273 La crise économique et financière en ce qu’elle touche les États de façon différente,
entraine une marge d’appréciation de la garantie de subsistance des requérants (1) à des
degrés différents selon l’ampleur de la crise qui atteint les États et la situation des requérants
(2).

1° L’appréciation de la garantie de subsistance des requérants

274 Le constat est alarmant, les cycles de crises économiques et financières que traversent
les États entrainent une précarisation des conditions de vie des ressortissants de l’Union

349
CJUE : aff C-380/11 DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C. SapA

183
Finances publiques et droits fondamentaux

européenne. Les droits fondamentaux subissent cette atteinte par ricochet et la Cour
européenne a à connaitre d’affaires mettant à mal certains droits. Les États sont contraints de
mettre en place des dispositifs visant à des restrictions, notamment en matière de dépenses
publiques. Dans ce contexte, la Cour concilie les droits consacrés par la Convention avec les
exigences économiques et financières auxquelles les États doivent faire face. Nous étudierons
ce volet sous l’angle du droit de propriété tel qu’il est prévu par la Convention européenne des
droits de l’homme, tant au regard de l’augmentation de la pression fiscale que de la réduction
des dépenses publiques. Nous pouvons dès lors faire le constat que l’appréciation à minima
par la Cour européenne des législations nationales en matière budgétaire, ainsi que les
facteurs économiques qui entouraient l’adoption de ces législations, a connu une évolution
notable. La Cour se penche aujourd’hui sur les nécessités qu’implique la crise et procède à un
contrôle de proportionnalité en intégrant ce facteur. Dans ce contexte de crise, la fonction
subjective du droit de propriété doit être conciliée avec les nécessités liées à la mise en œuvre
de politiques publiques destinées à contrer les effets de la crise.

275 L’appréciation de la Cour européenne sur la situation financière des requérants suite à
la mise en place de politiques budgétaires corrobore la grande marge de manœuvre laissée aux
États. En effet, l’appréciation de la Cour se base sur la situation financière du contribuable, en
estimant que les dispositifs fiscaux ne doivent pas avoir pour effet de les démunir.
Dans une affaire du 14 mai 2013, N K M c Hongrie, la Cour a conclu à la violation de l’article
1er du Protocole nº 1 concernant la taxation à 98 % d’une partie de l’indemnité de
licenciement de la requérante en vertu d’une loi entrée en vigueur très peu de temps avant son
licenciement. La Cour réitère sa position à l’égard des États dans la grande marge
d’appréciation qui leur est laissée dans la mise en œuvre de politiques fiscales notamment.
Elle réalise ensuite un contrôle de proportionnalité entre l’ingérence dans le droit de propriété,
pris en tant que « bien » par la législation nationale et l’utilité publique de la mesure. La
situation de la requérante entrainait la qualification de « bien » à son égard, car elle lui était
acquise, l’indemnité de licenciement faisait donc naitre un intérêt patrimonial. Par
conséquent, cet intérêt frappé par la mesure en cause de façon brutale aurait dû prévoir une
période transitoire selon la Cour. Or, sur le point de savoir si la mesure fiscale relevait de
l’intérêt public, la Cour ne se prononce pas, estimant que la détermination de l’intérêt public
relève de la compétence discrétionnaire des États. Cependant, en l’espèce, la situation de la
requérante qui se trouvait dans une situation de précarité, n’ayant plus d’emploi conduit la
Cour à énoncer dans son contrôle de proportionnalité que : « Cependant, elle considère
184
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

particulièrement important le fait que Mme N.K.M. ait été soumise à cet impôt alors qu’elle
n’avait plus d’emploi et que le caractère inattendu du changement de régime fiscal l’avait
exposée à de sérieuses difficultés personnelles. Même en supposant que l’imposition ait servi
l’intérêt du budget de l’État en des temps de crise économique, la requérante a été contrainte
de supporter une charge excessive. »350La Cour réaffirme sa position, l’ingérence ne doit pas
être telle qu’elle démunisse le requérant qui est déjà dans une situation de précarité
professionnelle et donc financière.

276 Le contrôle de la Cour européenne traduit une marge d’appréciation marquée par
l’atteinte manifeste à un droit, de façon telle qu’elle priverait le requérant de son droit au
respect de ses biens, cela à l’aune de la situation personnelle de ce dernier et du risque
d’impécuniosité susceptible d’entrainer une telle mesure. La jurisprudence de la Cour traduit
une interprétation vivante du droit à l’aune de la situation économique et financière actuelle.
La Cour dans son argumentation prend en compte la nécessité de l’imposition en général dans
l’intérêt du budget de l’État et ne fait pas fi de la situation économique étatique. Ainsi, son
contrôle s’effectue tant au regard de l’intérêt de l’État, que de celui du requérant et de la
charge qui doit revêtir un caractère excessif afin de justifier une atteinte au droit des biens du
contribuable.
La situation du contribuable, en ce qu’il pourra se trouver dans une situation qui ne relève pas
de la « précarité », justifie la charge des impositions ou la réduction des dépenses publiques à
son égard.

2° L’ampleur de la crise et le degré de l’atteinte aux conditions de subsistance

277 Dans une affaire récente du 7 mai 2013 Koufaki et Adedy c Grèce351, la Cour
européenne est en prise directe avec la crise économique et financière qui touche la Grèce de
façon spectaculaire. Les faits de l’espèce révèlent les mesures prises par la Grèce afin de
réagir à la crise financière qui consistaient en des « Mesures urgentes pour réagir à la crise
financière » ainsi qu’un mémorandum d’entente ratifié, dénommé : « Mesures de mise en
œuvre du mécanisme de soutien de l’économie hellénique par les États membres de la zone

350
CEDH : arrêt NKM c Hongrie op.cit
351
CEDH : arrêt Koufaki et Adedy c Grèce,du 7 mai 2013

185
Finances publiques et droits fondamentaux

euro et par le Fonds monétaire international ». Parmi ces mesures législatives, des réductions
de salaire furent adoptées concernant les salariés de la fonction publique. Les deux
requérantes qui se sont pourvues devant le juge de Strasbourg, dont les affaires furent jointes
en raison de leur connexité, arguent d’une atteinte au droit au respect de leurs biens due à la
réduction de leurs salaires respectifs et primes.

278 Le Conseil d’État, siégeant en formation plénière, qui fut saisi au préalable de ces
affaires, a rejeté les recours fondés sur l’atteinte à l’article 1 er du Protocole nº 1 de la
Convention ainsi que sur la Constitution hellénique au motif que les lois litigieuses portaient
atteinte à ces deux instruments. Le Conseil d’État, dans ses motifs, a précisé que « la
réduction des rémunérations et pensions de retraite tend à limiter les dépenses du
Gouvernement ce qui contribuera à la réduction du déficit budgétaire du pays 352». Tout en
ayant précisé que le pays se trouvait dans une crise sans précédent.
En 2012, une autre loi portant réduction des salaires dans la fonction publique fut adoptée.

279 La Cour européenne fut saisie sur le fondement de la violation par ces dispositions
législatives de l’article 1er du Protocole n°1 au motif que la perception de salaires par le
personnel de la fonction publique relève de la protection de cet article, par conséquent leur
réduction s’apparente en une privation de la jouissance de ce droit. Ce que la Cour rejette au
motif qu’il n’y a pas privation du droit de propriété en l’espèce, mais ces restrictions peuvent
s’analyser comme une ingérence dans le droit au respect des biens. Les requérantes arguent
également des principes d’égalité et de proportionnalité à l’appui de leur recours. Le principe
de proportionnalité est surtout invoqué à l’égard de la seconde requérante qui n’occupe pas la
même fonction que la première.
La Cour rappelle que les États bénéficient d’une appréciation discrétionnaire quant aux
politiques économiques et sociales qu’ils désirent mettre en place. L’équilibre entre dépenses
et recettes de l’État ne relève pas de l’appréciation de la Cour quant aux moyens utilisés pour
y parvenir sauf, s’ils sont dépourvus de « base raisonnable ». « Cette marge d’appréciation
des autorités nationales est d’autant plus ample lorsque les questions en litige impliquent la
fixation des priorités pour ce qui est de l’affectation des ressources limitées de l’État ». 353

352
Conseil d’État hellénique (Symvoulio tis Epikrateias) : arrêt nº 668/2012.
353
CEDH : arrêt Koufaki et Adedy c Grèce, du 7 mai 2013, cons n ° 31.

186
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

Dans ce considérant, la Cour énonce que le caractère limité des ressources d’un État octroie à
ce dernier une plus grande marge d’appréciation quant aux modalités de répartition de ces
dernières. Dans ces décisions, la Cour vérifie que le but poursuivi est légitime, « d’utilité
publique », pouvant justifier une atteinte aux droits fondamentaux. L’utilité publique en
l’espèce, relève de la situation préoccupante des finances publiques de l’État grec dont fait
part le rapport introductif à une loi, objet du litige, dont la Cour reprend les termes : « il s’agit
de la plus grande crise des finances publiques des dernières décennies, crise qui a ébranlé la
crédibilité du pays, a mis à mal l’effort pour satisfaire les besoins de crédits du pays et
menace sérieusement l’économie nationale ». La Cour énonce que l’adoption de ces mesures
était justifiée par cette situation de crise exceptionnelle, tout en reconnaissant que la notion
d’utilité publique est une notion « ample ». De plus, elle insiste sur la décision rendue par le
Conseil d’État et le but poursuivi par le législateur « d’assainir les finances publiques de
l’État », « de remédier à la crise ». Son contrôle de proportionnalité s’exerce d’un côté sur
l’exigence de remédier à la crise, et de l’autre, sur la réduction de salaire opérée de façon
telle, qu’elle exposerait les requérantes à « des difficultés de subsistance ». Elle conclut que
les requérantes ne se trouvent pas dans ce cas et estime qu’il n’y a pas violation de l’article 1 er
du Protocole nº 1 au regard de la crise exceptionnelle qui touche la Grèce.

SECTION 2 : La protection de nos libertés a t’elle un réel coût financier ?

280 La couverture par l’État de divers domaines autres que ses fonctions régaliennes,
conduit à considérer l’importance des dépenses publiques auxquelles il doit faire face. Ce
volet du budget de l’État a été étudié par diverses théories sur l’État et la dépense publique (I).
Parmi les domaines assurés par l’État, nous trouvons la protection des droits fondamentaux
par le truchement d'institutions et sera étudié le coût financier des institutions protectrices des
droits fondamentaux (II).

I. L ÉTAT ET LA DÉPENSE PUBLIQUE

281 Les théories économiques relatives à la dépense publique (A) amènent au constat selon
lequel, l’accroissement continu des dépenses publiques est un fait intemporel (B).

187
Finances publiques et droits fondamentaux

A. les théories économiques relatives à la dépense publique

282 Après une présentation générale des théories relatives à la dépense publique (1) seront
évoquées ses justifications (2)

1° Présentation générale des théories

283 La conception de l’impôt en 1789 était celle d’un moyen de financer les dépenses liées
aux missions régaliennes de l’État à savoir : la police, la justice, la diplomatie et la guerre il
suffit de l’énoncé de la lettre de l’article 13 entendu strictement pour le constater : « Pour
l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution
commune est nécessaire, elle doit être également répartie entre tous les citoyens en fonction
de leurs facultés ».
La nécessité d’assurer le financement de l’État et donc de ses dépenses a toujours été un sujet
important, il suffit de se pencher sur les préoccupations budgétaires du XIXe siècle pour se
rendre compte que la problématique majeure reste inchangée. Si ce n’est que la dépense
publique a évolué dans son champ d’action par la couverture de domaines de plus en plus
importants. Ainsi, Alfred Leroux énonçait dans son rapport fait au nom de la commission
concernant le budget de 1863, que certes l’impôt est un « mal », mais, « il y aurait un mal
plus grand encore, ce serait, alors que les dépenses ont été loyalement reconnues et vérifiées,
de n’avoir pas le courage de créer les ressources nécessaires pour assurer les services
publics et rétablir le bon ordre de nos finances. »354

284 Le consentement à la dépense publique, si l’on peut s’exprimer ainsi, est le corollaire
nécessaire du consentement à l’impôt prévu à l’article 14 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen et par la même il renvoie donc à l’article 15 de la Déclaration. Le
contrôle de la dépense publique se traduit par la nécessité de celle-ci. Ainsi, Luciano Filippo
énoncera que l’impôt est nécessaire à la protection des droits fondamentaux qui nécessite
l’action de l’État355. En définitive, c’est parce qu’il y a dépense publique qu’il y a impôt. Au
XVIIIe siècle, l’impôt était perçu comme la contrepartie des services offerts par l’État, c'est-à-

354
LEROUX (A) : rapport au nom de la commission chargée d’examiner le projet de loi portant fixation du
budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1863.n ° 200 Corps législatif. Session 1862, p 3.
355
FILIPPO (L) : « Le consentement à l’impôt au regard de la théorie de l’effectivité des normes
constitutionnelles ». Passages de Paris, ed spéciale 2009, site www.apeb.fr

188
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

dire les, dépenses relatives aux services mis à disposition des citoyens qui, par le coût qu’ils
représentaient, nécessitaient la perception de l’impôt. Cette conception de l’impôt comme
étant nécessaire à l’octroi de services par l’État était conceptualisée par les philosophes des
lumières, mais également les physiocrates, ainsi que les économistes anglais comme Adam
Smith.356
Force est de constater que divers domaines de l’État sont enclins à constituer des dépenses
publiques, alors qu’historiquement les dépenses publiques constituaient la couverture des
missions régaliennes de l’État ainsi que la guerre. Aujourd’hui, les dépenses publiques
peuvent recevoir une classification autre que celle d’époque vu la couverture de domaines
nombreux et variés ce qui nous amène à nous demander en quoi consiste la dépense publique .

285 Le terme dépense publique,désigne les opérations à caractère définitif, or, il est
nécessaire d’entendre cette notion comme l’ensemble des charges publiques ou des charges de
l’État qui comprennent outre les dépenses de l’État, les dépenses des administrations
publiques. La notion de charges publiques inscrite dans la Constitution a donné lieu à une
décision nº 60-11 DC du 20 janvier 1961, qui énonce que la notion de charges publiques
comprend les charges de l’État et des collectivités territoriales des établissements publics ainsi
que les dépenses relatives aux régimes sociaux. Elles sont classées en trois catégories qui
comprennent : les dépenses de fonctionnement, qui sont des dépenses de personnel et
d’entretien afin d’assurer le fonctionnement des services publics, celle des dépenses de
transfert en nature qui correspond à la fourniture des services publics comme l’enseignement,
l’accès aux soins, les prestations sociales (…), enfin, les dépenses d’investissement qui
correspondent à la réalisation d’infrastructures, à l’achat de matériels… nécessaires au capital.
Problématique de tout temps alors que les politiques publiques ont évolué ainsi que la
configuration des sociétés, l’accroissement de la dépense publique est toujours au cœur de
débats passionnés.
La dépense publique a fait l’objet de théories sur son utilité, sur son effet, au regard de la
croissance, sur son utilisation au mieux et à quelles fins.

356
BELTRAME (P) : « Le consentement à l’impôt devenir d’un grand principe » RFFP nº 51,1995.

189
Finances publiques et droits fondamentaux

286 Ainsi, nous évoquerons la « loi de Wagner » de son auteur, Adolph Wagner à la fin du
XIXe siècle, qui fait état de la croissance des dépenses de façon continue357. Cette loi part
d’un constat et insiste sur le fait que la hausse des dépenses publiques accompagne la
croissance. Il démontre que dans les pays concernés par le progrès économique et social,
l’activité de l’État se développe de façon régulière et s’intensifie afin de répondre aux besoins
de la population. Ces activités, liées au progrès notamment à l’industrialisation, induisent
l’intervention de l’État et des administrations autonomes afin de gérer des activités de plus en
plus complexes, les besoins collectifs vont en se développant et l’activité de l’État comme
celle des administrations vont en s’intensifiant. L’État, doit pourvoir des biens collectifs à
son peuple dont les besoins s’accroissent, du fait de la hausse des revenus due au progrès
économique créant ainsi, des besoins qui induisent une demande de biens et services, dits
« supérieurs », accordés par l’État qui sont l’éducation et l’aide sociale 358. L’État remplit des
missions qui étaient au préalable assurées par une économie privée, et ce, de façon croissante.
Il est à constater que dès lors, la famille dénommée « unité typique de la vie économique »,
assure la satisfaction de ses besoins de plus en plus importants par le biais de l’État, donc
d’économies collectives et non plus d’économies privées, il y a une compensation du service
rendu et du service reçu. Cela entraine, l’aliénation de sommes à l’État par le biais de l’impôt
ou de taxes payées à la couverture de leurs besoins. Les choix de société et le contexte
conduisent à une approche différente de cette loi suivant les pays, c’est ainsi qu’il a été
énoncé que cette loi était un constat. En conséquence le progrès économique (industriel) et
social induit des besoins pour les administrés que l’État assure avec les administrations ce qui
occasionne une dépense publique de plus en plus forte. Selon Peacock et Wiseman359 la loi
de Wagner est intéressante dans la mesure où, elle tente de généraliser les faits observés or, ils
proposent leur propre théorie quant à l’augmentation de la demande de biens et de services
assurés par l’État et au rapport dépenses publiques et PIB. Pour eux, l’analyse de Wagner est
satisfaisante pourtant, elle ne prend pas en compte l’impact des périodes de crise sur les
dépenses publiques. La théorie qu’ils développent est intitulée « théorie des effets de

357
WAGNER (A) : Les fondements de l’économie politique, Bibliothèque internationale d’économie politique,
publiée sous la direction de Alfred Bonnet, Tome 1, traduit par Léon Polack, Paris, 5 ème, 1904, 531 p. site :
http//gallica.bnf.fr
358
Idem p 442
359
TELLIER (G) : Les dépenses des gouvernements provinciaux canadiens, l’influence des partis politiques, des
élections et de l’opinion publique, coll Management public et gouvernance. Les presses de l’université Laval,
2005, p 69.

190
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

déplacements », ils expliquent certains facteurs liés à cette hausse de la demande, mais ils se
basent majoritairement sur l’offre et les contraintes qui l’entourent, contrairement à la loi de
Wagner qui aborde essentiellement les dépenses publiques sous le prisme de la demande. Les
contraintes liées à l’offre se caractérisent essentiellement par la capacité de financement de
ces biens et services assurés par l’État, car la dépense suppose en amont des recettes,
notamment fiscales or, le contribuable est réticent à l’augmentation d’impôts et taxes ce qui
impose une contrainte non négligeable pour l’État. Wiseman et Peacock énoncent au sein de
leur théorie que cette opposition des contribuables à l’augmentation de leur charge fiscale
s’amenuise, voire s’efface en temps de guerre. En effet, en temps de guerre, l’État peut alors
augmenter les prélèvements fiscaux et accroître de ce fait la dépense publique. Le
contribuable s’étant « habitué » à une certaine pression fiscale consent implicitement à la
nouvelle hausse occasionnée comme un « fait normal ». Donc, l’état de guerre produit un
effet cliquet ou comme le théorisent les deux auteurs, cet état de guerre passé produit « un
effet de déplacement ». Cette théorie s’applique donc par paliers ou bonds « jumps »,
l’accroissement des dépenses publiques est ponctuel 360. Il n’y a pas, dans ce contexte,
d’épargne en période de croissance et de soutien de la demande en période de crise par l’État,
les pouvoirs publics seraient donc conditionnés par une optique de réélection. Le
comportement des pouvoirs publics, s’adapte aux comportements des citoyens électeurs, en
préconisant une hausse de la pression fiscale en période de crise, ils provoquent une
adaptation des contribuables à cette hausse induisant un maintien de cette pression au niveau
escompté, sans baisse, ou faiblement opérée, les pouvoirs publics agiraient dans leur intérêt.
Cette approche fut théorisée par l’école des choix publics.

287 Cette école par le biais de James Buchanan, donne une explication de la croissance du
secteur public en s’appuyant sur deux pans : « l’illusion budgétaire des agents et le choix par
les pouvoirs publics de politiques asymétriques »361. Les dépenses publiques dans un contexte
électoral augmenteraient sous la pression des lobbies, les contribuables ne voyant pas dans
l’augmentation de ces dépenses l’intérêt électoral des pouvoirs publics et négligeraient de ce
fait la pression fiscale, à venir au regard du faible avantage procuré par l’augmentation de ces
dépenses publiques les concernant. Ils seraient à ce titre victimes de « myopie

360
TELLIER (G) : idem, p 67 à 71.
361
SEMEDO (G) : « l’évolution des dépenses publiques en France : loi de Wagner, cycle électoral et contrainte
européenne de subsidiarité », revue l’actualité économique, vol.83, nº 2, 2007, p 128-129. www.erudit.org

191
Finances publiques et droits fondamentaux

intertemporelle ».362 Les citoyens se fourvoieraient du fait de l’opportunisme des pouvoirs


publics, augmentant les dépenses en période électorale et ne réalisant aucune baisse, ni
excédent, une fois les difficultés passées. Profitant de « l’inertie » des contribuables, les
politiciens augmenteraient les dépenses publiques dans leur intérêt. L’allocation de ressources
réparties d’une mauvaise façon au regard des dépenses peut entraver la croissance.
Les trois théories s’accordent sur le constat que l’État, institution à l’écoute des citoyens, fait
ainsi des choix budgétaires dans le sens de leurs préférences et procèdent de ce fait, à une
répartition aléatoire des dépenses publiques dont la seule limite serait conditionnée par des
contraintes de financement et ne se souciant que de façon subsidiaire de l’ampleur du déficit.

2° La justification des dépenses publiques

288 Selon Adam Smith, l’État doit prendre en charge les services publics collectifs qui ne
peuvent être assurés par l’initiative privée. La rentabilité des services n’étant pas appréciée de
la même façon quand le service est assuré par l’initiative privée ou l’État. L’absence de
rendement immédiat opère un blocage de financement dans le privé or, dans le domaine
public ces dépenses sont rentables collectivement puisqu’elles octroient un avantage se situant
au-delà du coût occasionné. Adam Smith et Jean-Baptiste Say évoquèrent que ce n’est tant la
dépense publique en elle-même, étudiée sous le prisme de la restitution qui importe de prime
abord, mais c’est l’utilité de la dépense qui est importante. Certes la circulation de l’argent
importe, or l’utilité de la dépense est capitale, a contrario elle consisterait en « une
dilapidation des richesses »363 dans ce cas le contribuable ne reçoit rien. Gaston Jèze à ce
propos énoncera que « la dépense ne peut avoir pour objet que l’intérêt public 364» et que la
« division entre dépenses utiles et inutiles est fondamentale »365.

289 Gaston Jèze envisage la dépense publique comme revêtant trois caractéristiques
principales à savoir : « l’emploi d’une somme d’argent pour le compte d’un patrimoine

362
Idem p 129.
363
CONAN (M) : « Gaston jèze et l’utilité de la dépense publique, l’élaboration d’une théorie générale des
dépenses publiques », la Revue du Trésor, nº 2, février 2008, p161.
364
JEZE(G) : Cours élémentaire de science des finances et de législation financière française, publié par Giard
et Brière, 5ème éd, Paris, 1912, p 429, mis en ligne par University Toronto Libraries, site
http://www.archive.org/details/cours
365
CONAN (M) : op.cit, l’auteur précise que cette distinction apparait clairement dans le Cours de science des
finances et de législation financière de 1930, les éditions précédentes évoquent une division qui ne prendra que
plus tard le caractère de fondamental.

192
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

administratif, pour la satisfaction d’un besoin public. »366 La dépense publique se présente
comme nécessaire au fonctionnement des services publics (bien que d’autres procédés
existent qui sont la contrainte, les taxes, et l’allocation d’avantages en nature). Ce procédé
entraine une augmentation des dépenses publiques au budget qui entraine donc une
augmentation des impôts ou taxes évidemment. Le procédé de la dépense publique est selon
l’auteur, le procédé le plus usité dans les États modernes, car il permet de répondre de
manière plus efficace et complète aux besoins de la population, de plus, il est moins lourd
pour les citoyens, car même s’il est à constater une augmentation des impôts de façon
« similaire » à celle des dépenses publiques, la charge est répartie équitablement entre les
citoyens et est donc moins facteur d’inégalités contrairement au « privé ». La satisfaction d’un
besoin public découle pour Gaston Jèze de la conception moderne de la fonction publique et
de celle de l’impôt. La fonction publique remplit un but de satisfaction de l’intérêt collectif et
l’impôt dans sa vision modernisée n’a pas pour objet la satisfaction d’un intérêt particulier,
mais de l’intérêt collectif, ainsi il doit être réparti équitablement entre les citoyens. 367 L’utilité
est envisagée sous l’angle de l’opportunité de la dépense publique qui prend en compte la
capacité financière de l’État, démontrant ainsi qu’une dépense opportune peut être utile dans
une économie bénéficiant de ressources importantes et inopportune dans un pays à faible
capacité financière. L’utilité, dans la conception de Gaston Jèze, ne se confond donc pas avec
la nécessité qui est un degré dans l’utilité par extension. Il décompose alors les dépenses en ce
qu’elles sont normales ou anormales ce qui constitue la division fondamentale qui
conditionnera l’imposition. Il différencie également dépenses de placement et dépenses
d’investissement qui représentent entre autres l’outillage national.
L’intérêt public n’est pas une constante stable, mais une notion qui varie selon les époques.
Jèze énoncera à ce titre, que constituent des dépenses dans un but d’intérêt public pour la
satisfaction de cet intérêt les dépenses liées à la protection des individus au regard de son
environnement, mais également d’autres individus (vol, assassinat…) ainsi que les dépenses
mises en œuvre dans le cadre d’une politique sociale.
Le volet social de la conception de Gaston Jèze, part du principe selon lequel, dans les États
modernes l’impôt à un objectif social quant à la répartition des charges de façon équitable,

366
JEZE (G) : op.cit p424.
367
JEZE(G) : op.cit. p 429 : Sur la notion de répartition égalitaire Gaston jèze fait écho à l’article 13 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « si certaines dépenses avaient pour objet la satisfaction d’un
intérêt privé, la règle de l’égalité devant les charges publiques serait violée ».

193
Finances publiques et droits fondamentaux

induisant la justice et l’organisation de la vie sociale. L’auteur énoncera concernant l’utilité de


la dépense que toute dépense utile est productive et inversement, même si elle génère des
recettes. Parallèlement, il énoncera que, concernant les dépenses utiles, mais indirectement
productives : « ne sont productives que de bien-être, de sécurité de paix sociale, d’avantages
économiques, intellectuels, moraux ; tout cela est difficile à évaluer en argent de manière
précise, mais a une valeur économique incontestable »368

290 Dans son cours, Gaston Jèze évoque deux questions concernant les dépenses
publiques : la première revêt un caractère politique sur l’opportunité des dépenses, et la
seconde, d’ordre financier, aborde « la meilleure rentabilité des dépenses ». Le minimum de
dépenses pour un maximum de rendement. L’État moderne pour Gaston Jèze « est un
ensemble de services publics que les gouvernants créent, organisent et dont ils assurent le
bon fonctionnement »369 ce qui entraine un accroissement des dépenses publiques. Les
dépenses publiques caractérisent les choix de gouvernement dans la réalisation de leur
politique.

B. l’accroissement continu des dépenses publiques, un fait intemporel

291 Après l’étude des causes de l’augmentation des dépenses publiques (1), nous
étudierons les dépenses publiques aujourd'hui (2). L’accroissement continu des dépenses
publiques est « un fait unanimement admis et incontesté »370 quels que soient les pays et les
régimes politiques afférents. La population ne doit pas se plaindre de l’accroissement des
dépenses publiques, il est nécessaire d’en chercher les causes selon Gaston Jèze. Les causes
étant la gestion de nouveaux domaines par l’État entrainant de fait de nouvelles dépenses et
l’efficacité croissante dans la gestion de domaines d’intervention étatique antérieure.

1° Les causes de l’augmentation des dépenses publiques :

292 Cette loi d’accroissement continu des dépenses publiques a quatre causes principales,
selon Gaston Jèze: économique, politique, sociale et financière. Ces domaines couverts par

368
CONAN (M): op.cit. p163
369
MAMARSKY (D) : « La conception de l’État selon Gaston Jèze », in revue internationale de droit politique,
n°3, autour de la notion de Constitution,www.juspoliticum.com/La-conception-de-l-État-de-Gaston.html,
370
JEZE (G) : op.cit p 436

194
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

l’État en France entrainent des besoins nouveaux de services publics eu égard au progrès
économique entrainant un politique sociale relative à l’instruction… Le paternalisme étatique,
comme le nomme Gaston Jèze, engendre des dépenses de plus en plus importantes.
Selon les études économiques réalisées, les dépenses publiques ont connu une évolution
majeure tout au long du XXe siècle. La part des dépenses publiques dans le produit intérieur
brut est passée de 11 % en 1872 à 52,7 % en 2008.371 Ceci, car l’État n’assurait que des
missions régaliennes en début de siècle, pour assurer ensuite des missions plus amples dans
divers domaines, missions auxquelles se sont ajoutées la création de la sécurité sociale et la
décentralisation. Au niveau économique, la richesse d’un pays entraine des besoins plus
nombreux pour sa population qui est exigeante devant la qualité des services et leur
nombre.372
Le lien entre dépenses publiques et croissance économique est un lien de dépendance. Les
politiques sociales favorisent la croissance, mais indirectement, car si le niveau de production
est en deçà du niveau de plein emploi développé par Keynes, nous nous trouvons en situation
de perte de richesses. Les politiques conjoncturelles peuvent remédier à ces creux de
croissance, mais non y remédier de façon durable. La question qui se pose est de savoir
comment les dépenses publiques peuvent agir positivement sur la croissance?
C’est par une intervention judicieuse de l’État, sur les marchés afin de réduire les
imperfections par l’investissement dans le domaine des infrastructures qu’il peut être agi sur
le taux de croissance économique,373 après la guerre, furent mis en place, des programmes
visant à utiliser les deniers publics dans le sens de l’intérêt général, en vue de favoriser la
croissance dans un but défini. Les nationalisations, un système de protection sociale, induisent
un projet sociétal mené par l’État. Les dépenses sociales réalisées dans le but de lisser les
inégalités de revenus participent à la cohésion du lien social du fait de la disparité des
revenus. Tout cela a participé à la croissance économique pendant les trente glorieuses, mais
pas après. L’État s’est désengagé peu à peu, de son intervention au sein du mécanisme de
production par le biais des nationalisations et d’une politique industrielle, l’État s’est placé en
retrait et a induit des privatisations. L’État dans sa fonction dirigiste, a été fortement contesté,

371
Les dépenses publiques depuis un siècle, approfondissements, découverte des institutions, site : www.vie-
publique.fr sources Christine André et Robert Delorme, « le Budget de l’État » in cahiers français nº 261.
372
Idem p439.
373
Selon la théorie de la croissance endogène qui énonce également trois autres facteurs déterminants de la
croissance, à savoir : les rendements croissants, l’innovation et l’accumulation du capital humain.

195
Finances publiques et droits fondamentaux

s’est donc opérée une restructuration des dépenses publiques. De plus, aujourd’hui, du fait de
la crise économique et financière leur impact est d’autant plus important.

2° Les dépenses publiques aujourd’hui

293 Les missions régaliennes qui représentaient plus de la moitié des dépenses publiques
au début du XXe siècle ne représentent aujourd’hui qu’un dixième des dépenses publiques.
Du fait de la multiplicité de secteurs dont l’État a la charge, notamment dans des secteurs
comme l’éducation, la santé, la culture et le volet social, il est à constater que ce ne sont pas
des secteurs vecteurs de gains de productivité importants. De plus, « l’effet cliquet » associé à
ces domaines n’a pas pour effet de pouvoir réduire les dépenses qui y sont associées. Constat,
auquel il est nécessaire d’ajouter que la croissance a connu de plus, un fort ralentissement et la
dette occupe une place de plus en plus importante. La baisse de croissance génératrice de
chômage conduit l’État à assumer ce fait lourd, entrainant une augmentation de la part des
dépenses publiques dans le produit intérieur brut. Situation à laquelle nous devons ajouter le
financement de la dette et notamment de ses intérêts, elle représente en 2013, 14,19 % du
Budget de l’État. Les problèmes de financement sont devenus importants, cela concerne
particulièrement la protection sociale qui a des dépenses d’une importance telle qu’elles
auraient un effet d’alourdissement et un effet négatif sur la croissance. À cette situation
s’ajoute l’obligation pour les États membres de l’Union de réduire leurs déficits.
La France connaît depuis 1975, des situations de déficits publics, sachant que l’augmentation
des recettes fiscales permettant de résorber les déficits ne peut subir une progression
similaire ; par conséquent, l’État est obligé de maîtriser ses dépenses publiques. Les
contraintes budgétaires se situant tant au niveau national qu’européen.

294 Au niveau européen, des mesures furent prises afin d’enrayer les déficits, le Pacte de
stabilité et de croissance en 1997 induit une convergence des politiques budgétaires nationales
des différents pays de la zone euro en imposant la réduction des déficits afin d’avoir des
budgets en équilibre, le contrôle est multilatéral et accompagné de sanctions374. La signature
du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dit : « Traité budgétaire européen»,
adopté par les chefs d’État et de gouvernement impose une plus grande discipline budgétaire

374
SEMEDO (G) : op.cit. p 149, il souligne que les États restent maitres de la fiscalité dans son ensemble.

196
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

aux États européens. Ce Traité impose aux États de respecter des seuils de déficit, il met en
place le Mécanisme européen de stabilité afin de surveiller le respect de ceux-ci. Il a été
reproché à ce Pacte, par la discipline qu’il impose d’atteindre la souveraineté budgétaire des
États.
Les contraintes nationales outre celles énoncées plus en amont, ont également pour cause la
quasi-impossibilité de suppression de certaines dépenses publiques. La révision générale des
politiques publiques a tenté d’engager l’État sur une nouvelle vision comprenant des missions
prioritaires afin de moderniser l’action publique ayant pour finalité une meilleure gestion des
finances publiques.

295 Par conséquent, les États européens notamment la France sont plus dans une optique
de maîtrise des dépenses publiques que dans un objectif prioritaire de croissance.
Les dépenses publiques jouent donc un rôle fondamental dans la vie de l’État, il est souligné
que « la maîtrise des dépenses publiques n’est pas une fin en soi »375, l’importance de
retrouver des marges de manœuvre de ces dépenses, afin de contribuer à la croissance est
semble-t-il essentiel au regard de la crise économique et financière, que traverse l’Europe.

296 Dans le Projet de loi de finances pour 2014, le Gouvernement préconise au sein de
l’effort de rétablissement des finances publiques « le rétablissement des comptes publics au
service de la croissance et de la modernisation de nos services publics. »C’est un objectif
majeur pour le Gouvernement qui relate le montant de la dette publique à 600 Mds d’euros.
Le financement de la dette réduit la possibilité de financement des services publics d’où la
nécessité pour le Gouvernement de retrouver des marges de manœuvre. En 2014, le
Gouvernement envisage de poursuivre les efforts de rétablissement des comptes publics qui
visent également les administrations publiques, l’intitulé du 1/B de la partie I du projet de loi
de finances est dénommé :
« favoriser la pérennité et la modernisation du modèle social français grâce à une meilleure
maitrise des dépenses publiques », le Gouvernement envisage de réaliser 6 Mds d’économies
dans ce secteur des finances sociales par le biais d’une réforme de la politique familiale
notamment, une meilleure répartition des prestations la réforme des retraites et la réforme des
complémentaires de santé. Les économies envisagées par l’État sont de l’ordre de 2,6 Mds

375
Les dépenses publiques depuis un siècle, op.cit

197
Finances publiques et droits fondamentaux

concernant les dépenses de fonctionnement, 3,3 Mds d’économies dans le concours de l’État
aux opérateurs, aux collectivités grâce à la mise en œuvre du Pacte de confiance et de
responsabilité établit entre l’État et celles-ci, enfin 2,6 Mds d’économies concernant les
dépenses d’investissement.
Les priorités du gouvernement se situent au niveau de l’emploi du logement et de la jeunesse
en soutenant le pouvoir d’achat.
Le premier objectif du gouvernement au sein du Projet de Loi de Finances pour 2014 est donc
la maîtrise des dépenses publiques dans l’optique d’un rétablissement des finances publiques.
Le second objectif est caractérisé par une volonté de retour à la croissance qui est lié au
premier objectif, car comme énoncé supra, un euro dépensé au service de la dette ne peut être
dépensé en vue de l’amélioration de services publics.
La réforme de la fiscalité des entreprises est prévue pour 2014 dont les objectifs sont le
passage d’une imposition sur la production à une imposition sur le résultat économique plus
juste. Il vise également à instaurer une contribution sur l’excédent brut d’exploitation 376qui
allègera de ce fait la fiscalité des PME permettant ainsi qu’elles se maintiennent. L’innovation
sera encouragée par des mesures fiscales d’incitation. Une fiscalité également avantageuse
dans le domaine du logement permettra de relancer le pouvoir d’achat des Français, car ce
domaine a eu pour effet de plomber les revenus des ménages.

II. LE COUT FINANCIER DES INSTITUTIONS PROTECTRICES DES DROITS FONDAMENTAUX

297 L’essor constant de la démocratie participe de la création d’autorités administratives


indépendantes (A) qui se retrouve sous des formes différentes dans la plupart des pays
démocratiques. Elles ne constituent pas un quatrième pouvoir mais un moyen de répartition
du pouvoir en accord avec les aspirations des citoyens. Est-ce que la mise en œuvre de la
protection des droits fondamentaux est conditionnée par les finances publiques (B) ?

376
Pour les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 50 M d’euros selon le Projet de loi de
finances pour 2014, Assemblée nationale, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 septembre
2013. Renvoyé à la Commission des finances de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

198
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

A. les autorités administratives indépendantes

298 Différentes autorités administratives indépendantes existent (1), nous pouvons les
scinder en deux catégories, à savoir les autorités protectrices des droits fondamentaux et celles
relatives au secteur économique. Ces autorités ont un coût (2).
L’intitulé du rapport d’information élaboré en 2010 sur les autorités administratives
indépendantes est : « Consolider la Démocratie » ; ainsi, la mise en place de ces autorités
participe d’un renforcement de l’idée démocratique dans son souci d’impartialité.
La création des autorités administratives indépendantes est née d’une double volonté
consistant dans le renforcement de la protection des libertés fondamentales notamment au
regard de l’administration et de la modernisation de la société, d’une part, et de l’autre, leur
création répond à un besoin correspondant à la régulation de la vie économique, spécialement
du fait de la concurrence et de l’Union européenne.
Concernant les libertés fondamentales, la justification essentielle tenant à leur création est le
souci d’impartialité. En effet, une administration traditionnelle est dépendante du pouvoir
exécutif, ce qui n’est pas le cas des autorités administratives indépendantes. Concernant le
domaine économique, elles sont plus adaptées en termes de réactivité qu’une administration
traditionnelle.
L’efficacité avérée de ces autorités est acquise dans le paysage français malgré leur forte
disparité.
De nombreuses autorités administratives indépendantes (ci-après dénommées AAI)
participent à la protection des droits fondamentaux. Cependant pour la plupart, leur budget est
imputé sur celui de l'État ; par conséquent, la démocratie a un coût, lequel sera remis en
question du fait de la crise des finances publiques que traverse l’Europe, dont la France,
notamment. Une autre question sous-jacente a été soulevée concernant le respect par les AAI
d’une nomenclature budgétaire sur le modèle de la LOLF induisant des contraintes, mais
permettant une plus grande lisibilité de leurs finances. L’évolution de leur structuration
organique et budgétaire a connu une rapide avancée depuis 2009, évolution qui va dans le
sens d’une meilleure protection des libertés par une structuration plus rigide que nous allons
retracer.

199
Finances publiques et droits fondamentaux

1° Les différentes AAI

299 « La doctrine s’est tant employée à trouver l’introuvable définition des Autorités
administratives indépendantes que la méthode pragmatique peut ici être tentée. »377Pour
l'auteur, elles sont donc administratives et indépendantes comme leur nom l'indique. La
Constitution est muette sur les AAI, si ce n’est le cas du Défenseur des droits qui bénéficie de
cette reconnaissance depuis la révision constitutionnelle de 2008. Elles ne reposent pas sur la
base des principes hiérarchiques régissant l’administration et le Gouvernement, elles sont
indépendantes. Ce qui ne veut pas dire qu’elles se situent totalement hors du champ étatique,
puisque leur création, la définition de leurs compétences, leur pouvoir est conféré par la loi.
La loi intervient notamment du fait que certaines AAI assurent la protection des droits
fondamentaux. Ainsi le Conseil constitutionnel dans une décision nº 84-172 DC du 26 juillet
1984, a énoncé que378 le législateur bénéficie d’une compétence exclusive concernant la
création d’une AAI « lorsque celle-ci exerce une attribution qui constitue une garantie
fondamentale pour l’exercice d’une liberté publique, notamment dans le cas d’une sanction »
énoncent les auteurs au sein de leur rapport d’information.

300 Une AAI, intervient surtout dans les secteurs où le Gouvernement n’a pas une réelle
emprise ou que son intervention n’est pas « adaptée », alors, l’AAI est chargée, d'assurer la
régulation de ces secteurs qui ont un caractère essentiel. Il est constant qu’une AAI bénéficie
d’une légitimité avérée, même si elle ne repose pas sur le principe électif. En effet,
l’administration étant dépendante du pouvoir exécutif, les AAI, en étant impartiales, assurent
efficacement la protection des droits fondamentaux. Comme toute autorité il est nécessaire
afin d’asseoir sa légitimité et son efficacité de disposer de pouvoirs de sanction, leur pouvoir
de contrainte se réalisant par le biais du pouvoir réglementaire. Il convient de souligner que le
Conseil constitutionnel a précisé que ce pouvoir réglementaire ne pouvait leur être accordé
qu’en vertu d’une loi, car par définition, le pouvoir réglementaire ressortit de la compétence
du Premier ministre donc il y aurait une dérogation afin que les AAI bénéficient de ce pouvoir

377
Rapport sur les AAI ; office parlementaire d'évaluation de la législation. Étude dressant un bilan des autorités
administratives indépendantes réalisée par Marie-Anne FRISON-ROCHE ; p 52, 449 pages ; session 2005/2006
site : www.assemblee-nationale.fr.
378
Décision n ° 84-172 DC du 26 juillet 1984, loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et
au statut du fermage

200
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

selon la décision n ° 88-248 DC du 17 janvier 1989 CSA.379En tant qu’autorités elles


bénéficient également de prérogatives relatives au pouvoir d’autorisation et d’attribution.
Enfin, elles disposent d’un pouvoir de résolution des conflits. Ainsi, ces autorités s’avèrent
indépendantes par le biais de prérogatives qu’elles détiennent, autonomes en ce sens qu’elles
gèrent seules la régulation de certains secteurs. Leur indépendance n’est pas synonyme
d’irresponsabilité, car en sus de rendre compte auprès du Parlement de leur activité, elles sont
soumises au contrôle juridictionnel qui relève de l’autorité du juge administratif, et plus
spécifiquement dans certains cas, du juge judiciaire voire à la Cour des comptes380, ce qui
participe à l’essor démocratique. Le rapport d’information sur les autorités administratives
381
indépendantes établi par MM René Dosière et Christian Vanneste propose en 2010, trois
axes principaux qui concernent la légitimité des AAI, la transposition de contraintes
budgétaires sur le modèle de la LOLF aux AAI, la circonscription de l’indépendance des AAI.

301 Les AAI protectrices des droits fondamentaux et de la régulation économique Parmi
les premières autorités administratives protectrices des droits fondamentaux créées, nous
trouvons le Médiateur de la République en 1973 et la CNIL en 1978, depuis, les Autorités
administratives indépendantes ont connu une forte progression dans leur création au regard
des nombreux secteurs à couvrir. Leurs missions ne sont pas identiques, elles dépendent en
général de la taille de ces autorités et du secteur concerné. Ainsi, elles ne sont pas homogènes.
Une liste exhaustive est donc mal aisée à déterminer dans la mesure où en moyenne deux AAI
sont créées par an en sus. Une liste non exhaustive est donnée par le gouvernement des

379
Décision n ° 88-248 DC du 17 janvier 1989 CSA
380
« Les AAI, un nouveau mode d’exercice du pouvoir » site www.ladocumentationfrancaise.fr
381
Rapport d’information fait au nom du comité d’évaluation et du contrôle des politiques publiques sur les
autorités administratives indépendantes, nº 292, Tome 1-Rapport présenté par MM René Dosière et Christian
Vanneste, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2010.

201
Finances publiques et droits fondamentaux

diverses AAI382 Parmi les principales autorités en charge des libertés publiques nous
trouvons : la HALDE, le Médiateur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la
sécurité CNDS, le Contrôleur général des lieux de privation de libertés CGLPL, la
Commission nationale de l’informatique et des libertés CNIL, la Commission d’accès aux
documents administratifs CADA.
Les rapporteurs envisageaient une fusion ente toutes ces autorités or, une telle fusion ne peut
être réalisée que par le biais d’une révision constitutionnelle. Le législateur a procédé à un
regroupement moins important que la fusion préconisée. En effet le 15 mars 2011, le
Parlement a adopté le projet de loi créant le Défenseur des droits, il regroupe : le Médiateur de
la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la
sécurité (tous deux crées en 2000) et de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et
pour l’égalité (créée en 2004), cela dans un souci de lisibilité, de notoriété, d’autorité, de
reconnaissance professionnelle.383 Le Défenseur des droits peut être saisi par toute personne
qui s’estime lésée par le fonctionnement de l’administration, d’un service public, ou victime
d’une discrimination ou encore dans le cas de maltraitance d’enfants par des personnes
privées.

382
L’Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA), L’Autorité des marchés financiers
(AMF) qui regroupe la Commission des opérations de bourse et le Conseil des marchés financiers. L’Autorité de
Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP), qui remplace l’Autorité de régulation des
télécommunications. Le Bureau central de tarification, Le Comité des établissements de crédit et des entreprises
d’investissement (CECEI), Le Comité national consultatif d’éthique, Le Comité national d’évaluation des
établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (CNE) La Commission d’accès aux
documents administratifs (CADA), La Commission bancaire, La Commission centrale permanente compétente
en matière de bénéfices agricoles, La Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), La
Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCAMIP), qui réunit la
Commission de contrôle des assurances et de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de
prévoyance) , La Commission des infractions fiscales, La Commission nationale des comptes de campagne et
des financements politiques, La Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l’élection
du Président de la République, La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), La
Commission nationale du débat public (CNDP) , La Commission nationale de déontologie de la sécurité
(CNDS), La Commission nationale d’équipement commercial (CNEC), La Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL) , La Commission paritaire des publications et agences de presse, La
Commission des participations et des transferts, La Commission de régulation de l’énergie (CRE), anciennement
Commission de régulation de l’électricité. La Commission de la sécurité des consommateurs (CSC), La
Commission des sondages, La Commission pour la transparence financière de la vie politique, Le Conseil de la
Concurrence, Le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD) Le Conseil supérieur de l’Agence
France-Presse, Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) Le Défenseur des enfants ,La Haute autorité de lutte
contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), La Haute Autorité de santé, Le Médiateur de la
République Le Médiateur du Cinéma48, in Rapport d’information op.cit. p14 et 15.
383
Rapport d'information de l'Assemblée nationale nº 3405 enregistré le 11 mai 2011, déposé par la commission
des lois constitutionnelles de la législation et de l'Administration générale de la République ; sur la mise en
oeuvre des recommandations du rapport du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur les
AAI ; présenté par M Charles De La VERPILLIERE

202
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

Parmi les AAI les plus récentes concernant le secteur économique, nous trouvons : la Haute
Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet dite HADOPI,
succédant à l’autorité de régulation des mesures techniques dite ARMT, l’Autorité de
régulation des transports ferroviaires : l'ARAF et l’Autorité de régulation des jeux en ligne :
ARJEL. L’autorité de contrôle prudentiel dite ACP, créée par une ordonnance du 21 janvier
2010, regroupe trois AAI préexistantes. Une « Autorité des normes comptables », entre l’AAI
et la commission consultative, vient également d’être créée par une ordonnance récente. 384

302 Cette multiplication des AAI est problématique en ce sens que leur lisibilité devient
ardue à tous les niveaux notamment au niveau financier, des propositions allant dans le sens
d’une fusion de certaines autorités furent alors émises afin de réaliser des économies et éviter
des chevauchements au regard de missions parfois très proches. Des recommandations furent
émises allant dans le sens d’un rapprochement géographique concernant des AAI de petite
taille afin de réaliser des économies en termes de structure, par le biais d’une mutualisation
des moyens techniques et logistiques.
D’autres AAI obsolètes, selon le rapport devraient être supprimées, sujet que nous ne
détaillerons pas ici. Parmi les recommandations émises au sein du rapport, la rationalisation
des moyens en fonction d’objectifs est préconisée comme enfin, le renforcement du contrôle
du Parlement sur les AAI. La présentation résumée des recommandations énonce : « une
rationalisation des structures institutionnelles pour optimiser la répartition des compétences
et les dépenses de fonctionnement », en fusionnant certaines AAI, et en supprimant celles qui
ont perdu toute utilité ; garantir « l’indépendance organique et fonctionnelle » par le biais
notamment d’une préservation de l’autonomie de gestion et assurer un financement pérenne
de ces autorités ; enfin, assurer « un contrôle des AAI par une plus grande transparence de
leur gestion, une évaluation de leur activité et une reddition de comptes au Parlement »
spécialement en assurant la transparence des budgets des AAI, en réduisant les dépenses
immobilières et de fonctionnement, en présentant au Parlement et au Gouvernement un
rapport annuel d’activité, en déclinant la LOLF aux AAI (…) ». 385
Le double souci est de renforcer la reconnaissance des AAI, de renforcer leur efficacité et de
réaliser des économies, ce, par le biais de regroupements et ainsi en ayant atteint le seuil

384
Ibidem
385
Rapport d’information nº 2925.Op.cit.

203
Finances publiques et droits fondamentaux

critique concernant l’influence et la gestion des AAI : « le regroupement doit être une source
d’économies par les mutualisations, les synergies qu’il suscite »386

303 La création du programme nº 308 « Protection des droits et libertés » : une


structuration des AAI. Ce programme fut créé dans le projet de loi de finances pour 2009, il
dépend de la mission « Direction de l’action du Gouvernement ». La création de ce
programme répond à une proposition constante de la Commission des finances notamment par
le biais du regroupement des crédits de ces AAI que nous allons citer, dans le cadre du
programme 308 « qui tend à renforcer leur autonomie de gestion ».387 Ce programme est
structuré en actions. Il retrace les crédits de onze AAI, protectrices des droits fondamentaux,
qui sont soutenues par les services du Premier ministre : la Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL), le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le
Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), la Commission d’accès aux
documents administratifs (CADA), le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), la
Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), la Commission
nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), la Commission consultative du
secret de la défense nationale (CCSDN), le Défenseur des droits. À partir de 2014, sera
comprise la Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HAT) qui se substitue à la
Commission pour la transparence de la vie politique. En effet, cette dernière était rattachée à
la mission « Conseil et contrôle de l’État », elle est rattachée aujourd’hui à la mission
« Direction de l’action du Gouvernement » et au programme « Protection des droits et
libertés »388

2° Le coût des AAI

304 De nombreuses autorités administratives indépendantes participent à la protection des


droits fondamentaux comme nous l’avons étudié, pour la plupart, leur budget est imputé sur
celui de l'État. La plupart des AAI sont dépourvues de budget propre et de personnalité
morale. En effet, en cas de décision de justice défavorable, c’est l’État qui endosse la

386
Ibidem
387
Projet de loi de finances pour 2010 : Direction de l’action du Gouvernement. Site : www.senat.fr
388
Projet de loi de finances pour 2014 : Direction de l’action du Gouvernement du 21 novembre 2013, Budget
2014-Direction de l’action du Gouvernement (Rapport général - première lecture) par M Philippe Dominati au
nom de la commission des finances. Site : www.senat.fr

204
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

responsabilité. Sauf, en ce qui concerne l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) qui dispose
d’un budget propre et de la personnalité morale, caractéristique dévolue à la Haute autorité de
la santé et à la commission de régulation de l’énergie. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel
(CSA) dispose également de la personnalité morale en tant qu’« autorité publique
indépendante » depuis la loi nº 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de
l’audiovisuel public.389

305 Il s'agit de mesurer le budget accordé à certaines autorités. Cependant, le budget global
des AAI est mal aisé à déterminer. Il est estimé selon le ministère du Budget à partir de
données qu’il contrôle directement, à 387 millions en 2009, or selon les estimations du comité
d'évaluation des politiques publiques, qui comptabilise également les fonctionnaires mis à
disposition par d’autres administrations notamment, évalue ce budget pour la même année à
près de 600 millions. Il est estimé également que l’augmentation des dépenses des AAI entre
2009 et 2010 serait supérieure à 11 %. Le Défenseur des enfants calcule que le coût moyen de
gestion d’un dossier est de 800 000 euros de dépenses du pôle « réclamation » (sur un budget
total de 2,7 millions d’euros)/2 157 réclamations = 375 euros. Ce ratio présente une forte
volatilité annelle puisqu’il était de 529 euros en 2008 et 423 euros en 2007.
Afin de réaliser ce rapport, les AAI ont dû remplir un questionnaire permettant de chiffrer
approximativement les recettes et les dépenses pour les années 2009 et 2010, il en ressort :
« les dépenses s’élevaient à plus de 600 millions d’euros en 2009 et sont prévues à hauteur de
670 millions en 2010 (…), une majoration de plus de 50 % par rapport aux statistiques sur les
coûts directs calculés par la Direction du Budget. De plus entre 2009 et 2010, l’augmentation
des dépenses des AAI est supérieure à 11 %. »390
Il est donc préconisé un alignement des AAI sur la discipline imposée aux administrations
d’État qui doivent notamment réduire leurs frais de fonctionnement, les effectifs ont connu
une augmentation de 16,8 % entre 2007 et 2010. En période de restrictions budgétaires, il est
donc essentiel que les AAI réduisent leurs coûts. Surtout dans le domaine de l’immobilier qui
constitue le « point noir » comme l’énonce le rapport nº 2925.

389
Avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législations, du suffrage universel, du
Règlement et de l’administration générale sur le projet de loi de finances pour 2014, adopté par l’Assemblée
Nationale. Tome XVII Protection des Droits et Libertés, par MmeVirginie KLES, sénateur. Enregistré à la
Présidence du Sénat le 21 novembre 2013 ; n ° 162. 36 pages.
390
Ibidem

205
Finances publiques et droits fondamentaux

La transparence des budgets des AAI constitue un point capital du rapport nº 2925, en y
incluant la totalité des coûts, et ceux que supportent d’autres organismes publics. Cela étant
nécessaire tant au contrôle, qu’à la capacité de gestion.
Les autorités administratives indépendantes élaborent librement et exécutent tout aussi
librement leur budget. Cela est fondamental à la garantie de leur indépendance, bien que cette
liberté ne soit pas totale du fait qu’elles ne maîtrisent pas la dimension et l’attribution de leur
budget. Donc, au regard d’établissements publics administratifs, elles ont une autonomie
budgétaire.

306 Certaines AAI disposent de ressources propres, elles se situent dans le cas d’une
indépendance budgétaire. C’est le cas de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), dont le
budget annuel repose sur les prélèvements opérés sur les entreprises concernées. Or, ce
modèle ne peut évidemment pas être transposé aux AAI dont l’action essentielle est la
protection des droits fondamentaux, car leurs ressources seraient de faible importance
contrairement au secteur économique dans lequel intervient l’AMF. Cependant, la création du
programme nº 308, au sein de la loi de finances, s’est faite en poursuivant un objectif sous-
jacent d’octroyer aux AAI du programme précité, une indépendance financière à terme. 391

307 Or, pour certaines autorités, le problème se pose en d’autres termes. En 2010, les
rapporteurs ont établi une distinction entre les AAI qui ne reçoivent pas une dotation
suffisante afin d’assurer leurs missions et les AAI qui peuvent voir en cours d’année leur
activité augmenter de façon importante, mais ponctuellement.
Concernant le premier cas, la CNIL est représentative de ce schéma, en 2009, cette dernière
dénonce son budget insuffisant au regard de l’augmentation continue de son activité. 392 Les
rapporteurs ont donc envisagé que le financement d’AAI, dans cette situation, puisse être
réalisé par le biais d’une contribution en contrepartie des services que supporterait le secteur
concerné.
La structuration du budget des AAI protectrices des droits fondamentaux, calqué sur la
nomenclature de la LOLF, constitue une évolution majeure, palliant le flou qui régnait quant à
leurs dépenses et à leurs actions respectives, ce qui pouvait avoir un effet dispendieux. Cette

391
Avis op.cit p8
392
« La CNIL dénonce son budget insuffisant », le Point.fr, publié le 13 mai 2009. La CNIL fait part de
l’importante activité contentieuse à laquelle elle doit faire face.

206
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

structuration permet une meilleure gestion du budget, en particulier des dépenses, or, en
période de crise financière, le budget accordé aux AAI protectrices des droits fondamentaux
a-t-il été revu à la baisse pour 2014 ?

308 Selon les conclusions de la commission des lois sur la base de l’avis émis par le Sénat,
au regard du programme nº 308 « Protection des droits et libertés », il est noté une légère
augmentation des crédits de ce programme. Or, il faut prendre en compte la création de la
Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT) au sein de ce programme, car
cette autorité « absorbe la totalité des crédits supplémentaires alloués au programme »393
Le rapporteur spécial de la Commission des finances a déposé un amendement concernant la
dotation accordée à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique au motif que ces
montants étaient excessifs malgré l’élargissement des missions dévolues à cette autorité, et
propose de réduire le budget à 1,8 million d’euros, soit quatre fois moins que ce qui était
prévu. Le rapporteur pour avis, du Sénat propose un sous-amendement, demandant la
réaffectation des crédits supprimés par la Commission des finances au Conseil supérieur de
l’audiovisuel (CSA).
Le programme nº 308 se voit doté d’un Budget dont les crédits de paiement connaissent une
hausse de 3,02 % en 2014.394 La répartition du budget connait des disparités selon les
autorités concernées. Ainsi, si l’on fait abstraction de la création de la HAT, le budget conféré
au programme nº 308 ne connaît pas une nette progression, voire est stable au regard de
l’année 2013. Le CSA, la CADA, et le CCNE connaissent une baisse de dotation, les autres
AAI connaissent une progression des crédits qui leur sont alloués. Or, selon l’avis du Sénat,
cette augmentation est compensée par la baisse des crédits alloués aux AAI sus-mentionnées.
De plus, la progression des crédits ne concerne que les crédits du titre 2, car les dépenses de
fonctionnement se réduisent depuis 2012, du fait de la rationalisation des dépenses à laquelle
toutes les autorités du programme participent.

309 Du fait du contexte de crise économique et financière que souligne d’ailleurs cet avis,
il est à souligner que les autorités du programme nº 308 participent à cet effort de maitrise des
dépenses « après une baisse de 3,22 % en 2013 par rapport à 2012, les crédits de paiement

393
Avis op cit p5.
394
Les crédits de paiement passent de 91 710 697 euros en 2013 à 94 476 480 euros en 2014 selon l’avis précité.

207
Finances publiques et droits fondamentaux

hors titre 2 constitués pour l’essentiel de dépenses de fonctionnement, se réduiront, à


périmètre constant, de 4,86 % en 2014. »395
Les crédits de Titre 2 connaissent une progression de 2,27 % en 2014, la CNIL bénéficie
d’une augmentation de sa masse salariale afin de faire face à l’accroissement de ses missions
due notamment à l’adoption du projet de règlement européen concernant la protection des
données personnelles qui entrainera un surcroit d’activité. La CNIL bénéficie donc de sept
créations de poste par an pour une période de 2013 à 2015. Le Défenseur des droits bénéficie
de huit créations de poste, le CSA en revanche en perd 6. Ces données ne comprennent pas la
HAT.
En définitive, les crédits alloués au programme nº 308 sont stables au regard de la loi de
finances pour 2013. Or, l’inquiétude des AAI porte sur « les gels » et « surgels » de crédits
auxquels ces autorités ont dû faire face en cours d’exécution de leur budget durant l’année
2013. Ce sont des mesures de régulation, or, cela a des incidences sur l’exécution de leurs
missions, car ces régulations ont lieu tout au long de l’exercice budgétaire, ce problème de
prévisibilité afférent à la gestion des crédits aurait des effets néfastes, selon les AAI, sur une
gestion efficace des crédits nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.396

310 Les AAI en droit comparé : la France n’est pas l’initiatrice de la création d’autorités
administratives indépendantes. La Suède connait sa première « AAI » en 1806 avec
« l’Ombudsman ». Sa création remonte à l’initiative du Parlement suédois qui estime qu’il est
nécessaire de créer une institution indépendante du roi afin de veiller à l’application des lois.
Par conséquent dans l’objectif d’exercer une surveillance sur l’organe exécutif le Parlement
suédois a élu « l’Ombudsman », institution qui existe toujours. Ils sont plusieurs aujourd’hui,
élus par le Parlement, ils veillent à la protection des libertés publiques. Du fait de la
progression et du raffermissement de la démocratie, la plupart des pays adhérant à ce modèle

395
L’effort de rationalisation des dépenses est porté en majeure partie par le CSA qui du fait du point noir
souligné lors des rapports précédents concernant l’immobilier a vu une solution apportée à ce problème capital.
En effet, cet effort s’est réalisé grâce à une optimisation de son loyer et à la mutualisation des moyens souligne
l’avis précité.
396
AVIS opcit p20.

208
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

se dotent d’ « AAI » depuis notamment les années 1970. Ces autorités interviennent dans les
domaines de la régulation économique, des libertés publiques ou l’audiovisuel. 397
Dans tous les pays concernés, on observe une difficulté quant à la détermination de leur statut
juridique. Leur rôle intermédiaire entre le Parlement et le Gouvernement, leur création ne
revêtant pas un caractère définitif au regard de l’apparition de nouvelles autorités eu égard à
l’émergence de nouveaux domaines ne permet de définir un cadre juridique propre à cet
ensemble.
Dans certains pays, ces autorités sont très proches du pouvoir exécutif, c’est le cas notamment
des « Quangos » au Royaume-Uni, des « agences règlementaires indépendantes », aux États-
Unis, au Canada et en Suède existent de nombreuses agences administratives autonomes.
Cependant, ces autorités ont des liens très étroits avec le Gouvernement qui leur adresse des
instructions. Hors les cas de l’Ombudsman parlementaire en Suède, et les quatre agences
parlementaires de la province du Québec qui sont autonomes au sens où elles ne reçoivent
aucune directive du Gouvernement, les autres autorités, constituent un moyen de répartir le
pouvoir politique dans un sens cohérent avec la politique du Gouvernement en place. Ainsi,
ces autorités sont au service du Gouvernement et non des particuliers. Aux États-Unis, les
agences réglementaires indépendantes permettent au Congrès d’intervenir dans des domaines
que l’administration seule couvrait. Cela est également dû à la définition que recouvrent ces
AAI, pour exemple l’inspection du travail au Canada, est qualifiée d’« AAI ».
En Allemagne, nous trouvons les « autorités administratives fédérales supérieures
autonomes » qui bien, que se rapprochant de par leur dénomination, des AAI, n’en constituent
pas au sens où nous l’entendons or, au niveau des länder et de l’État fédéral, la notion d’AAI
n’existe pas, cependant ces « autorités administratives fédérales supérieures autonomes » se
rapprochent du modèle français.

311 En définitive, et selon une étude menée par Jean-Marie Pontier, l’existence d’« AAI »
au sens où nous l’entendons, se retrouve dans la plupart des pays démocratiques, or elles
revêtent des dénominations, un cadre juridique et des fonctions qui ne correspondent pas au
modèle français : « (…) il est en revanche incontestable qu'il s'agit d'un type d'institutions
extrêmement répandu, car son existence a pu être relevée dans presque tous les pays ayant

397
Rapport d’information fait au nom du comité d’évaluation et du contrôle des politiques publiques sur les
autorités administratives indépendantes, nº 2925, Tome 1-Rapport présenté par MM René Dosière et
ChristianVanneste, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2010.

209
Finances publiques et droits fondamentaux

fait l'objet de l'enquête. Il faut immédiatement ajouter que les réalités sont en même temps
assez différenciées de ce que l'on trouve en France, et il serait vain de vouloir chercher à
définir une sorte de “modèle commun” des autorités en question, car ce modèle n'existe pas.
Dans certains cas, c'est même en forçant le trait, en procédant à des assimilations peut-être
abusives que l'on parle d'autorités administratives indépendantes » 398
Par conséquent, des institutions intervenant dans le domaine économique et dans la protection
des droits se retrouvent dans de nombreux pays sous des dénominations différentes. Le
modèle français est un modèle atypique. Il est axé sur la protection des libertés publiques,
malgré l’existence d’autorités intervenant dans le secteur économique.
La création du programme nº 308 « Protection des droits et libertés » au sein de la loi de
finances constitue une avancée dans la protection de ces droits et libertés, par l’octroi d’un
cadre budgétaire défini. Force est de constater que malgré une allocation de crédits
relativement stable, les autorités administratives indépendantes étudiées participent à l’effort
de rationalisation des dépenses. Cet effort de rationalisation s’entend par le contexte
économique et financier de crise, et souligne à cet égard que la démocratie prise dans la
protection des libertés a également un coût. Ce coût est pris en compte par le juge
constitutionnel de façon singulière.

B. La mise en œuvre de la protection des droits fondamentaux conditionnée


par les finances publiques ?

312 Le Conseil constitutionnel rend des décisions qui peuvent, pour certaines, avoir un
impact budgétaire. Bien qu’il ne soit pas conditionné par le budget dont dispose l’État, le
Conseil constitutionnel doit bien prendre en compte la possible réalisation financière de ses
décisions voire, l’impact financier négatif d’une décision qu’il pourrait prendre. Il est constant
que le juge constitutionnel ne puisse être influencé par les finances publiques dans sa prise de
décision, or, l’importance de la crise que traversent les finances publiques est un paramètre
que le juge constitutionnel ne peut négliger. Bien que la compétence financière soit une

398
PONTIER (J.M) : « les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non
identifié », Tome 2 : annexes ; étude de droit comparé sur les autorités administratives indépendantes réalisée
sous la direction de Monsieur Jean-Marie Pontier, synthèse des rapports nationaux. Site : www.sénat.fr

210
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

compétence parlementaire (1), le juge se pose comme gardien des finances publiques,
l’exemple de l’Italie (2) est flagrant.

1° La compétence financière est une compétence Parlementaire :

313 Le Conseil constitutionnel ne détient pas de compétences financières, or, les décisions
qu’il rend peuvent avoir un impact financier. Cet impact peut s’avérer être positif dans le cas
de l’extension du champ d’une imposition comme il peut être négatif et entrainer des
dépenses importantes pour l’État. Les conséquences financières des décisions du Conseil
constitutionnel ne découlent pas seulement du contrôle de constitutionnalité des normes
budgétaires, elles peuvent également être induites à l’occasion d’un contrôle de
constitutionnalité relevant d’un autre domaine. Il est évident que ce qui nous préoccupe
concerne les décisions générant des dépenses publiques ou réduisant des recettes. À ce titre
certaines conséquences financières ont été dénoncées c’est le cas notamment de la décision du
29 décembre 2005, qui a censuré une validation législative pour un coût estimé à un milliard
d’euros. Même, si les décisions du juge constitutionnel peuvent avoir une incidence
financière, la politique budgétaire est dévolue au Parlement, la réserve de loi qui leur
appartient, mais également la définition de priorités peuvent être « gênées » par une décision
du Conseil ayant des conséquences financières. Les conséquences financières sont collatérales
de l’appréciation normative du juge constitutionnel. Par conséquent, il n’y a pas immixtion du
juge constitutionnel dans la réserve de loi appartenant au législateur financier, mais « il
importe donc que le juge constitutionnel ne substitue pas son appréciation à celle du
législateur dans la détermination des voies constitutionnelles à suivre et de leurs implications
financières. »399 Le juge constitutionnel ne peut être conditionné principalement par des
considérations financières dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité, or, il veille à un
certain équilibre budgétaire et se préoccupe de façon plus formelle à l’impact financier. En
effet, dans une décision du 16 aout 2007, Loi TEPA, il réalise sur le fondement du principe
d’égalité fiscale, un contrôle de la nécessité des dépenses fiscales. Le Conseil à l’occasion de
cette décision met en balance, l’avantage fiscal reçu par les propriétaires dans une optique
incitative et la charge que cela occasionnerait à l’État. Il invalide ce dispositif au motif que cet

399
RIBES (D) : « l’incidence financière des décisions du juge constitutionnel », Cahiers du Conseil
constitutionnel nº 24 (Dossier : le pouvoir normatif du juge constitutionnel)- juillet 2008.

211
Finances publiques et droits fondamentaux

avantage ferait supporter à l’État des charges disproportionnées au regard de l’intérêt de la


mesure. En effet, cette mesure aurait conduit à rembourser 7,7 milliards d’euros. 400 Pris en
compte de façon implicite, le facteur économique et budgétaire qui connaît une crise
importante a été intégré de façon plus explicite récemment. En effet, dans une décision du
Conseil constitutionnel du 14 octobre 2010401 concernant la conformité à la Constitution de la
loi validant les prélèvements sur les jeux, le Conseil constitutionnel affirme clairement dans
ses motifs la prise en compte de l’impact budgétaire que pourrait avoir une décision de non-
conformité. L’impact budgétaire qu’entrainerait l’absence de cette loi de validation du fait
qu’elle permet de prévenir une rupture d’égalité entre les contribuables qui auraient pu se
prévaloir de la restitution pour certains et non pour d’autres, des prélèvements litigieux, aurait
donné lieu à un important contentieux qui aurait eu « des conséquences gravement
dommageables » en matière budgétaire.402

314 Ainsi, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori, le Conseil


constitutionnel faisait référence à l’impact économique et financier implicitement. Or, dans le
cadre de la Question prioritaire de constitutionnalité, le bénéficiaire est directement lésé par
une décision du juge constitutionnel ce que l’on ne retrouve pas dans le cadre du contrôle a
priori. Le juge est plus en prise au facteur financier dans ce cas, facteur qu’il prend alors en
compte explicitement.
Le contexte économique et budgétaire étant à la rationalisation des dépenses, le juge prend en
considération ce facteur plus récemment que dans les autres pays démocratiques notamment
en Italie.

2° Le juge gardien des finances publiques : l’exemple de l’Italie

315 « La Consulta, del resto, è ben conscia delle conseguenze economiche delle sue
decisioni, tant'è che oramai da tempo utilizza, tra gli elementi di giudizio rilevanti in ordine

400
Decision n°2007-555 DC du 16 aout 2007, Loi TEPA. Cette mesure prévoyait entre autres un crédit d’impôt
sur le revenu concernant les intérêts des cinq premières annuités payées à l'occasion d’un prêt à l’acquisition
d’une habitation principale du contribuable. Or, étendre ce dispositif aux prêts déjà contractés n’était pas prévu.
Au regard du coût supporté par l’État et la rupture d’égalité qu’occasionnerait ce dispositif, le seul effet incitatif
sur le pouvoir d’achat ne peut corroborer ce dispositif.
401
Décision n ° 2010-53 QPC du 14 octobre 2010, société plombinoise de casino, DF 2010, nº 44, act 410.
402
Note sous la décision de renvoi du Conseil d’État du 16 juillet 2010, société Plombinoise de casino, DF 2010,
nº 36, comm 463, conclusion P COLLIN. Cependant, la doctrine s’accorde sur le fait que cette décision reste une
décision d’espèce.

212
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

al necessario bilanciamento d'interessi da essa compiuto, il limite delle risorse finanziarie


disponili,in nome di un generale principio di equilibrio di bilancio (85). La scarsità delle
risorse e la situazione di perenne deficit delle casse dello Stato costringono infatti ogni
interprete – ed a maggior ragione la Corte costituzionale – a fare i conti con la realtà: lo
Stato contemporaneo non può spendere quanto vuole, nemmeno se si tratta di tutelare diritti
formalmente ed astrattamente inviolabili »403 « La Cour constitutionnelle italienne, du reste
est consciente des conséquences économiques de ses décisions, si bien qu’à présent elle prend
en compte les éléments de droit nécessaires et les limites en terme de ressources financières
afin de procéder au bilan d’intérêt. La pénurie de ressources publiques et le déficit constant
des caisses de l’État induisent à plus forte raison la Cour constitutionnelle à prendre en
compte la réalité : cette réalité est que l’État contemporain ne peut dépenser autant qu’il veut,
même si l’on parle de droits formellement et objectivement inviolables. »
L’Italie a connu et connaît un débat doctrinal majeur, sur ce thème des finances publiques et
de la justice constitutionnelle. Cela est dû notamment au fait que le juge italien peut
prononcer des « sentenze additive di prestazioni » qui sont des décisions ayant une dimension
prestative donc financière. En effet, la doctrine s‘est divisée sur la « constitutionnalité » de
telles décisions avec l’article 81 alinéa 4 de la Constitution, cet article prévoit qu’en cas
d’augmentation des charges par une loi, il doit être prévu les moyens d’y pourvoir. Un
dilemme qui interdirait alors à la cour de rendre des décisions ayant des conséquences
financières. Cet article de la Constitution s’impose à la loi stricto sensu et non aux
caractéristiques d’un arrêt de la Cour, or, la doctrine italienne en partie a pu considérer qu’il
s’agissait d’une inconstitutionnalité dérivée de la loi, qui par ricochet portait atteinte à l’article
81 alinéa 4 de la Constitution. La Cour constitutionnelle italienne a énoncé dans son arrêt du
23 mai 1990 qu’elle n’était pas limitée dans sa prise de décision par l’article 81 alinéa 4 de la
Constitution relatif à l’équilibre financier. En conséquence, une partie de la doctrine s’est
accordée sur le fait que l’article 81 alinéa 4 de la Constitution s’appliquait uniquement dans
les rapports entre le Gouvernement et le Parlement.404 Dans la décision précitée, le Conseil
constitutionnel prend en compte la dimension financière dans le cadre de ses décisions
comme facteur inhérent à la réalisation des droits, l’équilibre financier comme dérivant d’un

403
BERGONZINI (J) : I limiti costituzionali quantitativi dell’imposizioni fiscale,Universita degli studi di
Padova, Thèse soutenue le 31 janvier 2008, p110.
404
RIBES (D) : opcit.

213
Finances publiques et droits fondamentaux

article de la Constitution entre dans le champ d’appréciation de la Cour quand cette dernière
doit rendre sa décision.405 Même si la réserve de loi en matière financière appartient au
législateur, le Conseil constitutionnel peut constater la mise en œuvre d’un droit qui aura une
conséquence financière sur le Budget de l’État, cela dans la plupart des pays démocratiques.
Force est de constater que la doctrine française ne se penche que très furtivement, sur le coût
des droits, la doctrine italienne est plus enclin du fait certainement du débat relatif aux
décisions prestatives. Or, la doctrine italienne s’accorde également à dire que ce débat est
paradoxal dans la mesure, où reconnaitre que les droits ont un coût, remettrait en cause
quelque part, leur caractère inviolable et constituerait une menace à leur sauvegarde.406

316 Tous les droits ont un coût, et sont limités par les ressources publiques nécessaires à
leur mise en œuvre, ce « paramètre » financier implique des choix. À l’appui de cette
constatation, la doctrine italienne précise à titre d’exemple qu’en l’absence de moyens
financiers destinés à l’application des droits, une sélection devra être faite logiquement.
Le « problème » se posant d’autant plus qu’eu égard à l’émergence de nouvelles technologies
le champ des droits à protéger s’étend à la même mesure, ce qui entraine d’autant plus une
question financière. La doctrine italienne énonce que le rôle du système politique est
déterminant, dans l’allocation de ressources publiques nécessaires à la protection des droits
fondamentaux. Son analyse va plus loin en énonçant que l’effectivité des droits est
conditionnée par les ressources publiques qui y sont affectées « la decisione di utilizzare
risorse in un modo piuttosto che in altro rende effetivi alcuni diritti, a discapito di altri ».407

317 Cette constatation concerne donc l’effectivité des droits par l’intervention de l’État par
le truchement des moyens financiers disponibles. Or, la question qui se pose concerne la

405
.Sentenza 260/1990, Giudizio di legittimità costituzionale in via principale, decisione del 23/05/1990 ;
Site :www.cortecostituzionale.it
“Anche il secondo motivo addotto dall'Avvocatura Generale dello Stato a sostegno della richiesta
d'inammissibilità non può essere accolto. Infatti, pur se questa Corte ha più volte sottolineato che dall'art. 81
della Costituzione derivi un principio di tendenziale equilibrio finanziario dei bilanci dello Stato, tanto su base
annuale quanto su base pluriennale (v., ad esempio, sentt. nn. 1 del 1966, 12 del 1987), da questa premessa non
può logicamente conseguire che sussista in materia un limite assoluto alla cognizione del giudice di
costituzionalità delle leggi. Al contrario, ritenere che quel principio sia riconosciuto in Costituzione non può
avere altro significato che affermare che esso rientra nella tavola complessiva dei valori costituzionali, la cui
commisurazione reciproca e la cui ragionevole valutazione sono lasciate al prudente apprezzamento di questa
Corte »
406
BERGONZINI (G) : opcit p 98.
407
Idem p101 : « la décision d’utiliser les ressources selon un modèle plutôt qu’un autre rendent effectifs
certains droits au détriment d’autres. »

214
Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux

classification opérée en matière de droits. Y a-t-il certains droits devant obligatoirement être
financés au-delà de considérations purement économiques ? Les droits constitutionnels sont
« cardinaux », ce sont des droits de premier rang qui ne peuvent souffrir de limitations, car ils
représentent des valeurs inscrites dans la Constitution. La Cour constitutionnelle italienne
veille à ce titre à ce que le législateur n’y porte pas atteinte, par son contrôle, elle peut
protéger les droits constitutionnels et les ressources publiques afférentes.408
Le lien intrinsèque entre finances publiques et droits fondamentaux est ici concrètement
démontré. La crise économique et financière qui touche tous les pays révèle cette
préoccupation majeure. Sans se substituer au rôle financier dévolu au Parlement, la Cour
constitutionnelle italienne démontre sa préoccupation pour une gestion raisonnable des
finances publiques, elle se pose ainsi en gardien des droits et des finances publiques.

