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Thème : Les directives communautaires et le juge administratif

Sujet : Commentaire de l’arrêt CE, Ass. 22 décembre 1978, ministre de l’Intérieur contre Cohn-Bendit.

Problème juridique : est-il possible d’invoquer une directive, non transposée à l’issue du délai fixé pour ce faire, à
l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif individuel ?

Solution : Le CE a jugé qu’une directive de cette nature ne saurait être invoquée par les ressortissants des Etats
de la communauté européenne à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif individuel au motif
qu’ils ne peuvent se prévaloir directement des droits que leur conférerait une directive pour obtenir l’application
de celle-ci en lieu et place d’un texte national inexistant ou non conforme à ses dispositions ; mais ils peuvent
obtenir du juge qu’il paralyse l’application de la règle nationale qui méconnaîtrait cette directive.

L’arrêt Cohn-Bendit dispose de l’impossibilité pour un juge d’annuler une décision individuelle dont l’illégalité
provient directement de son inadéquation avec les objectifs de la directive.

Cette solution provient du fait que la directive nécessite une transposition par une mesure nationale pour
produire des effets à l’égard des justiciables.

I/ Le reniement de l’effet direct des directives par le juge administratif

A/ Le refus obstiné du juge administratif

L’arrêt fondateur sur l’effet direct du droit communautaire (Van Gend en Loos contre Administration fiscale
néerlandaise du 5 février 1963, pose le principe selon lequel le droit communautaire « de même qu’il crée des
charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique ; ceux-ci
naissent non seulement lorsqu’une attribution en est faite par le traité mais aussi en raison d’obligations que le traité imp ose
d’une manière bien définie tant aux particuliers qu’aux Etats membres et aux institutions communautaires ».

-L’arrêt Cohn-Bendit revient finalement à nier l’effet direct des directives, en frontale contradiction avec la
jurisprudence de la CJCE (« Van Duyn » ; « Siemmenthal » selon laquelle la directive doit être d’effet direct pour
créer des droits au profit des justiciables).
-Si l’attitude du CE apparaît comme revêche vis-à-vis de la CJCE, il faut tout de même remarquer le fait suivant :
selon les traités, seuls les règlements sont d’effet direct, les directives nécessitant une transposition puisqu’elles
laissent le choix des moyens. Or, de plus en plus, les directives deviennent extrêmement précises pour finalement
devenir des règlements déguisés. La CJCE a suivi cette évolution, en leur accordant un effet direct. En niant cet
effet direct avec la jurisprudence « Cohn-Bendit », le CE applique strictement le traité là où la CJCE l’étend
considérablement.
-Cette jurisprudence Cohn-Bendit a produit des effets devant certaines juridictions administratives inférieures. Par
exemple : CAA, Versailles, 20 juin 2006, Société d’aménagement et de développement des villes de Val-de-
Marne : « Les directives du conseil des communautés européennes ne sauraient ^tre invoquées par les ressortissants d’un Etat
membre à l’encontre d’un acte administratif individuel » ; dans le même sens CAA, Marseille, 12 juin 2007,
Association OPCAREG Languedoc-Roussillon) ; CAA, Nancy, 10 octobre 2005, Commune de Bellefontaine :
« la méconnaissance d’une directive communautaire ne peut être utilement invoquée à l’appui d’un recours contre une décision
administrative individuelle ».

La divergence de vue entre le CE et les hautes juridictions communautaires a pu faire dire à certains auteurs qu’il
s’agit d’une guerre des juges.

B/ La tempérance de la position du juge administratif

Le juge administratif est peu à peu revenu sur cette jurisprudence d’une manière détournée. En effet, son
raisonnement a évolué, pour finalement accepter l’emploi d’une exception d’illégalité. Le juge peut annuler une
décision individuelle si elle prise sur le fondement du règlement lui-même incompatible avec la directive (CE,
Ass., 30 octobre 1996, SA Cabinet Revert et Badelon : l’incompatibilité de la loi peut résulter de ce qu’elle ne
comporte pas la disposition exigée par la directive par exemple une exonération), puis de manière en core plus
probante (CE, Ass., 6 février 1998, Tête et autres et CE, section, 20 mai 1998 Communauté des Communes de
Piémont de Barr : au sujet d’une directive non-transposée dans le délai).

