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Nature et pertinence du contrôle de conventionnalité exercé par les


juridictions ordinaires. Remarques à partir de trois arrêts de la première
Chambre civile de la Cour de cassation du 24 janvier 2006

Issu de Revue des contrats - n°3 - page 885


Date de parution : 01/07/2006
Id : RDCO2006-3-055
Réf : RDC 2006, n° RDCO2006-3-055, p. 885

Auteur :
Par Astrid Marais

Cass. civ. 1re, 24 janv. 2006, n o 02-12260

Cass. civ. 1re, 24 janvier 2006, pourvois nos 02-12260, 01-16684, 01-17042 et 02-13775, http://www.courdecassation.fr ; JCP G
2006.II.10062, note A. Gouttenoire et S. Porchy-Simon ; RCA 2006, comm. 94, obs. Ch. Radé ; Dr. Famille 2006, comm. 105,
obs. B. Beignier et conclusions J. Sainte Rose ; Contrats, conc. consom. 2006, comm. 76, obs. L. Leveneur, LPA 2006, no 65, p.
13, note S. Prigent ; Gaz. Pal. 10 juin 2006, no 161, p. 32, note M. Bacache ; JCP S 2006.1502, note P. Morvan

« À la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, le 6 octobre 2005, la Cour de
cassation a, par trois arrêts du 24 janvier 2006, fait échec à l'application rétroactive de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002
relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, en se référant à l'article 1er du Protocole no 1
additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces décisions donnent
une occasion de s'intéresser, de manière plus générale, tant à la nature du contrôle de conventionnalité exercé par les
juridictions ordinaires qu'à sa pertinence ».

Par trois arrêts du 24 janvier 2006, la première Chambre civile de la Cour de cassation a refusé d'appliquer une loi dont la
rétroactivité heurtait la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention EDH).
La loi en question était celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. En vertu
de son article 1er alinéa 3 (devenu, depuis la loi du 11 février 2005, l'article L. 114-5 alinéa 1 Code de l'action sociale et des
familles), les parents d'un enfant né handicapé peuvent demander réparation de leur préjudice moral - et uniquement de
celui-ci - au médecin qui, à la suite d'une faute caractérisée, n'a pas décelé pendant la grossesse le handicap dont était
porteur le foetus. La loi du 4 mars 2002 entendait ainsi briser tant la jurisprudence de la Cour de cassation qui admettait
au contraire la réparation de l'intégralité des préjudices de l'enfant et des parents (Cass. Ass. plén., 17 novembre 2000, Bull.
civ., no 9 ; 13 juillet 2001, Bull. civ., no 10 ; 28 novembre 2001, Bull. civ., no 15) que celle du Conseil d'État qui, tout en refusant
d'indemniser l'enfant de son préjudice, acceptait de réparer le préjudice matériel et moral des parents (CE, 14 février 1997,
Quarez, Lebon, p. 44). Depuis cette loi, si le préjudice moral des parents continue d'être réparé par la voie de la
responsabilité civile, les autres chefs de préjudice font dorénavant l'objet d'une compensation forfaitaire relevant de la
solidarité nationale. L'application de ces dispositions aux instances en cours avant l'entrée en vigueur de la loi (article 1er,
alinéa 4 de la loi du 4 mars 2002, voir article 2.II, 2e de la loi du 11 février 2005) a entraîné la condamnation de la France par
la Cour européenne des droits de l'homme, le 6 octobre 2005, pour violation de l'article 1er du premier Protocole
additionnel à la Convention EDH, qui garantit le droit au respect des biens (arrêts Draon c/ France, req. no 1513/03 et
Maurice c/ France, req. no 11810/03). Assimilée à la privation d'un bien, la suppression par le législateur d'une partie
essentielle des créances en réparation des parents n'était pas, selon la Cour strasbourgeoise, proportionnée au but
d'intérêt général poursuivi par le législateur, en raison tant du « caractère très limité de la compensation au titre de la
solidarité nationale » que de « l'incertitude régnant sur celle qui résultera de l'application de la loi du 11 février 2005 » (§ 83).