*
***

318 La Cour européenne des droits de l’homme considère l’impôt comme un élément de
souveraineté des États dans lequel elle ne s’ingère pas, du moins concernant l’assiette malgré
un arrêt qui peut peut-être constituer un infléchissement en ce domaine ; or à ce jour nous ne
pouvons affirmer cela. Depuis les arrêts Ferrazzini et Ravon, la Cour opère un réel contrôle
sur les garanties procédurales entourant le recouvrement de l’impôt. Il est à noter que
contrairement à la conception du droit de propriété en France, la Cour n’opère pas une
sacralisation de ce droit dans ces textes. Le contrôle de l’atteinte à un droit fondamental au
regard de l’impôt ne se fait pas d’ailleurs au niveau de la Cour européenne au regard de
l’article 1 du Protocole 1er de la Convention européenne, mais en combinant cet article à un
autre et le plus souvent à l’article 6§1 de ladite convention. Nous retrouvons cette méthode de
raisonnement également lorsque sont en cause les dépenses publiques des États au regard de
l’octroi de droits fondamentaux. Ainsi, en période de crise économique, la Cour énonce que le
seul intérêt financier n’est pas suffisant pour justifier des atteintes aux droits fondamentaux, il
faut qu’il y ait un motif impérieux d’intérêt général en cause et ne pas porter atteint aux
conditions de subsistance des requérants.

408
Idem p103.

215
216
CONCLUSION DE LA PARTIE 1:

319 Selon Gallo, « les impôts sont la contrepartie économique, donc le coût des droits :
un instrument imparfait, pour répartir les charges publiques visant à la correction des
inégalités et des déséquilibres sociaux économiques ; la protection des droits sociaux et de la
liberté individuelle. » 409
Tous les droits ont un fondement, les droits fondamentaux et les finances publiques ont un
fondement positif. Situés au niveau de la norme constitutionnelle, ils réalisent la démocratie.
Les finances publiques et les droits fondamentaux sont intrinsèquement liés par leur histoire,
leur interdépendance se traduit par le fait que du pouvoir de lever l’impôt le Parlement a
obtenu le pouvoir de faire des lois. C’est par le financement public que l’Etat protège les
droits fondamentaux et les réalise dans la praxis. Les droits fondamentaux encadrent les
pouvoirs étatiques et sont un rempart contre l’arbitraire. Ainsi, positivement les finances
publiques sont antérieures aux droits fondamentaux. Nous pouvons souligner que les droits
fondamentaux ont un coût.
La démocratie est matérialisée par une procédure organisée qui apporte une légitimation aux
instruments nécessaires à la protection des droits fondamentaux. Formellement, elle
correspond à une hiérarchie des normes qui par son mode de production et l’appartenance des
droits et des finances au niveau supérieur la consacre. La démocratie se réalise par et est
condition nécessaire à la protection de ces droits. La crise économique et financière met à mal
le principe du consentement à l’impôt, l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen et l’article 15 sont à la base du principe démocratique. En matière financière les
différentes juridictions ne reconnaissent pas de libertés du citoyen en matière financière de
façon directe. La prise en compte de la crise économique et financière par les juridictions
nationales et supra nationales révèle des conceptions différentes du droit de propriété en
matière fiscale, mais s’accordent toutes sur l’impossible ingérence dans l’assiette de l’impôt
et se reconnaissent compétentes concernant le contrôle des garanties entourant le
recouvrement de l’impôt. Les contrôles de proportionnalité opérés par les juridictions
notamment la Cour européenne des droits de l’homme révèle une prise en compte du facteur
économique en ce que les ressources financières des États sont limitées et ne peuvent garantir

409
GALLO (F) :Le ragioni del fisco, www.docsity.com

217
totalement le niveau acquis en matière de droits, notamment créances. Il est à souligner que la
prise en compte du facteur économique tant dans l’incidence des décisions du juge
constitutionnel que relativement à la crise économique traduit une conception du juge italien
très réaliste et très pragmatique contrairement à la France et aux autres pays.

218
PARTIE 2
LES FINANCES PUBLIQUES COMME GARANTIE DE
L’EFFECTIVITE DES DROITS FONDAMENTAUX

219
220
TITRE 1

DROITS CRÉANCES, DROITS-GARANTIS ET DROITS-


LIBERTÉS : DES DROITS D’INTERVENTIONNISME
ÉTATIQUE

320 Les droits fondamentaux constituent une classe hétérogène, une liste exhaustive ne
peut en être dégagée, car les droits fondamentaux connaissent une évolution en prise avec
celle de la société.
La reconnaissance par les États des droits fondamentaux est acquise aujourd’hui, par la valeur
positive des instruments nationaux et internationaux ratifiés, appliqués et sanctionnés, leur
donnant pleine effectivité. Ainsi, les droits civils, politiques, économiques et sociaux propres
aux démocraties libérales sont au cœur des analyses juridiques et politiques. Des catégories de
droits se sont développées à mesure que l’État s’est investi dans de nouveaux domaines. Des
droits-libertés, développés comme rempart à l’absolutisme, aux pouvoirs en place, sont nés
des droits « prétentions ». Cela prouve de nouveau qu’il n’y a pas de « droits de l’homme »
par nature. L’analyse historique, en partant de ce constat, démontre l’évolution et l’émergence
des droits fondamentaux en fonction des intérêts et des besoins à un instant donné, mais
également des moyens disponibles pour leur réalisation.

321 Les finances publiques sont la condition intrinsèque de l’existence des droits-créances
et des droits-garantis (Chapitre 1), qui sont des droits soumis à l’intervention étatique. Les
droits-libertés, droits subjectifs par définition, revêtent pour certains, une dimension objective
et nécessitent également l’intervention de l’État. (Chapitre 2)

221
222
CHAPITRE 1

Les finances publiques condition intrinsèque


à l’existence des droits-créances

322 Les finances publiques garantissent l’accomplissement des droits fondamentaux, elles
permettent à l’État, par les ressources obtenues, de réduire les inégalités, d’octroyer des
prestations garanties par la Constitution. Les moyens techniques et juridiques propres à la
réalisation de ces droits ont un coût. La notion d’État est omniprésente quant à la notion de
droits fondamentaux, en effet, les droits-libertés seraient nés dans une optique de garantie
contre l’arbitraire étatique, alors que les droits -créances seraient accordés par l’État. Divers
instruments, nationaux et internationaux consacrent ces droits, c’est le cas du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946, de la Charte de l’environnement de 2004, mais également de
la Charte de l’Union européenne des droits fondamentaux depuis le 1er décembre 2009 et de la
Convention européenne des droits de l’homme.
Une classification des droits fondamentaux (Section 1) est née dans la plupart des doctrines,
dans un souci de lisibilité semble-t-il, permettant une approche spécifique de ces droits
sociaux fondamentaux dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Section 2).

SECTION 1 : La classification des droits fondamentaux :

323 L’hétérogénéité des droits fondamentaux conduit à un besoin de classification ; en


effet, la majeure partie de la doctrine établit une dichotomie entre les droits-libertés et les
droits- créances (I.) néanmoins, les conséquences juridiques d’une conception binaire
établissent une protection différente (II.).

I. LA DICHOTOMIE : DROITS-LIBERTÉS ET DROITS-CRÉANCES

324 La dichotomie des droits fondamentaux ne fait pas l’unanimité, la pertinence de la


classification, sa nature et ses implications, a fait l’objet de nombreux débats. Ainsi les droits-
223
Finances publiques et droits fondamentaux

libertés et les droits-créances sont-ils des droits en contradiction ? (A) Après avoir analysé
cette problématique, nous nous pencherons sur la mise en œuvre législative des droits-
créances qui révèle des droits d’implication financière (B).

A. droits libertés et droits créances : des droits en contradiction ?

325 Une classification non délimitée des droits (1) induit un questionnement : les droits-
libertés et les droits-créances sont-ils des droits contraires, des droits opposés ou des droits
complémentaires ? (2)

1° Une classification non délimitée

326 Selon la classification majoritairement admise, nous trouvons des droits issus de
catalogues différents qui sont certainement à l’origine de cette dualité. Les droits-libertés sont
des droits issus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui consacre
ces droits civils et politiques. Les droits-créances sont issus du Préambule de la Constitution
du 27 octobre 1946, qui consacre des droits économiques et sociaux. Nombre d’instruments
dépassant le cadre national consacrent les droits économiques et sociaux, l’expression est
empruntée au droit international d’ailleurs. Elle rappelle la protection accordée par un des
pactes de l’ONU en 1966.410
La première catégorie se rattache à l’idéologie libérale, à l’individualisme, à l’homme dans
ses libertés face à la contrainte étatique. La seconde vise à une protection sociale de l’individu
conférée par l’État.
La dualité de ces droits issue des travaux de Georg Jellinek concerne les rapports entre l’État
et les individus. Les droits-libertés imposent une abstention de l’État, ce que Jellinek
dénomme le statut négatif alors que les droits-créances imposent des prestations à la charge de
l’État, ce que l’auteur définit comme des droits de statut positif.411 Ce qui s’apparente selon la

410
AKANDJI-KOMBE ( J.F) : « Droits économiques, sociaux et culturels », Dictionnaire des droits de
l’homme, sous la direction de Joël Andriantsimbazovina, Hélène Gaudin, Jean-Pierre Manguénaud, Stéphane
Rials, Frédéric Sudre ; PUF, Paris, 1ère éd, octobre 2008, coll. Quadrige, p 322.
411
GRUNDLER (T) : « chapitre 3 : La doctrine des libertés fondamentales : à la recherche des droits sociaux »
« Droits des pauvres, pauvres droits ? Recherche sur la justiciabilité des droits de l’homme », La revue des
Droits de l’homme, juin 2012. Site : http://revdh.files.wordpress.com/2012

224
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

doctrine à des « droits de » et des « droits à ».412 Cette conception dualiste des droits
fondamentaux serait issue de l’influence d’Ihering sur les travaux de Jellinek. En effet, ce
dernier reconnaissant qu’un droit juridiquement protégé est un droit subjectif, car l’homme en
est détenteur, et peut s’en prévaloir : « un intérêt protégé par la reconnaissance de la faculté
humaine de vouloir »413
Les débats relatifs à ces classifications démontrent la multiplicité de catégorisation des droits
fondamentaux, ainsi, les droits-libertés sont considérés comme des droits de première
génération, les droits-créances comme des droits de deuxième génération. Cette classification
permet de rendre compte de l’évolution historique de ces droits. Les droits datant de 1789 et
ceux de 1946, les premiers issus de la revendication de libertés contre l’absolutisme, les
seconds issus d’une revendication née du vide social suite à l’industrialisation. « Le
Préambule de 1946 appartiendrait ainsi à la deuxième génération des droits de l’homme,
amorcée en 1848 par la proclamation du droit au travail et aux secours pour les citoyens
nécessiteux »414

327 Les droits-libertés sont l’expression d’une revendication individualiste, alors que les
droits- créances sont caractéristiques du socialisme. La notion de solidarité est au centre de la
définition des droits-créances, constituant son fondement.
En effet, nous sommes passés de l’époque révolutionnaire — où la société se devait de
prendre en charge les nécessiteux, selon Sieyès, où le citoyen y est débiteur de l’État qui lui
procure des avantages -, à la Constitution de 1848,- où la notion de solidarité revêt un pan
fraternel à l’égard des nécessiteux —, de fait, la notion de solidarité est récurrente. Que l’État
soit débiteur à l’égard des citoyens ou les citoyens débiteurs de l’État, le devoir de solidarité
est omniprésent. Le fondement juridique propre à la revendication de ces droits, passe par leur
reconnaissance positive, ce que fit le Préambule de la Constitution de 1946 en les qualifiant
de « droits particulièrement nécessaires à notre temps ». Le Préambule de la Constitution de
1946 a été intégré au bloc de constitutionnalité par une décision « Liberté d’association du 16
juillet 1971 », conférant ainsi valeur constitutionnelle aux articles contenus dans cet

412
RANGEON (F) : « Droits-libertés et droits créances : les contradictions du préambule de la Constitution de
1946 » site : www.u-picardie.fr/labo/curapp/revues
413
ibid
414
Idem p170

225
Finances publiques et droits fondamentaux

instrument. L’institution d’une démocratie sociale, une société d’union, de participation entre
tous les acteurs de l’État conduit à cette expression.
A la notion de liberté, s’ajoute la notion d’égalité, en creux, nous pourrions énoncer que les
droits-libertés sont des revendications propres à une vie libre, à laquelle a succédé un besoin
d’égalité dont le réalisateur est l’État. Les droits-créances viseraient à gommer les inégalités
entre les citoyens. D’une revendication contre l’État, nous sommes passés à une revendication
procurée par l’État d’où la conception de Jellinek.

328 Les droits-créances sont une catégorie des droits sociaux selon la doctrine française.
Le terme « créance », implique une prestation positive de l’État dont il est débiteur. Ce qui
nous amène à nous interroger sur ce que recouvre cette notion et celle de droits-libertés.

329 Les droits-libertés comportent : la dignité de la personne humaine, la liberté


individuelle, la liberté d’association, la liberté d’enseignement, la liberté de conscience et
d’opinion, la liberté d’expression et de communication, le droit de propriété, la liberté
d’entreprendre, le droit d’asile (…).
Les droits-créances recouvrent : le droit au repos et à la protection de la santé, le droit à la
protection sociale, le droit à mener une vie familiale normale, le droit à l’instruction et à la
culture, le droit à la solidarité nationale415, le droit à l’emploi. Tous ces droits ont valeur
constitutionnelle. Le droit au repos, ainsi que celui de la protection de la santé, sont prévus à
l’alinéa 11 du Préambule de 1946 qui énonce : « la Nation garantit à tous, notamment à
l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs la protection de la santé, la sécurité matérielle, le
repos et les loisirs... ». Le terme « Nation » révèle cette conception collectiviste de solidarité.
Le droit à la protection sociale est prévu également à l’alinéa 11 du Préambule qui prévoit :
« Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation
économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des
moyens convenables d'existence. » Outre la solidarité, cet article vise à l’égalité, à niveler les
conditions de vie des citoyens. Le principe de solidarité est évoqué de façon explicite à
l’alinéa 12 du Préambule au travers du principe constitutionnel de solidarité nationale : « La

415
FAVOREU (L), GAÏA (P) et Alli : Droit des libertés fondamentales, Dalloz, Paris, 2012, 6ème éd, p 357.

226
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent
des calamités nationales ».
Le droit à l’instruction et à la culture, sont prévus à l’alinéa 13 du Préambule de 1946 qui en
prévoit l’accès pour tous, cela en vue certainement d’une égalité des chances : « La Nation
garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et
à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un
devoir de l'État ». Ce droit entendu afin que chacun puisse bénéficier de moyens de
subsistance ait la possibilité d’avoir un égal accès à un autre principe constitutionnel qu’est le
droit à l’emploi.

330 Le droit à l’emploi est prévu à l’alinéa 5 du Préambule de 1946 : « Chacun a le devoir
de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son
emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances », en tant que principe
consacré par le Préambule, il revêt une valeur constitutionnelle. La première proposition
consacre un devoir et un droit pour le citoyen. Ce n’est pas un « droit-prestation », au sens
d’une obligation positive effectuée par l’État sans contrepartie, mais un droit impliquant un
devoir.
Cependant, ce droit à l’emploi malgré sa consécration constitutionnelle, reste un objectif que
l’État doit s’efforcer d’atteindre. C’est une obligation de moyen et non de résultat à la charge
de l’État, il est donc difficile d’invoquer la première proposition de l’alinéa 5, la seconde est
directement invocable par tout travailleur.
Le droit au logement constitue une notion largement relayée tant par les médias, que les
politiques, ainsi que par l’ensemble de la doctrine. Ce droit paraît recouvrir une valeur
constitutionnelle, tant il apparaît comme un droit « phare » au sein de notre société, pourtant,
il n’en est rien. Ce droit au logement est un droit reconnu par le législateur, mais pas par la
Constitution. Ce que nous pouvons constater à la lecture du Préambule de 1946, c’est qu’il est
reconnu la « possibilité pour toute personne d’avoir accès à un logement décent », c’est un
objectif à valeur constitutionnelle. C'est-à-dire que l’État, par le biais du Parlement, doit
mettre en œuvre les moyens nécessaires à la réalisation de cet objectif, il doit s’astreindre à
tendre vers cette réalisation, mais ce n’est pas une obligation de résultat. D’autant plus, que
cet objectif se heurte à un autre principe, qui constitue un droit de première génération qu’est
le droit de propriété. Ce que l’on a pu constater dans le cadre de la loi du 5 mars 2007

227
Finances publiques et droits fondamentaux

instituant : « le droit au logement opposable » ; ipso facto, une confrontation entre ces deux
notions s’effectue416.

2° Les droits-libertés et les droits-créances : des droits contraires, des droits


opposés ou des droits complémentaires ?

331 Parmi les classifications que nous avons relatées supra, la position des droits-créances
est secondaire. A ce titre, nous pouvons légitimement nous interroger sur la relation entre les
droits-libertés et les droits-créances. Concernant la conception relative à la deuxième
génération de droits que constituent les droits-créances, la question qui se pose est : sont-ils
des droits au même titre que les droits-libertés ? Sieyès avait proposé d’inscrire la conception
de charité contenue dans les droits de deuxième génération, à charge des concitoyens envers
les plus nécessiteux ; cela, parallèlement à l’affirmation des droits- libertés, ce projet ne fut
pas retenu417, ce qui a constitué un frein à la reconnaissance positive de ces droits de
deuxième génération. Historiquement, ces droits furent consacrés secondairement au regard
des droits libertés, malgré la conscience de leur importance lors de la consécration des droits-
libertés. Par l’expression « droits de deuxième génération », la doctrine s’accorde sur le fait
qu’elle évoque une seconde phase de consécration temporelle. Dans cette conception, par
extension, nous pouvons considérer que les droits-libertés et les droits-créances sont des
droits complémentaires. Comme l’a énoncé Laurence Gay : « Ces dispositions complètent à
l'évidence les traditionnels droits et libertés, civils et politiques en assignant à l'État une
fonction de garant du bien-être matériel de l'individu ».418 Le 19 avril 1946, un projet
concernant la rédaction du Préambule visait à établir une liste des droits fondamentaux
incluant les droits-libertés, les droits économiques et sociaux or, ce projet a avorté.

332 Les débats sur l’opposition entre ces deux catégories de droits furent nombreux ; cette
opposition s’est traduite par la notion d’intervention de l’État. Ce qui fut relaté par la doctrine
notamment par Georges Vedel et Jean Rivero, qui énoncèrent que les droits-libertés et les
droits-créances sont le reflet de deux types d’humains et de deux types de sociétés « le féodal

416
Idem p373.
417
RANGEON (F) : « Droits-liberté et droits créances : les contradictions du préambule de la Constitution de
1946 », p14. www.u-picardie.fr
418
GAY (L) : « Droits créances », JCL Libertés, fascicule 1100, 30 mars 2009.

228
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

retranché dans l'enceinte de ses droits, et d'autre part l'homme qui attend derrière un
guichet »419
L’opposition s’est également traduite par la nature même de ces droits, les droits-créances
constitueraient des droits objectifs ayant une part de subjectivité, alors que les droits-libertés
constitueraient des droits subjectifs, ou encore, par l’affirmation des droits-libertés comme
appartenant à l’homme de façon ontologique, lui permettant de participer à la société. Or, les
droits-créances ou droits sociaux sont des droits conférés, « ils concernent la situation
matérielle de l’individu ». En l’absence d’intervention étatique positive, ils ne peuvent être
accordés. L’opposition se réalise donc tant sur le plan politique que sur le plan juridique.
Politiquement, les droits-créances n’ont pas l’envergure, ni la portée symbolique des droits-
libertés ; la reconnaissance de ces derniers, a permis la mise en place d’une société
démocratique, ce qui n’est pas le cas des droits-créances qui, bien que contribuant à la
démocratie, ne l’ont pas mise en place selon la conception libertaire de la démocratie.
L’atteinte aux droits-libertés amène une sanction qui n’est pas induite dans le Préambule
concernant les droits-créances, seuls « des droits à » sont énoncés.

333 Le débat se déplace alors sur une éventuelle contrariété des droits-libertés et des
droits- créances. Les droits-libertés vont-ils à l’encontre des droits-créances ?
Friedrich Hayek énonce que les droits-créances sont contraires aux droits-libertés, car ils sont
construits sur une logique différente basée sur la contrainte pesant sur l’entité. Une logique
inverse à celle des droits-libertés sous-tend ces droits qui entrainera « la destruction des droits
individuels ».420
La contrariété est ici extrême, nous l’écartons d’emblée, en effet les domaines que recouvrent
ces droits sont différents, mais pas opposés. Comme nous l’avons énoncé plus en amont, ils
induisent une action positive de l’État dans un cas, une action négative dans l’autre. Ce ne
sont pas des droits qui s’entrechoquent, la problématique s’est alors déplacée sur le fondement
des droits-créances.

419
Idem ; l’auteur de citer : Rivero(J) et Vedel (G), « Les principes économiques et sociaux de la constitution : le
Préambule », Droit social, 1947, reproduit in Pages de doctrine : LGDJ, 1980, t. 1, p 145.
420
RANGEON (F) : op.cit

229
Finances publiques et droits fondamentaux

334 Une partie de la doctrine s’est interrogée sur le fondement possible des droits-créances
par les droits-libertés. N’est-ce pas les droits-libertés qui permettent les droits-créances ?
Allant ainsi plus dans le sens d’une complémentarité que d’une contrariété ?

335 La seule contrariété, pouvant être opposée, est une contrariété sur le plan
philosophique, de la conception de l’État au regard de ces libertés. Du refus catégorique de
l’intervention de l’État, à une « créance » sur l’État, la véritable distinction se trouve ici.
L’opposition entre ces droits fut érigée de l’appréhension d’une partie de la doctrine, que ces
droits-créances, par leur prolifération, conduiraient à une dissolution des droits-libertés et par
la même, des droits en général. La véritable distinction, à notre avis, celle qui mérite de
retenir l’attention, est celle du statut négatif et du statut positif. Ce qui se traduit par
l’intervention de l’État qui ne peut se réaliser que par le biais des finances publiques, car, la
structure publique, indispensable à la mise en œuvre de ces droits, nécessite un financement ;
surtout en ce qui concerne la protection sociale dont le financement est très important.
De la liberté à l’égalité, c’est ainsi que nous pourrions qualifier ces deux catégories de droits,
d’une conception individualiste à celle du contrat social, collectiviste, naîtrait la réelle
opposition théorique.
D’une opposition théorique et sémantique des droits-libertés et des droits-créances, une
complémentarité de ces droits en pratique est évidente, ne serait-ce que par leur valeur
constitutionnelle reconnue par le truchement de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 pour les droits-libertés, et par le Préambule de la Constitution du 27 octobre
1946 pour les droits-créances.

336 La raison sous-jacente à cette reconnaissance secondaire, serait-elle révélatrice d’une


prudence dans la possibilité relative à la mise en œuvre de ces droits ? Étant dépendants de
l’action de l’État par l’implication d’un financement public, pourraient-ils être remis en
cause ? De plus, leur invocation nécessite une mise en œuvre législative totale. Autant de
paramètres qui conditionneraient cette reconnaissance secondaire.
Ce que nous pouvons affirmer, c’est que les droits-créances sont les plus couteux, car ils
génèrent une intervention positive de l’État ; par définition les droits-libertés, en prônant une
abstention de l’État, ne revêtent pas un tel coût.

230
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

B. La mise en œuvre législative des droits-créances : des droits


d’implication financière

337 Ce qui différencie les droits-libertés des droits-créances, d’une part, réside en ce que
les droits- créances impliquent une intervention législative nécessaire à l’octroi de ces droits
(1) et de l’autre, la dimension financière qu’ils revêtent (2).

1° L’intervention législative nécessaire : de l’institution à l’opposabilité

338 L’autorité compétente pour mettre en œuvre les droits-créances est le législateur,
comme le mentionne, à plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel : « il incombe au
législateur comme à l’autorité réglementaire selon leurs compétences respectives de
déterminer (…) leurs modalités concrètes d’application (…) »421
La loi est nécessaire afin d’établir le lien entre les principes posés par le Préambule de 1946 et
des individus déterminés, « titulaires » de ces droits. Le Préambule fut qualifié par une partie
de la doctrine comme posant des principes, des objectifs destinés au législateur. Ces articles
s’analysent en une programmation, en des objectifs que doit atteindre le législateur, ce qui
ressort de l’alinéa 10 du Préambule : « la Nation assure à l’individu et à la famille les
conditions nécessaires à leur développement » ; cependant, l’alinéa reste vague quant aux
moyens qui doivent être mis en œuvre, laissant ainsi au législateur une marge d’appréciation.
Force est de constater le paradoxe de cette situation, en effet, les droits-créances ne se
réalisent que par leur mise en œuvre législative, or, ils peuvent également lui être opposés à
l’occasion de la mise en œuvre d’une loi. Le terme « créance » prend ici tout son sens, il
traduit une situation de créancier dans laquelle se situe l’individu, et une situation de débiteur
dans laquelle se situe l’État par le biais du législateur. Cependant, le terme créance ne peut
être apprécié en son sens strict, tel qu’il résulte du droit privé. À l’exigibilité de la créance
strictement encadrée, se substitue un objectif concernant les droits-créances, d’où une
opposabilité relative.

421
FAVOREU (L), GAÏA (P) et Alli : Droit des libertés fondamentales, Dalloz, Paris, 2012, 6ème éd, p 367.

231
Finances publiques et droits fondamentaux

339 Concernant la mise en œuvre de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946,


relatif au droit au repos et à la protection de la santé, le Conseil constitutionnel énonce à
l’occasion de plusieurs décisions : « qu’il incombe au législateur comme à l’autorité
réglementaire selon leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des
principes posés par le onzième alinéa du Préambule, leurs modalités concrètes
d’application ; qu’il leur appartient en particulier de fixer des règles appropriées tendant à la
réalisation de l’objectif défini par le Préambule (…) » . Ce dispositif s’applique à tous les
droits-créances, il en est ainsi également du respect de l’égal accès à l’instruction, la
formation professionnelle et à la culture à travers la mise en place de l’égal accès devant les
services publics et l’organisation de ces divers pans de l’alinéa 13 du Préambule. 422 Qu’en ce
qui concerne le droit à la solidarité nationale prévu à l’alinéa 12 du Préambule, où le Conseil
constitutionnel reconnaît la compétence du législateur, afin « d’organiser la solidarité entre
personnes en activité »423. Concernant le droit à l’emploi, la compétence législative ne revêt
pas une marge d’appréciation aussi importante que celle concernant la mise en œuvre des
autres droits- créances. L’alinéa 5 du Préambule énonce « chacun a(…) le droit d’obtenir un
emploi » or, contrairement à la solidarité nationale, ce droit dont la subjectivité fut englobée
par l’objectivité, est assorti d’un objectif que l’État, par le biais du législateur, doit s’efforcer
d’atteindre selon le Conseil constitutionnel.424

340 Le droit au logement, considéré comme un « droit à recours »425, nécessite


l’intervention du législateur afin de consacrer son existence, car il n’est pas reconnu comme
tel. Sa consécration est législative et non constitutionnelle, car ce droit n’est inscrit dans
aucun texte à valeur constitutionnelle, il fut reconnu par le Conseil constitutionnel comme un
objectif de valeur constitutionnelle afin que toute personne puisse disposer d’un logement
décent426. La médiatisation de la loi sur le « droit au logement opposable » du 5 mars 2007 a
conduit la plupart des individus à considérer que ce droit était un droit constitutionnel. La
doctrine a œuvré dans le sens d’une mise au clair sur cette acception populaire, et faire une

422
Cons.const, décisions n°86-217 DC du 18 septembre 1986, Liberté de communication.
423
Cons.const, décisions n°85-200 DC du 16 janvier 1986, Cumul emploi retraite.
424
Cons.const, décisions n°83-156 DC du 28 mai 1983, Prestations vieillesse.
425
RAPOPORT (C) : « L’opposabilité des “droits créances ” constitutionnels en droit public français », page 1,
publié le 1er décembre 2008 sur le site : www.droitconstitutionnel.org/congresParis
426
Cons.const, décision n ° 94-359 DC du 15 janvier 1995, Diversité de l’habitat.

232
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

mise au point quant à la valeur juridique de ce droit.427 Le Conseil constitutionnel de préciser,


à l’occasion du contrôle de lois antérieures, que le législateur dans l’octroi de ce droit était
limité par le respect du droit de propriété qui lui, est un droit constitutionnel.428 La doctrine a
énoncé à ce titre que « la possibilité de disposer d’un logement décent » n’est pas « le droit
au logement »429.
Par conséquent, le droit au logement opposable est perçu comme étant opposable au
législateur. Il en va ainsi d’autres droits-créances, mais dans quelle mesure sont-ils opposables
au et par le législateur ?

L’opposabilité par le législateur, concerne la loi du 5 mars 2007 qui est la loi sur le droit au
logement opposable (ci-après dénommée loi DALO), le législateur par cette formulation a
émis la volonté de rendre effectif cet objectif à valeur constitutionnelle. L’opposabilité, dans
sa définition sémantique, s’adresse aux tiers, selon Gérard Cornu 430, lorsque l’on parle d’un
droit opposable, on situe la reconnaissance de ce droit à l’égard des tiers. Au sein de la loi
DALO, le législateur met en place un recours afin de donner une effectivité à ce droit au
logement, qu’il acquiert une force juridique, permettant ainsi aux personnes sans logement de
demander à l’État qu’il agisse. Or, des critiques furent apportées par la doctrine, concernant la
notion d’opposabilité du droit au logement, qui ne produit pas d’effets, à l’égard des tiers,
mais s’oppose directement à l’État « débiteur de la créance ».431 Nous acquiesçons en partie à
ces propos dans la mesure où, certes, l’opposition se fait directement à l’égard de l’État, de
son représentant dans les collectivités territoriales, par le biais des voies de recours prévues,
mais il n’en demeure pas moins que cette opposition se réalise également à l’égard des autres
individus composant la société. Ainsi, la création de logements sociaux est la mise en œuvre
d’une politique sociale qui ne peut se réaliser que par le biais des contribuables, afin
d’apporter les fonds nécessaires à la réalisation de cet objectif. Par là même, ce droit au
logement s’avère opposable aux tiers également.

427
FAVOREU (L), GAÏA (P) et allii : op.cit. p 373.
428
Cons.const décision n ° 98-403 DC du 29 juillet 1998 Loi d’orientation relative à la lutte contre les
exclusions
429
FAVOREU (L), GAÏA (P) et allii : op.cit. p 373.
430
CORNU (G) : Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 10ème édition, coll. Quadrige, PUF, 2014,
1360 p.
431
RAPOPORT (C) : « L’opposabilité des “droits créances ” constitutionnels en droit public français » p 13,
publié le 1er décembre 2008 sur le site : www.droitconstitutionnel.org/congresParis.

233
Finances publiques et droits fondamentaux

341 L’opposabilité au législateur des droits-créances existants, concerne les cas où lors de
la saisine du Conseil constitutionnel, les requérants invoquent l’atteinte réalisée par une loi à
un droit-créance, c’est dans le cadre de l’action du législateur qu’une atteinte doit être portée.
La saisine du Conseil constitutionnel sur le motif d’une violation d’un droit-créance est
possible depuis la consécration du Préambule de 1946 au sein du bloc de constitutionnalité, ce
qui a donné lieu à de nombreux recours sur ce fondement432. Le Conseil constitutionnel veille
sur l’action du législateur. Cependant, il est considéré que la violation invoquée ne reçoive
qu’une « sanction » relative ou conditionnée, selon que le droit-créance invoqué ait été
concrétisé par une loi ou pas. Dans le cas d’une législation préexistante, le Conseil reconnait
toutefois dans son contrôle une large marge d’appréciation au législateur433 tout en le guidant.
Ainsi, la compétence législative est doublement conditionnée par le contrôle constitutionnel,
mais également par le montant des recettes publiques disponibles à la réalisation des
politiques sociales.

2° La dimension financière des droits-créances

342 La dimension financière des droits créances ne peut être niée ; leur réalisation passe
par une prévision au sein des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité sociale.
Les droits-créances, « droits à », sont des droits de prestation dont le débiteur est l’État ce qui
implique un financement public afin de les réaliser. La compétence financière du législateur
se manifeste par l’octroi de financements propres à la réalisation de ces droits, ce dernier doit
accorder les crédits nécessaires à leur réalisation. Le législateur doit alors composer avec
l’objectif de réalisation des droits-créances et celui d’équilibre des finances publiques.
Les droits au repos et à la protection de la santé, ainsi que le droit à la protection sociale et à
la sécurité matérielle et subséquemment, le droit à la solidarité nationale sont des droits
créances prévus généralement au sein des lois de financement de la Sécurité sociale.
Les droits au repos et à la protection de la santé prévus à l’alinéa 11 du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946, se traduisent par un accès aux soins. Les lois relatives à
l’assurance maladie répondent à cet alinéa. Le législateur détermine ainsi le régime

432
GAY (L) : « La notion de “droits créances ” à l’épreuve du contrôle de constitutionnalité, Cahiers du Conseil
constitutionnel nº 16, juin 2004.
433
Cons.const, décision n ° 97-393 DC du 18 décembre 1997, Allocations familiales.

234
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

d’assurance maladie au regard des conditions de ressources, notamment dans l’octroi de la


couverture maladie universelle434ainsi que le droit de percevoir des indemnités journalières
dans le cadre d’une maladie.435
Tous les droits ont un coût, c’est le cas aussi du droit à la protection sociale et à la sécurité
matérielle, prévu à l’alinéa 11 du Préambule : « (…) a le droit d’obtenir de la collectivité des
moyens convenables d’existence » cela concerne la sécurité sociale, et l’aide sociale. Le
législateur bénéficie d’une marge d’appréciation importante concernant l’octroi de prestations
sociales et la répartition de la dépense de soins. 436 Afin d’assurer la réalisation de ces droits,
des services publics furent mis en place ; leur fonctionnement nécessite également un
financement. Concernant le principe de solidarité nationale prévu à l’alinéa 12 du Préambule,
il fut envisagé comme un principe d’après-guerre, d’assistance, bénéficiant aux Français
comme aux étrangers, or, force est de constater qu’il s’applique à de nombreux domaines et
qu’il ne revêt pas uniquement la signification stricte édictée par le Préambule. Ainsi, le
Conseil constitutionnel a énoncé que le législateur était compétent afin « d’organiser la
solidarité entre personnes en activité, personnes sans emploi et retraités et de maintenir
l’équilibre financier permettant à l’ensemble des institutions de sécurité sociale de remplir
leur rôle »437
343 En matière de lois de financement de la Sécurité Sociale, l’équilibre financier est un
objectif à valeur constitutionnelle qui prescrit plus qu’il n’induit une action du législateur. Il
est inscrit à l’article 34 de la Constitution : « les lois de financement de la sécurité sociale
déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs
prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses (…) ». Le projet de loi de Financement
de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2014, relate les efforts effectués en matière de réduction
des déficitset énonce : « on ne peut construire une politique active de solidarité durablement
à crédit : notre protection sociale doit s’inscrire dans un modèle qui reste fidèle à ses valeurs
de solidarité, mais qui soit aussi financièrement durable. » La pérennité de ce système de
protection de la santé, des droits de protection sociale et de sécurité matérielle serait en péril.
En effet, le PLFSS pour 2014 s’inscrit dans le rétablissement des comptes de la Sécurité

434
Cons.const, décision n ° 99-416 DC du 23 juillet 1999, CMU.
435
Cons.const, décision n ° 77-92 DC du 18 janvier 1978 Contre visite médicale
436
Cons.const, décision n ° 86-225 DC du 23 janvier 1987, Amendement Seguin
437
Cons.const, décision n ° 85-200 DC du 16 janvier 1986, Cumul emploi retraite

235
Finances publiques et droits fondamentaux

sociale qui a connu un cumul des déficits ayant atteint 160 milliards d’euros jusqu’en 2012.438
Le PLFSS s’inscrit dans la continuité des réformes projetées par le Gouvernement afin
d’assurer l’avenir du système de protection sociale, en garantissant l’avenir et la justice du
système de retraites, en redressant les comptes de la branche-vieillesse ; des mesures sont
prises pour pérenniser la branche-famille par des mesures de modulation de l’allocation de
base de la prestation d’accueil du jeune enfant, participant à l’effort d’économie, notamment,
la majoration de l’allocation de soutien familial afin d’établir une meilleure justice sociale
(…). Le financement des établissements de santé est revu ; tout cela n’étant réalisable que par
la maîtrise des dépenses sociales et par celle des dépenses d’assurance maladie notamment en
poursuivant l’exécution de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie « elle prévoit
des dépenses inférieures de 500 millions d’euros par rapport à l’objectif voté ». Ce qui traduit
la poursuite de la réalisation de l’objectif fixé, en réduisant les dépenses pour les soins de
ville, pour les établissements de santé, pour le secteur médico-social.
Tout cela participe à la réduction du déficit de la Sécurité Sociale d’un montant, en 2014, de
3,4 milliards d’euros. Lors de la présentation du PLFSS pour 2014, Marisol Touraine,
Ministre des Affaires Sociales et de la Santé, et Bernard Cazeneuve, ont énoncé que le déficit
pour 2014 devrait s’élever à 12,8 milliards d’euros (régime général et fonds de solidarité
vieillesse). L’amélioration des déficits vieillesse a contribué à la réduction de celui-ci.

344 Au regard de la crise économique et des finances publiques, ce projet de loi de


financement de la Sécurité Sociale s’inscrit dans une logique de maîtrise des dépenses, tout en
composant avec le maintien des droits-créances sus-mentionnés. Il était impératif de prendre
des mesures de redressement propres à assurer la pérennité de la protection de la santé, de la
protection sociale et la sécurité matérielle des administrés.
La réduction des dépenses révèle-t-elle un impact sur les prestations ? Concernant les
dépenses sociales, le PLFSS révèle non un transfert de charges sur les ménages, mais une
meilleure maîtrise de la dépense globale de santé, tout en permettant l’accès de tous, surtout
des plus démunis aux soins. Le décalage des départs en retraite permet un allongement des
cotisations générant 800 millions d’économies, cela ne s’appliquera pas aux retraités les plus
modestes concernant la revalorisation des pensions. Il est prévu, une augmentation des places

438
Le cumul des déficits comprend : le déficit du régime général et le déficit du fonds de solidarité vieillesse.

236
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

d’accueil aux jeunes enfants, la modernisation des procédures qui permettra un accès simplifié
concernant l’aide aux chômeurs et la rationalisation des procédures concernant les accidents
du travail des exploitants agricoles.
Les économies ainsi réalisées permettent de mettre en œuvre la stratégie nationale de santé en
2014 qui comprend notamment, le renforcement des soins de premiers secours, ainsi qu’une
stratégie de soutien aux investissements des établissements de santé et de leur financement.
Les services médico-sociaux venant en aide aux personnes âgées et handicapées connaissent
une allocation de budget en hausse de 3,2 % ; la mise en place d’une complémentaire santé
pour tous afin qu’ils accèdent de façon équitable aux soins « secondaires ».

345 La rénovation de la politique familiale par la majoration du complément familial, pour


les familles vivant sous le seuil de pauvreté, consiste en « l’amélioration de l’allocation de
soutien familial et du complément familial pour les familles nombreuses et monoparentales »,
le coût de cette mesure est estimé à 63 millions d’euros.
Le PLFSS prescrit une politique familiale au bénéfice des plus modestes. Il s’inscrit dans une
meilleure maîtrise des dépenses, tout en réalisant des économies sur certains secteurs, afin de
pérenniser l’octroi des prestations aux administrés et surtout aux plus démunis. Cela traduit
une politique de solidarité en tentant de maintenir les avantages acquis et en les renforçant
pour les catégories les plus nécessiteuses. Ce n’est que par la maîtrise des dépenses sociales,
que les droits-créances concernés pourront persister, comme l’a souligné le Gouvernement :
« on ne peut construire une politique active de solidarité durablement à crédit », cela déduit
du constat que « ces dernières années, elle a été fragilisée par des déficits qui ont sapé la
confiance dans sa pérennité et par des désengagements qui ont affaibli sa capacité à
protéger ».439

346 Le droit à l’instruction et à la culture constitue un droit-créance depuis notamment


« les lois Ferry » de 1881 à 1896 instituant le caractère obligatoire de l’instruction, la laïcité et
la gratuité de l’enseignement440, enseignement pouvant être réalisé tant par les établissements
publics que privés. Les établissements privés, malgré leur dénomination, bénéficient d’aides
de l’État, assumées par les collectivités, qui revêtent cependant un caractère facultatif. Il

439
Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2014.
440
FAVOREU (L), GAÏA (P) et allii : op.cit. p 365.

237
Finances publiques et droits fondamentaux

appartient au législateur de déterminer les formations bénéficiant de ces aides, sous réserve,
que ce financement ne puisse être supprimé, notamment au regard des conséquences que cela
pourrait entrainer, selon le Conseil constitutionnel.441
Les établissements publics répondent au principe de gratuité de l’enseignement depuis 1881,
pour l’enseignement primaire surtout. Le budget alloué à l’enseignement scolaire est le
deuxième budget le plus important de l’État, avec 63,4 milliards d’euros prévus au sein du
projet de loi de finances pour 2014, pour le Ministère de l'Éducation nationale. Ce budget
prévoit de mettre en œuvre la Loi d'Orientation et de Programmation pour la refondation de
l'École de la République, prévoyant notamment un meilleur accès aux élèves en situation de
handicap, la mise en place de l’accès au numérique, le programme d’investissement d’avenir ;
cela, en poursuivant l’objectif de réduction du déficit par une maîtrise des dépenses relatives
au budget de fonctionnement, et d’intervention basée essentiellement sur le matériel.
Le droit à l’instruction nécessite donc, une forte participation financière de l’État déterminant
de la possibilité à venir de trouver un emploi.

347 Le droit à l’emploi, prévu à l’article 5 du Préambule, ne peut donner lieu à une
prestation positive stricte de l’État. Ce droit s’assimile plus à un objectif, surtout en période
de crise économique : « Dans un contexte économique marqué par un niveau élevé du
chômage, la discontinuité croissante des trajectoires professionnelles, l’accélération des
mutations économiques, la “segmentation” des carrières (…)442. Tel est le contexte dans
lequel l’État devra œuvrer au soutien des emplois existants et à la mise en place de politiques
publiques propres à en permettre l’accès. La mission budgétaire “Travail et emploi” est dotée
d’un budget de 11 milliards d’euros en 2014, soit 900 millions de plus qu’en 2013. Cette
mission se compose de 4 programmes, dont le programme 102 relatif à l’accès et au retour à
l’emploi qui prévoit une politique d’emplois aidés afin de pallier le chômage par la poursuite
du financement des contrats aidés et des contrats d’avenir. La politique de l’emploi est

441
Cons.const, décision n°99-414 DC du 8 janvier 1999, Loi d’orientation agricole.
442
PLF 2014 - Extrait du bleu budgétaire de la mission : travail et emploi, programme 103. Accompagnement des
mutations économiques et développement de l’emploi.

238
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

primordiale, car le taux de chômage, selon le BIT, s’élève pour le troisième trimestre 2013, à
10,9 % de la population active en France. »443

348 Manifestement, la mise en œuvre des droits-créances nécessite un financement ; la


crise économique et financière tend à réduire les dépenses dans tous les secteurs, leur
réduction sur le fonctionnement, permet de ne pas amputer ces droits. Cette vision est une
vision basée sur les perspectives gouvernementales. L’effectivité des droits sociaux passe par
leur mise en œuvre législative, nécessitant un fondement, mais également une justiciabilité.
Quelle est-elle pour ces droits dits « seconds » ?

II. LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES D’UNE VISION BINAIRE :


UNE PROTECTION DIFFÉRENTE

349 La classification des droits induit-elle nécessairement une hiérarchie ? La


dénomination des droits sociaux comme droits de second rang induit la reconnaissance d’une
position secondaire de ceux-ci au regard des droits-libertés. Cette position secondaire est-elle
révélatrice d’une protection moindre de ces droits ? Ces droits seconds, droits de deuxième
génération sont-ils des droits hiérarchiquement inférieurs ? (A) Quelle est leur
justiciabilité ?(B)

A. Droits de second rang, deuxième génération : des droits


hiérarchiquement inférieurs

350 Au nombre des droits-créances affirmés par divers instruments, nous nous attacherons
à étudier ici, les droits-créances constitutionnels, ceux consacrés par le Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946, la Charte de l’environnement, et ceux dégagés par le Conseil
constitutionnel. Ainsi, à la nomenclature des droits présentés par le Préambule de 1946, il faut
ajouter, le droit à un environnement sain, consacré par l’article 1 er de la Charte, et l’objectif à
valeur constitutionnelle dégagé par le Conseil constitutionnel qu’est le droit au logement.444

443
Source INSEE, site : www.insee.fr
444
Cons.const, décision n ° 94-359 DC du 19 janvier 1995, Loi relative à la diversité de l’habitat, Rec p 176.

239
Finances publiques et droits fondamentaux

1° La classification conduit-elle ipso facto à une hiérarchie ?

351 Lorsque l’on parle de classification, on catégorise ; des ensembles se forment selon les
affinités qui relèvent de leurs caractéristiques intrinsèques. Ainsi ces catégories peuvent-elles
bénéficier d’une même valeur malgré leurs divergences ? Ce questionnement fut longuement
débattu en doctrine, considérant que la qualification sémantique de droits de second rang,
caractérise de fait, une protection et une importance moindre que celle accordée aux droits
civils et politiques, dits droits-libertés.
Une classification induite dans ce cas une hiérarchisation donc une priorisation, et conduit à
reconnaître des droits plus élevés que d’autres. À la lecture de la définition du mot
« hiérarchie », nous constatons deux significations : « Classification dans laquelle les termes
classés sont dans une relation de subordination, chaque terme dépendant du précédent et
commandant le suivant »445 donc, selon cette définition les droits-créances seraient
subordonnés aux droits-libertés qui commanderaient leur existence ; ou, selon la seconde
définition : « Classification dans laquelle les éléments sont ordonnés en une série croissante
ou décroissante, selon un critère de valeur ou d'importance »446 les droits-créances par leur
position seraient moins importants que les droits-libertés.

352 Le débat sur la valeur juridique des droits-créances n’a pas lieu d’être au sens
positiviste, en effet, ce n’est pas le degré de justiciabilité, donc le degré d’effectivité d’un
droit (dès lors qu’il peut faire l’objet d’un recours), qui conditionne sa valeur juridique. Le
questionnement est axé sur la praxis, car d’un point de vue théorique ce raisonnement serait à
l’envers. Dès lors qu’un droit est reconnu comme ayant un certain degré de normativité, en
l’occurrence, constitutionnel, car telle est la valeur du Préambule de 1946, qu’il peut être mis
en œuvre par un organe déterminé, et qu’il puisse faire l’objet d’un recours, sa valeur
juridique est caractérisée. De fait, le débat sur la reconnaissance au regard de la justiciabilité
des droits sociaux ne peut être retenu.
Par comparaison avec les droits-libertés, la doctrine dans son ensemble estime que la
protection des droits sociaux en plus d’être différente, est plus faible que celle accordée aux
droits-libertés. Trois arguments majeurs sont avancés : la lettre et l’esprit du Préambule de la

445
Définitions issues du dictionnaire Larousse, site www.larousse.fr
446
Ibid

240
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

Constitution du 27 octobre 1946, l’abstention de l’État ou pas, leur possible invocation


juridictionnelle au niveau international.447

353 L’esprit et la lettre du Préambule de 1946 s’avèrent moins empreints d’idéologie que
ceux issus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le Préambule s’adresse au
législateur, car la lettre est programmatique et non prescriptive pour nombre d’auteurs. La
nature même des droits-créances est qu’ils sont des droits objectifs, et non subjectifs, dans la
mesure où, ils s’adressent à des catégories de personnes non prises individuellement,
contrairement à la lettre de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il appartient au
législateur de les mettre en œuvre, ils sont conditionnés par son action. Leur octroi suppose
une contrepartie, ce qu’exprime le terme « devoir », puis « droit à » ; donc il y aurait un
échange qui n’existe pas dans le cadre des droits-libertés. Leur conditionnement législatif les
mettrait dans une position d’invocation juridictionnelle moins évidente, et ce, même au niveau
international, en définitive, ils dépendent de la « volonté de l’État », contrairement aux droits-
libertés.
La comparaison avec les droits-libertés nous amène au constat d’une différence importante
entre ces deux catégories. Cependant, sont-elles imperméables ? L’égalité est présente tant
dans l’une des catégories que dans l’autre. La dichotomie présentée dans la plupart des
manuels de droit n’induit pas une véritable hiérarchie des droits, mais des droits différents ; le
législateur intervient tant au regard des droits sociaux, qu’au regard des droits-libertés. Il met
en œuvre les uns et réglemente les autres. Certes, le degré d’intervention n’est pas le même,
mais il existe dans les deux catégories : la frontière n’est pas si tenue. La catégorisation dans
le sens de ses effets, a plus un impact sur le régime juridique, au sens de justiciabilité, que
nous évoquerons plus en aval. Au sein des droits-créances, il est aussi possible de relever une
sous-catégorie, ici hiérarchique, cette dernière intervient entre les « droits » et les
« objectifs », à ce titre, nous constatons qu’il existe un degré de réalisation et ainsi de
protection moindre concernant les objectifs, car le terme objectif souffre par définition d’un
résultat escompté, donc non atteint.

447
GRUNDLER (T) : « Chapitre 3 : La doctrine des libertés fondamentales : à la recherche des droits sociaux »
« Droits des Pauvres, pauvres droits ? Recherche sur la justiciabilité des droits de l’homme », La revue des
Droits de l’homme, juin 2012. http://revdh.files.wordpress.com/2012

241
Finances publiques et droits fondamentaux

Il semblerait qu’au niveau de la catégorisation, on ne peut énoncer que les droits-créances et


les droits-libertés constituent deux catégories distinctes, mais plutôt, complémentaires.
Ce qui différencie réellement ces deux catégories est la dimension financière, ce que nous
pouvons constater dans les modèles étrangers et les modèles naissants de démocratie.

2° Les droits-créances sont des droits subordonnés aux finances publiques.

354 Est-ce que les droits-créances peuvent exister au sens d’effectivité sans financement
public ? La réponse est indéniablement négative. Les Cours constitutionnelles étrangères
énoncent que la réalisation des droits sociaux dans leur volet de droits-créances, ne peut avoir
lieu que « compte tenu des ressources disponibles »448, ce qui ressort de la lettre des articles
26 et 27 de la Constitution Sud-Africaine. Le droit à l’emploi et à la sécurité sociale ne
peuvent se concrétiser dans ce modèle, qu’au regard du financement disponible. La
dépendance financière est ici explicitement affirmée, ce que la Cour constitutionnelle sud-
africaine a réitéré dans son arrêt du 4 octobre 2000 Grootboom concernant l’affirmation
progressive de ces droits.

355 La nature de la subordination financière des droits-créances est différente selon


l’affirmation qui a été faite antérieurement. En effet, un État démocratique récent peut
conditionner la réalisation progressive de ces droits par le financement disponible or, à
l’inverse, une consécration durable des droits-créances fait bénéficier ceux-ci d’un effet
cliquet. Ils ne sauraient être dénaturés au regard de considérations financières.
Si nous prenons en exemple l’État français, malgré la crise économique et financière, les
coupes budgétaires ont été réalisées sur les dépenses de fonctionnement des services assurant
la protection de ces droits, sur les achats de matériel ou baux,449 non sur les droits en eux-
mêmes. Si la situation de crise perdure, il peut être envisagé que ce ne seront pas les droits-
créances en tant que tels qui seront touchés, mais les caractéristiques les entourant,
notamment les montants des prestations, mais verrons des arbitrages sur la priorité donnée à
certains droits sur d’autres, quant à leur nécessité, ce que nous pouvons déjà constater à la

448
RIBES (D) : « L’incidence financière des décisions du juge constitutionnel», Cahiers du Conseil
constitutionnel nº 24 (Dossier : le pouvoir normatif du juge constitutionnel)- juillet 2008
449
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

242
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

lecture des projets de loi de finances et de loi de financement de la Sécurité Sociale. Au gré
des réformes sociales, sans dénaturer les droits, des limites peuvent y être apportées. La Cour
constitutionnelle fédérale allemande a clairement énoncé que les droits-créances notamment
l’enseignement universitaire étaient conditionnés par les ressources budgétaires450
Les limites financières peuvent-elles justifier le refus de réaliser certains droits ?

356 Il s’avère que lorsque ces droits dépendent essentiellement du facteur financier, il est
complexe d’en exiger la réalisation effective, pleine et entière.
Dans un contexte de crise économique et financière sans précédent, les priorités définies par
les gouvernements conditionnent nécessairement la réalisation de ces droits. Comme l’énonce
à juste titre Fréderic Sudre : « la réalisation de ces droits suppose la mise en œuvre de moyens
économiques, financiers et sociaux, faisant défaut pour nombre d’États »451. La situation
économique et financière d’un État a une répercussion directe sur la limitation de ces droits,
voire leur dénaturation en situation extrême supposée.
Étant des droits conditionnés surtout économiquement, il est plus ardu de les mettre en œuvre,
donc de les invoquer.

B. Le rôle du juge au regard des droits-créances : le principe de séparation


des pouvoirs est – il un frein à leur justiciabilité ?

357 Alors que les droits-libertés nécessitent un cadre donné par le législateur, les droits-
créances nécessitent une réalisation qui s’effectue par le biais du législateur. Or, la
revendication de l’octroi d’un droit-créance devant le juge, permet-elle à ce dernier
d’empiéter sur le pouvoir législatif ? La réponse nécessite de se pencher au préalable sur la
notion de justiciabilité des droits-créances (1) ainsi que sur la différence entre « droits » et
« objectifs » (2)

450
. RIBES (D) : op.cit.
451
SUDRE (F) : Droit européen et international des droits de l’Homme, PUF, 8ème éd revue et augmentée, 2006,
p 256.

243
Finances publiques et droits fondamentaux

1° La justiciabilité des droits-créances

358 Michel Levinet452 énonce que les droits sociaux bénéficient d’une justiciabilité dite
« relative », contrairement aux droits civils et politiques. Or, qu'est-ce que la justiciabilité ? La
justiciabilité est la qualité de ce qui est justiciable, donc ce qui peut faire l’objet d’un recours
devant un juge. Les droits sociaux sont qualifiés indifféremment de relativement justiciables
ou quasi justiciables, ce qui caractérise un obstacle à leur invocation devant un juge ? Quel (s)
obstacle (s) ?
Au niveau de la justiciabilité prise en tant que recours juridictionnel, on ne peut considérer
qu’il y ait réellement d’obstacles, car, ils sont invocables au même titre que les droits-libertés,
par exemple, le droit à la protection sociale peut être invoqué devant un juge tout autant que la
liberté d’expression. Au niveau normatif, ces deux catégories de droits relèvent du rang
constitutionnel, ils sont donc, tous deux reconnus et invocables ; la justiciabilité est synonyme
plutôt de protection juridictionnelle accordée à ces droits et surtout de la possibilité
d’enjoindre l’octroi de ces droits. Par conséquent, est-ce que le juge peut enjoindre le
législateur d’octroyer ces droits ? Là, se trouve semblerait-il le véritable problème de la
justiciabilité, le législateur étant compétent pour les mettre en œuvre, par la réserve de loi en
matière financière qu’il détient. Le juge peut sanctionner l’action positive du législateur s’il
estime qu’elle violerait un droit-créance ; peut-il sanctionner son inertie au regard notamment
des ressources financières disponibles, sans empiéter sur le principe de séparation des
pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789 ?

359 Le contrôle de l’inertie du législateur peut être opéré par le juge constitutionnel, sans
empiéter sur le pouvoir législatif, dans la mesure où il s’agit d’une constatation et d’une
invitation à y remédier. Or, dans le cadre de la concrétisation des droits-créances, le juge peut-
il inviter le législateur à y remédier en le sanctionnant dans le cas d’un défaut de ressources
disponibles à la pleine réalisation d’un droit sans empiéter sur la fonction propre du
législateur en matière financière ? Cela révèlerait un empiètement du pouvoir judiciaire sur le
pouvoir législatif, en contraignant le législateur dans ses choix budgétaires.

452
LEVINET (M) : Théorie générale des droits et libertés, Bruylant, Nemesis, Droit et Justice, nº 82, 2008, 2ème
éd, p 75.

244
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

360 En définitive, les droits sociaux, dans leur volet droits-créances, sont des droits
fondamentaux du fait de leur reconnaissance au sein d’un instrument ayant valeur
constitutionnelle. Ils sont effectifs car ils bénéficient d’un recours juridictionnel qui permet
leur invocation. À ce titre, il ne fait pas de doute que ces droits soient constitutionnels ; leur
justiciabilité prise dans le sens d’un recours juridictionnel, est identique concernant les droits
sociaux et les droits-libertés, car ils connaissent une identité normative. Ce sont les effets de
la décision juridictionnelle qui emportent une différence, la reconnaissance des droits-libertés
par le juge entraine ipso facto leur « octroi », or dans le cadre des droits-créances, la seule
reconnaissance de l’omission conduit à enjoindre le législateur à légiférer, comme cela peut
être fait dans le cadre des droits-libertés, mais également à engager un financement propre à
leur réalisation.
Dans le cas d’une situation financière favorable, outre l’empiètement sur le pouvoir législatif
financier du législateur, cela entre dans le cadre des possibilités or, en cas de situation
financière défavorable, comment est-ce possible ?
Par conséquent, le juge ne peut que reconnaître l’octroi d’un droit de façon médiate,
subordonnée par l’obligation de légiférer. Ainsi est opposée la dimension objective et la
dimension subjective des droits sociaux qui, selon Guillaume Braibant453 est caractéristique
des droits-créances. En effet, un droit-créance est nécessairement un droit objectif, car il est
conditionné par sa mise en œuvre législative ; en l’absence d’une telle mise en œuvre, le
recours visant à la reconnaissance de l’octroi de ce droit n’a pas lieu d’être. Un tel droit ne
peut être revendiqué subjectivement, car il est conditionné. Ainsi, le juge constitutionnel
serait seul compétent à « enjoindre », selon des méthodes juridictionnelles propres (que nous
étudierons au sein de la section 2), le législateur à tenter de concrétiser ce droit. Par
conséquent, la faible protection, dont fait état la doctrine, concerne essentiellement cette
problématique de mise en œuvre. Une opposition entre « justiciabilité normative » et
« justiciabilité subjective »,454 la justiciabilité subjective, telle que celle caractéristique

453
BRAIBANT (G) : La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, éd seuil, coll. Points essais,
2001, 330 p
454
Ibid.

245
Finances publiques et droits fondamentaux

ontologique à un droit-liberté, ne peut se traduire au niveau des droits-créances que par le


passage en amont par une justiciabilité normative.
Ici, se trouve en définitive le recours médian qui est représentatif pour la doctrine d’une
hiérarchie entre droits-libertés et droits-créances. Ce que nous ne partageons pas totalement,
car il s’agit d’effets d’une décision juridictionnelle, non d’un problème de justiciabilité, car le
recours est prévu et ces droits consacrés.
Une précision doit cependant être apportée quant à la notion de droits-créances et
« d’objectifs » ; un objectif n’est pas un droit, et ne peut de ce fait, supporter de sanction en
cas de non-réalisation.

2° Les droits et les objectifs

361 C’est dans une décision fondatrice n ° 82−141 DC du 27 juillet 1982 Communication
audiovisuelle455, que le Conseil constitutionnel consacre la notion d’« objectifs à valeur
constitutionnelle ». La définition de la notion intrinsèque d’objectifs à valeur constitutionnelle
est ambigüe et ne fait pas l’objet d’un consensus doctrinal. Pour une partie de la doctrine, ces
objectifs sont des limites opposées aux libertés, leur existence se réaliserait dans leur fonction
de limitation ; ce qui dans les faits, peut paraître en partie acceptable ne l’est. Bien qu’ils ne
constituent pas des normes à part entière, ils s’y rattachent. Ils sont dégagés par le Conseil
constitutionnel : « Il ne crée pas une ou des normes, mais simplement une qualification qui
sert à regrouper sous le même ensemble des normes diverses pour leur appliquer un régime
juridique commun.»456

362 Les objectifs seuls et les droits assortis d’objectifs s’adressent en général au
législateur, plusieurs « fonctions » sont assignées aux objectifs à valeur constitutionnelle : le
but à poursuivre, l’objectif à atteindre, les conditions nécessaires à l’effectivité des droits
qu’ils visent, voire leur limitation. Une liste d’objectifs est recensée qui n’est pas exhaustive,

455
Cons.const, décision n ° 82−141 DC du 27 juillet 1982 : le Conseil affirme qu'« il appartient au législateur de
concilier [···] l'exercice de la liberté de communication telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration des
droits de l'homme, avec [···] les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le
respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels»
cons nº 5.
456
MONTALIVET (de. P) : Les objectifs de valeur constitutionnelle, cahiers du Conseil constitutionnel, n ° 20,
juin 2006.

246
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

elle comprend : la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui, le pluralisme,


la transparence financière des entreprises de presse, la protection de la santé publique, la
recherche des auteurs d'infractions, la lutte contre la fraude fiscale, la possibilité pour toute
personne de disposer d'un logement décent, l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi,
l'équilibre financier de la Sécurité Sociale, l'égal accès des femmes et des hommes aux
mandats électoraux et fonctions électives ainsi que l'égalité entre les collectivités
territoriales.457 Les droits-créances sont des droits assortis le plus souvent d’objectifs, ce qui
rend leur réalisation moins évidente que celle des droits-libertés, par exemple, le droit à
l’emploi issu de l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946. L’alinéa 5 consacre bien
un droit, effectif, assorti d’un objectif de « plein emploi ». Il en est de même pour le droit à la
santé, ce droit est assorti d’un objectif, à savoir l’accès au plus grand nombre aux soins. Ainsi
Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux considèrent que, concernant les droits-créances et en
particulier ces deux derniers évoqués, on ne peut réellement parler de droits, mais plutôt
d’objectifs à part entière, ceci du fait de l’impossibilité selon les auteurs, pour un requérant de
s’en prévaloir directement et l’impossibilité de fournir un emploi à tous. 458 Or, le droit à
l’emploi est pour nous, un droit et non un objectif, car un requérant peut prétendre au
maintien de son emploi, à la requalification de son contrat de travail, d’une discrimination à
l’embauche alors qu’il remplissait toutes les conditions nécessaires à l’octroi de cet emploi.
Force est de constater que le droit à l’emploi est un véritable droit et que la méconnaissance
de ce droit, notamment dans les cas explicités, peut être sanctionnée. L’objectif qui y est
rattaché est un objectif de plein emploi qui lui, est dépendant de facteurs économiques et
financiers que le législateur ne peut maîtriser dans sa totalité.

363 Le droit au logement opposable est, en revanche un objectif à valeur constitutionnelle,


il est issu d’une loi, non d’un texte constitutionnel, donc formellement c’est un droit à portée
législative.

364 Le régime juridique des objectifs à valeur constitutionnelle est singulier. L’objectif
s’adresse au législateur et non au requérant, donc il ne peut donner lieu à un droit. Il ne peut

457
Ibid.
458
MATHIEU (B), VERPEAUX (M) et allii, les Petites affiches, 20 octobre 1999, nº 209, p 20.

247
Finances publiques et droits fondamentaux

être sanctionné dès lors que le législateur met tout en œuvre pour l’atteindre. À ce titre, il
n’est pas directement invocable par un requérant devant le juge.
Le Conseil constitutionnel peut sanctionner le législateur si ce dernier méconnait ces
objectifs, leur méconnaissance peut se manifester par des dispositions allant à l’encontre de
ceux-ci. Le législateur se trouve ainsi face à des interdictions justifiées par l’obligation
d’assurer l’effectivité des droits consacrés constitutionnellement. Ainsi, en matière de droits-
créances, les objectifs conditionnent la réalisation des droits, ils ne peuvent alors, avoir le
même régime. Ils limitent et conditionnent les droits.
Le législateur, se voit contraint de respecter ces objectifs qui sont programmatiques, le non-
respect de ces objectifs fut sanctionné par le Conseil constitutionnel, concernant le régime
juridique des entreprises de presse et surtout « le pluralisme des quotidiens d'information
politique et générale est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ».459 La
méconnaissance de cet objectif a donné lieu à une déclaration de non-conformité de la loi à la
Constitution, dans des décisions du 29 juillet 1986 et du 18 septembre 1986. Le respect de ces
objectifs par le législateur caractérise la mise en œuvre de sa compétence. Dans les deux
espèces précitées, les objectifs sont corrélatifs à un droit-liberté qui est le droit à la liberté
d’expression, ces objectifs visent à renforcer ce droit. Ils ne constituent pas des normes à part
entière même s’ils sont prescriptifs, ils n’accordent pas un droit, ils le renforcent ou le
limitent. Il n’y a pas d’obligation formelle de réaliser les objectifs à valeur constitutionnelle,
dans la mesure où ils sont constitutifs d’une obligation de moyen, donc il s’agit pour le
législateur de prouver qu’il a tout mis en œuvre pour atteindre cet objectif.
Il en est ainsi du « droit au logement », la terminologie utilisée s’avère inappropriée, car il ne
s’agit pas d’un droit constitutionnellement garanti, mais d’un objectif qui consiste en la
« possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent. »460Cet objectif s’adresse
de ce fait au législateur. Cet objectif est issu des alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946, et du
principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Cet objectif n’est donc pas récent, il entraine des mesures propres à assurer un logement aux
personnes défavorisées, c’est le cas de la taxe afférente aux logements vacants dans un but

459
Décision 86−210 DC du 29 juillet 1986 Loi portant réforme du régime juridique de la presse cons 20, et nº
86−217 DC du 18 septembre 1986 Loi relative à la liberté de communication.
460
Cons.const : décision n ° 90-274 DC du 29 mai 1990, droit au logement.

248
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

d’incitation des propriétaires à mettre en location les logements vacants, ou à supprimer


« l’avantage », dit de maintien dans les lieux, concernant les personnes bénéficiaires d’HLM,
afin que ces habitations bénéficient aux revenus les plus modestes.461
Objectif à valeur constitutionnelle, le droit au logement opposable issu de la loi du 5 mars
2007 implique de se situer dans six situations déterminées, conditions auxquelles s’ajoute la
nécessité d’avoir entrepris des démarches personnelles, afin de trouver un logement décent.
De fait, un recours contentieux pourra être entrepris. Ce droit au logement est assimilé à un
droit-créance, mais n’est pas reconnu en tant que tel. Le Conseil d’État, également, dans le
cadre d’un référé liberté, a suivi la jurisprudence du Conseil constitutionnel et n’a pas reconnu
le caractère fondamental du droit au logement dans un arrêt du 3 mai 2002 ; 462cela, même s’il
a été reconnu obligation de l’État de pourvoir un logement aux personnes déclarées
prioritaires par la commission en charge d’étudier les dossiers de demande. De même que la
validation, par le Conseil constitutionnel, le 17 janvier 2013, de la loi sur la mobilisation du
foncier public et de renforcement des obligations de logements social, en vue de la
construction de logements sociaux et de la réquisition de bâtiments appartenant à des
personnes morales.463

365 Les droits-créances peuvent être conciliés sur un pied d’égalité avec les droits-libertés.
En exemple, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre sont mis en échec par le droit à la
santé concernant l’importation de tabacs, les objectifs cèdent en général au regard de ces deux
catégories de droits.
Le droit de propriété, liberté fondamentale, prévaut devant l’objectif à valeur constitutionnelle
du droit au logement. Le Conseil constitutionnel a jugé concernant la loi d’orientation relative
à l’exclusion, que le législateur pouvait apporter des limitations au droit de propriété afin de
permettre l’accès à un logement décent, à condition de ne pas dénaturer ce droit. Dans sa
décision du 29 juillet 1998464, il a reconnu la dénaturation du droit de propriété. Cette décision
constitue une décision de référence. Le droit au logement demeure un objectif à valeur
constitutionnelle qui doit être examiné à l’égard du droit de propriété, qu’il ne doit pas

461
Cons.const : décision nº 2009-578 DC du 18 mars 2009 Loi de mobilisation pour le logement
462
CE, ord, 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres, AJDA, 2002.
463
Cons.const : décision nº 2012-660 DC du 17 janvier 2013, Loi sur la mobilisation du foncier public et de
renforcement des obligations de logements social
464
Cons const, décision n ° 98-403 DC du 29 juillet 1998

249
Finances publiques et droits fondamentaux

dénaturer. Cette jurisprudence est réitérée dans une décision QPC du 30 septembre 2011465
concernant une procédure d’expulsion intentée par une commune ; il déclare, l’article 544 du
Code civil qui énonce que « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la
manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les
règlements »conforme à la Constitution. Les requérants invoquaient à l’appui de leur recours
que cet article, dans l’interprétation faite par la Cour de cassation, portait atteinte à plusieurs
libertés et à l’objectif de valeur constitutionnelle qu’est le droit au logement. Ils se basent sur
la décision du Conseil constitutionnel du 10 mars 2011466 qui fut amené à examiner une
mesure exécutée d’office par l’autorité administrative et non la demande d’expulsion
formulée par un propriétaire. Le Conseil constitutionnel, réitère sa position en énonçant son
considérant de principe : « s’il appartient au législateur de mettre en œuvre l’objectif de
valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un
logement décent, et s’il lui est loisible, à cette fin, d’apporter au droit de propriété les
limitations qu’il estime nécessaires, c’est à la condition que celles-ci n’aient pas un caractère
de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés ; que doit être aussi
sauvegardée la liberté individuelle. » Le Conseil constitutionnel déclare l’article 544 du Code
civil, dans l’interprétation faite par la Cour de cassation, conforme à la Constitution et précise
qu’il ne peut être contraire aux droits et libertés, car il rappelle les articles 2 et 17 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

366 Par conséquent, la problématique caractéristique d’une différence de protection est une
problématique financière, hors la politique gouvernementale mise en œuvre. Ici se situe la
véritable distinction entre droits civils et politiques, qui ne nécessitent pas ou peu de
financement et l’importance du financement que nécessite la réalisation des droits-créances.

465
Cons const, décision QPC nº 2011-169 DC du 30 septembre 2011.
466
Cons const, décision nº 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la
performance de la sécurité intérieure

250
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

SECTION 2 : les droits sociaux fondamentaux dans la jurisprudence du


Conseil constitutionnel en matière financière

367 Il ne fait nul doute que les droits sociaux fondamentaux pris dans leur volet droits-
créances, sont des normes de références pour le juge constitutionnel dans le contrôle des lois
financières.
Par lois financières, nous entendons les lois de finances initiales, les lois de finances
rectificatives et les lois de financement de la Sécurité Sociale. Ces lois sont déférées avant
leur promulgation au Conseil constitutionnel qui en vérifie le respect des dispositions au
regard de la Constitution. Par droits sociaux fondamentaux, nous privilégions une
interprétation restrictive, en nous basant sur le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel
des lois financières au regard d’une partie des droits proclamés par le Préambule du 27
octobre 1946, à savoir : le droit à obtenir un emploi (alinéa 5), le droit à la protection de la
famille, des vieux travailleurs (alinéa 10), le droit à la protection de la santé (alinéa 11), le
droit à la solidarité nationale (alinéa 12), le droit à l’instruction et à la culture (alinéa 13). Il en
ressort que le contrôle du Conseil constitutionnel s’apparente à l’obligation de respect du
« noyau dur » des droits-créances (I.) dans le cadre des décisions de conformité, or dans le
cadre de la QPC quel contrôle est opéré (II.) ?

I. LE CONTRÔLE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU « NOYAU DUR »


DES DROITS-CRÉANCES

368 Les lois financières accordent les moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre
d’orientations politiques. Selon l’article 1er de la Constitution 4 octobre 1958 : « la France est
une République indivisible, laïque, démocratique et sociale (…) ». La mise en œuvre d’une
politique sociale est constitutionnellement reconnue. La traduction financière de cette
politique nécessite, dans la cadre du contrôle du Conseil constitutionnel, de prendre en
compte les droits sociaux, ici « créances », comme normes de référence dans le contrôle de
constitutionnalité des lois financières.
Le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel est un contrôle de « l’œuvre » législative à
l’effet cliquet qui est une obligation imposée au législateur de ne pas légiférer (A), à l’inverse,

251
Finances publiques et droits fondamentaux

l’encadrement du pouvoir discrétionnaire du législateur se manifeste par une invitation


implicite à légiférer (B).

A. L’effet cliquet : une obligation imposée au législateur

369 Les lois financières traduisent « le degré d’octroi » des droits-créances, ainsi il est
paradoxal que leur contrôle, au regard des droits sociaux, fût si tardif. Le Conseil
constitutionnel n’a reconnu qu’assez tardivement la relation intrinsèque entre droits sociaux
fondamentaux et lois financières, préférant les analyser sous l’angle du principe d’égalité dans
un premier temps.467 Le premier contrôle d’une loi financière, au regard des droits sociaux,
n’apparait qu’en 1987 lors du contrôle de la loi de finances pour 1988468, alors que la valeur
juridique du Préambule du 27 octobre 1946 fut reconnue en 1971 dans la décision du Conseil
constitutionnel Liberté d’association469.
La première décision du Conseil en la matière, consacre le droit à la solidarité nationale
concernant l’indemnisation de rapatriés français afin de compenser les pertes matérielles
qu’ils avaient subies.

1° L’abstention du législateur ou l’impossible remise en cause de l’acquis social

370 Le contrôle du juge constitutionnel en matière de lois financières s’est approfondi


laissant place à des saisines sur le contenu des dépenses publiques de l’État, au regard des
droits issus du Préambule de 1946 ; surtout en matière de lois de financement de la Sécurité
Sociale.470
La non-dénaturation d’un droit, apparait comme une limite aux modifications législatives, le
législateur devant respecter le contenu minimal d’un droit, il ne peut revenir sur un acquis
social. Ainsi, le contrôle du Conseil constitutionnel sur le pouvoir d’appréciation du
législateur révèle un contrôle minimal.

467
PRETOT (X) : « Le Conseil constitutionnel et les finances publiques », RFFP, nº 55, 1996, p 195.
468
Cons.const : décision n ° 87-237 DC du 30 décembre 1987, Loi de finances pour 1988
469
Cons.const : décision nº 77-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association
470
DUBUT (T) : Les droits sociaux fondamentaux dans la jurisprudence financière du Conseil constitutionnel
français, congrès AIDC, Athènes, juin 2007, Atelier nº 13.

252
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

Malgré la constatation de l’ensemble de la doctrine que la jurisprudence du Conseil


constitutionnel, en matière financière, au regard des droits sociaux, est une jurisprudence de
rejet, le juge constitutionnel juge cependant au fond471 la compatibilité des dispositions
financières avec les droits issus du Préambule de 1946.
A la marge, concernant une décision qui a été rendue sans contrôle au fond, la question s’est
posée des raisons d’un non-examen prioritaire au regard de l’alinéa 11 du Préambule de
1946472 ; en matière financière, notamment fiscale, le contrôle des dispositions se fait, en
général, au préalable, sur le fondement du principe d’égalité, avant toute autre dispositions
constitutionnelles, ce qu’illustre la décision du 14 août 2003, Loi portant réforme des
retraites. Le juge constitutionnel contrôle si la disposition contestée, qui réduisait la déduction
à l’impôt sur le revenu des personnes physiques, des cotisations d’épargne-retraite, ne
caractérisait pas « une rupture flagrante du principe d’égalité » et ensuite, vérifie que cette
disposition ne portait « atteinte à aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ».473
Cette décision est caractéristique en matière financière, de la prédominance du principe du
consentement à l’impôt et de son corollaire qui est celui de l’égalité. En ce sens, la décision
est justifiée par l’importance de ce principe en matière financière comme base de référence
première.

371 Le contrôle du Conseil constitutionnel en matière de lois financières, est un contrôle


qui s’apparente à l’erreur manifeste d’appréciation, comme l’a très justement souligné
Ferdinand Mélin-Soucramanien, « un contrôle limité à l’examen de la rationalité de l’action
législative 474», à l’inverse il y aurait méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Par conséquent, dans le cadre des lois financières, le contrôle au regard des droits sociaux
fondamentaux ne peut être que minimal. Le Conseil constitutionnel veille, toutefois, au
respect du maintien du « droit acquis » et, ce, dans la plupart de ses décisions, en veillant à ce
que le législateur se soit abstenu de les supprimer par l’édiction d’autres dispositions

471
Hors le cas des “cavaliers sociaux” et des moyens inopérants, où ce contrôle au fond n’est pas nécessaire,
dans ce sens voir les décisions nº 2003-486 DC et 2006-544 DC.
472
DUBUT (T) : op.cit p12.
473
Cons.const décision nº 2003-489DC du 14 aout 2003 Loi portant réforme des retraites
474
MELIN-SOUCRAMANIEN (F) : Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
Economica-PUAM, coll. « Droit public positif», Paris, 1997, 397 Pages.