Par ailleurs, si le juge administratif excluait pour les actes individuels l’admission de l’effet direct des directives, il
a cependant éloigné ce refus des actes réglementaires de portée générale. Ainsi en est-il avec les arrêts Nicolo du
20 octobre 1989 et SA Rothmans International du 28 février 1992.

II/ L’abandon du refus ou la mort de la jurisprudence Cohn-Bendit

A/ La solution de la jurisprudence Mme Perreux

-Dans cette affaire, Madame Perreux reproche au Garde des Sceaux d’avoir écarté sa candidature au poste
dorénavant occupé par Madame F, ce qui serait une erreur manifeste d’appréciation entachant le décret
d’illégalité. Elle invoque donc la directive européenne n°2000/78/CE du 27 novembre 2000 selon laquelle lors
d’un tel litige, c’est à la partie défenderesse (ici l’administration) de prouver qu’il n’y a pas d’atteinte au principe
de l’égalité de traitement. Cette directive n’a pas été transposée alors que le délai expirait le 2 décembre 2003.
-Le CE rappelle que la transposition des directives est une obligation constitutionnelle. Puis, non seulement il
rappelle que les directives permettent aux justiciables de faire annuler les actes réglementaires illégaux du fait de la
contradiction avec les objectifs d’une directive par voie d’action ou d’exception (c’est la reprise de la jurisprudence
antérieure classique : CE, 1989, « Compagnie Alitalia » CE, 1984, « Fédération française des sociétés de
protection de la nature… »), mais aussi, il énonce que « tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé
contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a
pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ».
-Par cette décision, le CE doit vérifier que la directive crée effectivement des droits pour pouvoir annuler une
décision individuelle qui en créé également au profit du justiciable. Aussi, la directive doit-elle être suffisamment
claire et précise, et comporter des obligations inconditionnelles.
-En conclusion, le justiciable aura plus de chances de voir sa requête aboutir en se prévalant d’une exception
d’illégalité contre le règlement qui a donné naissance à la décision individuelle, plutôt que de se prévaloir par voie
d’action de l’illégalité de la décision individuelle seule contre la directive.

B/ Une solution soutenue par le juge constitutionnel

-La Constitution française en son article 88-1 a intégré l’ordre communautaire dans l’ordre juridique interne.
C’est dans cet esprit que le Conseil constitutionnel faisait ressortir l’exigence de la transposition des directives
(CC, 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance en économie numérique). En effet, le juge
constitutionnel a laissé une marge qui consiste à écarter sa compétence de se prononcer sur les griefs
d’inconstitutionnalité argués à l’encontre « d’une disposition législative qui se borne à tirer les conséquences nécessaires des
dispositions inconditionnelles et précises d’une directive ».
-Le juge administratif opéra à son tour sa reconnaissance de l’obligation constitutionnelle de prise en compte des
directives à l’occasion du contrôle qu’il exerce sur les actes réglementaires de transposition d’une directive
communautaire (CE, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine). Cette jurisprudence fut étendue au
contrôle de conventionalité qui établit un rapport entre le droit communautaire dérivé et la convention
européenne des droits de l’homme (CE, section, 10 avril 2008, Conseil national des Barreaux).
-Enfin, les arrêts Gardedieu du 8 février 2007 : responsabilité de l’Etat engagée du fait de la non-transposition
d’une directive par le législateur et Gestas du 18 juin 2008 : à propos des juridictions nationales) contribuent à la
magnificence du droit communautaire dans la conduite des autorités publiques à l’égard de leur obligation de
transposition de ces normes.

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