Le 24 janvier 2006, la première Chambre civile de la Cour de cassation, tirant les conséquences d'une telle condamnation,
a fait échec à la rétroactivité de la loi du 4 mars 2002. En effet, « en prohibant l'action de l'enfant et en excluant du
préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie », la loi « a institué
un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation
intégrale » à laquelle l'enfant et les parents auraient pu prétendre « en l'état de la jurisprudence applicable avant l'entrée
en vigueur de cette loi ». Parce que la loi du 4 mars 2002 viole l'article 1er du premier Protocole, elle n'est pas applicable au
litige. Parce qu'elle n'est pas applicable au litige, la juridiction suprême fait revivre la jurisprudence combattue par cette loi
: elle accepte, ainsi, d'indemniser non seulement le préjudice matériel des parents, mais aussi, dans deux de ses trois arrêts,
le préjudice de l'enfant. Relevons que la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par des requérants qui s'étaient vu

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appliquer la loi du 4 mars 2002 par des juridictions administratives, n'avait eu à connaître que du préjudice des parents,
seul réparé jusque-là par le Conseil d'État. À la faveur du contrôle de conventionnalité, est donc réintroduite la divergence
qui existait entre les juridictions administratives et judiciaires sur la question du préjudice de l'enfant. C'est ainsi que le
Conseil d'État, le 24 février 2006, après avoir écarté l'application de la loi du 4 mars 2002 aux instances en cours en raison
de sa contrariété à l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention EDH, s'est exclusivement attaché à
rechercher si les conditions de réparation du préjudice des parents se trouvaient réunies. En l'espèce, elles ne l'étaient pas,
le service hospitalier n'ayant commis aucune faute (CE, 24 février 2006, JCP Adm. et Coll. Territ. 2006, no 12, 1074, concl. T.
Olson ; JCP 2006.II.100062, note A. Gouttenoire et S. Porchy-Simon ; RCA 2006, comm. 127, obs. Ch. Radé). Le contrôle de
conventionnalité a donc permis aux juridictions suprêmes de prendre leur « revanche » sur la loi (Ch. Radé, obs. préc.). Une
revanche qui leur évite d'entrer en rébellion avec la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, même si le Conseil
d'État, dans son avis du 6 décembre 2002, avait jugé la loi française conforme à la Convention EDH (JO 12 janvier 2003, p.
727), il eût été « assez surréaliste et peu raisonnable » de déclencher « la guerre des juges » après la condamnation
strasbourgeoise (T. Olson, concl. préc.). L'application d'une loi, déclarée contraire à cette Convention par l'autorité qui est
gardienne de son interprétation, aurait immanquablement conduit à une nouvelle condamnation de l'État français
(Communiqué de la Cour de cassation sur les trois arrêts). Est-ce une raison suffisante pour légitimer la censure de la loi
française opérée par les juges ordinaires ? Le contrôle de conventionnalité transforme le rôle du juge qui, de serviteur de la
loi, en devient le censeur (J. Merlin, rapport sur Cass. Ass. plén., 24 janv. 2003, BICC 574 du 1er avril 2004). La nature d'un tel
contrôle (I) oblige à se demander s'il est toujours pertinent d'en confier l'exercice aux juridictions ordinaires (II).

I - La nature du contrôle de conventionnalité exercé par les juridictions


ordinaires
À l'origine du contrôle de conventionnalité exercé par les juges ordinaires, se trouve la décision du Conseil constitutionnel
du 15 janvier 1975 (décision no 74-54 du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse). Refusant
d'apprécier la conformité de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse à l'article 2 de la Convention EDH, le
Conseil constitutionnel avait implicitement invité les juridictions ordinaires à réaliser un tel contrôle. L'invitation fut
acceptée par la Cour de cassation, dans l'arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975 (Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Bull. civ., no 4) et
plus tardivement par le Conseil d'État, dans l'arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 (CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Lebon, p.
190, concl. P. Frydman). Le Conseil constitutionnel justifie son incompétence par la différence de nature existant entre le
contrôle de la conformité de la loi à la Constitution et le contrôle de la conformité de la loi à un traité. Le contrôle de
constitutionnalité vise en effet à juger de la validité de la loi à l'aune de la Constitution1, ce que ne réaliserait pas le
contrôle de conventionnalité. Or d'une part, même si cela a parfois été nié, le juge qui écarte une loi contraire à une traité
apprécie la validité de celle-ci (A) ; d'autre part, fondé sur l'article 55 de la Constitution, le contrôle de conventionnalité
consiste en un contrôle de constitutionnalité de moins en moins indirect (B).