253
Finances publiques et droits fondamentaux

législatives. Il réalise un contrôle minimal du respect de la disposition constitutionnelle dans


les faits, et un contrôle large sur le contexte pouvant conduire à sa compensation. Dans sa
décision nº 93-330 DC, le Conseil constitutionnel énonce qu’il appartient au législateur de
déterminer les modalités de mise en œuvre des droits « (…) dans le respect des principes
proclamés par le onzième alinéa du Préambule de 1946 (…)475. » Malgré la reconnaissance
du pouvoir discrétionnaire du législateur, le juge constitutionnel vérifie que ce dernier ne
remet pas en cause « des exigences de valeur constitutionnelle » ce qui ressort de sa décision
97-393 DC476, concernant en l’espèce, l’octroi d’allocations familiales sous condition de
ressources ; le juge constitutionnel veille à ce que le législateur ne supprime pas cet octroi à
l’égard de familles nécessiteuses. Cependant dans cette espèce, il ne considère pas qu’il y ait
privation du droit à la protection sociale et à la sécurité matérielle car, les familles exclues de
ce régime pouvaient bénéficier d’autres aides ; position qu’il réitère dans une décision nº 98-
405 DC concernant la modification du calcul du quotient familial.
372 Le juge cristallise le droit acquis minimal dans sa jurisprudence, les modifications
opérées par le législateur ne sont de fait inconstitutionnelles, seulement lorsqu’elles ont pour
effet de priver totalement du bénéfice de l’octroi du droit visé. Dans une décision nº 2003-488
DC, dans une formulation type, le Conseil constitutionnel énonce « le législateur n’a pas
privé de garanties légales le droit à la protection de la santé concernant les étrangers en
situation irrégulière, dès lors qu’ils avaient accès à des soins urgents. » Le juge
constitutionnel vérifie en cas de modification d’un système de protection d’un droit,
l’existence d’un autre « système » garantissant la protection du droit visé, ce qu’il exprime
clairement dans une décision nº 2010-617 DC du 9 novembre 2010, concernant le report de
l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite, où les requérants invoquaient la
méconnaissance de l’alinéa 11 du Préambule de 1946 : « il est cependant possible au
législateur, pour satisfaire à cette exigence, de choisir les modalités concrètes qui lui
paraissent appropriées ; qu'en particulier, il lui est à tout moment loisible, statuant dans le
domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution, de modifier des textes
antérieurs ou d'abroger ceux−ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ;
qu'il ne lui est pas moins loisible d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs

475
Cons.const décision n ° 93-330 DC du 29 décembre 1993.
476
Cons.const décision n ° 97-393 DC du 18 décembre 1997 et décision nº 98-405 DC du 29 décembre 1998.

254
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier


l'opportunité ; que, cependant, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de
garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. »477Les modifications effectuées
par le législateur, tendaient à assurer la protection des vieux travailleurs selon le Conseil et de
ce fait, respectaient l’alinéa 11 du Préambule dans une décision relative à la loi de finances
pour 2013478, au regard du plafonnement du quotient familial ouvrant droit à des réductions
d’impôts, le Conseil énonce que la différence de traitement selon le nombre d’enfants à
charge, est justifiée et que le législateur n’a pas méconnu l’article 13 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen ni l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution.
Qu’il s’agisse de modifications ou d’abrogation, le législateur ne doit pas priver de garanties
légales des exigences de caractère constitutionnel selon le Conseil constitutionnel, ce que la
doctrine dénomme « l’acquis social restreint » qui est le seuil minimal, avant suppression du
droit, que le Conseil manifeste par la formulation : « (…) il est à tout moment loisible au
législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou
d'abroger ceux−ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, ce
faisant, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles » ; en l’espèce il
s’agissait de la possibilité donnée aux pharmaciens de substituer un médicament
biologiquement similaire à un médicament prescrit ; le Conseil estime qu’il n’y a pas atteinte
au droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa.

373 Le contrôle restreint de la compétence du législateur sur le maintien par ce dernier


d’un acquis social, se manifeste par une jurisprudence de rejet. Cependant, le droit acquis “de
façon élevée » entrainerait du fait d’une protection accrue du droit, une dépense obligatoire et
parallèlement élevée ; dépense justifiée en période normale, mais en période de crise pourrait-
on la diminuer sans diminuer la protection du droit concerné ? Assurément la réponse est
négative, la raison implicite est l’impossibilité pour le juge constitutionnel de s’immiscer dans
la compétence financière du Parlement. Ainsi, par un contournement, le Conseil induit une
protection relativement plus importante par le biais des réserves d’interprétation. 479

477
Cons.const décision nº 2010-617 DC du 9 novembre 2010, considérant nº 8.
478
Cons.const décision nº 2012-662 DC du 29 décembre 2012
479
DUBUT (T) : op.cit. p 15.

255
Finances publiques et droits fondamentaux

2° La technique des réserves d’interprétation comme palliatif de l’impossible


ingérence totale du juge dans le pouvoir législatif financier.

374 Ainsi, en raisonnant, au regard du cas d’espèce présenté, le Conseil constitutionnel


renforce la protection des droits-créances, en indiquant au pouvoir législatif et réglementaire,
la marche à suivre.
Cette technique détournée octroie une protection plus importante de façon implicite, et nuance
ainsi une jurisprudence de rejet. La technique des réserves d’interprétation se matérialise par
la possibilité pour le Conseil constitutionnel de déclarer conforme à la Constitution, des
dispositions déférées, sous réserve de respecter l’interprétation donnée par ce dernier. Il en a
fait application dans le cadre du conditionnement au regard des ressources de l’octroi d’aides
aux familles. Il en résulte que, sans s’immiscer dans le pouvoir financier exclusif du
législateur, la loi et le règlement donc, ne sauraient fixer des plafonds de ressources compte
tenu des autres aides sans remettre en cause les dispositions des alinéas 10 et 11 du Préambule
de 1946.480 Plus récemment, dans une décision du 16 juillet 2009, le Conseil énonce,
concernant les établissements de santé privés qui assurent des missions de service public,
d’assurer l’égal accès aux soins, la permanence de l’accès et voir l’orientation vers d’autres
établissements, obligation qui incombe à l’ARS, « qu'il appartiendra à cette dernière, en
définissant les modalités de cette participation et en la coordonnant avec l'activité des
établissements publics de santé, de veiller à ce que soit assuré l'exercice continu des missions
du service public hospitalier pris dans son ensemble ; que, sous cette réserve, ces dispositions
ne méconnaissent ni les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de
1946 relatives à la protection de la santé, ni le principe de continuité du service public. »481

375 Les réserves sont explicites, comme dans les décisions sus-mentionnées, ou implicites,
et concernent dès lors les décrets d’application de la loi qui seront pris en Conseil d’État, dont
nous soumettons deux exemples : s’agissant de la prise en charge par l’assurance maladie
d’actes accompagnés d’une participation des assurés sociaux, le Conseil, dans une décision du

480
Cons.const décision nº 97-393 DC
481
Cons.const décision nº 2009-584 DC du 16 juillet 2009 cons nº 6.

256
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

12 aout 2004482, énonce : « (…) le montant de cette participation devra être fixé à un montant
tel que ne soient pas remises en cause les exigences du onzième alinéa du Préambule (…). »
Au sein de la loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2014, au regard de la possibilité
pour les pharmaciens de substituer un médicament biologiquement similaire, les requérants
invoquaient une atteinte au droit à la protection de la santé, au regard des conditions de
substitution. Le Conseil énonce à ce titre : « qu'il appartiendra au décret en Conseil d'État de
préciser notamment “les conditions de substitution du médicament biologique et
d'information du prescripteur à l'occasion de cette substitution de nature à assurer la
continuité du traitement avec le même médicament” ; que, par suite, manque en fait le grief
tiré de ce que les conditions de cette substitution ne seraient pas entourées de garanties
assurant que le droit à la protection de la santé n'est pas méconnu ».483

376 La technique des réserves d’interprétation, est révélatrice de la volonté du juge


constitutionnel de renforcer la protection des droits-créances, tout en n’imposant pas au
législateur, mais en lui recommandant de prendre une direction certaine. Le contrôle du
respect du droit minimal ou « acquis restreint » fait apparaitre l’impossibilité pour le juge
constitutionnel, d’enjoindre le législateur d’accorder une protection supérieure qui est
indiscutablement liée à une condition de ressources disponibles.

B. l’encadrement du pouvoir d’appréciation du législateur.

377 L’intérêt général, est une notion souvent utilisée par le Conseil constitutionnel afin de
légitimer l’intervention du législateur dans un sens réducteur des droits, tant en ce qui
concerne les droits libertés que les droits créances, or, est ce que l’intérêt général justifie une
baisse de protection de ces droits (1) ? Depuis la mise en place de la question préjudicielle de
constitutionnalité, est-il possible de constater un même raisonnement du Conseil
constitutionnel dans le cadre d’une portée limitée des droits-créances (2) ?

482
Cons.const décision nº 2004-504 DC
483
Cons.const décision nº 2013-682 DC du 19 décembre 2013.

257
Finances publiques et droits fondamentaux

1° La notion d’intérêt général justifie-t-elle une baisse de protection des droits


créances ?

378 La question de la « nature » de la notion d’intérêt général fut posée par la doctrine, est-
ce une norme constitutionnelle justifiant une légitime réduction de la portée de certains
droits ? Ou est-ce uniquement une norme de contrôle ?484
Le Conseil constitutionnel contrôle la loi déférée sous le prisme de l’intérêt général rattaché
aux objectifs poursuivis par le législateur. D’emblée, s’est donc posée la question de la valeur
juridique de cette notion susceptible de réduire la portée de certains droits. Le Conseil
constitutionnel dans le cadre de son contrôle, retient l’intérêt général lorsque celui-ci est
« suffisant » et « à condition de ne pas priver de garanties légales des exigences
constitutionnelles. ».L’intérêt général semble s’inscrire dans le cadre d’un renforcement des
objectifs ou comme condition intrinsèque à ceux-ci par le législateur. Une question se pose
alors : quelle différence y a-t-il entre des exigences constitutionnelles et des objectifs de
valeur constitutionnelle ?
Le Conseil constitutionnel a dégagé explicitement trois exigences constitutionnelles au sein
de sa jurisprudence en matière financière : « la mise en œuvre d’une politique de solidarité
nationale envers la famille », le fait que « la Nation garantit à tous (…) la protection de la
santé », « la mise en œuvre d’une politique de solidarité en faveur des travailleurs retraités »,
ces trois exigences sont déduites des alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946.485
Au titre des objectifs à valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel a dégagé,
notamment en matière de droits-créances : « la possibilité pour toute personne de bénéficier
d’un logement décent » et « le respect de l’équilibre financier de la Sécurité Sociale. » 486

379 Selon la doctrine, la frontière entre ces deux notions n’est pas tranchée, pour certains,
de prime abord, à la lecture de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une assimilation
entre les exigences et objectifs semble apparaître.487 Puis, la sémantique établit une
distinction : un objectif vise le législateur dans sa fonction dans le sens d’un but à atteindre ;

484
LENOIR (N) : « L’intérêt général, norme constitutionnelle ?» colloque, 2006, www.conseil- constitutionnel.fr
485
Cons.const décisions nº 97-393 DC, 2003-483 DC et 2002-463 DC
486
Cons.const : décision n ° 90-274 DC du 29 mai 1990, Droit au logement, décision nº 2002-463 DC du 12
décembre 2002
487
DUBUT (T) : op.cit. p 19.

258
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

une exigence serait une obligation de résultat. Certes, en matière de droits-créances, il est
difficile d’enjoindre le législateur de réaliser pleinement des droits financièrement
dépendants. Par conséquent, la véritable distinction se trouverait, semble t’-il, en ce que les
objectifs sont un but à atteindre pour le législateur, donc un guide ; alors qu’une exigence
constituerait une limite à la marge de manœuvre du législateur, une contrainte. De cette limite,
le législateur ne pourrait se dégager qu’en invoquant un intérêt général suffisant.
Finalement, la différenciation entre objectifs et exigences de valeur constitutionnelle se trouve
ici et l’intérêt général constitue un motif de limitation d’une exigence constitutionnelle alors
qu’il est le corollaire d’un objectif de valeur constitutionnelle.

380 En définitive, l’intérêt général constitue une norme de contrôle, mais aussi
l’expression ontologique d’un État social, il est une limite et un fondement des droits-
créances.
L’équilibre financier de la Sécurité Sociale, objectif de valeur constitutionnelle, donc
intégrant la notion d’intérêt général, justifie la conciliation avec l’exigence constitutionnelle
de « la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale envers la famille ». Dans la
décision nº 2002-463 DC cette solution se justifie par la nécessité du maintien d’un équilibre
financier de la sécurité sociale, qui traduit des ressources financières limitées et
subséquemment, de la possibilité à venir, de protéger ces droits sociaux. En l’espèce, la limite
dans le remboursement de médicaments se justifie pour le Conseil constitutionnel par le fait
que la disposition législative vise à « limiter les dépenses de l’assurance maladie et concourt
par suite à préserver l’équilibre financier de la sécurité sociale qui constitue un objectif à
valeur constitutionnelle. »488
Dans une décision du 29 décembre 2003, sur la déductibilité des cotisations de retraite et
prévoyance, qui ne s’appliquait qu’à une catégorie de contribuable, le juge constitutionnel a
déduit qu’il était possible que « le législateur édicte pour des motifs d'intérêt général des
mesures d'incitation par l'octroi d'avantages fiscaux ; qu'en l'espèce, il a entendu favoriser la
489
constitution d'un complément de retraite » , que cette mesure ne portait pas atteinte au
principe d’égalité, ni au onzième alinéa du Préambule de 1946 ; concernant également la

488
Cons.const décision nº 2002-463 DC
489
Cons.const décision nº 2003-489 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances pour 2004.

259
Finances publiques et droits fondamentaux

suppression des allègements fiscaux et sociaux, correspondants aux heures supplémentaires


effectuées par certains salariés, dispositions, dont les requérants invoquaient la violation à la
liberté d’entreprendre et de l’objectif pour chacun d’obtenir un emploi. Le Conseil
constitutionnel réitère son raisonnement, tout en reconnaissant la marge d’appréciation du
législateur, en énonçant « que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales
des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits
proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, s'il
portait aux situations légalement acquises, une atteinte qui ne soit justifiée par un motif
d'intérêt général suffisant » 490. En l’espèce, le Conseil constitutionnel conclut qu’il n’y a pas
violation de la liberté d’entreprendre et du droit à l’emploi, car le législateur a entendu
favoriser par ces mesures, le recours à l’emploi.
Le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel s’apparente à un contrôle restreint de
l’intérêt général ; la notion d'intérêt général ne constitue pas un pan d’un objectif à valeur
constitutionnelle, mais c’est l’objectif de valeur constitutionnelle qui constitue un pan de
l’intérêt général. Notion à double entrée, la notion d’intérêt général constitue une limite au
pouvoir discrétionnaire du législateur, dans la justification d’un « intérêt général suffisant »
afin de limiter la réalisation d’un droit-créance, mais il constitue également une possibilité,
qui lui est offerte de rationner leur mise en œuvre.

381 Au niveau de la protection des droits-créances, le Conseil constitutionnel opère une


conciliation entre exigences constitutionnelles et intérêt général. Assurément, en ce qui
concerne l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue l’équilibre financier de la
Sécurité Sociale, pris sous le prisme de l’intérêt général ; il conduit à protéger par exemple, le
droit à la protection de la santé. En effet, la prise en compte de la capacité financière et de son
maintien pour l’avenir, afin d’assurer une protection efficace des droits-créances, constitue
une protection de ceux-ci. C’est une protection non immédiate, mais justifiée quant au
maintien de ces droits pour l’avenir.

490
Cons.const décision nº 2012-654 DC du 9 aout 2012 Loi de finances rectificative pour 2012.

260
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

2° Le raisonnement du Conseil constitutionnel est-il identique dans le cadre de


la QPC ?

382 Dans le cadre de la procédure relative à la question prioritaire de constitutionnalité, le


raisonnement du Conseil constitutionnel est-il similaire ? La protection des droits-créances
est-elle plus importante ?
Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, en vertu de l’article 61-1 de la
Constitution, toute personne, à l’occasion d’un procès ou d’une instance, peut soulever la
question de la conformité d’une disposition législative en tant qu’elle estime qu’elle porte
atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. La question prioritaire de
constitutionnalité ainsi posée fait l’objet d’un filtre par le Conseil d’État ou par la Cour de
cassation, si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil
constitutionnel de se prononcer et le cas échéant, d'abroger la disposition législative. Or, la
procédure, ainsi instituée, permet-elle une protection plus importante des droits-créances ? Il
semblerait que la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de droits-créances, soit
dans la droite lignée de la jurisprudence rendue en matière de déclaration de conformité : une
jurisprudence de rejet.

383 En matière de droit à la protection sociale et à la sécurité matérielle, le Conseil


constitutionnel apprécie la marge de manœuvre importante du législateur concernant la
réparation due aux victimes d’actes fautifs, indemnisation prévue par le Code de la Sécurité
Sociale : « que, pour concilier le droit des victimes d'actes fautifs d'obtenir la réparation de
leur préjudice avec la mise en œuvre des exigences résultant du onzième alinéa du Préambule
de 1946, il était loisible au législateur d'instaurer par les articles L. 451−1 et suivants du
code de la sécurité sociale un régime spécifique de réparation se substituant partiellement à
la responsabilité de l'employeur ». 491 Parallèlement, dans le cas des conditions retenues pour
caractériser un régime de protection en cas d’inaptitude au travail, selon que l’on relève des
professions libérales ou pas, le Conseil constitutionnel a énoncé que même, dans les cas où les
conditions sont plus strictes dans la reconnaissance de l’inaptitude ouvrant droit à protection,
cela ne méconnaît pas en soi l’alinéa 11 du Préambule de 1946, dès lors qu’un régime

491
Cons.const décisions n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 et 2011−170 QPC du 23 septembre 2011

261
Finances publiques et droits fondamentaux

d’indemnisation est prévu. De même l’instauration de conditions propres à l’octroi du RSA


aux étrangers, est laissée à l’appréciation du législateur quant à la détermination de conditions
plus strictes permettant l’octroi de ce régime. Le Conseil a aussi reconnu l’absence d’atteinte
à l’alinéa 11 du Préambule, concernant l’octroi de l’allocation adulte handicapé, dont celui-ci
est conditionné outre au taux d’incapacité, à une condition d’accès et de durée d’emploi
préalable, le Conseil constitutionnel d’estimer que le législateur « tend à définir un critère
objectif caractérisant la difficulté d'accéder au marché du travail qui résulte du handicap ;
qu'en excluant du bénéfice de cette allocation les personnes ayant occupé un emploi depuis
une durée définie par décret, le législateur a fixé un critère qui n'est pas manifestement
inapproprié au but poursuivi. » 492

384 Concernant le droit à la santé, dans une autre espèce, le Conseil a confirmé
l’appréciation du législateur qui a opéré une conciliation entre la liberté d’entreprendre et le
droit à la santé concernant la détermination des prix de vente de tabacs : « qu’en permettant
que soit fixé un minimum de prix de vente des produits du tabac et en encadrant la
détermination de ce minimum par les conseils généraux, le législateur a assuré une
conciliation, qui n’est pas manifestement déséquilibrée, entre l’exercice de la liberté
d’entreprendre et les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27
octobre 1946, relatives à “la protection de la santé” »493
Le droit à la santé est surtout invoqué en matière d’hospitalisation d’office, en confrontation
avec la liberté individuelle. Ainsi sur l’intervention, dans un délai défini du juge des libertés
et de la détention concernant le maintien en établissement psychiatrique de personnes
nécessitant des soins, le juge conclut à l’inconstitutionnalité de dispositions ne garantissant
pas l’intervention du juge des libertés dans un délai précis. Le juge constitutionnel se base sur
l’article 66 de la Constitution, qui garantit la liberté individuelle, et sur l’alinéa 11 du
Préambule de 1946 garantissant le droit à la santé en indiquant expressément que le

492
Cons.const décision nº 2011−137 QPC du 17 juin 2011 et décision n° 2011−123 QPC du 29 avril 2011
493
Cons.const décision nº 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013

262
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

législateur doit opérer cette conciliation.494Par conséquent, c’est sur le fondement de l’article
66 de la Constitution que le juge déclare la disposition inconstitutionnelle, tout en se référant
de façon explicite à l’alinéa 11 du Préambule garantissant le droit à la santé.
Dans un domaine identique, les personnes ayant commis des infractions sous l’empire d’un
trouble mental, nécessitant des soins imposés par l’État et sur la transmission au représentant
de l’État de la décision de levée des soins, sans information préalable du patient, et de façon
plus restrictive que dans les autres cas d’hospitalisation, le juge constitutionnel énonce que
ces dispositions ne sont pas conformes aux exigences constitutionnelles, donc au droit à la
santé et à la liberté individuelle.495 En matière de droit à la santé, plus spécifiquement dans le
cadre des hospitalisations d’office, le droit à la santé est mis en balance avec la liberté
individuelle, le plus souvent, la liberté individuelle fonde l’abrogation de dispositions. 496 Le
Conseil constitutionnel se réfère à ses décisions antérieures, notamment aux décisions des 26
novembre 2010 et 9 juin 2011 en la matière, la protection du droit à la santé s’inscrit dans une
jurisprudence constante.

385 Sur l’invocation de l’incompétence négative du législateur, qui selon les requérants, a
laissé au pouvoir réglementaire le soin de définir le régime de Sécurité Sociale applicable aux
personnes travaillant dans les mines relevant d’un régime spécifique ; le Conseil
constitutionnel énonce que l’alinéa 11 du Préambule est respecté même dans le cas d’une
caractérisation de l’incompétence négative, qu’il ne retient pas d’ailleurs, au motif que le
législateur avait prévu ce régime spécial de façon provisoire, que « ce régime spécial est au

494
Cons.const décision n° 2011−202 QPC du 2 décembre 2011, cons nº 10 : « Considérant que l'hospitalisation
sans son consentement d'une personne atteinte de troubles mentaux doit respecter le principe, résultant de
l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne
soit nécessaire ; qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la santé
des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la
sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés
constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles−ci figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la
vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi
que la liberté individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire ; que les
atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs
poursuivis ;»
495
Cons.const décision n° 2012−235 QPC du 20 avril 2012
496
Cons.const décision nº 2011−135/140 QPC du 09 juin 2011, sur l’intervention du juge des libertés et des
peines dans un bref délai relatif au maintien ou à la levée des soins, ainsi que l’établissement de certificat
médicaux propres à spécifier la poursuite des soins et l’intervention du représentant de l’État afin de mettre un
terme à l’hospitalisation quand celle-ci n’est plus nécessaire.

263
Finances publiques et droits fondamentaux

nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale ».497 Cette décision,


indépendamment du fait qu’elle constitue une décision de rejet, traite sur un pied d’égalité les
droits-libertés et les droits-créances concernant la disposition relative aux conditions de
recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité prévoyant que la disposition
législative doit porter atteinte à un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Constat
que nous pouvons dresser en comparaison avec la décision QPC SNC Kimberly Clark à
propos d’un article du Code général des impôts, dans lequel le Conseil constitutionnel énonce
que l’invocation de l’incompétence négative du législateur ne peut être invoquée qu’à
l’occasion d’une atteinte à un droit ou liberté, caractéristique qu’il ne reconnaît pas à l’article
14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet, il estime que l’article 14 se
manifeste au sein de l’article 34 de la Constitution, donc à ce titre ne confère pas un droit
subjectif au contribuable. L’article 14 confère le droit, pour tout citoyen, de constater par lui-
même ou par ses représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir
librement, d’en déterminer l’assiette, la quotité et les modalités de recouvrement. Il semblerait
que cet article, selon l’interprétation donnée par le juge constitutionnel, constitue un droit des
parlementaires malgré la lettre de l’article 14, qu’il se manifeste par l’article 34 de la
Constitution, qui définit également le régime de la Sécurité Sociale ; donc ce régime est
essentiellement de l’appréciation du législateur, si l’on compare le raisonnement effectué par
le Conseil. Or, l’article 14, bien qu’issu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
faisant partie du bloc de constitutionnalité, conférant le droit de consentir librement à l’impôt,
n’est pas considéré comme un « droit ou liberté que la Constitution garantit », contrairement
à l’alinéa 11 du Préambule.

386 En matière de financement public, la marge d’appréciation du législateur est encore


plus importante. Dans une décision QPC du 17 juin 2011, les requérants énoncent que les
sommes destinées aux mandataires judiciaires, en sus des sommes allouées, afin d’accomplir
des diligences spécifiques, instituaient une rupture d’égalité entre les personnes susceptibles
de s’acquitter de ces sommes et celles dont les ressources sont insuffisantes. Le Conseil
constitutionnel, en opérant un contrôle au regard de l’alinéa 11 du Préambule de 1946, énonce

497
Cons.const décision n° 2012−254 QPC du 18 juin 2012 Fédération de l'énergie et des mines − Force
ouvrière FNEM FO [Régimes spéciaux de sécurité sociale] voir en comparaison, la décision n° 2010-5 QPC du
18 juin 2010 Snc Kimberly Clark.

264
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

qu’il n’y a pas atteinte au droit visé, de plus, le législateur n’est pas dans l’obligation
d’instituer une égalité entre les personnes visées en toutes circonstances, que ce financement
public ne pouvait enjoindre les collectivités de faire droit à toutes les diligences ne nécessitant
pas ce financement. Il est à noter que le Conseil constitutionnel dans cette décision, énonce de
manière explicite la relation intrinsèque entre les finances publiques et les droits-créances :
« si l'existence d'un tel financement public met en œuvre le onzième alinéa du Préambule de
1946. »498 Tout en précisant à l’occasion d’une autre espèce que la loi organique du 1er aout
2001, n’était pas invocable dans un contentieux relatif à une question prioritaire de
constitutionnalité, au motif qu’elle n’est pas constitutive d’un droit ou liberté garantit par la
Constitution. Le requérant une société de réassurance, invoque une rupture d’égalité, en ce
que l’État, n’apporte une garantie qu’à la seule caisse centrale de réassurance en cas de
catastrophe naturelle ; outre la rupture d’égalité, la société invoque que : « l'absence de
plafonnement en loi de finances de cette garantie méconnaîtrait le 5 ° du paragraphe II de
l'article 34 de la loi organique du 1er août 2001 », le Conseil constitutionnel se réfère à
l’alinéa 12 du Préambule de 1946, qui consacre le droit à la solidarité nationale, à l’article 4 et
l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, in fine, il conclut à la
conformité à la Constitution de la disposition contestée, qui ressorti au code des assurances,
tout en précisant que la loi organique du 1er aout 2001 n’est pas invocable au titre de l’article
61-1 de la Constitution.499

387 Y a-t-il interprétation quasi similaire du droit à l’emploi et du droit au logement ? Il est
constant que le droit à l’emploi ne puisse être compris comme l’obligation pour l’État de
recruter tous les chômeurs. De même, que le droit au logement ne peut être compris comme
l’obligation faite directement à l’État de fournir un logement à toute personne . Ceci ressort
des décisions du Conseil constitutionnel rendues en déclaration de conformité comme en
question prioritaire de constitutionnalité. Or, le dispositif DALO, issu de la loi du 5 mars
2007, qui n’a qu’une valeur législative, a même force au regard de la jurisprudence du
Conseil, que le droit à l’emploi qui lui, est issu d’une disposition de valeur constitutionnelle,

498
Cons.const décision n° 2011−136 QPC du 17 juin 2011 Fédération nationale des associations tutélaires et
autres [Financement des diligences exceptionnelles accomplies par les mandataires judiciaires à la protection
des majeurs]
499
Cons.const décision n° 2013−344 QPC du 27 septembre 2013 Société SCOR SE (garantie de l'État à la caisse
centrale de réassurance, pour les risques résultants de catastrophes naturelles).

265
Finances publiques et droits fondamentaux

si l’on s’en tient à la lettre de l’alinéa 5 du Préambule : « Chacun a le devoir de travailler et le


droit d'obtenir un emploi » alors que le droit au logement opposable énonce « la possibilité
pour toute personne de disposer d’un logement décent »500, objectif à valeur constitutionnelle.
En matière d’emploi, le Conseil constitutionnel a considéré que la mise à la retraite d’office
par l’employeur d’un salarié ayant atteint l’âge légal n’est pas contraire à l’alinéa 5 du
Préambule de 1946 sur lequel il se base expressément.501 Il vise également cet alinéa afin de
corroborer l’intention du législateur, dans le cadre de la prise en compte de l’ancienneté d’un
salarié, afin de faire droit à sa réintégration, ou pas, lors d’un licenciement économique. Est
opérée une conciliation entre la liberté d’entreprendre et le droit à l’emploi. 502 Force est de
constater que le droit à l’emploi, même au sein de la QPC, se trouve dans une jurisprudence
constante du Conseil constitutionnel. En effet, le Conseil constitutionnel laisse une large
marge d’appréciation au législateur dont il corrobore les appréciations, l’évolution à venir ne
semble pas s’en démarquer. Le dispositif DALO connaît une portée assez limitée en matière
de QPC par le faible nombre de saisines du Conseil constitutionnel. La saisine du Conseil au
titre de la QPC est rare en matière de droit au logement, ce qui nous conforte dans
l’affirmation qu’il ne constitue pas un droit au sens strict du terme, ni une liberté que la
Constitution garantit, cela notamment du fait de la nature législative et non constitutionnelle
du dispositif. La décision rendue à ce propos l’illustre : les requérants ont saisi le Conseil
constitutionnel estimant que le caractère absolu du droit de propriété, permet à un propriétaire
d’obtenir en référé, l’expulsion des occupants sans droits ni titres, en méconnaissance du droit
au respect de la dignité de la personne humaine, du droit de mener une vie familiale normale
et de l’objectif à valeur constitutionnelle qu’est le droit au logement. Le Conseil
constitutionnel se base sur l’alinéa 11 du Préambule de 1946, sur le principe de la dignité de
la personne humaine, sur l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et
se réfère également à l’objectif de valeur constitutionnelle qu’est le droit au logement. À ce
titre, il énonce : « Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, s'il appartient au
législateur de mettre en œuvre l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité
pour toute personne de disposer d'un logement décent, et s'il lui est loisible, à cette fin,

500
Cons.cons décision. n° 94-359 DC du 19 janv. 1995, consid. 7
501
Cons.const décision n° 2010-98 QPC du 4 février 2011
502
Cons.const décision n° 2012-232 QPC du 13 avril 2012

266
Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits-créances

d'apporter au droit de propriété les limitations qu'il estime nécessaires, c'est à la condition
que celles−ci n'aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en
soient dénaturés; que doit être aussi sauvegardée la liberté individuelle», et conclu à ce titre à
la conformité à la Constitution de l’article 544 du Code civil comme n’étant contraire à aucun
droits ou libertés que la Constitution garantit.503
Le Conseil constitutionnel réaffirme dans cette décision le caractère de droit fondamental que
constitue le droit de propriété.
Comme le souligne très justement Laurence Gay, concernant le droit à l’emploi et le droit au
logement antérieurement à la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité :
« En réalité, l'interprétation qui en est faite par le juge leur confère la même portée : celle
d'une finalité, vers laquelle le législateur peut tendre par des politiques de l'emploi et du
logement, tout en conservant la liberté quant au choix des moyens pour les mettre en œuvre ».
Alors que le législateur lui-même, par le biais de cette loi du 5 mars 2007, renforce le
dispositif étatique tendant à l’effectivité du droit au logement504, ce qui n’est pas le cas quant
au droit à l’emploi.

388 En résumé, le juge constitutionnel confère au droit au logement et au droit à l’emploi,


la même portée à l’encontre du législateur, malgré l’infériorité normative du droit au
logement sur le droit à l’emploi. Cependant, le juge constitutionnel à l’occasion d’une
confrontation entre une liberté et l’objectif à valeur constitutionnelle du droit au logement, fait
prévaloir la liberté comme sus-énoncé.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de QPC s’inscrit dans la lignée des
décisions rendues en déclaration de conformité.
Quelles seraient les raisons propres à la portée similaire de ces droits dans la jurisprudence du
Conseil constitutionnel et du renforcement du droit au logement opposable comparativement
au droit à l’emploi ?
La seule différence, qui oppose le droit à l’emploi et le droit au logement, est théoriquement
une différence normative, pour l’un, une disposition constitutionnelle, pour l’autre, une
disposition législative consacrée en objectif à valeur constitutionnelle par le Conseil. Dans

503
Cons.const décision n° 2011-169 QPC du 30 septembre 2011.
504
GAY (L) : Fasc. 1100 : DROITS-CRÉANCES, JCl. Libertés Fascicule de Commentaires, 30 mars 2009.

267
Finances publiques et droits fondamentaux

l’obligation faite au législateur, il est évident que le Conseil constitutionnel ne peut que laisser
une marge d’appréciation propre à celui-ci afin de les mettre en œuvre, et ce, au regard du
droit au logement opposable ; cela est compréhensible dès le moment, où cela n’entre pas en
conflit avec un droit ou une liberté, d’où sa portée. Or, en matière de droit à l’emploi, le
Conseil ne peut enjoindre le législateur à une obligation de résultat, dans la mesure où ce
droit, s’il était appliqué de façon absolue, nécessiterait un engagement financier exorbitant,
d’où l’atténuation de sa portée.

*
**

389 La réalisation des droits-créances passe nécessairement par une concrétisation opérée
par le législateur. Ainsi ces droits-créances, bien qu’issus d’une norme de valeur
constitutionnelle, nécessitent une action positive de l’État par la mise en œuvre de politiques
publiques qui se traduisent financièrement au sein de lois de finances et lois de financement
de la Sécurité Sociale, dans la répartition du budget permettant la réalisation de ces politiques
publiques.
Par conséquent, les droits sociaux fondamentaux, pris dans leur volet droits-créances, peuvent
se trouver plus ou moins atténués ou plus ou moins renforcés. Ils sont des résultants, dans
leurs effets juridiques, de traductions financières, notamment des actes de prévisions de
dépenses. Ainsi, ils servent de normes de référence au contrôle de constitutionnalité des lois
financières.

390 Entre la formulation relativement imprécise des droits-créances et l’impact financier


de ces droits, le contrôle du juge constitutionnel est forcément restreint, que ce soit dans le
cadre des décisions rendues en déclaration de conformité ou dans le cadre de questions
prioritaires de constitutionnalité. Car, à l’inverse cela reviendrait à ce que le juge
constitutionnel puisse contraindre l’État dans ses arbitrages budgétaires, ce qui serait
constitutif d’un empiétement contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen. De plus, on ne peut engager de façon illimitée les finances publiques, surtout en
période de crise.

268
CHAPITRE 2

De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

391 « Les droits subjectifs sont des intérêts juridiquement protégés »505 ainsi Ihéring
définissait le droit subjectif. Définition que Jellinek, dans ces travaux, affinera en énonçant
que ces droits subjectifs sont soumis à la volonté de tout un chacun de les revendiquer afin de
les rendre effectifs : « un intérêt protégé par la reconnaissance de la faculté humaine de
vouloir ».506
Jellinek instituera la dualité entre les droits-libertés, qui impliquent une abstention de l’État et
les droits-créances droits de statut positif qui impliquent une action positive de l’État afin de
les rendre effectifs.
Outre les limites pouvant être apportées aux droits-libertés afin de les concilier du fait d’une
« collision des droits fondamentaux », ou des limites posées à des fins d’intérêt général, c’est
ici plus une fonction sociale que peuvent recouvrir ces libertés, qui fera l’objet de ce chapitre.

SECTION 1 : Dimension objective et dimension subjective des droits

392 La dualité qui oppose les droits-libertés et les droits-créances se manifeste dans le
caractère subjectif des droits-libertés et le caractère objectif des droits-créances. Or, les droits-
libertés en tant que droits subjectifs peuvent également intégrer une fonction sociale (I.), ce
qui est susceptible d’entrainer une atténuation du statut négatif des droits-libertés (II.).

505
IHERING (R. VON) : L'Esprit du droit romain, 3e éd., trad. O. de MEULENAERE, 1888, t. III, p. 317-354
506
RANGEON (F) : « Droits-libertés et droits créances : les contradictions du préambule de la Constitution de
1946 » site : www.u-picardie.fr/labo/curapp/revues

269
Finances publiques et droits fondamentaux

I. LA FONCTION SOCIALE DE CERTAINS DROITS-LIBERTÉS

393 Parmi les droits à « double consécration » textuelle, nous trouvons le droit de propriété
qui est un droit à double entrée, consacré tant par la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 que par le Préambule de la Constitution de 1946 (A) Ce double sens du droit
de propriété provient de ce que ce droit peut recevoir deux formes qui sont : la propriété
privée et la propriété publique (B).

A. le droit de propriété un droit à double entrée

394 Le droit de propriété en France s’inscrit dans une vision absolutiste, inscrit au même
rang que la liberté. Cette conception prévaut en France, mais pas dans tous les pays
européens. Ainsi, le droit de propriété oscille entre l’intégration dans la sphère des droits
civils et politiques et la sphère des droits économiques et sociaux. Les pays de Common
Law507 et les pays de tradition romano-germanique508, consacrent ce droit en tant que droit-
liberté, au même rang que la liberté, la sureté (…) ; d’autres font entrer ce droit dans la
catégorie des droits économiques et sociaux.509 Ainsi est révélée, ici, la conception divergente
entre l’attribution d’une dimension subjective du droit de propriété pour les États considérant
ce droit comme un droit-liberté, et la dimension objective de ce droit consacrée par les États
qui considèrent ce droit comme un droit économique et social.
Cependant, la frontière est-elle si opaque ? Comment un droit qui présente les mêmes
caractéristiques dans tous les pays, peut-il rencontrer deux conceptions différentes ?
Si l’on se penche sur ce droit, nous pouvons remarquer qu’il y a une dominante et une
incidente. En France, la dominante se traduit par la conception du droit de propriété comme
un droit-liberté et l’incidente se manifeste par la fonction sociale qu’il peut revêtir. Ce droit se
traduit par une consécration textuelle assez paradoxale issue des articles 2 et 17 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’alinéa 9 du Préambule de 1946 (1),
sachant que la dimension sociale se manifeste par une intervention financière de l’État (2).

507
Le Royaume-Uni au sein de la Magna Carta de 1215, dans le Bill of right de 1628 ; les États unis au sein du
5ème amendement, et dans la Constitution irlandaise de 1937.
508
Par exemple : en Belgique dans la Constitution de 1831, la Fédération de Russie dans sa Constitution de
1993.
509
C’est le cas du Portugal dans sa Constitution de 1976, de l’Espagne dans sa Constitution de 1978, de l’Italie
dans sa Constitution de 1947 et de l’Allemagne dans la loi fondamentale allemande de 1949.

270
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

1° Un droit-liberté issu des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de


l’homme et du citoyen et de l’alinéa 9 du Préambule de 1946.

395 Le droit de propriété bénéficie d’un double fondement constitutionnel, l’un issu de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’autre issu du Préambule de 1946. Au sein
des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Le but de toute
association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme.
Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression », le rang de la
propriété se trouve au niveau de celui de la liberté, l’article 17 magnifie ce droit de propriété :
« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque
la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une
juste et préalable indemnité ». Paradoxalement, le Préambule de 1946 en son alinéa 9,
énonce : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un
service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité »
Les articles 2 et 17 de la Déclaration consacrent le droit de propriété comme un droit-liberté et
l’alinéa 9 du Préambule consacre ce droit comme un droit social.

396 Le droit subjectif déduit de la catégorisation au sein des droits-libertés implique un


pouvoir, une liberté intrinsèque à l’individu, la dimension sociale issue des droits sociaux,
notamment des droits-créances, implique un but commun, profitable à l’ensemble de la
collectivité d’individus concernés et entend donc, une externalisation du droit subjectif qui
revêt de ce fait une dimension objective. Ainsi, la consécration au sein de deux catalogues
différents, dont l’un revêt une conception individualiste et l’autre collectiviste, démontre la
double fonction, dimension, du droit de propriété.
La propriété privée est ici au centre de ces articles, cela afin d’éviter les limitations et
l’éventuelle dénaturation de ce droit, or, l’intervention de l’État rendue nécessaire dans
plusieurs domaines a contribué à étendre ce droit aux propriétés publiques.
Le caractère d’un droit éminent rangé au niveau des droits inhérents à la personne paraît
surprenant, le Conseil constitutionnel consacre la valeur constitutionnelle de ce droit
emblématique par la décision du 16 janvier 1982, loi de nationalisation : « tant en ce qui
concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un

271
Finances publiques et droits fondamentaux

des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la
résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce
droit et les prérogatives de la puissance publique ».510 Le Conseil constitutionnel se base
essentiellement sur les articles 2 et 17 de la Déclaration pour fonder ses décisions, érigeant ce
droit en une liberté.511 La conception du droit de propriété, en tant que droit fondamental,
appartenant aux droits-libertés, est toujours actuelle, ce que nous pouvons constater dans le
cadre de la question prioritaire de constitutionnalité. 512

397 Le débat théorique se situe sur la prévalence d’une conception sur l’autre, car il y a
double dimension du droit de propriété. Le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence
opère une conciliation entre ces deux dimensions du droit de propriété, en indiquant que
l’évolution de la société s’accompagne nécessairement d’une dimension sociale caractérisée
dans la limitation du droit de propriété qui se manifeste par l’utilité publique et l’intérêt
général.
Selon Léon Duguit, dans son œuvre513, le droit de propriété ne peut être entendu comme un
droit subjectif, mais comme un droit objectif du fait de sa fonction sociale. Il opère une
négation des droits subjectifs, ceci, car il a une conception objectiviste du droit,
s’accompagnant du rejet de la conception individualiste consacrée par la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen. Par conséquent, le droit de propriété a une fonction sociale
qui est clairement établie pour Léon Duguit, par le biais de restrictions et réglementations de
ce droit opérées par l’État, et non une fonction subjective qui correspond pour lui à un idéal :
« le droit de propriété - droit subjectif est une conception d’ordre purement métaphysique en
contradiction radicale avec le positivisme moderne »514. Adhérant à cette conception « droit
de propriété-fonction sociale », sans remettre en cause la dimension subjective de ce droit,
mais comme la théorie de Louis Josserand, selon laquelle le propriétaire se doit d’agir dans
l’intérêt de la société. Cette dimension objective ne peut être niée, et connaît même une

510
Cons.const décisions n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 cons 16. n° 82-139 DC, 11 févr. 1982, Loi de
nationalisation ; cons.const. n° 98-403 DC, 29 juill. 1998, Rec. Cons.const. 1998, p. 276. Cons.const. nº 2000-
440 DC, 10 janv. 2001, consid. 4 : Rec. Cons.const. 2001, p. 39.
511
Cons. const décisions nº 76-75 DC, 12 janv. 1977, Fouille des véhicules, cons. 3 : Rec. Cons. const. 1977,
p. 33. Cons. const. n° 80-117 DC, 22 juillet. 1980, Protection et contrôle des matières nucléaires ;
512
Cons. const, décisions n 2010-26 QPC, 17 sept. 2010 , Cons. const., n°2010-60 QPC, 12 nov. 2010, M. B
513
DUGUIT(L) : Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon, Paris, ed F Alcan,
1912, p148. Site http//gallica.bnf.fr
514
Idem p157.

272
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

réactualisation du fait de la loi du 5 mars 2007, sur le droit au logement opposable, s’intégrant
à la conception de Duguit en sa dimension fonction sociale, dont la thèse fut étayée par les
Lois du 9 mars 1918 et 31 mars 1922 sur les locations urbaines.515
Or, selon nous, on ne peut faire prévaloir la dimension sociale du droit de propriété sur la
dimension subjective de ce droit. Ce sont clairement deux aspects du droit de propriété. Deux
dimensions cohabitent, l’une issue des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789, « droit inviolable et sacré », propriété droit de l’homme comme il
résulte de la lettre de l’article 2 ; l’autre, découlant de l’alinéa 9 du Préambule tourné vers
« l’intérêt général ».
La dimension sociale est mise en lumière en cas d’affectation dans un but d’intérêt général :
« l’utilité publique » et la possible réglementation du droit de propriété.

2° La dimension sociale du droit de propriété reconnue par le Conseil


constitutionnel dans ses limitations :

398 La dimension sociale se manifeste à deux niveaux : d’une part, des procédures, telles
l’expropriation pour cause d’utilité publique ou les nationalisations et d’autre part, la
dimension financière nécessaire, par l’intervention de l’État, notamment en ce qui concerne la
fiscalité patrimoniale.
La dimension sociale est couverte par l’alinéa 9 du Préambule, ainsi dans ses décisions
Nationalisations, le Conseil constitutionnel a opéré une conciliation entre l’alinéa 9 du
Préambule et les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le
Conseil reconnaît la dimension sociale que peut revêtir le droit de propriété, du fait de sa
possible limitation, l’alinéa 9 faisant d’emblée référence à la dépossession qui se caractérise
par la nationalisation. Vu que le Préambule de 1946 a valeur constitutionnelle, cette limitation
est constitutionnellement reconnue du point de vue textuel et du point de vue juridictionnel,
par les décisions rendues par le Conseil sur les lois Nationalisations.
Il est nécessaire de différencier la limitation de la privation, cette dernière n’est autorisée que
de manière exceptionnelle et est soumise à deux conditions cumulatives à savoir : l’exigence
(non l’éventualité) d’une cause d’utilité publique, et une juste et préalable indemnité. Le

515
LOGEAT (C) : Les biens privés affectés à l’utilité publique, Éd L' Harmattan, 1 er septembre 2011, p 238.

273
Finances publiques et droits fondamentaux

principe est le caractère inviolable de ce droit, exprimé par l’article 17 de la Déclaration. De


fait, les simples limitations ne relèvent pas de cet article et le juge doit veiller à la non-
dénaturation du droit. Comme le souligne Caroline Chamard-Hein516 : « le droit de propriété
est constitutionnellement limité, car la propriété doit contribuer en quelque sorte, à servir la
société ».
Par une lecture « moderne », le droit de propriété droit subjectif par excellence consacré dans
son article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, n’a pas été remis
en cause, mais adapté pour revêtir aussi, une dimension sociale ce qu’a dégagé le Conseil
constitutionnel.

B. De la propriété privée à la propriété publique

399 Le Conseil constitutionnel adapte le droit de propriété aux évolutions de la société,


droit qui n’est plus « inviolable », absolu, ce qu’il énonce notamment dans ces décisions
relatives à l’appropriation par les personnes publiques des propriétés privées dans un but
d’intérêt général : « les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une
évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines
nouveaux et par des limitations exigées au nom de l'intérêt général ; que c'est en fonction de
cette évolution que doit s'entendre la réaffirmation par le préambule de la Constitution de
1958 de la valeur constitutionnelle du droit de propriété », dans la décision n° 89-256 DC du
25 juillet 1989.517

400 Les nationalisationssont prévues à l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de


1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un
service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
Est ici précisée l’obligation pour l’État, d’acquérir un certain nombre de biens qui sont le
siège d’un service public national ou d’un monopole de fait. Les biens revêtant ces
caractéristiques doivent devenir propriété publique et le rester. La nationalisation, par
détention de parts sociales par l’État, dans une entreprise, ne réalise pas réellement une
privation de propriété, mais plutôt une atteinte. Le Conseil constitutionnel a estimé que par

516
CHAMARD-HEIM (C) : « Droit de propriété », Fasc 710, JCL, Libertés, 25 janvier 2011, p 10 à 53.
517
Cons const, décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989.www.conseil-constitutionnel.fr

274
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

essence, la nationalisation entraîne une privation de la propriété, qui se caractérise par « le


transfert de la propriété d’une entreprise qui résulte d'une décision de la puissance publique
à laquelle le ou les propriétaires sont obligés de se plier. Une prise de participation dans le
capital d'entreprises ne saurait, en raison du caractère contractuel de l'opération, constituer
une nationalisation »,518 dans une décision du 19 janvier 1984. Il l’a également énoncé dans
sa décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre
diverses mesures d'ordre économique et social au considérant nº 58. Or, il réaffirme que
l’application de cette dimension sociale doit se concilier avec le droit de propriété privée, issu
de l’article 17 de la Déclaration : « les transferts de biens et d’entreprises ne doivent
restreindre le champ de la propriété privée et de la liberté d’entreprendre au point de
méconnaître les dispositions précitées de la Déclaration de 1789. »519. Le Conseil
constitutionnel réaffirme la nécessité de protéger la propriété privée consacrée
constitutionnellement comme un droit fondamental, et qui ne doit pas se trouver dénaturée.
Cette forme de dépossession qu’illustre l’alinéa 9 s’inscrirait dans l’hypothèse dérogatoire
prévue à l’article 17 de la Déclaration, ce qui ressort de la conciliation qui est faite par le
Conseil constitutionnel. En sus de la conciliation, il adopte une conception objectiviste/
subjectiviste, en reconnaissant aux personnes morales de droit public, l’application des
articles 2 et 17 de la Déclaration, dans une décision du 26 juin 1986, position réitérée à
l’occasion de plusieurs décisions postérieures. 520 Cette position est également adoptée par le
Conseil d’État qui octroie la possibilité pour une personne morale de droit public, de former
un référé liberté afin de défendre son droit de propriété.
L’alinéa 9 enjoint le législateur de nationaliser lorsque la propriété est le siège d’un service
public national ou d’un monopole de fait, et de conserver cette propriété, le législateur
possédant cependant, une marge d’appréciation importante quant à la nécessité de

518
Cons. const décision. n°83-167 DC du 19 janv. 1984, Établissements de crédit, consid. 23 : Rec. Cons. const.
1984.
519
Cons. const., décision n° 81-132 DC, consid. 20.
520
Cons. const. décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses
mesures d'ordre économique et social : Rec. Cons. const. 1986, p. 61.décision 86-217 DC du 18 sept. 1986, Loi
relative à la liberté de communication, consid. 47 : Rec. Cons. const. 1986, décision nº 2010-618 DC du 9 déc.
2010, Réforme des collectivités territoriales, consid. 44, décision n 2003-473 DC du 26 juin 2003, Loi habilitant
le gouvernement à simplifier le droit, consid. 29 : Rec. Cons. const. 2003

275
Finances publiques et droits fondamentaux

nationaliser521. Dans d’autres cas, des privatisations à la marge, concernant, certaines activités
sont possibles.522 La jurisprudence du Conseil constitutionnel opère une certaine retenue sur
ce contrôle au regard de l’alinéa 9 et de l’obligation imposée au législateur qui ne supporte
aucune sanction.523

401 L’expropriation pour cause d’utilité publique envisagée par l’article 17 de la


Déclaration comporte une dérogation au principe d’inviolabilité de la propriété, à savoir
l’utilité publique, sous la condition de l’octroi d’une juste et préalable indemnité. L’article
545 du Code civil reprend la lettre et l’esprit de cet article en énonçant que « Nul ne peut être
contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une
juste et préalable indemnité. » L’expropriation constitue une privation du droit de propriété,
cette procédure permet à l’État d’acquérir, de manière forcée, la propriété d’une personne
privée ou publique ; elle se réalise, en général, dans le but de réaliser des infrastructures telles
des routes, autoroutes, chemins de fer (…). Cependant, cette procédure obéit à des règles
strictes, afin de ne pas constituer une voie de fait ou une expropriation de fait. Le pouvoir du
législateur est moins important ici, car, même si elle doit se réaliser conformément à la loi,
l’utilité publique elle-même doit être légalement constatée. L’autorité judiciaire étant seule
compétente dans ce domaine, selon un principe fondamental reconnu par les lois de la
République.524 L’obligation qui en résulte pour l’État est le versement d’une juste et préalable
indemnité versée au propriétaire dépossédé que ce soit dans le cadre des expropriations ou des
nationalisations qui réalisent un transfert total. Le Conseil constitutionnel juge en matière
d’expropriation concernant une ordonnance d’expropriation pour cause d’utilité publique :
« qu’aux termes de l’article 17 de la Déclaration de 1789, “la propriété étant un droit
inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique
légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable
indemnité” ; qu’afin de se conformer à ces exigences constitutionnelles, la loi ne peut
autoriser l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation

521
FAVOREU (L), GAÏA (P), GHEVONTHIAN (R), MELIN-SOUCRAMANIEN (F) , PFERSMANN (O),
ROUX (A) , PINI (J), SCOFFONI (G), TREMEAU (J) : Droit des libertés fondamentales, Dalloz, Paris, 2012,
6ème ed , p 300-301
522
Nous pouvons citer en exemple le cas de France Télélcom, qu’illustre la décision du Conseil constitutionnel,
n° 96-380 DC du 23 juillet. 1996
523
CHAMARD-HEIM (C) : op.cit.
524
Cons const : décisions nº 04-509 DC du 13 janvier 2005, décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 TGV Nord

276
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

d’une opération dont l’utilité publique est légalement constatée ; que la prise de possession
par l’expropriant doit être subordonnée au versement préalable d’une indemnité ; que, pour
être juste, l’indemnité doit couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel, certain, causé
par l’expropriation ; qu’en cas de désaccord sur la fixation du montant de l’indemnité,
l’exproprié doit disposer d’une voie de recours. »525

402 Que ce soit dans le cadre de l’expropriation ou de la nationalisation, le but d’utilité


publique renferme plusieurs acceptions, cela peut être la protection de la santé concernant des
immeubles insalubres526 ou la possibilité pour l’État d’avoir des moyens afin de lutter contre
la crise économique. La nationalisation satisfait également à cette finalité, cette mesure étant
présentée comme donnant « aux pouvoirs publics les moyens de faire face à la crise
économique, de promouvoir la croissance et de combattre le chômage ».527
La corrélation entre les finances publiques et le droit de propriété dans sa dimension sociale
prend, dans ces deux cas, tout son sens. Le transfert de propriété est réalisé dans un but
d’intérêt général, la mise en œuvre de ce but nécessitant un financement.

403 La réglementation du droit de propriété en constitue une limitation, celui-ci s’exerçant


dans le cadre des lois qui le règlement, toute limitation devant être établie dans un but
d’intérêt général. Le code de l’urbanisme précise dans son article L 111-1, les règles
applicables en matière « d’utilisation du sol, de la localisation, la desserte, l’implantation et
l’architecture des constructions, le mode de clôture et la tenue décente des propriétés
foncières et des constructions, sont déterminées par des règlements d’administration
publique ». La propriété est ainsi régie légalement, les limitations apportées doivent être en
rapport avec l’intérêt général. À ce titre, le Conseil constitutionnel peut déclarer
inconstitutionnelles des dispositions législatives contraires à l’intérêt général, malgré le large
pouvoir d’appréciation du législateur.528

525
Décsion n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012, Consorts L et décision n° 2013-342 QPC du 20 septembre 2013.
526
Cons. const. Décision nº 2010-26 QPC, 17sept. 2010
527
Cons. const., nº 81-132 DC
528
Cons const décision, nº 2000-434 DC, du 20 juillet 2000 Loi sur la chasse, dans cette décision, le Conseil
annule une disposition qui ne retient pas un intérêt général identifiable, c’est la première fois que le conseil se
prononce en ce sens. FAVOREU (L), GAÏA (P), GHEVONTHIAN (R), MELIN-SOUCRAMANIEN (F) ,
PFERSMANN (O), ROUX (A) , PINI (J), SCOFFONI (G), TREMEAU (J) : Droit des libertés fondamentales,
Dalloz, Paris, 2012, 6ème éd, p 302.

277
Finances publiques et droits fondamentaux

404 La fiscalité patrimoniale est l’ensemble des impôts payés par un particulier qui ont
forcément une conséquence sur son patrimoine. Ce dernier, notamment en France, fait l’objet
de prélèvements fiscaux. À ce titre, nous pouvons comptabiliser plusieurs types de
prélèvements qui sont : l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur la fortune,
auxquels nous devons ajouter, la taxe d’habitation, la taxe foncière sur le bâti et le non bâti,
ainsi que les impôts frappant la transmission. Ces prélèvements sont autant d’atteintes au droit
de propriété qui ne constituent pas une privation, mais une limitation. Bien que la
jurisprudence fiscale du Conseil constitutionnel est fondée essentiellement sur l’article 13 de
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, un contrôle est fait au regard du principe
d’égalité devant les charges publiques, cependant de façon marginale, il a pu reconnaître une
atteinte au droit de propriété.529 Sans nier la nécessaire atteinte au droit de propriété, le
Conseil réalise un contrôle basé essentiellement sur le principe d’égalité et implicitement de
nécessité. L’atteinte au droit de propriété est le plus souvent invoquée par les requérants.
La Cour européenne, qui laisse une large marge d’appréciation aux États en matière de
fiscalité, énonce que la « pression » fiscale ne doit pas constituer une charge excessive pour le
contribuable qui constituerait de fait, une atteinte au droit respect de ses biens, en
bouleversant sa situation financière.530

405 Le droit de propriété, droit individuel subjectif, est aujourd’hui largement encadré, car
il revêt également un caractère objectif par sa dimension sociale. Il devient donc un droit à
double qualité qui nécessite l’intervention de l’État, donc des finances publiques.
Selon Laurence Gay531, une hypothèse doit être émise concernant la possibilité pour certains
alinéas du Préambule de 1946 d’en déduire certains droits-libertés par la formulation large de
ces derniers. L'alinéa 11 concernant le droit à la santé constituerait le fondement du droit aux
soins. Ou comme « obstacle à des comportements susceptibles d'altérer la santé de
l'individu. »Dans cette hypothèse il impliquerait une abstention des pouvoirs publics, il serait
un droit défensif. De même concernant le droit à l’intégrité physique : « Le Conseil

529
Cons const décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991
530
CEDH arrêt du 29 avril 2008, Burden c/ Royaume Uni concernant la notion de limitation ; de même que la
Cour considère l'exercice par l'État de son droit de préemption en matière fiscale comme étant constitutif dans
ce cas d’une privation de propriété (CEDH, 22 sept. 1994, Hentrich c/France, concernant un terrain).
531
GAY(L) : JCP. L, FASCICULE 110 « DROITS CREANCES » p16.

278
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

constitutionnel a reconnu l'opérance du moyen, admettant ainsi implicitement la consécration


de ce droit défensif à la protection de la santé. »

II. VERS UNE ATTÉNUATION DU STATUT NÉGATIF


PAR LA NÉCESSAIRE INTERVENTION FINANCIÈRE DE L’ÉTAT

406 Les droits-libertés consacrés dans le texte de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de 1789, sont communément dénommés : droits à statut négatif selon la
nomenclature établie par Jellinek. La principale caractéristique de ce type de droits est qu’ils
impliquent une abstention de l’État afin qu’ils se réalisent.
Cependant, force est de constater, que les démembrements de certains droits ont « nécessité »
une intervention financière de l’État, afin de les sauvegarder, d’où le constat, que même
certains droits-libertés ont besoin de l’État (A).Ce qui nous conduit à nous interroger sur
l’éventuelle remise en cause des travaux de Jellinek ? (B)

A. Du constat que même les droits-libertés de 1789 ont besoin de l’État

407 La liberté d’expression et de communication, ainsi que la liberté de conscience et


d’opinion, dans leurs démembrements, droits de statut négatif, ont cependant connu une
intervention étatique afin d’assurer leur respect. Ainsi, nous étudierons deux cas : la liberté
d’expression et de communication au regard des objectifs de pluralisme et de transparence
(1), et, la liberté de conscience et d’opinion sous le prisme de la laïcité (2).

1° La liberté d’expression : les objectifs de pluralisme et de transparence :

408 La liberté d’expression est considérée comme la manifestation de la pensée exprimée


de façon orale ou écrite. Son corollaire, la liberté de communication, permet la diffusion de
« messages » entre deux ou plusieurs personnes. Les supports de ces libertés sont : la presse,
l’audiovisuel, la radiofréquence, internet…
L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, consacre la liberté
d’expression et de communication : « La libre communication des pensées et des opinions est
un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer
librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

279
Finances publiques et droits fondamentaux

Le législateur est intervenu par le biais de deux lois, la loi du 29 juillet 1881 et la loi du 29
juillet 1982, consacrant, l’une la liberté d’expression, l’autre la liberté de communication,
notamment audiovisuelle. La valeur constitutionnelle des supports de ces libertés fut
consacrée par le Conseil constitutionnel dans deux décisions respectives du 27 juillet 1982 et
du 10 et 11 octobre 1984.532
Y sont donc consacrées, tant la liberté de la presse que la liberté de communication
audiovisuelle. Sachant que la liberté de la presse bénéficie d’une protection renforcée, car elle
est considérée comme « une des garanties essentielles du respect des autres droits et de la
souveraineté nationale »533. Ainsi, elle ne peut souffrir d’aucun régime d’autorisation
préalable et doit faire l’objet de conciliation au regard d’autres droits, mais avec prévalence de
cette liberté. La protection relative à la liberté de communication audiovisuelle est moins
importante, car elle peut être régie par une autorisation préalable. Le législateur a une plus
large marge de manœuvre, comme l’a énoncé le Conseil constitutionnel en énonçant que cette
liberté se réalise dans le cadre d’un régime législatif. 534
Les libertés d’expression et de communication connaissent des démembrements qui se
caractérisent par les objectifs de pluralisme et de transparence dont la mise en œuvre est
assurée par le législateur.

409 Par définition, l’État n’intervient, par le biais du législateur, qu’afin de donner pleine
vigueur à ces objectifs, qui permettent la réalisation pleine et entière de la liberté d’expression
et de communication. Cependant, cette intervention ne vise normalement qu’à assurer
l’effectivité de ces libertés afin qu’elles ne subissent pas d’atteintes, d’où leur caractère de
droits-libertés car l’État ne met pas en œuvre ces libertés, mais ne réalise qu’une fonction de
sauvegarde quant à leur exercice ; ainsi, ce n’est pas une intervention réelle en théorie. Le
législateur assure le respect du pluralisme et de la transparence, objectifs à valeur
constitutionnelle afin de protéger les droits de l’émetteur et du récepteur de l’information. 535
Ces objectifs se réalisent par le choix du support de l’information pour le récepteur et la

532
Cons.const, décisions n°82-141 DC du 27 juillet 1982, Communication audiovisuelle et nº 84-181 DC des 10
et 11 octobre 1984, Entreprises de presse.
533
FAVOREU (L), GAÏA (P), GHEVONTHIAN (R), MELIN-SOUCRAMANIEN (F) , PFERSMANN (O),
ROUX (A) , PINI (J), SCOFFONI (G), TREMEAU (J) : Droit des libertés fondamentales, Dalloz, Paris, 2012,
6ème éd, p 295.
534
Cons const décision n° 82-141 DC du 27 janvier 1982.
535
Idem p 293.

280
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

connaissance de la direction et situation de ce dernier en matière de presse. En matière


audiovisuelle le récepteur de l’information doit pouvoir recevoir une information « vraie »
sans immixtion d’intérêts privés ou publics des émetteurs de l’information.

410 Le législateur doit donc veiller au respect du pluralisme et de la transparence, or il ne


peut s’ingérer dans l’exercice intrinsèque de cette liberté, sous peine de remettre en cause le
statut négatif afférent à cette liberté.
À ce propos, un cas est à soulever, concernant le respect de l’objectif du pluralisme de la
liberté d’expression s’appliquant la presse, le Sénat a «adopté l’article 44 qui vise à
abandonner les créances détenues par l’État à hauteur de 4 086 710,31 euros en capital sur
la société nouvelle du journal l’Humanité » le 13 décembre 2013, au regard du projet de loi
de finances rectificative pour 2013. Il s’agissait en l’espèce d’un emprunt effectué par le
journal l’Humanité auprès de l’État en 2002. Le journal l’Humanité se trouvait en situation de
crise financière proche de la cessation de paiement, dû à une baisse des ventes et de la
conjoncture économique, ce dernier après avoir sollicité plusieurs établissements bancaires et
ayant essuyé plusieurs refus, s’est adressé à l’État afin d’effectuer trois emprunts par le biais
du fonds de développement économique et social, ces emprunts furent garantis sur les biens
immobiliers détenus par le journal. En 2007, le journal vend son siège et rembourse deux
emprunts sur trois contractés. Cependant, la situation financière du journal ne connaît pas
d’amélioration et l’État subventionne le Titre entre 2009 et 2011, à hauteur de 6,8 millions
d‘euros par an.536 Le Gouvernement, après étude de la situation financière du journal
l’Humanité, estime que : « les résultats financiers sont très faibles et qu’elle ne possède plus
d’actifs ».

411 Entre indépendance de la presse et respect du pluralisme des courants de pensées, les
appréciations sont mitigées. L’indépendance de la presse doit-elle primer sur le respect du
pluralisme ? L’intervention de l’État ne remet-elle pas en cause le statut négatif du droit à la
liberté d’expression et de communication ?
Telles sont les questions qui se posent sur l’opportunité de l’intervention étatique par le biais
d’une aide financière conséquente. L’État, en concédant ces emprunts et en effaçant la dette
du journal l’Humanité a assuré le respect du pluralisme. Cependant, l’intervention de l’État a

536
www.lefigaro.fr mis en ligne le 6 décembre 2013.

281
Finances publiques et droits fondamentaux

pour conséquence d’atténuer le statut négatif de la liberté d’expression, atténuation et non-


annulation, car il s’agit d’une intervention marginale, or elle n’a eu pour effet de réaliser
qu’en partie l’objectif de valeur constitutionnelle par l’octroi de financements publics.
Force est de constater qu’en matière de liberté d’expression, liberté consacrée dans la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’intervention de l’État a permis la
survie d’un Titre de presse par la réalisation de l’objectif à valeur constitutionnelle qu’est le
pluralisme.
D'autres, droits-libertés ont nécessité une intervention de l’État afin de réaliser ces droits ou
leurs démembrements, nous citerons la liberté de conscience et d’opinion par la réalisation du
principe de laïcité.

2° la liberté de conscience et d’opinion sous le prisme de la laïcité

412 Ces libertés sont énoncées dans plusieurs textes ; l’article 10 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même
religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi »,
l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et l’article 1 er de la
Constitution du 4 octobre 1958, qui évoque en sus le principe de laïcité.
Ces libertés sont des libertés « introverties », la conscience et l’opinion étant propres à chaque
personne et non universellement similaires, mais leurs manifestations peuvent troubler l’ordre
public. Il est cependant ardu d’établir une véritable distinction entre l’opinion et la conscience
qui peuvent recouvrir des domaines divers et variés. Le Conseil constitutionnel a consacré la
liberté de conscience comme un principe fondamental, reconnu par les lois de la
République537. Il a eu à connaître au titre de l’article 10 de la Déclaration, tant des
conceptions morales ou religieuses contre ou pour la pratique de l’IVG, les opinions des
candidats à des concours, que du port du voile islamique, de crucifix, le racisme, le
prosélytisme, et ce, dans plusieurs décisions.538 Plus récemment, depuis la mise en place de la
question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil a dû se pencher sur la possibilité d’arguer
d’une clause de conscience par les maires, adjoints et officiers d’État civil afin de justifier de
leur refus de célébrer un mariage entre personnes du même sexe. Le Conseil constitutionnel a

537
Cons const décision n° 77-87 DC du 15 juillet 1977 Liberté de l’enseignement.
538
Cons const décisions n° 74-75 DC du 15 janvier 1975, Interruption volontaire de grossesse, nº 2000-446 DC
du 27 juin 2001, IVG, II.

282
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

jugé que le législateur, en ne prévoyant pas l’existence d’une telle clause, a voulu assurer
outre l’application de la loi du 17 mai 2013 relative au « mariage pour tous », le principe de
neutralité du service public et qu’eu égard aux fonctions assurées par les officiers d’État civil,
il n’y avait pas d’atteinte à leur liberté de conscience. 539
Cette jurisprudence est constante et en adéquation avec le statut négatif que revêt cette liberté
or, l’atténuation du statut négatif est flagrant concernant la mise en œuvre du principe de
laïcité. La France est régie par la loi du 9 décembre 2005, sur la séparation de l’Église et de
l’État, à ce titre l’État ne peut et ne doit intervenir dans le domaine religieux si ce n’est pour
faire respecter le principe de laïcité de la République tel que proclamé à l’article 1 er de la
Constitution du 4 octobre 1958 : « la France est une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale (…) elle respecte toutes les croyances ».

413 Renan la définit : « la laïcité, c’est-à-dire l’État neutre entre les religions ». 540
Le principe de laïcité a fait l’objet de nombreux débats sur ce que contient réellement cette
notion et le rôle de l’État au regard des religions. Un quasi-consensus a émergé consistant à se
baser sur les articles de la loi du 9 décembre 1905, qui prévoit : « la République assure la
liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions
édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public », en son article 1er. L’article 2 énonce que :
« La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne, aucun culte. En conséquence, à
er
partir du 1 janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des
budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice
des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des
services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les
établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les
établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à

539
Décision nº 2013−353 QPC du 18 octobre 2013 « Considérant que les dispositions contestées, qui ne
méconnaissent ni le principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ni le principe de la libre
administration des collectivités territoriales, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent
être déclarées conformes à la Constitution », dernier considérant. Site conseil-constitutionnel.fr
540
Dictionnaire le Petit Robert 2012.

283
Finances publiques et droits fondamentaux

l’article 3 ». Or le débat doctrinal s’est orienté sur la valeur juridique de ce principe qui
pourtant a reçu une consécration constitutionnelle par sa qualification en tant que PFRLR.541

414 Notre interrogation se porte sur l’intervention de l’État dans le domaine religieux, à
travers le principe de laïcité, concernant le financement de l’exercice du culte, que ce soit au
niveau des personnes exerçant le culte, que des infrastructures nécessaires à leur exercice. Car
à la lecture de la jurisprudence, nous pouvons légitimement nous demander si le statut négatif
corrélatif à la consécration de la liberté de conscience et d’opinion ne subit pas une
atténuation par le nécessaire respect du principe de laïcité qui s’impose à l’État .

415 A ce propos, le respect du principe constitutionnel de laïcité a fait l’objet d’une saisine
du Conseil constitutionnel, par le truchement d’une question prioritaire de constitutionnalité
relative au « Traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du
Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ».Cette question du respect du principe de laïcité fut
posée par l’association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, qui énonce que l’article
VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à
l’organisation des cultes toujours en vigueur est contraire à la Constitution en ce qu’elle
prévoit que l’État assure le traitement des pasteurs :542 « Il sera pourvu au traitement des
pasteurs des églises consistoriales ; bien entendu qu’on imputera sur ce traitement les biens
que ces églises possèdent, et le produit des oblations établies par l’usage ou par des
règlements ». Cela, alors que la loi du 9 décembre 1905 dispose en son article 2 que : « la
République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Ainsi, selon les
requérants, la rémunération du culte protestant est contraire au principe de séparation de
l’Église et de l’État donc au principe de laïcité.
Cependant, l’Alsace-Moselle est toujours régie par le concordat, elle n’est redevenue région
française qu’en 1918, bien après la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Le
Conseil d’État a rendu au sujet de ce régime dérogatoire plusieurs décisions qui énoncent que

541
Commentaire réalisé à l’occasion de la décision nº 2012-297 QPC du 21 février 2013
Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité (Traitement des pasteurs des églises consistoriales
dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle).
542
Cons const, décision nº 2012-297 QPC du 21 février 2013.

284
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

543
le principe de laïcité ne fait pas obstacle au maintien du concordat dans cette région. Les
requérants s’appuient en l’occurrence sur l’article 1 er de la Constitution, dont découle par le
principe de laïcité, une obligation de neutralité de la part de l’État au regard des cultes tant
dans leur exercice que dans leur financement qui serait proscrit.
Le Conseil constitutionnel de juger, que la loi du 18 germinal an X n’était pas contraire à
l’article 1er de la Constitution au motif que tant en 1946, qu’en 1958, lors des rédactions de
ces Constitutions, les constituants ont prévu des exceptions au principe de laïcité notamment
concernant la région Alsace-Moselle, ne remettant pas en cause le principe de neutralité de
l’État. De fait, la disposition relative au traitement des pasteurs assuré par l’État entre dans ce
cadre et n’est donc pas contraire à l’article 1 er de la Constitution.544
Le financement public est mis en balance ici, avec la liberté de conscience et d’opinion, via le
principe de laïcité dans son existence intrinsèque, c'est-à-dire dans une relation interne à
l’exercice du culte.
Les crédits dévolus au financement des cultes sont prévus par la mission Administration
générale et territoriale de l’État, y sont prévues des dépenses de personnel et des dépenses
d’intervention ; les premières concernant les rémunérations au profit des ministres du Culte,
les autres les dépenses relatives à l’entretien général, notamment des infrastructures,
permettant l’exercice du culte.
Dans plusieurs arrêts, le Conseil d’État a eu à connaître de la liberté de conscience et
d’opinion dans le cadre du principe de laïcité, dans son aspect externe, c'est-à-dire concernant
le financement d’infrastructures propres à assurer l’exercice du culte.

416 La question s’est posée concernant la possibilité pour des communes de financer des
infrastructures propres à assurer l’exercice du culte, sans remettre en cause les dispositions de
la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État.

er
543
CE arrêt du 6 avril 2001 SNES : « Considérant que l’article 7 de la loi du 1 juin 1924, mettant en vigueur la
législation civile française dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, a maintenu en
application dans ces départements les articles 21 à 79 du code civil local ; qu’ainsi le maintien en vigueur de la
er
législation locale procède de la volonté du législateur ; que si, postérieurement à la loi précitée du 1 juin 1924,
les préambules des constitutions des 27 octobre 1946 et 4 octobre 1958 ont réaffirmé les principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République, au nombre desquels figure le principe de laïcité, cette
réaffirmation n’a pas eu pour effet d’abroger implicitement les dispositions de ladite loi. »
544
Commentaire réalisé à l’occasion de la décision nº 2012-297 QPC du 21 février 2013
Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité (Traitement des pasteurs des églises consistoriales
dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle).

285
Finances publiques et droits fondamentaux

Le Conseil d’État, à l’occasion de cinq affaires présentées devant lui,545 va donner une
interprétation de la loi du 9 décembre 1905. Le Conseil d’État a dû concilier l’intérêt public
local et la loi de 1905, car dans quatre affaires, il s’agissait de la poursuite d’un intérêt public
local au soutien d’un culte, la cinquième concernait la conclusion d’un bail emphytéotique en
vue de l’édification d’un lieu de culte.
Il a donc précisé que les collectivités pouvaient financer l’entretien des édifices religieux et
leur restauration relevant de leur propriété domaniale. En revanche, il est interdit de financer
l’exercice du culte en lui-même, sauf dérogations et sous réserve de conciliations. Or, le
financement de projets concernant des édifices, ou des pratiques cultuelles ne peut avoir lieu
que si les collectivités poursuivent un intérêt public local, sous réserve « de respecter le
principe de neutralité à l’égard des cultes et d’égalité, et d’exclure toute libéralité et donc
toute aide à un culte. »546
Dans les affaires précitées, traitées tant par le Conseil constitutionnel que par le Conseil
d’État, l’expression de la liberté de conscience et d’opinion pris sous le prisme de la laïcité, a
nécessité l’intervention de l’État par le biais d’un financement public, ce qui atténue, voire,
remet en cause, le statut négatif des droits-libertés qui induisent normalement une abstention
de l’État.

417 Ainsi, que ce soit au niveau de la liberté d’expression, par le biais de la presse, où
l’État est intervenu financièrement, ou que l’on soit dans le cadre de la liberté de conscience
et d’opinion, cela nous amène au constat que même les droits-libertés de 1789, ont besoin de
l’État, du financement public. La réalisation des droits fondamentaux dans leur ensemble
nécessite plus ou moins un financement, cette constatation induit-elle la remise en cause des
travaux de Jellinek ?

545
CE, 19 juillet 2011, commune de Trélazé, CE, 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action
sociale du Rhône et M. P, CE, 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans - Le Mans Métropole, CE, 19
juillet 2011, Commune de Montpellier, CE, 19 juillet 2011, Mme V.
546
Conseil d’État Laïcité, loi sur la séparation des Églises et de l’État, site : conseil-état.fr

286
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

B. Une remise en cause des travaux de Jellinek ?

418 Du constat dressé de l’intervention étatique tant au regard des droits-libertés que des
droits-créances, certains auteurs ont développé une conception tenant à une unité des droits
(1). Une comparaison sera établie avec les droits de statut positif (2).

1° Vers une doctrine unitaire des droits fondamentaux ?

419 Selon Jellinek, dans ses travaux relatifs à la distinction entre droits-libertés et droits-
créances, les droits-libertés sont des droits de statut négatif, car ils impliquent une non-
intervention de l’État dans leur concrétisation, si ce n’est pour leur accorder une protection. A
contrario, les droits-créances, droits de statut positif selon l’auteur, nécessitent une
intervention de l’État afin de les concrétiser. 547 La position du titulaire de ces droits est donc
différente, selon qu’il revendique un droit-liberté ou un droit-créance. Dans le premier cas, il
se trouve dans une revendication propre à assurer la protection d’un droit qu’il détient en
amont, dans le second, il requiert l’intervention de l’État afin de concrétiser un droit qu’il ne
détiendra que postérieurement à cette intervention. D’où la question posée de savoir si cette
dichotomie, qui résulte de l’ampleur de l’intervention du législateur, est acceptable au regard
de l’évolution sociétale et notamment de la jurisprudence.

420 La doctrine unitaire548 est prônée par la plupart des auteurs afin de contrer une
différence de protection qui serait accordée selon eux, aux deux catégories. Outre la
consécration instrumentale différente, qui réalise une classification entre deux générations,
issues de considérations chronologiques, qui est de fait, justifiée ; cette dualité de textes
justifierait une dualité de protection qui ne serait, elle, pas justifiée. Ainsi, les partisans de la
doctrine unitaire voient dans la Déclaration universelle des droits de l’hommedu 10 décembre
1948, une réconciliation entre ces deux types de droits, ce qui est également le cas, au sein de
la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée à Nice en 2000. Le cas de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme doit être également soulignée,
car son instrument de référence qu’est la Convention européenne de sauvegarde des droits de

547
RANGEON (F) : « Droits-libertés et droits créances: les contradictions du préambule de la Constitution de
1946 » site : www.u-picardie.fr/labo/curapp/revues
548
CHARVIN (R) et SUEUR (J-J) : Droits de l’homme et libertés de la personne, Litec, Paris, 1994, p 24 et 25.

287
Finances publiques et droits fondamentaux

l’homme et des libertés fondamentales, ne consacre pas les droits économiques et sociaux,
ainsi ils sont considérés comme intégrés aux « droits libertés » ou comme en constituant un
prolongement.549
Au-delà de la consécration textuelle différente des droits-libertés et des droits-créances,
concluant à une classification par génération, surtout en droit français, un autre type de
classification tient à l’intervention ou pas de l’État dans la réalisation des droits, cette théorie
est issue des travaux de Georg Jellinek. Cette frontière n’est pas étanche.

421 Pourquoi ne pas adhérer à une vision unitaire des droits fondamentaux ? Léon Duguit
énonce qu’il n’y pas lieu d’établir une distinction entre les droits-libertés et les droits-
créances, car ils nécessitent tous deux, la création de services publics dont l’objectif est de
protéger les droits, de fournir des prestations (…). Georges Gurvitch550 énonce quant à lui,
qu’aucune distinction ne peut être établie entre droits-libertés et droits-créances, car ils
revêtent les mêmes caractéristiques de « sociabilité, de solidarité et de participation », la
subjectivité et l’objectivité étant partie intrinsèque des deux types de droits. La vision unitaire
ne rend cependant pas compte de la différence qui existe entre ces deux types de droits que
l’on ne peut nier.
Loin de rejeter la thèse de la vision duale des droits fondamentaux, une partie de la doctrine la
tempère en énonçant qu’une abstention totale du législateur ne peut être retenue « ces
obligations de ne pas agir sont presque toujours liées à des obligations d’agir sans lesquelles
la liberté négative de l’individu ne pourrait pas s’exercer ».551
Dans optique simplifiée, il est vrai que même la protection des droits-libertés, a besoin de
l’intervention du législateur, notamment par la mise en place de services publics propres à
assurer la protection de ces droits. À titre d’exemple, nous pouvons citer, le service public de
la justice, en ce qu’il permet à tout justiciable de revendiquer la protection de ces droits-
libertés. Il nécessite une intervention du législateur afin de réglementer son fonctionnement, et
a également une implication financière pour l’État qui rémunère les fonctionnaires assurant ce
service.

549
AKANDJI-KOMBE (J-F) : « Droits économiques, sociaux et culturels », in Dictionnaire des droits de
l’homme, sous la direction de Joël Andriantsimbazovina, Hélène Gaudin, Jean-Pierre Manguénaud, Stéphane
Rials, Frédéric Sudre ; PUF, Paris, 1ère éd, octobre 2008, coll. Quadrige, p322 à 324.
550
RANGEON (F) : op.cit
551
FAVOREU et allii : op.cit, p110 et s.

288
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

A la lecture de la jurisprudence, tant du Conseil d’État que du Conseil constitutionnel dans les
exemples précités (II. A), relatifs tant au droit de propriété, qu’à la liberté d’expression, ou de
conscience, comme d’autres droits-libertés, tel le droit de mener une vie familiale normale
(…), force est d’admettre, qu’au-delà d’une abstention étatique se manifestant par la simple
réglementation nécessaire à la protection d’un droit-liberté, l’intervention s’avère plus
poussée.
Au droit de propriété qui par la dimension sociale qu’il revêt, implique outre une
réglementation, une intervention financière de l’État mue par la volonté d’assurer l’intérêt
général, ce droit-liberté connait une intervention étatique forte. Cependant, ce droit- liberté
dont nous ne pouvons contester l’appartenance à cette catégorie, a toujours été l’objet de
controverses quant à sa dimension sociale, « fonction sociale » que développa Léon Duguit,
comme socle de sa théorie. Il y a indéniablement une dimension sociale du droit de propriété
or, nous ne pouvons totalement adhérer à la conception socialisante de ce droit. Ainsi, c’est un
droit à double entrée comme sus-énoncé. Or, concernant la liberté d’expression dans son
démembrement qu’est le pluralisme des courants d’expression, l’intervention de l’État a
dépassé le simple cadre de la réglementation externe nécessaire à en assurer la protection.
L’État, en participant financièrement à la survie d’un titre de presse, a, en plus d’assurer le
respect du pluralisme des courants de pensée, concrétisé ce droit. Du statut négatif de ce droit,
dans ce cas, nous sommes passés à un statut positif,bien que ce cas puisse demeurer marginal.
Dans le cas de la liberté de conscience et d’opinion, à la lecture de la jurisprudence du Conseil
d’État et du Conseil constitutionnel, nous ne pouvons affirmer le statut totalement négatif de
ce droit-liberté, l’intervention de l’État ne s’étant arrêtée à la protection de ce droit, mais
notamment à l’exercice du culte, tant par la rémunération des ministres du Culte dans des cas
spécifiques, que par la réalisation d’infrastructures.
Des droits-libertés existants par eux-mêmes à la nécessaire concrétisation des droits sociaux,
la frontière est perméable, et ne peut à la lecture de la jurisprudence être constitutive d’une
véritable dichotomie, sauf à retenir la dichotomie générationnelle. Il est à souligner
qu’également dans le cadre des droits sociaux, aucun argument juridique unificateur
n’existe.552

552
GRUNDLER (T) : « chapitre 3 : La doctrine des libertés fondamentales à la recherche des droits sociaux » in
Droits des pauvres, pauvres droits ? Recherches sur la justiciabilité des droits sociaux, novembre 2010 p106 et s.

289
Finances publiques et droits fondamentaux

L’atténuation du statut négatif dans ce cas, ne nous permet pas de remettre en cause la
catégorisation des droits, qui résulte de l’intervention étatique, ni n’est totalement
satisfaisante ; tant les droits-libertés que les droits-créances nécessitent une intervention
législative, mais le degré reste différent en général. Tous les droits-créances sont concrétisés
par l’intervention législative, et tous les droits-libertés ne nécessitent pas une concrétisation
de cette sorte.

422 Sans rejeter la théorie du statut des droits de Jellinek, il est nécessaire d’y apporter une
atténuation. Un droit-liberté est un droit de statut négatif, car sa concrétisation au sens
d’existence, ne nécessite pas l’intervention de l’État, mais si cette intervention a lieu, elle est
volontaire de la part de l’État, et ne peut être totale ; elle s’appliquera sur les démembrements
du droit-liberté, non sur le droit lui-même. Dans le cas d’un droit-créance, l’intervention
législative vise à concrétiser le droit en lui-même afin de lui « donner vie ».
Les droits-libertés et les droits-créances revêtent un coût financier, tant par l’organisation des
services propres à en assurer la protection ; qu’au regard des financements nécessaires à leur
existence, surtout pour les droits-créances.
La dualité de statut peut être retenue, mais sa frontière est fragile et perméable à la lecture de
la jurisprudence, or théoriquement, elle est juste. In fine, la théorie relative à la différence
d’implication financière de l’État ne peut emporter satisfaction, car tous les droits bénéficient
d’un financement, même les droits-libertés et les crédits alloués ne peuvent établir une
dichotomie ; ils peuvent être nettement supérieurs dans le cadre de la protection d’un droit-
liberté qu’au regard d’un droit-créance déterminé, cela, même si les droits-créances sont
interdépendants des ressources financières d’un État, condition sine qua non de leur existence.
L’approche générationnelle permet de fonder une dichotomie qui ne se trouve pas en
contradiction avec la pratique.

423 La doctrine unitaire des droits fondamentaux est une doctrine idéaliste au sens noble
du terme, mais une différence entre les droits-libertés existe, fondée sur la participation
financière propre à réaliser un droit, et non seulement à le protéger. Dans un État en faillite, à
la disparition des ressources financières, les droits-créances disparaîtront de prime abord, puis
les droits-libertés suivront certainement s’il n’y a plus de financements propres à assurer leur
protection. La véritable distinction naît de ce dont l’État protège les uns et réalise
complètement les autres avec comme support essentiel les finances publiques.

290
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

2° La conception italienne sur les limites d’une classification des droits : des
droits de statut positif.

424 La doctrine italienne appréhende la classification comme une division basée sur les
rapports entre la société civile et l’État dans son obligation d’interférer, ou pas, dans la
réalisation des droits. La distinction entre droits « négatifs » et droits « positifs » est la
résultante d’une sollicitation, ou pas, de l’État. Les droits premiers défendent la liberté dans sa
sphère privée, tandis que les seconds visent à l’égalité et sont le produit d’une redistribution
des richesses collectées par le biais des impôts. Néanmoins, la doctrine soulève la vision
simplificatrice d’une distinction pure entre droits-libertés et droits-créances, et pose la
problématique de l’intervention financière de l’État. En effet, selon la doctrine italienne, le
titulaire d’un droit, est un potentiel requérant, ce qui implique un appareillage étatique et un
système judiciaire, propres à garantir la protection nécessaire d’un droit-liberté comme d’un
droit-créance.553 La différence est l’intervention, sous forme médiate ou immédiate de l’État
dans la sphère des droits ; la première concerne essentiellement les droits-libertés (dits
négatifs), les droits- créances recouvrant les deux formes d’intervention. 554 L’intervention
étatique ne peut être niée au sujet des libertés, elle est requise :« è pura illusione pensare che
lo stesso non sia vero anche per i diritti di libertà »555, la distinction sémantique entre
obligation d’intervenir et abstention de l’État ne reflète pas la réalité selon l’auteur, mais c’est
la forme d’intervention qui établit cette différence entre les deux types de libertés. L’État ne
se borne pas à reconnaitre un droit-liberté il entoure ce droit de garanties et de services
nécessaires à en assurer la protection, ce qui a un coût financier. Par conséquent, pour
l’auteur, tous les droits ont un statut positif, car ils nécessitent l’intervention de l’État, de
façon plus ou moins importante, mais une intervention est bien requise. Ipso facto, tous les
droits nécessitent des ressources publiques issues de l’impôt, donc du contribuable.
La doctrine italienne est très réaliste quant aux conditions de réalisation des droits. Par
conséquent, une conception générationnelle est plus opérante, en terme de classification des

553
BERGONZINI (G) : I limiti costituzionali quantitativi dell’imposizione fiscale, Thèse Universita Degli Studi
di Padova, 30 janvier 2008, p70 à 83.
554
« Che questo sia vero per i diritti “positivi” o sociali, è particolarmente evidente: l'intervento dello Stato a
tutela di tali diritti si manifesta non solo in forma “mediata”, tramite il sistema giudiziario e di pubblica
sicurezza, ma anche in forma “immediata”, attraverso la diretta erogazione di beni ai cittadini. » idem p 76.
555
Idem p 77 note 27. Selon l’auteur cité : « ce ne serait qu’une pure illusion que de penser qu’il n’y a pas
d’intervention étatique concernant les droits libertés. »

291
Finances publiques et droits fondamentaux

droits, en ce qu’elle laisse transparaître une évolution historique, politique et sociale à


l’origine des différentes consécrations des droits.
La classification générationnelle paraît être plus proche qu’une classification statutaire que
nous ne rejetons pas, mais qui s’avère trop « brute », au regard de l’intervention étatique et du
rôle du juge dans la réalisation des droits. Le cas de l’Italie à ce sujet est assez significatif.

SECTION 2 : L’Italie : le sentenze additive di prestazione


ou une limite à l’unité des droits

425 La théorie de l’omission législative inconstitutionnelle est apparue en Italie dans les
années 1970. Cette théorie fut expérimentée par le biais des décisions additives qui
sanctionnaient la loi non pour les dispositions qu’elle contenait, mais pour les dispositions
qu’elle ne contenait pas.556 Le juge constitutionnel italien est considéré par la doctrine,
comme un juge « réaliste »557, son contrôle ne se borne pas à vérifier la conformité des lois à
la Constitution, il se base sur le contexte économique et l’évolution des faits. La Cour procède
à différents contrôles : le contrôle : « incident » de constitutionnalité des lois ; le contrôle
« principal » de constitutionnalité des lois, les conflits d'attributions entre l'État, les Régions et
les Provinces (de Trente et Bolzano), les conflits d'attributions entre les pouvoirs de l'État ; le
jugement sur l'admissibilité des demandes de référendum abrogatif ; le procès pénal pour
infractions commises par le Président de la République ; le jugement des recours du personnel
de la Cour relatifs à leur rapport de travail.
C’est dans le cadre du contrôle incident, qui vise à la résolution d'une question préjudicielle
liée à un autre procès en cours, devant un autre juge ou devant la Cour elle-même, que le juge
rend entre autres, des arrêts « additifs » ou « substitutifs ». Ils ont pour effet, soit de remplacer
un contenu normatif, soit de le modifier dans le cas d’une omission législative ou d’une
inconstitutionnalité du texte visé.558 Les décisions de la Cour constitutionnelle peuvent être

556
IANNUCCILLI (L) : “Problemi dell’ omissione legislative nella giurisprudenza costituzionale” quaderno
predisposto in occasione della conferenza delle corti costituzionale europee. Vilnius 2-7 Giugno 2008.
557
PARDINI (J-J) : « Réalisme et contrôle des lois en Italie », Cahier du Conseil constitutionnel nº 22, juin
2007.
558
PIZZORUSSO (A) : « Présentation de la Cour constitutionnelle italienne » - Cahiers du Conseil
constitutionnel nº 6 (Dossier : Italie) - janvier 1999

292
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

regroupées en trois types : d’irrecevabilité, de rejet, d’acceptation. Les arrêts additifs


concernent la troisième catégorie.
Nous n’étudierons ici, que le cas des arrêts additifs en ce qu’ils ont des incidences financières.

426 Le contrôle du juge italien, dénommé contrôle « réaliste », a conduit paradoxalement


d’une part, l’affirmation d’une protection conditionnée par les ressources budgétaires (I.) et
d’autre part, à la prise en compte de l’impact budgétaire en réalisant un « assouplissement »
des arrêts additifs de prestation (II.).

I. LE CONTRÔLE DU JUGE ITALIEN : L’AFFIRMATION D’UNE PROTECTION


CONDITIONNÉE PAR LES RESSOURCES BUDGÉTAIRES

427 La protection sociale et la fonction sociale de l’État en Italie ont fait l’objet de
nombreuses critiques. En effet, jusqu’à la réforme du régime de protection sociale, la Cour
constitutionnelle italienne a dû pallier l’absence de législation propre à assurer une répartition
équitable des prestations. La Cour a agi comme « législateur » au gré de ses décisions. Le
juge italien, notamment en matière de droits créances, fut conduit à rendre des décisions au
fort impact financier, décisions qui ont pris en compte cet élément du fait d’une restriction des
ressources de l’État. Cela l’a conduit à définir le contenu essentiel des droits sociaux au
regard des disponibilités financières (A), ce qui préfigure, un réalisme du juge dans le cadre
de son contrôle dit raisonnable, opéré par le biais d’un droit-liberté (B).

A. Le contenu essentiel des droits sociaux défini par les disponibilités


financières

428 La notion de contenu essentiel des droits sociaux est corrélative du contexte
économique dans lequel s’est trouvé l’Italie (1), et c’est la limite de réserve de loi qui a
également conduit à l’émergence de cette notion (2).

1° La question d’un contenu minimal des droits sociaux corrélatif du contexte


économique.

429 Depuis la moitié des années 90, correspondant à une période de récession économique,
la Cour, a pris en compte cette situation et a manifesté une plus grande réserve au regard des
293
Finances publiques et droits fondamentaux

lois prévoyant des prestations financées par l’État. Les arrêts additifs de prestation en ajoutant
à la norme, entraînent des conséquences financières qui peuvent avoir un impact important.
Le respect de l’équilibre financier de l’État a conduit à la définition d’un contenu minimal des
droits sociaux. Cependant, on ne peut considérer que la Cour a réduit la protection des droits
sociaux, contrairement à ce qu’affirmait une partie de la doctrine, or, l’impact budgétaire de
ses décisions ne pouvait être négligé.
Le droit à la santé fait figure d’exception, il serait érigé comme un droit « supérieur », du fait
de la lettre de l’article 32 de la Constitution italienne de 1948, et du constat qu’il ne souffre
que de très peu de limites. Ainsi, la définition de son contenu minimal n’a pas eu pour effet de
restreindre la protection accordée à ce droit. L’article 32 de la Constitution italienne énonce
que « La République protège la santé en tant que droit fondamental de l'individu et intérêt de
la collectivité (…) La loi ne peut, en aucun cas, violer les limites imposées par le respect de la
personne humaine ». Comment limiter la notion de respect de la personne humaine ? Le
critère financier peut-il limiter un tel droit ? Cela paraît difficilement possible, nous pouvons
considérer que le droit à la santé a un statut privilégié tant dans sa définition en tant que
norme constitutionnelle que dans son application jurisprudentielle.

430 Le contenu minimal ou essentiel, si l’on peut considérer ces deux notions comme
synonymes, a émergé dans le cadre des arrêts additifs de prestations. En effet, les autres types
de décisions de la Cour même si elles ont un impact financier n’entrainent pas autant de
conséquences.
C’est le juge constitutionnel italien qui a défini ce contenu minimal, notamment dans le cadre
du droit à la santé ; la définition du contenu minimal apparaît non dans le sens d’une baisse de
protection, mais comme une interdiction adressée au législateur quant à l’impossibilité de
baisser la protection d’un droit social au deçà d’un certain seuil. C’est ainsi que dans sa
jurisprudence, le juge constitutionnel énonce concernant le droit à la santé que malgré le coût
élevé des examens reçus par le patient, du fait d’une structure technique de haut niveau, il ne
pouvait être laissé à sa charge, comme le prévoyait la législation en vigueur. La nécessité de
ces examens devait être prise en charge par le service national de la santé, même si le
laboratoire était privé et non conventionné dans la mesure où, il était le seul à disposer de ce

294
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

matériel. La Cour se base sur l’article 32 de la Constitution italienne de 1948 qui protège le
droit à la santé.559

431 La Cour constitutionnelle énonce clairement dans cet arrêt que des limites financières
ne peuvent être apportées à la concrétisation de ce droit, dans le cas d’espèce souligné, le droit
à la santé comprend l’accès à des prestations indispensables même coûteuses, peu importe le
statut de l’exécutant de ces prestations.
De même, relativement à l’accès de tous les invalides aux transports publics, le juge italien en
se basant notamment sur l’article 32 de la Constitution, énonce que le noyau irréductible du
droit à la santé ne peut être limité au regard de considérations financières.
Dans sa jurisprudence, il énonce clairement qu’on ne peut réduire totalement un droit au point
que son contenu minimal en soit altéré, en ce qui concerne surtout le droit à la santé, au regard
des disponibilités financières.560

432 Comment comprendre la définition d’un contenu minimal ?


Le contenu minimal est énoncé par la Cour de différentes façons : « rispetto di un nucleo
indefettibile di garanzie » ou « irriducibile »561
Il est défini par le juge envers le législateur, afin que ce dernier n’enfreigne pas le noyau dur
qui réduirait à néant le droit social visé du fait d’une restriction budgétaire. Or, comme l’ont
très justement souligné certains auteurs : « la définition du contenu minimal des droits sociaux
semble toujours plus liée à la question des disponibilités financières dans un contexte
économique défavorable. »562 Cela emporte une hiérarchisation entre les droits sociaux,
entraînant la primauté du droit à la santé comme droit « irréductible ». Il a été objecté par la
doctrine, que la détermination d’un contenu essentiel ou minimal, au regard de critères

559
Corte costituzionale, sentenza n° 992/1988, 12-27/10/1988.
560
Corte costituzionale, sentenza n° 432/2005,28/11/2005 : « in relazione alle risorse organizzative e
finanziarie, restando salvo, in ogni caso, quel nucleo irriducibile del diritto alla salute» di cui si è già fatto
cenno (v., fra le tante, la sentenza n. 509 del 2000), tanto più tale ponderazione si impone – sottolinea la
Regione – «se lo scopo è quello di contenere l'esborso economico per prestazioni aggiuntive che costano».
561
Corte costituzionale, sentenza nº 80/2010, 22/02/2010, concernant le droit à l’instruction des personnes en
situation de handicap.
562
BOUCOBZA (I) et ROBITAILLE (D) : « Standards jurisprudentiels et contrôle de l’obligation étatique en
droit comparé : une géométrie variable », La Revue des Droits de l’Homme, juin 2012, in Droits des pauvres,
pauvres droits ? Recherches sur la justiciabilité des droits sociaux. http://revdh.files.wordpress.com p302.

295
Finances publiques et droits fondamentaux

financiers, ne pouvait être admise que dans le cadre du contrôle de la compétence du


législateur, mais pas au regard de la définition même de ce contenu.563
Ce qui est juste dans la mesure où la considération des disponibilités financières dans la
détermination du contenu d’un droit entraîne un choix donc une hiérarchie dans ces droits
définissant ainsi la mise en œuvre de choix politiques plus que juridique au sens strict.

433 Les disponibilités financières doivent être un critère de jugement de


l’accomplissement de la compétence du législateur et non une condition intrinsèque à la
définition du contenu d’un droit. Le contexte de crise économique ne peut laisser le juge
indifférent, quant à la possibilité de réalisation des droits sociaux qui sont des droits
conditionnés, cependant, la compétence financière appartient au législateur, à cet égard, les
arrêts à dimension prestative ne réalisent-ils pas un chevauchement de compétence ? Cette
question a fait l’objet d’un large débat doctrinal quant à la réserve de loi en matière financière.

2° La limite de réserve de loi :

434 L’impact budgétaire des sentenze additive a engagé un débat doctrinal sur la
compatibilité entre ce type de décisions et la compétence détenue par le législateur au regard
de l’article 81 alinéa 4 de la Constitution italienne de 1948 qui prévoit que : « toute autre loi
portant création ou aggravation des charges doit préciser les moyens d’y pourvoir ». Cet
article s’adresse au législateur, car l’aggravation ou la création de dépenses publiques vient
d’une loi. Le débat doctrinal a eu pour objet, la possible application de cet article par la Cour
constitutionnelle, dans le cadre de ses décisions additives de prestations. La majorité de la
doctrine s’est opposée à cette conception dans la mesure où cet article s’applique aux rapports
entre le Gouvernement et le Parlement.564

435 Les conséquences d’une décision additive de prestation, en ce qu’elle emporte des
dépenses publiques imprévues, peut-elle s’abolir de cette exigence constitutionnelle, alors
qu’elle s’impose au législateur ?

563
GAY (L) : Les droits créances constitutionnels, Bruxelles, éd Bruylant, 2007, p 654.
564
ZAGREBELSKY (G) : « Problemi in ordine ai costi delle sentenze costitutzionali », « Le sentenze della corte
costituzionale e l’art 81 de la Costitutzione », Actes du séminaire d’étude des 8 et 9 décembre 1991, Palais de la
consulta, Giuffré, Milan 1993, p108.

296
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

L’article 81 de la Constitution n’a pas vocation à s’appliquer à la Cour constitutionnelle, et le


principe de l’équilibre financier, ne saurait avoir une incidence sur la fonction décisionnelle
de la Cour comme elle l’énonce dans sa jurisprudence. 565 Cette position met en lumière le rôle
du juge qui n’a aucune obligation légale au respect de cet équilibre financier, « la compétence
du législateur en matière financière ne saurait faire obstacle à l’identification, par le juge
constitutionnel de dépenses constitutionnelles obligatoires pour le budget de l’État. Ces
dépenses sont nécessaires à la concrétisation de nombreuses normes constitutionnelles
(…)»566
Cependant, le principe de l’équilibre financier est un principe à valeur constitutionnelle, il
devrait s’imposer au juge constitutionnel. Force est de constater que ce dernier l’intègre dans
le cadre de son raisonnement, quand il énonce à propos du droit à la santé : « la réalisation
dépend du législateur en tenant compte des limites objectives que ce même législateur
rencontre dans son action de mise en œuvre de la Constitution en relation avec les ressources
institutionnelles et financières dont il dispose à ce moment ».567 Néanmoins, le juge n’est pas
censé se pencher sur les disponibilités financières de l’État, car il n’a pas à envisager si le
droit visé est « concrétisable ». Il est évident, que le juge ne peut interférer en matière
financière, domaine réservé du législateur, or, il n’intervient pas directement, mais
indirectement du fait des conséquences propres à ses décisions. La formulation de ses
décisions, en tant qu’elles émettent une réserve quant aux disponibilités financières dont le
législateur est seul juge, s’apparentent plus à des décisions sous réserve qu’à une obligation
pour le législateur de légiférer. Ces décisions sont donc des propositions à l’endroit du
législateur, car elles ne peuvent le contraindre sous peine de réaliser un empiètement sur la
fonction législative. La question qui s’impose alors, est : dès le moment où le législateur
prévoit une protection minimale d’un droit, le juge constitutionnel peut-il l’enjoindre
d’accroître cette protection en lui imposant alors, un financement plus important sans

565
Corte costituzionale, sentenza n° 260/1990 du 23 mai 1990.
566
RIBES (D) : « l’incidence financière des décisions du juge constitutionnel », Cahiers du Conseil
constitutionnel nº 24 (Dossier : le pouvoir normatif du juge constitutionnel)- juillet 2008, p 2.
567
Corte costituzionale, sentenza n° 455/1990 26 SETTEMBRE-16 OTTOBRE 1990 : « un diritto costituzionale
condizionato dall'attuazione che il legislatore ordinario ne dà attraverso il bilanciamento dell'interesse tutelato
da quel diritto con gli altri interessi costituzionalmente protetti, tenuto conto dei limiti oggettivi che lo stesso
legislatore incontra nella sua opera di attuazione in relazione alle risorse organizzative e finanziarie di cui
dispone al momento ».

297
Finances publiques et droits fondamentaux

empiéter sur des considérations politiques propres à la politique suivie par le Gouvernement
et le Parlement ?
Il en ressort que la limite de loi en matière financière ne peut être une limite au pouvoir
décisionnel, et paradoxalement, le juge ne peut bouleverser cet équilibre. Ainsi, il ressort
clairement, en Italie surtout, du fait du réalisme du juge italien que les droits notamment
sociaux sont des droits conditionnés, leur degré de concrétisation dépend des ressources
allouées. Par conséquent, le juge prend en compte la réalité économique, malgré sa non-
obligation du respect de l’équilibre financier stricto sensu.

B. le réalisme du juge italien : le contrôle « raisonnable »

436 Afin de procéder à l’actualisation de certains systèmes de protection des droits, surtout
dans le domaine des droits sociaux, la Cour constitutionnelle a eu recours aux arrêts additifs
de prestation. Dans ce type d’arrêt, la Cour substitue, ou ajoute, à la norme litigieuse afin que
la protection du droit visé soit réalisée. Nous pouvons à ce titre évoquer les sentenze additive
comme manifestation du pouvoir normatif du juge italien (1) qui opère son contrôle
« raisonnable » sous le prisme du principe d’égalité (2).

1° Les sentenze additive ou le pouvoir normatif du juge :

437 Le pragmatisme du juge italien l’a conduit à interpréter la loi au regard du contexte
social mais également économique. Cela a conduit la doctrine à énoncer que le juge italien
œuvrait en « droit vivant », notamment dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois
par voie incidente, ce qui est le cas des sentenze additive. « La doctrine de droit vivant » est
définie comme l’interprétation faite de la loi en intégrant des paramètres sociaux, sa
construction jurisprudentielle et son application au regard de la Constitution. La question,
largement débattue en doctrine, fut de savoir si le juge devait se contenter d’apprécier la
conformité abstraite de la loi à la Constitution ou s’il devait apprécier la conformité de la loi
in concreto au regard de données extérieures intégrées ?568 La théorie réaliste se baserait sur la
seconde hypothèse.

568
PARDINI (J-J) : op.cit.

298
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

Effectivement, le juge italien, en ce qui concerne le contrôle par voie incidente, dans le cadre
des arrêts additifs de prestations, semble dans un premier temps, apprécier la loi in concreto
au regard de la Constitution. Deux aspects sont à souligner, à savoir : la norme de contrôle
pencherait vers une norme non plus juridique au sens strict, mais également sociale, ce qui
entrainerait certes une extension de la doctrine réaliste et a contrario une restriction de la
norme juridique, voire une dilution. Le raisonnement n’étant plus basé scientifiquement, mais
empiriquement. Cela nécessite donc, un dosage dans l’interprétation du juge qui ne peut
construire un raisonnement sur une base sociologique.

438 Dans un deuxième temps, le pouvoir d’interprétation du juge en ce qu’il interprète et


ajoute à la norme législative a un pouvoir créateur. Cependant, le danger est que la base de
son raisonnement doit être purement juridique, sous peine de construire un raisonnement
juridique sur une base sociologique et serait ainsi constitutif d’un sophisme.
La doctrine italienne en se penchant sur la fonction créatrice de l’interprétation, énonce que
celle-ci a pour objet de réaliser une cohérence entre la réalité socioéconomique et la norme
juridique in abstracto. Le juge italien réalise ce que la doctrine dénomme : une
« interprétation manipulatrice», « standard de lecture de la norme au-delà de la disposition, à
569
l’extrême limite entre norme positive et création normative ». Dans le cadre des arrêts
additifs de prestation, la Cour « remplit » le vide juridique laissé par le législateur, en ce sens,
elle a un pouvoir créateur. Or, lorsque le choix de la norme qui opèrera pour combler ce vide,
relève de choix plus politique, la Cour se tourne vers des arrêts additifs dits de principe. De ce
fait, elle n’impose pas, ne créée pas, mais indique au juge a quo le principe qui serait
applicable à la solution du litige.

2° Il principio di eguaglianza ou un droit-liberté comme critère de base du


contrôle juridictionnel

439 Des droits-libertés sont sollicités au titre du contrôle du juge en matière de droits
sociaux : « la Cour constitutionnelle italienne associe un droit social avec un droit ou

569
DONDI (S) : « L’interprétation créatrice de la loi selon l’expérience de la Cour constitutionnelle italienne »
STALS Research Paper n 18/2008Sant'Anna School of Advanced Studies Department of Law http://stals.sssup.it

299
Finances publiques et droits fondamentaux

principe tel que celui de la dignité humaine. »570 Ce type de combinaison permet au
législateur un contrôle intrinsèque du droit social en cause. Afin de réaliser un contrôle
extrinsèque basé sur la « raisonnabilité » ou « rationalité », c’est le principe d’égalité qui est
invoqué. En effet, le juge italien utilise le principe d’égalité comme pivot de son
raisonnement. La Cour constitutionnelle italienne a développé des techniques de contrôle des
lois basées, en ce qui concerne surtout les droits sociaux, sur le principe d’égalité qui a donné
lieu au contrôle de « ragionevolezza ». « En second lieu, la même norme attaquée violerait
l’article 3, premier alinéa de la Constitution, du moment que le principe d’égalité en serait
lésé, en ne prévoyant pas les garanties (...) d’un niveau moyen de prestations sanitaires
assurées à tous les citoyens et en particulier aux anciens, dépendants (…) »571
Par conséquent le principe d’égalité base du contrôle de raisonnabilité avec lequel il se
confond, a induit les décisions additives de prestation. Ce critère sert de base au contrôle de la
légalité des choix opérés par le législateur. La Cour constitutionnelle italienne utilise
indifféremment, les termes de « rationalité », « raisonnabilité » ou « proportionnalité »,
n’opérant aucune différence tranchée entre ces terminologies dans son raisonnement. La
doctrine s’est penchée sur une possible différenciation de ces terminologies afin de dégager
les cas ouvrant des critères différents de contrôle. Pour certains, la rationalité présuppose un
raisonnement mathématique, alors que la raisonnabilité est plus basée sur l’expérience des
faits572.
La technique de la raisonnablité s’apparenterait à ce que l’on dénomme, en France, le contrôle
de l’excès de pouvoir ou de l’incompétence négative, opéré sous le prisme du principe
d’égalité. Ce type de raisonnement conduit le juge à sanctionner diverses discriminations

570
BOUCOBZA (I) et ROBITAILLE (D) : « Standards jurisprudentiels et contrôle de l’obligation étatique en
droit comparé :une géométrie variable », La Revue des Droits de l’Homme, juin 2012, in Droits des pauvres,
pauvres droits ? Recherches sur la justiciabilité des droits sociaux. http://revdh.files.wordpress.com
571
Corte costituzionale, sentenza : idem « In secondo luogo, la stessa norma impugnata violerebbe l'art. 3,
primo comma, della Costituzione, dal momento che il principio di eguaglianza risulterebbe leso dalla mancata
garanzia ai ricoverati contemplati dalla suddetta norma del medesimo livello di prestazioni sanitarie assicurato
alla generalità dei cittadini e, in particolare, ad altri anziani non autosufficienti che, trovandosi in condizioni
soggettive diverse da quelle conducenti al ricovero in caso di riposo, usufruiscano di forme di assistenza
sanitaria alternative (domiciliare, ambulatoriale, ospedaliera), non soggette alle limitazioni finanziarie previste
nella norma censurata.»
572
CARTABIA (M) : « I principi di ragionevolezza e proporzionalità nella giurisprudenza costituzionale
italiana », Roma, Palazzo della Consulta 24-26 ottobre 2013 Conferenza trilaterale delle Corte
costituzionalitaliana, portoghese e spagnola. « il ragionevole esprime una ragione potenziata e più adeguata
all’ambito dei comportamenti umani che essa è chiamata a conoscere attraverso il diritto. » Le raisonnable
(contrôle) exprime une raison développée et plus adéquate dans le domaine des comportements humains qu’il
connaît (le juge) et sera amené à connaître à travers le droit (les droits).

300
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

opérées dans n’importe quel type de jugement. Ainsi, dans un arrêt n° 432/2005, la Cour
sanctionne une discrimination opérée sur le principe de citoyenneté comme base d’un
traitement différent dans l’octroi de prestations sociales. Elle a rappelé de façon incidente
qu’une discrimination basée sur un critère de résidence n’était pas déraisonnable. A l’occasion
d’un arrêt n° 222/2013, elle réitère cette position et énonce que la Cour a reconnu ce critère
comme opérant, or, il ne peut être limité par une question de durée de résidence. La
subordination de l’octroi de prestations à une durée déterminée de résidence serait contraire
au principe de raisonnabilité et d’égalité, car cela aurait pour effet d’introduire une distinction
arbitraire.

440 Il faut souligner que le principe d’égalité dans la jurisprudence de la Cour


constitutionnelle connaît deux applications, à savoir, soit une égalisation vers le haut en
étendant les bénéficiaires de certains droits, soit une égalisation « vers le bas ». En ce sens,
l’arrêt n° 421/1995 dans lequel la Cour énonce que : « le principe d’égalité n’est pas
exclusivement, ni nécessairement destiné à étendre la portée d’une législation plus favorable
érigée au rang tertium comparationis ; il peut également s’appliquer pour supprimer un
privilège injustifié d’une législation plus favorable par rapport à celle évoquée en
comparaison ».
Ainsi, le principe d’égalité base du raisonnement de raisonnabilité, peut entrainer des
conséquences positives et négatives à la fois, car étendre à une catégorie de bénéficiaires
certaines prestations permet de rétablir l’équilibre sous le prisme du principe d’égalité, et, a
ipso facto conduit à générer des coûts financiers nouveaux à charge de l’État.
Cette technique de contrôle, opérée par le juge, laisse un entier pouvoir d’appréciation sur
l’activité législative et permet ainsi de remédier aux carences du législateur, par le biais de
décisions additives de prestations notamment, sauf à ce que l’équilibre budgétaire soit en jeu.
Or, la prolifération des arrêts « additifs de prestations » a entraîné de fortes critiques, par la
doctrine ainsi que par les politiques. La Cour et le Parlement, qui s’entendaient sur cette
pratique des arrêts additifs de prestation, sont ensuite entrés en conflit « donnant lieu à un
important bras de fer entre ses arrêts et le recours de la part du législateur, aux

301
Finances publiques et droits fondamentaux

interprétations légales et aux lois rétroactives en matière de protection sociale, afin de


contrecarrer les conséquences financières des dicta de la Cour. »573
La Cour a dû s’adapter. Dans ce domaine, elle s’immisce moins dans la fonction normative et
tend à opérer un assouplissement dans le cadre des effets de ses décisions en transformant les
sentenze additives, en sentenze de principio qui n’ont pas d’impact direct sur les finances
publiques.

II. LE CONTRÔLE DU JUGE ITALIEN : LA PRISE EN COMPTE DE L’IMPACT BUDGÉTAIRE


ET L’ASSOUPLISSEMENT DES ARRÊTS ADDITIFS DE PRESTATION

441 La Cour a opéré un assouplissement voire un moindre recours aux arrêts additifs de
prestation, dans les années 1990, qui correspond avec la crise de l’État social, en sus des
difficultés qui émergent en matière de finances publiques.574 L’équilibre financier fut
progressivement pris en compte dans le cadre des arrêts additifs de prestation, afin de réaliser
un contrôle de balancement entre la protection requise par certaines catégories de droits et
l’équilibre financier qui est une donnée que la Cour ne pouvait omettre (A). La prise en
compte de cette donnée essentielle a conduit la Cour à privilégier les arrêts additifs de
principe comme type de jugement (B).

A. « Droit à » et équilibre des finances publiques : le contrôle de


« balancement. »

442 Le juge constitutionnel, dans son contrôle « réaliste », opère une mise en balance entre
les normes constitutionnelles prônant un « droit à » et le nécessaire respect de l’équilibre
financier de l’État. La prise en compte de ce principe est explicite aujourd’hui, tandis que
dans les années 1990, la doctrine a émis de vives critiques quant à l’utilisation de ce principe
en amont dans sa réflexion par la Cour et non, comme élément de pondération dans le cadre
de son raisonnement. Ainsi la Cour, en admettant ce principe en amont ne privilégiait pas une

573
ONGHIA D’(M) : « La justice constitutionnelle italienne en matière de protection sociale et le principe de
l’équilibre financier », Revue française des affaires sociales, 2001/2 (2), il est fait référence à l’arrêt n° 39/1993
en matière d’indus de pensions, et à l’arrêt n° 134/1993 au sujet des dépenses de procédure.
574
IANNUCCILLI (S) : op.cit

302
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

575
« politique juridico-sociale » ce qui n’a pas toujours été le cas, car les décisions dites de
« dépenses » ont eu un impact financier, auquel la Cour a tenté d’obvier par divers
mécanismes. On ne peut faire abstraction de la donnée économique, car la concrétisation des
droits sociaux, est conditionnée par les ressources financières disponibles.

1° Bilaciamento

443 Les décisions additives de prestation ont un coût, la Cour s’est trouvée dans
l’obligation d’opérer un balancement entre les droits à protéger et le respect du nécessaire
équilibre financier étatique. L’absence de prise en considération de ce principe d’équilibre
financier a conduit à une consécration « à la hausse » de certains droits, alors que sa prise en
considération aurait conduit à une consécration à la baisse de ceux-ci. Dans ces deux cas, le
contrôle s’est réalisé sur la base du principe d’égalité. Dans le premier cas il fut objet
permettant la « quantification » de la violation du droit, dans le second, il a permis de revoir
« à la baisse » la catégorie de personnes destinataires de certaines prestations. C’est un
nivellement par le bas de certains droits à travers le principe d’égalité. La Cour a énoncé que
l’évolution de la conscience sociale et la grave crise des finances publiques ont imposé ce
nivellement dans une décision n° 421/1995.
Cette approche du juge italien s’est faite en prenant en considération qu’il existe des limites
aux ressources publiques et qu’il est nécessaire de tenir compte de l’équilibre financier. 576
C’est surtout à partir de 1995 que la Cour énonce explicitement qu’il appartient notamment au
Parlement de procéder à des modifications, au sein des lois, au regard des dépenses afin de
réaliser certains droits, voire de respecter l’équilibre budgétaire. Il appartient donc au
législateur, en son pouvoir discrétionnaire, de procéder à ce bilan entre les droits et les
exigences économiques, ce qui ressort dans un arrêt n°99/1995. C’est à partir de cette époque
que la Cour prend explicitement comme critère dans son contrôle de « balancement », le
critère des ressources disponibles et de l’équilibre financier, et plus implicitement.

575
BOUCOBZA (I) et ROBITAILLE (D) : op.cit. p318.
576
IANNUCCILLI (L) : “Problemi dell’ omissione legislative nella giurisprudenza costituzionale” quaderno
predisposto in occasione della conferenza delle corti costituzionale europee. Vilnius 2-7 Giugno 2008, p 46.

303
Finances publiques et droits fondamentaux

444 Ces considérations n’ont pas réduit à néant les cas de décisions additives de prestation,
celles-ci ont concerné et concernent surtout l’emploi public, la prévoyance et l’assistance
sociale.
Dans une décision n°450/1991, la Cour déclare l’inconstitutionnalité de dispositions
législatives qui excluaient le bénéfice d’une pension de guerre au conjoint survivant au regard
d’un critère de durée et date du mariage n’ayant de plus pas donné d’enfants.
De même, concernant le bénéfice de ce que nous dénommons en France : « l’aide
juridictionnelle » ; dans un arrêt n° 194/1992, la Cour déclare inconstitutionnelle la
disposition ne prévoyant pas, dans les effets de cette mesure, l’anticipation des coûts à charge
de l’État pour la mise en œuvre d’une action non menée à terme. La Cour ouvre également la
possibilité à une certaine catégorie d’agriculteurs de bénéficier du minimum de pension de
réversion relevant de la caisse des fonds spéciaux, même dans le cas d’un cumul de pension
avec la caisse de prévoyance dans une décision n° 438/1992. Mais encore, dans une décision
n°467/2002, la Cour a octroyé aux enfants handicapés une indemnité mensuelle afin de
pouvoir fréquenter une crèche. Dans une décision n° 28/2009, la Cour a déclaré
inconstitutionnelles, les dispositions législatives concernant l’indemnisation des personnes,
qui ont subi des conséquences dommageables irréversibles suite à des vaccinations
obligatoires ou transfusions, en ce qu’elles ne prévoient pas le bénéfice de cette législation
aux personnes ayant contracté une hépatite des suites d’une administration de dérivés du sang.

2° L’émergence de « nouveaux droits »

445 L’attitude de la Cour constitutionnelle est à la prudence concernant les décisions de la


Cour entraînant une dépense publique. Dans le cas de la socialisation des enfants handicapés,
par le biais de l’école, ces décisions additives de prestations perdurent, la doctrine ayant
d’ailleurs évoqué à ce sujet que l’égalité substantielle opérait comme une « contre-limite aux
limites des ressources financières.»577 Ainsi dans une décision n° 80/2010, la Cour déclare
inconstitutionnelle la disposition qui prévoit une limite importante concernant le nombre

577
SCAGLIARINI (S) : « Diritti sociali nuovi e diritti sociali in fieri nella giurisprudenza costituzionale »,
dibatitu aperto sul diritto e la giustizia costituzionale, gruppo di Pisa .

304
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

d’enseignants pour les enfants handicapés. Or, la prégnance du critère économique est de plus
en plus présente dans le raisonnement de la Cour opérant un raisonnement en self restraint578.
Dans la même décision n° 80/2010 bien que nous soyons dans le cas d’une décision additive
de prestation, autrement dit, ayant un coût financier, la Cour prend soin de limiter la dépense
en limitant les heures d’enseignement à ce qui est indispensable au regard de la gravité du
handicap.

446 Le problème qui se pose à l’heure actuelle est une émergence continue de nouveaux
droits, et d’autre part une constante limitation des ressources financières disponibles à la
concrétisation de ces droits. La doctrine énonce qu’à la lecture de la jurisprudence, la Cour
semble ouverte à la reconnaissance de nouveaux droits, or cette dernière ne semble pas
s’inscrire dans une volonté d’individualisation et de détermination de la garantie afférente à
un nouveau droit. Elle invite le législateur à isoler lui-même certains droits émergents,
pouvant se rattacher au principe de dignité humaine qui n’est pas un « droit négociable ». 579
Devant la « prolifération » de nouveaux droits et les restrictions budgétaires permettant leur
réalisation, le juge constitutionnel a considérablement réduit ces arrêts additifs de prestation
qui généraient beaucoup de dépenses imprévues. Cette prise de conscience, surtout au niveau
des dépenses imprévues, que ce type d’arrêts entrainait, a conduit la Cour à « laisser la main
au législateur » quant à l’individualisation de ces droits et a privilégié un autre type d’arrêts,
qui sont les sentenze additive de principio. Selon un éminent juriste italien, Vezio Crisafulli,
ces arrêts additifs de prestations, en ce qu’ils ajoutent, introduisent une norme, ils sont dits à
« rimes obligées », la norme ajoutée par la Cour est directement issue du dispositif
constitutionnel580. Ils sont additifs de principe quand ils se limitent à énoncer un principe.

578
Corte costituzionale sentenza 432/05, 251/08
579
Idem
580
SILVESTRI (G) :« La Corte costituzionale italiana e la portata di una dichiarazione di
illegittimitàcostituzionale »,Parigi,16aprile2013.http://www.cortecostituzionale.it/documenti/relazioni_internazio
nali/Parigi201304_Silvestri.pdf

305
Finances publiques et droits fondamentaux

B. Les arrêts additifs de principe

447 Les arrêts additifs de prestation ont contraint l’État à des dépenses imprévues, ce qui a
conduit la Cour à « assouplir » ses décisions en faisant prévaloir les arrêts additifs de
principe.581
Les arrêts additifs de principe ont pour objectif de fixer le principe constitutionnel propre à la
solution du litige, tout en laissant au législateur, sa marge d’appréciation quant aux
implications financières. En effet, le législateur tirant parti de la décision de la Cour décidera
de combler la lacune opérée et de créer une nouvelle loi. Il déterminera subséquemment des
finances qui doivent y être allouées afin de la concrétiser.
La Cour a mis en œuvre cette technique dans un arrêt nº 215 du 3 juin 1987 où elle laisse au
législateur le rôle de combler la lacune normative qui est à la base, une fonction que la Cour
n’a pas à assumer, car cela relève d’un choix plus politique que juridique.
Dans ce type d’arrêts, la Cour introduit un dialogue trilatéral, entre elle, les juges et le
législateur. En examinant le bien-fondé de la question de constitutionnalité, la Cour déclare
que « pour la partie ne prévoyant pas », c'est-à-dire la règle manquante, elle mentionne le
principe auquel le législateur devra se référer ultérieurement. En définitive, la Cour par ce
type d’arrêt, laisse entière la marge d’appréciation du législateur dans son pouvoir
discrétionnaire.
Parmi les décisions récentes, nous pouvons mentionner l’arrêt 385/2005 dans lequel la Cour,
juge inconstitutionnelles les dispositions ne prévoyant pas l’allocation
paternité : « conformément au principe énoncé, il appartient au législateur de préparer un
mécanisme permettant la mise en œuvre d’une protection adéquate du père travailleur. »

448 La Cour, dans ses arrêts, vise à l’équilibre entre les intérêts individuels et collectifs, au
regard des ressources publiques.582
Dans un arrêt récent, la Cour a s’est confrontée à un arrêt rendu par la Cour européenne des
droits de l’homme. Le jugement de la Cour italienne n° 113/2011, appartient à la catégorie
des décisions additives de principe. Selon la doctrine, la règle énoncée dans l'arrêt additif
113/2011 n'est pas créée ex nihilo, mais c'est l'explication des principes et des règles déjà

581
Corte costituzionale sentenza n°215/1987, c’est la décision constituant le point de départ de l’utilisation des
arrêts additifs de principe.
582
ONGHIA D’(M): op.cit

306
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

présentes dans l'ordre constitutionnel. La Cour constitutionnelle prononce un arrêt additif de


principe, car elle ne peut prononcer une décision qui envahit réellement la sphère du pouvoir
discrétionnaire du législateur. Elle déclare l'inconstitutionnalité de l'article du Code de
procédure pénale en ce qu’elle ne prévoit pas que certains cas puissent entrer dans le cadre de
la procédure de révision afin de donner effet aux arrêts de la Cour européenne.
La révision est traditionnellement transcrite comme un moyen de recours extraordinaire.
Dans l'affaire Dorigo, c'est un jugement de l'Union européenne qui conclut à la violation du
droit à un procès équitable.583

449 La Cour, aujourd’hui, n’assure plus un rôle de suppléant du législateur en comblant les
lacunes de ce dernier, mais elle agit comme un véritable organe de contrôle, en veillant à la
non-régression de « l’État social ». « En revanche, elle est appelée à contrecarrer une
“législation négative” qui, d’une certaine façon, supprime et réduit les prestations ou les
droits précédemment attribués, consciente que le législateur, sans renier les principes de
l’“État social”, semble être davantage guidé par la logique du marché, dans la perspective
de la maîtrise des dépenses publiques, que par l’objectif de défense du welfare state. » 584
Donc la Cour constitutionnelle italienne n’a pu s’affranchir des données économiques et
financières comme l’a souligné Mauro Ferri. 585.

583
SILVESTRI (G) : « La Corte costituzionale italiana e la portata di una dichiarazione di illegittimità
costituzionale »,Parigi,16aprile2013.http://www.cortecostituzionale.it/documenti
584
ONGHIA D’(M): op cit
585
RIBES (D) : « L’incidence financière des décisions du juge constitutionnel », Cahiers du Conseil
constitutionnel nº 24 (Dossier : le pouvoir normatif du juge constitutionnel) - juillet 2008.

307
Finances publiques et droits fondamentaux

*
**

450 La vision duale des droits fondamentaux, scindés en droits-créances, droits-libertés, ne


réalise pas une rupture entre ces deux types de droits. Certains droits-libertés revêtent une
dimension sociale, ainsi, ils passent d’une conception subjective à une double conception
subjective/objective. C’est le cas en France du droit de propriété, cette double consécration
ressortie de l’analyse de ses limitations. Les droits-libertés en tant que droits négatifs se
déterminaient par une non-intervention de l’État, or, l’analyse menée démontre que ce statut
négatif est atténué par l’intervention de l’État concernant les droits-libertés. D’où la remise en
cause de la classification de Georg Jellinek par la doctrine unitaire des droits fondamentaux ?
Nous considérons dans cette étude que la conception de Jelinek est toujours opérante, car,
même si la frontière entre les droits-libertés et les droits-créances n’est pas opaque par la
nécessaire intervention étatique en matière de financement, elle trouve tout son sens dans le
but et le montant du financement. Dans un cas, elle permet la protection des droits-libertés,
dans l’autre, elle permet la réalisation des droits-créances. La classification n’est pas désuète
et traduit de plus, des droits consacrés à des époques différentes. Le cas de l’Italie corrobore
ce constat.
L’Italie, plus que d’autres pays, a eu besoin d’une intervention en matière de protection
sociale, afin de lui permettre de survivre. Avant la réforme de cette protection, le juge italien
s’est trouvé confronté à un vide législatif dû à l’absence d’actualisation de ce système, ainsi il
fut énoncé que le juge italien, par le biais de ses décisions additives de prestation, a procédé à
la production de normes en ce domaine. Ce qui l’a conduit à contraindre, en quelque sorte, le
rôle du législateur en ce domaine. Son contrôle empreint de réalisme au regard des données
extérieures aux normes contrôlées, est un contrôle raisonnable, ou rationnel, sous le prisme de
l’article 3 de la Constitution de 1948, relatif au principe d’égalité.
Cependant, la volonté de transformation sociale, prônée par l’ensemble des cours
constitutionnelles, s’est heurtée et se heurte, à l’obstacle financier traduit par les ressources
disponibles. Les sentenze additives de prestations ont conduit à donner plein essor à certains
droits notamment, au droit à la santé et à la protection matérielle des personnes dépendantes,
mais a également grevé lourdement le budget de l’État.
La Cour italienne a donc été contrainte de limiter ses arrêts additifs de prestations, pour des
arrêts additifs de principe. Elle ne comble plus directement les lacunes du législateur, mais
veille à la pérennisation du modèle de protection sociale.
308
De la subjectivité à l’objectivité des droits-libertés

L’impact économique et financier a donc été pris en compte par la Cour dans son contrôle de
balancement.
Ainsi, les décisions oscillent entre d’une part, une volonté affirmée d’augmenter le niveau de
protection qui est d’autre part tempéré par la marge de manœuvre laissée au législateur, quant
à l’orientation des finances publiques, surtout en période de crise.

309
310
TITRE 2
LA CRISE DES FINANCES PUBLIQUES : UNE REMISE
EN CAUSE DES DROITS FONDAMENTAUX ?

451 La crise économique et financière mondiale connaitrait comme point d’ancrage, le


mécanisme américain comprenant le marché du crédit et le marché immobilier.
Philippe Seguin, en 2009, alors Premier Président de la Cour des comptes, énonçait que «la
France aborde une période de forte récession avec des Finances publiques très
dégradées »586. Dans son allocution, il invite à poursuivre des réformes dans le sens d’une
meilleure maîtrise des finances publiques.
En 2007, la crise financière commence, les États européens sont touchés, la dette publique
augmente notamment en France. Sur une période de 7 ans, elle a augmenté de plus de 30
points de PIB, passant de 64 à 95 %. « Malgré des efforts de consolidation budgétaire
entamés dès 2010, elle progresserait encore de 12,5 points entre fin 2010 et fin 2014. » selon
le rapport public annuel de la Cour des comptes de 2014.
Des efforts doivent être entrepris afin de maîtriser les dépenses publiques et ne pas perdre le
contrôle des finances publiques, sachant que certains pays de la zone euro sont sous tutelle.
Comme l’a énoncé Didier Migaud, dans le journal Le Monde du 12 février 2014: « la maîtrise
des comptes publics, c’est à la fois un enjeu de souveraineté, de compétitivité, mais aussi un
enjeu de solidarité et d’équité entre les générations ».
452 Face à une situation économique et financière préoccupante, engageant des efforts
soutenus en matière de réduction des dépenses publiques, nous pouvons légitimement nous
demander : Quel est l’avenir des droits fondamentaux dans ce contexte, seront-ils perméables
à la crise (Chapitre 1) sous la pression européenne ? En vue de l’abaissement du déficit
public, en matière de standards à respecter concernant les droits fondamentaux, et au regard
des condamnations multiples de la France par la Cour européenne des droits de l’homme,
peut-on considérer que l’État soit toujours souverain ? (Chapitre 2)

586
SEGUIN (P) : « Allocution de clôture », RFFP nº 108, octobre 2009.

311
312
CHAPITRE 1

L’avenir des droits fondamentaux

453 L’année 2007/2008 marque l’amorcement d’une crise économique et financière


profonde, les économies et restrictions budgétaires sont à l’ordre du jour.
La France peine à ramener son déficit public au dessous de 3 %, ce qui était prévu pour 2013,
au sein de la loi de programmation des finances publiques de 2012 à 2017 du 31 décembre
2012. En 2012, le déficit public était de 4,5 % du PIB, la loi de programmation prévoyait une
baisse de celui-ci à 3 % pour 2013, taux non atteint. En 2014, il est de 4,4 % cet objectif de
3 % est donc reporté à 2017, sous autorisation du Conseil de l’Union européenne ; ce qui a
pour conséquence pour le Gouvernement, de revoir les prévisions de croissance et d’envisager
encore une réduction des dépenses publiques. De « nouveaux » secteurs doivent alors
envisager de réduire leurs dépenses également afin de revenir à un équilibre des comptes
publics587
« La Cour des comptes invite Hollande à réduire les dépenses sociales », tel est le titre du
journal le Monde du 12 février 2014. Face au constat dressé du poids de la dette, la Cour des
comptes invite l’État à revoir à la baisse sa politique publique en matière de dépenses
sociales. Ainsi, nous pouvons légitimement nous demander, quel avenir est réservé aux droits
fondamentaux ? La question est d’autant plus prégnante en ce qui concerne les droits sociaux
en leur partie droits-créances, car ils nécessitent un financement public plus important.
La crise économique et financière peut-elle entrainer une crise des droits fondamentaux ?
(section 1) Par conséquent, la doctrine naturaliste peut-elle survivre à la crise ? (section 2)

587
Rapport public annuel de la Cour des comptes sur la situation d’ensemble des finances publiques à la fin
janvier 2014. Tome 1. www.ccomptes.fr

313
Finances publiques et droits fondamentaux

SECTION 1 : Absence de moyens de financement :


les droits économiques et sociaux ?

454 Face à l’absence de moyens de financement, que vont devenir les droits économiques
et sociaux ? Les crises structurelles et les droits économiques et sociaux sont-ils liés ? (I.) La
crise économique et financière a-t-elle un impact sur l’application de la Convention
européenne des droits de l’homme ? (II.)

I. CRISES STRUCTURELLES ET DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX FONDAMENTAUX


SONT-ILS LIÉS ?

455 La garantie des droits économiques et sociaux sera-t-elle revue à la baisse


corrélativement à l absence de moyens de financement ? L’impact de la crise atteindra t’-il ces
droits considérés comme des acquis et à quel niveau ? Autant de questions qu’entraine la
situation actuelle des finances publiques qui révèle à ce jour, une position paradoxale entre la
juridiction financière et les autres juridictions (A), ainsi qu’une autre question de fond :
comment l’État peut-il assumer ses obligations positives dans un contexte de crise (B) ?

A. une position paradoxale entre la Cour des Comptes et les autres


juridictions

456 Face à la crise, la Cour des comptes invite depuis 2009, à réduire les dépenses
publiques, notamment en ce qui concerne les dépenses sociales (1), alors que les autres
juridictions semblent être dans une logique de garantie de l’acquis social (2).

1° Vers une réduction des dépenses sociales préconisée par la Cour des comptes

457 Philippe Seguin, énonçait en 2009588, que face aux revendications des nombreux corps
de métiers, concernant surtout les droits sociaux, il n’était pas question de les sacrifier au
regard de données purement comptables, mais d’opérer une rationalisation des dépenses

588
SEGUIN (P) : ibid.

314
L’avenir des Droits fondamentaux

générées par les services publics. Cette rationalisation doit passer par un choix entre les
dépenses nécessaires et les autres. Philippe Josse, en 2009589, alors Directeur du Budget,
faisait état de 600 milliards d’euros de dépenses publiques concernant les transferts sociaux et
pour la fonction maladie, sur 1000 milliards de dépenses publiques. La réduction des
dépenses sociales selon ce dernier devient alors une nécessité. Le Gouvernement et le
Parlement ont pris acte de cet objectif de rationalisation nécessaire à la résorption de la dette,
or, les efforts doivent se poursuivre selon Didier Migaud. En tant que premier Président de la
Cour des comptes, il insiste dans le rapport annuel sur la nécessité de réduire les dépenses
publiques, du moins d’éviter qu’elles n’augmentent.
Lors du bilan de l’année 2013, Didier Migaud, souligne que malgré les efforts engagés par le
Gouvernement, le déficit public et les prévisions du Gouvernement ne convergent pas, il
souligne que l’objectif de 3,6 % de déficit est « incertain » : « il n’existe aucune marge de
manœuvre en cas de dépenses imprévues ».590 Le secteur de la protection sociale est appelé à
réduire ou rationaliser ses dépenses, vu la part importante que ce secteur revêt dans
l’ensemble de la dépense publique et de sa moindre participation à l’effort d’économies.
Il est à souligner que, selon nous, c’est le secteur le moins propice à réaliser des économies :
au niveau des prestations en elles-mêmes, la seule possibilité est de réaliser des économies sur
les dépenses de fonctionnement.
Selon Didier Migaud, le système actuel de dépense publique est inefficace, « plus de la moitié
du PIB lui est consacrée »591. Parmi les domaines dont il fait part afin de rationaliser la
dépense publique, nous trouvons : la Sécurité Sociale et les collectivités locales. « L’effort de
maîtrise de la croissance des dépenses en 2014 est réparti entre l’État (9 Md€, dont 2 Md€
résultent d’une baisse de ses dotations aux collectivités locales) et la Sécurité Sociale
(6 Md€) ».592
Au sein du domaine relatif à la Sécurité Sociale, Didier Migaud préconise la réalisation
d’économies grâce au développement des médicaments génériques, de la chirurgie
ambulatoire et des transports sanitaires. Dans son rapport, la Cour des comptes expose « des
exemples d’économies possibles : dans son rapport de juin 2013, sur la situation et les

589
JOSSE (P) : « Questions et défis posés par la crise », RFFP nº 108, octobre 2009.
590
Journal Le Monde du mercredi 12 février 2014.
591
Ibid
592
Rapport public annuel de la Cour des comptes sur la situation d’ensemble des finances publiques à la fin
janvier 2014. Tome 1. www.ccomptes.fr

315
Finances publiques et droits fondamentaux

perspectives des Finances publiques, la Cour a d’abord identifié des mesures de freinage
rapide des dépenses publiques telles que le gel du point de la fonction publique, la sous-
indexation temporaire de certaines prestations sociales (hors minima sociaux) ou la
diminution du taux de croissance de l’ONDAM. Elle a aussi présenté des exemples de
réformes structurelles portant sur les dépenses de l’ensemble des administrations publiques :
masse salariale (évolution des mesures catégorielles, des effectifs et de la durée du travail) ;
interventions (aides à l’agriculture, à la presse, au logement des étudiants non boursiers,
etc.) ; investissements (transports notamment). En retenant la même croissance tendancielle
que le Gouvernement, qui conduit à une économie de 15 Md€ en 2014 pour atteindre un
objectif de croissance de 0,4 %. Dans son rapport de septembre 2013 sur la Sécurité Sociale,
elle a mis l’accent sur les économies possibles dans les domaines de la chirurgie ambulatoire,
de la permanence des soins, des remboursements de frais d’analyse ou encore la gestion
déléguée à des mutuelles de l’assurance maladie obligatoire des agents publics et des
étudiants. »593 Concernant les reformes structurelles affectant la masse salariale, parmi les
économies annoncées, est envisagé le gel du point d’indice salarial. Le point d’indice salarial
permet de calculer les salaires de la Fonction publique ; chaque fonctionnaire a un échelon
dans la grille des salaires qui ouvre droit à un nombre de points d’indice. La valeur du point
d’indice fait l’objet en principe d’une revalorisation tous les ans à l’occasion de négociations
entre le Gouvernement et les syndicats afin de tenir compte de l’inflation (ce point est gelé
depuis 2010). Ce gel a permis de réaliser des économies par la baisse de la masse salariale
d’un montant de 200 millions d’euros dans la Fonction publique d’État en 2013
comparativement à 2012, entrainant ipso facto une maitrise d’effectifs.594
Didier Migaud énonce que cette réforme peut revêtir plusieurs aspects laissés à la libre
appréciation du Gouvernement et du Parlement. Elle peut se traduire par une baisse d’effectifs
ou un étalement dans le temps au regard de l’avancement. 595 Or, si le choix s’oriente vers une
baisse d’effectifs, il y aura forcément une répercussion sur l’emploi. Quant à l’avancement, il
s’agit de droits acquis en matière de Fonction publique. Les droits sociaux seraient donc
touchés par une telle mesure qui, selon Jean Marc Ayrault, n’est pas à l’ordre du jour.

593
Ibid.
594
Journal Le Point.fr publié le 13 février 2014, www.lepoint.fr
595
Journal Le Monde du 12 février 2014.

316
L’avenir des Droits fondamentaux

Parmi les économies annoncées, celles concernant les dépenses d’intervention réaliseraient
des économies d’un montant de 1,7 Md d’euros. Parmi ces dépenses d’intervention, la Cour
des comptes préconise une désindexation temporaire des aides personnelles au logement,
permettant de réaliser une économie de 0,2 M d’euros. Cependant, comme le souligne l’Union
sociale pour l’habitat, cette mesure va toucher les catégories sociales les plus faibles « trois
quarts des ménages locataires bénéficiaires disposent de ressources inférieures au SMIC »,
596
ainsi cela occasionnerait une atteinte au droit à la sécurité matérielle, pas en son noyau,
mais en ses corollaires. Ceci, dans la mesure où, l’aide au logement n’est pas supprimée, mais
son montant abaissé par cette mesure.
Concernant les dépenses des autres administrations publiques, comme celles des
administrations sociales, une bonne partie des économies serait réalisée sur l’ONDAM. Le
reste se partageant entre l’indexation des retraites décalée de 6 mois, la révision des
conditions d’attributions des prestations sociales, ainsi que la baisse des frais de gestion des
caisses de Sécurité Sociale, selon le rapport économique social et financier annexé au projet
de loi de finances pour 2014.597
La limitation de la croissance des dépenses publiques est frileuse comme le souligne le
rapport public annuel de la Cour de comptes, malgré un objectif fixé de 0,4 % en volume et
1,7 % en valeur pour 2014. La Cour de comptes énonce clairement qu’au sein de ces
économies, « certaines économies dans le domaine social sont hypothétiques (sur l’assurance
chômage par exemple) ». Le rapport fait état d’une obligation, par les différentes
administrations, de poursuivre l’effort dans le sens d’une recherche d’économies, cet effort
pouvant être réalisé sans porter atteinte à « la qualité des services publics et l’efficacité de
redistribution » ce qui apparaît ambitieux en ce qui concerne l‘aide au logement entre autres.

458 Cependant, la politique de maîtrise par la réduction des dépenses publiques est
devenue nécessaire, afin de ne pas franchir le seuil critique entrainant une mise sous tutelle
européenne d’un État ne pouvant plus faire face à l’implosion de son déficit.

596
« L’union opposée à la sous-indexation des aides personnelles au logement » Les HLM, habiter mieux, bien
vivre ensemble, l’Union sociale pour l’habitat. www.union-habitat.org.
597
Rapport public annuel de la Cour des comptes sur la situation d’ensemble des finances publiques à la fin
janvier 2014. Tome 1. www.ccomptes.fr; les dépenses des administrations sociales connaitraient une
augmentation de 2,1 % en 2014, donc une baisse au regard des dépenses pour 2013 qui étaient de 3,1 % et en
2012 de 3,2 %.

317
Finances publiques et droits fondamentaux

Sans avoir atteint de façon spectaculaire certains droits fondamentaux existants jusqu’à ce
jour, le Gouvernement a renvoyé certaines réformes et n’a pas emboîté le pas à d’autres.
C’est le cas notamment de la réforme concernant le droit de séjour des travailleurs étrangers
en 2014,

2° Une politique jurisprudentielle comme rempart à l’impact de la crise


économique et financière.

459 Depuis le début de la crise économique et financière, nous ne pouvons affirmer qu’il y
ait eu des revirements de jurisprudence allant dans le sens d’une moindre protection des droits
fondamentaux par les juridictions françaises.
La prise en compte de la crise par les juges dans leur contrôle fut assez tardive comme nous
l’avons explicité plus en amont, elle n’a pas eu pour effet de baisser fortement le niveau de
garantie au regard de considérations économiques et financières. Voire, nous pouvons
énoncer que de prime abord les juges n’ont pas donné l’impression de mesurer l’impact de la
crise, de façon consciente ou inconsciente. De plus, aucune norme ne prévoit explicitement
une conciliation entre crise économique et droits fondamentaux, ce qui est désigné dans
l’ordre juridique, comme étant des circonstances exceptionnelles justifiant un aménagement
de ces droits, ne répond pas à cette situation. Les articles de la Constitution prévoyant des
dérogations à la garantie des droits fondamentaux n’incluent pas les crises économiques et
financières. En effet l’article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958, modifié par la loi
constitutionnelle nº 2008-724 du 23 juillet 2008, énonce : « lorsque les institutions de la
République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution de ses
engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de
la République prend les mesures exigées par ces circonstances (…) ».Les causes des crises
structurelles sont variées, fort heureusement, nous ne sommes pas dans le cas où les
institutions seraient en péril et justifieraient ainsi la mise en œuvre de ces mesures tant au
niveau gouvernemental que juridictionnel ; comme ce fut le cas en période de guerre où les
restrictions apportées à la liberté individuelle par la police administrative étaient justifiées, ce
qui ressort de l’arrêt du Conseil d’État du 28 février 1919 Dames Dol et Laurent. Or, dans un
contexte de crise économique, le Conseil d’État a refusé une atteinte aux droits
fondamentaux, ce qui émane de l’arrêt du 8 décembre 1978 GISTI, dans lequel, le Conseil
d’État a annulé un décret prévoyant la suspension de la mesure de regroupement familial pour
318
L’avenir des Droits fondamentaux

une durée déterminée afin d’éviter le maintien en France de travailleurs étrangers, au regard
de la crise de l’emploi.598
L’article 16 de la Constitution sous-entend un trouble à l’ordre public, et ne semble pas
s’appliquer dans un contexte de crise économique et financière, sans lien avec un État de
guerre. À moins que la crise vienne à s’aggraver à un niveau tel, qu’elle constituerait un
trouble d’une exceptionnelle gravité pouvant alors justifier, une restriction à la garantie des
droits fondamentaux.
La jurisprudence administrative et constitutionnelle, ne semble pas prendre en compte la crise
économique et financière comme limite à la garantie de certains droits, notamment en matière
de droits-créances. Cela peut s’expliquer par deux raisons : la première concerne la fonction
de jugement qui implique que le juge se réfère à des normes présentes dans l’ordre juridique
national, la seconde est qu’il n’a pas à interférer dans la fonction législative et ne peut
poursuivre une quelconque politique publique déterminée, il est en quelque sorte le
« gardien » des droits fondamentaux.
Concernant la première raison, depuis le début de la crise, aucune norme n’a été introduite
dans l’ordre juridique visant à prendre en compte le contexte économique et financier afin de
limiter l’expansion de certains droits ou de limiter la garantie de droits existants. Ainsi, le
juge dans sa fonction de jugement qui consiste à concilier deux normes en général de même
rang, n’est pas contraint de prendre en compte le contexte économique et financier qui n’est
mentionné dans aucun texte, si ce n’est dans la Charte de l’environnement qui prévoit en son
article 6, la possibilité de concilier le droit à l’environnement avec le développement
économique599 ; en aucun cas il n’est fait mention d’un contexte de crise.
La deuxième qui reflète un pan de la fonction de juge, est la garantie des droits existants, le
juge n’a semble-t-il pas concédé une garantie propre à un droit fondamental sous l’autel de
considérations économiques et financières. Il agit comme un rempart à la crise, afin qu’elle
n’atteigne pas les droits fondamentaux.
Cela ressort clairement de la jurisprudence, en matière fiscale ; le juge fait une exacte
application de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ce qui
concerne le principe d’égalité devant les charges publiques, même si le but recherché par le

598
TCHEN (V): Les droits fondamentaux à l’épreuve de la crise économique et financière. Travaux issus de la
journée d’étude du 11 avril 2013 à la Faculté des Affaires Internationales de l’Université du Havre, sous la
direction de Vincent Tchen ; ed l’Harmattan, 2013, Paris, p 13.
599
Idem p17.

319
Finances publiques et droits fondamentaux

Gouvernement est de mettre en place une politique publique destinée à financer le Fonds de
solidarité. Cette contribution qui représente une imposition de toute nature doit permettre un
financement de l’aide consentie par l’État aux travailleurs privés d’emplois et ne pouvant
bénéficier de l’assurance chômage. Elle est basée sur la solidarité des autres travailleurs.
Or, le Conseil constitutionnel à l’occasion de son contrôle, déclare l’article 12 de la loi de
finances pour 2013 instituant cette contribution également pour les très hauts revenus à un
taux supérieur, contraire à la Constitution dans la mesure où il prévoit un assujettissement
inégalitaire concernant les personnes ayant de très hauts revenus, si le foyer fiscal est pris en
compte. Il censure ainsi cet article sur le seul fondement du principe d’égalité devant les
charges publiques, sans prendre en compte le but poursuivi par le législateur.600

460 Quant au Conseil d’État, la crise des finances publiques ne l’a pas conduit à ne pas
faire une application exacte du droit à la dignité humaine dans le cadre du référé liberté. En
effet, eu égard aux conditions de détention de certains condamnés, à la prison des Baumettes,
le Conseil d’État a enjoint la réalisation de travaux afin de donner plein effet à ce droit
concernant les détenus.601 Il a également consacré le droit à l’instruction des enfants
handicapés au titre de droit fondamental, ce qui implique de nombreuses prestations
accessoires.602Le juge des référés applique strictement la règle de droit et donc garantit les
droits fondamentaux sans prendre en compte, dans ses ordonnances, la situation économique
et financière de l’État.

600
Cons const décision du 29 décembre 2012 : « Considérant qu'en instituant la contribution exceptionnelle de
solidarité sur les très hauts revenus d'activité, le législateur a mis en place, au titre des revenus des années 2012
et 2013, une imposition assise sur les seuls revenus d'activité professionnelle ; qu'il a retenu pour cette
contribution exceptionnelle, dans le prolongement de l'impôt sur le revenu, un taux d'imposition de 18 %
appliqué à la fraction de ces revenus excédant le seuil d'un million d'euros par personne physique ; »
72. Considérant que les revenus d'activité professionnelle pris en compte pour l'établissement de cette
contribution exceptionnelle comprennent les traitements et salaires définis à l'article 79 du code général des
impôts, à l'exclusion des allocations chômage et de préretraite et des distributions et gains mentionnés à l'article
80 quindecies du code général des impôts, les rémunérations allouées aux gérants et associés des sociétés à
responsabilité limitée e entreprises assimilées, les bénéfices industriels ou commerciaux, les bénéfices non
commerciaux et les bénéfices agricoles lorsqu'ils proviennent d'une activité exercée à titre professionnel, les
avantages résultant des attributions gratuites d'actions et des gains de levée d'options d'achat ou de souscription
d'actions à l'exception de ceux qui, pour les actions attribuées à compter du 16 octobre 2007, sont soumis à la
contribution de l'article L. 137−14 du code de la sécurité sociale ; que ces revenus sont déjà assujettis à l'impôt
sur le revenu du foyer fiscal ; »
601
Conseil d’État, ord du 22 décembre 2012, Section française de l’OIP
602
Conseil d’État, ord du 15 décembre 2010

320
L’avenir des Droits fondamentaux

461 Ainsi, l’absence de normes propres à induire la prise en compte d’un contexte de crise
ne peut contraindre le juge à prendre en compte des politiques publiques propres à enrayer un
contexte de crise économique et financière.
Cependant, le Gouvernement pourrait invoquer, de manière large, le principe de nécessité
publique, prévu à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
concernant la possibilité de procéder à des nationalisations. Ce principe de nécessité publique
ne pourrait-il pas être appliqué à certaines mesures mises en place, dans le but de contrer la
crise économique et financière, et ainsi effectuer un argument contrepoids à la garantie des
droits fondamentaux ? Cette hypothèse serait relativement dangereuse, dans la mesure où cela
conduirait à garantir certains droits moins touchés par la crise, au détriment d’autres qui sont
tout aussi importants.

B. Comment l’État peut-il assumer ses obligations positives dans un


contexte de crise ?

462 Les droits les plus exposés à la crise économique et financière sont les droits-créances,
en effet ces droits induisent une prestation positive de l’État donc une prestation forcément
financière.
Comment concilier les droits fondamentaux et la crise économique et financière ?(1) Cela
conduira-t-il à « la scelte tragiche » ? (2)

1° Les normes de conciliation entre économie et droits fondamentaux

463 Nous ne pouvons considérer que des droits fondamentaux de crise ont émergé or,
quels sont les droits fondamentaux en prise directe avec la crise économique et financière ?
Les droits issus du Préambule de la Constitution de 1946, en impliquant une injection de
deniers publics afin d’assurer leur réalisation, sont au premier plan de la crise, à ce titre, le
droit à l’emploi est un des plus touchés ; nous trouvons également la liberté d’entreprendre, le
droit de propriété et le cas de l’asile politique.
La situation est d’autant plus paradoxale dans la mesure où le Conseil constitutionnel a
qualifié d’objectifs à valeur constitutionnelle les droits-créances inscrits dans le Préambule de
la Constitution de 1946. Par cette qualification, le Conseil constitutionnel laisse au législateur
une marge d’appréciation dans la mise en œuvre de politiques publiques propres à assurer
l’effectivité de ces droits. Cette position du Conseil constitutionnel se retrouve au sein de ses
321
Finances publiques et droits fondamentaux

décisions, quand il ne contrôle pas les motifs de la loi, ce qui lui permet de ne pas entrer dans
la fonction législative dévolue au Parlement. Car, comment lutter contre les effets de la crise
tout en octroyant les prestations positives prévues par le Préambule de la Constitution de
1946 ? Subséquemment, le financement des services publics propres à assurer le respect des
droits-libertés ?

464 Ainsi, en laissant au législateur le choix des modalités propres à conduire les
politiques publiques relatives, à l’octroi de prestations positives, le Conseil constitutionnel
n’oblige pas le législateur à légiférer dans un sens défini.
La formule employée par le Conseil constitutionnel traduit cette position quand il énonce : «Il
appartient au législateur de définir les modalités (…) » ou « il est loisible au
législateur(…) ».
En qualifiant les droits-créances d’objectifs à valeur constitutionnelle, le législateur reste
maître du choix des finances publiques nécessaires à assurer la conduite de politiques
publiques prédéterminées, et la possibilité de concilier plusieurs droits fondamentaux entre
eux. Le législateur n’est pas astreint à une obligation de résultat.603
Les seules limites « imposées » à l’action du législateur sont : le respect du principe d’égalité
et le respect d’un contenu essentiel des droits fondamentaux. Le Conseil constitutionnel, dans
une décision du 23 janvier 2014 relative à la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, énonce que la loi concernant les
conventions prévues entre les professionnels de santé et les organismes d’assurance maladie
complémentaires, en limitant le nombre d’adhésions, ne porte pas atteinte à la liberté
d’entreprendre. Ces conventions en l’espèce, étaient relatives à la profession d’opticien
lunetier : « qu’il est loisible au législateur d’apporter à cette liberté des limitations liées à des
exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en
résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ».604
Dans une autre décision, en rappelant la liberté laissée au législateur dans la définition d’une
politique de l’emploi, le Conseil constitutionnel énonce qu’il n’y a pas d’atteinte au principe
d’égalité en traitant de façon différente des salariés qui ont effectué des heures
supplémentaires ou complémentaires avant ou après une période donnée. De plus, il énonce

603
TCHEN (V): op.cit
604
Cons .const décision nº 2013-686 DC du 23 janvier 2014.

322
L’avenir des Droits fondamentaux

que la suppression de l’incitation à effectuer des heures supplémentaires s’inscrit dans le but
de favoriser l’accès au droit à l’emploi et à ce titre ne méconnaît pas la liberté
d’entreprendre ;605 le droit à l’emploi est concilié avec la liberté d’entreprendre.
C’est le cas aussi des licenciements économiques, le législateur ne les a pas encadrés trop
strictement afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. 606

465 Plus le droit fondamental en cause a une incidence, ou peut avoir une incidence
économique, plus il interagit avec la crise.
A ce titre le droit de propriété est un droit susceptible d’être atteint par la crise, de la solidarité
qui en découle et l’impossibilité pour les plus démunis de se loger. La fondation Abbé Pierre
a publié un rapport faisant état d’un nombre important de personnes sans logement ou n’ayant
pas un logement décent, 3,6 millions de personnes sont concernées. Le droit à un logement
décent se trouve confronté au droit de propriété, or, le droit au logement n’est pas considéré
comme un droit subjectif, il n’a pas une valeur constitutionnelle stricto sensu et est considéré
comme objectif à valeur constitutionnelle, il n’est de fait opposable qu’à l’État. Cependant,
nous pouvons légitimement nous demander si l’État poursuivra une politique publique plus
soutenue envers le droit au logement du fait de la crise. Jusqu’à présent, le Conseil
constitutionnel a opéré une conciliation entre le droit de propriété, droit fondamental, et le
droit au logement, objectif à valeur constitutionnelle de portée supra législative. Assurément
la primauté du droit de propriété est réalisée, le Conseil veille à sa non-dénaturation.607
Certains auteurs608 optent pour « une redéfinition du droit de propriété comme un espace à
contenu variable » qui sans disparaître, peut être limité au profit du droit au logement. Sans le
dénaturer au point de donner au titulaire du droit à un logement décent, des prérogatives
excessives similaires au droit de propriété, la crise économique et financière, si elle ne se
résorbe pas, conduira l’État, semble-t-il, à prendre en compte une dimension plus « sociale »
du droit de propriété.