A. Le contrôle de conventionnalité : un contrôle de la validité de la loi. - Le juge qui, par le biais du contrôle de
conventionnalité, apprécie la validité de la loi, viole la séparation des pouvoirs. La parade a pu être trouvée en soutenant
que le juge ne contrôlait pas une telle validité lorsqu'il faisait prévaloir le traité sur une loi : il se bornait à choisir entre deux
normes, celle qui devait être applicable au litige, sans censurer la norme écartée (pour un exposé de cet argument, voir P.
Frydman, concl. CE, 20 octobre 1989, préc., spéc. p. 193). Cet argument ne convainc pas. Dans les arrêts du 24 janvier 2006,
l'alternative offerte au juge a consisté non pas à choisir d'appliquer l'article 1er du premier Protocole, plutôt que la loi du 4
mars 2002, mais à décider d'écarter ou non la loi française en raison de son éventuelle contrariété à la norme européenne,
ce qui a nécessairement impliqué de porter un jugement sur la validité de la loi française. En l'espèce, la violation par la loi
française de la Convention EDH ne ressortait pas de la seule lecture des articles 1er alinéa 4 de la loi du 4 mars 2002 et 1er
du premier Protocole additionnel à la Convention. Le premier déclare applicable aux instances en cours les dispositions de
la loi du 4 mars 2002 qui substituent, pour le préjudice de l'enfant et le préjudice matériel des parents, un mécanisme de
compensation fondé sur la solidarité nationale à celui de responsabilité, tandis que le second, tel qu'il est interprété par la
Cour européenne des droits de l'homme, subordonne la licéité de l'ingérence des États dans le droit au respect des biens
au maintien d'un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la
sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Pour caractériser la violation par la loi de la Convention EDH, la Cour de
cassation a donc dû se livrer à un contrôle de proportionnalité qui l'a conduit à juger le mécanisme de compensation
forfaitaire du handicap institué par la loi sans rapport raisonnable avec la créance de réparation intégrale allouée par la
jurisprudence avant l'entrée en vigueur de la loi.

Mais si l'article 1er du premier Protocole a permis, par conséquent, de neutraliser l'application rétroactive de la loi du 4
mars 2002, le contrôle de conventionnalité ne consiste-t-il pas alors en un contrôle d'applicabilité de la loi, plutôt qu'en un
contrôle de sa validité ? Tandis que le contrôle de l'applicabilité de la loi réalisé par le juge ordinaire ne peut aboutir qu'à
rendre la loi inapplicable à l'espèce, sans déboucher sur l'annulation de celle-ci, le contrôle de validité de la loi opéré par le
Conseil constitutionnel est susceptible d'entraîner la censure définitive de la loi qui ne sera pas promulguée. Le Conseil
constitutionnel dans sa décision de 1975 relevait ainsi que le contrôle de constitutionnalité des lois avait « un caractère
absolu et définitif (...) qui fait obstacle à la promulgation et à la mise en application de toute disposition déclarée

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inconstitutionnelle », alors que celui de la conformité des lois à un traité présentait un « caractère relatif et contingent », la
contrariété d'une loi à un traité pouvant par la suite disparaître, ce qui permettrait à la loi de produire à nouveau ses effets.
Le caractère contingent résulte notamment de ce que la supériorité des traités sur les lois « est subordonnée à une
condition de réciprocité dont la réalisation peut varier selon le comportement du ou des États signataires du traité ». Cette
motivation, qui n'a jamais été reprise par la suite par le Conseil constitutionnel, a été justement critiquée puisque la
condition de réciprocité ne joue pas pour certains traités tels que la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales. Il n'en reste pas moins que la Cour de cassation, lorsqu'elle refuse d'appliquer la loi du 4 mars
2002 de manière rétroactive, n'annule pas cette loi. L'autorité relative de la chose jugée l'empêche d'ailleurs de prendre
une telle décision d'annulation qui s'appliquerait sinon au-delà des parties au procès. Mais attachée au seul dispositif de la
décision, l'autorité relative de la chose jugée ne s'oppose pas à ce que la Cour de cassation stigmatise dans ses motifs,
comme elle le fait dans les arrêts du 24 janvier 2006, la contrariété de la loi française à la Convention EDH, de manière
suffisamment générale pour que l'inapplication de l'alinéa 4 de la loi du 4 mars 2002 s'imposât pour l'avenir. Chargée
d'assurer l'unité d'interprétation du droit, la Cour de cassation pourra contraindre les juges du fond à adopter cette
solution. En outre, sous peine de voir à nouveau condamnée la France par la Cour européenne des droits de l'homme, la
Cour de cassation maintiendra vraisemblablement sa solution, tant qu'elle estimera que la compensation forfaitaire
organisée par la loi ne répare pas l'intégralité des préjudices (Cass. civ. 1re, 21 février 2006, pourvoi no 03-11917). Le contrôle
de conventionnalité ne permet certes pas au juge d'annuler de manière définitive une loi contraire à un traité, mais il
l'autorise à censurer la loi de manière durable... C'est donc « en vain qu'on objecterait que (la décision d'écarter une loi
contraire à un traité) n'aboutirait qu'à déclarer la loi inapplicable à une espèce, et non à la censurer » (P. Frydman, concl.
préc., spéc. p. 193).