605
Cons const décision nº 2012-654 DC du 9 aout 2012 cons nº 21 : « qu'en adoptant les dispositions contestées
qui suppriment l'incitation à recourir aux heures supplémentaires et complémentaires de travail, le législateur a
entendu favoriser le recours à l'emploi ; qu'à cette fin, il lui était loisible de modifier le dispositif d'exonérations
fiscales et sociales attachées à ces heures ; que les dispositions contestées, qui ne portent pas atteinte à la liberté
d'entreprendre, ne méconnaissent pas davantage le droit pour chacun d'obtenir un emploi. »
606
Cons const décision nº 2013-672 DC du 13 juin 2013 concernant la loi nº 2013-504 du 14 juin 2013 sur la
sécurisation de l’emploi.
607
Cons const décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998.
608
CAYOL (A) : « Droit au logement et crise économique », in Les droits fondamentaux à l’épreuve de la crise
économique et financière, sous la direction de Vincent Tchen, ed l’Harmattan, Paris, 2013, p 91.

323
Finances publiques et droits fondamentaux

Dans l’éventualité d’une crise économique et financière qui s’aggrave, ou qui ne se résorbe
pas, le Gouvernement devra faire des choix budgétaires, ceux-ci auront-ils une incidence sur
les droits fondamentaux entrainant un choix dans leur protection ?

2° La « scelte tragiche »609

466 La « scelte tragiche » est une position développée par la doctrine italienne qui a pour
signification : « le choix tragique ». Cette thèse évoque la relation intrinsèque entre les droits
fondamentaux et les finances publiques. Y est évoqué le conditionnement des droits
fondamentaux par les ressources publiques disponibles. Par conséquent, leur garantie est
forcément limitée, puisqu’elle dépend des finances allouées.
Dans le cas d’une situation fortement dégradée des finances publiques, l’auteur évoque que
l’utilisation des deniers publics sera forcément sélective et emportera de fait un choix, au
regard des droits fondamentaux entre ceux nécessitant une protection plus accrue au détriment
d’autres. Cette sélection « tragique », qui selon l’auteur n’est pas envisagée par l’ensemble de
la doctrine, car elle constituerait une « offense » aux droits de l’Homme.610 Sans être une
offense à la reconnaissance des droits fondamentaux et à leur consécration, force est
d’admettre que dans le cas d’une « faillite » de l’État, il sera difficile pour celui-ci de garantir
l’ensemble des prestations positives dues à chaque citoyen. L’auteur énonce implicitement
que des choix entre droits sont déjà opérés, concernant les droits individuels qui font l’objet
de compromis au-delà des ressources financières disponibles. Des choix sont donc réalisés
quand le législateur ou le juge fait primer un droit sur un autre : il réalise un choix dans la
mesure où, pour une partie il octroie le droit et le réduit pour l’autre partie au litige. Par
conséquent, la problématique sera d’autant plus prégnante et impliquera un choix quant à leur
réalisation, des deniers disponibles et fatalement au niveau des droits sociaux.
L’auteur611 soulève un questionnement relatif à l’existence de critères permettant une
impossible dérogation à l’allocation de ressources publiques propres à assurer la réalisation

609
BERGONZINI (G) : I limiti costituzionali quantitativi dell’imposizioni fiscale, Universita degli studi di
Padova, Thèse soutenue le 31 janvier 2008, capitolo secondo diritto e risorse economiche disponibili il costo dei
diritti: p 97 et s.
610
Idem, « constater qu’un droit à un coût équivaut à admettre que l’on doit renoncer à quelque chose pour
l’avoir et le protéger, ignorer la question du coût sert à éviter le choix douloureux entre les droits que l’on
désire protéger et ceux dont on se passera », p 98.
611
BERGONZINI (G ): op.cit

324
L’avenir des Droits fondamentaux

des droits fondamentaux en leur degré maximal et comment l’État devrait utiliser au mieux,
les ressources financières en vue d’assurer leur pleine et entière garantie. Il démontre que tout
est une question de choix conditionné, de surcroît, quand cela est nécessaire par des choix
budgétaires relevants de politiques publiques. Selon lui, des choix sont déjà opérés entre
droits et à plus forte raison l’absence de moyens de financement entrera également en compte.
Dans le cas d’une aggravation de la crise économique et financière, il est évident qu’au regard
des dispositions de la Constitution et du Préambule de 1946, le Parlement ne pourra envisager
le paiement de prestations qu’il accorde aujourd’hui gratuitement, comme le droit à
l’éducation par exemple, ou le droit à la santé or, il est envisageable que le niveau de garantie
d’allocations puisse connaître une baisse substantielle, sans remettre peut-être en cause
totalement le noyau dur de ces droits.

467 La prise en compte de la contrainte budgétaire, dans la mise en œuvre et donc, dans
l’effectivité des droits, fut débattue par des auteurs américains 612. Le choix en matière de
droits fondamentaux s’avère une donnée de première importance, dès lors qu’est prise en
compte la contrainte budgétaire, surtout dans sa rareté : « prendre les droits au sérieux
signifie prendre la rareté au sérieux. »613 Ce débat initié par des économistes propose une
lecture financière des droits fondamentaux. Cette lecture prend comme les finances publiques
disponibles comme postulat de départ à la protection des droits fondamentaux. La thèse
défendue est celle d’un caractère non absolu des droits et de la nécessité d’un arbitrage entre
droits fondamentaux, surtout à l’aune de restrictions budgétaires. Ainsi, le degré de protection
de certains droits au détriment d’autres, relève de choix opérés par les autorités publiques. 614
La question qui se pose alors est la lecture de la crise économique et financière par la Cour
européenne des droits de l’homme.

612
HOLMES(S) et SUNSTEIN (C.R) : The Cost of Rights. Why Liberty Depends on Taxes, ww. Norton and
company, New York - Londres, 1999, 255 pages.
613
Idem p 94.
614
HARNAY (S) : « Le discours sur les droits à l’épreuve de la contrainte budgétaire », Sociétal nº 27, décembre
1999, p128.

325
Finances publiques et droits fondamentaux

II. LA CRISE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE A-T-ELLE UN IMPACT SUR L’APPLICATION DE


LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ?

468 Le Conseil des Droits de l’Homme, a pris acte des répercussions de la crise
économique et financière sur la capacité des États à remplir leurs obligations positives. Ceci,
se traduit par un respect difficile de la Convention par les États les plus touchés par la crise
(A), ce qui conduit du fait de l’impact budgétaire, à un nécessaire compromis du juge
européen dans la résolution des conflits (B).

A. Un respect difficile de la Convention


par les États les plus touchés par la crise

469 À la difficile question de savoir si la crise économique et financière mondiale a un


impact sur la protection des droits fondamentaux, la réponse européenne est sans appel ; elle
dresse un constat sur la situation en exprimant sa « profonde préoccupation » au regard des
répercussions de la crise sur les droits fondamentaux et invite les États à tenter d’en atténuer
les impacts au sein de documents officiels (1). Force est de constater que certains droits, sont
plus touchés par cette crise, c’est le cas du principe de non-discrimination, de l’interdiction de
peines et traitements inhumains ou dégradants majoritairement (2).

1° La reconnaissance européenne d’une fragilisation des droits de l’homme

470 « L’impact sur les droits de l’homme est considérable » énonce Dean Spielmann615 à
propos de la crise économique et financière. Les minorités, les personnes en situation de
précarité, les personnes vulnérables sont en proie à cette crise économique et financière. Cette
situation caractérise des phénomènes de rejet pouvant conduire à des réactions extrémistes
selon les juges de la Cour européenne. La Cour ne se penche pas sur les phénomènes ou
mesures susceptibles d’endiguer la crise, mais elle se positionne au regard d’un maintien
d’une protection des droits fondamentaux dont le niveau ne peut connaître d’abaissement
justifié par une crise quelle qu’elle soit. Au contraire, elle constate une plus grande
vulnérabilité des droits et tente de contrecarrer les effets de la crise, grâce au maintien de sa

615
Président de la Cour européenne des droits de l’homme.

326
L’avenir des Droits fondamentaux

jurisprudence et d’un niveau de protection élevé. Julia Laffanque, juge à la Cour européenne,
incite les États à repenser leurs coupes budgétaires afin de préserver au maximum les droits
fondamentaux, tout en étant consciente que ces coupes budgétaires sont nécessaires en
corrélation avec des programmes d’austérité. À ce titre, la Cour a estimé que dans le secteur
public, elles pouvaient être réalisées afin de rétablir l’équilibre des finances publiques. La
seule réserve est que les droits fondamentaux ne doivent pas subir de violations propres à les
vider de leur substance. Dans le cas des traitements et pensions, elle a reconnu que leur
diminution ne constitue pas une violation de l’article 1 er du Protocole additionnel à la
Convention, dans un arrêt Mihaies et sentes c/ Roumanie du 6 novembre 2011.616 Bien que la
Cour considère qu’ils ne doivent pas revêtir un caractère insuffisant, car cela pourrait
constituer une violation à l’article 3 de la Convention. 617 Des répercussions sur les prestations
sociales, les pensions, le logement, le droit au respect de la vie familiale, l’accès à la justice
ont lieu. De nombreuses requêtes sont fondées sur l’article 8 et sur le premier protocole de la
Convention. Or, dans ce domaine, la Cour rappelle qu’en matière de droits sociaux, elle ne
peut se substituer aux États qui ont seuls la capacité de les octroyer, elle ne peut se pencher
que sur leur violation manifeste, et non sur la création desdites prestations, si celles-ci ne sont
pas prévues par la législation de l’État membre concerné.
La Cour, examine les mesures disproportionnées prises par certains États, ainsi, elle a jugé
concernant la vie privée et familiale, que la violation de l’article 8 était constituée par des
mesures étatiques radicales ayant conduit à séparer une famille en plaçant les enfants, en
raison de l’occupation, par la famille, d’un logement inapproprié.618

471 À la différence du juge constitutionnel, le juge européen n’est pas en rapport direct
avec le législateur étatique, son rôle est de veiller à la bonne application de la Convention par
les États. La crise économique est prise en compte en amont, surtout par la Cour, mais elle ne
peut servir de justification à la non-application ou à l’application partielle de la Convention.

616
CEDH : arrêt Mihaies et sentes c/ Roumanie du 6 novembre 2011, nº 44232/11 et nº 44605/11. De même dans
un arrêt de la CEDH Frimu et autres c/Roumanie du 13 novembre 2002 n° 45312/11, dans lequel d’anciens
fonctionnaires de la justice se plaignaient de la réduction du montant de leurs pensions de retraite. La Cour n’a
pas remis en cause ces coupes budgétaires.
617
CEDH arrêt Budina c/ Russie du 18 juin 2009, nº 45603/05, la requête a été déclarée irrecevable or la Cour
admet un questionnement implicite au regard de l’article 3 de la Convention.
618
CEDH arrêt Wallova et Walla c/ République Tchèque du 26 octobre 2006.

327
Finances publiques et droits fondamentaux

D’autre part, quand la Cour se prononce, elle produit une interprétation, qui aura des
répercussions non seulement sur l’État concerné, mais sur les 46 autres 619. Le rayonnement de
la jurisprudence de la Cour s’étend à tous les pays membres du Conseil de l’Europe, dans les
ordres juridiques respectifs de chaque État membre. Ainsi, elle ne peut opérer de recul dans
l’interprétation de la Convention qui pourrait se généraliser. La Cour européenne assure un
rôle de garde-fou à l’infléchissement de la protection des droits fondamentaux dû à une trop
grande perméabilité des droits fondamentaux la crise économique et financière.

472 Un autre volet, abordé au cours du séminaire relatif à l’impact de la crise économique
sur les droits de l’homme, est celui de l’augmentation de l’extrême pauvreté. Il est fait
référence au niveau international à un Projet de Principes directeurs sur « l’extrême pauvreté
et les Droits de l’Homme » adopté par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies le
20 décembre 2012 par Françoise Tulkens, ancienne vice-présidente de la Cour européenne des
droits de l’homme.620 Ce texte, traite de l’extrême pauvreté qui se retrouve au niveau de
l’accès aux droits de l’Homme, il préconise la mise en œuvre de politiques publiques qui
visent à l’éradication de ces situations d’extrême pauvreté, par une autonomisation des
personnes se trouvant dans ce contexte621 qui conduit à l’impossibilité de faire valoir les droits
garantis par la Convention. Mais dans cette période de crise, comment mettre en œuvre ces
politiques publiques qui nécessitent des dépenses ? Ou n’est-ce que par la réussite d’une
autonomisation des personnes vivant en état d’extrême pauvreté que la crise pourrait en partie
être combattue ?
« L’universalité des droits de l’Homme est en question », selon Ionnis Sarmas622, qui traduit
la position de la Cour européenne des droits de l’homme par le fait que l’application de la
Convention, donc le respect des droits fondamentaux doit être uniformément appliqué et ne
saurait dépendre de considérations économiques, autrement les droits fondamentaux seraient
réservés aux États les plus riches.

619
SARMAS (I) : « Appliquer la Convention européenne des droits de l’homme en temps de crise économique »
p3. Site : www.echr.coe.int
620
Actes du séminaire op.cit. p23.
621
Version finale du projet de principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, présentée par
la Rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, Magdalena Sepùlveda Carmona ;
assemblée générale des Nations Unies, Conseil des droits de l’homme vingt et unième session ; A/HRC/21/39,
18 juillet 2012. Site www.diplomatie.gouv
622
SARMAS (I) : op.cit.

328
L’avenir des Droits fondamentaux

2° Le principe de non-discrimination, l’interdiction de traitements inhumains ou


dégradants

473 après avoir touché d’abord les droits-créances, les droits économiques et sociaux, nous
nous intéresserons ici, au respect du principe de non-discrimination, qui est un pilier de ces
droits. Puis dans un second temps, les effets à rebond, que la crise entraine sur l’interdiction
des peines et traitements inhumains ou dégradants.
Les affaires, imputables à la crise économique et financière, portées devant les juges
européens ont majoritairement, une propension à se situer autour de trois domaines, les deux
types d’affaires relatives aux principes que nous avons évoqués et les affaires relatives au
dépassement du délai raisonnable.

474 Le principe de non-discrimination est au carrefour des droits fondamentaux. Outre la


Convention européenne des droits de l’homme, en son article 14 auquel s’ajoutent le
Protocole nº 12 et différents instruments ; tous les Traités reprennent ce principe, depuis le
Traité de Rome du 25 mars 1957, qui consacre l’interdiction des discriminations fondées sur
la nationalité, au Traité de Lisbonne, de 2007 qui consacre le combat contre toutes formes de
discriminations. La tentation de refermer chaque État membre sur lui-même est grande pour
les gouvernements en place, devant la montée en puissance du mécontentement de la
population qui renvoie le problème économique et financier sur la présence d’immigrés dans
leur pays remettant ainsi en cause l’égalité de traitement. 623 Nous pouvons citer à ce titre un
arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, Commission contre Pays-Bas du 14 juin
2012,624 où la Cour énonce : « les considérations d’ordre budgétaires ne relèvent pas de la
notion de raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une entrave au droit
fondamental de la libre circulation des personnes » concernant une discrimination sur la
nationalité. En effet dans le cas d’espèce, la législation néerlandaise prévoyait une réduction
du financement scolaire au détriment d’étudiants en provenance d’autres États membres, cela
en arguant des contraintes budgétaires liées à la crise. Cependant, le juge luxembourgeois

623
BRUNO (M): “l’interdiction des discriminations dans l’Union européenne au cœur de la crise économique et
financière » in Les droits fondamentaux à l’épreuve de la crise économique et financière. Travaux issus de la
journée d’étude du 11 avril 2013 à la Faculté des Affaires Internationales de l’Université du Havre, sous la
direction de Vincent Tchen ; ed l’Harmattan, 2013, Paris, pages 161 à 178.
624
CJUE arrêt Commission contre Pays-Bas du 14 juin 2012, aff C-542/09.L’article 45 du TFUE, interdit les
discriminations fondées sur la nationalité

329
Finances publiques et droits fondamentaux

reste insensible à ces arguments, la contrainte budgétaire occasionnant une révision des
dépenses publiques, ne peut avoir pour effet d’entrainer une discrimination fondée sur la
nationalité.
Dans le même sens, la Cour de justice a rendu un arrêt Deborah Prete contre Office national
de l’emploi du 25 octobre 2012625, cette affaire concerne un ressortissant d’un État membre à
la recherche d’un emploi dans un autre État membre. La Belgique subordonnait les allocations
d’attente en faveur de jeunes à la recherche d’un premier emploi, à la condition d’avoir suivi
un minimum de six années d’études dans l’État d’accueil. Le juge luxembourgeois ne reçoit
pas cet argument qui opère une discrimination fondée sur la nationalité.
Ce type de discrimination peut s’appuyer également sur l’origine ethnique ou raciale
constituant encore une atteinte à la liberté de circulation, dans un arrêt de la Cour européenne
des droits de l’homme Timishev contre Russie du 13 décembre 2005, il s’agissait d’un refus
opposé au requérant d’entrer sur le territoire de Kabardino-Balkarie en raison de son origine
tchétchène, ou dans un arrêt de la Cour Européenne : Kurić et autres c. Slovénie du 26 juin
2012626, il s’agissait de personnes ayant été radiées du registre des résidents permanents de
Slovénie suite à l’acquisition de l’indépendance au motif qu’ils n’avaient pas sollicité la
nationalité slovène. Mais encore, dans un arrêt antérieur Gaygusuz c. Autriche du 16
septembre 1996, l’Autriche fut condamnée du fait de son refus d’octroyer une allocation
chômage d’urgence à un chômeur, en arguant que ce dernier n’était pas recevable, car il
n’avait pas la nationalité autrichienne.

475 En période de crise économique et financière, les États procèdent à une réduction de
leurs dépenses publiques et tentent d’opérer un choix entre les nationaux et les ressortissants
des autres États membres. Les augmentations d’impôts, la réduction des salaires et pensions
justifient implicitement ces choix627 que tentent d’opérer les États, même s’ils ne sont pas
légitimes.

476 Un autre droit, touché par la crise par effet rebond, est celui consacré à l’article 3 de la
Convention européenne des droits de l’homme « nul ne peut être soumis à la torture, ni à des

625
CJUE arrêt du 25 octobre 2012, Deborah Prete contre office national de l’emploi, affaire C-367/11.
626
CEDH arrêts Timishev contre Russie du 13 décembre 2005 ; Kurić et autres c. Slovénie du 26 juin 2012,
Gaygusuz c. Autriche du 16 septembre 1996. Site :www.echr.coe.int
627
SARMAS (I): “Appliquer la Convention européenne des droits de l’homme en temps de crise économique »
p3. Site :www.echr.coe.int

330
L’avenir des Droits fondamentaux

peines ou traitement inhumains et dégradants ». Cela s’explique par le fait qu’en période de
restrictions budgétaires, les finances sont allouées en priorité pour faire droit à certains
besoins jugés « plus importants ». Ainsi, le cas des prisonniers est relégué à un second plan,
tout comme celui des demandeurs d’asile. 628 Malgré une interdiction absolue de concilier cet
article avec un autre ou d’y déroger, les États se rendent coupables d’une atteinte par omission
du respect de ces dispositions. La Cour européenne a érigé l’interdiction en norme absolue
dans un arrêt du 21 novembre 2001 Al Asani c/ Royaume Uni629.Cette interdiction constitue
selon la lecture faite de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme : « une
des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques »630, aucune situation ne permet de
déroger à cet article.
Selon la doctrine : « trois catégories de personnes peuvent être identifiées comme des sujets
susceptibles de faire l’objet d’une violation de l’article 3 de la Convention : les personnes
précaires et vulnérables, les étrangers-migrants et les détenus »631. Nous étudierons ici, le cas
des détenus, le contexte économique et financier très dégradé, induit une plus grande
délinquance et une surpopulation carcérale. La France à ce titre, a fait l’objet de multiples
condamnations en raison des conditions de détention, relativement à l’état des cellules, à
l’absence de soins médicaux appropriés (…)632. Récemment, la Cour Européenne dans un
arrêt Canali c/France du 25 avril 2013, a énoncé au regard de l’article 3 de la Convention
qu’il importe à l’État : « de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui
sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les conditions de détention ne
soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le
niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (…) »633.

477 Les choix budgétaires, surtout en période de crise, visent à assurer prioritairement la
réalisation de droits-créances. Ainsi, la violation de l’article 3 de la Convention au niveau des
conditions de détention, s’apparente, à une violation par inaction ou omission. Et la Cour

628
Ibidem.
629
CEDH arrêt de Grande Chambre Al Asani c/ Royaume Uni, du 21 novembre 2001 : n°35763/97.
630
CEDH arrêt, Nassim Saadi c/Italie du 28 février 2008 : n°37201/06.
631
DENIZEAU (C) : « Crise économique et peines ou traitements inhumains ou dégradants » in Les droits
fondamentaux à l’épreuve de la crise économique et financière. Travaux issus de la journée d’étude du 11 avril
2013 à la Faculté des Affaires Internationales de l’Université du Havre, sous la direction de Vincent Tchen ; ed
l’Harmattan, 2013, Paris, page 185.
632
CEDH arrêt Mouisel c/France du 14 novembre 2002, nº 67263/01,§37. Arrêt Renolde c/France du 16 octobre
2008,§119-120, nº 5608/05.
633
CEDH arrêt Canali c/France du 25 avril 2013, nº 40119/09.

331
Finances publiques et droits fondamentaux

européenne de préciser, dans un arrêt du 28 février 2012 Saramas et autres c/ Grèce634, que
les restrictions budgétaires ne sauraient légitimer une dégradation de la situation des prisons
telle qu’elle serait contraire à l’article 3 de la Convention. Cet article « doit être uniformément
appliqué partout quelle que soit la situation économique propre des États contractants. »635
La mise en œuvre des droits a un coût non négligeable, la Cour européenne ne peut faire
l’impasse sur cette donnée et institue nécessairement un compromis.

B. l’impact budgétaire ou le nécessaire compromis du juge européen

478 Devant le constat de l’ampleur de la crise économique et la difficulté croissante des


États à remplir leurs obligations positives, les juges européens tentent d’apporter des réponses
(1). L’exemple de la Grèce, nous apporte un éclairage sur la situation des droits fondamentaux
dans ce contexte de crise « extrême ».

1° Les réponses des juges européens

479 Deux séries de droits font l’objet d’un compromis de la part des juges, il s’agit du droit
à l’environnement et du droit à l’asile. Ce compromis ne se réalise pas réellement au niveau
du juge européen mais ce dernier, reconnaît la possibilité pour les États de concilier ces droits
avec des impératifs économiques.

480 Concernant le droit à l’environnement, ce droit est particulièrement intéressant, dans


son analyse, car il est en conciliation avec la donnée socioéconomique, induite par l’intérêt
général ou par la liberté d’entreprendre. Ainsi ce droit qui doit être régulièrement concilié
avec des impératifs économiques, est-il encore plus touché en période de crise économique et
financière ? La Cour rappelle à l’occasion de multiples arrêts qu’elle ne consacre pas
expressément un droit à l’environnement. 636Elle laisse un large pouvoir d’appréciation aux
États quant aux mesures environnementales qui doivent être prises. Ce droit est en général
appliqué au travers d’autres articles de la Convention, notamment au regard de l’article 8 qui

634
CEDH arrêt Saramas et autres c/ Grèce du 28 février 2012, nº 11463/09.
635
DENIZEAU (C): op.cit p196.
636
CEDH arrêt du 22 mai 2003 Kyrtatos c/Grèce nº 41666/98 ; arrêt de grande chambre Hatton et autres c/
Royaume Uni du 8 juillet 2003, nº 36022/97

332
L’avenir des Droits fondamentaux

prévoit le droit au respect de la vie privée et familiale ou l’article 2 qui prévoit le droit à la
vie, le droit à l’environnement viendrait en prolongement de ces droits. Ceci étant, il est à
préciser que l’article 8 de la Convention prévoit le droit pour chaque personne au « bien-être
économique du pays » qui justifie l’ingérence des pouvoirs publics, bien que ce ne soit pas un
motif permettant d’assurer la primauté intangible de considérations économiques sur le droit à
un environnement sain.637 « (…) comment opère le droit individuel à l’environnement d’un
côté, avec les contraintes économiques pesant sur la société de l’autre ? »638 A cette question,
la Cour s’inscrit dans une jurisprudence constante, en énonçant que seuls les États sont
compétents, pour définir ce qui est d’utilité publique en matière économique et sociale, dans
les arrêts Stec et autres c/ Royaume Uni du 12 avril 2006 et Carson et autres c/ Royaume Uni
du 16 mars 2010639, la Cour reconnaît ainsi une large marge d’appréciation aux États et ne
contrôle « qu’une erreur manifeste d’appréciation ».
Ce n’est qu’au niveau du seuil de gravité de l’atteinte aux droits environnementaux à charge
de respect par les États, que la Cour européenne justifie l’ingérence des pouvoirs publics, afin
de faire primer des considérations économiques sur le respect du droit à l’environnement. Par
conséquent, si l’atteinte au droit à l’environnement s’avère excessive du fait d’une activité
dangereuse, l’ingérence n’est alors pas justifiée, a contrario si l’atteinte est minime, les
considérations économiques peuvent primer. Le cas des usines polluantes a donné lieu à
beaucoup d’affaires devant la Cour et ce, malgré une motivation liée au maintien de
l’économie génératrice d’emplois. L’atteinte était tellement importante, au regard de
l’environnement en polluant de façon excessive, que la Cour a rejeté ces motivations. Le
développement économique est indifférent dans le cas d’une atteinte grave du fait d’une
activité dangereuse à l’environnement, dans ce cas, les atteintes à l’environnement ne peuvent
se justifier, c’est ce qu’il ressort de la majorité des arrêts de la Cour européenne. Il est

637
CEDH arrêt de grande chambre Hatton et autres c/ Royaume-Uni du 8 juillet 2003, n°36022/97, en
son paragraphe 86, la Cour précise que « Pour la Chambre, que l’on appréhendât l’affaire sous l’angle d’une
obligation positive ou sous l’angle d’une ingérence, il fallait avoir égard au juste équilibre à ménager entre
intérêts concurrents de l’individu et ceux de la société dans son ensemble. Dans les deux hypothèses, l’État
jouissait d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer les dispositions à prendre afin d’assurer le
respect de la Convention. ».
638
LANFRANCHI (M.P) « Droit à l’environnement et crise économique devant la Cour européenne des droits de
l’homme » in Les droits fondamentaux à l’épreuve de la crise économique et financière. Travaux issus de la
journée d’étude du 11 avril 2013 à la Faculté des Affaires Internationales de l’Université du Havre, sous la
direction de Vincent Tchen ; ed l’Harmattan, 2013, Paris, page 120.
639
CEDH arrêts Stec et autres c/ Royaume uni du 12 avril 2006 nº 65731/01 et Carson et autres c/ Royaume Uni
du 16 mars 2010 nº 42184/05.

333
Finances publiques et droits fondamentaux

nécessaire d’établir un lien de causalité entre l’activité polluante et l’atteinte au droit à la santé
ou à d’autres droits fondamentaux, tout au moins une probabilité sérieuse d’atteinte à la
santé.640 L’activité génératrice de pollution peut se manifester de différentes façons : pollution
des sols par des métaux lourds, aciéries, émanations nocives provenant d’une usine de
fertilisants (…). Dans ces cas, la pollution atteint un seuil de gravité tel qu’elle porte atteinte
aux droits des individus, notamment à celui de la santé.641 La Cour reconnaît l’importance du
droit à l’environnement au travers des articles 2 et 8 de la Convention, cependant elle est
consciente que la prévention des risques à charge des États est très onéreuse, et qu’en période
de crise économique et financière, il est ardu de leur imposer des obligations dans ce
domaine, ce qu’elle énonce dans l’arrêt Dubetska c/Ukraine du 10 février 2011. Dans son
arrêt Oneryildiz c/Turquie du 30 novembre 2004, la Cour reconnaît qu’« on ne saurait
imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, sans tenir compte notamment des
choix (…) en termes de priorités et de ressources ».
La Cour énonce ainsi, que le développement économique ne peut primer sur le droit à
l’environnement dès lors que les atteintes sont telles qu’elles atteignent des droits
fondamentaux propres à l’individu, et que les contraintes budgétaires inhérentes à la
prévention des risques environnementaux ne peuvent constituer des obligations positives
dirigées. Donc, dans un contexte de crise, le développement économique ne peut avoir
d’incidence au regard d’une pollution environnementale importante.
A contrario, si l’atteinte environnementale et par ricochet une atteinte aux articles 2 et 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme, n’a pas atteint ce seuil important de gravité, le
développement, ou le maintien de l’économie peut supplanter les droits individuels des
requérants642. Ce cas s’est retrouvé concernant les nuisances sonores imputables à une station
de transformateurs électriques. La Cour, dans un arrêt Ruano Morcuende c/ Espagne du 6
septembre 2005,643 après examen du but poursuivi par la commune, conclut à la recevabilité
de l’argument économique. En effet, cette installation visait au bien-être économique et social
des habitants de la commune. Les exigences liées à l’intérêt général, peuvent supplanter le

640
CEDH arrêts Guerra et autres c/ Italie du 9 février 1998, arrêt Tatar c/Roumanie du 27 janvier 2009.
641
CEDH arrêts Fadaïeva c/Russie du 9 juin 2005, Bacila c/ Roumanie du 30 mars 2010, Dubetska c/Ukraine du
10 février 2011, Giacomelli c/ Italie du 2 novembre 2006. Dans ces arrêts, l’activité polluante des usines ou
entreprises a occasionné une dégradation de l’état de santé des requérants ou des membres de leur famille.
642
LANFRANCHI (MP) : op.cit. 130.
643
CEDH arret Ruano Morcuende c/ Espagne du 6 septembre 2005

334
L’avenir des Droits fondamentaux

droit à l’environnement, si le degré du seuil de gravité n’est pas excessif, ce qu’impose la


Cour ; c’est le cas du complexe sidérurgique Ilva, une aciérie génératrice d’emplois, mais
ayant un impact négatif sur l’environnement.
La Cour a une jurisprudence constante concernant le droit à l’environnement, par conséquent
les effets de la crise n’ont pas d’incidences majeures sur le raisonnement intrinsèque de la
Cour. Son impact se fait plutôt sentir au niveau des obligations des États en matière de
prévention des risques environnementaux, du fait d’arbitrages budgétaires prioritaires. Peut-
on envisager que la crise économique permettra de passer outre le droit à l’environnement
afin de relancer l’économie ? À priori, en l’état actuel de la jurisprudence, il ne semble pas.

481 Un autre domaine est touché de plein fouet par la crise économique et financière, à
savoir : le droit à l’asile. En effet, face à la crise Dean Spielmann 644 énonce que : « nous
voyons apparaitre des attitudes d’intolérance et de rejet de l’autre. (…) En effet, ceux qui
sont le plus affectés par la crise sont les personnes vulnérables, les prisonniers, les migrants
qui ne sont pas accueillis avec enthousiasme (…). »645 La pauvreté, la misère, les régimes
politiques conduisent de nombreuses personnes à vouloir se réfugier en Europe. Or, la crise
économique qui frappe les États européens entraine des difficultés d’accueil des migrants.
Cela, alors qu’au terme du règlement n°343/2003 du 18 février 2003, il est prévu que tous les
États peuvent et doivent assurer les demandes de protection des demandeurs d’asile ainsi que
les droits afférents à l’octroi de cette protection. Cependant, les effets de la crise se
répercutent sur la capacité des États à les accueillir. Dans une affaire très importante M.S.S c/
Belgique et Grèce du 21 janvier 2011, la Cour a été confrontée au problème de l’afflux de
migrants et à la difficulté des États d’assurer l’accueil de ces personnes du fait de restrictions
budgétaires. L’inaction des pouvoirs publics à l’égard du demandeur d’asile s’est traduite en
une violation de l’article 3 de la Convention. En l’espèce, le demandeur d’asile en l’absence
de prise en charge par l’État d’accueil, s’est trouvé dans la rue, sans ressources ni moyens
minimums de subsistance et sans espoir de voir sa situation évoluer. La Cour a conclu à une
violation de l’article 3 de la Convention, car l’État par son inaction a infligé un traitement
« humiliant, témoignant d’un manque de respect pour sa dignité et que cette situation avait

644
Dean Spielmann est Président de la Cour européenne des droits de l’homme.
645
Actes du séminaire du 25 janvier 2013, dialogue entre juges 2013, « la mise en œuvre de la Convention
européenne des droits de l’homme en période de crise économique », Cour européenne des droits de l’homme
site :www.echr.coe.int

335
Finances publiques et droits fondamentaux

suscité chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à conduire au
désespoir »646
La Cour a intégré la situation économique, mais ne peut infléchir sa jurisprudence dans le
sens d’un schéma de tolérance face aux violations de l’article 3. Elle énonce clairement dans
son arrêt Hirsi Jamaa et autres c/ Italie du 23 février 2012,647 que : le « caractère absolu des
droits garantis par l’article 3, ne saurait exonérer un État de ses obligations au regard de
cette disposition. ».Bien que dans cette affaire, la Cour reconnait que le contexte de crise
économique, ainsi que les changements politiques de certaines régions d’Afrique amènent les
États à faire face à un flux de migrants plus important, en plus de la difficulté à assumer leurs
obligations positives dans ce domaine.648

2° Une prise en compte en amont des difficultés budgétaires

482 La Cour européenne prend en compte l’impact économique et financier en amont, ce


que nous avons pu constater dans le cas de la Grèce. En effet, dans un arrêt du 1er mars 2010,
la Cour avait, préalablement au rendu de sa décision, demandé au Gouvernement français de
surseoir à statuer sur un renvoi d’un demandeur d’asile en provenance du Soudan vers la
Grèce. En effet, « en 2009, 88 % des candidats à l’asile sont entrés ainsi dans l’Union
européenne par ce pays qui n’était alors pas en mesure de financer des structures d’accueil,
le temps de l’examen de la demande de protection. »649
La Cour européenne des droits de l’homme, en reconnaissant les obligations positives des
États, quant aux actions à mettre en œuvre afin d’assurer un niveau de protection des droits
fondamentaux, intègre le coût mis à leur charge. La nécessité de réaliser des compromis est
évidente, pourtant, cela ne peut conduire la Cour à s’engager dans une politique de tolérance
extrême qui conduirait à l’abaissement du seuil de protection et annihilerait les efforts
entrepris jusqu’à présent quant à leur sauvegarde et à leur élévation. Par ces décisions, elle
incite les États à ne pas se dépendre de la protection des droits fondamentaux, caractéristique
de tout État démocratique, pour des raisons financières qui sont des données int égrées

646
CEDH arrêt M.S.S c/ Belgique et Grèce du 21 janvier 2011.
647
CEDH arrêt Hirsi Jamaa et autres c/ Italie du 23 février 2012.
648
Actes du séminaire du 25 janvier 2013 op.cit. p 28.
649
TCHEN (V): Les droits fondamentaux à l’épreuve de la crise économique et financière. Travaux issus de la
journée d’étude du 11 avril 2013 à la Faculté des Affaires Internationales de l’Université du Havre, sous la
direction de Vincent Tchen ; ed l’Harmattan, 2013, Paris, p18.

336
L’avenir des Droits fondamentaux

forcément en amont. La primauté doit être réservée aux droits fondamentaux et afin de ne pas
subir de condamnations, ils doivent tout entreprendre et réaliser des choix en matière de
politiques publiques propres à assurer en priorité ces droits.

483 Les droits fondamentaux peuvent-ils constituer un moyen de lutter contre la crise
économique et financière ? Leur caractère, intrinsèque à l’Homme peut-il jouir d’une autarcie
non en prise à des considérations économiques et financières ? Tels seront les thèmes que
nous aborderons dans la section suivante.

SECTION 2 : La doctrine naturaliste des droits de l’Homme


peut-elle survivre à la crise ?

484 « Le Droit naturel est, selon la définition qu'en donnent les partisans de cette notion,
l'ensemble des droits que tous les humains sont supposés posséder possèdent en raison de
leur commune nature, et abstraction faite de toute institution conventionnelle. Ce sont tous les
droits qui naissent avec nous, et ceux qui résultent du développement nécessaire et légitime
de nos facultés, indépendamment de toute convention sociale. Ils sont inviolables,
indépendants des temps et des lieux, et servent de base à tout Droit écrit. Imprescriptibles et
inaliénables, il n'est au pouvoir de personne de nous en dépouiller. »650
Cette définition du droit naturel qui réalise in extenso la vision globale de la doctrine
naturaliste, nous invite à nous interroger sur la possible autarcie de cette doctrine (I.) mais à
établir un constat que tous les droits ont un coût (II).

I. L’AUTARCIE DE LA DOCTRINE NATURALISTE ?

485 Les doctrines modernes du droit naturel ne sont pas homogènes comme nous avons pu
l’étudier dans la première partie. Des visions différentes s’affrontent malgré un socle commun
qui est la « nature ».Pour schématiser, un premier courant voit dans le droit naturel le primat
de la loi objective, un autre l’ontologie de la subjectivité. Les droits fondamentaux considérés

650
Imago Mundi, encyclopédie gratuite en ligne, http://www.cosmovisions.com/droitNaturel.htm

337
Finances publiques et droits fondamentaux

en tant que droits naturels sont-ils constitutifs d’une doctrine indépendante de l’État ? (A), s’il
y a autarcie, c’est une autarcie relative des droits fondamentaux (B)

A. Une doctrine indépendante de l’État au sens strict ?

486 Dans son œuvre De jure belli ac pacis de Grotius, le droit naturel est défini comme
émanant de la droite raison, qui permet de juger de la « nature » de l’acte ; le paradigme de
cette doctrine étant la nature rationnelle. La sociabilité naturelle de l’homme permet sa vie en
communauté. Le rapport à soi, dans sa raisonnabilité, est consubstantiel de l’existence de ses
droits naturels individuels. Le droit est ontologique de l’Homme et c’est en respectant cette
faculté propre à chaque Homme en tant qu’Homme que la communauté est possible. Ainsi,
les droits fondamentaux seraient des droits naturels, car ils découlent de la nature même de
l’Homme651. Pour Hobbes, dans ses œuvres652, la sociabilité naturelle ne peut être à l’origine
de la conservation des droits naturels, car recouvrir les mêmes droits revient à ce que chacun
puisse avoir les mêmes desseins, dont celui de sa propre conservation qui induit de fait, la
possibilité d’anéantir l’autre et ces droits par la mort. C’est dans cette « crainte » respective
que chacun veille à sa propre conservation et se contraint à ne pas porter atteinte à l’autre.
C’est dans la recherche de la paix que les droits fondamentaux ne s’annihilent pas.

487 Pour Hobbes653, l’observance de ces droits ne peut être acquise que par la présence
d’un tiers qui induit ce respect, ainsi l’État se pose comme garant de ces droits qu’il n’octroie
pas, mais pour les droits individuels, en permet l’exercice, en veillant au seul respect de ces
règles. La sociabilité n’est donc pas l’instrument de la propre conservation par l’Homme de
ses droits, selon Hobbes. Ce que réfute le baron de Pufendorf, quand il énonce que ce n’est
pas que par la sociabilité non commandée par la droite raison, comme l’énonce Grotius, mais
aussi par celle qui fait l’objet d’un équilibre avec l’amour de soi, car elle correspond à la
nature humaine ; celui qui se réalise au regard des autres, touche la« finalité » de l’humain,
sachant que le fondement de ces droits individuels est d’essence divine pour lui.

651
Dictionnaire des droits de l’homme, sous la direction de Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Hélène
GAUDIN, Jean-Pierre MANGUENAUD, Stéphane RIALS, Frédéric SUDRE ; PUF, Paris, 1ère éd, octobre
2008, coll. quadrige, p 313 à 318.
652
Éléments of Law, le Leviathan, De Cive, œuvres citées par : Dictionnaire des droits de l’homme, op.cit, p
314.
653
Ibid.

338
L’avenir des Droits fondamentaux

488 Rousseau quant à lui, n’oppose pas ces deux conceptions qui ne sont pour lui
qu’induites par la mise en place de la société et non-antérieures. Dans son œuvre : Du contrat
social654, il énonce que l’Homme opère un transfert volontaire au profit des lois de ses droits
naturels, afin de ne plus dépendre des hommes. Ainsi, ses droits naturels lui sont conférés
doublement par sa nature propre et « par le corps politique dont il devient une partie
indivisible par un pacte d’association. »655

489 De l’hétérogénéité de ces conceptions, toutes se retrouvent en un point qui est celui
des droits inhérents à l’Homme en tant qu’Homme. Or, la conception naturaliste prise en son
ensemble évoque les droits de l’Homme en ce que nous qualifions aujourd’hui de droits-
libertés. De fait les droits-créances, en ce qu’ils sont conférés essentiellement par l’État, ne
peuvent constituer des droits « naturels » au sens des conceptions naturalistes sus-énoncées.
Les droits-libertés, droits subjectifs, ne nécessitent pas en tant que droits de statut négatif,
l’intervention de l’État, mais son abstention, seraient-ils selon la conception naturaliste être
imperméables à la crise ? (1) Peuvent-ils constituer un moyen de lutter contre la crise ?(2)

1° Une nature imperméable à la crise

490 Parce que les droits subjectifs sont consubstantiels de la nature de l’homme selon la
doctrine naturaliste, les droits dits « objectifs » sont ipso facto, des droits artificiels, si l’on
suit le raisonnement de cette doctrine.
Ainsi, positivement les droits-créances sont des droits hiérarchiquement égaux aux droits-
libertés. Il ne fait nul doute que ces droits sont les premiers à être touchés par la crise
économique et financière, car, comme nous l’avons évoqué plus en amont, ils nécessitent un
financement important de l’État. Nous n’évoquerons pas les droits-créances car ils ne sont pas
évoqués par la doctrine naturaliste comme des droits naturels, préexistants à l’homme en tant
qu’homme. Ne seront donc abordés que les droits-libertés selon la doctrine naturaliste. Ces
droits, pour les naturalistes, sont naturels et préexistants à l’État, donc ils existent en dehors
de l’État qui ne fait que veiller, tel un arbitre, à ce que les règles qui opèrent l’équilibre entre
ces droits individuels, soient respectées par tout un chacun, afin de ne pas empiéter sur la

654
ROUSSEAU (J.J) : Du contrat social ou principes du droit politique, chapitre IX « du domaine du réel », éd
de 1762, orthographe numérisée par Pierre Perroud, site www.ATHENA.unige.ch
655
Elements of Law, le Leviathan: opcit p317-318.

339
Finances publiques et droits fondamentaux

liberté d’autrui, auquel cas, il serait privé de sa liberté. Les droits de l’Homme au sens de
droits-libertés, sont, selon cette doctrine, totalement étrangers à l’État, tant dans leur existence
que dans leur effectivité, si ce n’est pour maintenir un équilibre entre ces droits. La question
économique ou plutôt financière de ces droits n’a pas lieu d’être car ces droits contrairement
aux droits-créances ne sont pas des droits conditionnés, mais sont naturels ; c'est-à-dire qu’ils
existaient à l’état naturel, sans financement si l’on raisonne en ce sens. Cependant, la majorité
des naturalistes s’accordent sur le nécessaire passage de la nature à la société organisée, afin
de veiller au respect de ces droits qui dans un état naturel n’existeraient que pour les plus
forts, d’où le passage de la dépendance à l’égard des hommes à la dépendance à l’égard des
lois, selon Rousseau et Hobbes.
Cependant, ce passage de l’état de nature à celui de société, n’implique-t-il pas un
appareillage susceptible également d’être en proie à la crise économique et financière ?

491 Comme l’énonce à juste titre Lauri Mälksoo 656 « si l’on adopte une approche de droit
naturel aux droits de l’homme, les difficultés économiques devraient avoir peu à faire avec la
sauvegarde de ces droits, qui sont universels et inconditionnels (…) Finalement, il est
possible que le haut niveau de protection des droits fondamentaux en Europe soit lié au fait
que l’Europe est relativement riche et prospère. Ou le contraire peut aussi être vrai : il se
peut que l’Europe se soit enrichie parce qu’elle préserve les libertés et droits
fondamentaux. »
La question qui se pose ici est de savoir selon cette énonciation, si les droits fondamentaux
sont protégés, car les ressources financières le permettent, ou si ce sont les droits
fondamentaux qui ont permis cette Europe ? Ipso facto, une autre question se pose : les droits
fondamentaux dans leur pan droits-libertés sont-ils des droits réellement inconditionnels ?

492 Les droits-libertés sont des droits inconditionnels, selon la doctrine naturaliste en ce
sens qu’ils appartiennent à l’Homme en tant qu’Homme, ils sont intrinsèques à sa nature.
Ainsi, ils ne peuvent souffrir d’aucune limitation, si ce n’est le respect des droits d’autrui ; ils
ne sont soumis à aucune condition, car ils préexistent avant tout autre forme ou organisation.
L’insuffisance des ressources financières ne peut alors justifier leur limitation. Si la doctrine
naturaliste voit dans ces droits, des droits inconditionnels, cette inconditionnalité serait

656
Actes du séminaire du 25 janvier 2013 op.cit. p21

340
L’avenir des Droits fondamentaux

acquise au regard tant de leur existence que de leur effectivité. Or l’effectivité n’est-elle pas
conditionnée ?
Selon la doctrine naturaliste, l’État veille à l’application des droits-libertés dont il n’est pas le
débiteur, mais l’arbitre. Il ne les concède pas et veille seulement à ce qu’ils soient assurés
pour chaque citoyen. Si l’on considère, à titre d’exemple, le respect de la dignité humaine, la
liberté d’expression et d’opinion, le respect des droits de la défense, ces droits ne peuvent
souffrir d’aucune limitation, du moins, leur niveau de garantie est tel qu’il ne peut les vider de
leur substance. Or, quelque part, ne sont-ils pas des droits conditionnés financièrement ? Julia
Laffranque657 énonce, à l’occasion de l’audience solennelle de la Cour Européenne des droits
de l’Homme à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire : « il convient de souligner que
la crise économique menace non seulement les droits économiques, sociaux et culturels, mais
aussi les droits civils et politiques. »

493 La Cour européenne des droits de l’homme, au-delà des doctrines naturalistes et
positivistes, a pour objectif de maintenir un niveau élevé de protection des droits
fondamentaux. Elle a énoncé à plusieurs reprises que le niveau de ressources des États, même
considéré comme insuffisant, ne doit pas avoir pour effet de justifier la non-garantie des droits
658
de l’Homme, notamment des droits-libertés. Dans le domaine des droits-libertés, il est
exclu que les États ne satisfassent pas à ces droits, c’est certainement une des raisons pour
lesquelles la Cour ne prend pas en compte le niveau de ressources spécifiques à un État pour
justifier de quelconque dérogation à la garantie des droits.
Inversement les droits fondamentaux ne constituent-ils pas un rempart aux effets de la crise ?

2° Les droits-libertés: des droits non affectés par la crise ? Un moyen de lutter
contre ses effets ?

494 Les droits fondamentaux pourraient-ils contrer les effets de la crise économique et
financière ?

657
Idem p7.
658
CEDH : arrêt Bourdov c/ Russie, la Cour énonce que seules des circonstances exceptionnelles caractérisées
par des situations économiques et financières dans lesquelles se trouvent certains États justifie une politique
économique et sociale abaissant le niveau de certaines prestations. Donc la Cour tolère cela concernant les droits
créances or, dans des circonstances particulières.

341
Finances publiques et droits fondamentaux

Cette question paraît surprenante tant la doctrine a pu se pencher sur les atteintes portées aux
droits par la crise économique et financière. Pourtant, ces droits indépendants de la société, au
sens naturaliste du terme, c'est-à-dire existants, indépendamment de celle-ci, ne devraient
subir aucun effet de cette crise, puisque non accordés par l’État, seulement transmis. À ce
titre, en supposant qu’ils ne sont pas affectés par la crise, puisqu’autarciques, ils pourraient
lutter contrer les effets de la crise en n’étant pas touchés et en étant primordiaux. En effet, ce
sont des droits qui ne nécessitent pas une intervention positive de l’État, donc des droits qui
peuvent moins subir les effets de la crise, ce n’est que parce qu’ils sont positivés et donc
juridiquement obligatoires qu’ils constituent des obligations positives à la charge des États qui
doivent en assurer le respect. Cependant, le constat de Julia Laffranque, juge à la Cour
européenne des droits de l’homme est sans équivoque, elle énonce que la crise économique et
financière menace tant les droits économiques et sociaux en leur partie droits-créances, que
les droits civils et politiques.659

495 Le constat tiré de l’impact de la crise est que celle-ci touche les droits fondamentaux
en deux temps ; tout d’abord, elle a des répercussions immédiates sur les droits-créances, car
comme prouvé plus en amont, ces droits sont touchés directement par la crise, car ce sont des
prestations positives, pécuniaires accordées par l’État ; en période de crise, ils sont les
premiers à être visés. Dans un second temps, les droits civils et politiques, dits droits de la
première génération, sont également touchés, de façon médiate. En touchant les droits-
créances, des situations de pauvreté voire d’extrême pauvreté émergent, car les États ne
peuvent subvenir à certains besoins matériels comme en périodes plus prospères, d’où la
survenue d’atteintes à des droits-libertés. C’est le cas des traitements inhumains et dégradants
dans les prisons, à ce titre un arrêt de la Cour européenne Torreggiani et autres c/ Italie du 8
janvier 2013660, révèle que la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits
de l’homme est caractérisée par un surpeuplement carcéral dans les prisons italiennes et, que
ce problème structurel et systémique est lié à la déclaration de l’État d’urgence en Italie, en
2010.
Sont ainsi relevées, également des atteintes à la dignité humaine, concernant les personnes
sans logement ou dans des situations de pauvreté extrême, au droit à un recours effectif (…).

659
Idem. p7.
660
CEDH arrêt Torreggiani et autres c/ Italie du 8 janvier 2013.

342
L’avenir des Droits fondamentaux

Ces droits ne peuvent, semble-t-il, relancer l’activité économique, néanmoins il n’est pas
concevable, à tous points de vue, de laisser s’installer des situations de pauvreté extrême qui
ne feraient qu’aggraver les conséquences de la crise, ainsi, il s’avère nécessaire, d’intégrer les
droits sociaux en créant une catégorie universelle au sens où il n’y aurait pas de hiérarchie
entre les droits afin qu’ils ne soient pas des droits à « la carte » et que ces derniers soient
applicables en tout pays, afin de pouvoir constituer un rempart contre la crise.

496 L’universalité des droits revient alors comme moyen de lutte contre la crise. Le Haut
Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies a énoncé que « les États ne peuvent
s’exonérer de leur obligation de faire respecter les droits humains civils, culturels,
économiques, politiques, sociaux, ni leur apporter des restrictions en temps de crise. C’est au
contraire en intégrant pleinement les principes et les normes en matière de droits de l’homme
dans leur ordre juridique ainsi que dans leurs pratiques que les gouvernements pourront
répondre de manière réellement durable au ralentissement de l’activité économique (…) ». 661
Ce n’est qu’en intégrant une idée d’universalité des droits fondamentaux, que les États
seraient contraints, en premier lieu, de respecter et de faire respecter les droits fondamentaux.
Les choix budgétaires devraient alors s’orienter prioritairement, vers le respect des droits
fondamentaux pris dans leur universalité. Les habilitations à agir pourraient permettre, selon
certains auteurs,662 de relancer l’activité économique ou tout au moins, de lutter contre les
effets de la crise, en maintenant un certain niveau de prestations, afin de ne pas aggraver la
situation par un effet de dominos. Ces habilitations à agir au profit du législateur lui
permettent de réaliser certaines politiques publiques en vue de favoriser l’emploi, le logement,
sans contrôle des motifs par le Conseil constitutionnel, si ce n’est que certains droits
fondamentaux ne soient pas atteints au point d’être dénaturés ; parallèlement, la politique
mise en œuvre doit répondre à une nécessité publique, largement comprise. Or, la mise en
œuvre de politiques publiques visant à maintenir l’emploi ou à en favoriser le recours, ainsi
que celles visant au logement ou au maintien d’un certain niveau d’indemnisation sont des

661
Déclaration de Mme Navanethem Pillay à la Conférence de haut niveau sur les crises financières et mondiales
et leur incidence sur le développement tenue par l’Assemblée générale le 18 juin 2009, www.unhchr.ch
document cité par Julia Laffranque in Actes du séminaire du 25 janvier 2013, dialogue entre juges 2013, « la
mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’homme en période de crise économique », Cour
européenne des droits de l’homme site :www.echr.coe.int. P 6.
662
TCHEN (V): Les droits fondamentaux à l’épreuve de la crise économique et financière. Travaux issus de la
journée d’étude du 11 avril 2013 à la Faculté des Affaires Internationales de l’Université du Havre, sous la
direction de Vincent Tchen ; ed l’Harmattan, 2013, Paris, p 25.

343
Finances publiques et droits fondamentaux

politiques coûteuses qui doivent nécessairement engager des finances publiques. En période
de récession, un État se doit prioritairement d’assumer ses obligations positives intrinsèques à
la garantie des droits fondamentaux, suivant l’état des finances propres à chaque pays ; il n’est
pas assuré que ces politiques soient réalisables. Par conséquent, il s’agit plus de maintenir et
garantir un niveau de protection élevé des droits fondamentaux dans leur ensemble, que de
tenter d’en faire des instruments de lutte contre la crise.

497 Au niveau du droit international, le constat est similaire : le seul moyen de pallier la
crise serait de « réaffirmer le caractère universel des droits de l’Homme », comme l’énonce le
rapport d’information qui fait état de l’action du Conseil de l’Europe dans ce sens. 663 Ce
principe est à la base de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, comme
l’énonce le rapport, le contexte mondial en proie à la crise économique, pourrait remettre en
cause cette universalité en allant vers un déni ou une remise en cause de ces droits. Ce n’est
qu’en réalisant une universalité des droits de l’Homme, entendue comme un socle commun de
libertés pour tous les hommes, en tous lieux et en tout temps que leurs atteintes seront
limitées. Ce principe d’universalité n’emporte pas une uniformisation, les spécificités
culturelles, traditionnelles, religieuses doivent cohabiter avec ce socle commun des droits de
l’Homme sans justifier une quelconque dérogation à leur garantie. Le constat établi dans ce
rapport fait état de plusieurs menaces dues à la crise, montée des extrémismes, de
l’intégrisme, induisant des discriminations dues à l’intolérance exacerbée prônant les
différences comme facteurs de la crise. Ces réactions induisent un repli de certaines
populations sur elles-mêmes. Alors que la CEDH établit le socle commun des droits
fondamentaux sans stigmatiser les différences culturelles, religieuses (…) de même la DUDH,
qui fait de la dignité humaine, le fondement « de la liberté, de la justice et de la paix dans le
monde »664. L’universalité des droits de l’Homme se pose alors comme une garantie de leur
survie permettant « un vivre ensemble ». La crise économique a des répercussions sur les
populations, surtout les plus pauvres ; le rapport met au premier rang ce principe
d’universalité, afin que les Droits ne soient pas un privilège de quelques-uns, mais des droits
pour tous.

663
Rapport d’information établit par M Denis Badré, Commission des questions politiques sur le thème
« réaffirmer le caractère universel des droits de l’homme », 15 novembre 2011, site : http://assembly.coe.int
664
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, considérant n°1, site : www.textes.justice.gouv.fr

344
L’avenir des Droits fondamentaux

L’universalité doit être promue dans chaque ordre juridique étatique, afin que tous les droits
soient érigés en obligation première. Aucune dérogation ne doit être apportée, si ce n’est pour
concilier des droits entre eux. Cela paraît être le seul moyen de garantir les droits
fondamentaux dans leur ensemble et d’éviter une trop grande perméabilité à la crise
économique et financière.
Cette solution, et aspiration se traduit par le constat tiré de « l’expérience » grecque où tous
les droits semblent être touchés par la crise économique et démontre ainsi leur fragilité.
Force est de constater que les droits-libertés sont également des droits touchés par la crise par
effet rebond. Ainsi, l’imbrication entre les finances publiques et les droits fondamentaux se
révèle flagrante en cette période grave crise, ce qui nous amène vers une conception relative
de l’autarcie des droits fondamentaux pris dans leur ensemble, notamment à l’examen de la
situation de la Grèce.

B. Une autarcie relative des droits fondamentaux

498 Le cas grec, État le plus touché par la crise économique et financière, nous démontre
l’imbrication des finances publiques et des droits fondamentaux. Cela nous délivre des
enseignements majeurs sur l’avenir des droits, face à la récession, sachant que cette situation
peut toucher tous les États, si la crise s’aggrave.

1° L’exemple grec ou la pénurie budgétaire met à mal les droits fondamentaux

499 Une politique d’austérité a dû être mise en place, afin de faire face à l’ampleur de la
crise, la Grèce a frôlé la faillite tout comme l’Espagne, c’est grâce à l’injection de capitaux de
l’Union européenne que ces deux États n’ont pas atteint la banqueroute. 665
Plus de 90 % des violations à la Convention européenne des droits de l’homme par la Grèce
trouvent leur origine dans l’absence de moyens financiers. Ioannis Sarmas, membre de la
Cour européenne des droits de l’homme, énonce666 « l’expérience grecque nous enseigne en
effet qu’un pays en crise économique ne peut être considéré comme disposant d’un fonds
inépuisable de ressources pour remplir toute obligation financière éventuelle relative aux

665
DENIZEAU (C) : op.cit
666
SARMAS (I) : « Appliquer la Convention européenne des droits de l’homme en temps de crise économique »
p 2, site :www.echr.coe.int

345
Finances publiques et droits fondamentaux

droits de l’homme ». La Grèce fait partie des principaux pays sur la liste des condamnations
de la Cour européenne en enregistrant un nombre de violations à la Convention conséquent.
La majorité des violations concerne : le dépassement de la durée de la procédure
juridictionnelle, le droit à un procès équitable, le droit à un recours effectif pour la protection
des droits garantis par la Convention, le droit de propriété, les traitements inhumains et
dégradants. Parmi les causes de ces violations, deux principales se retrouvent, à savoir : la
pénurie budgétaire et la rigidité des institutions juridictionnelles. Concernant cette dernière, il
y la structuration du système par un nombre de procès conséquent, la présence de magistrats
de carrière, une place particulière de l’État dans les procès avec les particuliers, le fisc ayant
une autorité presque supérieure à celle des magistrats, car il peut décider d’appliquer ou non
une décision de justice le concernant.667 À cela, s’ajoute à la pénurie budgétaire. « Le budget
de l’État grec en 2009 était de 125 milliards d’euros auquel il en manquait 37 »668, le
rétablissement des finances passait par une augmentation des impositions et une baisse des
dépenses. La baisse des dépenses s’est réalisée sur les dépenses sociales, sur l’emploi, les
capitaux se sont déplacés et la récession aggravée. La Grèce s’est retrouvée dans une situation
problématique en ne pouvant faire droit aux prétentions en matière de droits-créances au
regard de leurs titulaires entrainant des recours devant les tribunaux et notamment devant la
Cour européenne des droits de l’homme, cela faute de ressources. Les droits libertés furent
touchés de façon médiate, car la réduction des prestations ou la mise en place d’impositions
nouvelles a donné lieu à des recours sur la base de la dignité humaine au regard de la
diminution des salaires et pensions, de l’égalité au regard de l’impôt et du droit de propriété.
Aucune dépense publique supplémentaire ne pouvait être supportée par l’État grec. En 2014,
le Parlement grec a adopté un budget669 dans cette lignée, malgré une hausse des recettes de
2,1 milliards d’euros, du fait de la mise en œuvre d’une pression fiscale plus importante et de
3,1 milliards d’euros de baisse de dépenses au détriment de droits-créances notamment dans
le secteur de la santé, de l’éducation et de la sécurité matérielle. L’Europe et le Fonds
monétaire international ont octroyé à la Grèce, depuis 2010, environ 240 milliards de prêts.

667
SARMAS (I) : « Spécificités nationales : le cas grec », Les Petites affiches, 22 décembre 2010, nº 254, p 44
et suiv.
668
SARMAS (I) : “Appliquer la Convention européenne des droits de l’homme en temps de crise économique »
p 2. Site : www.echr.coe.int
669
Le Monde.fr « Le Parlement grec adopte un budget de rigueur pour 2014 » Mis à jour le 10.12.2013

346
L’avenir des Droits fondamentaux

500 La Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et la Commission


européenne dénommés la « Troïka » et sont les créanciers publics des États, ont décidé
d’octroyer, de nouveau, des aides à la Grèce, à hauteur de 8,5 milliards d’euros. Tout en étant
d’avis que cette dernière atteindra ses objectifs en 2014 ; ils ont estimé que « L'économie
grecque a commencé à se stabiliser et la croissance devrait reprendre progressivement ».670
L’estimation d’un excédent primaire à hauteur de 3% pour 2015, est envisagée au vue des
réformes structurelles engagées par la Grèce.
Vu la situation financière, la Grèce ne peut réformer ses institutions et se trouve dans une
situation inextricable au niveau de la garantie des droits fondamentaux. Elle doit viser en
premier lieu à rétablir un équilibre budgétaire.
Deux exemples sont particulièrement frappants concernant des atteintes aux droits
fondamentaux dues en amont à la pénurie budgétaire, cela concerne en outre le droit de
propriété et le droit d’asile. Le droit premier porte sur l’impossibilité des autorités publiques à
procéder à des expropriations, opérant de fait un gel de ces propriétés pendant des années,
sans réparation 671; conséquence de l’absence de ressources publiques, de même pour la
dévalorisation des terrains à bâtir, sans réparation encore, pour leurs titulaires.672

501 Parmi les atteintes relevées par la Cour européenne aux droits de l’homme, le droit
d’asile a été pris en compte à la lumière de la pénurie budgétaire de la Grèce ; la plupart des
demandeurs d’asile transitaient par la Grèce en premier lieu, selon le Règlement européen n°
343/2003 du 18 février 2003 dit « Dublin II » prévoyant que les pays constituants les portes
d’entrée en Europe sont la Grèce et Malte, à ce titre ces pays doivent accomplir les formalités
relatives à l’examen des demandes d’asile, ces deux pays sont dénommés « États
responsables ». Or, la situation financière de la Grèce ne permettait pas le financement de
structures d’accueil des demandeurs, afin que leurs dossiers, visant à leur accorder une
protection, soient examinés. La Cour, consciente des violations pouvant être perpétrées à
l’encontre des droits fondamentaux, a pris le contrepied en anticipant une éventuelle violation
à l’interdiction des peines et traitements inhumains et dégradants notamment, en demandant

670
Le Monde.fr « la Troïka estime que la Grèce atteindra ses objectifs budgétaires en 2014 » du 19.03.2014
671
CEDH arrêt Konstantina BIBI et Georgia BIBI c/ Grèce du 4 mars 2010. En l’espèce, les requérantes en autre
sollicitaient une indemnité pour la perte de l’usage de leur propriété depuis 1979 ainsi qu’une réévaluation de
l’indemnité d’expropriation
672
CEDH arrêt Anonymos Touristiki Etairia Xenodocheia Kritis c/ Grèce, du 21 février 2008.

347
Finances publiques et droits fondamentaux

au Gouvernement français, le temps d’examen du dossier, de surseoir au renvoi du requérant


vers la Grèce, ce que la France avait toujours refusé, mais fini par accepter sous la pression de
la Cour européenne673.
La période de récession, ainsi que l’afflux massif de demandeurs d’asile, a mis en lumière
l’incapacité de la Grèce à assurer le respect des droits fondamentaux. Ainsi, la Cour a pris
cette décision de faire pression en amont, dans un souci de prévention.674. La Cour de justice
de l’Union européenne rappelle, également, dans un arrêt rendu en Grande Chambre du 21
675
décembre 2011, où elle réunit deux affaires, que : « il appartient aux États membres,
juridictions nationales comprises, de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’État
membre responsable au sens du Règlement Dublin, lorsqu’ils ne peuvent ignorer que cet État
n’est pas en mesure, en raison de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les
conditions d’accueil, de prendre en charge le demandeur d’asile sans lui faire courir le
risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. »

502 La Cour de justice de l’Union européenne a pris en compte les considérants du célèbre
arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 21 janvier 2011 MSS c/ Belgique et
Grèce676 qui retrace concrètement, la crise financière à laquelle fait face la Grèce, l’inaction
des autorités publiques occasionnant de fait une atteinte à l’article 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme, concernant un demandeur d’asile.
Par conséquent la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de
l’homme, œuvrent en amont afin de pallier d’éventuelles violations des droits fondamentaux
en matière de demandes d’asile.

673
« Débat sur l’avenir des politiques de la DG affaires intérieures : une Europe ouverte et sûre- quel avenir ? »
fédération internationale de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la Torture, Bruxelles le 10 janvier 2014, 17
pages. Site : ec.europa.eu
674
CE : Min. Immigration du 1er mars 2010 nº 336857.
675
CJUE : arrêt rendu en Grande Chambre NS c SSHD et MEea du 21 décembre 2011 C-411/10 dans cette
affaire, il y avait une question préjudicielle posée sur l’interprétation à donner à la clause de souveraineté
figurant dans le règlement « Dublin »et C-493/10. www.dublin-project.eu
676
CEDH arrêt MSS c/ Belgique et Grèce du 21 janvier 2011n °30696/09.

348
L’avenir des Droits fondamentaux

II. TOUS LES DROITS ONT UN COÛT

503 La situation économique impacte les droits fondamentaux. Les droits ne peuvent se
dépendre des finances ce qui nécessite leur prise en compte à ce niveau ; (A) que ce soit dans
leur mise en œuvre ou afin d’assurer leur protection, ce qui se répercute aussi sur l’exécution
des décisions de justice (B).

A. La prise en compte financière des droits

504 Cette thèse, selon laquelle tous les droits ont un coût, fut développée par deux auteurs
américains Stephen Holmes et Cass. R Sunstein (1). La prise en compte de la dimension
budgétaire des droits amène ces deux derniers à conclure que les droits fondamentaux ne
peuvent se réaliser selon une vision platonicienne ; de façon pratique, les droits fondamentaux
sont nécessairement pris en compte au niveau des Finances publiques des États, pour leur
réalisation, et la mise en place de services publics propres à en assurer l’effectivité (2)

1° The Cost of Rights677.

505 « Est-il nécessaire d’être riche, en tant que société et peut-être en tant qu’individu,
afin de préserver les droits de l’homme et d’en bénéficier ? » Tel est la question posée par
Lauri Mälksoo, lors du séminaire de la Cour européenne des droits de l’homme en 2013.678 Il
relate la situation économique de différents pays européens, qui furent considérés jusque-là
comme « prospères », et dont la pénurie budgétaire, plus ou moins marquée, a engendré une
forte baisse de la protection des droits. Cela s’étant traduit de prime abord, par une montée du
chômage, puis l’incapacité de certains États à assurer leurs obligations positives.
L’interdépendance des droits fondamentaux et de la contrainte budgétaire se révèle
indéniablement en cette période de récession.

506 La thèse, développée par Stephen Holmes et Cass R Sunstein est d’actualité puisqu’ ils
réfutent la dichotomie stricte, selon laquelle il y aurait d’une part des droits fortement

677 HOLMES(S) et SUNSTEIN (C.R): The Cost of Rights. Why Liberty Depends on Taxes, www. Norton and
Company, New York- Londres, 1999, 255 pages
678
Actes du séminaire du 25 janvier 2013 op.cit. intervention de Lauri Mälksoo, p17 et s.

349
Finances publiques et droits fondamentaux

marqués par l’interventionnisme étatique et des droits plus indépendants. Nous considérons
cette dichotomie comme réelle, or nous ne pouvons considérer que les droits négatifs sont
totalement exclus de toute contrainte budgétaire, ce qu’énoncent ces auteurs « tous les droits
ont un coût ». La lecture financière des droits fondamentaux recouvre deux aspects, le premier
est leur impact sur le budget étatique, leur coût, et d’autre part, la corrélation directe et
nécessaire quant à leur effectivité, avec les finances publiques disponibles dans un État, à une
période donnée. Tous les droits sont des droits positifs, au sens où tous les droits nécessitent
l’intervention de l’État selon Stephen Holmes et Cass R Sunstein : « sans l’intervention de
l’État, il n’y a plus de droits ».679 Les droits-libertés, dits droits négatifs, en opposés aux
droits positifs, ou du moins distincts, établissent une dichotomie juridique afin de définir
l’effort qui doit être entrepris par l’État pour les réaliser. En d’autres termes, juridiquement
cette dualité est comprise comme le degré d’implication d’un État à la réalisation des droits.
En effet, les droits dits positifs demandent une intervention étatique importante pour les
réaliser, c'est-à-dire les créer et en assurer l’effectivité. Les droits négatifs sont plus
indépendants financièrement de l’intervention étatique, dans la mesure où leur création ne
dépend pas de l’État, mais seulement l’assurance de leur protection effective.

507 Nous ne pouvons nier à ce titre, que tous les droits, négatifs et positifs, grèvent le
budget de l’État et qu’ils sont donc dépendants de celui-ci. Théoriquement cette dichotomie
existe à titre indicatif, en pratique elle ne peut se révéler juste. « La fiction conservatrice de
droits négatifs indemnes de toute intervention étatique et assurant la protection des citoyens
contre l’arbitraire des gouvernants ne résiste-t-elle pas à la démonstration apportée ici de
leur impact budgétaire ? »680 Des droits dépendants du budget de l’État, donc dépendants des
impositions concédées par le citoyen contribuable. Les auteurs démontrent que les droits-
libertés sont intrinsèquement liés à l’effort d’imposition consenti par les citoyens, et déclarent
de ce fait que :« la liberté dépend des impôts » selon le sous-titre de leur ouvrage.681. À cette
thèse, nous devons ajouter l’impact de la crise économique et financière mondiale et la
pénurie budgétaire qui en découle. Le ralentissement de l’activité économique grève les
budgets étatiques et met à mal les droits fondamentaux comme l’a énoncé Julia Laffranque

679
HOLMES(S) et SUNSTEIN (C.R): p 43.
680
HARNAY (S) : « Le discours sur les droits à l’épreuve de la contrainte budgétaire » Sociétal nº 27, décembre
1999 p128.
681
ibid

350
L’avenir des Droits fondamentaux

« s’il est vrai que la mise en place d’une protection effective des droits de l’homme est
coûteuse ; ces droits ne sont pas facultatifs. Leur caractère fondamental exclut que des
mesures de lutte contre la crise économique soient prises au détriment des règles minimums
posées par la Convention ».682 Dans l’ouvrage The Cost of Rights, Stephen Holmes et Cass. R
Sunstein, font référence à l’hypothèse qu’en présence de ressources limitées, tous les droits ne
peuvent être assurés efficacement : certains le seront au détriment d’autres. La revendication
des droits également a un coût, l’accès à la justice a un coût public et privé, le financement de
l’aide juridictionnelle, l’accès à un tribunal… tout ceci nécessite la mise en place de services
publics propres à assurer la mise en œuvre effective des droits fondamentaux, d’où un coût
non négligeable. L’administration et la justice nécessitent un financement public très
important, du point de vue matériel : l’occupation des locaux avec tout ce que cela emporte
comme dépenses, auxquelles s’ajoutent les dépenses relatives aux traitements et salaires des
fonctionnaires. Dans le domaine de la justice, cela est similaire, les magistrats, tout le
personnel des tribunaux, mais également les enquêtes qui nécessitent une forte mobilisation
de moyens matériels et humains, sans oublier le fonctionnement des établissements
pénitentiaires in fine.

508 Ainsi, recourir à un tribunal, afin de faire valoir son droit, a déjà un coût conséquent
en amont, outre l’accès à un juge, il y a auparavant une enquête, voire une protection accordée
par la force publique dans le cas où la personne requérante était menacée, puis le droit à un
procès équitable dans un délai raisonnable et le coût assorti à l’exécution de la décision de
justice. Indéniablement, le coût des obligations positives à la charge des États est conséquent.
La rareté entraine des choix, d’après l’ouvrage The Cost of Rights, qui sont en général réalisés
au détriment de certains droits considérés comme secondaires, un arbitrage est ainsi réalisé.

509 Nous pouvons constater cela au titre des condamnations dont font l’objet la Grèce,
mais également la France concernant des droits tels que ceux des demandeurs d’asile et ceux
des détenus entre autres. En effet, précédant les droits dont doivent jouir les demandeurs
d’asile, il doit y avoir un appareillage administratif propre à assurer un socle à l’octroi de ces

682
LAFFRANQUE (J) : Actes du séminaire du 25 janvier 2013, dialogue entre juges 2013, « la mise en œuvre
de la Convention européenne des droits de l’homme en période de crise économique », Cour européenne des
droits de l’homme site :www.echr.coe.int

351
Finances publiques et droits fondamentaux

droits ; la Grèce, comme nous l’avons évoqué supra, fut condamnée à ce titre. Les raisons
attenantes à ce manquement sont dues à des ressources insuffisantes.
Les droits des détenus sont également mis à mal, la France a fait l’objet de condamnations par
la Cour européenne en raison de conditions de détention contraires à l’article 3 de la
Convention. Cependant, le coût des établissements pénitentiaires et ceux afférents à la
détention sont conséquents683. Ces deux types de droits liés au droit à des conditions de
détention et de vie décentes concernent deux catégories de population marginalisées.
L’arbitrage se ferait à leur détriment, si l’on dresse le constat des violations à la Convention
européenne des droits de l’homme.

510 Au titre de la relation intrinsèque des droits fondamentaux et des finances, nous
pouvons mentionner l’existence du fonds fiduciaire pour les droits de l’homme.

2° Le fonds fiduciaire pour les droits de l’homme

511 La création du fonds fiduciaire pour les droits de l’homme date de 2008 684. En sont
initiateurs, la Norvège fondatrice, avec le Conseil de l’Europe et la Banque de développement
du Conseil de l’Europe. Cet instrument témoigne de l’interdépendance des droits
fondamentaux et des finances. Ce fonds fut créé afin de financer des activités propres, à
assurer la mise en œuvre ou, tout au moins, à faciliter la mise en œuvre de la Convention
européenne des droits de l’homme par les États membres. Ce fonds joue un rôle d’assistance
auprès des États membres, au regard des obstacles auxquels ils peuvent être confrontés et qui
peuvent se caractériser par des difficultés à mettre en place des instruments propres à assurer
le respect de la Convention, ou une aide visant à assurer l’exécution des décisions de la Cour
européenne des droits de l’homme, que cette aide soit technique ou strictement financière.
L’activité de cette structure vise à renforcer la diffusion de la Convention en permettant son
accessibilité, donc une meilleure application, par l’organisation de formations, en diffusant la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en développant la capacité des

683
DENIZEAU (C) : « Crise économique et peines ou traitements inhumains ou dégradants » in Les droits
fondamentaux à l’épreuve de la crise économique et financière. Travaux issus de la journée d’étude du 11 avril
2013 à la Faculté des Affaires Internationales de l’Université du Havre, sous la direction de Vincent Tchen ; ed
l’Harmattan, 2013, Paris, pages 179 à 201.
684
Note sur le Fonds fiduciaire pour les droits de l’homme « un engagement fort des États membres du Conseil
de l’Europe et de la CEB en faveur des droits de l’homme ». www.coe.int/humanrightstrustfund

352
L’avenir des Droits fondamentaux

structures visant à la défense des droits de l’homme dans les pays qui le sollicitent, ou encore,
une aide à éluder les « points noirs » soulevés par la Cour européenne quant à l’application
des droits de l’homme dans certains pays.
Cela n’est possible que par des contributions étatiques permettant la pérennité de ce fonds et
par les revenus générés par les investissements réalisés grâce à ses contributions. A ce jour, en
sus de la Norvège, l’Allemagne, la Finlande et la Suisse ont rejoint ce fonds. Le montant
minimal de la contribution à ce fonds est de 250 000 euros, en 2011, le montant des
contributions s’élevait à 4 450 000 euros. Ces ressources permettent de financer des projets à
deux volets. Premièrement, ils doivent favoriser l’accès des justiciables à des recours internes
permettant la défense de leurs droits, des procédures conformes à la Convention dans le
traitement de leurs affaires et des services, prévenir et réparer les violations aux droits
fondamentaux. Deuxièmement, ils visent à aider les États ; parmi ces projets nous pouvons
citer « les mécanismes nationaux de prévention mis en place par l’Europe », ce sont des
mécanismes non judiciaires indépendants qui tendent à prévenir des violations à la
Convention telles que la torture. Ce projet a un coût de 480 000 euros afin d’aider à lutter et
prévenir les traitements inhumains, fermer les lieux où ils se produisent et tenter d’obtenir
réparation pour les victimes. D’autres projets ont été mis en œuvre, tel le programme Help
destiné à des professionnels du droit afin qu’ils puissent intégrer pleinement la Convention,
dans leurs pratiques professionnelles ; le montant de ce projet a été évalué à 1 million 113000
euros ; mais encore, des projets visant à faciliter l’exécution des arrêts de la Cour européenne.
Concernant la Turquie, un projet d’un montant de 300 000 euros a été mis en place afin de
promouvoir la Convention dans ce pays, et favoriser la liberté d’expression.

512 La promotion des droits fondamentaux, qui vise à leur protection, a donc un coût ; les
projets mis en place par l’Europe, dont la réalisation est financée par le fonds fiduciaire des
droits de l’homme est caractéristique de l’interdépendance du domaine financier et de celui
des droits fondamentaux .
Il apparaît clairement qu’il ne peut y avoir de réalisation concrète des droits sur un plan
pratique, sans une intervention financière, et ce, à tous les niveaux. En amont, en matière de
fonctionnement, comme en aval, lors de l’exécution des arrêts, ce que nous allons étudier au
regard de la difficulté de certains pays à exécuter les décisions de justice, difficulté
caractérisée par un manque de ressources, le plus souvent .

353
Finances publiques et droits fondamentaux

B. Le problème de la difficulté à exécuter les décisions de justice

513 Les violations répétées des droits fondamentaux ont des origines diverses. En premier
lieu, certaines législations nationales s’avèrent incompatibles avec les dispositions de la
Convention européenne des Droits de l’Homme. Dans un second, les mesures d’austérité ont
également induit à des violations des droits fondamentaux . Ce second facteur a conduit à une
aggravation de celles-ci et l’ajout de difficultés à leur réparation. La mise en place des arrêts
pilotes (1) vise à apporter de l’aide aux États afin de cibler et remédier aux violations, force
est de constater que la réparation de ces violations a un coût (2).

1° Le coût de la justice : la mise en place des arrêts pilotes

514 La jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans ce domaine est
constante. Dans un arrêt Bourdov c/Russie de 2009685, la Cour énonce que le manque de
ressources ne saurait justifier un manquement à la Convention ; la Cour rend son premier arrêt
pilote concernant la Russie au regard de l’inexécution, ou du retard dans l’exécution, des
décisions de justice devenues définitives. En l’espèce, Monsieur Bourdov ayant été appelé à
intervenir sur la catastrophe de Tchernobyl a été fortement exposé à des émissions
radioactives, à ce titre, des prestations sociales lui étaient dues. Cependant, bien que les
tribunaux aient fait droit à sa demande, les prestations ne furent pas versées dans l’intégralité
et dans un délai raisonnable, ce qui était, en majeure partie imputable au manque de
ressources corrélatives à la crise économique et financière. La Cour européenne invite les
États à appliquer la Convention malgré la crise, cela notamment par le biais des arrêts pilotes.
L’impact budgétaire, dans l’exécution des décisions internes, ne doit pas être un élément
empêchant la protection des droits fondamentaux. Par la procédure des arrêts pilotes, la Cour
cible des manquements structurels inhérents aux États, et révèle les conséquences négatives
de la crise sur certains droits fondamentaux.

515 Les mesures prises par la Cour visent à de remédier au problème de violations
répétitives de la Convention, à réaliser ainsi des économies dans le fonctionnement et du
temps dans l’examen des requêtes, ces mesures se caractérisent par la procédure dite de

685
CEDH arrêt Bourdov c/Russie du 15 janvier 2009, nº 33509/04. www.hudoc.echr.coe.int

354
L’avenir des Droits fondamentaux

« l’arrêt pilote »686 mise en place à l’occasion de l'arrêt Broniowski c. Pologne du 22 juin
2004, et formalisé par l’article 61 du Règlement de la Cour. Cette procédure permet à la Cour
de traiter plus efficacement les requêtes similaires, liées à la même difficulté d'application de
la Convention. Lorsque la Cour est saisie d'un nombre important de requêtes révélant une
même origine dans la violation de la Convention, elle retient une affaire en général afin de
tenter de résoudre les problèmes à l’origine de la violation de la Convention ; ce qui conduit à
l’ajournement des autres requêtes apparentées. Cette procédure permet un désengorgement
dans le traitement des requêtes ayant un caractère répétitif, et ainsi aider les États à identifier
les législations qui dans leur application opèrent une violation de la Convention, y remédier
plus rapidement par les conseils fournis par la Cour. Cette procédure aide les autorités
nationales à mettre fin aux violations dans le domaine visé par l’arrêt pilote. Trois arrêts
pilotes ont concerné la Grèce visant, notamment, le dépassement du délai raisonnable dans le
traitement des affaires, bien que la période d’austérité ne permettait pas le recrutement de
magistrats supplémentaires ou d’auxiliaires de justice, à titre d’exemple. Elle s’est trouvée
face à une situation paradoxale, prise entre la réduction nécessaire des dépenses publiques et
le nombre croissant de requêtes fondées sur le principe de dignité de la personne humaine, au
regard de la diminution des salaires des fonctionnaires et des pensions et retraites, mais
également sur la violation du droit à ne pas subir de peines ou traitements inhumains et
dégradants ; ou encore, au regard de la violation du principe d’égalité devant la répartition de
l’impôt et la violation du droit de propriété concernant la diminution des salaires des
fonctionnaires ainsi que des pensions et retraites687. À cela s’ajoutent les droits garantis
nécessitant des dépenses publiques majeures, la pénurie budgétaire entraînant des violations
par l’impossibilité de mettre en place des recours effectifs, violation du droit à un procès
688
équitable et manquement à l’obligation de traiter les affaires dans un délai raisonnable. Les

686
Rapport d'information n 705 (2011-2012) de MM. Jean-Pierre MICHEL et Patrice GÉLARD, fait au nom de
la commission des lois, déposé le 25 juillet 2012. « La Cour européenne des droits de l'homme à la recherche
d'un second souffle ». Site : www.senat.fr
687
CEDH arrêt Koufaki Adedy c/ Grèce du 7 mai 2013 nº 55665/12 et nº 57657/12. En l’espèce, le gouvernement
afin de faire face à la crise a réduit ses dépenses publiques et parmi celles-ci, il a opéré une baisse des salaires,
pensions, primes et indemnités des fonctionnaires. Ces restrictions furent étudiées à l’aune de l’article 1 er du
Protocole nº 1 de la Convention, en ce que ces mesures pouvaient constituer une ingérence dans le droit au
respect des biens. Ce qui en l’espèce a été jugé irrecevable dans la mesure où la diminution invoquée par les
requérantes n’était pas d’un montant tel qu’il affecterait leur subsistance. De plus, ces mesures étaient justifiées
par la nécessité de remédier à la crise aiguë que traversait la Grèce et visaient à assainir les finances publiques.
688
SARMAS (I): “Appliquer la Convention européenne des droits de l’homme en temps de crise économique »
p2. Site : www.echr.coe.int

355
Finances publiques et droits fondamentaux

mesures imposées dans les arrêts pilotes689 : dans l’affaire Bourdov c/ Russie du 15 janvier
2009, le problème identifié était l’inexécution par l’État russe, des jugements internes
prévoyant le versement de sommes d’argent. La Cour ayant identifié cette problématique, à
l’occasion de plusieurs arrêts, a demandé à ce que, dans un délai de six mois du jour où l’arrêt
est définitif, de prévoir ou pourvoir, à la mise en place de recours effectifs internes ayant pour
but de remédier aux cas d’inexécution. De même, dans l’affaire Olaru et autres c/Moldova du
28 juillet 2009, en l’espèce, les requérants invoquaient l’inexécution de décisions judiciaires
leur ayant attribué un logement social. La Cour a demandé, comme dans l’affaire Bourdov, la
mise en place dans un délai de six mois d’un recours interne effectif propre à traiter les cas
d’inexécution ou d’exécution tardive des décisions judiciaires dans l’attribution des logements
sociaux.
A cela il est nécessaire d’ajouter les cas de durée excessive de procédure et l’absence de
moyens de recours. Plusieurs arrêts pilotes ont été rendus dans ce domaine dont trois
concernent la Grèce690 ; la Cour demande à ce que dans un délai d’un an, des recours internes
en matière de durée de procédures soient mis en place. L’Allemagne aussi a fait l’objet d’un
arrêt pilote concernant la durée excessive de la procédure devant les juridictions
administratives, la Cour a demandé à ce que, là encore, dans un délai d’un an, un recours
interne effectif soit mis en place afin d’obtenir une réparation. 691 Enfin, la Turquie a
également fait l’objet d’un arrêt pilote, relativement à la durée excessive des procédures, mais
devant toutes les juridictions. La Cour demande la mise en place, toujours dans un délai d’un
an, d’un redressement adéquat et suffisant.692
Toutes ces mesures sollicitées par la Cour enjoignent les États à légiférer, voire à mettre en
place des services appropriés afin de faire cesser ces violations. Ces mesures représentent des
investissements notamment financiers à la charge des États.

689
Fiches thématiques de la Cour européenne des droits de l’homme, Unité de la Presse, « Les arrêts pilotes »,
octobre 2013. Site : www.echr.coe.int
690
Ibid : CEDH arrêt Athanasiou et a c/Grèce du 21 décembre 2010, arrêt Michelioudakis c/Grèce du 3 avril
2012, arrêt Glykantzi c/Grèce du 30 octobre 2012.
691
CEDH arrêt Rumpf c/Allemagne du 2 septembre 2010.
692
CEDH arrêt ümmühan Kaplan c/Turquie du 20 mars 2012.

356
L’avenir des Droits fondamentaux

2° Le coût des obligations liées à la réparation des violations.

516 Si l’on considère le cas grec, comme l’a énoncé Ioannis Sarmas: « (...) La pénurie
budgétaire, mal endémique pour l’État grec, constituait la cause principale de plus de 90 %
des violations qui lui avaient été imputées par la Cour », de façon plus large il énonce :
« ayant assumé par ses arrêts pilotes l’obligation de s’associer aux efforts des États
contractants en vue de résoudre leurs problèmes structurels et systémiques liés à la
protection des droits de l’homme, la Cour est donc confrontée de près aux contraintes liées à
la pénurie budgétaire. »

517 Mais si la procédure des arrêts pilotes constitue un facteur de rapidité et d’économies
pour la Cour européenne, force est de constater que l’obligation, pour les États, de se
conformer aux obligations émises dans ces arrêts, a un coût budgétaire considérable ce qui
leur impose une affectation de leurs dépenses publiques.693 Cette affectation vise à la
protection des droits fondamentaux prévus au sein de la Convention ou à la réparation des
violations à ces droits. Les obligations positives à la charge des États, pointées par la Cour
afin d’éradiquer ces violations, nécessitent la mise en place de services publics ad hoc et dotés
de moyens de fonctionnement propres à empêcher toutes les violations constatées tant au
niveau des services de la justice que des services pénitentiaires.
Si l’on prend le cas des violations commises à l’égard des détenus ce qui concerne en majeure
partie les conditions de détention, des investissements s’avèrent nécessaires pour la
construction de nouveaux établissements d’accueil de la population carcérale dans des
conditions propres à assurer le respect de la dignité humaine et l’apport de soins médicaux de
qualité au titre du droit à la santé. À ce titre, la France a engagé un programme de
construction d’établissements pénitentiaires en 2001 sachant que le coût de fonctionnement
d’un établissement pénitentiaire est élevé, de l’ordre de 748 millions d’euros annuels. Ce
programme engagé par la France s’élèverait selon des sources issues de l’Observatoire

693
DENIZEAU (C) : « Crise économique et peines ou traitements inhumains ou dégradants » in Les droits
fondamentaux à l’épreuve de la crise économique et financière. Travaux issus de la journée d’étude du 11 avril
2013 à la Faculté des Affaires Internationales de l’Université du Havre, sous la direction de Vincent Tchen ; ed
l’Harmattan, 2013, Paris, page 201.

357
Finances publiques et droits fondamentaux

international des prisons à 3,08 milliards d’euros 694. Ce qui constitue un montant élevé de
dépenses publiques dans une période de restriction budgétaire ; or il s’agit du coût nécessaire
à la mise en conformité de la situation des populations carcérales avec l’article 3 de la
Convention européenne des droits de l’homme. La surpopulation carcérale est un des motifs
de condamnation de la France par la Cour européenne, on dénombre 67 000 détenus pour
56 000 places au 1er juillet 2012. De nouvelles prisons augmenteront ce nombre de places à
80 000.695 L’Observatoire international des prisons pointe le coût financier particulièrement
élevé de ce programme, alors qu’une possible alternative à la prison afin d’exécuter les
peines, est dans certains cas préférable selon ce dernier. Le débat n’est pas tranché à l’heure
actuelle, ce que nous pouvons constater est que le coût budgétaire est plus qu’important.
Les demandes formulées par la Cour européenne au sein de ses arrêts pilotes, invitent les
États à mettre en place « des recours effectifs aptes à offrir un redressement adéquat et
suffisant »696, dans une formule assez généraliste. Elle invite par cette formule, les États à
légiférer. En matière d’indemnisations, le problème s’avère de même ampleur, l’État en se
rendant coupable de violations doit accorder une indemnisation, or le manque de ressources
entraîne un retard dans l’octroi de cette indemnisation, voire une nouvelle condamnation par
la Cour européenne qui le met en demeure d’exécuter ; les fonds manquants dans certains cas
rendent la situation inextricable. L’indemnisation des victimes de violation par les États
membres, au titre de chaque article de la Convention européenne des droits de l’homme, peut
entraîner le versement par l’État de sommes considérables 697 ; si le nombre de requêtes
concernant ladite violation est important, l’équilibre budgétaire de l’État en cause est menacé.

518 A cela nous pouvons ajouter les sanctions infligées aux États membres, qui se rendent
coupables de violations dues à une transposition incorrecte, voire inexistante du droit de

694
Rapport 2011 et lettre ouverte de l’OIP (Observatoire International des Prisons) aux parlementaires
http://detentions.wordpress.com/2011/12/02/lettre-ouverte-de-loip-observatoire-international-des-prisons-aux-
parlementaires.
695
Le nouvel observateur du 17 juillet 2012.
696
Fiches thématiques de la Cour européenne des droits de l’homme.
697
CEDH arrêt Broniowsky c. Pologne du 22 juin 2004. Dans cet arrêt, le requérant Monsieur Broniowsky,
demande le solde de l’indemnisation due à sa mère décédée, concernant les biens laissés par celle-ci, lors de son
rapatriement en Pologne après la Seconde Guerre mondiale. Une faible indemnisation avait été allouée à la mère
du requérant. Ce cas concernant la propriété immobilière de 80 000 personnes. Hors circonstances
exceptionnelles, l’argument des difficultés budgétaires étatiques n’est pas reçu par la Cour. La pénurie
budgétaire était arguée pour justifier de la violation des articles 6 et 1 du Protocole 1 dans le cadre de non-
exécution de décisions de justice allouant des sommes d’argent. La Cour réaffirme que l’État ne peut violer les
droits des requérants en invoquant des difficultés financières pour ne pas exécuter un jugement.

358
L’avenir des Droits fondamentaux

l’Union, dans le cadre des recours en manquement. Ce recours est régi par les articles 258 à
260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après dénommé :TFUE). Il est
prévu lorsqu’un « État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du
traité ». Le manquement peut être dû à plusieurs causes, que ce soit la non-transposition
d’une directive, le non-respect d’accords liant l’État à l’Union, des actes juridiques élaborés
par des États ou collectivités territoriales, voire par des particuliers, qui ne respectent pas le
droit de l’Union.
Le manquement est invoqué à l’égard d’un État membre, les particuliers, victimes de
violations dues au non-respect du droit de l’Union, doivent au préalable saisir la Commission
européenne qui décidera de poursuivre l’action devant la Cour de justice de l’Union
européenne ou pas. Il en est de même pour les États membres qui peuvent saisir la Cour de
justice, mais doivent passer au préalable, par la Commission selon l’article. 259 al. 2 du
TFUE.
La Cour de Justice de l’Union européenne peut assortir sa condamnation de sanctions
pécuniaires, dès le prononcé de son arrêt en manquement, conformément au Traité de
Lisbonne. Ces sanctions peuvent revêtir la forme d’amendes ou d’astreintes, ce type de
sanctions est soumis à des conditions. Ainsi, le contentieux doit porter sur la non-
communication des mesures de transposition d’une directive et la sanction pécuniaire doit
avoir été demandée par la Commission devant la Cour de justice, selon l’article 260, § 3, du
TFUE.698

519 Le non-respect de la transposition de directives visant à harmoniser les législations


nationales avec le droit de l’Union peut entraîner des astreintes et amendes sur proposition de
la Commission européenne dont les montants peuvent être très élevés. La France a fait l’objet
d’une des plus forte astreinte prononcée par la Cour de justice en 2005, d’un montant de
57,761 millions d’euros par semestre, dans le cadre de l’affaire dite des « poissons sous
taille ». En l’espèce, la Cour de justice dans un arrêt rendu le 11 juin 1991 a relevé un
manquement de la France à ses obligations, au regard de la règlementation en matière de
contrôle des activités de pêche. Le droit de l’Union avait imposé une règlementation relative à
la taille des poissons. Néanmoins, la France, n’a pas procédé à l’exécution de cet arrêt, la

698
Rapport établi par la Commission des affaires européennes du Sénat, Actualités européennes du 3 juin 2013
sur le thème : « la non-application du droit de l’Union : Quelles sanctions pécuniaires ? ». Site :
www.senat.fr/europe/index.html

359
Finances publiques et droits fondamentaux

Cour de justice a donc rendu une deuxième décision le 12 juillet 2005, sur le fondement de
l’article 260 du TFUE et a condamné la France au paiement d’une astreinte et d’une amende.
La France ne s’étant toujours pas conformée à la demande d’exécution formulée par la Cour,
la Commission a adopté une décision le 1er mars 2006 dans laquelle elle enjoint la France à
s’acquitter des sommes visées. La France conteste la compétence de la Commission en
indiquant qu’un autre recours en manquement aurait dû être intenté. Le Tribunal dans son
jugement du 19 octobre 2011699, indique que la Commission a une compétence légitime à
recouvrir les sommes issues des astreintes et des amendes, car elle exécute le budget, et
précise en sus l’obligation des États de se conformer aux décisions relatives au droit de
l’Union. Parmi les condamnations pécuniaires, nous pouvons citer le cas de l’Irlande,
condamnée le 20 décembre 2012 à une somme forfaitaire de 1,5 millions d’euros sur le
fondement de l’article 260 du TFUE pour non-respect d’une directive relative à l’évaluation
environnementale, mais également l’Espagne en 2012, condamnée à une amende forfaitaire
de 20 millions d’euros, assortie d’une astreinte journalière de 50000 euros ; sans oublier le cas
de la Grèce, en 2009, qui s’est vue infliger deux sommes forfaitaires totalisant un montant de
4 millions au titre de restrictions apportées à des activités règlementées (…).700
Ces condamnations pécuniaires concernent tant la transposition tardive ou non conforme des
directives, que des violations du droit de l’Union en général.

520 Ce choix de la Commission d’assortir des condamnations de sanctions pécuniaires vise


à accélérer la mise en conformité par les États du droit national avec le droit de l’Union. Ces
sanctions sont un moyen de pression. Les États, dans le domaine de la transposition des
directives, peuvent être condamnés dès le prononcé de l’arrêt en manquement à des sanctions
pécuniaires, alors que dans le cas du maintien de dispositions nationales incompatibles avec
un règlement européen, la procédure de sanction vient après, si elle doit être prononcée. En
général comme le souligne la Commission européenne701, les États se mettent en conformité
avec les décisions prises au niveau européen lors de la phase précontentieuse, afin d’éviter les
sanctions pécuniaires. Elles ont un effet dissuasif sur l’inaction volontaire ou involontaire des

699
Arrêt du 19 octobre 2011 : T-139/06 République française c/ Commission. Résumés d’arrêts importants, mai
2012, fiche établie par la Commission européenne. Site : http://ec.europa.eu
700
Rapport établi par la Commission des affaires européennes du Sénat, opcit.
701
Ibid

360
L’avenir des Droits fondamentaux

États membres. La mise en conformité nécessite des modifications au niveau national702qui là


encore ont un coût, des moyens de fonctionnement et un appareillage coûteux auxquels il faut
ajouter des implications pratiques. Ce coût financier, que représentent des sanctions
pécuniaires pour un État peut-être considérable comme nous l’avons vu supra. Ainsi, celui
d’exécution des arrêts a des implications financières qui peuvent s’avérer importantes. Les
États fortement touchés par la crise, ne se trouvent-ils pas dans une situation complexe du fait
d’une marge de manœuvre financière réduite et de prévisionnel quasi inexistant ? À cela
s’ajoutent des difficultés de concrétisation des droits au niveau national et européen qui
représente un coût non négligeable.

*
***

521 La période de crise économique et financière nécessite une réduction des dépenses
publiques notamment les dépenses sociales. Ces réductions, en France, concernent pour
l’instant les dépenses de fonctionnement en majeure partie. Les juridictions françaises ne
prennent pas en compte la crise économique dans leur contentieux relatif aux droits
fondamentaux, la justification tiendrait à ce que l’ampleur de la crise ne nécessite pas la mise
en œuvre de l’article 16 de la Constitution. Ainsi, le Conseil constitutionnel laisse une large
marge de manœuvre au législateur dans la mesure où le principe d’égalité n’est pas violé ni
les droits fondamentaux dénaturés. Contrairement à la doctrine italienne qui évoque dans le
cas d’une aggravation de la crise économique et financière un nécessaire choix entre les
droits, car ils sont intrinsèquement liés au montant des ressources disponibles. Le respect des
droits prévus dans la Convention européenne des droits de l’homme est difficile pour les États
touchés de façon importante par la crise, ce qui entraîne une violation de certains droits en
particulier, la procédure des arrêts pilotes est une aide non financière qui vise à endiguer les
violations. La doctrine naturaliste ne peut énoncer que les droits fondamentaux sont
autarciques, l’exemple grec démontre l’impact de la crise sur les droits dans leur garantie et

702
Le 25 avril 2013, la Commission a introduit un recours contre la Grèce et l’Italie pour non-transposition de la
directive 1999/74 du 19 juillet 1999 relative aux conditions d’élevage des poules pondeuses. Cette non-
conformité volontaire ou involontaire n’est-elle pas le reflet de la situation économique et financière de la Grèce
notamment quant à la difficulté d’assumer ses obligations tant au niveau national qu’étatique ?

361
Finances publiques et droits fondamentaux

mise en œuvre. À cela s’ajoute la difficulté à exécuter les décisions de justice de la Cour
européenne des droits de l’homme, car la réparation des violations a un coût.
La doctrine naturaliste ne peut survivre à la crise en prônant l’existence ontologique des droits
de l’Homme, car leur existence est financièrement conditionnée. Protection, promotion et
sanction ont un coût financier.

362
CHAPITRE 2

L’État est-il toujours souverain ?

522 L’État est-il toujours souverain du fait de la crise ? Nous aurions pu poser l’intitulé de
ce chapitre sous la forme de cette interrogation. Au-delà du rayonnement de l’Europe, cette
interrogation se pose du fait de la crise économique et financière et de ses modes de
résolution. En effet, ce ne sera que par le mode de résolution des problèmes concomitants à
cette situation de crise que la lumière sera faite sur les institutions détenant le pouvoir
décisionnel.
L’influence du droit européen sur les États, par des transferts de compétences bouleverse-t-
elle l’État dans ses fondements ? Par transferts de compétences, nous entendons ici des
compétences financières et des compétences en matière de définition de normes protectrices
des droits fondamentaux. Le droit européen est-il superposé au droit national ou constitue-t-il
un ordre juridique propre réalisant une soumission du droit national ? Le paramètre de crise
est important en ce qu’il permet de constater qui détient les méthodes de résolution de ce
contexte et est-ce que cela est révélateur d’une primauté du droit européen ou est-ce à
proprement parler une compétence partagée par tous les États au service d’un mode de
résolution commun ? De la définition de l’État et de la souveraineté dépendra la réponse à ce
questionnement. Au sein de ce chapitre, nous aborderons la définition de l’État, selon les
différents courants, et de la souveraineté en ce qu’elles puissent apparaître, ou pas, comme des
notions indivisibles (Section 1) pour se pencher ensuite sur une approche globale et financière
des droits fondamentaux (Section 2).

Section 1 : L’État et la souveraineté des notions indivisibles ?

523 Face au contexte actuel de crise économique et financière, l’intégration des États dans
l’Union européenne impose qu’ils se conforment à des exigences budgétaires afin de rétablir
l’équilibre de financier de l’Union. Ainsi, nous allons nous pencher sur la définition du
concept d’État et de souveraineté en ce que l’intégration au sein de l’Union en a changé ou
pas les paramètres.Dans un premier temps, nous étudierons le concept d’État et de
363
Finances publiques et droits fondamentaux

souveraineté au sens formel (I) afin de savoir si ces concepts ont subi des modifications. Dans
un second temps, nous aborderons la problématique du transfert de compétences au sein de
l’Union en ce qu’il entraîne ou pas un transfert de souveraineté. (II)

I. DU CONCEPT D’ÉTAT ET DE SOUVERAINETÉ FORMELLEMENT

524 La nécessité de développer ce que recouvrent ces concepts, est essentielle à la


compréhension des développements suivants relatifs à la perte, ou pas, de souveraineté de
l’État du fait de l’intégration européenne et du contexte de crise. Ainsi, on ne peut se passer
d’une réflexion sur l’État (A) et sur la souveraineté (B).

A. L’État construction théorique et pratique

1° L’État in abstracto

525 L’État comme ordre juridique : Selon Hans Kelsen703, l’État se conçoit « comme un
ordre de la conduite humaine ». Communément, l’État est perçu comme un « être », mais
souligne Hans Kelsen, ce n’est pas un groupe humain ou un être au sens de réalité naturelle,
mais il est personnifié par un cheminement intellectuel d’hypostase. Il est une représentation
mentale, conçue généralement de façon restrictive, comme une organisation politique, à la
seule différence qu’il ne peut se réduire au politique, sans prendre en compte le présupposé de
l’ordre juridique. Le « politique » au sens Kelsenien, se caractérise par la contrainte instituée
par les personnes chargées d’appliquer cet ordre juridique, or, elle n’est pas instituée de leur
fait, mais de celui de la norme elle-même. Par conséquent, l’organisation politique que
recouvre l’État est une conséquence de l’application de l’ordre juridique institué : « en tant
qu’organisation politique, l’État est un ordre juridique ».704

526 La notion de centralisation : l’État n’existe selon Hans Kelsen, que s’il comprend un
ordre juridique structuré dont la mise en œuvre se réalise par des organes de façon centralisée.

703
KELSEN (H) : Théorie pure du droit ; traduit par Charles Eisenmann, éd. Bruylant LGDJ, collection la
pensée juridique, 1962, p 281.
704
Ibid.

364
L’État est-il toujours souverain ?

La centralisation est déterminante de l’existence de cette entité. A contrario, l’ordre juridique


international, même s’il est un ordre de contrainte, par sa décentralisation ne peut revêtir la
forme d’un État. Nous considérons que la décentralisation n’est qu’une délégation de
compétences, l’adaptation de certaines lois ou de quelconque pouvoir décisionnel devant être
conforme à la norme supérieure qui permet son édiction, autrement dit, doit être conforme à la
Constitution. De la norme fondamentale découle la validité de la Constitution et des normes
inférieures. Il n’y a qu’une Constitution en France. Donc, pour nous, la décentralisation même
poussée répond in fine aux prescriptions de la Constitution. Au niveau du droit international,
de plus, les États ne s’y soumettent que de façon volontaire, non imposée.
La notion de centralisation au sens où nous l’entendons correspond ainsi à l’État unitaire,
unité caractérisée par l’application d’un ordre juridique sur l’entier territoire et à l’égard du
peuple qui compose l’État. Cependant, comme le précise Hans Kelsen « aucun des États
historiques c'est-à-dire des ordres juridiques étatiques positifs n’est ni complètement
centralisé ni complètement décentralisé »705 ; il déduit cette affirmation du fait que les actes
d’application des normes générales participent également de l’ordre juridique.

527 L’État comme hypostase ou le dédoublement de l’État et du droit : la personnification


de l’État, comme être responsable, intervient au travers d’actes édictés par l’intermédiaire
d’individus dépositaires du pouvoir de les mettre en œuvre. L’État pour Kelsen n’est pas
indépendant du droit et le droit n’est pas indépendant de l’État. Or la question qui se pose, est
de savoir s’il y a prédominance, ou préexistence, de l’un sur l’autre ? Pour Hans Kelsen, le
droit et l’État sont identiques. L’intitulé du développement de sa théorie révèle cette
conception : « l’État, ordre juridique. »706 Ainsi, Hans Kelsen remet en cause la conception
traditionnelle de l’État707 développée par Gerber et Laband selon lesquels l’État et ses sujets
se trouvent dans un rapport de force, de domination. L’État et le droit seraient compris
indépendamment l’un de l’autre ; la conception qui se dégage de la théorie traditionnelle à
savoir que le droit est produit par l’État et est un pouvoir à son service, donc un pouvoir sur
les individus assujettis. Hans Kelsen critiquera également Georges Jellinek, pour sa pensée
téléologique qu’il induit par le développement du concept de Volonté de l’État. Ainsi, la

705
Op.cit p 305.
706
Ibid.
707
BILLIER (J C) et MARYIOLI (A) : Histoire de la philosophie du droit, Chapitre 6 les Théories formalistes,
collection U Philosophie, Armand Collin, Paris, 2001, reimp 2005.

365
Finances publiques et droits fondamentaux

Volonté de l’État selon Georges Jellinek se caractérise par ce que les organes de l’État mettent
en œuvre, créant ainsi le droit ; cette théorie institue l’État comme créateur du droit. Ce qui,
selon nous, revient à conférer à l’État un caractère indépendant tant du droit que de ces sujets
même si in fine, il s’y soumet. Or, qu’est- ce qui fonde son autonomie? L’État selon cette
conception, est une entité supérieure, relativement dénudée, si ce n’est, qu’elle produise un
facteur psychologique de puissance et de domination. Hypostasier l’État revient à en faire une
entité distincte de ce qui le compose et le crée ; ce qui est plus évident dans le cadre de la
conception traditionnelle sus-développée, que dans le langage courant. Cette hypostase que
Kelsen nomme « cheminement intellectuel », ne peut se rencontrer, car l’État ne peut naître
avant le droit, ni le créer, ni ensuite s’y soumettre mue par sa volonté propre puisque c’est une
abstraction, un artifice. Le seul facteur de connaissance est le droit.

528 L’État est un ordre juridique : Dans la théorie développée par Hans Kelsen, l’État est
l’ordre normatif qui enjoint la conduite des individus le formant. Il met fin à la dualité de
l’État et du droit, pour en faire une identité. L’existence de l’État se traduit par la mise en
œuvre d’actes par des individus habilités, agissant conformément à un ordre normatif. Ainsi,
l’État ne crée pas le droit au sens où ce sont les hommes qui agissent par ces normes au nom
de l’État, mais « le droit règle sa propre création »708. Il en déduit que l’État est un ordre
juridique, où le droit et l’État se fondent et se confondent. Ainsi, l’expression « État de droit »
est un pléonasme dans la conception kelsenienne, cette expression est communément
employée pour décrire un État où les principaux pouvoirs sont séparés et où les libertés sont
garanties. « État de droit » est incorrect, car l’expression la plus proche est plutôt : État
démocratique ; dans la mesure où l’on considère que tout État, dans son identité avec le droit,
est forcément un État de droit. Michel Troper709 de préciser, que cette notion est issue d’une
traduction littérale de l’Allemand Rechtsstaat, mais traduite est une tautologie ; car tout État
est forcément un État de droit par sa structure et son mode de fonctionnement. Parallèlement,
tout État n’est pas protecteur des libertés : des États totalitaires sont, par définition, des États
de droit mais ils ne sont pas protecteurs des libertés. Un État de droit n’est pas synonyme de
garantie des libertés, de démocratie. Il est un système de normes hiérarchisées, c'est-à-dire un
ordre juridique, indépendamment de son contenu. Ce concept d’État doit sa création au droit

708
Ibid.
709
TROPER( M) : « Le concept d’État de droit », revue de droit public, nº 61, p 51 à 63.

366
L’État est-il toujours souverain ?

qui se manifeste comme « une forme d’exercice du pouvoir politique dont la spécificité est la
volonté »710, une superposition d’une hiérarchie statique et normative.

529 Comme l’a énoncé très justement Madame Goyard-Fabre711, l’expression « État de
droit » fait l’objet d’une surcharge sémantique.

530 Force est de constater qu’elle se manifeste par une imprégnation idéologique dans
l’imaginaire collectif. Il faut distinguer, l’État du droit et l’État de droit ; le premier
représenterait la structure juridique propre de l’État, tandis que le second est chargé
d’idéologie quant à la promotion et à la protection des libertés fondamentales. Cependant, il
est à considérer que d’un point de vue juridique « pur », cette distinction n’a pas lieu d’être, si
l’on reconnaît l’identité de l’État et du droit. C’est la nature du régime juridique dans la
mesure où il prévoit une justice constitutionnelle, permettant un recours devant des tribunaux
et cours, afin d’invoquer la protection d’un droit fondamental lésé, qui nous amène à
considérer que nous sommes en présence d’un État démocratique, qui induit forcément un
ordre juridique, comme dans tous les types d’État, mais, prévoyant alors la protection des
droits et libertés.
531 Raymond Carré de Malberg, précise qu’il est nécessaire d’établir une différenciation
entre l’État de droit et l’État de police ; pour lui ce dernier se caractérise par la force, « le
pouvoir de l’État ne se pose qu’en s’imposant »,712Il détient son emprise sur ses sujets par le
truchement d’un rapport de domination, d’intimidation, alors que l’État de droit selon Carré
de Malberg, se caractérise par une volonté commune constructive détachée de toute
domination par la force. La soumission de l’État au droit induit une forme de justice, dans la
mesure où des règles sont émises en vue de garantir aux citoyens des droits et des libertés,
d’une part, ainsi que la possibilité d’agir en justice et d’autre part, en limitant l’action de
l’État par ses détenteurs en ne leur permettant d’agir que par le biais de règles juridiques
posées préalablement. C’est ainsi que la doctrine traditionnelle énonce qu’il s’agit d’une
« autolimitation de l’État », Raymond Carré de Malberg de préciser qu’il s’agit d’une
autolimitation juridique, que l’État est limité par les règles qu’il institue intrinsèquement. Il se

710
TROPER (M): Pour une théorie juridique de l’État ; PUF Leviathan 1994, p158.
711
GOYARD-FABRE (S) : Les principes philosophiques du droit politique moderne, coll Thémis, ed PUF,
Paris, 1997, p 260.
712
Idem p 257.

367
Finances publiques et droits fondamentaux

limite donc par le biais de règles constitutionnelles qu’il met en place. Il y a finalement
dualité de l’État et du droit. D’autre part, il différencie l’État de ses éléments constitutifs, en
énonçant : « la science juridique n’a pas seulement pour objet de constater les faits
générateurs du droit, mais elle a pour tâche de définir les relations juridiques qui découlent
de ces faits »713

532 Pour nous, l’État est selon la conception kelsenienne, un ordre juridique de contrainte,
une identité avec le droit. L’État étant une hypostase, il est un ordre juridique de contrainte
« relativement centralisé »714.

2° L’État in concreto

533 L’État in concreto est une expression visant à caractériser l’État selon ses éléments
constitutifs, mais non à le définir en tant que concept. C’est d’ailleurs une distinction précisée
par Carré de Malberg, d’une part l’État en tant que concept, in abstracto, et de l’autre, l’État
dans ses éléments constitutifs, in concreto.
Nous considérons cette distinction comme essentielle ; la composition de l’État n’est pas le
droit, donc n’est pas l’État. Au sein de l’État, nous trouvons à la fois les éléments constitutifs
et les fonctions de l’État. Ces deux domaines composent l’État, mais ne le définissent pas en
tant que concept.

534 Parmi les éléments constitutifs de l’État, nous trouvons le peuple, que Kelsen définit
comme un ensemble d’individus, qui dans leur individualité sont soumis à un ordre de
contrainte715 et qui ressortissent du domaine personnel de validité de l’ordre juridique. Le
territoire de l’État, qui est pluri dimensionnel c’est un élément également de validité de
l’ordre de contrainte, une validité spatiale, et enfin le troisième élément est la puissance
publique qui est une notion plus théorique dans le sens où elle n’est pas représentative d’une
entité propre comme l’est le peuple ou le territoire. Elle peut être définie comme la capacité,
ou la puissance de l’État, exercée par des organes habilités, tel le gouvernement sur le peuple

713
CARRE DE MALBERG (R) : Contribution à la Théorie générale de l’État, spécialement d’après les données
fournies par le Droit constitutionnel français, tome 1er, recueil sirey, 1920, p 8.
714
KELSEN (H) : Théorie pure du droit ; traduit par Charles Eisenmann, éd. Bruylant LGDJ, collection la
pensée juridique, 1962, p 281.
715
Idem p282.

368
L’État est-il toujours souverain ?

et le territoire de cet État. Comme l’énonce Hans Kelsen, il ne s’agit pas de puissance au
terme de force réalisant un pouvoir illimité sur les individus, mais plutôt une puissance
légitime, car cette puissance matérialise un ordre juridique réglé et indépendant, dans le sens
d’une non-soumission à un autre juridique si ce n’est, comme le précise l’auteur à l’ordre
juridique international.716 La puissance publique caractérise la validité d’un ordre juridique
effectif.
Ainsi, l’État, ordre juridique de contrainte, se compose d’un peuple et d’un territoire qui sont
un cadre sur lequel s’applique la puissance publique telle que présentée ci-dessus.

535 Les fonctions de l’État sont au nombre de trois, à savoir l’administration, la législation
et la justice. Elles firent l’objet d’études détaillées tant par la théorie traditionnelle de l’État
que par Hans Kelsen. La combinaison de ces trois fonctions et la qualification d’organes
étatiques correspondent à l’habilitation que leur confèrent les normes juridiques. Ces trois
fonctions sont dans la théorie kelsenienne, des fonctions juridiques tant de création du droit
que d’application. Dès lors, la question qui se pose est la qualité des organes à créer le droit,
tout au moins leur légitimité. A propos de la fonction de création qui est fonction, mais pas
fonctionnariat, l’organe habilité est le Parlement qui, donc n’est pas fonctionnaire, mais élu
tirant de fait sa « légitimité » dans la fonction de création des lois et induit la puissance de
l’État. Le Parlement remplit une fonction étatique de législation, quand, après avoir été élu
par le peuple, il crée des lois conformément aux normes juridiques établies, qui constituent le
cadre de l’activité de création législative. Ces trois fonctions sont « attribuées » à l’État dans
sa personnification. Ainsi, l’État apparaît comme « être responsable » au travers d’actes
commis par l’intermédiaire d’individus dépositaires du pouvoir de mettre en œuvre des
normes ou en contrevenant à celles-ci.

536 Le but de cette distinction est d’éviter toute confusion entre l’État, en tant que concept,
et ce qui le compose, mais ne le crée pas. Cette approche formelle de l’État est essentielle à la
compréhension de ce concept, qui trop utilisé, n’en dégage plus de définition. La définition
formelle, permet l’étude de ce que recouvre la notion d’État afin d’en permettre une définition
de son attribut essentiel qu’est la souveraineté. Du fait des enjeux européens, cette notion est-
elle identique ?

716
Idem p 284.

369
Finances publiques et droits fondamentaux

Selon Adhémar Eismein, l’État est « l’autorité supérieure » ou « souveraineté » « qui ne


reconnait naturellement point de puissance supérieure ou concurrente. »717 Ainsi, l’État et la
souveraineté étaient similaires selon Eismein. Afin de comprendre les problématiques liées
aux débats sur la souveraineté, il faut la définir en amont.

B. La souveraineté : attribut essentiel de l’État ?

537 La souveraineté a fait l’objet de nombreuses définitions ; le seul point convergent est
que la souveraineté est une puissance, or ses fondements, sa composition, son caractère
indivisible, son unité ne sont pas représentées, ni conçues de façon similaire par tous les
auteurs. La nécessité d’une définition de la notion au concept de souveraineté apparaît
essentielle. (1) puis de ses différents pans : formelle et matérielle, et souveraineté interne et
externe (2)

1° De la notion au concept:

538 Par souveraineté, on entend de façon générale : « un pouvoir qui l’emporte sur les
autres »718. Elle est corrélative à la construction de l’État.
La doctrine dominante composée notamment par Paul Laband, définissait la souveraineté
comme : « la faculté pour l’État qui en est revêtu, de déterminer sa compétence exclusivement
en vertu de sa volonté, c'est-à-dire de se fixer librement à lui-même les tâches qu’il veut
accomplir. La souveraineté se ramène à la compétence de la compétence » ou de Georg
Jellinek qui définissait la souveraineté comme : « la qualité spéciale que revêt la puissance
d’État (…) de se déterminer elle-même comme de se lier juridiquement. »719

539 Albert Rigaudière énonce que la souveraineté est : « fondatrice, créatrice et


justificatrice du pouvoir ». Pour nous, elle est certainement justificatrice du pouvoir en tant
qu’elle permet sa légitimation, mais non-créatrice de ce pouvoir qui appartient à l’État dans
son ontologie conçut comme ordre juridique de contrainte. Elle constitue un concept moderne,
et est issue d’une construction intellectuelle qui visait à s’affranchir de toute autorité

717
CARRE DE MALBERG (R) : Contribution à la Théorie générale de l’État, op cit, p VI avant-propos.
718
Définition issue du dictionnaire en ligne www.larousse.fr.
719
CARRE DE MALBERG (R) : opcit p 174, 175 : il cite également Louis Le Fur qui défini la souveraineté
comme : la capacité de s’auto-limiter et de s’auto-obliger.

370
L’État est-il toujours souverain ?

extérieure. Elle est donc liée au concept de liberté et d’indépendance. La naissance de ce


concept relève de l’histoire en ce qu’il a constitué une quête des États naissants à la chute de
l’empire en occident, une quête visant pour chacun d’eux à s’arroger sur son propre territoire
et son peuple, les pouvoirs de l’empereur déchu. Au-delà de la volonté de se réapproprier les
pouvoirs de l’empereur dans chaque État, indépendamment les uns des autres, cette quête a
visé à s’affranchir de tutelles extérieures tant politiques, que religieuses et restaurer une
autorité au sein de chaque État.720 C’est là, une des raisons du besoin de faire émerger cette
notion, afin de recentrer le pouvoir. La conquête du pouvoir par les monarques a impliqué
inéluctablement la volonté de faire naître une autorité auprès de ceux qu’ils allaient être
amenés à gouverner, par la réunion dans les mains du monarque de certains pouvoirs afin de
rendre le royaume autonome. Le concept de souveraineté est donc étroitement lié à une quasi-
autarcie du royaume. Cette indépendance ne peut être reconnue que par la présence de
royaumes sur la scène internationale libres de toute tutelle.
L’église énoncera au XIIIe siècle que nulle entité ne confère le pouvoir que détient le roi, qui
lui est dévolu par lui-même sur Terre, et de Dieu.721 La souveraineté dans son acception
théorique, en tant que légitimation du pouvoir, ne connaît de supériorité terrestre. À sa
construction au regard des autres royaumes, il fut nécessaire de baser la souveraineté à
l’intérieur du royaume, d’affirmer le pouvoir du roi, dont l’entier territoire et le peuple
devaient être soumis. L’élaboration de la souveraineté tant intérieure, qu’extérieure est passée
par la construction d’un royaume autour d’une personne qu’était le roi, dont l’autorité ne
pouvait être remise en cause par le biais de la mise en place d’une hiérarchie organique
dépendante de lui, et par l’imprégnation intellectuelle du peuple de cette autorité. La
souveraineté comprendrait le Potestas et l’autorictas, ne permettant aucune remise en cause,
car intégré dans les esprits, là est la force de la souveraineté.

540 Quelle fonction a la souveraineté réellement ? Élément de justification de l’État dans


sa puissance et dans sa légitimité, elle apparaît comme attribut essentiel de l’État. En
l’absence de légitimation de la contrainte imposée par l’État, il ne peut survivre uniformément
dans la conception formaliste. Il en va ainsi tant du point de vue d’une conception de la
souveraineté du roi que de la souveraineté étatique en république.

720
RIGAUDIERE (A) : « L’invention de la souveraineté », revue Pouvoirs, n°67, 1993 p 6
721
Idem p 9.

371
Finances publiques et droits fondamentaux

La doctrine s’accorde à énoncer que le concept de souveraineté a reçu une première définition
en tant que concept, par Jean Bodin au sein de son ouvrage « Les six Livres de la
République » publié en 1576.722 Au sein de son Premier Livre, « de la République » dont le
titre du chapitre 1 est intitulé « Quelle est la fin principale de la République bien ordonnée ? »
il définit ce qu’est une République dont les caractéristiques sont les suivantes : la « république
est un droit gouuernement de plusieurs mesnages, avec puissance souveraine »723
Il expose son concept de souveraineté au chapitre 8 ; pour lui il est nécessaire de définir ce
que renferme un tel concept, car ni les jurisconsultes, ni les philosophes politiques comme il
l’énonce, ne se sont penchés sur cette définition. Pour lui : « la souveraineté est la puissance
724
absolüe et perpétuelle d’une République » . Ainsi, la souveraineté est une puissance qui
revêt de plus, un caractère perpétuel. Cette notion de perpétuité traduit cette puissance. Il
étaye cette thèse en énonçant que la souveraineté, conférée un temps définit ne peut se
concevoir dans la mesure où passé ce délai le Prince deviendrait alors un sujet à son tour et
serait soumis : « or, la souveraineté n’est limitée ny en puissance, ny en charge, ny à certain
temps. »725 L’auteur de préciser que la délégation est possible, mais n’enlève aucunement la
souveraineté à son titulaire. Il est nécessaire de replacer ces écrits dans leur contexte, à savoir,
Jean Bodin écrit en 1576 sous le règne d’Henri III. Ce sera à travers ce qu’il nomme « les
marques de la souveraineté »726 qu’il la définit. Par conséquent, Jean Bodin définit la
souveraineté, non ontologiquement, mais par ses attributs et par les fonctions « d’État ». Il
assimile souveraineté matérielle et formelle en définissant, en partie la souveraineté par « ses
marques »727. Ce que nous aborderons infra dans le cadre de la souveraineté matérielle. La
souveraineté pour Jean Bodin, est un attribut essentiel de l’État. Il ne la personnifie pas en la
personne du roi comme il était habituel à l’époque de le faire. Raymond Carré de Malberg 728
émet une critique à l’encontre de Jean Bodin en déclarant que ce dernier fait un amalgame,

722
BODIN (I) : Les six Livres de la République, de iehan Bodin, Angeuin, A Monseigneur du Faur, seigneur de
Pibrac, conseiller du roy en son conseil privé. A Paris, chez Iacques du Puys, Libraire iuré à la samaritaine.
MDLXXVII.797 pages.
723
Idem p1
724
Idem Livre 1er chapitre 8 : De la souveraineté, page 89
725
BODIN (I) : op.cit. p90.
726
Idem Chapitre X p 154. Il commence le chapitre en énonçant : « Puis qu’il n’y a plus grand en terme
qu’après Dieu que les princes souverains ». L’auteur établit une distinction entre le terrestre et le spirituel. Le
Roi est souverain du domaine terrestre et Dieu du domaine céleste. Ainsi, il légitime en partie le pouvoir du roi
comme, ce qui était la pensée dominante à l’époque.
727
Ibidem : chapitre X p154 : « Des vraies marques de souveraineté »
728
CARRE DE MALBERG (R) : Contribution à la Théorie générale de l’État, spécialement d’après les données
fournies par le Droit constitutionnel français, tome 1er, recueil sirey, 1920, p 76.

372
L’État est-il toujours souverain ?

entre la définition de la souveraineté et sa composition. Car la définition de la souveraineté est


négative, le contenu est l’élément de la puissance étatique, la souveraineté en son sens strict
n’est pas indispensable à l’État, car selon Raymond Carré de Malberg, il peut exister sans
souveraineté et à ce titre cette qualité ne peut constituer un attribut essentiel.

541 C’est par la qualification, ou dirons-nous, la définition de l’État, selon le cheminement


intellectuel de Raymond Carré de Malberg, qu’est déduite la place de la souveraineté. Ainsi
pour étayer sa thèse, il énonce qu’un État, pour revêtir cette qualité, peut être dépourvu de
souveraineté, mais posséder une puissance de domination. Par conséquent, la définition de
l’État n’emporterait pas la condition de détention de la souveraineté au sens formel, car il
apporte une définition formelle de cette notion, qu’il refuse de définir par son contenu ou ses
marques. Il apporte une définition de la souveraineté en comparaison avec ce que n’est pas un
État souverain, donc négativement, ainsi il énonce que les théories dominantes n’établissent
pas cette distinction ou cette précision fondamentale pour l’auteur, selon laquelle, ce n’est pas
tant l’autolimitation de la puissance ou de s’auto-lier juridiquement, car cela est propre à
chaque État selon l’auteur qui établi la distinction, la véritable différence réside dans
l’ampleur de la limitation de la puissance. Un État est souverain, quand sa puissance est
illimitée dans le sens où elle n’est pas dépendante d’une volonté étrangère. 729 Pour Hans
Kelsen, la souveraineté ne peut souffrir d’une définition par son contenu, ni d’une conception
factuelle, elle est une caractéristique de l’ordre juridique simplement.
La souveraineté en tant que concept visant à asseoir la supériorité soit de l’État national sur le
droit international ou sur la reconnaissance de la souveraineté des autres ordres juridiques
propres à chaque État, soit est abordée, pour Hans Kelsen comme l’expression d’un
solipsisme ou d’un objectivisme extrême, qui répond plus à une volonté politique de
pacifisme, ou éventuellement à une volonté farouche d’indépendance. Hors ces conceptions, il
définit la souveraineté en tant qu’autorité juridique suprême. 730

729
Idem p175.
730
KELSEN (H) : Théorie pure du droit ; traduit par Charles Eisenmann, éd. Bruylant LGDJ, collection la
pensée juridique, 1962, p 330-334.

373
Finances publiques et droits fondamentaux

2° Souveraineté matérielle et souveraineté interne et externe :

542 Souveraineté matérielle : Dans sa définition de la souveraineté, Jean Bodin énonce


que du pouvoir de faire des lois qui appartient au Prince qui ne peut l’exercer que seul, tous
ses autres droits en découlent, ce qui constitue la marque de la souveraineté : « sous cette
même puissance de donner et casser la loy, tout compris tous les autres droits et marques de
la souveraineté ».731 Il énonce que celle-ci se reconnaît par ses marques, ses « vraies
marques » qui découlent toutes du pouvoir du souverain de faire et défaire des lois. Ainsi au
titre des droits émanant de ce pouvoir de légiférer, il énonce : « décerner la guerre, ou faire
la paix, cognoitre en dernier ressort des jugements de tous les magistrats : instituer et
destituer les plus grands officiers, imposer ou exempter les sujets de charges , et subsides :
ottroyer grâces et dispenses contre la rigueur des loix : hausser ou baisser le tiltre, valeur, et
pied des monnayes, faire ivrer les sujets et hommes liges de garder fidelité sans exception à
celuy duquel est demandé le serment. Qui sont les vraies marques de souveraineté, comprises
soubs la puissance de donner loy à tous en général, et à chacun en particulier et ne la
recevoir que de Dieu ».732 Force est de constater que la conception de la souveraineté au sens
matériel n’a pas évolué de façon conséquente depuis la définition donnée par Jean Bodin. Si
ce n’est que la monarchie n’est plus et que la République désigne le « peuple » comme
détenteur de la souveraineté. Ainsi, la souveraineté populaire, dégagée par Rousseau comme
expression de la volonté de tous, s’est traduite dans la conceptualisation d’une nouvelle entité
qu’est la nation. Ce concept a été analysé 733 comme un compromis entre la toute puissance
dans les mains d’une personne et celle dans les mains de tous. Ainsi, Siéyès l’a développé afin
de contenir la souveraineté. Celle-ci était donc déjà limitée dans son exercice par le peuple si
l’on considère l’introduction de la représentation dans la prise de décisions ; celles-ci ne
peuvent être prises que dans le respect de la Constitution. Nous passons de l’illimité
abstraitement à une forme de limitation. « Le principe de toute Souveraineté réside
essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en

731
BODIN (I) : Les six Livres de la République, de iehan Bodin, Angeuin, A Monseigneur du Faur, seigneur de
Pibrac, conseiller du roy en son conseil privé. A Paris, chez Iacques du Puys, Libraire iuré à la samaritaine.
MDLXXVII. p 163.
732
Ibid.
733
JAKAB (A) : « la neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans
l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne. » in Revue
internationale de droit politique, nº 1, 26 pages, site : www.juspoliticum.com

374
L’État est-il toujours souverain ?

émane expressément » selon l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen


de 1789 ; cette souveraineté qui appartient au peuple par le biais de ses représentants et par le
biais du référendum, comme le précise l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958. La
détention de la souveraineté appartient au peuple directement ou indirectement.734
Traditionnellement, l’on considère que la souveraineté se matérialise par la capacité d’un État
de frapper sa monnaie, de la faire circuler, d’organiser la justice par l’établissement de
tribunaux et de magistrats ainsi que l’organisation de la défense de l’État. Cela se résume in
fine en une forme d’autarcie interne et d’une indépendance externe. De sorte que l’État n’est
soumis à aucune forme d’organisation.

543 Souveraineté interne et externe : Hans Kelsen a consacré une étude sur la relation
entre l’État et le droit international, il y aborde la question de la souveraineté de l’État, donc
de l’ordre juridique interne par rapport à l’ordre juridique international. Sont-ils dans une
relation dualiste ; chaque ordre juridique ayant sa propre souveraineté ou s’agit-il d’une
relation d’interdépendance ou encore d’autorité d’un ordre sur l’autre ? À cette
problématique, Hans Kelsen énonce que « Dire que l’État est souverain, c’est tout simplement
dire que l’on suppose que l’établissement de la Constitution historiquement première est un
fait de création du droit, sans se référer pour l’admettre à une norme du droit international
qui lui attribuerait ce caractère. »735 Il précise le sens de cette conception de la souveraineté,
tant du point de vue interne, que du point de vue international. Il en déduit que la notion de
souveraineté de l’État serait, du point de vue interne, la possibilité de considérer que cette
souveraineté est l’autorité juridique suprême alors, que du point de vue international, la notion
de souveraineté serait la possibilité de limiter l’action des États. 736 Cependant la considération
moniste de l’ordre juridique par Hans Kelsen, avec primauté du droit international dissout
cette notion de souveraineté au sens de supériorité telle qu’elle est traduite par la doctrine
traditionnelle. En effet, cela entendu dans le sens où l’ordre juridique représente une unité
formelle, de façon indifférente que l’on se place du point de vue de l’État ou du droit
international. Il explique qu’il est nécessaire d’établir une différence entre ce qu’est la

734
TROPER(M) : « Comment la Constitution de 1958 définit la souveraineté nationale ? » in Cahiers du conseil
constitutionnel « la Constitution en 20 questions », site conseil-constitutionnel.fr
735
KELSEN (H) : Théorie pure du droit ; traduit par Charles Eisenmann, éd. Bruylant LGDJ, collection la
pensée juridique, 1962, p 324.
736
Idem p330.

375
Finances publiques et droits fondamentaux

souveraineté du point de vue d’un État et ce qu’elle est du point de vue du droit international.
Que l’État, qui reconnaît le droit international ou inversement, ne relève pas de la notion de
souveraineté, mais d’une différence de position.
La reconnaissance du droit international par l’État et sa soumission ne sont pas antinomiques
dans la mesure où c’est par sa volonté que l’État se soumet au droit international, qu’il
reconnaît le droit international dans son propre ordre juridique, comme partie intégrante. Hans
Kelsen d’affirmer : « il n’y a aucune incompatibilité entre le fait que la souveraineté de l’État
ne serait pas limitée par aucun droit international supérieur à lui et le fait qu’en
reconnaissant le droit international en exercice même de sa souveraineté et en en faisant un
élément constitutif de son propre ordre juridique, il limiterait lui-même sa souveraineté et ici
ce mot signifie : sa liberté d’action parce qu’il assumerait ainsi les obligations établies par le
droit international général et par les traités qu’il conclura. » 737

544 La souveraineté est un attribut de l’État avec lequel elle ne se confond pas
ontologiquement. Du point de vue formel, l’État est souverain dans la mesure où il est maître
de la Constitution, le pouvoir constituant ayant la possibilité de réviser la Constitution, afin
d’y introduire des normes de droit international. La souveraineté, entendue comme la
limitation de l’action de l’État que ce dernier reconnaît au droit international, n’affecte pas la
souveraineté en tant que concept. L’État détient le pouvoir décisionnel quant à l’acceptation
ou le refus d’intégrer certaines normes auxquelles il se soumettra ou pas. Or, comme l’énonce
Hans Kelsen la limite à cette liberté entrainant la disparition ou le transfert de souveraineté, ne
ressortit pas de la théorie juridique, mais de la politique, ainsi on s’écarte du concept de
l’autorité juridique suprême du point de vue national et de la limitation à la liberté d’action
d’un point de vue international. De façon formelle, en résumé, la souveraineté est l’autorité
juridique suprême, dans le sens où elle est autonome et n’est créée par aucune norme
supérieure et du point de vue du droit international, c’est la capacité à limiter la liberté
d’action de l’État que lui-même concède, l’ordre juridique international étant intégré à l’ordre
étatique. L’État est forcément souverain du point de vue formel dans la mesure où il est le
droit qui bénéficie de cette autorité suprême de n’être créé par aucune norme supérieure et de
se limiter lui-même dans sa liberté d’action, en reconnaissant cette faculté au droit
international qui fait partie de son ordre juridique.

737
Idem p331.

376
L’État est-il toujours souverain ?

Nous adhérons de fait à l’indivisibilité de la souveraineté du point de vue formel, le contenu


de la souveraineté n’étant qu’une expression de la souveraineté. La Cour Permanente de
Justice Internationale, dans un arrêt rendu le 7 septembre 1927, dans l’affaire dite du
« Lotus », a souligné que le fait de signer un traité international ne consiste pas pour un État
en un abandon de souveraineté.738

545 La conception matérielle de la souveraineté sera envisagée, le droit international voit


la souveraineté sous l’angle matériel, c'est-à-dire définie par son contenu. Nous pouvons
constater également cela, dans la conception du Conseil constitutionnel, dans une décision du
2 septembre 1992 MAASTRICHT II.739 Le Conseil envisage la souveraineté d’un point de vue
matériel, à savoir le respect de conditions essentielles à l’exercice de la souveraineté ; il
réaffirme que le pouvoir constituant est souverain, comme les conditions dans lesquelles
s’exerce cette souveraineté.
Sont considérés comme contenu de la souveraineté, en sus du caractère économique, le
nécessaire respect des institutions de la République, la continuité de la vie de la nation, et la
garantie des droits et libertés des citoyens.
Donc, du point de vue matériel, le contenu de la souveraineté se traduit par les compétences
que l’État désire transférer et quelle serait la limite à ce transfert ? Ici se pose la
problématique de la souveraineté, non en tant que concept, mais par son contenu, qui fait
largement débat, au vu des domaines de compétence que transfèrent les États à l’Union
européenne, dans le domaine budgétaire et dans le domaine des droits fondamentaux. Débat
basé sur un sophisme, à savoir : la souveraineté par les compétences et non la souveraineté
dans son concept. La tendance actuelle consiste à réaliser un amalgame entre la souveraineté
en tant que concept et les compétences induites. Est-ce que vider le contenu consiste à vider le
contenant schématiquement ?
La véritable question qui se pose, est jusqu’à quelle limite pouvons-nous considérer qu’un
État est toujours souverain ? Tous les attributs de la souveraineté sont-ils cumulatifs ? Quel

738
CPJI : affaire du « Lotus », 7 septembre 1927, publications de la Cour permanente de justice internationale,
Série A nº 10, Recueil des arrêts. Site icj-cij.org. Il s’agissait en l’espèce d’une collision entre deux navires en
haute mer, l’un battant pavillon français et l’autre pavillon turc. La Cour devait se prononcer sur la violation ou
pas du traité international de Lausanne quant aux poursuites introduites par la Turquie à l’égard tant des
membres de l’équipage du navire français que du navire turc.
739
Cons.const décision du 2 septembre 1992, 92-312 DC, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel,
Dalloz, 15ème édition.

377
Finances publiques et droits fondamentaux

est le critère déterminant ? La souveraineté est-elle indivisible matériellement ou peut-elle


souffrir d’un partage ? La souveraineté au sens matériel se définit par son contenu, cependant
aucune liste exhaustive ne peut être établie. Quels droits sont considérés comme des droits
souverains ? Du point de vue international, aucune liste n’a été dressée afin de savoir quels
droits sont des droits souverains, cela tenant au fait qu’aucun consensus ne peut être trouvé.
Certains droits, communément admis comme relevant de la souveraineté, sont plutôt des
compétences. Ainsi, sont considérées comme des compétences souveraines : « le droit d’avoir
des relations internationales et de conclure des traités, le droit d’avoir sa propre devise, le
droit d’avoir sa propre armée et sa police, la non-intervention des autres États dans les
affaires intérieures, la compétence des compétences à l’intérieur de l’État (et sa forme
originelle spéciale : le pouvoir constituant) »740.Cependant, tout dépend de quel point de vue,
national ou international, nous nous plaçons.

546 Du point de vue national, la souveraineté se compose des compétences régaliennes, de


l’international, elle est considérée comme aucune supériorité d’un État sur l’autre, de sorte
qu’une ingérence d’un État sur l’autre dans les affaires internes ne peut être admise. L’autre
pan se situe au niveau décisionnel, du poids de chaque État, dans le processus décisionnel.
La construction européenne, représentée par l’Union européenne actuelle, forme
d’organisation internationale, connaît des transferts de compétences des États européens vers
cette organisation. Le débat est récurrent quant à la perte de souveraineté partielle des États
par les transferts de compétences observés qui seraient constitutifs d’une perte de
souveraineté pour une majeure partie de la doctrine. Ils sont considérés comme un abandon
d’éléments de souveraineté. Avant d’étudier si ces transferts constituent réellement un
abandon partiel, total, ou s’ils sont représentatifs d’une nouvelle conception de la souveraineté
qui exercée de façon partagée ne dépossède pas les États de cette qualité (Section 2), nous
étudierons dans un premier temps, les transferts de compétences en matière de finances
publiques et le cas de la protection des droits fondamentaux.

740
JAKAB (A) : « la neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans
l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne. » in Revue
internationale de droit politique, nº 1, p 11, site : www.juspoliticum.com

378
L’État est-il toujours souverain ?

II. DU TRANSFERT DE COMPÉTENCES AU TRANSFERT DE SOUVERAINETÉ ?

547 La construction européenne a constitué un nouveau défi pour la notion de souveraineté


matériellement entendue. Cette intégration des États à l’Union européenne s’est accompagnée
d’un transfert de compétences qui ébranle quelque peu les tentatives de liste non exhaustive
dressée dans le but de qualifier les composantes de l’État souverain.
Les États dans le dessein de maintenir la paix et d’instituer des relations commerciales entre
eux ont institué une promiscuité afin d’enrayer les tentatives de conflits et se trouver sur un
terrain d’accords, ils ont imaginé cette organisation qui n’a pu se créer que par le transfert
commun de compétences de chaque État membre.
De toute évidence, le droit communautaire a donc été accepté comme primant sur l’ordre
juridique national avec lequel il se fond.741
Nous arrivons à un « partage de compétences » qui entraineraient ipso facto une souveraineté
partagée, du point de vue matériel toujours. Le transfert de certaines compétences ou plutôt
leur répartition, a concerné des domaines de plus en plus importants et a conduit à la création
de véritables domaines propres à l’Union. C’est ainsi le cas des finances communautaires (A)
et du droit européen des droits de l’homme (B), pour ne citer que ces deux domaines.

A. De la répartition au transfert de compétences : Les Finances


communautaires

548 La clarification dans la répartition des compétences par le Traité de Lisbonne permet
de voir la répartition des différents types de compétences entre l’État et l’Union.

1° Des différents types de compétences : des États à l’Union

549 Matériellement, les compétences régaliennes des États sont des missions appartenant à
la souveraineté ou attachées à celle-ci. Par définition, ce sont des compétences qui

741
CJCE arrêt Costa c/Enel du 15 juillet 1964 : « a institué un ordre juridique propre intégré au système
juridique des États membres [...] et qui s’impose à leur juridiction. En instituant une Communauté de durée
illimitée, dotée d’institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d’une capacité de
représentation internationale et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d’une limitation de compétence ou
d’un transfert d’attributions des États à la Communauté, ceux-ci ont limité leurs droits souverains et ont créé
ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes ».

379
Finances publiques et droits fondamentaux

appartiennent au souverain et qui ne peuvent normalement faire l’objet ni d’abandon, ni de


délégation selon une conception classique. En France, c’est l’article 73 alinéa 4 de la
Constitution du 4 octobre 1958, qui définit ces compétences régaliennes, il les énumère. Elles
comprennent : « la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état
et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale,
la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre public, la monnaie, le crédit et les
changes, ainsi que le droit électoral. Cette énumération pourra être précisée ou complétée
par une loi organique. »
Ainsi, le Conseil constitutionnel dans son contrôle de la compatibilité des traités avec les
dispositions constitutionnelles, vérifie qu’il n’y a pas d’atteinte à la souveraineté et contrôle
également la non-délégation des compétences attachées au principe de souveraineté par le
Parlement à des entités autres que l’État. Le Conseil constitutionnel a clairement précisé cela
dans sa jurisprudence concernant l’Union européenne. Il a énoncé qu’il était possible d’opérer
des transferts de compétences à condition que ces transferts ne portent pas atteinte aux
conditions de souveraineté, comme il l’a précisé dans sa décision MAASTRICHT II du 9 avril
1992. « Autrement dit, l’État peut transférer certaines compétences relevant de sa
souveraineté, mais il ne peut en transférer le principe même considéré comme indivisible. En
particulier, si on admet que le principe de la souveraineté est que l’État décide de sa propre
compétence, les traités ne peuvent autoriser l’Union européenne à décider elle-même des
compétences qui lui sont transférées par les États membres. »742 Ceci de façon théorique, car
l’affirmation de ne pouvoir transférer le principe de souveraineté relève d’une construction
plus théorique que pratique. Formellement en tant que sujet de droit ne pouvant souffrir de
subordination, l’État détient la capacité décisionnelle de ce qu’il désire transférer.

550 La qualification de compétences dévolues à l’Union européenne par les États dépend
de la catégorie du domaine décisionnel concerné. En effet, selon le domaine, il peut s’agir soit
d’une répartition des compétences, soit d’un transfert dans la mesure où le domaine
décisionnel appartient soit exclusivement à l’Union, ou aux États uniquement, ou encore aux
deux entités. Afin d’éviter les conflits de compétences entre les États membres et l’Union, le
Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2012 y a apporté des précisions. Il a supprimé la

742
CANIVET (G) :« Les mutations des fonctions régaliennes, état des lieux » page 2,
site :www.lecercledeseconomistes.asso.fr

380
L’État est-il toujours souverain ?

répartition en trois piliers743, a doté l’Union européenne de procédures législatives propres à


assurer ses missions, et l’octroi de la personnalité juridique dévolue antérieurement à la
Communauté européenne, il établit également une distinction entre trois types de
compétences qui sont : les compétences exclusives de l’union, les compétences partagées et
les compétences d’appui.

551 Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après dénommé TFUE),


dans sa version consolidée avec le Traité sur l’Union européenne744, définit, aux articles 3, 4
et 6, les différents types de compétences applicables aux différents domaines. L’Union
dispose d’une compétence exclusive concernant l’union douanière, l’établissement des règles
de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, la politique monétaire
pour les États membres dont la monnaie est l’euro, la conservation des ressources biologiques
de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche, et la politique commerciale
commune.
Seule l’Union légifère dans ces domaines et adopte des actes juridiques contraignants. Les
compétences partagées sont définies par l’article 4 du TFUE, dans ces domaines tant l’Union
que les États membres sont habilités à légiférer ; dans le cadre de ces compétences partagées
s’applique le principe de subsidiarité à savoir que l’Union n’intervient que si elle est en
mesure d’agir de façon plus efficace que les États membres. De fait, les États agissent si
l’Union a décidé de ne pas agir ou n’agit pas. Les domaines concernés sont : le marché
intérieur, la politique sociale, la cohésion économique, sociale territoriale, l’agriculture et la
pêche, l’environnement, la protection des consommateurs, les transports, les réseaux
transeuropéens, l’énergie, l’espace de liberté, de sécurité et de justice, les enjeux communs en
matière de santé publique.

743
Ces trois piliers étaient la Communauté européenne, la politique étrangère et de sécurité commune et la
coopération policière et judiciaire en matière pénale.
744
Versions consolidées du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne - Traité sur l'Union européenne (version consolidée) - Traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne (version consolidée) - Protocoles - Annexes - Déclarations annexées à l'acte final de la Conférence
intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 - Tableaux de
correspondance Journal officiel n°C 326 du 26/10/2012 p. 0001 – 0390 http://eur-lex.europa.eu

381
Finances publiques et droits fondamentaux

Le troisième type de compétences concerne les compétences d’appui définies à l’article 6 du


TFUE, l’Union intervient afin d’accompagner les États membres dans leurs actions, il n’y a
aucune possibilité pour l’Union de légiférer. 745
Par le biais de la clause de flexibilité, l’Union peut intervenir au-delà des pouvoirs attribués
par les États membres si l’objectif le nécessite or, une procédure stricte encadre cette
compétence selon l’article 352 du TFUE.
Dans tous les cas ces transferts ne constituent pas des acquis, car ils sont octroyés par les États
membres dont l’extension est soumise à une révision des Traités. L’encadrement des
compétences de l’Union est réalisé par le biais de principes qui soumettent son champ
d’action à l’accord de tous les États membres.

552 En matière de transfert de compétences que l’on attribue à la souveraineté, nous


pouvons en citer une majeure : la monnaie. Nous étudierons ce transfert au sein de la section 2
du présent chapitre. Tout d'abord, nous nous pencherons sur le budget de l’Union, sur sa
composition, car comme l’a énoncé très justement Dalia Grybauskaitė : « Le budget est le
levier financier grâce auquel l’UE peut mettre en œuvre ses politiques et atteindre ses
objectifs »746. Quelle est la part d’intervention de l’État dans le budget de l’Union ? Dans
quelle mesure les finances publiques de l’État sont-elles affectées par le budget de l’Union et
quelles mesures européennes en matière budgétaire, ont des répercussions sur les finances
publiques de la France notamment, cela entrainerait-il une réduction de la marge de
manœuvre de l’État ? La souveraineté en est-elle affectée ?

B. Le budget de l’Union européenne : le financement de l’Union par les


États membres

553 L’Union européenne ne prélève aucun impôt.


Le budget de l’Union européenne retrace les recettes et les dépenses de l’Union européenne :
« budget général ». La composition des recettes et dépenses de ce budget a fortement évolué,

745
Ces domaines sont l’amélioration de la protection de la santé humaine, la culture, le tourisme, l’industrie,
l’éducation, la jeunesse, le sport, la formation professionnelle, la protection civile, la coopération administrative.
746
Les finances publiques de l’Union européenne, établi par la Commission européenne, 4ème édition,
Luxembourg: Office des publications officielles des Communautés européennes, 2009. Avant propos par Dalia
Grybauskaitė, membre de la Commission européenne, chargée de la programmation financière et du budget.

382
L’État est-il toujours souverain ?

en passant des seules « ressources propres » traditionnelles à l’instauration de nouvelles


ressources afin de couvrir des dépenses de plus en plus élevées.

554 Le transfert des contributions étatiques vers le budget européen sous forme de
prélèvements, a été mis en place par décision du Conseil des communautés le 21 avril
1970.747 Depuis lors, les États membres sont passés d’une démarche volontaire à une
démarche inclusive, un engagement. Cela a concerné deux types de ressources à savoir les
produits issus des droits douanes et ceux concernant la politique agricole commune,
prélèvements et taxes afférents. À ces ressources, il faut ajouter « les nouvelles » : la TVA et
la ressource RNB. Ces ressources propres ont fait l’objet d’une décision du 7 juin 2007,
entrée en vigueur en 2009 au terme de laquelle : « le taux d’appel uniforme est fixé à 30 %
valable pour tous les États membres à l’assiette harmonisée de la TVA, assiette qui n’excède
pas 50 % du RNB de chaque État ; le montant des ressources propres ne peut excéder 1,24 %
du montant RNB communautaire. »748
On dénombre trois types de ressources ou quatre, selon que l’on subdivise les ressources
traditionnelles ou pas.

555 Parmi les ressources traditionnelles, nous trouvons les droits de douane perçus sur les
importations en provenance des pays tiers à l’Union européenne, selon le tarif applicable les
concernant. Depuis la mise en place de l’Union douanière,749 cette ressource ne pouvait plus
appartenir aux États et a été transférée à l’Union. Elle a connu une baisse significative, et ne
représente plus que 14 % de la totalité des ressources propres en 2013750. À ces droits de
douane s’ajoutent les prélèvements agricoles concernant les importations réalisées dans
l’Union avec les pays tiers, dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). L’objet de
ces taxes est de compenser la différence entre les prix mondiaux et les niveaux de prix les
plus élevés dans l’Union. Cette ressource représente 1,2 % de la totalité des ressources.
En sus des ressources propres traditionnelles, nous avons la ressource TVA qui fait l’objet du
calcul ci-dessus énoncé. C’est une contribution des États membres qui représente en 2013,
11% de la totalité des ressources. La dernière ressource budgétaire est la ressource RNB qui

747
CHOUVEL (F) : Finances publiques 2013, 16ème éd, Gualino, lextenso éditions coll mémento LMD, p 111.
748
Ibid.
749
Cette mise en place date de 1968.
750
Quelles sont les ressources de l’Union européenne ? site : www.vie-publique.fr

383
Finances publiques et droits fondamentaux

est un prélèvement réalisé sur le revenu national brut de chaque État membre. Elle est basée
sur un pourcentage déterminé, annuellement, par le budget de l’Union751. Elle permet de
mettre en avant la capacité contributive de chaque État membre et de réaliser un équilibrage
du budget communautaire. Cette ressource est fondamentale et correspond à 75 % des recettes
perçues.
Ces deux dernières ressources ont la forme de contributions et non de prélèvements comme
les « ressources propres traditionnelles » prélevées directement, donc ne faisant pas l’objet
d’un versement « volontaire », les autres ressources propres ont la forme de contributions qui
représentent 87 % du budget communautaire. Nous pourrions à ce titre voir dans ces
contributions une véritable expression de concession volontaire de la part des États membres
or, il s’avère que ces contributions se rapprochent des deux premières ressources dans la
mesure où ces contributions ont un caractère automatique et sont strictement encadrées ; dont
la non-exécution du versement exposerait l’État membre concerné à de lourdes sanctions. La
marge de manœuvre des États en matière budgétaire, au niveau de l’Union, est largement
encadrée par les dispositions du Traité.

556 D’autres recettes budgétaires 752 ne revêtant pas l’amplitude, ni la fréquence de


versement au budget de l’Union proviennent de contributions de pays tiers, dans le cadre de
programmes définis, ou d’amendes infligées par la Cour de Justice de l’Union Européenne en
contravention à des règles issues du Traité, ou de taxes prélevées sur les rémunérations des
personnels communautaires.753

557 Un large débat s’est articulé autour de la mise en place d’un éventuel impôt européen
afin de compenser la diminution des « ressources propres traditionnelles », et moins dépendre
de la ressource RNB, cependant, aucun consensus, aujourd’hui, n’a été trouvé.
Le transfert de certaines ressources des États membres vers l’Union trouve sa compensation
dans l’utilité ou l’octroi de financements.

751
Ibid.
752
Des recettes hors budget existent également elles comprennent l’emprunt, et les contributions des États
membres à des programmes d’aide au développement pour certains pays.
753
Ibid

384
L’État est-il toujours souverain ?

558 Le cas de la France dans la participation au budget européen : c’est par un


prélèvement sur les recettes754 du budget général que la France apporte son financement au
budget de l’Union. En 2013, ce versement s’élève à 20,4 milliards d’euros, la prévision est de
20,14 milliards pour 2014 selon l’article 41 du projet de loi de finances pour 2014 (en 2003 il
était de 16,3 Md). Ces prélèvements proviennent des produits de la TVA et du pourcentage dû
au regard du RNB.
La part de financement de la France au budget de l’Union est de 16,6 %, l’Allemagne étant le
contributeur le plus important avec 20 %. En retour, la France perçoit 13 % des dépenses
communautaires alors que l’Allemagne seulement 10,6 %. 755

559 Au titre des dépenses, le budget de l’Union comprend deux types de dépenses
principales qui se subdivisent en plusieurs postes : les dépenses de fonctionnement liées à la
rémunération des fonctionnaires et au paiement de matériels, qui représente 6,3 % du budget
européen.
L’autre type de dépenses est constitué par les dépenses « opérationnelles », toutes dépenses
liées à l’action de l’Union européenne qui représentent 93,7 % du budget européen en 2013,
qui comprennent plusieurs chapitres.756

560 Cependant, la complexité des finances communautaires a soulevé de nombreux débats


au cours de l’année 2010, comme en France, tant sur les écarts relevés entre les prévisions de
prélèvements sur recettes et l’exécution de ces prélèvements, que sur la méthode d’évaluation
qui devait relever du Parlement au niveau national, et la réduction des contributions au budget
communautaire « subies » par la France, selon Denis Badré.757 Fut aussi soulevé le problème
de l’inscription en loi de finances des différentes ressources allouées au budget de l’Union,

754
Ce mécanisme de prélèvement sur recettes au profit du budget communautaire est consacré à l’article 6 de la
loi organique de 2001.
755
CHOUVEL (F) : op.cit. p 113.
756
Au sein de ces dépenses liées à l’action de l’Union se trouvent les dépenses pour la conservation des
ressources naturelles, les dépenses de cohésion pour la croissance et l’emploi, la compétitivité ; la représentation
de l’Union au niveau mondial, la promotion des droits de l’homme, de la liberté, de la sécurité et de la justice.
757
Rapport d’information de M. Denis BADRÉ, fait au nom de la commission des finances n° 80 (2010-2011)
du 27 octobre 2010. « La France et le budget communautaire : concilier notre ambition pour l'Europe et la
rigueur des temps » , par contributions subies, il faut comprendre les sanctions et corrections financières sous
forme de corrections financières ou d’amendes pour refus d’apurement des dépenses liées à la politique agricole
commune notamment dans l’octroi et le contrôle des aides allouées par la France à ses ressortissants, les
sanctions infligées par la Cour de justice de l’Union européenne au titre de la violation du droit communautaire
par la France, la correction des fonds structurels. Toutes ces formes de contributions grèvent le budget national
« inutilement ».