La séparation des pouvoirs qui interdit aux tribunaux de suspendre l'application de la loi (article 10 de la loi des 16 et 24
août 1790) est donc bien violée par le contrôle de conventionnalité. Mais l'atteinte trouve son fondement dans la
Constitution : son article 55, en reconnaissant aux traités régulièrement ratifiés ou approuvés, « une autorité supérieure à
celle des lois », dès leur publication, habilite implicitement le juge à écarter l'application d'une loi contraire à un traité. Non
visé dans les arrêts du 24 janvier 2006, l'article 55 de la Constitution n'en reste pas moins en « toile de fond » depuis les
arrêts Jacques Vabre et Nicolo (A. Roblot-Troizier, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution
Française, Thèse Panthéon-Assas, 2005, no 407, p. 378).

B. Le contrôle de conventionnalité : un contrôle de constitutionnalité. - Le contrôle de conventionnalité, parce qu'il permet


au juge ordinaire d'assurer le respect de la Constitution, est souvent présenté comme un contrôle de constitutionnalité
indirect : un contrôle de constitutionnalité car une loi contraire à un traité est contraire à l'article 55 de la Constitution, ce
qui justifie la censure de la loi (D. de Béchillon, « De quelques incidences du contrôle de conventionnalité internationale
des lois par le juge ordinaire (Malaise dans la Constitution) », RFDA 1998.226, spéc. p. 233 ; D. Rousseau, Droit du
contentieux constitutionnel, 7e éd. Montchrestien, p. 117) ; mais un contrôle indirect car le refus d'application de la loi
résulte d'une confrontation de celle-ci avec le seul traité et non avec les normes intégrées dans le bloc de
constitutionnalité. Les traités n'étant pas intégrés dans le bloc de constitutionnalité, le contrôle de conventionnalité
n'implique, de la part des juges ordinaires, aucune appréciation de la validité de la loi à l'aune de la Constitution
susceptible d'empiéter sur la compétence exclusive du Conseil constitutionnel (CE, 5 janvier 2005, Deprez et Baillard, RFDA
2005.67). Pour affirmer que le juge ordinaire ne pratique pas un contrôle de constitutionnalité direct identique à celui
réalisé par le Conseil constitutionnel, il faut donc nécessairement considérer que les traités ne font pas partie du bloc de
constitutionnalité.

Une telle analyse a subi le coup de boutoir du Conseil constitutionnel, notamment s'agissant de la Convention EDH (voir
également à propos du droit communautaire, depuis la décision no 2004-496 DC du 10 juin 2004 - Loi pour la confiance
dans l'économie numérique, voir D. Rousseau, préc., p. 122). En effet, le Conseil constitutionnel a conféré une valeur
constitutionnelle à des droits protégés par la Convention EDH, bien souvent en s'inspirant de cette dernière et de
l'interprétation qui en est faite à Strasbourg. À titre d'exemple, le droit à un recours juridictionnel effectif auquel le Conseil
constitutionnel s'est référé pour contrôler une loi rétroactive n'est-il pas le reflet du droit au procès équitable garanti par
l'article 6 de la Convention EDH (décision no 99-422 DC du 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale
pour 2000) ? Néanmoins, le Conseil constitutionnel sauve les apparences qui, pour constitutionnaliser les droits
fondamentaux, se fonde sur des normes intégrées au bloc de constitutionnalité, telle la déclaration des droits de l'homme
de 1789, et non sur la Convention EDH. Il lui est pourtant arrivé de viser un arrêt non définitif de la Cour européenne des
droits de l'homme dans une décision, alors qu'il était saisi, il est vrai, non pas sur le terrain de l'article 61 pour vérifier la
constitutionnalité d'une loi, mais sur celui de l'article 54 afin d'apprécier si l'autorisation de ratifier un traité devait être
précédée d'une révision constitutionnelle (déc. no 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution
pour l'Europe).

L'interprétation des normes constitutionnelles à la lumière de la Convention EDH participe à l'intégration de cette dernière
dans le bloc de constitutionnalité. Elle atténue, à n'en pas douter, la différence de nature entre le contrôle de
constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité. En maintenant son refus de contrôler la conformité d'une loi à un
traité, tout en interprétant les normes constitutionnelles à la lumière de la Convention EDH, le Conseil constitutionnel

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permet alors aux juridictions ordinaires de développer un contrôle concurrent du sien. Se pose alors la question de savoir
s'il est toujours pertinent de confier à ces juridictions l'exercice du contrôle de conventionnalité.

II - La pertinence de l'exercice du contrôle de conventionnalité par les


juridictions ordinaires
Le contrôle de conventionnalité exercé par les juridictions ordinaires présente des inconvénients variables selon que la
Cour européenne des droits de l'homme a ou non statué sur la conformité de la loi française à la Convention EDH : tant
que cette dernière ne s'est pas prononcée, on peut, d'une part, essentiellement craindre une divergence entre les différents
ordres et degrés de juridictions françaises tenant à l'appréciation de la conventionnalité de la loi (A) ; après une
condamnation par la Cour européenne, il est davantage à redouter, d'autre part, une soumission ancillaire des juridictions
ordinaires à la jurisprudence européenne (B).

A. Le contrôle de conventionnalité en l'absence de condamnation par la Cour européenne. En l'absence de décision


européenne condamnant la France, l'appréciation de la conventionnalité de la loi française peut varier selon le degré et
l'ordre de juridiction auxquels les juges appartiennent.

Les juges du fond peuvent, par le biais du contrôle de conventionnalité dont l'exercice n'est pas réservé aux juridictions
suprêmes, écarter une loi française et ce, alors même que le Conseil constitutionnel, en s'inspirant de manière implicite de
la Convention EDH et de son interprétation par la Cour européenne, l'aurait déclarée conforme à la Constitution (À propos
de l'affaire dite des tableaux d'amortissement, voir par exemple, TGI Saintes, 21 février 1997, RTD civ. 1998.521, obs. J.-P.
Marguénaud). Faut-il s'en étonner ? Non, dès lors que cette solution s'appuie sur la différence formelle existant entre le
contrôle de conventionnalité et le contrôle de constitutionnalité. Et pourtant, dès lors que le Conseil constitutionnel
apprécie la constitutionnalité d'une loi en se référant à la Convention EDH, fût-ce de façon implicite, le refus d'application
d'une loi conforme à la Constitution, sous prétexte de son « inconventionnalité », conduit à relativiser l'autorité absolue de
la chose jugée par le Conseil constitutionnel, posée à l'article 62 de la Constitution. Aussi une telle décision des juges du
fond est-elle bien souvent censurée par les juridictions suprêmes (Cass. civ. 1re, 20 juin 2000, Bull. civ. I, no 191), qui
interprètent la Convention EDH à la lumière des décisions du Conseil constitutionnel (C. Bergeal, concl. CE, Ass., 5 déc.
1997, Mme Lambert, AJDA 1998, 149 et s. spéc. p. 152 ; N. Molfessis, RTD civ. 1999.236, spéc. p. 239 et s.).