385
Finances publiques et droits fondamentaux

notamment concernant la ressource RNB inscrite en dépenses et non plus en prélèvements


communautaires. Ce débat a alimenté la suspicion à l’égard de l’élaboration du budget
communautaire et a dénoncé selon certains un manque de transparence pour le citoyen
européen.758 Après avoir constaté une évolution multipliée par 5 de 1982 jusqu’à nos jours du
montant de la contribution générale de la France au budget communautaire, MM Arthuis et
Massion, rapporteurs spéciaux à la commission des finances du Sénat, soulèvent également le
problème « d’écarts considérables positifs ou négatifs selon les exercices, sont constatés
entre la prévision et l'exécution du PSR-UE »759
Ils soulignent la nécessité d’effectuer des prévisions quant aux prélèvements sur recettes
beaucoup plus précises, chaque année, à l’intention du Parlement français, car un véritable
problème de sincérité est révélé par cet état de fait. La participation française comme celle des
autres États membres fait l’objet d’une évaluation reposant sur plusieurs facteurs
hypothétiques qui sont conditionnés par l'évolution du budget communautaire. « L’évaluation
du PSR-UE suppose tout d'abord d'anticiper les dépenses qui seront effectivement budgétées
pour l'année suivante le niveau effectif d'exécution des crédits votés et le niveau de
consommation des réserves ; la prévision en recettes varie, quant à elle, en fonction des
assiettes des ressources TVA et RNB, du niveau de recouvrement des ressources propres
traditionnelles, du solde prévisible de l'exercice en cours et du montant de la correction
britannique. »760

561 En 2014, l’évaluation prévue a été fournie par le Conseil de l’Union et non par la
Commission qui avait élaboré une hypothèse de financement qui aurait fait l’objet d’un refus
catégorique de la part des États membres.
Des efforts de structuration, dans la prévision des prélèvements sur recettes au profit de
l’Union européenne, ont été réalisés suite à des recommandations formulées par la Cour des
comptes. Elle estime en effet que les droits de douane et les prélèvements agricoles n’ont pas
à apparaître au sein de la loi de finances, car ils constituent des ressources propres de l’Union,
depuis 2010, ils n’apparaissent plus au titre des prélèvements sur recettes au sein du budget

758
Journal Le Monde du 17 octobre 2000, article de Nicolas-Jean BREHON
759
Projet de loi de finances 2014, notes de présentation des crédits en commission, rapporteurs Jean Arthuis et
Marc Massion Rapporteurs à la commission des finances « la participation de la France au budget de l’Union
européenne » III. les relations financières entre la France et l'Union européenne a. la dynamique et l'actualisation
du prélèvement sur recettes
760
Ibid

386
L’État est-il toujours souverain ?

français. Le prélèvement annuel sur les recettes de l’État répertorié en loi de finances pour
2014 s’élève à 20,14 milliards d’euros, ce qui représente 7,2% du budget général et 7,8% des
recettes fiscales nettes de la France.761

562 Or, des zones d’ombres persistent. Ce n’est pas tant au niveau des ressources qui sont
transférées, mais plutôt à celui de la prise de décision, de la conduite d’une politique
économique notamment, que le véritable transfert se réalise.
Par l’étude du budget, et des postes de dépenses, nous pouvons constater qu’il n’y a pas de
réels transferts de compétences dans la mesure où, les dépenses s’effectuent dans le cadre de
l’Union et n’empiètent pas réellement sur les fonctions étatiques, le budget de l’Union ne
laisse pas transparaître le transfert de domaines réservés à l’État et dont celui-ci serait dès lors
privé. Tout au plus, il s’agirait de compétences partagées notamment dans le cadre de l’action
de l’Union : pour la cohésion de la croissance et de l’emploi, ou la justice et la promotion des
droits fondamentaux afin d’harmoniser les législations. Ce sont également des politiques
nationales. Il s’agit d’opérer une distinction fondamentale entre transferts, répartition et prêts
sur retour. En effet, la part du budget allouée à l’Union par la France, comprend un retour par
des aides allouées par l’Union. Dès lors, on ne peut réellement parler de transfert de
compétence, car l’État n’en est pas dessaisi dans l’orientation de son budget ; concernant les
postes de dépenses, il y a compétence partagée, car des domaines se recoupent, mais plus
encore la construction du budget de l’Union répond à une logique de retour sur
investissement. La question qui se pose est de savoir quel est le solde net de la France dans ce
contexte ? La France est deuxième contributeur et troisième bénéficiaire au budget
communautaire, cependant elle présente un solde net négatif
En tant que troisième bénéficiaire des dépenses communautaires du fait des dépenses liées à
la politique agricole commune or par habitant, cela reviendrait à une position de vingtième au
rang des pays bénéficiaires. Cela tenant au fait notamment des aides directes consenties à
certains pays en difficulté, de l’élargissement, de l’encadrement des dépenses agricoles dans
leur mode d’octroi.762

761
Idem, les rapporteurs font état d’une contribution de la France au budget de l’Union multipliée par cinq entre
1982 et 2014.
762
Les auteurs du rapport indiqué supra détiennent ces données d’un rapport de 2011 émis par la Commission et
énoncent que le solde net de la France connait une dégradation depuis 10 ans.

387
Finances publiques et droits fondamentaux

563 Le budget 2014 de l’Union européenne s’élève à 142,6 milliards d’euros en crédits
d’engagement et 135,5 milliards d’euros en crédits de paiement. Jusqu’à présent la majeure
partie des crédits été alloués à la PAC, or, aujourd’hui une part de plus en plus importante est
accordée à la cohésion entre États et à renforcer la croissance économique. Ce budget s’inscrit
dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020, qui fut mis en place en 1988 afin d’éviter des
dérapages en prévoyant le respect de plafonds par le budget élaboré annuellement. Ce cadre
prévoit des plafonds annuels tant pour les crédits d’engagement que pour les crédits de
paiement, il définit les priorités de l’Union européenne en termes financiers sur plusieurs
années. Le Traité de Lisbonne prévoit que ce cadre est établi par règlement européen selon
l’article 312 TFUE, pour une période d’au moins cinq ans ; car auparavant, ce cadre financier
était fixé par accord inter-institutionnel non juridiquement contraignant.763

564 L’élaboration d’un budget communautaire par octroi de contributions et prélèvements


ne peut constituer un dessaisissement au profit de l’Union. Cependant, un débat très important
s’est constitué autour de la mise en place d’un éventuel impôt européen. Cet impôt aurait bien
sûr pour but d’augmenter les ressources de l’Union, mais également d’apporter une plus
grande transparence vis-à-vis des citoyens européens sur leur participation au budget de
l’Union. Aujourd’hui ce débat est toujours au stade de projet et ne se réalisera peut-être pas ;
mais l’instauration d’un tel impôt permettrait d’asseoir l’indépendance de l’Union européenne
au regard des États membres, néanmoins, cela constituerait aux yeux de certains, un transfert
d’un attribut de la souveraineté consistant dans le pouvoir de lever les impôts, les États y sont
très réticents.764 Plus qu’un partage de souveraineté, il semblerait que, si cet impôt voyait le
jour, il s’agirait plutôt d’accorder une souveraineté à l’Europe. En effet, le pouvoir politique
dans les États donc sa naissance, est due à cette forme organisée de prélèvement qui a permis
de mettre en place des politiques publiques et d’asseoir la légitimité de ce pouvoir. À ce jour,
ce projet n’a pas abouti ; seul celui de la taxe sur les transactions financières consistant en un
prélèvement de 0,1 % sur les transactions entre institutions financières a entamé un véritable

763
« Les spécificités du budget de l’Union européenne », Forum de la performance, le CFP 2014-2020 est en
baisse de 3,5% au regard du précédent.
764
« Faut-il mettre en place un impôt européen ? » www.vie-publique.fr

388
L’État est-il toujours souverain ?

processus de négociation, afin de pallier la crise financière en apportant un financement


supplémentaire à l’Union européenne.765

565 Les États ont toujours été réticents à transférer des pouvoirs décisionnels aux
institutions communautaires, craignant des transferts de souveraineté. Les gouvernements
nationaux étaient réticents à ce que la Commission détienne des pouvoirs équivalents à ceux
des États. Ils ont consenti à créer une politique de sécurité commune, à partager la politique
étrangère et la justice, sans l’accompagner de pouvoirs de décisions aux instances
supranationales. La Commission ne pouvait légiférer seule, le Parlement ne possédait aucun
moyen de contrôle ce qui traduit le contexte de l’Union européenne sous Maastricht766.
Malgré un renforcement des mécanismes, il ressort que la politique budgétaire en elle-même
ressortie aux États membres, elle constitue également, le cadre d’une compétence qui est
réellement transférée à l’Union : la monnaie.

566 Nous sommes ici dans une perspective de « transferts » de domaines des États vers
l’Union, dans la section 2 du présent chapitre, nous aborderons la logique inverse, à savoir ce
qu’impose l’Union aux États, car force est de constater que ce n’est pas ce que les États
fournissent ou partagent avec l’Union, c’est ce que l’Union impose aux États membres qui
traduit un transfert des moyens de souveraineté. L’Union impose une coordination des
politiques budgétaires afin qu’elles convergent toutes, dans un sens commun, dont le but est
de tendre en filigrane à assurer la stabilité de l’euro. La nécessaire convergence des États vers
une politique budgétaire similaire est rendue d’autant plus inéluctable du fait de la crise
monétaire. Chaque État doit respecter les critères définis par l’Union qu’ils ont eux-mêmes
décidé de respecter : « le droit budgétaire nouveau reconnait pleinement les souverainetés
budgétaires à condition qu’elles ne mettent pas en péril l’intérêt commun européen, comme
cela va de soi dans le cadre d’une intégration politique telle que celle de l’UE ».767
Dans cette perspective et au vu des développements précédents, nous pouvons énoncer qu’au
niveau budgétaire, les États membres et notamment la France ici, n’ont pas réalisé ce que l’on
peut dénommer un transfert de compétences. En effet, il s’agit plus d’un partage dans certains

765
Ibid.
766
DEHOUSSE (R) et BOUSSAGUET (L) : « l’impact de la crise sur la gouvernance européenne », Pouvoirs,
2014/2 n°149 p 7 à 18.
767
QUEROL (F) : « De l’intégration budgétaire européenne ou la gestation d’un droit budgétaire nouveau »,
RFFP, 01 septembre 2012, n°119, p147.

389
Finances publiques et droits fondamentaux

domaines, la France ne s’en trouve pas dessaisie. De fait, nous ne pouvons parler de transfert,
mais plutôt de coopération ou de gestion à plusieurs. Ce qui est le cas de la politique de
sécurité, pour partie elle est assurée par l’Europe, bien que la France applique également sa
politique de sécurité intérieure. Ce qui n’est pas le cas de la monnaie mise en place par
l’Union économique et monétaire, de fait, la France est dessaisie d’un de ses attributs de
souveraineté qui est celui de frapper sa propre monnaie.

SECTION 2 : L’impact de la crise : vers une approche globale et financière


des droits fondamentaux qui renouvelle la notion de souveraineté

567 L’Union économique et monétaire réalise un véritable transfert d’un attribut de


souveraineté étatique qu’est la monnaie. Dans une perspective différente, les États subissent
des contraintes au niveau financier notamment en provenance de l’Union ; ainsi, ils sont
orientés au niveau budgétaire dans leur prise de décision, ce qui accompagne le véritable
transfert qui est représenté par la monnaie. En sus, nous pouvons considérer que la crise
économique et financière a renouvelé la notion de souveraineté, dans la mesure où les États,
dans leur individualité, n’ont pas les moyens de parer à cette crise seuls. Ainsi, la notion de
souveraineté matérielle est redéfinie dans ses contours. Dans un second temps, il est difficile
de concevoir une souveraineté totale, au sens où elle était conçue par les différents auteurs qui
se sont intéressés à cette notion, car le cas des États, sous surveillance pour certains, et de
dépendance pour d’autres, d’institutions ou d’organisations internationales, peuvent-ils être
considérés comme autonomes ? Le transfert d’un attribut de la souveraineté emporte en
contrepartie des contraintes (I.) et la nature du transfert emporte une redéfinition de la notion
de souveraineté de l’État au sens matériel (II.)

I. DU TRANSFERT D’UN ATTRIBUT DE LA SOUVERAINETÉ


ET DES CONTRAINTES AFFÉRENTES :

568 Suite logique de l’achèvement du marché intérieur, et processus décisif de


l’intégration européenne, les États ont transféré un élément important composant leur
souveraineté : la monnaie. Cependant, ce transfert s’accompagne de contraintes afin

390
L’État est-il toujours souverain ?

d’harmoniser ce transfert entre tous les États membres. La crise a mis en évidence
l’interdépendance de tous les États membres par le biais de la monnaie.

A. L Union économique et monétaire


ou le pouvoir décisionnel de l’Union en temps de crise

569 L’union économique et monétaire finalisait la construction européenne, cependant les


mécanismes propres à parer à une crise financière n’ont pas été élaborés, ainsi lorsque celle-ci
eut lieu, il fut très difficile de mettre en place un « plan de sauvetage » (1). En avançant dans
cette crise, l’Union a renforcé les contraintes budgétaires afin de pallier les effets négatifs de
celle-ci (2).

1° De l’union à la crise

570 L’achèvement de la construction du marché intérieur ne pouvait que s’accompagner de


la mise en place d’une monnaie unique, au regard de la prédominance du commerce intra-
communautaire. Cette monnaie unique, dans un tel contexte, était avantageuse tant pour les
entreprises que pour les consommateurs, en réduisant le coût des opérations de change768. Le
marché intérieur se devait pour fonctionner de s’accompagner d’une certaine stabilité du
système monétaire, ce qui n’était pas le cas du fait de la fin de changes fixes. L’Acte unique
de 1986, libéralise la circulation des capitaux, la mise en place d’une monnaie unique
devenait évidente.
De plus le dollar, monnaie de référence était très fort et soumettait les autres monnaies à sa
puissance, ce n’est que par la construction d’une monnaie forte qu’il était possible de se
trouver sur un pied d’égalité avec le dollar. C’est pour toutes ces raisons que l’Europe a
décidé de créer une monnaie unique qui ait sa place sur le marché international et avantageant
les pays y ayant souscrit, afin de faciliter leurs échanges et ipso facto rendre cette monnaie
plus forte donnant ainsi une place aux entreprises européennes sur le marché international.
Politiquement, les raisons étaient de deux sortes : réaliser un marché commun permettait de
rendre les États partenaires et d’éviter que ceux-ci entrent à nouveau en conflit, car nous
sommes dans un contexte d’après-guerre qui a fortement marqué les États, donc la création

768
«Pourquoi l’Union européenne a-t-elle instauré une monnaie unique ? » site : www.vie-publique.fr

391
Finances publiques et droits fondamentaux

d’une monnaie unique venait parachever ce processus. Ensuite, elle induisait que les États
abandonnent un attribut important de leur souveraineté, ainsi ils faisaient une concession à
l’Europe en allant plus loin dans le processus d’intégration, en réalisant une union, ce que
nous pouvons constater à propos de l’Allemagne qui en décidant d’abandonner le Deutsch
Mark au profit de l’euro a donné une preuve de son désir d’intégration à l’Europe, suite à
l’aide accordée par les autres pays européens concernant la réunification de l’Allemagne. 769

571 L’union économique et monétaire est instituée par le Traité de Maastricht en 1992
dans la négociation, sa ratification par référendum intervient en France en 1993. Le droit
d'émettre de la monnaie et la rente d'émission ont été transférés à la BCE (Banque centrale
européenne) par l'article 104 du Traité de Maastricht, repris par l'article 123 du Traité de
Lisbonne. Afin de participer à l’Union économique et monétaire, les États doivent remplir un
certain nombre de conditions dénommées « critères de convergence » : « : l'inflation ne doit
pas excéder de plus de 1,5 % celle des trois pays où elle est la plus faible ; les déficits
budgétaires doivent être inférieurs à 3 % du produit intérieur brut (PIB); l'endettement public
ne doit pas dépasser 60 % du PIB ; les taux d'intérêt à long terme ne doivent pas excéder de
2 % celui des trois pays membres où ils sont les plus faibles ; et le pays ne doit pas avoir
procédé à une dévaluation dans les deux années précédant son intégration à l'union
monétaire. »770 Cette harmonisation était rendue nécessaire afin que l’Union se trouve dans
une situation financière satisfaisante, d’où l’obligation d’encadrer les politiques budgétaires et
surtout ce qui sous-entendait d’établir dès le départ des règles de respect d’un déficit maximal
toléré pour tous les pays de la zone euro. En 1997, le pacte de stabilité et de croissance vise à
coordonner ces politiques budgétaires, son but est que toute la zone euro ait à terme, des
budgets équilibrés, ou tendant à l’être, voire excédentaires : cela en vue d’assurer un équilibre
monétaire771. Les États membres décident des mesures indispensables à mettre en œuvre dans
les objectifs définis par le Traité de Maastricht, et précisés par le Traité d’Amsterdam,
notamment son pacte de stabilité et de croissance. La Commission établit des rapports sur la
mise en œuvre du pacte, émet des recommandations qu’elle communique au Conseil en cas de

769
DUVAL (G) : « comment la zone euro en est-elle arrivée là ? » Alternatives économiques n °289, mars 2010 ;
site : www.alternatives-economiques.fr
770
Ibid
771
Résolution du Conseil européen relative au pacte de stabilité et de croissance :Amsterdam, 17 juin 1997
Journal officiel C 236 du 02.08.1997.

392
L’État est-il toujours souverain ?

déficit public excessif. Le Conseil, quant à lui décide alors de l’application de sanctions en
cas de non-respect du pacte voire d’une non-application de mesures nécessaires à enrayer une
situation de déficit excessif. Les États quant à eux sont invités à assurer une position
budgétaire proche de l’équilibre et ne doivent pas dépasser le seuil de 3% du PIB de déficit
public. Ils doivent présenter chaque année au Conseil Ecofin un programme de stabilité et de
croissance pour les trois années à venir.

572 Les mesures de sanction prises par le Conseil de l’Union à l’égard des États membres
de la zone euro peuvent aller de la dissuasion à la condamnation. La France, l’Allemagne, le
Portugal, la Grèce et les Pays-Bas, ont fait l’objet de ces mesures de dissuasion sans véritables
sanctions, du fait de la faible autorité du pacte, tant au regard des institutions européennes
que du côté des États eux-mêmes. Les institutions communautaires n’avaient pas déterminé
de sanctions strictes à appliquer ou du moins ne s’entendaient pas sur celles à infliger ; les
États ont reçu le pacte de stabilité avec une défiance sans égal du fait des contraintes imposées
sur l’obligation de gestion saine de leurs finances publiques, ils le percevaient comme une
intrusion. La France et l’Allemagne furent les témoins de ce manque d’autorité du pacte et se
sont « réjouis », quelque part d’avoir encore une maîtrise importante sur leurs Finances
publiques772 ce que nous pouvons constater suite à la décision de la Cour de Justice des
Communautés Européennes du 13 juillet 2004 Commission C/ Conseil.773 Dans cette décision,
la Commission saisie la Cour de justice des communautés contre la décision du Conseil sur
les déficits excessifs. La décision attaquée était celle du Conseil des ministres ayant gelé la
procédure relative aux déficits excessifs dont étaient visées la France et l’Allemagne. L’objet
du litige se rapporte à la Commission qui avait établi des recommandations adressées au
Conseil des ministres sur la situation de déficit excessif de la France et de l’Allemagne et sur
les mesures qu’il convenait de prendre. Or, seul le Conseil avait la capacité de décider
d’entamer une procédure. Le Conseil a adopté deux recommandations et a enjoint la France et
l’Allemagne, dans un premier temps à réduire leurs déficits, comme les États visés n’ont pas
pris les mesures nécessaires, la Commission a émis un avis, le Conseil désirant entamer une

772
Actualité européennes « Procédure des déficits excessifs : la Cour de Justice désavoue le Conseil des
ministres de l'Union européenne ». CJCE arrêt du 13 juillet 2004 Commission des Communautés européennes/
Conseil de l'Union européenne.www.eurogersinfo.com
773
CJCE arrêt du 13 juillet 2004 affaire C-27/04, Commission des Communautés européennes/Conseil de
l'Union européenne.

393
Finances publiques et droits fondamentaux

procédure de sanction devait en amont faire le constat par décision de l’inaction des deux
États, mais, il n’arrive pas à réunir la majorité nécessaire et décida de geler la procédure. La
Commission saisit la Cour au motif qu’il y a violation des dispositions du pacte de stabilité
prévu par le règlement 1467/97 donc violation du Traité. La Cour a estimé que le Conseil
avait agi seul selon de nouvelles règles qu’il avait mises en place à l’occasion du litige, mais
elle ne donne pas, non plus, entière satisfaction à la Commission. Aucune conséquence réelle
n’a été tirée de cette affaire, quant à la situation dans laquelle allaient évoluer tant
l’Allemagne que la France.

573 Ce pacte fonctionnait plus sur la dissuasion que sur l’aspect sanction, pourtant, les
États interprétaient ce pacte comme une sanction et « donc une perte de souveraineté »774.
Cette situation largement problématique a conduit à un statu quo car les États n’étaient pas
prêts à accepter une ingérence dans leurs finances publiques, au titre de la monnaie unique. Ni
les États, ni l’Union par le truchement de ses institutions n’ont réussi à donner pleine
efficacité à ce pacte, et les situations budgétaires ont commencé à se dégrader ; les États
n’arrivant pas à répondre aux exigences posées par les politiques de convergence. La réforme
du Pacte de stabilité et de croissance devenait inévitable pour son défaut d’autorité et
d’efficacité, de plus, les situations budgétaires de la zone euro, se détérioraient, faisant
ressentir les prémisses de la crise. Le Conseil européen a décidé en mars 2005 de réviser ce
Pacte ; les règles concernant les déficits et la dette publique imposent toujours le respect du
seuil de 3 % et de 60 % ; mais certaines règles furent moins strictes concernant la procédure
de déficit excessif. Les exemptions à cette mise en œuvre couvrent des cas plus larges 775, la
mise en place d’une grille de lecture de la situation des pays en situation de déficit, dans
l’optique d’une procédure et de délais plus adaptés. Le règlement nº 1466/97 a donc fait
l’objet de modifications par le règlement nº 1056/2005.

774
QUEROL (F) : « De l’intégration budgétaire européenne ou la gestation d’un droit budgétaire nouveau »,
RFFP, 1er septembre 2012, nº 119, p147
775
Ibid : La mise en œuvre de la procédure de déficit excessif n’a plus un caractère automatique. Si les États
membres se trouvent en situation de récession peuvent bénéficier de cette exemption alors qu’elle n'était
jusqu'alors accordée qu'aux États frappés par une crise de croissance sévère (entraînant une perte supérieure ou
égale à 2 points de PIB.) Dans le cadre de la prévention, les positions budgétaires des États et leurs prévisions
sont envoyées à la Commission qui peut ouvrir un dialogue tripartite si l’État se trouve en situation de déficit,
entre la Commission, l’État membre et le Conseil. Ce dialogue apparait également dans la phase de sanction si
après les recommandations émises par la Commission l’État ne réduit pas son déficit.la sanction consiste en un
dépôt pécuniaire auprès de la BCE.

394
L’État est-il toujours souverain ?

574 Cependant, depuis la crise de la zone euro en 2008, nous pouvons nous rendre compte
qu’il ne suffisait pas d’une convergence des politiques budgétaires des États afin d’encadrer
l’euro et en assurer ainsi la stabilité. L’Union n’a rien prévu en amont face à une crise de
l’ampleur de celle que nous connaissons, et ce, malgré le renforcement des politiques
budgétaires après le Traité de Maastricht.

2° La crise ou des contraintes budgétaires renforcées imposées par l’Union

575 La crise de la zone euro a conduit l’Union à prévoir des mécanismes plus stricts, les
critères précédemment définis étant insuffisants à assurer une cohésion des finances publiques
nationales, surtout dans l’urgence due à la crise. Une réforme de la gouvernance économique
de l’Union européenne fut entamée, suite au Conseil européen de 2010. Elle passe par le
renforcement des mécanismes européens de surveillance budgétaire et économique des États
membres de la zone euro. Après le semestre européen776 qui prévoit la coordination des
politiques économiques et budgétaires pour l’année à venir, par les États membres en
transmettant à la Commission européenne leurs programmes de stabilité et de convergence
réciproques, la véritable amorce de la réforme de la gouvernance fut induite par le « six
pack ».
Ces six textes, entrés en vigueur le 13 décembre 2011, visent à renforcer la discipline
budgétaire et à instituer une surveillance renforcée de leurs politiques économiques. Le Pacte
de stabilité et de croissance est modifié par cinq règlements et une directive, constitutifs de ce
« six pack ».777 Le volet répressif est renforcé par le mécanisme de sanctions financières
moins « laxiste », la dette publique fait l’objet d’un encadrement plus strict en imposant sa

776
Les étapes de consolidation de la gouvernance européenne ; Forum de la performance : www.performance-
publique.budget
777
Règlement (UE) nº 1173/2011 du parlement européen et du conseil du 16 novembre 2011 sur la mise en
œuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro, Règlement (UE) n° 1174/2011 du parlement
européen et du conseil du 16 novembre 2011 établissant des mesures d’exécution en vue de remédier aux
déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro, Règlement (UE) nº 1175/2011 du parlement
européen et du conseil modifiant le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil relatif au renforcement de la
surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques
économiques, Règlement (UE) nº 1176/2011 du parlement européen et du conseil du 16 novembre 2011 sur la
prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques, Règlement (UE) nº 1177/2011 du parlement
européen et du conseil du 8 novembre 2011 modifiant le règlement (CE) n o 1467/97 visant à accélérer et à
clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs. Directive 2011/85/UE DU conseil du
8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres. Journal officiel de
l’Union européenne du 23 novembre 2011.

395
Finances publiques et droits fondamentaux

limitation à 60 %, ce qui reste inchangé, mais assorti d’une obligation d’opérer une
diminution de 1/20ème, au-delà par an, tout cela dans le cadre du calendrier établi par le
semestre européen.

576 Les États faisant objet d’une procédure de déficit excessif devront se conformer aux
recommandations du Conseil afin de le réduire, en cas contraire, ils s’exposent à des sanctions
financières qui prennent la forme en premier lieu, d’un dépôt avec intérêt de l’ordre de 0,2 %
du PIB, puis sans diminution, un second dépôt sans intérêt sera exigé, enfin si aucune
amélioration n’est constatée, une amende sera prononcée, sur recommandation de la
Commission à la majorité qualifiée de ses membres.778Une nouvelle procédure des
déséquilibres excessifs est introduite sur la base de l’article 121.6 du Traité de Lisbonne.
Cette procédure vise à éviter les déséquilibres macroéconomiques en priorité qui nuisent
fortement au bon fonctionnement de l’Union économique et budgétaire, elle permet
d’apporter une réponse rapide dès lors qu’un déséquilibre apparaît. Un système d’alerte rapide
est mis en place, afin d’identifier les déséquilibres, ce mécanisme consiste, à l’aide d’un
« tableau de bord »,comprenant dix indicateurs, d’évaluer les déséquilibres et leur gravité. En
cas de déséquilibre bénin, le Conseil adresse des recommandations aux États afin d’y
remédier et étudie les propositions de ces derniers en la matière. En cas de déséquilibre
important, jugé excessif, l’État concerné doit présenter un plan correctif, s’il est jugé
approprié, le Conseil surveille l’État, à défaut, celui-ci encourt une amende annuelle
équivalente à 0,1 % du produit intérieur brut si, après recommandation adressée par le
Conseil, l’État ne parvient pas, par deux fois à présenter un plan correctif viable. 779

577 Au niveau préventif, des objectifs budgétaires spécifiques à moyen terme sont définis
afin d’assurer la soutenabilité des finances publiques. La réalisation de ces objectifs passe par
une maitrise des dépenses publiques par le biais de l’élaboration de références ; la croissance
annuelle des dépenses publiques doit être en adéquation avec le taux de croissance défini à
moyen terme, en cas de non-atteinte de ces objectifs budgétaires, les dépenses publiques
doivent être en deçà d’un taux de référence. En cas de non-respect de ces règles, des sanctions

778
Inversement, une majorité qualifiée de ses membres peut décider de ne pas sanctionner, ce que l’on dénomme
« majorité qualifiée inversée ».
779
« Prévention et correction des déséquilibres macroéconomiques », europa, synthèse de la législation de l’UE,
site http//:europa.eu

396
L’État est-il toujours souverain ?

financières peuvent être appliquées. Cette règle est assez paradoxale, elle paraît relativement
intrusive dans la gestion des finances publiques nationales, car en visant à améliorer le cadre
de la planification budgétaire, elle oriente quelque peu les choix budgétaires, une valeur de
référence est instituée non sur le montant des dépenses, mais sur leur financement ; les
institutions communautaires ont un droit de regard sur les projets de dépenses, non pas en ce
qu’ils recouvrent, mais plutôt en ce qu’ils soient suffisamment financés.
Cependant, face à la crise, au non-respect des critères stricts imposés par les divers
instruments, les États se sont trouvés dans des situations de déficits difficilement résorbables
et le « six pack » s’est révélé être également insuffisant.

578 Le renforcement de la discipline budgétaire et de surveillance des États membres


comprend la signature d’un Traité le 2 mars 2012 sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Un autre Traité instituant le
Mécanisme européen de stabilité (MES) décidé le 16 et 17 décembre 2010 suite à la crise
grecque, soumis à ratification en mars 2012.

579 Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance a pour objectif de veiller à


la stabilité de la zone euro. Il constitue un accord intergouvernemental signé par les chefs
d’État de l’Union européenne à l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque, car
il concerne prioritairement les pays de la zone euro. L’objectif visé par ce Traité est de
contraindre les États à avoir des finances saines afin d’éviter de recourir à l’emprunt. Le
renforcement du pilier économique de l’Union économique et monétaire est le but poursuivi
par le Traité qui est basé sur les dispositions du Traité de Lisbonne. Les États doivent avoir
des comptes publics en équilibre ou en excédent. Pour se faire, les États ont l’obligation
d’introduire dans leur ordre juridique respectif « la règle d’équilibre » communément
dénommée « règle d’or » par laquelle ils s’engagent à présenter un budget en équilibre ou
excédentaire, le déficit structurel ne devra pas dépasser 0,5 % du PIB pour les pays dont la
dette est supérieure à 60% du PIB ; inversement, la marge est à 1 %.780 Si l’objectif n’est pas
atteint ou est dévié, un mécanisme de correction automatique sera déclenché afin de rétablir la
trajectoire. Ce mécanisme consiste à mettre en œuvre des mesures définies sur une période

780
« Une maîtrise insuffisante des finances publiques au cours des trente dernières années » Forum de la
performance ; site : www.performance-publique.budget

397
Finances publiques et droits fondamentaux

précise.781 De plus, un organisme indépendant est créé dans chaque État afin de vérifier la
bonne application des règles budgétaires notamment au regard des prévisions de croissance et
de leur « véracité ».

580 L’introduction de la « règle d’or » dans l’ordre juridique national : « (…) au moyen de
dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, ou dont le plein
respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont
garantis de quelque autre façon. Les parties contractantes mettent en place, au niveau
national, le mécanisme de correction (…) sur la base de principes communs proposés par la
Commission européenne et concernant en particulier la nature, l'ampleur et le calendrier des
mesures correctives à mettre en œuvre, y compris en cas de circonstances exceptionnelles,
ainsi que le rôle et l'indépendance des institutions chargées, au niveau national, de vérifier le
respect des règles énoncées au paragraphe 1. Ce mécanisme de correction respecte
pleinement les prérogatives des parlements nationaux »782 Ce Traité s’inscrit dans le
prolongement du pacte de stabilité et de croissance qu’il vise. En France, l’intégration de cette
règle d’équilibre des administrations publiques dans l’ordre juridique national s’est opérée par
la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des
finances publiques. Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 aout 2012 a défini le
cadre à respecter, il précise que la règle d’équilibre ne pouvait être transposée ni directement
par la Constitution ni par une loi organique, mais plutôt dans les lois de programmation
pluriannuelle des finances publiques. Le Conseil constitutionnel a validé quasi totalement la
loi organique dans sa décision du 13 décembre 2012.783 Cette loi organique repose sur un
fondement multiple. Plusieurs dispositions constitutionnelles la sous tend, au titre des lois de
programmation pluriannuelle des finances publiques elle repose sur l’article 34 de la
Constitution dernier alinéa tout d’abord. Ensuite sur les alinéas 18 et 19 de l’article 34 de la
Constitution, enfin les articles 47 et 47-1 de la Constitution. « Il en résulte que la loi
organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques repose sur
un fondement multiple et par conséquent sur une large habilitation constitutionnelle (…) »,

781
« Signature du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance », Conseil européen,
http://www.european-council.europa.eu
782
Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, Titre
III Pacte budgétaire, article 3, 2. Bruxelles, le 2 mars 2012. Site http://european-council.europa.eu
783
Cons. const, décision nº 2012-653 DC du 9 aout 2012 et Cons. const décision nº 2012-658 DC du 13
décembre 2012.

398
L’État est-il toujours souverain ?

car en sus de concerner la loi de programmation pluriannuelle des, elle concerne également
les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale. Cependant, la compétence
du législateur organique est assortie de limites que le Conseil constitutionnel a précisées dans
les décisions du 9 aout 2012 et du 12 aout 2012. Quant au mécanisme de correction, il précise
que la loi organique peut prévoir les modalités de mise en œuvre de ce mécanisme, mais dans
le respect de la Constitution. La transposition des stipulations du Traité est vérifiée par la
Cour de justice de l’union qui en cas de non-transposition pourra infliger des sanctions
financières.
Nous étudierons infra, la marge de manœuvre laissée à l’État dans le cadre de la transposition
des stipulations du Traité.

581 Enfin, parmi les instruments de renforcement de la discipline budgétaire et permettant


de tenter de résorber la crise, le « two pack ». Il est entré en vigueur le 30 mai 2013 et
s’applique à l’exercice 2014. Il s’inscrit dans la continuité du semestre européen et du
« six pack », il vise à renforcer la surveillance budgétaire pour la zone euro en permettant un
meilleur transfert d’informations entre États membres concernant leurs politiques
économiques et budgétaires. En effet, dans le cadre d’une période de croissance les décisions
ont des répercussions favorables sur les autres États membres or, en cas de conjoncture
défavorable les effets néfastes se font ressentir et induisent des crises économiques et
financières. La nécessité de l’adoption de ces règlements s’est accrue du fait de la crise et a
conduit à instituer en sus du cadre défini par le « six pack », une coordination plus importante
entre les États membres. Le premier règlement concerne les pays membres de la zone euro
majoritairement, le second concerne les pays en instabilité financière ou faisant l’objet d’aides
ou sortant de ce régime d’aides, mais nécessitant une surveillance. L’application de ce « two
pack » induit que la Commission examinera chaque projet de budget national et émettra un
avis ; en cas de non-respect des stipulations du pacte de stabilité et de croissance, la
commission enjoindra l’État concerné de produire un nouveau plan de budget. 784
Les différents mécanismes étudiés induisent une surveillance de plus en plus accrue de la part
des institutions supranationales à l’égard des États membres, une intrusion plus importante
dans le domaine budgétaire.

784
Entrée en vigueur du « Two Pack » : le paquet législatif complète le cycle de surveillance budgétaire pour la
zone euro et améliore encore la gouvernance économique. Commission européenne, Mémo 13/457 du 27 mai
2013, http://europa.eu

399
Finances publiques et droits fondamentaux

B. Des États sous surveillance et dépendants pour certains


peuvent-ils être considérés comme souverains ?

582 Depuis la construction de ce que l’on dénomme aujourd’hui l’Union européenne, les
États ont toujours été réticents à conférer des pouvoirs aux institutions communautaires.
Cependant, la création de l’union économique et monétaire les a conduits à conférer certaines
compétences à l’Union. La crise a contribué à renforcer ces compétences et conduit l’Union à
surveiller les États membres, cependant les carences gouvernementales révélées par cette
dernière, ont-elles transféré le pouvoir de décision au niveau européen (1) ? La souveraineté
peut-elle comprendre l’assistance financière ? (2) Sont-ils encore libres malgré la contrainte ?

1° les carences gouvernementales révélées par la crise ont-elles transféré le


pouvoir de décision au niveau européen ?

583 La crise a mis l’Europe face à des problèmes de gouvernance, l’Union n’a pas de
gouvernement785 au sens propre du terme, ce n’est pas un État et elle n’est pas souveraine ; il
a été ardu de faire face à la crise économique et financière, du moins, de façon indépendante,
« les institutions européennes qui disposent des instruments (la monnaie, le change, la
politique de la concurrence et la surveillance budgétaire) n’ont pas la légitimité politique
pour les utiliser discrétionnairement, au-delà de ce qui est consenti par les Traités
internationaux »,786 c’est le premier constat. Le second est que lors de la création de la
monnaie unique il n’a été prévu aucun mécanisme pour faire face à une situation de crise. La
réunion des deux facteurs conduit à une concertation plus importante entre les États pour faire
face à cette situation.

584 Le pays dans une position économique et financière supérieure aux autres s’impose
dans le processus décisionnel en émettant des conditions. L’Allemagne a tout d’abord refusé,
bien avant la crise, que la BCE consente des emprunts aux pays en situation de crise, et ce,
depuis le Traité de Maastricht. La raison tient au fait que l’Allemagne refusait de financer les
pays qui ne concédaient pas d’efforts économiques et financiers afin de devenir des pays

785
FITOUSSI (J.P) : « la marge de manœuvre des États. Des démocraties sans souveraineté ? », Pouvoirs,
2012/3 n° 142, p 61-70.
786
Idem p 62-63.

400
L’État est-il toujours souverain ?

prospères au sein de l’Union économique et monétaire. Il en est de même pour l’Union et les
États membres qui ne peuvent se substituer aux engagements de certains États dans
l’impossibilité d’y répondre selon les articles 123 et 125 du TFUE. 787 C’est toujours
l’Allemagne qui a exigé l’adoption d’un Traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance afin de concéder à apporter son soutien financier aux pays de la zone euro, ce
pacte qui exige que les États introduisent la « règle d’or » dans leurs ordres juridiques afin de
les contraindre à assainir leur situation financière. Ce Traité apparaît comme un gage de son
soutien.788 L’Allemagne a toujours été réticente à accorder des aides financières, la mentalité
allemande et la rigueur ne peuvent convenir de l’assistance qui encouragerait ces situations
délétères. Il devenait nécessaire de contraindre les États à la rigueur et à durcir le processus de
surveillance et de sanction pour que les efforts soient consentis de tous. Plusieurs sommets
ont eu lieu depuis la crise, car il était nécessaire que les États s’accordent sur les mesures à
prendre pour enrayer la crise. C’est « le couple franco-allemand » qui est à l’initiative des
mesures de durcissement des politiques budgétaires et des mesures de soutien. La France, qui
n’a jamais refusé son soutien notamment à la Grèce et l’Allemagne, qui exige en contrepartie
des garanties. Les deux pays dont le PIB est le plus important de l’Union ont mené ces « plans
de sauvetage ». L’Allemagne constitue le principal soutien des mesures de soutien financier,
car elle constitue le pays ayant le meilleur équilibre budgétaire et une économie compétitive.
Par conséquent, dans le processus décisionnel, les garanties exigées par l’Allemagne comme
« gage » furent adoptées. Il en est de même concernant le domaine bancaire, où l’Allemagne
demande que ce secteur soit sous la surveillance de la BCE considérée comme un régulateur
stable, cela en échange de son soutien aux banques en difficultés.789 La Commission n’est pas
intervenue, ce sont les chefs d’État qui ont poursuivi ces accords.

585 Si la Commission fut évincée de toute décision en amont et de tout avis, les États lui
ont cependant, concédé le rôle de surveillance budgétaire, car il était inenvisageable qu’un
État surveille lui-même la situation budgétaire d’un autre, d’un point de vue économique,
mais surtout d’un point de vue politique. La Commission a également fait l’objet de

787
DEHOUSSE (R) et BOUSSAGUET (L) : « l’impact de la crise sur la gouvernance européenne », Pouvoirs,
2014/2 nº 149 p 10
788
« Le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance », Toute l’europe ,www.touteleurope.eu
789
DEHOUSSE (R) et BOUSSAGUET (L) : op.cit p 15.

401
Finances publiques et droits fondamentaux

critiques790 de la part des États auxquels elle s’adresse, ces derniers bien que dans l’obligation
de se plier aux recommandations émises, lui reprochent de n’avoir aucune légitimité
démocratique, contrairement aux Parlements. Le Conseil européen est une institution depuis
le Traité de Lisbonne, auparavant il ne bénéficiait d’aucun statut formel, comme il est très
justement souligné, le Conseil européen semble détenir « tous pouvoirs » étant sur « le devant
de la scène », cependant, il n’a pas le pouvoir législatif.
Cette situation est assez paradoxale, d’une part nous avons l’impression que les institutions
supranationales détiennent le pouvoir décisionnel en matière économique, monétaire et
budgétaire et d’autre part nous avons l’impression que seuls les États sont maîtres de ces
décisions. Par les mécanismes d’octroi de pouvoirs aux institutions de l’Union et de contre-
pouvoirs mis en place par les États membres, qui détient le pouvoir décisionnel ? la réponse à
la question ne peut être que nuancée.

586 Pouvoirs et contre-pouvoirs au sein de l’Union. Depuis la crise, les États membres se
sont vus contraints de transférer certains pouvoirs aux institutions supranationales. Le rôle de
la Commission fut renforcé, afin de coordonner les politiques économiques, son rôle de
surveillance également, notamment en matière de déficit public. Les budgets nationaux lui
sont soumis avant leur adoption, afin qu’elle les contrôle. Les recommandations de la
Commission ne peuvent être remises en cause que par une majorité qualifiée inversée.791

587 Le Conseil de l’Union européenne contrebalance les pouvoirs détenus par la


Commission et par le Parlement européen, ce, par le biais de la présidence du Conseil de
l’Union. En effet, conscient que la Commission dispose du pouvoir législatif, le Conseil de
l’Union, par sa présidence « rotative », tente de modifier certaines propositions, voire de
procéder à des compromis ; les représentants nationaux s’adressent en priorité à la présidence
du Conseil de l’Union. Ils bénéficient de fait d’une importante influence sur la
Commission.792 La présidence du Conseil conduit de fait les négociations au détriment de la
Commission. Le même type d’influence s’exerce au niveau du Parlement par les États
membres du Conseil de l’Union qui les invite à amender certains textes, afin de renforcer les

790
Toute l’Europe, op.cit p14.
791
QUEROL (F) : « De l’intégration budgétaire européenne ou la gestation d’un droit budgétaire nouveau » ,
RFFP, 1er septembre 2012, nº 119, p147.
792
NOVAK (S) : « Le grand retour des États », Pouvoirs, 2014/2, nº 149, p 22.

402
L’État est-il toujours souverain ?

positions défendues par l’État membre concerné. 793 Force est de constater dans cette lignée
que le Conseil européen, qui n’a pas de pouvoir législatif, coordonne les politiques,
notamment économiques, en amont : donc il est décideur.

588 La crise a contribué à étendre les pouvoirs des institutions communautaires comme la
Commission et la Cour de Justice de l’Union européenne. Les domaines soumis à la
procédure de codécision sont plus nombreux. Dans le domaine législatif, la règle de la
majorité qualifiée est la règle prépondérante au Conseil de l’Union, elle permet alors une
meilleure adoption des lois malgré les oppositions pouvant survenir ; les influences restent
nombreuses sur le Parlement européen. Quant au Conseil européen, acteur phare des
politiques de coordination, il bénéficie d’une notoriété qui le « légitime » aux yeux des
citoyens européens. Les mécanismes décisionnels et les domaines « transférés » aux instances
supranationales conduisent à une approche en deux temps de la notion de souveraineté.
La crise a contraint les États à transférer certains domaines aux institutions de l’Union, ceux
concernés directement par la crise. Avant celle-ci, nous pouvions constater la réticence des
États à ne serait-ce que déléguer certains domaines, notamment le domaine économique
considéré comme partie intégrante de leur souveraineté. Aujourd’hui, l’ampleur de la crise a
fait émerger la nécessité de centraliser, au niveau européen, sa résolution, d’autant plus que la
monnaie unique induit la nécessaire mutualisation des efforts. Les pays de la zone euro sont
interdépendants et les transferts de souveraineté, en matière de surveillance au niveau
budgétaire, qui sous-tend le domaine monétaire et la nécessaire coordination en amont des
politiques économiques relevaient d’une nécessité.
Comme nous l’avons constaté supra, la détermination des politiques économiques appartient
aux États, tout comme les décisions de transferts de domaines au niveau de l’Union. Les
pouvoirs conférés aux institutions supranationales les conduisent à avoir un droit de regard
sur les États membres ; la question qui se pose est : est-ce qu’au niveau de l’intégration de la
« règle d’or » il n’y a pas de fait intrusion de ces instances au niveau national ?

589 Règle d’or imposée : atteinte ou pas à la souveraineté ? Dans sa décision du 9 août
2012794, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur la nécessité de réviser ou pas la
Constitution, afin d’introduire les dispositions prévues au sein du Traité sur la stabilité, la

793
Idem p 23.
794
Décision nº 2012-653 DC du 9 aout 2012.

403
Finances publiques et droits fondamentaux

coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Il devait se


pencher aussi, sur l’atteinte, ou pas, portée à la souveraineté de l’État français en son volet
budgétaire et financier en répondant à la question : « le pilotage des finances publiques et la
maîtrise de l’endettement nationaux peuvent-ils être conditionnés par des engagements
internationaux ?»795. Le choix du mode de transposition, prévu à l’article 3 paragraphe 2 du
Traité, permet de ne pas procéder à la révision de la Constitution. Le Traité prévoit dans ses
stipulations une préférence pour introduire la « règle d’or » relative à l’équilibre des finances
publiques au sein de dispositions constitutionnelles, si cela est possible. Selon le Conseil
constitutionnel, ce mécanisme de transposition porterait atteinte à la souveraineté nationale.
Pourquoi ? Comment cette « règle » pourrait alors porter atteinte à la souveraineté ? Tout
d’abord, parce que ces dispositions ne sont pas l’œuvre du pouvoir constituant et que force est
de constater que les pouvoirs de la Cour de justice de l’Union européenne ont été renforcés,
car elle peut être saisie des violations à cette règle d’or. Donc, elle pourrait sanctionner la
contravention à des dispositions constitutionnelles, si la transposition se faisait à ce niveau et
alors, porter atteinte à la souveraineté nationale en contrôlant la Constitution, compétence
dévolue au Conseil constitutionnel.796 La contrariété à la Constitution viendrait également du
fait que les compétences budgétaires appartiennent au Gouvernement et au Parlement.

590 Le Conseil constitutionnel rappelle que le principe de souveraineté réside dans la


Nation au considérant nº 5, ensuite il détermine les règles propres à l’adhésion des États
membres à l’Union en évoquant que le transfert de compétences résulte d’une volonté des
États de les exercer en commun. Ensuite, ce qui est innovant dans la décision du Conseil
constitutionnel, est qu’il aborde le principe de souveraineté budgétaire comme partie
intégrante de la souveraineté étatique. Le Conseil constitutionnel estime que les limitations en
matière de déficit et de dette prévues par le Traité de Lisbonne et de son Traité sur le
fonctionnement de l’Union ne portent pas atteinte à l’exercice de la souveraineté nationale ;
les stipulations prévues au sein de ce Traité ne réalisent pas non plus de transferts de
compétences, ni d’atteintes à la souveraineté dans son exercice. La transposition de la « règle
d’or »dans l’ordre juridique national, se réalisera par le biais d’une loi qui est la loi de
programmation pluriannuelle des finances publiques. Le Traité précise que ces dispositions

795
OLIVA (E) : « Le pacte de stabilité devant les juridictions constitutionnelles », RFDA 2012, p 1043.
796
Idem p 1044.

404
L’État est-il toujours souverain ?

doivent être permanentes, le Conseil se base sur le dernier alinéa de l’article 34 de la


Constitution et sur les vingt-deuxièmes, dix-huitièmes et dix-neuvièmes alinéas de l’article
34.Ces articles donnent un cadre au législateur organique.797 Le Conseil a réalisé un tour de
force en prévoyant que des dispositions législatives transposent ce Traité et que la loi
organique en fixe le cadre. Sans modifier, ni ajouter à la Constitution, la « règle d’or » est
transposée. La souveraineté étatique n’est pas atteinte et la souveraineté budgétaire est
dégagée clairement.

591 Cependant, le droit de regard de la Cour de justice de l’Union européenne sur les
règles budgétaires au sein d’un État membre constitue une intrusion dans la souveraineté de
l’État. Bien que le Conseil constitutionnel énonce que la souveraineté est sauvegardée et que
les transferts réalisés en amont n’ont pas porté atteinte à la souveraineté nationale, force est de
constater que même s’il n’y a pas de réelle atteinte, il y a intrusion dans la souveraineté. La
différence notable est qu’au lieu d’un transfert de l’État au niveau de l’Union, il y a là une
règle imposée par l’Union au niveau national. Une règle propre à encadrer les budgets
étatiques.

592 Même s’il n’y a pas atteinte à la souveraineté nationale, ni par les compétences, ni par
le degré d’introduction des normes européennes, les États se trouvent cependant sous
surveillance de plus en plus accrue au niveau budgétaire, entre le « six pack », la « règle
d’or », le « two pack », les États ont une marge de manœuvre quelque peu restreinte et sont
dans l’obligation de faire des choix afin de se maintenir dans le cadre défini par l’Europe.

2° La souveraineté peut-elle comprendre l’assistance financière ?

593 Cette notion de surveillance se fait ressentir notamment au niveau de l’encadrement


des États en situation de déficits excessifs pour ne citer que ceux-là. En parallèle du Traité sur
la stabilité, la coordination et la gouvernance(ci-après dénommée TSCG) au sein de l’Union
économique et monétaire, le Traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (ci-après
dénommé MES), s’inscrit dans cette logique de surveillance et ne concerne que les États
ayant ratifié le TSCG. Le MES créé en 2012, fait suite au Fonds européen de stabilité

797
Idem p1052.

405
Finances publiques et droits fondamentaux

financière, il est une institution financière internationale qui a la personnalité juridique et est
parfois appelé « FMI européen ».798 Il apporte une aide financière aux États en difficulté qui
composent la zone euro avec le FMI. Il a été créé suite à la crise grecque. Son capital provient
des États membres de la zone euro, mais il peut obtenir des financements par des tiers ou des
institutions financières. Il permet de résoudre de façon plus rapide les éventuelles crises. Il est
composé en sus du conseil d’administration et du directeur général, du conseil des
gouverneurs ; le vote est à la majorité qualifiée. Son aide est conditionnée par un programme
que doit appliquer l’État demandeur. Les programmes d’aides ont concerné la Grèce, le
Portugal et l’Irlande qui comme le souligne Klaus Regling799, ne seraient probablement plus
au sein de la zone euro sans ces aides. Depuis le fonds européen de stabilité, ce sont 222
milliards d’euros qui ont été prêtés aux États membres en difficulté.
Ce que l’on dénomme « la troïka » : Union européenne, Banque Centrale Européenne et
Fonds Monétaire International, apporte son aide financière aux pays en difficulté, en échange
de changements structurels, c’est le cas de l’Irlande qui est sortie de cette tutelle en 2013.

594 Que ce soient les pays de la zone euro ou les autres pays sous tutelle du FMI, le
pouvoir décisionnel est fortement affaibli voire à la merci des autorités de surveillance. La
souveraineté en est alors fortement affectée, car quelles marges de manœuvre en découlent
pour les États ?
Il semblerait que les États qui connaissent des difficultés financières ne soient plus dotés d’un
pouvoir décisionnel propre, mais les décisions sont imposées par les autorités prêteuses qui
assurent la surveillance de leurs budgets. La souveraineté en tant que puissance décisionnelle
en dernier ressort, de façon autonome, serait donc remise en cause.

II. LA REDÉFINITION DE LA NOTION DE SOUVERAINETÉ DE L’ÉTAT AU SENS MATÉRIEL

595 La souveraineté au sens matériel peut-elle comprendre des droits protégés au-delà de
sa propre constitution ? Ainsi, les droits fondamentaux ne sont-ils pas antinomiques de cette

798
QUEROL (F) : « De l’intégration budgétaire européenne ou la gestation d’un droit budgétaire nouveau »,
RFFP, 1er septembre 2012, nº 119, p158.
799
Actuel Directeur du Mécanisme européen de stabilité. Interview du 22 mars 2014 dans le journal Le Temps,
économie et finances Homepage Address: http://www.letemps.ch.

406
L’État est-il toujours souverain ?

notion de souveraineté ?(A) Le constat est également tiré de la souveraineté financière qui se
trouve partagée avec l’Union européenne entrainant une redéfinition de cette notion. (B)

A. Les droits fondamentaux sont-ils antinomiques de la notion de


souveraineté ?

596 Droits fondamentaux et souveraineté sont dans une relation complexe. D’une part, la
souveraineté étatique dans sa construction et son application s’est trouvée être antinomique du
respect des droits fondamentaux au niveau international, aujourd’hui, nous pouvons constater
que les organisations œuvrent dans le sens d’une promotion des droits fondamentaux. (1)
D’autre part, du point de vue de l’intégration européenne, la France a dû adhérer à des
instruments de protection des droits fondamentaux , et dans une perspective inversée les États
membres doivent respecter ces droits et les faire respecter au sein de leurs États sous peine de
sanctions (2).

1° Constitution et autres instruments de protection des droits fondamentaux .

597 Les droits fondamentaux sont protégés tant par les instruments nationaux qui sont la
Constitution du 4 octobre 1958, le Préambule de la Constitution de 1946, la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’Homme de
1948, ainsi que par la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950 et la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000. Tous ces instruments visent à la
protection des droits de l’homme tant au niveau national, européen, qu’international. La
question qui se pose est, comment peut-on parler de souveraineté au niveau de la protection
des droits fondamentaux ?

598 Si l’on se place au niveau national, ce sont les constituants qui décident de la
protection des droits fondamentaux en inscrivant dans la Constitution de l’État, les règles
afférentes à leur protection. La Constitution est le premier instrument de protection des droits
fondamentaux à notre sens, bien évidemment en considérant que la Constitution intègre un
régime démocratique. C’est bien la conception positiviste du droit qui permet la protection

407
Finances publiques et droits fondamentaux

des droits de l’homme800, car le droit naturel, en tant que tel, ne peut permettre d’assurer une
protection efficace. Ce constat est tiré du fait que dans un système totalitaire, il ne peut y
avoir de garantie des droits fondamentaux assurée, car elle dépend de la personne dépositaire
du pouvoir, ainsi cette garantie est arbitraire. De même, dans les sociétés pré-étatiques, il ne
peut y avoir de protection efficace des droits fondamentaux dans la mesure, où il n’y a pas de
système défini et intangible pouvant être revendiqué par tout un chacun.801
Cela étant affirmé, ce qui nous préoccupe est la notion de souveraineté au regard de la
protection accordée par divers instruments européens et internationaux. La protection des
droits fondamentaux n’est pas l’apanage des seuls États démocratiques. Elle est également
consacrée à d’autres niveaux. Par conséquent, les droits fondamentaux revêtent un caractère
universel. Le Conseil de l’Europe œuvre en ce sens, dans un rapport d’information, il retrace
l’action entreprise afin de « réaffirmer le caractère universel des droits de l’homme ». 802

599 Ce principe d’universalité est consacré dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme (ci-après dénommée : DUDH) de 1948. Par universalité, il faut entendre, selon cet
instrument, que les droits fondamentaux doivent s’appliquer en tous lieux, en tout temps, à
tout Homme. Face à la crise économique et financière, cette universalité est le point de mire
du Conseil de l’Europe, car les communautarismes et nationalismes émergent en réaction à
cette dernière rendant l’interdépendance des États, par le biais de l’Europe, responsables, ce
qui a pour conséquence de rejeter les personnes n’appartenant pas à ces communautés, quelles
qu’elles soient.

600 Ban Ki-Moon, huitième secrétaire général des Nations Unies, a énoncé dans une
allocution au Conseil de l’Europe qu’il est nécessaire de renforcer le caractère universel des
Droits de l’Homme en tant que droits indivisibles, il est impossible de choisir entre ces
derniers. Ce discours fut prononcé à l’occasion du 60e anniversaire de la Convention
européenne des droits de l’homme.803 Il est évident que chaque État a ses particularismes,
religieux, culturels… or, la Convention européenne des droits de l’homme, souligne le socle

800
BRUNKHORST (H) : « Droits de l’homme et souveraineté : un dilemme ? » Trivium en ligne, 3/2009, 13
pages.
801
Idem p10.
802
Rapport d’information, commission des questions politiques, rapporteur M Denis Badré. 15 novembre 2011
13 pages.
http://assembly.coe.int
803
Idem p2

408
L’État est-il toujours souverain ?

commun à tous les États afin de les rassembler autour de valeurs communes que sont les
droits de fondamentaux. L’adhésion de tous les États à la Convention européenne des droits
de l’homme révèle le caractère universel de ces droits. Les articles de cette convention
peuvent être invoqués devant les juridictions nationales afin d’assurer leur protection. De
plus, une Cour européenne spécifique permet également au niveau européen de rejuger une
affaire ayant été jugée au préalable par les juridictions internes. Après avoir épuisé toutes les
voies de recours interne, tout justiciable peut intenter une action devant la Cour européenne
des droits de l’homme. La décision de cette Cour s’imposera alors dans l’État concerné.
À ce titre, il est paradoxal d’invoquer la notion de souveraineté en combinaison avec les droits
de l’homme. Tous les instruments internationaux, de protection des droits fondamentaux
n’ont pas la même portée que la Convention européenne des droits de l’homme, mais ils
résultent d’une vision unifiée des États de la conception qu’il faut avoir des droits
fondamentaux.

601 Ces droits n’appartiennent pas à un État en particulier, bien qu’ils doivent au préalable
être protégés dans chaque État, ce qui est d’ailleurs imposé dans les instruments
internationaux, lors de leur ratification par les États. Les différents niveaux de protection des
droits fondamentaux , national, européen ; international, ne peuvent s’accorder avec une
vision fermée de la notion de souveraineté propre à un État en particulier. Le statut de citoyen
804
n’a aucune incidence sur la possibilité de bénéficier des droits fondamentaux . C’est dire
que cette notion de souveraineté n’est pas le support de protection des droits fondamentaux.
L’Europe n’a pas de souveraineté propre, elle se compose comme nous avons pu le voir
supra, de partage de compétences des États avec l’Europe qu’ils composent.
Les droits fondamentaux n’ont pas pour corollaire nécessaire aujourd’hui, la notion de
souveraineté, mais ils ont depuis toujours, celui de démocratie en tant que forme organisée de
protection.
Un autre volet des droits fondamentaux comprend ce que l’on appelle l’instrumentalisation
des droits de l’Homme. En effet, sous couvert d’assurer leur protection, les États s’ingèrent au
sein des autres États. Cette problématique que nous allons développer plus bas traduit le
caractère transversal de ces Droits ne s’accordant pas nécessairement de la notion de
souveraineté.

804
BRUNKHORST (H) : « droits de l’homme et souveraineté : un dilemme ? » Trivium en ligne, 3/2009, p 9.

409
Finances publiques et droits fondamentaux

2° L’instrumentalisation des Droits de l’Homme

602 Sans entrer dans l’analyse économique de John Maynard KEYNES, y adhérer ou la
rejeter, il paraît important de citer une de ses phrases qui prend dans ce contexte, tout son
sens : « Un jour viendra, bientôt, où les questions économiques seront reléguées à l’arrière-
plan, comme il se doit, et où la sphère du cœur et de l’esprit sera occupée, de nouveau, par
les problèmes vraiment importants que sont la vie et les relations humaines, les
comportements et la religion. »805 Au regard des dérives de certains États qui, sous couvert
d’organiser la protection des droits fondamentaux , protègent leurs intérêts financiers, il est
évident que cette phrase résonne. Jean Ziegler, membre du Comité des Droits de l’Homme,
énonce que la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, contient
tant des articles relatifs à la liberté individuelle et collective, que des droits économiques et
sociaux, culturels, de justice sociale (…), « C’est la Magna Carta de toute l’Humanité »806.
Les droits fondamentaux qu’il dénomme « droits de l’Homme » ont connu une grande
avancée, constate-t-il : des dictatures en Amérique latine a émergé la démocratie ; l’apartheid
en Afrique du Sud fut vaincu grâce à Nelson Mandela, le mur de Berlin est tombé et l’Union
soviétique a implosé.

603 C’est l’avènement du capitalisme, il a conquis la planète et donna naissance au


néolibéralisme : la main invisible et parallèlement à ses dérives, notamment à
l’instrumentalisation des droits de l’Homme déclare-t-il.
Pierre Sané, membre d’Amnesty International, énonce que cette instrumentalisation fut
constatée au Koweït, sous couvert de protéger les droits de l’Homme, les États ont justifié
leur ingérence militaire ; cependant, cette ingérence avait pour objectif de récupérer le pétrole.

604 Actuellement 193 États sont Membres de l’Organisation des Nations Unies qui est une
organisation intergouvernementale née le 24 octobre 1945, après la signature de la Charte des
Nations Unies le 26 juin 1945, 50 États en sont fondateurs, certains ne sont pas membres,

805
KEYNES (J.M), cité par BACACHE-BEAUVALLET (M) : « L’État : contraintes et liberté, approche
économique », Revue Pouvoirs-142. 2012/3, p 30.
806
Interview de Jean ZIEGLER, émission du 3 janvier 2005, Le monde en face, France 5, « Les Droits de
l’Homme sont-ils menacés ? »

410
L’État est-il toujours souverain ?

mais « États observateurs »807, la souveraineté des États membres est à la base des Nations
Unies.

605 Dans la Charte des Nations Unies, est stipulé qu’aucun État ne peut s’ingérer dans les
affaires internes d’un autre État qui relèvent de la compétence nationale sauf exception dans
le cas d’une menace pour la sécurité collective. Le Conseil de Sécurité de l’ONU est seul
habilité à prendre une résolution afin que les États invoquant une menace contre la paix
puissent intervenir militairement. En effet, la responsabilité de la communauté internationale
est de protéger les populations en cas de violations commises par leur gouvernement, ce qui
constitue selon les membres de l’ONU, plus qu’un droit d’ingérence, un devoir. Cependant,
ce droit d’ingérence n’est pas unilatéral et cette notion est sujette à controverse dans les faits.
Certains États interviennent sans résolution du Conseil de sécurité dans des États souverains
comme en Syrie, voire en en obtenant une a posteriori comme en Libye. Les dérives tant au
niveau de l’autorisation à s’ingérer que les motivations profondes des États qui invoquent ce
droit induisent des situations de conflits permanents in fine. Jean Ziegler, revient sur l’Irak, et
sur les arguments soulevés par l’administration Bush, énonçant que le pays incriminé
possédait des armes de destruction massive, or, n’était-ce pas pour gérer le plus puissant
producteur de pétrole ? La situation après le 11 septembre 2001, en Afghanistan, où les droits
de l’Homme étaient bafoués fait état d’une situation bien plus désastreuse qu’elle ne l’était
auparavant quant au nombre de morts et à la montée en puissance d’une idéologie
antioccidentale. D'un côté, les pays des Nations Unies prônent le droit pour tous à
l’alimentation et d’un autre, l’organisation mondiale du commerce vote une libéralisation
totale du commerce ; une véritable contradiction de ces pays dans leur langage et dans leurs
actes selon Jean Ziegler. À l’appui de cette énonciation, il invoque en exemple n’importe quel
droit économique et social, en énonçant qu’ils sont bafoués par les grands trusts qui
répercutent le prix de leurs pertes sur les matières premières. En dernier exemple, le cas de la
Chine qui censure le droit à l’information, quid de la liberté d’expression par rapport au
développement économique. De plus, de nombreuses discriminations sont à déplorer : des
conditions de vie et de travail à l’exploitation de la main d’œuvre chinoise par de nombreux
pays internationaux. L’interdépendance économique entre les Occidentaux et les Chinois est

807
C’est le cas de la Palestine, du Vatican, des îles Cook et Nioué. 197 États sont reconnus par l’ONU, 193
membres et 4 observateurs.

411
Finances publiques et droits fondamentaux

avérée, néanmoins, il est évident qu’il n’y a pas de similitude au niveau de la protection des
Droits.

606 Les droits fondamentaux sont une arme contre l’oligarchie : « il n’y a pas de société
civilisée sans pleine réalisation des Droits de l’Homme universels, individuels et
interdépendants, le combat des Droits de l’Homme est le vrai combat révolutionnaire de
notre temps. »808

B. La souveraineté financière partagée vers une redéfinition


de la notion de souveraineté le concept restant intact

607 La situation de l’Union européenne, de sa création à la crise dont les effets ont
commencé à se faire ressentir en 2007, nous conduit à une analyse paradoxale voire en demi-
teinte. En effet, l’Union européenne est dépourvue de souveraineté propre, mais possède des
pouvoirs importants qui s’imposent aux États membres. Or, les pouvoirs détenus par
l’Europe, qui lui ont été conférés par les États membres les autolimitent, ainsi ne les vident-
ils pas de leur souveraineté ?
Tel est le débat de fond de la conception de l’Union européenne.

608 Tout en étant favorables à la construction européenne, les États ont refusé de transférer
des domaines de compétences aux institutions supra nationales, notamment en matière
économique, ce dont témoigna la structure en piliers édifiée par le Traité de Maastricht. La
Commission a vu son rôle infime au préalable. Devant la nécessité de consolider les actions à
l’échelon communautaire, les États ont mis en place des structures spécifiques, surtout
temporaires, ou, gérées directement par les États, que ce soit le Haut représentant pour la
politique étrangère ou de sécurité commune, ou l’Eurogroupe qui ne bénéficiait pas de statut
spécifique. Le Traité de Lisbonne, vu « l’impact de la crise sur la gouvernance européenne »
cela a conduit les États à transférer plus de compétences et notamment à instaurer des
mécanismes de surveillance importants dans le domaine budgétaire.

808
Interview de Jean ZIEGLER. Op.cit.

412
L’État est-il toujours souverain ?

1° l’Union européenne et le fédéralisme

609 La Déclaration Schuman du 9 mai 1950 énonce que la construction européenne vise à
établir une « fédération européenne » par la mise en commun des productions, notamment
dans le cadre du charbon et de l’acier, afin d’établir des relations économiques et de viser la
paix.
Le fédéralisme se pose comme l’antonyme de la souveraineté. Or, du fait des transferts de
compétences de plus en plus nombreux, des mécanismes de surveillance, des dépendances
financières, les États composant l’Union européenne sont-ils toujours souverains ?
La crise, qui a débuté en 2008, a conduit les États à s’intégrer de façon plus approfondie à
l’Union, ce qui est finalisé aujourd’hui avec le Two Pack « Ainsi pour faire face aux risques
d’insoutenabilité des Finances publiques, l’Union Européenne, et spécialement la zone euro
en son sein, ont réagi en approfondissant l’intégration budgétaire, autrement dit en tentant de
mieux encadrer la souveraineté budgétaire des États concernés. »809 Cependant, nous ne
sommes pas dans le cadre d’une fédération.
En effet, dans le cadre de l’État fédéral, nous trouvons deux gouvernements disposant chacun
des éléments de souveraineté interne et externe et un partage de compétences en des domaines
exclusifs. On considère le fédéralisme comme caractérisé par l’institution d’un organe
constitutionnel propre à trancher les litiges et la suprématie de la Constitution écrite. 810 Force
est de constater que nous ne nous trouvons pas, par le seul fait de ne pas avoir une
Constitution écrite au niveau de l’Union, dans le cadre d’un fédéralisme pur.

610 Depuis 1992, la monnaie est « fédéralisée », avec le Traité de Maastricht, or les États
sont restés les décideurs en matière de politique économique dans leurs États, conservant ainsi
une part de leur souveraineté dans ce domaine.811 Les différents instruments européens qui ont
suivi ont conduit les États à harmoniser leurs politiques économiques et budgétaires, afin de
faire face à la crise et d’apporter une solution appropriée. Selon l’article 3 du Traité sur le
fonctionnement de l’Europe, l’Union a une compétence exclusive dans le domaine monétaire,
ainsi que des mécanismes de surveillance propres à assurer une coordination budgétaire, mais
pas le pouvoir d’imposer de prendre des décisions dans un sens déterminé au niveau

809
TIRARD (M) : « Le fédéralisme financier au chevet de l’Europe », RFFP 1er novembre 2013, nº 124 p131.
810
MACKLAY (P) : « Le fédéralisme et le partage des compétences », Chapitre 3, 2007, www.er.uqam.ca
811
TIRARD (M) : op.cit

413
Finances publiques et droits fondamentaux

budgétaire. De plus le budget de l’Union est relativement faible et ne peut donc avoir autorité
sur les États membres en réalisant d’importants transferts. Comme il l’a été très justement
souligné, « il n’y a pas d’action visant à doter l’Union d’une souveraineté budgétaire avec la
constitution d’un gouvernement économique capable d’atteindre véritablement les
individus ».812
Nous sommes ainsi dans une situation paradoxale où les États freinent une consolidation de
type fédéral d’un côté, et d’un autre, ont transféré des compétences, telles celle de la monnaie
donc une part de leur souveraineté.

611 Or la souveraineté peut-elle subir des partages et des divisions ? Le Conseil


constitutionnel a souligné qu’il était nécessaire de faire la différence entre les limitations de
souveraineté qui sont autorisées et les transferts de souveraineté qui nécessitent une révision
de la Constitution. La révision de la Constitution s’avère nécessaire dans la mesure où ces
transferts amputent la souveraineté. Le Conseil constitutionnel de préciser : « ces transferts ne
doivent pas porter atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté
nationale. »813
Donc, de quelle forme d’organisation relèverait l’Union ? En répondant à cette question nous
pourrons en déduire le degré de souveraineté que les États ont conservé et comment s’articule
les relations entre l’Union et les États membres. L’Union ne se trouve pas dans le cas d’une
fédération, car elle dispose des compétences attribuées par les États membres via les traités.
Elle n’est pas non plus, dans le cadre d’une confédération, car la gestion des conflits de
compétence, ne relève pas des États membres, mais d’un organe indépendant qu’est la Cour
de justice de l’Union européenne. Contrairement à la confédération qui règle les conflits par
des méthodes propres au droit international, comme la négociation, l’arbitrage, mais sans
Cour de justice.
L’Union n’a pas de souveraineté propre, elle n’est pas un État fédéral, elle n’est pas non plus
une confédération. Elle est entre les deux modèles auxquels elle emprunte certaines
caractéristiques. Sa construction est semblable à une confédération qui par les compétences
exercées a suivi un modèle fédéralisant. Or, la réticence des Etats membres à perdre leur
souveraineté, les a conduits à rester entre ces deux modèles et constituer un modèle unique.

812
Idem p 138.
813
CONSTANTINESCO (V) : « La souveraineté est-elle soluble dans l’Union européenne ? », L’Europe en
formation, n°368, été 2013, p127.

414
L’État est-il toujours souverain ?

2° Souveraineté partagée

612 Si l’on définit « la souveraineté comme liberté »814, liberté totale dans son pouvoir
décisionnel, nous ne pouvons affirmer que la souveraineté des États puisse être totale dans le
cadre de l’Union européenne. Le transfert de certains domaines de compétences à l’Union est
révélateur de la thèse d’une souveraineté partagée. L’absence de souveraineté propre à
l’Union nous conforte dans l’affirmation que les États ont conservé leur souveraineté. La
question qui se pose alors est de savoir si la souveraineté au sens matériel peut être divisible ?
Ou, la souveraineté s’entend-elle forcément comme une entité unique indivisible ? Si l’on
considère la souveraineté comme pouvoir décisionnel, ce sont les États qui décident au sein
du Conseil de l’Europe. Même si la Commission détient des pouvoirs de surveillance
notamment budgétaires à l’égard des États, il n’en demeure pas moins que ce sont ces derniers
qui confèrent ces pouvoirs à ces institutions. Par conséquent, le pouvoir de décision même
afférent au transfert de certains domaines à l’Union leur appartient, et ce, bien que la crise ait
renforcé les pouvoirs de cette dernière.

613 Les États aujourd’hui n’ont plus le degré de souveraineté qu’ils possédaient jadis, mais
ils conservent tout de même leur souveraineté, une souveraineté amputée. Cela, notamment
dans le domaine budgétaire, où du fait de la crise, ils furent amenés à accepter des
mécanismes intrusifs dans leur droit national.

814
Idem p119 à 135.

415
Finances publiques et droits fondamentaux

*
***

614 La réponse à la problématique abordée au sein de ce chapitre est une réponse en demi-
teinte. Il est évident que notre conception de la souveraineté, en pratique est quelque peu
modifiée, la primauté du droit communautaire sur l’ordre juridique national l’induisant ; de
plus, le transfert de certains pans de la souveraineté dont la monnaie qui fait partie des
conditions essentielles corrobore cela. Néanmoins, nous ne pouvons affirmer que le concept
de souveraineté soit un concept vidé de son sens, la conception formelle n’ayant pas subi de
modification réelle, or en pratique, un nouveau mode d’exercice de la souveraineté a émergé :
une « souveraineté partagée ». Le mode d’exercice de celle-ci se fait à plusieurs, c’est en cela
que la souveraineté a subi des modifications, or malgré le transfert de certains pans de la
souveraineté, force est de constater que des pans subsistent à raison de la compétence
exclusive de l’État. Ainsi, la primauté du droit européen n’entraîne pas la soumission de la
Constitution de l’État à celui-ci.

615 Comme l’a énoncé Jean-Bernard Auby : « La part abandonnée de la souveraineté


n’est qu’une part, et en outre elle s’exerce sur un mode collectif, selon un schéma de
“souveraineté partagée ”. Entre droit européen et constitution nationale, il y a plus un effet
de miroir que la conquête de l’un par l’autre. Selon les questions, l’un ou l’autre prime, la
charte fondamentale nationale ne sanctuarise qu’une identité constitutionnelle dont les
éléments qui s’écarteraient des principes communautaires sont peu apparents (...). » 815

815
AUBY (J.B) : « L'influence du droit européen sur les catégories juridiques du droit public », Informations
sociales 1/2013 (nº 175), p. 60-68. Site : www.cairn.info/revue-informations-sociales-2013-1-page-60.htm.

416
CONCLUSION DE LA PARTIE 2 :

616 Les droits fondamentaux sont impactés différemment selon que nous soyons en
présence de droits-libertés ou de droits-créances. Les droits-créances nécessitent un
financement public important or, les droits-libertés, dits négatifs, nécessitent également un
financement étatique malgré l’acception populaire.
L’État protège les droits-libertés et réalise les droits-créances, ici, réside la dichotomie. Ce
que met en exergue le juge italien quand il affirme que la protection des droits fondamentaux
est conditionnée par les ressources budgétaires. Les travaux de Georg Jellinek, ne sont pas
remis en cause, en ce qu’ils sont basés sur l’intervention étatique, mais la distinction entre ces
deux types de droits réside dans l’importance de l’intervention étatique en matière financière.
Par conséquent, la crise économique et financière peut opérer une remise en cause des droits
fondamentaux. En touchant d’abord les droits-créances puis, par effet rebond, les droits-
libertés. Le cas de la France avec un déficit public à 4,3 % prévu pour 2015, donc supérieur à
la règle définie par l’Europe des 3 %, met en évidence la nécessité de réduire les dépenses,
surtout dans le secteur social. Ces réductions qui s’opèrent jusqu’à présent sur les coûts de
fonctionnement de façon générale, en France, n’ont pas été similaires dans d’autres pays. Les
États les plus touchés par la crise, comme la Grèce, ont fortement réduit l’ampleur de leurs
prestations au titre des droits-créances. Cela a entraîné une atteinte aux droit-libertés, ce
qu’invoquèrent les requérants grecs devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le
juge français quant à lui, effectue un contrôle sur la base du principe d’égalité ; tant que ce
dernier n’est pas atteint, il n’intervient pas sur le domaine législatif par le truchement de
réserves d’interprétation.
Cependant, l’aggravation de la crise pourra entraîner des choix en matière de droits. Ce
paramètre de crise met en lumière la nécessité de respecter les normes européennes et
d’analyser qui est détenteur du pouvoir décisionnel en matière de résolution de cette crise.
Cela nous renvoie à analyser la notion de souveraineté qui, dans son concept, au niveau
formel, est intacte, mais, matériellement, les considérations financières révèlent une
souveraineté exercée selon un mode partagé.
L’État ne peut exister sans finances et les droits fondamentaux ne peuvent être effectifs sans
financement étatique.

417
418
CONCLUSION GENERALE

617 Au terme de notre étude relative aux finances publiques et aux droits fondamentaux,
nous pouvons affirmer que le droit en général, les droits fondamentaux en particulier, ne
peuvent se passer d’une réflexion sur les finances publiques. Un bilan de notre étude
démontre l’intérêt certain d’étudier la transversalité des finances publiques au même titre que
les autres domaines du droit. L’analyse que nous avons effectuée démontre l’imbrication des
finances publiques et des droits fondamentaux, une relation d’interdépendance. Les finances
publiques conditionnent l’effectivité des droits fondamentaux, car, de façon médiate ou
immédiate, elles rendent possible leur protection. Ainsi, afin que le droit soit effectif, deux
critères sont à remplir : le critère formel et le critère matériel. Le critère formel caractérisé par
la pyramide des normes d’Hans Kelsen implique qu’une norme doit être valide selon un
rapport de production, pour qu’elle soit valide elle doit être effective, car, le manque
d’efficacité fait perdre à la norme sa validité, une norme non appliquée n’est pas une norme
efficace. Matériellement, l’efficacité implique un financement pour permettre à cette norme
d’être efficace. Deux aspects sont donc complémentaires : l’aspect nécessairement formel
d’une construction logique et objective à laquelle doit répondre le droit en général, c’est la
condition première à laquelle nous devons ajouter, l’aspect matériel relatif à la nécessaire
efficacité pratique, donc médiate du droit, des droits. Ici est l’apport majeur du point de vue
théorique de notre étude. Les finances publiques permettent la mise en œuvre des droits
fondamentaux et les droits fondamentaux permettent une limitation du pouvoir financier au
sens large ; cette limitation constitue une garantie contre l’arbitraire. La théorie positive est
nécessaire à légitimer un mode de production du droit, des droits fondamentaux ainsi que des
finances publiques.