Quant au Conseil d'État et à la Cour de cassation, il leur arrive d'apprécier différemment la conventionnalité d'une loi non
déférée au Conseil constitutionnel2. Les sages de la rue Montpensier n'avaient pas été saisis de la loi du 4 mars 2002,
malgré les doutes pesant sur sa constitutionnalité (M. Gobert, « Handicap et démocratie. De l'arrêt à la loi Perruche », Revue
Commentaire, no 97, printemps 2002, p. 29, spéc. p. 39 ; M. Fabre-Magnan, « L'affaire Perruche : pour une troisième voie »,
Revue Droits 2002, no 35, p. 119, spéc. p. 130 et s.). Le Conseil d'État et la Cour de cassation avaient néanmoins chacun
accepté d'en appliquer les dispositions rétroactives (CE, avis, 6 décembre 2002, préc. ; Cass. civ. 1re, 29 juin 2004, pourvoi no
02-15918), sans doute parce qu'ils cherchent, dans la mesure du possible, à privilégier l'application de la loi sur sa censure
en adoptant une interprétation de la norme française destinée à la rendre compatible avec la Convention (B. Genevois, «
Faut-il maintenir la jurisprudence issue de la décision no 74-54 DC du 15 janvier 1975 ? », Cah. Cons. const., 1999 (7), p. 101,
spéc. p. 106). La mise à l'écart de la loi française n'est décidée, en principe, que lorsque les juges suprêmes parviennent à
anticiper la future condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme. Or une telle condamnation,
à propos de la loi du 4 mars 2002, était d'autant plus incertaine qu'elle est intervenue sur le terrain fuyant de la
proportionnalité. Certes des doutes existaient, mais aucune certitude qui explique que le Conseil d'État n'ait pas suivi, dans
son avis du 6 décembre 2002, les conclusions de son commissaire du gouvernement qui, lui, considérait que l'application
rétroactive de la loi de 4 mars 2002 était contraire la Convention EDH (A. Debet, La solidarité envers les personnes
handicapées et la Convention européenne des droits de l'homme (à propos de l'avis rendu par le Conseil d'État le 6
décembre 2002, Dr. fam. 2003.3 ; J.-P. Marguénaud, RTD civ. 2004.797). L'aurait-il fait, son refus d'application de la loi du 4
mars 2002 aux instances en cours n'aurait peut-être pas trouvé d'écho dans la jurisprudence judiciaire.

En générant des divergences d'interprétation sur la conformité de la loi à la Convention EDH, l'exercice du contrôle de
conventionnalité par les juridictions ordinaires nuit à l'égalité des citoyens devant la loi. Pour remédier à ce désordre, le
Conseil constitutionnel devrait pouvoir imposer une interprétation unique des droits fondamentaux dans l'ordre interne.
Le Conseil constitutionnel, même lorsqu'il juge de la constitutionnalité d'une loi en prenant en compte les normes
européennes, n'exerce qu'un contrôle de constitutionnalité a priori et facultatif : il ne peut donc pas appréhender
l'ensemble des contrariétés à la Convention EDH susceptibles d'apparaître lors de l'application de la loi. Aussi faudrait-il lui
permettre de réaliser un contrôle a posteriori, par voie d'exception, à l'image de l'Espagne, de l'Italie ou de l'Allemagne (D.
de Béchillon, art. préc., spéc. p. 240). Le président de la République avait pris position en faveur d'une révision
constitutionnelle pour instaurer un tel contrôle de constitutionnalité, en juillet 1989, ce qui avait sans doute incité le
Conseil d'État, peu de mois après, dans l'arrêt Nicolo, a accepté d'exercer le contrôle de conventionnalité, dans l'attente
d'une telle réforme. Le 29 mars 1990, un projet de loi permettait au Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d'État ou la
Cour de cassation, de trancher une question préjudicielle d'inconstitutionnalité, soulevée à l'occasion d'un litige par un
justiciable, et portant sur l'éventuelle atteinte de la loi aux droits fondamentaux reconnus à toute personne par la

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Constitution (sur ce projet, O. Gohin, « Le Conseil d'État et le contrôle de la constitutionnalité des lois », RFDA 2000, 1175,
spéc. 1185). Ce projet, pas plus que celui qui lui a succédé en 1993, ne furent adoptés par le Sénat. Pourtant seul un contrôle
a posteriori assurerait l'interprétation unificatrice souhaitée. Frappée d'un sceau de conventionnalité par le Conseil
constitutionnel, la loi française pourrait, il est vrai, subir par la suite les foudres européennes (CEDH, 28 octobre 1999,
Zielinski et Pradal et autres c/ France, req. jointes nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96 ; dans l'affaire des tableaux
d'amortissement : Le Carpentier, Cabourdin, Vezon, Saint-Adam et Millot c/ France, req. nos 67847/1, 60796/00, 66018/01,
72038/01 des 14 février 2006, 11 avril 2006, 18 avril 2006, 2 mai 2006, voir obs. Th. Revet, RDC 2006, p. 289 et A. Debet, dans
cette revue, p. 879 et s.).

B. Le contrôle de conventionnalité en présence d'une condamnation par la Cour européenne. Est-il toujours pertinent, en
présence d'une condamnation européenne, de confier aux juges ordinaires le soin de soumettre le droit français au droit
européen de l'homme ? Lorsque la Cour européenne déclare qu'une loi française viole la Convention EDH, les juridictions
ordinaires, refusent, en général, d'appliquer la loi française, pour éviter une nouvelle condamnation sur des fondements
identiques (voir cependant pour un exemple de réaction dissidente de la Cour de cassation qui refuse de s'incliner devant
une telle condamnation : J.-P. Marguénaud, La Cour européenne des Droits de l'homme, Connaissance du droit, Dalloz, 3e
éd. 2005, p. 135). On ne peut, de prime abord, que leur en savoir gré. La soumission des juges français à la Cour européenne
participe au respect de la prééminence du traité sur la loi. Elle n'est pourtant pas sans danger. Gardienne de
l'interprétation de la Convention EDH, la Cour européenne développe une jurisprudence qui « ne peut être remise en cause
par personne, sauf par elle-même » (Ph. Malaurie, « La jurisprudence combattue par la loi, la loi combattue par la
jurisprudence », Defrénois 2005, article 38203, spéc. p. 1211-1212). Or l'interprétation progressiste et évolutive de la
Convention adoptée par la Cour européenne pourrait un jour la conduire à franchir la ligne jaune. Elle l'a peut-être déjà fait
en condamnant la Grande-Bretagne qui avait refusé le mariage entre une femme et le père de son ex-époux dont elle avait
eu un enfant (CEDH, 13 septembre 2005, B. et L. c/ Royaume-Uni, RTD civ. 2005.758, obs. J. Hauser, Dr. fam. 2005, comm.
234, A. Gouttenoire et M. Lamarche). La réception, dans l'ordre interne, de la jurisprudence Strasbourgeoise, parce qu'elle
est susceptible de heurter les fondements de la société française, ne devrait pas être décidée par les juridictions ordinaires,
mais par l'organe qui a reçu pour mission de représenter le peuple dans l'exercice de la souveraineté nationale (article 3 de
la Constitution) : le législateur. Ce dernier montre parfois une certaine promptitude à réagir à une condamnation par la
CJCE, comme le montre le dernier épisode sur la responsabilité du fait défectueux3 ; n'aurait-il pas pu faire preuve d'une
telle célérité après la condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme en abrogeant l'article 2.II de la loi du 11
février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui
déclare les dispositions de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles applicables aux instances en cours à la
date d'entrée en vigueur de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 ? Le vote de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des
chances, lui en offrait l'occasion. Le Conseil constitutionnel, à qui la loi du 31 mars 2006 a été déférée, aurait pu juger de la
conformité de la disposition légale abrogative à l'aune de la Constitution, interprétée à la lumière de la Convention EDH.
Seul organe habilité par le Constituant à contrôler l'activité du législateur, le Conseil est certainement plus compétent que
ne le sont les juridictions ordinaires pour invalider une loi, à la suite d'une condamnation européenne. Il ne faudrait donc
pas faire dépendre son intervention de la double éventualité tenant au vote d'une loi et à la saisine de cet organe avant la
promulgation de la loi par les personnes habilitées. À défaut d'une loi mettant en conformité le droit français avec le droit
européen, l'institution d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception permettrait de rendre systématique la
saisine du Conseil constitutionnel par les tribunaux ordinaires après une condamnation strasbourgeoise. Certes, si un tel
contrôle avait existé, le Conseil constitutionnel aurait certainement censuré la loi du 4 mars 2002 : ayant resserré son
contrôle des lois rétroactives (déc. no 99-422 DC du 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour
2000), depuis que la Cour européenne, le 28 octobre 1999, a condamné la France dans l'affaire Zielinski c/ Pradal pour une
disposition de validation législative pourtant déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, celui-ci
exerce aujourd'hui un contrôle de proportionnalité entre l'intérêt général « suffisant » et l'atteinte portée au droit du
justiciable, à la manière de la Cour européenne. Le résultat auquel sont parvenues les juridictions ordinaires aurait donc
été le même si le contrôle avait été opéré par le Conseil constitutionnel. Beaucoup de bruit pour rien alors qui pourrait faire
douter de l'utilité d'une révision constitutionnelle destinée à confier au Conseil constitutionnel le contrôle de
conventionnalité de la loi, par voie d'exception, même après une condamnation par la Cour européenne. Et pourtant, le
jour où la Cour européenne viendra censurer le législateur français en méconnaissant ses conceptions sociétales, ne
faudra-il donner au Conseil constitutionnel les moyens de lui tenir tête, quitte à ce que cela aboutisse à une dénonciation
de la Convention européenne ? Les juridictions ordinaires, surtout si la décision européenne venait valider une
jurisprudence combattue par le législateur, seront peu enclines à contrecarrer l'intrusion, dans l'ordre interne, du droit
européen. Si par ailleurs la loi avait été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, les juridictions
ordinaires seront tiraillées entre leur obligation de respecter tant l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel que
celle de la Cour européenne (J. Andriantsimbazovina, « La prise en compte de la Convention européenne des droits de
l'homme par le Conseil constitutionnel, continuité ou évolution ? », Cah. Cons. const. 2005 (18), p. 148, spéc. p. 153). Certes, le
Conseil constitutionnel, après une condamnation européenne, a, jusqu'à présent, fait évoluer sa jurisprudence afin de la
faire converger vers celle de la Cour européenne des droits de l'homme (R. Fraisse, Le Conseil constitutionnel et l'autorité
des décisions juridictionnelles en 2004 et 2005, http://www.conseil-constitutionnel.fr/divers/documents/autorite.pdf, p. 6).
Mais si celui-ci jugeait que le respect de la Constitution empêchait une telle convergence, les juridictions ordinaires en