618 Dans un second temps, nous ne pouvons faire l’impasse sur les conditions matérielles
nécessaires à mettre en œuvre cette efficacité, d’où l’importance que revêt la prise en compte
des finances publiques à travers tous les domaines du droit. Ce constat est évident face à la
crise économique et financière et ses conséquences sur les droits fondamentaux. Les
contraintes budgétaires imposées par l’Europe aux États, afin de remédier à la crise en
assainissant les finances publiques des pays de la zone euro, entrainent pour certains, des
périodes d’austérité et conduit les gouvernements à tenter de réaliser des économies, à revoir
419
Finances publiques et droits fondamentaux

les dotations des ministères à la baisse. Selon l’impact de la crise économique et financière
sur les États, les droits prestations, droits-créances sont revus à la baisse en ayant des
répercussions sur les droits-libertés par effet de déplacement.

619 L’interprétation des différentes juridictions nationales et européennes au regard de


l’intégration du critère économique ou pas dans leurs jugements, démontre des différences
notables dans l’approche des droits fondamentaux et des finances publiques. Le réalisme du
juge italien dans son mode d’interprétation des droits et une conception des finances
publiques comme une donnée intrinsèque à l’octroi d’un certain niveau de protection diffère
de l’interprétation française. Les juridictions européennes intègrent cette donnée
abstraitement, car elles laissent souverains les États dans le mode d’évaluation et de
détermination de leurs politiques économiques, de la ventilation de leurs budgets. Le juge
européen consacre la souveraineté fiscale des États.
A la différence du juge italien, le juge européen intègre la donnée économique et financière
de façon plus abstraite, à la marge. Le cas de la France démontre au contraire l’absence de
prise en compte du caractère économique et financier dans l’interprétation faite par les
juridictions, tant de façon abstraite que de façon concrète.

620 Cette analyse nous permet d’énoncer que les États sont toujours souverains même si
c’est une souveraineté partagée avec l’Europe, mais l’interprétation des juridictions est
significative d’une liberté laissée aux États quant à la détermination de leurs politiques
économique et financière par l’Europe malgré les contraintes budgétaires imposées
notamment au niveau du seuil de déficit. L’Europe c’est les États, elle n’est pas une entité
propre et n’a pas absorbé ceux-ci. Or, la situation budgétaire de la France notamment se
dégrade, la publication des chiffres par Bercy le 9 septembre 2014, à l’aune de la présentation
du projet de loi de finances pour 2015 met à jour un déficit public croissant, de 84,1 milliards
d’euros en juillet 2014 pour un déficit de 80,8 milliards pour juillet 2013. La réduction du
déficit public à 3 % selon les règles budgétaires imposées par l’Europe n’est toujours pas
réalisable voire nous nous en écartons, car les prévisions budgétaires annoncent un déficit
public supérieur à 4 %. Entre dépenses exceptionnelles et baisse des recettes, le déficit se
creuse réduisant ainsi la marge de manœuvre de l’État dans la détermination de sa politique
économique. À cela s’ajoutent les contraintes budgétaires européennes en matière de déficit
public et de dette, impliquant des économies de plus en plus importantes alors que la situation
est déjà inquiétante.

420
Conclusion générale

Face à cette situation, comment assurer une protection efficace des droits fondamentaux ?
Quel système pourrait accroître les recettes de l’État sans « étouffer » le contribuable ?

621 Notre conclusion tente de proposer des solutions alternatives afin d’assurer une
protection égale, voire similaire, des droits fondamentaux à celle garantie hors ce contexte de
crise économique et financière. Il est nécessaire à ce titre, de maximiser les acquis et les
potentialités existantes dans un premier temps, dans un second, il s’agit de réfléchir à un
système propre à créer des recettes pour assurer la protection des droits fondamentaux.

Vers une universalité des Droits :

622 Lorsque l’on aborde le thème de l’universalité des droits ipso facto notre esprit se
représente une universalité par le haut. Un rayonnement universel sous forme de projection
d’une règle supérieure à tous les ordres juridiques et donc d’une application de cette règle du
haut vers le bas. Une trame commune des droits doit être respectée par tous les États sur le
modèle de la Convention européenne des droits de l’homme ; elle pourra être définie à
l’échelon mondial au regard des standards de protection et devrait s’appliquer à tous les États,
mais chacun conservant ses instruments nationaux de protection au regard de leurs spécificités
propres dans la mesure où, ils ne contreviennent pas à ces standards. Ces standards sont ceux
de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ; mais cet
instrument n’a pas de valeur juridique contraignante dans la mesure où, aucun juge spécifique
n’est prévu pour en sanctionner sa violation. Il est nécessaire de créer une autre Cour pour les
États non européens avec comme instrument la Déclaration universelle des droits de l’Homme
ainsi qu’un autre catalogue de droits, propres à prendre en compte les spécificités des États
nouvellement démocratiques et ceux qui tendent à le devenir. La Cour européenne des droits
de l’Homme devra également respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme et
s’y référer autant qu’à la Convention européenne des droits fondamentaux comme un « bloc
de supranationalité », la présence de ces deux Cours ne devant pas conduire à une
concurrence, mais à une complémentarité en vue d’une éventuelle fusion.

421
Finances publiques et droits fondamentaux

1°Une universalité des droits fondamentaux ne peut se réaliser que par le bas :

623 Les droits fondamentaux sont ontologiquement universels, car on ne peut catégoriser
ou prioriser les Hommes. Cependant, ce projet d’universalité des droits fondamentaux dans
son efficacité ne pourra se réaliser que par une promotion et une garantie au niveau local.
Cette promotion des droits fondamentaux passe nécessairement par l’information auprès des
citoyens de leurs droits et ce ne sera que par l’agrégation de ces actions de promotion,
protection et garantie, que l’universalité des droits sera acquise.
Il faut partir de l’échelon local afin d’universaliser les droits fondamentaux et non l’inverse.
Après avoir développé une trame commune, si l’on prend pour référence la Convention
européenne des droits de l’homme, la conformité à cet instrument est l’objectif, tout en
sauvegardant les spécificités nationales de chacun au regard de ses propres instruments. D’où
une pyramide qui part du bas vers le haut afin de réaliser l’universalité des droits
fondamentaux, ce qui nécessite des moyens au niveau local.

2° La généralisation des Maisons de la Justice et du Droit apparait comme un mode


alternatif de règlement des conflits mineurs, une structure de promotion des droits
fondamentaux.

624 Ces Maisons de la justice furent créées par une loi de 1998 dans le but d’assurer une
justice de proximité par le biais de l’information et de la conciliation ou de l’arbitrage afin de
régler les conflits mineurs et désengorger les juridictions. Leur création résulte d’un arrêté
pris par le Garde des Sceaux après convention passée au niveau local avec les acteurs
concernés. Concernant leur mise en œuvre, elles sont régies par les dispositions des articles
R131-1 et suivants du Code de l’organisation judiciaire, qui placent ces Maisons sous
l’autorité conjointe du Procureur de la République et du Président du Tribunal de Grande
Instance : « … Elles assurent une présence judiciaire de proximité et concourent à la
prévention de la délinquance, à l'aide aux victimes et à l’accès au droit. »
Les mesures alternatives de traitement pénal et les actions tendant à la résolution amiable des
conflits peuvent s’exercer dans les Maisons de la Justice. Ainsi, il est nécessaire d’envisager
leur généralisation. L’implantation de ces Maisons de la Justice et du Droit n’est pas
généralisée à tout le territoire, elles sont implantées dans les zones urbaines sensibles. Un
rapport du Sénat en date du 28 octobre 1998, dont le rapporteur était Luc Dejoie faisait état du
rôle important de ces Maisons dans l’accès au droit et de l’importance de la médiation en
matière pénale notamment au regard de la petite délinquance. Leur implantation dans les
422
Conclusion générale

quartiers urbains difficiles apparait comme une solution alternative à la résolution des conflits
mineurs et permet l’accès à l’information dans le but d’enrayer la petite délinquance
notamment, du fait de la méconnaissance des citoyens quant aux droits dont ils disposent. Or,
ce rapport mentionne qu’il ne serait pas souhaitable pour une question d’impartialité de
généraliser ce modèle sur le plan national hors de ce cadre.
Nous estimons au contraire que ce mode de promotion des droits et de résolution des conflits
doit se généraliser relativement aux conflits mineurs.
La crise économique et financière, au-delà des conséquences financières qu’elle entraîne pour
les États, est un facteur de défiance des citoyens au regard de l’État et des institutions
européennes qui se traduit en un regain de délinquance et de trafics parallèles. Une justice de
proximité permet d’enrayer ces phénomènes avant qu’ils ne se propagent.
Au niveau du coût, actuellement, les Maisons de la Justice et du Droit bénéficient de trois
modes de financement qui sont : les crédits du ministère de la Justice, ceux de la politique de
la ville et les dotations budgétaires de la municipalité.
En période de crise, il est vrai qu’une réflexion sur un mode de financement alternatif est
nécessaire.
La généralisation de l’implantation des Maisons de la Justice et du Droit doit se réaliser à
l’échelon local, en insistant sur les zones rurales. La disparition du juge de paix a conduit à un
vide dans la justice de proximité, car sa désignation visait à régler des conflits mineurs entre
personnes privées et désengorger les juridictions. La conciliation et l’arbitrage permettent la
résolution de conflits mineurs, la généralisation de ces structures permettra une plus grande
protection des droits fondamentaux.
L’implantation de ces Maisons devrait se réaliser dans le cadre des communes ou de
l’intercommunalité, ceci devra être décidé au prorata du nombre d’habitants, de même dans
le cadre des zones urbaines.
Le mode de fonctionnement de ces Maisons est transposable aisément, avec un accueil -
information assuré par des greffiers selon l’article R131-10 du Code de l’organisation
judiciaire, dans le but de renseigner sur les droits dont chacun dispose, une conciliation ou un
arbitrage visant à la résolution de conflits mineurs. Ce mode de résolution des conflits permet
une justice de proximité en enrayant un sentiment d’injustice concernant les dépôts de
plaintes classées sans suite et l’abus d’ester en justice qui représente environ 60 % des affaires
traitées. Les tribunaux se trouvent désengorgés et les citoyens voient ainsi leurs conflits réglés
en éprouvant un sentiment de justice.

423
Finances publiques et droits fondamentaux

Sur l’impartialité dont fait état le rapport précité comme obstacle à la non-généralisation de
ces Maisons, nous pensons que les méthodes de résolution des conflits ne sont pas plus
impartiales que celles pratiquées par les Tribunaux de commerce ou les juridictions
prud’homales. Il est également envisageable de procéder à l’inscription de ces litiges selon un
rôle, un juge de Tribunal d’Instance se déplaçant dans ces Maisons afin de résoudre ces
conflits. Or, il est nécessaire de rappeler que cela concerne des conflits mineurs, et la
conciliation ou l’arbitrage sont parfaitement adaptés à ce type de conflits.
Afin de promouvoir ces projets et de viser à leur pérennisation comme promotion, protection
et garantie des droits fondamentaux, nous avons envisagé un mode de financement par la
création d’un fonds de solidarité des droits fondamentaux.

3° La création d’un fonds de solidarité des droits fondamentaux :

625 Le principe d’égalité dans toutes ses formes est le principe qui sous-tend cette
proposition de création d’un fonds dédié à la protection des droits fondamentaux. À ce
principe nous devons ajouter celui de la solidarité.
Le principe de solidarité qui s’est étiolé et vidé de son sens a laissé place à un universalisme
forcené que relatait déjà Alexis de Tocqueville au XIXe siècle :
« Chacun d’eux retiré à l’écart, et comme étranger à la destinée de tous les autres : ses
enfants, et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au
demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne
les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste une famille, on peut
dire qu’il n’a plus de patrie. »816
Ce principe de solidarité qu’il soit national, européen ou mondial vise à tisser un lien entre les
individus et les rendre responsables les uns envers les autres. Le principe d’égalité est un
principe qui permet à tous les individus d’exercer leurs libertés et d’accéder aux droits sans
distinction.
Ainsi, nous proposons de créer un fonds de solidarité pour les droits fondamentaux par le
prélèvement d’une taxe d’un pourcentage prédéfini afin de créer un « fonds de solidarité pour
la promotion et la garantie des Droits fondamentaux ». Parce que le droit est une nécessité
économique, que les moyens financiers de l’État sont restreints du fait de la conjoncture

816 TOCQUEVILLE (A de) : extrait De la Démocratie en Amérique, vol II (Quatrième Partie : Chapitre VI),
1840

424
Conclusion générale

économique et financière. À cela s’ajoute une dette prévue dans le projet de budget pour 2015
d’un montant se rapprochant des 98% du PIB.817 Dès lors, ce mode de financement alternatif
permettra de maintenir et de promouvoir une protection élevée de ces Droits.
Nous proposons le prélèvement d’une taxe à l’occasion de chaque condamnation pour atteinte
à un droit fondamental lors de la circulation et/ou de la publication d’une information
caractérisant cette atteinte.
Dès lors qu’une personne physique ou morale se rendra coupable de l’atteinte à un droit
fondamental à l’encontre d’une autre personne physique ou morale dont l’élément matériel
sera caractérisé par, soit la publication sur papier, soit la circulation de l’information par le
biais d’internet, la condamnation au versement de dommages et intérêts devra comprendre ou
en sus, une taxe de l’ordre d’un pourcentage prédéfini du montant chiffré de l’atteinte.
Le pourcentage défini sera applicable quel que soit le montant de l’atteinte ce qui répond à un
souci d’équité.
Concernant l’élément matériel de l’infraction : le cas de la publication de l’information suffit
aisément à caractériser l’élément matériel, concernant la circulation de l’information par
internet, cela nécessitera la création d’un logiciel de surveillance. Ce logiciel permettra par le
biais de l’adresse IP de la personne qui sera à l’origine de la circulation d’une information
constituant une atteinte à un droit fondamental de caractériser l’élément matériel.
Le personnel chargé d’assurer cette mission de surveillance pourra relever d’une ou plusieurs
autorités administratives indépendantes, à savoir, le Défenseur des Droits et le CSA.
La condamnation de cette personne s’accompagnera en sus des dommages et intérêts alloués à
la victime ou dans le cadre de ceux-ci, de l’acquittement d’une taxe d’un pourcentage à
définir, qui sera reversée à un fonds de solidarité pour la protection et la garantie des droits
fondamentaux.
Ce fond sera détenu par le ministère de justice et permettra de financer la création de
nouvelles Maisons de la Justice et du Droit, afin de permettre une justice de proximité dans
des zones plus restreintes, telles des arrondissements et dans les zones rurales. Ce fond
permettra de rémunérer le personnel de ces Maisons, les greffiers ou un autre corps de métiers
du droit qui délivreront des informations juridiques aux personnes en demande ; des

817
Journal Les Échos du mercredi 17 septembre 2014.

425
Finances publiques et droits fondamentaux

conférences à thèmes pourront être également organisées. La rémunération de la Commission


de conciliation et de l’arbitre sera assurée par ce même fond.
La justice de proximité n’est pas une justice parallèle, mais un premier palier de la justice, elle
permet outre le désengorgement des tribunaux d’assurer une solution et une réparation dans le
cadre de conflits mineurs. À ce type de conflits, une décision rapide est rendue, ce qui est
d’autant plus efficace.
La généralisation de cette mesure à tous les États européens et mondiaux serait souhaitable
afin de renforcer la protection des droits fondamentaux et d’aider les pays en voie de
démocratisation à mettre en place une protection efficace par la mutualisation des aides.

4° L’inscription dans la Constitution d’une doctrine économique n’est pas envisageable

626 Force est de constater et à juste titre que l’Allemagne s’y est toujours opposée, car ce
serait trancher et inscrire constitutionnellement la prédominance d’une doctrine économique
sur une autre, ce qui est manifestement impossible tant l’économie et la conjoncture fluctuent.
Il semblerait que ce ne soit pas envisageable pour la France également ni pour n’importe quel
autre État. Cependant, la prise en compte par les magistrats des difficultés économiques
rencontrées par les États comme le font tant le juge italien que le juge européen est réaliste,
mais doit rester à la marge dans le cadre d’un contrôle concret lorsque cela est nécessaire. Il
n’est pas envisageable pour le motif sus énoncé d’inscrire au sein de la Constitution une
doctrine économique, l’inscription de principes budgétaires est suffisante.

5° La mise en place de la Taxe Tobin apparaît comme un mode de financement propice


et juste

627 Cette taxe inventée par Tobin, avait pour objectif de taxer les transactions financières
mondiales dont le but était de lutter contre la spéculation financière et de reverser le produit
de cette taxe à l’endroit des pays pauvres. Cette taxation prévue de l’ordre de 0,1 % sur les
transactions financières pourrait être reversée à un fonds pour la protection des droits
fondamentaux dans le monde. Il semblerait judicieux de mettre en place cette taxe.

6° Pour un système fiscal plus juste

628 Le système fiscal actuel concernant l’impôt sur le revenu des personnes physiques ne
répond pas au principe de justice fiscale ; les contribuables voient dans l’impôt non une

426
Conclusion générale

contribution volontaire, mais une spoliation conséquemment à un taux d’imposition trop


important pour les classes moyennes qui est une tranche d’imposition disparate.
Deux types d’impôts sur le revenu existent en France, l’impôt sur le revenu des personnes
physiques (ou IRPP) et la Contribution sociale généralisée (ou CSG).
Ce système fiscal est régressif dans la mesure où le pourcentage de la population la plus riche
est moins impacté au regard surtout de la CSG, et trop au regard de l’IRPP en comparaison
des États voisins ce qui, induit une fuite des capitaux.
L’évasion fiscale et la fraude sont des « fléaux » de l’actuel système fiscal, car les
contribuables les plus fortunés se voient appliquer un taux d’imposition qu’ils jugent trop
élevé au regard des autres États.
L’IRPP est calculé après détermination de la base imposable à laquelle on applique un taux
qui varie selon l’importance de cette dernière, c’est un impôt progressif. Le taux varie entre
5,5% pour les revenus les plus modestes à 41 % pour les plus importants (voire 45 % au-delà
de 151 200 euros annuels). Ces taux s’appliquent selon six tranches d’imposition prédéfinies.
Or, pour les personnes se trouvant au seuil de la tranche d’imposition et pour celles se situant
à la limite de cette tranche, le même taux est applicable alors qu’une marge importante de
revenus les sépare. À titre d’exemple, la deuxième tranche concerne les revenus se situant
entre 6011 euros et 11991 euros annuels, le seuil minimal de la tranche et le seuil maximal
sont imposés au même taux de 5,5 % alors que les revenus en limite basse et en limite haute
sont du simple au double. Il en est de même pour toutes les tranches d’imposition ce qui
apparaît comme relativement contraire au principe d’égalité devant les charges publiques dans
la mesure où l’écart de revenus concernés est trop important, ce que le contribuable ressent
comme une injustice fiscale.
L’application d’un taux d’imposition est nécessaire, ce dernier, même appliqué à une tranche
comme celle-ci n’est pas profondément injuste dans la mesure où, selon le revenu auquel il
s’applique, ne rapporte pas les mêmes recettes. Cependant, ces tranches sont trop larges, il
serait plus équitable d’en ajouter au moins deux.
Afin d’approcher un système fiscal au niveau des impôts sur le revenu proche du principe de
justice fiscale, et ressenti comme tel, quel système paraît le mieux adapté ?
Nous retenons deux modes de modification du barème de l’actuel impôt sur le revenu : soit
nous rajoutons deux tranches supplémentaires aux tranches actuelles afin de réduire l’écart
entre les salaires impactés, soit nous appliquons un taux proportionnel à toutes les
tranches sur le modèle de la « flat tax ».

427
Finances publiques et droits fondamentaux

Les classes moyennes sont les plus touchées par les impositions de toutes sortes, ce qui
occasionne une baisse conséquente du pouvoir d’achat ; or, les classes moyennes représentent
le plus grand nombre d’individus avec la classe populaire.
Il serait préférable selon nous, d’introduire de nouvelles tranches d’imposition afin de réduire
les écarts entre les contribuables.
L’impôt est un devoir et une liberté lorsqu’il est juste et équitable.

Les finances publiques, un moyen au service des droits fondamentaux qui ne sont effectifs
que par leur biais.

428
BIBLIOGRAPHIE

Sommaire
I. Ouvrages généraux
II. Thèses et mémoires
III. Articles, communications,
IV rapports, commentaires et notes
V. Recueils de textes et de documents
VI. Journaux
VII. jurisprudences

I. OUVRAGES GENERAUX

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Finances publiques et droits fondamentaux

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Journal Le Point.fr publié le 13 février 2014, www.lepoint.fr
Le nouvel observateur du 17 juillet 2012
Le Monde.fr « Le Parlement grec adopte un budget de rigueur pour 2014 » Mis à jour le
10.12.2013
Le Monde.fr « la Troïka estime que la Grèce atteindra ses objectifs budgétaires en 2014 » du
19.03.2014
Journal Le Monde du 17 octobre 2000, article de Nicolas-Jean BREHON
442
Bibliographie

Interview du 22 mars 2014 dans le journal Le Temps, économie et finances Homepage


Address: http://www.letemps.ch.

VIII JURISPRUDENCE
Décisions du Conseil d’État
(Ces décisions peuvent être consultées sur le site : www.conseil-etat.fr)

CE 10ème et 9ème sous-section, 23 avril 2010, snc kimberly clark ; droit fiscal n° 20, 20 mai
2010, comm.318 ; question prioritaire de constitutionnalité : la première décision de renvoi du
Conseil d’État soulève l'incompétence négative du législateur concl. J. BOUCHER.
CE du 16 juillet 2010, société Plombinoise de casino, DF 2010, n°36, comm 463, conclusion
P.COLLIN. Note sous la décision de renvoi
CE, ord, 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres
CE arrêt du 6 avril 2001, SNES
CE, 19 juillet 2011, commune de Trélazé, CE, 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et
de l’action sociale du Rhône et M. P,
CE, 19 juillet 2011, communauté urbaine du Mans - Le Mans Métropole,
CE, 19 juillet 2011, commune de Montpellier,
CE, 19 juillet 2011, Mme V.
CE, ord du 22 décembre 2012, Section française de l’OIP
CE, ord du 15 décembre 2010
CE Min. Immigration du 1er mars 2010 n°336857

Décisions du Conseil constitutionnel


(Les décisions sont répertoriées dans l’ordre de citation dans le corps du texte. Elles peuvent
être consultées sur le site du Conseil constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr)

QPC :
Décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010, snc kimberly clark
Décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013, Sarl Majestic Champagne
Décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, M Pierre-Yves M, cons n° 4
Décision n° 2010-88 QPC du 21 janvier 2011, Mme Danièle B
Décision n° 2010-53 QPC du 14 octobre 2010, société plombinoise de casino, DF 2010, n°44,
act 410.
Décision n° 2010-60 QPC du 12 novembre 2010, M. Pierre B. (Mur mitoyen)
443
Finances publiques et droits fondamentaux

Décision n° 2010-19/ 27 QPC du 30 juillet 2010 Pipolo et autres,


Décision n° 2010-51 QPC du 6 aout 2010, Pierre-Joseph F
Décision n° 2011−170 QPC du 23 septembre 2011, Mme Odile B. épouse P. (Inaptitude au
travail et principe d'égalité)
Décision n°2011-167 QPC du 23 septembre 2011, M. Djamel B. (Accident du travail sur une
voie non ouverte à la circulation publique)
Décision n° 2011−137 QPC du 17 juin 2011, M. Zeljko S. (Attribution du revenu de solidarité
active aux étrangers)
Décision n° 2011−123 QPC du 29 avril 2011, M. Mohamed T. (Conditions d'octroi de
l'allocation adulte handicapé)
Décision n°2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013, Société Distrivit et autres (Droit de
consommation du tabac dans les DOM)
Décision n° 2011−202 QPC du 02 décembre 2011, Mme Lucienne Q. (Hospitalisation sans
consentement antérieure à la loi n° 90-527 du 27 juin 1990)
Décision n° 2012−235 QPC du 20 avril 2012, Association Cercle de réflexion et de
proposition d'actions sur la psychiatrie (Dispositions relatives aux soins psychiatriques sans
consentement)
Décision n° 2011−135/140 QPC du 09 juin 2011, M. Abdellatif B. et autre (Hospitalisation
d'office)
Décision n° 2012−254 QPC du 18 juin 2012 Fédération de l'énergie et des mines − Force
ouvrière FNEM FO (Régimes spéciaux de sécurité sociale) voir en comparaison, la décision
n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 SNC Kimberly Clark
Décision n° 2011−136 QPC du 17 juin 2011 Fédération nationale des associations tutélaires et
autres (Financement des diligences exceptionnelles accomplies par les mandataires judiciaires
à la protection des majeurs)
Décision n° 2013−344 QPC du 27 septembre 2013, Société SCOR SE (Garantie de l'État à la
caisse centrale de réassurance, pour les risques résultant de catastrophes naturelles)
Décision n° 2010-98 QPC du 4 février 2011, M. Jacques N. (Mise à la retraite d'office)
Décision n° 2012-232 QPC du 13 avril 2012, M. Raymond S. (Ancienneté dans l'entreprise et
conséquences de la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi)
Décision n° 2011-169 QPC du 30 septembre 2011, Consorts M. et autres [Définition du droit
de propriété]
Décision n°2010-60 QPC, 12 nov. 2010, M. B
Décision n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012, Consorts L
Décision n° 2013-342 QPC du 20 septembre 2013, SCI de la Perrière Neuve et autre (Effets
de l'ordonnance d'expropriation sur les droits réels ou personnels existant sur les immeubles
expropriés)
Décision n° 2010-26 QPC, 17 septembre 2010, SARL l'Office central d'accession au
logement (Immeubles insalubres)
Décision n° 2013−353 QPC du 18 octobre 2013, M. Franck M. et autres (Célébration du
mariage - Absence de « clause de conscience » de l'officier de l'état civil)
444
Bibliographie

Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion


de la laïcité (Traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du Bas-
Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle)
.

DC :
Décisions n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour
2000 au cons.21
Décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, Loi de financement pour la sécurité sociale
de 2002, cons.22
Décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973 dite « taxation d’office »
Décision n° 77-44 DC du 16 juillet 1971, dite « liberté d’association »
Décision n° 92-309 DC du 9 juin 1992, Modification du règlement du Sénat
Décision n° 86-209 DC du 3 juillet 1986, Loi de finances rectificative pour 1986
Décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993, Loi de finances rectificatives pour 1993
Décision n° 94-351 DC du 29 décembre 1994, Loi de finances pour 1995
Décision n° 97-395 DC du 30 novembre 1997, Loi de finances pour 1998
Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 « nationalisations », Rec.Cons.const, 1982
Décision n°90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre l’alcoolisme et le
tabagisme
Décision n° 239 DC du 30 décembre 1987, Loi de finances rectificative pour 1987
Décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011, Loi de finances rectificative pour 2011
Décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, AJDA 2002 n° 29, « le Conseil constitutionnel et
la nouvelle loi organique du 1er aout 2001 ».
Décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013, cons n°68.
Décisions n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour
2000 au cons.21
Décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, Loi de financement pour la sécurité sociale
de 2002, cons.22
Décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991, Loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un
fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, réformant la dotation globale
de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes
Rec. Cons. const, 1991, p 40.
Décision n° 2013- 670 DC du 23 mai 2013, Loi portant diverses dispositions en matière
d’infrastructures et de services de transports
Décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, Loi modifiant la loi n° 82-652 du 29 juillet
1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle
Décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006. AJDA, 2006.13
445
Finances publiques et droits fondamentaux

Décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984, Loi de finances pour 1985, cons n° 31 et 32.
Décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997, Loi organique relative à la fiscalité applicable
en Polynésie française
Décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, Loi de finances pour 1990 , cons 40, 41,42.
Décision n° 97-393 DC décision du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité
sociale pour 1998
Décision n° 2012-653 DC du 9 aout 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire
Décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012, Loi organique relative à la programmation et
à la gouvernance des finances publiques
Décision n° 84-172 DC du 26 juillet 1984, Loi relative au contrôle des structures des
exploitations agricoles et au statut du fermage
Décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 CSA
Décision n° 2007-555 DC du 16 aout 2007, Loi TEPA
Décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, Egalité entre Français et étrangers
Décision n° 93-325 DC du 13 aout 1993, Maitrise de l’immigration
Décision n° 93-330 DC du 28 décembre 1993, Loi de finances pour 1994
Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Liberté de communication
Décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986, Cumul emploi retraite.
Décision n° 83-156 DC du 28 mai 1983, Prestations vieillesse
Décision n° 94-359 DC du 15 janvier 1995, Diversité de l’habitat
Décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, Taxe d’inhabitation
Décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, Allocations familiales
Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, CMU.
Décision n° 77-92 DC du 18 janvier 1978, Contre visite médicale
Décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, Amendement Seguin
Décision n° 99-414 DC du 8 janvier 1999, Loi d’orientation agricole
Décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995, Loi relative à la diversité de l’habitat, Rec p 176.
Décision n° 82−141 DC du 27 juillet 1982, Loi sur la communication audiovisuelle
Décision n°86−210 DC du 29 juillet 1986, Loi portant réforme du régime juridique de la
presse
Décision n° 86−217 DC du 18 septembre 1986 Loi relative à la liberté de communication.
Décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990, «droit au logement ».
Décision n° 2009-578 DC du 18 mars 2009 Loi de mobilisation pour le logement
Décision n° 2012-660 DC du 17 janvier 2013, Loi sur la mobilisation du foncier public et de
renforcement des obligations de logements social

446
Bibliographie

Décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, Loi d'orientation relative à la lutte contre les
exclusions
Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la
performance de la sécurité intérieure
Décision n° 87-237 DC du 30 décembre 1987, Loi de finances pour 1988
Décision n° 77-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association, voir les décisions n° 2003-
486 DC et 2006-544 DC
Décision n° 2003-489 DC du 14 aout 2003, Loi portant réforme des retraites
Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999
Décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010, Loi portant réforme des retraites, cons n° 8.
Décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013
Décision n° 2009-584 DC du 16 juillet 2009, Loi portant réforme de l'hôpital et relative aux
patients, à la santé et aux territoires
Décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004, Loi relative à l’assurance maladie
Décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale
pour 2014
Décisions n°2003-483 DC du 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites
Décision 2002-463 DC du 12 décembre 2002, Loi de financement de la sécurité sociale pour
2003
Décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990, «droit au logement »,
Décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002
Décision n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances pour 2004.
Décision n° 2012-654 DC du 9 aout 2012 Loi de finances rectificative pour 2012.
Décision n° 94-359 DC du 19 janv. 1995, cons. 7 Loi relative à la diversité de l’habitat
Décisions n°81-132 DC du 16 janvier 1982 cons 16 n° 82-139 DC, 11 févr. 1982, Loi de
nationalisation.
Décision n° 98-403 DC, 29 juillet 1998, Loi d'orientation relative à la lutte contre les
exclusions Rec. Cons. const. 1998, p. 276.
Décision n° 2000-440 DC, 10 janv. 2001, Loi portant diverses dispositions d'adaptation au
droit communautaire dans le domaine des transports cons. 4 : Rec. Cons. const. 2001, p. 39.
Décision n°76-75 DC, 12 janv. 1977, Fouille des véhicules, cons. 3 : Rec. Cons. const. 1977,
p. 33.
Décision. n° 80-117 DC, 22 juillet. 1980, Protection et contrôle des matières nucléaires ;
Décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, Loi portant dispositions diverses en matière
d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles
Décision n° 83-167 DC du 19 janv. 1984, Établissements de crédit, cons. 23 : Rec. Cons.
const. 1984.
Décision n 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses
mesures d'ordre économique et social : Rec. Cons. const. 1986, p. 61.
447
Finances publiques et droits fondamentaux

Décision 86-217 DC du 18 sept. 1986, Loi relative à la liberté de communication, cons. 47 :


Rec. Cons. const. 1986,
Décision n°2010-618 DC du 9 déc. 2010, Réforme des collectivités territoriales, cons. 44,
Décision n 2003-473 DC du 26 juin 2003, Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit,
cons. 29 : Rec. Cons. const. 2003
Décision n° 04-509 DC du 13 janvier 2005, Loi de programmation pour la cohésion sociale
Décision n°89-256 DC du 25 juillet 1989, TGV Nord
Décision n° 96-380 DC du 23 juillet. 1996, Loi relative à l’entreprise France Télécom
Décision n°2000-434 DC, du 20 juillet 2000, Loi sur la chasse
Décision n°91-298 DC du 24 juillet 1991, Loi portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier
Décision n°82-141 DC du 27 juillet 1982, Communication audiovisuelle
Décision n°84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, Entreprises de presse.
Décision n°77-87 DC du 15 juillet 1977, liberté de l’enseignement
Décision n°74-75 DC du 15 janvier 1975, Interruption volontaire de grossesse
Décision n°2001-446 DC du 27 juin 2001, IVG II.
Décision du 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013
Décision n°2013-686 DC du 23 janvier 2014, Loi relative aux modalités de mise en œuvre
des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les
professionnels, établissements et services de santé
Décision n°2013-672 DC du 13 juin 2013 concernant la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 sur la
sécurisation de l’emploi
Décision n°98-403 DC du 29 juillet 1998, Loi d’orientation relative à l’exclusion
Décision n°92-312 DC du 2 septembre 1992, Maastricht II

Arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme


(Ces arrêts peuvent être consultés sur le site : www.hudoc.echr.coe.int)

CEDH arrêt 3ème section, 21 février 2008, Ravon et autres contre France
CEDH arrêt Bendenoun c. France, arrêt du 24 février 1994, n° 284,
CEDH arrêt Ferrazzini c Italie, arret Gde chambre du 12 juillet 2001, cons n° 25.
CEDH arrêt Sporrong et lönnroth c Suède, arrêt du 23 septembre 1982
CEDH arrêt Gasus Dosier-und Fördertechnik c Pays-Bas, arrêt du 23 février 1995.
CEDH arrêt Hentrich c France arrêt du 22 septembre 1994, Site : http://hudoc.echr.coe.int
CEDH arrêt Draon et Maurcice c France arrêt de grande chambre du 6 octobre 2005
CEDH arrêts JB c Suisse du 3 mai 2001 et J.J c Pays-Bas du 27 mars 1998
448
Bibliographie

CEDH arrêt SA Dangeville c France du 16 avril 2002


CEDH arrêt André et autre c France, arrêt du 24 juillet 2008
CEDH arrêt N.K.M. c. Hongrie arrêt du 14 mai 2013, Communiqué de presse - Arrêts de
chambre
CEDH arrêt Zielinsky et Pradal et Gonzalès et a c/ France, arrêt de Grande Chambre, du 28
octobre 1999 ; RJF 1/2000, n°140.
CEDH arrêt Joubert c France, arrêt du 23 juillet 2009
CEDH arrêt Lilly c France arrêt du 25 novembre 2010
CEDH arrêt Koufaki et Adedy c Grèce, arrêt du 7 mai 2013
CEDH arrêt du 29 avril 2008, Burden c/ Royaume Uni
CEDH, arrêt 22 sept. 1994, Hentrich c/ France
CEDH arrêt Mihaies et sentes c/ Roumanie du 6 novembre 2011, n°44232/11 et n°44605/11.
CEDH arrêt Frimu et autres c/Roumanie du 13 novembre 2002 n° 45312/11
CEDH arrêt Budina c/ Russie du 18 juin 2009, n°45603/05
CEDH arrêt Wallova et Walla c/ République Tchèque du 26 octobre 2006.
CEDH arrêt Timishev contre Russie du 13 décembre 2005
CEDH arrêt Kurić et autres c. Slovénie du 26 juin 2012
CEDH arrêt Gaygusuz c. Autriche du 16 septembre 1996
CEDH arrêt de Grande Chambre du 21 novembre 2001 : Al Asani c/ Royaume Uni,
n°35763/97.
CEDH arrêt du 28 février 2008, Nassim Saadi c/Italie n°37201/06.
CEDH arrêt Mouisel c/France 2002, n°67263/01, §37
CEDH arrêt Renolde c/France du 16 octobre 2008 n°5608/05
CEDH arrêt Canali c/France du 25 avril 2013, n°40119/09
CEDH arrêt Saramas et autres c/ Grèce du 28 février 2012, n°11463/09
CEDH arret du 22 mai 2003 Kyrtatos c/Grèce n°41666/98
CEDH arrêt de grande chambre Hatton et autres c/ Royaume Uni du 8 juillet 2003,
n°36022/97
CEDH arrets Stec et autres c/ Royaume Uni du 12 avril 2006 n°65731/01 et Carson et autres
c/ Royaume Uni du 16 mars 2010 n°42184/05
CEDH arrets Guerra et autres c/ Italie du 9 février 1998, arrêt Tatar c/Roumanie du 27
janvier 2009
CEDH arrets Fadaïeva c/Russie du 9 juin 2005
CEDH Bacila c/ Roumanie du 30 mars 2010
CEDH Dubetska c/Ukraine du 10 février 2011
CEDH Giacomelli c/ Italie du 2 novembre 2006
CEDH arret Ruano Morcuende c/ Espagne du 6 septembre 2005
449
Finances publiques et droits fondamentaux

CEDH arrêt M.S.S c/ Belgique et Grèce du 21 janvier 2011.


CEDH arrêt Hirsi Jamaa et autres c/ Italie du 23 février 2012
CEDH arrêt Torreggiani et autres c/ Italie du 8 janvier 2013
CEDH arrêt Konstantina BIBI et Georgia BIBI c/ Grèce du 4 mars 2010.
CEDH arrêt du 21 février 2008 Anonymos Touristiki Etairia Xenodocheia Kritis c/ Grèce
CEDH arrêt du 21 janvier 2011 MSS c/ Belgique et Grèce n°30696/09.
CEDH arrêt Bourdov c/Russie du 15 janvier 2009, n°33509/04
CEDH arrêt Koufaki Adedy c/ Grèce du 7 mai 2013 n°55665/12 et n°57657/12.
CEDH arrêt Athanasiou et a c/Grèce du 21 décembre 2010, arrêt Michelioudakis c/Grèce du
3 avril 2012, arrêt Glykantzi c/Grèce du 30 octobre 2012
CEDH arrêt Rumpf c/Allemagne du 2 septembre 2010
CEDH arrêt ümmühan Kaplan c/Turquie du 20 mars 2012
CEDH arrêt Broniowsky c. Pologne du 22 juin 2004

Arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne


(Ces arrêts peuvent être consultés sur le site : http://curia.europa.eu)

CJUE : aff C-464/02 Commission c Danemark du 15 septembre 2005


CJUE : aff C-371/10 National Grid Indus BV du 29 novembre 2011
CJCE : aff C-397/98 et C-410/98, Metallgesellschaft e.a du 8 mars 2001, Rec. p. I-172.
CJCE arrêt Costa c/Enel du 15 juillet 1964
CJCE arrêt du 13 juillet 2004 Commission des Communautés européennes / Conseil de
l'Union européenne.www.eurogersinfo.com
CJCE arrêt du 13 juillet 2004 affaire C-27/04, Commission des Communautés européennes /
Conseil de l'Union européenne
CJUE : aff C-380/11 DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C. SapA
CJUE arret Commission contre Pays-Bas du 14 juin 2012, aff C-542/09.
CJUE arret du 25 octobre 2012, Deborah Prete contre office national de l’emploi, affaire C-
367/11.
CJUE arrêt rendu en Grande Chambre du 21 décembre 2011 C-411/10 dans cette affaire,il y
avait une question préjudicielle posée sur l’interprétation à donner à la clause de souveraineté
figurant dans le règlement « Dublin »et C-493/10 NS c SSHD et MEea. www.dublin-
project.eu

Décisions des Cours étrangères


CONSEIL D’ETAT HELLENIQUE Symvoulio tis Epikrateias, arrêt n°668/2012
(consultation sur le site : http://curia.europa.eu)

450
Bibliographie

(Les « sentenze » de la Cour constitutionnelle Italienne peuvent être consultées sur le site :
Site : www.cortecostituzionale.it)

CORTE COSTITUZIONALE,Sentenza 260/1990, Giudizio di legittimità costituzionale in via


principale, decisione del 23/05/1990 ; Site : www.cortecostituzionale.it
CORTE COSTITUZIONALE, sentenza n°992/1988, 12-27/ 10/1988.
CORTE COSTITUZIONALE, sentenza n°432/2005,28/11/2005
CORTE COSTITUZIONALE, sentenza n°80/ 2010, 22/02/2010, (concernant le droit à
l’instruction des personnes en situation de handicap.)
CORTE COSTITUZIONALE, sentenza n°260/1990 du 23 mai 1990.
CORTE COSTITUZIONALE, sentenza n°455/1990 26 settembre-16 ottobre 1990 :
CORTE COSTITUZIONALE sentenza 432/05, 251/08
CORTE COSTITUZIONALE sentenza n°215/1987, ( point de départ de l’utilisation des
arrêts additifs de principe.)

CPJI :
affaire du « Lotus », 7 septembre 1927, publications de la Cour permanente de justice
internationale, Série A n° 10, Recueil des arrêts. (Consultation sur le site : www.icj-cij.org)

451
452
INDEX ALPHABÉTIQUE

(Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)

A Contrôle de constitutionnalité, 34, 83, 115, 127, 130,


131, 132, 192, 228, 313, 314, 368, 389, 437
Abstention de l’État, 326, 336, 352, 391, 406, 416, 424
Contrôle de raisonnabilité, 439
Acte de contrainte, 42, 114, 139
Acte de volonté, 86, 107, 134, 149, 187
D
Arbitraire, 80, 102, 127, 163, 439, 598
Déficits, 5, 27, 52, 215, 293, 294, 343, 345, 571, 572,
Association, 224, 395
Autonomie, 23, 126, 134, 135, 303, 305, 527 573, 577, 593

Autorité administratives indépendantes, 305 Démocratie sociale, 327


Dépense publique, 146, 156, 265, 280, 281, 282, 283,

B 284, 285, 286, 288, 289, 445, 457, 499


Consentement, 284
Bill of Rights, 15, 115, 169
Dépenses de fonctionnement, 285, 296, 302, 308,
Budget
309, 355, 457, 521, 559
État, 1, 3, 4, 6, 27, 47, 175, 210, 211, 267, 268, 275,
Dépenses de transfert, 285
276, 280, 293, 294, 315, 413, 435, 450, 574, 609
Limitation de la croissance, 457
Budget européen, 264, 554, 558, 559
Dette publique, 296, 451, 573, 575
Discriminations fiscales, 83
C
Double dimension, 397
Charte de l’environnement, 191, 322, 350, 459
Droit à la solidarité nationale, 329, 339, 342, 367, 369,
Charte des Droits Fondamentaux de l’Union
386
Européenne, 11, 141, 420, 597
Droit à un procès équitable, 242, 260, 268, 448, 499,
Citoyenneté fiscale, 81
508, 515
Classification générationnelle, 424
Droit communautaire, 250, 259, 263, 264, 547, 614, 616
Classification statutaire, 424
Droit de propriété, 80, 193, 195, 223, 224, 225, 226,
Clause de flexibilité, 551
227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 238, 240,
Compétences
248, 252, 254, 256, 258, 259, 274, 275, 279, 318, 319,
Exclusives, 550
329, 330, 340, 365, 387, 393, 394, 395, 396, 397, 398,
Partagées, 550, 551, 562
399, 400, 401, 402, 403, 404, 405, 421, 463, 465, 499,
Constitution de 1791, 130, 158, 162
500, 515
Constitution du 27 octobre 1946, 109, 131, 191, 322,
Droit naturel classique, 60, 61, 62, 64, 78, 80
326, 335, 342, 350, 352, 384, 412
Droit naturel moderne, 60, 61, 64, 78
Constitution du 4 octobre 1958, 4, 109, 173, 180, 191,
Droit objectif, 63, 360, 397
412, 459, 549, 598
Droit positif, 22, 23, 56, 57, 63, 66, 68, 72, 73, 78, 81, 82,
Constitution hellénique, 278
83, 84, 85, 86, 88, 92, 96, 97, 98, 107, 110, 113, 114,
Constitution italienne de 1948, 429, 430, 434
115, 122, 130
Constitutionnalisation, 1, 2, 134, 139, 140, 141
Droit subjectif, 63, 100, 113, 116, 118, 141, 326, 385,
Contenu minimal ou essentiel, 430
391, 396, 397, 399, 465
Contrat social, 43, 65, 66, 80, 335, 488

453
Finances publiques et droits fondamentaux

Droits créances, 52, 142, 331, 340, 342, 366, 377, 427, 155, 157, 158, 160, 162, 167, 168, 170, 171, 172,
453, 618 178, 184, 191, 192, 193, 195, 196, 198, 200, 202,
Droit à l’emploi, 329, 330, 339, 347, 354, 362, 380, 203, 204, 205, 208, 209, 210, 213, 214, 217, 221,
387, 388, 463, 464 223, 224, 225, 226, 227, 228, 231, 233, 234, 235,
Droit à la protection sociale, 329, 342, 358, 371, 383 239, 240, 241, 246, 261, 284, 319, 326, 335, 353,
Droit au logement, 330, 340, 350, 363, 364, 365, 387, 358, 364, 371, 372, 380, 382, 385, 386, 387, 388,
388, 397, 465 390, 393, 394, 395, 396, 397, 398, 400, 401, 404,
Droit au repos et à la protection de la santé,329, 339 406, 411, 412, 420, 459, 461, 464, 495, 497, 542,
Le droit à l’instruction et à la culture, 329, 346, 367 597, 599, 602, 609, 622
Droits de l’Homme, 1, 9, 10, 11, 13, 15, 16, 19, 20, 26, Universalité, 16, 115, 152, 157, 159, 160, 207, 208,
42, 46, 49, 51, 52, 55, 73, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 95, 209, 210, 211, 217, 472, 496, 497, 599, 622, 623
96, 97, 100, 106, 109, 111, 113, 114, 115, 116, 117, Droits de la défense, 239, 241, 242, 244, 492
118, 119, 121, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 130, 131, Droits et libertés fondamentaux, 1, 2, 3, 9, 38, 39, 43,
132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 140, 141, 142, 143, 45, 46, 47, 49, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 58, 72, 73, 74,
144, 145, 147, 148, 151, 152, 153, 154, 155, 158, 160, 84, 86, 92, 94, 95, 96, 97, 100, 109, 110, 112, 140,
162, 167, 168, 171, 172, 178, 184, 186, 191, 195, 196, 141
198, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 208, 209, 213, 214, Droits Libertés, 142, 320, 331, 377, 420, 421, 499, 618
221, 223, 224, 231, 233, 235, 239, 240, 241, 242, 246,
252, 253, 254, 255, 256, 258, 260, 265, 266, 267, 269, E
272, 274, 284, 297, 303, 317, 318, 319, 320, 322, 323, Effectivité des Droits, 26, 45, 113, 115, 116, 117, 128,
326, 335, 353, 358, 365, 371, 372, 380, 385, 386, 387, 131, 142, 316, 317, 348, 362, 364, 467, 617
390, 393, 394, 395, 397, 398, 404, 406, 408, 411, 412, Environnement, 131, 184, 191, 197, 289, 322, 350, 459,
420, 448, 452, 453, 454, 459, 460, 461, 464, 466, 467, 479, 480, 551
468, 469, 470, 471, 472, 474, 476, 480, 482, 483, 485, État
489, 490, 491, 492, 493, 494, 495, 496, 497, 499, 500, Continuité, 134, 158, 168, 179, 181, 209, 219, 222,
501, 502, 505, 507, 509, 510, 511, 512, 513, 514, 516, 230, 231, 236, 240, 243, 244, 246, 247, 343, 347,
517, 521, 522, 542, 545, 546, 547, 562, 595, 596, 597, 374, 375, 545, 581
598, 599,600, 601, 602, 603, 605, 606, 622, 623 In abstracto, 438, 533
Charte,12, 96, 141, 169, 170, 191, 322, 350, 420, 459, In concreto, 437, 533
597, 604, 605, 615, 616 Souveraineté de l’État, 81, 441, 463, 1268, 1299,
Convention, 11, 46, 49, 59, 111, 113, 115, 116, 141, 1300, 1350, 1381, 1383
189, 249, 253, 254, 256, 258, 259, 260, 261, 263, État de nature, 61, 65, 68, 92, 490
264, 267, 272, 274, 278, 318, 322, 420, 430, 454, État de société, 61
464, 468, 470, 471, 472, 474, 476, 477, 480, 484, Évasion fiscale, 197, 225, 230, 238, 240, 241, 244, 246,
495, 499, 502, 507, 509, 511, 513, 514, 515, 517, 628
521, 597, 600, 622, 623, 624 Expropriation, 227, 233, 260, 398, 401, 402, 500
Déclaration, 1, 9, 11, 15, 20, 51, 61, 73, 89, 92, 96,
97, 109, 113, 115, 123, 124, 125, 126, 127, 128, F
129, 130, 131, 132, 134, 137, 138, 140, 141, 142,
Finances communautaires, 18, 547, 560
143, 144, 145, 147, 149, 150, 151, 152, 153, 154,

454
Index Alphabétique

Finances publiques, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 12, 14, 17, Intérêt financier, 15, 236, 265, 266, 267, 268, 269, 270,
18, 19, 21, 25, 26, 27, 32, 33, 37, 39, 40, 42, 44, 48, 318
50, 51, 52, 54, 55, 56, 58, 74, 75, 76, 81, 101, 102, Intérêt général, 26, 104, 148, 190, 195, 197, 198, 222,
103, 104, 105, 123, 124, 125, 142, 143, 144, 145, 148, 233, 236, 237, 256, 267, 268, 270, 271, 292, 318, 377,
172, 174, 177, 182, 184, 188, 189, 190, 191, 200, 201, 378, 379, 380, 381, 391, 397, 399, 402, 403, 421, 464,
204, 213, 215, 219, 221, 245, 249, 250, 264, 279, 294, 474, 480
296, 297, 298, 312, 315, 317, 319, 321, 322, 335, 342, Interprétation manipulatrice, 438
344, 386, 390, 402, 405, 423, 440, 441, 443, 450, 451, Italie, 25, 253, 254, 312, 314, 315, 424, 425, 427, 428,
453, 455, 457, 460, 464, 466, 467, 470, 496, 497, 498, 435, 450, 481, 495
504, 506, 546, 552, 572, 573, 575, 577, 580, 589, 590,
609, 617, 618, 619 J
Fondement Jusnaturalisme, 15, 82, 84, 90, 92, 93, 115
Absolu, 80, 193, 200, 203 Justice fiscale, 80, 81, 145, 175, 182, 184, 185, 186, 628
Des droits, 56, 58, 74, 90, 94, 100, 118, 119
Du droit naturel, 68 L
Éthique, 97
Liberté civile, 66
Positif, 87, 88, 96
Liberté d’entreprendre, 226, 329, 365, 380, 384, 387,
Pratique, 92
400, 463, 464, 480
Théorique, 99, 184, 195, 196
Liberté individuelle, 81, 92, 96, 238, 239, 248, 319, 329,
Fondements Philosophiques, 60
366, 384, 387, 459, 602
Fraude fiscale, 167, 184, 197, 230, 238, 239, 240, 243,
Libertés fiscales, 207, 214, 218
244, 362
Loi d’accroissement continu des dépenses publiques,
292
G Loi de finances, 4, 158, 159, 178, 181, 197, 200, 209,
Garanties juridictionnelles, 116, 117 210, 211, 212, 213, 215, 218, 225, 226, 233, 235, 268,
296, 303, 306, 309, 311, 346, 355, 369, 372, 386, 410,
I 457, 459, 558, 560, 561
Impact budgétaire, 246, 312, 313, 426, 429, 434, 468, Projet, 181, 296, 343, 344, 346, 355, 410, 457, 558,
507, 514 620
Impôt Rectificative, 158, 209, 367, 410
Conception, 7, 149, 186, 193, 227, 283, 284 Loi de Wagner, 286
Consentement, 7, 44, 51, 53, 144, 145, 149, 154, 155, Loi divine, 72, 73
158, 159, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, Loi du 9 décembre 1905, 413, 415, 416
171, 172, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 182, Lois de financement de la Sécurité sociale, 213, 342,
186, 187, 188, 193, 195, 196, 204, 208, 213, 217, 343, 367, 370, 389, 580
226, 232, 235, 238, 253, 284, 319, 370 Lois de validation, 236, 266, 267
Égalité, 154, 167, 184, 193, 225
Justification, 77, 81 M
Notion, 7, 75, 145, 147, 149, 167, 183, 185, 186, 187 Mécanisme européen de stabilité, 294 578
Origines,188 Métaphysique, 24, 33, 70, 71, 82, 88, 89, 101, 102, 115,
Individualisme, 14, 63, 133, 326 397

455
Finances publiques et droits fondamentaux

N Spécialité, 157, 159, 207, 212, 217


Unité, 157, 160, 207, 209, 211, 212, 217
Nationalisations, 195, 224, 227, 229, 231, 292, 398, 400,
Universalité, 157, 159, 160, 207, 208, 209, 210, 211,
401, 461
217
Norme constitutionnelle, 119, 131, 140, 378, 429
Principes fondamentaux reconnus par les lois de la
Norme fondamentale, 23, 112, 526
République, 191
Normes financières, 221, 222
Procédure fiscale, 244
Protocole n°1, 258, 262, 268, 275, 278, 279
O
Objectif constitutionnel, 240
Q
Ordre juridique, 11, 19, 23, 24, 27, 35, 45, 108, 111, 112,
Question prioritaire de constitutionnalité, 141, 192,
113, 116, 118, 119, 134, 136, 137, 139, 141, 142, 215,
193, 199, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 218, 234, 240,
222, 459, 496, 497, 522, 525, 526, 527, 528, 530, 532,
248, 382, 385, 386, 387, 390, 396, 412
534, 539, 541, 543, 544, 547, 579, 580, 590, 614, 616

R
P
Raison,
Pacte de stabilité et de croissance, 294, 571, 573, 575,
Humaine, 61, 62, 63
580, 581
Pratique, 70
Perquisitions fiscales, 239, 242, 244, 254
Théorique, 70
Politiques budgétaires, 35, 275, 294, 566, 571, 574, 584
Rationalisation des dépenses, 308, 311, 314, 457
Positivisme, 22, 23, 32, 34, 56, 57, 86, 88, 90, 93, 99,
Rationalité, 59, 68, 371, 439
114, 118, 397
Règle d’or, 215, 579, 580, 584, 588, 589, 590, 592
Normativiste, 9, 22, 24, 85, 106, 107, 111, 129
Réserve de loi, 313, 315, 358, 428, 433
Positivisme méthodologique, 56, 114
Positiviste sociologique, 102
S
Pression fiscale, 274, 286, 287, 499
Sacrifice fiscal, 81
Principe d’égalité, 109, 137, 154, 186, 194, 196, 197,
198, 200, 209, 210, 225, 233, 240, 244, 313, 369, 370, Sauvegarde de l’équilibre financier, 268

380, 404, 436, 439, 440, 450, 459, 464, 515, 521, 625, Sécurité juridique, 134, 201, 226, 235, 236, 237

628 Services publics, 1, 10, 102, 103, 104, 142, 156, 195,
209, 219, 230, 231, 233, 236, 244, 247, 283, 285, 288,
Principe d’équilibre, 207, 208, 215, 443
Principe de confiance légitime, 226 289, 290, 292, 296, 301, 339, 342, 374, 395, 400, 412,

Principe de nécessité de l’impôt, 155, 157, 194, 231, 421, 457, 563, 504, 507, 517
Sociabilité, 59, 65, 421, 486, 487
233, 245, 248
Principe de non­discrimination, 469, 473, 474 Sociologie fiscale, 184

Principe de solidarité, 47, 329, 342, 25 Souveraineté,


Attribut essentiel, 536, 540
Principe du contradictoire, 244
Principes budgétaires, 153, 156, 157, 178, 192, 207, 210, Budgétaire, 27, 264, 294, 566, 590, 609, 610

214, 217, 218, 248, 626 de l’État, 46, 167, 171, 524, 543, 567, 589, 591
Externe, 537, 543, 609
Sincérité, 157, 161, 207, 208, 209, 213, 214, 215,
217, 218, 560 Interne, 537, 543, 609

456
Index Alphabétique

Statut négatif, 140, 326, 335, 392, 406, 407, 410, 411, Théorie naturaliste, 74
412, 414, 416, 419, 421, 422, 489 Théorie positive, 22, 57, 85, 95, 101, 107, 617
Statut positif, 326, 335, 391, 418, 419, 421, 424 Traité sur l’Union européenne, 551
Supra­constitutionnalité, 128 Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance,
Surveillance budgétaire, 575, 581, 583, 585 294, 579, 584, 589, 593
Transfert de compétence, 46, 523, 547, 552, 562, 566,
T 590

Théorie de l’omission législative inconstitutionnelle,


425 U
Théorie juridique, 104, 544 Utilité de la dépense, 288, 289

457
458
INDEX ONOMASTIQUE

(Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)

Gallo, 319
A Gay Laurence, 331

Amselek Paul, 44, 84, 88 Grotius Hugues, 60, 63, 64, 486, 487

Aristote, 61, 62
Auby Jean­Bernard, 264, 615, 616 H
Hart Herbert, 34, 66, 133
B Hauriou Maurice, 1, 129

Beltrame Pierre, 147, 177 Héraclite, 72

Bobbio Noberto, 86, 90, 91, 92, 95, 110, 117, 119 Holmes Stephen et Sunstein Cass R., 504, 506, 507

Bodin Jean, 540, 542


Bouvier Michel, 184 I
Buchanan James, 287 Ihéring Rudolf (Von), 391
Burke Edmund, 68
J
C Jèze gaston, 101, 102, 104, 185, 186, 288, 289, 290, 291,
Cabannes Xavier, 178 292
Cadoux Charles, 172
Carré de Malberg Raymond, 33, 531 K
Casalta Nabais josé, 149 Kant Emmanuel, 70, 71, 107
Cassin René, 98 Kelsen Hans, 23, 24, 33, 34, 36, 68, 70, 71, 82, 83, 89, 99,
Caudal Sylvie, 162 104, 106, 107, 108, 109, 110, 112, 113, 116, 118, 119,
Chamard­Hein Caroline, 398 134, 135, 139, 140, 141, 221, 525, 526, 527, 528, 534,
Cotta Sergio, 90, 92, 111 535, 541, 543, 544, 617
Crouy­Chanel Emmanuel (de), 225, 235, 244 Keynes John Maynard, 292, 602

D L
Doyen Ripert, 93 Laband Paul, 527, 538
Doyen Vedel, 147 Laferrière, 149
Duguit Léon, 129, 397, 421 Laffranque Julia, 492, 494, 507
Leroux Alfred, 23
F Leterre Thierry, 149
Favoreu Louis, 9, 44, 221, 227, 229 Levinet Michel, 358
Filippo Luciano, 284 Locke John, 13, 78, 170

G M
459
Finances publiques et droits fondamentaux

Mälksoo Lauri, 491, 505 Spielmann Dean, 470, 481


Maritain Jacques, 89 Spinoza, 60
Mehl Lucien, 147, 179, 180
Migaud Didier, 451, 457 T
Montesquieu, 138, 167 Troper Michel, 119, 528
Morange Georges, 129, 130

U
N Ulpien, 60
Nietzche, 92

V
O Viessant Céline, 157, 159
Ollero­Tassara Andrès, 56 Villey Michel, 10, 133
Orsoni Gilbert, 157, 159 Viangalli François, 10
Ost François et Van de Kerckhove Michel, 34

W
P Wagner Adolph, 286
Peacock et Wiseman, 286
Philip Loïc, 155 X
Platon, 31, 62
Xifaras Mikhaïl, 186
Pontier Jean­Marie, 311
Pufendorf (Baron de), 63, 64, 65, 487
Z
Zagrebelsky Gustavo, 34
R
Rawls John, 67
Rémond Nicolas, 177
Ricci Jean­Claude, 73
Rigaudière Albert, 539
Robespierre Maximilien, 151, 154
Ross Alf, 34, 112
Rousseau Jean­Jacques, 13, 43, 65, 99, 167, 488, 490,
542

S
Saint Thomas d’Aquin, 62, 73
Sarmas Ionnis, 472, 499, 516
Say Jean­Baptiste, 288
Seguin Philippe, 451, 457
Siéyès Emmanuel­Joseph, 542
Smith Adam, 80, 284, 288
Socrate, 62
460
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION GENERALE 1

PARTIE 1 LES DROITS FONDAMENTAUX COMME CADRE DES DROITS FINANCIERS


31

TITRE 1 DROITS FONDAMENTAUX ET FINANCES PUBLIQUES : DE L’ANTINOMIE À


L’IMBRICATION 33

CHAPITRE 1 Le fondement théorique des finances publiques et des droits fondamentaux 35


Section I : DE L’INTEMPORELLE CONTROVERSE ENTRE DROIT POSITIF ET DROIT NATUREL 36
I. Le fondement des Droits et libertés fondamentaux est­il ontologiquement naturel ? 36
A. De la rationalité à la sociabilité : quel fondement ? 37
1° Les différents courants du droit naturel : 37
2° Une nécessaire organisation de la vie entre hommes 40
B. De la division au ralliement du droit divin au droit naturel : un glissement de fondement 42
II. Du fondement naturel ou positif des finances publiques 44
A. La doctrine naturaliste et les finances publiques 45
1° Dieu, le roi et l’impôt, une relation historique intrinsèque 45
2° Le droit naturel comme limitation du droit fiscal 47
B. Les finances publiques envisagées sous l’angle positif comme nécessaire à leur étude 48
Section 2 : La théorie juridique positive comme prisme d’étude des finances publiques et des droits et
libertés fondamentaux 51
I. De la nature du fondement théorique 51
A. Le fondement un questionnement propre au jusnaturalisme ? 52
1° L’absence de consensus doctrinal relatif à la question du fondement 52
2° Les caractéristiques d’un éventuel fondement positif 55
B. Le fondement nécessairement positif des finances publiques 58
1° L’État conceptualisé par la notion de services publics, réalisé par les finances publiques 59
2° Le service public étatique, les droits fondamentaux et les finances publiques comme moyen de
réalisation : une ébauche 60
II les droits fondamentaux au sein de la hiérarchie des normes 61
A. Le normativisme kelsenien 62
1° La validité : condition intrinsèque à l’existence d’une norme 63
2° L’effectivité : condition intrinsèque à l’existence des droits fondamentaux 67
B. La démocratie par le droit ou la démocratie procédurale 70

CHAPITRE 2 L’imbrication des finances publiques et des droits et libertés fondamentaux 75

461
Section I : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou l’imbrication des finances publiques et des
droits fondamentaux 75
I. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme assise des droits fondamentaux 75
A. La valeur juridique et la nature de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen 76
1° La valeur juridique en débat 76
2° Une autonomie des droits fondamentaux? 81
B. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou la liaison État­loi­droits fondamentaux 83
1° Les droits de l’homme comme concession de l’État 83
2° Comment concevoir qu’une liberté puisse être concédée par l’État ? 85
II. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme assise des finances publiques 89
A. Pourquoi l’introduction des finances publiques dans un texte sur les droits fondamentaux? 89
1° Les finances publiques : leviers des révolutions 90
2° La levée de l’impôt ou l’octroi du pouvoir législatif par le Parlement 91
B. L’influence de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur le droit public financier. 94
1° La consécration de principes majeurs du droit fiscal 95
2° Le rayonnement de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur les grands principes
budgétaires 96
Section 2 : De l’artificialité ou de la postériorité des droits fondamentaux au regard des finances publiques 102
I. Le principe du consentement à l’impôt comme base des révolutions 103
A. L’instauration progressive de l’impôt. 103
1° De la multiplication des impôts à l’instauration du principe du consentement à l’impôt 103
2° Le principe du consentement à l’impôt en droit comparé 108
B. Aspect juridique et psychosociologique du consentement à l’impôt et du consentement de l’impôt 111
II. Le consentement à l’impôt : une des bases de la Démocratie 114
A. Consentement à l’impôt et vote du budget 114
1° Le consentement à l’impôt : corollaire de la démocratie représentative 114
2° Les contraintes liées au pouvoir budgétaire du Parlement peuvent­elles avoir raison du principe
du consentement à l’impôt ?. 116
B. La justice fiscale comme valeur démocratique 118
1° La justice fiscale : facteur de cohésion sociale 118
2° La notion d’impôt : une notion obscure ? 119

TITRE 2 LES INSTRUMENTS DE RECONNAISSANCE ET DE PROTECTION DES


DROITS FINANCIERS FONDAMENTAUX 121

CHAPITRE 1 Le cadre constitutionnel des droits financiers fondamentaux 123

462
SECTION 1 : Peut­on trouver des libertés constitutionnellement reconnues à l’intérieur des finances
publiques hors fiscalité ? 123
I. Les libertés spécifiques : libertés liées directement au contribuable : 124
A. le Conseil constitutionnel : médiateur des libertés : 125
1° Quand le principe de nécessité induit le principe de légalité mis en balance par le principe
d’égalité : 125
2° Un contrôle basé sur des critères objectifs et rationnels en prise avec l’évolution de la société 129
B. La notion de droits fondamentaux au sein de la question prioritaire de constitutionnalité 130
1° La lecture de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen par l’article 34 de
la Constitution. 131
2° La question prioritaire de constitutionnalité : de la sécurité juridique vers une délimitation de
l'interprétation de la notion de libertés fondamentales ? 133
II. Les principes budgétaires : libertés ou garantie des libertés ? 135
A. les principes budgétaires comme cadres des libertés fiscales ? 136
1° Les principes d’annualité, d’unité, d’universalité et de spécialité comme réalisant l’article 15 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 136
2° Le principe de sincérité budgétaire a pour corollaire le principe d’équilibre comme réalisation du
principe du consentement à l’impôt 139
B. les principes budgétaires : le droit pour le contribuable de suivre l’emploi des deniers publics 143
1° Les principes budgétaires des principes autonomes ? 143
2° Les principes budgétaires : des libertés indirectes du contribuable ? 144
SECTION 2 : Le Conseil constitutionnel : l’intérêt général est­il supérieur aux intérêts particuliers ? 145
I. Le conflit entre normes constitutionnelles 145
A. Normes formelles et normes matérielles 145
B. De la nécessaire conciliation des libertés 147
1° Le droit de propriété, droit directement atteint par l’impôt, mais indirectement invoqué : 148
2° Le droit de propriété un droit bénéficiant d’une protection particulière : 151
II le principe de continuité de l’État et des services publics 154
A. l’articulation entre la nécessité de l’impôt et le droit de propriété 154
1° L’article 13 de la Déclaration est un article « frontière », par sa bivalence, et bénéficie d’une
lecture à double entrée. 155
2° Le régime de garantie de la loi fiscale afin de limiter en amont l’atteinte au droit de propriété 158
B. La nécessité un principe traduit par des objectifs de valeur constitutionnelle tels : la lutte contre la
fraude fiscale et l’évasion fiscale 160
1° Les atteintes à la liberté individuelle et la conciliation avec la lutte contre la fraude fiscale : 161
2° Le principe de non rétroactivité : jusqu’où va la nécessité : 163

463
CHAPITRE 2 Le cadre conventionnel et économique des droits financiers fondamentaux 169
SECTION 1 : L’influence du droit conventionnel et communautaire sur les droits financiers fondamentaux 169
I. L’impôt : une appréciation souveraine des États 169
A. L’évolution de la jurisprudence européenne en matière de recouvrement de l’impôt 170
1° L’impôt considéré comme un élément de souveraineté de l’État,un élément objectif et non
subjectif. 171
2° La conception propre du droit de propriété par la Cour européenne des droits de l’homme : 173
B. l’invocation de l’impôt de manière médiate : 174
1° La combinaison de l’article 1 du protocole additionnel avec d’autres articles de la Convention 175
2° L’influence du droit communautaire sur les finances publiques : 178
II. Les dépenses publiques : une appréciation de la Cour européenne sur leur nécessité 178
A. un simple intérêt financier n’est pas suffisant 179
1° Concernant les lois de validation 179
2° la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne s’inscrit dans la lignée de celle de la
Cour européenne des droits de l’homme 182
B. La prise en compte de la crise par la Cour européenne des droits de l’homme : 183
1° L’appréciation de la garantie de subsistance des requérants 183
2° L’ampleur de la crise et le degré de l’atteinte aux conditions de subsistance 185
SECTION 2 : La protection de nos libertés a t’elle un réel coût financier ? 187
I. L État et la dépense publique 187
A. les théories économiques relatives à la dépense publique 188
1° Présentation générale des théories 188
2° La justification des dépenses publiques 192
B. l’accroissement continu des dépenses publiques, un fait intemporel 194
1° Les causes de l’augmentation des dépenses publiques : 194
2° Les dépenses publiques aujourd’hui 196
II. Le cout financier des institutions protectrices des droits fondamentaux 198
A. les autorités administratives indépendantes 199
1° Les différentes AAI 200
2° Le coût des AAI 204
B. La mise en œuvre de la protection des droits fondamentaux conditionnée par les finances
publiques ? 210
1° La compétence financière est une compétence Parlementaire : 211
2° Le juge gardien des finances publiques : l’exemple de l’Italie 212

464
CONCLUSION DE LA PARTIE 1: 217

PARTIE 2 LES FINANCES PUBLIQUES COMME GARANTIE DE L’EFFECTIVITE DES


DROITS FONDAMENTAUX 219

TITRE 1 DROITS CRÉANCES, DROITS­GARANTIS ET DROITS­LIBERTÉS : DES


DROITS D’INTERVENTIONNISME ÉTATIQUE 221

CHAPITRE 1 Les finances publiques condition intrinsèque à l’existence des droits­créances 223
SECTION 1 : La classification des droits fondamentaux : 223
I. La dichotomie : droits­libertés et droits­créances 223
A. droits libertés et droits créances : des droits en contradiction ? 224
1° Une classification non délimitée 224
2° Les droits­libertés et les droits­créances : des droits contraires, des droits opposés ou des droits
complémentaires ? 228
B. La mise en œuvre législative des droits­créances : des droits d’implication financière 231
1° L’intervention législative nécessaire : de l’institution à l’opposabilité 231
2° La dimension financière des droits­créances 234
II. les conséquences juridiques d’une vision binaire : une protection différente 239
A. Droits de second rang, deuxième génération : des droits hiérarchiquement inférieurs 239
1° La classification conduit­elle ipso facto à une hiérarchie ? 240
2° Les droits­créances sont des droits subordonnés aux finances publiques. 242
B. Le rôle du juge au regard des droits­créances : le principe de séparation des pouvoirs est – il un frein
à leur justiciabilité ? 243
1° La justiciabilité des droits­créances 244
2° Les droits et les objectifs 246
SECTION 2 : les droits sociaux fondamentaux dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière
financière 251
I. Le contrôle du Conseil constitutionnel du « noyau dur » des droits­créances 251
A. L’effet cliquet : une obligation imposée au législateur 252
1° L’abstention du législateur ou l’impossible remise en cause de l’acquis social 252
2° La technique des réserves d’interprétation comme palliatif de l’impossible ingérence totale du
juge dans le pouvoir législatif financier. 256
B. l’encadrement du pouvoir d’appréciation du législateur. 257
1° La notion d’intérêt général justifie­t­elle une baisse de protection des droits créances ? 258
2° Le raisonnement du Conseil constitutionnel est­il identique dans le cadre de la QPC ? 261

CHAPITRE 2 De la subjectivité à l’objectivité des droits­libertés 269


SECTION 1 : Dimension objective et dimension subjective des droits 269
I. La fonction sociale de certains droits­libertés 270
A. le droit de propriété un droit à double entrée 270
465
1° Un droit­liberté issu des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et
de l’alinéa 9 du Préambule de 1946. 271
2° La dimension sociale du droit de propriété reconnue par le Conseil constitutionnel dans ses
limitations : 273
B. De la propriété privée à la propriété publique 274
II. Vers une atténuation du statut négatif par la nécessaire intervention financière de l’État 279
A. Du constat que même les droits­libertés de 1789 ont besoin de l’État 279
1° La liberté d’expression : les objectifs de pluralisme et de transparence : 279
2° la liberté de conscience et d’opinion sous le prisme de la laïcité 282
B. Une remise en cause des travaux de Jellinek ? 287
1° Vers une doctrine unitaire des droits fondamentaux ? 287
2° La conception italienne sur les limites d’une classification des droits : des droits de statut positif. 291
SECTION 2 : L’Italie : le sentenze additive di prestazione ou une limite à l’unité des droits 292
I. Le contrôle du juge italien : l’affirmation d’une protection conditionnée par les ressources budgétaires 293
A. Le contenu essentiel des droits sociaux défini par les disponibilités financières 293
1° La question d’un contenu minimal des droits sociaux corrélatif du contexte économique. 293
2° La limite de réserve de loi : 296
B. le réalisme du juge italien : le contrôle « raisonnable » 298
1° Les sentenze additive ou le pouvoir normatif du juge : 298
2° Il principio di eguaglianza ou un droit­liberté comme critère de base du contrôle juridictionnel 299
II. Le contrôle du juge italien : la prise en compte de l’impact budgétaire et l’assouplissement des arrêts
additifs de prestation 302
A. « Droit à » et équilibre des finances publiques : le contrôle de « balancement. » 302
1° Bilaciamento 303
2° L’émergence de « nouveaux droits » 304
B. Les arrêts additifs de principe 306

TITRE 2 LA CRISE DES FINANCES PUBLIQUES : UNE REMISE EN CAUSE DES DROITS
FONDAMENTAUX ? 311

CHAPITRE 1 L’avenir des droits fondamentaux 313


SECTION 1 : Absence de moyens de financement : les droits économiques et sociaux ? 314
I. Crises structurelles et droits économiques et sociaux fondamentaux sont­ils liés ? 314
A. une position paradoxale entre la Cour des Comptes et les autres juridictions 314
1° Vers une réduction des dépenses sociales préconisée par la Cour des comptes 314
2° Une politique jurisprudentielle comme rempart à l’impact de la crise économique et financière. 318
B. Comment l’État peut­il assumer ses obligations positives dans un contexte de crise ? 321
1° Les normes de conciliation entre économie et droits fondamentaux 321
466
2° La « scelte tragiche » 324
II. La crise économique et financière a­t­elle un impact sur l’application de la Convention européenne des
droits de l’homme ? 326
A. Un respect difficile de la Convention par les États les plus touchés par la crise 326
1° La reconnaissance européenne d’une fragilisation des droits de l’homme 326
2° Le principe de non­discrimination, l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants 329
B. l’impact budgétaire ou le nécessaire compromis du juge européen 332
1° Les réponses des juges européens 332
2° Une prise en compte en amont des difficultés budgétaires 336
SECTION 2 : La doctrine naturaliste des droits de l’Homme peut­elle survivre à la crise ? 337
I. l’autarcie de la doctrine naturaliste ? 337
A. Une doctrine indépendante de l’État au sens strict ? 338
1° Une nature imperméable à la crise 339
2° Les droits­libertés: des droits non affectés par la crise ? Un moyen de lutter contre ses effets ? 341
B. Une autarcie relative des droits fondamentaux 345
1° L’exemple grec ou la pénurie budgétaire met à mal les droits fondamentaux 345
II. Tous les droits ont un coût 349
A. La prise en compte financière des droits 349
1° The Cost of Rights. 349
2° Le fonds fiduciaire pour les droits de l’homme 352
B. Le problème de la difficulté à exécuter les décisions de justice 354
1° Le coût de la justice : la mise en place des arrêts pilotes 354
2° Le coût des obligations liées à la réparation des violations. 357

CHAPITRE 2 L’État est­il toujours souverain ? 363


Section 1 : L’État et la souveraineté des notions indivisibles ? 363
I. Du concept d’État et de souveraineté formellement 364
A. L’État construction théorique et pratique 364
1° L’État in abstracto 364
2° L’État in concreto 368
B. La souveraineté : attribut essentiel de l’État ? 370
1° De la notion au concept: 370
2° Souveraineté matérielle et souveraineté interne et externe : 374
II. Du transfert de compétences au transfert de souveraineté ? 379
A. De la répartition au transfert de compétences : Les Finances communautaires 379
1° Des différents types de compétences : des États à l’Union 379
B. Le budget de l’Union européenne : le financement de l’Union par les États membres 382

467
SECTION 2 : L’impact de la crise : vers une approche globale et financière des droits fondamentaux qui
renouvelle la notion de souveraineté 390
I. Du transfert d’un attribut de la souveraineté et des contraintes afférentes : 390
A. L Union économique et monétaire ou le pouvoir décisionnel de l’Union en temps de crise 391
1° De l’union à la crise 391
2° La crise ou des contraintes budgétaires renforcées imposées par l’Union 395
B. Des États sous surveillance et dépendants pour certains peuvent­ils être considérés comme
souverains ? 400
1° les carences gouvernementales révélées par la crise ont­elles transféré le pouvoir de décision au
niveau européen ? 400
2° La souveraineté peut­elle comprendre l’assistance financière ? 405
II. la redéfinition de la notion de souveraineté de l’État au sens matériel 406
A. Les droits fondamentaux sont­ils antinomiques de la notion de souveraineté ? 407
1° Constitution et autres instruments de protection des droits fondamentaux . 407
2° L’instrumentalisation des Droits de l’Homme 410
B. La souveraineté financière partagée vers une redéfinition de la notion de souveraineté le concept
restant intact 412
1° l’Union européenne et le fédéralisme 413
2° Souveraineté partagée 415

CONCLUSION DE LA PARTIE 2 : 417

CONCLUSION GENERALE 419

BIBLIOGRAPHIE 429

INDEX ALPHABÉTIQUE 453

INDEX ONOMASTIQUE 459

TABLE DES MATIÈRES 461

468

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