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s'inclinant devant la jurisprudence de la Cour européenne feraient primer le traité international sur la Constitution, en
violation de l'article 54 de la Constitution. L'article 55, qui fonde, aujourd'hui, l'exercice du contrôle de conventionnalité par
les juridictions ordinaires, ne leur donne pas le pouvoir de méconnaître l'article 54 de la Constitution. L'affront entre la
Convention européenne et la Constitution n'est sans doute pas pour demain tant les deux gardiens respectifs de leur
interprétation subissent des influences réciproques. Un jour, peut-être..., dont l'éventualité oblige à se demander s'il ne
conviendrait pas, dès aujourd'hui, de transférer au Conseil constitutionnel l'exercice du contrôle de conventionnalité par
voie d'exception.

1 – 1. Pour certains spécialistes du droit constitutionnel, le Conseil constitutionnel ne « valide » pas la loi en la déclarant
conforme à la Constitution (J. Viguier, « Le Conseil constitutionnel ne valide pas la loi ! », LPA 2006, no 97, p. 4). Définissant,
de manière restrictive, le terme valider comme l'action de donner force exécutoire à la loi, ils considèrent que le contrôle
de constitutionnalité, parce qu'il s'exerce avant la promulgation de la loi qui confère à la loi sa force exécutoire, ne consiste
pas en un contrôle de validité de la loi. Il n'empêche qu'une loi déclarée non conforme à la Constitution ne pourra pas être
promulguée et donc dotée de force exécutoire, ce qui explique sans doute que d'autres spécialistes de droit
constitutionnel jugent que le Conseil constitutionnel contrôle la validité de la loi (P. Pactet, F. Mélin-Soucramanien, Droit
constitutionnel, Armand Colin, 24e éd. 2005, p. 512).
2 – 2. À titre d'exemple l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 (finalement modifié par la loi du 19 février 2002) qui interdisait
les sondages relatifs à l'élection dans la semaine précédant chaque tour de scrutin avait été jugé compatible avec l'article
10 de la Convention EDH garantissant la liberté d'expression par le Conseil d'État (CE, Sect., 2 juin 1999, Meyet, Lebon, p.
160), alors que la Cour de cassation adopta la solution inverse (Cass. crim., 4 sept. 2001, Bull. crim., no 170).
3 – 3. Condamnation par la CJCE, le 14 mars 2006, Commission c/ France, aff. C-177/04 et modification du droit français par
la loi du 5 avril 2006 relative à la garantie de conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur et à la
responsabilité du fait des produits défectueux.

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